La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a examiné, pour avis, le projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement (n° 3787) .
(M. Christophe Arend, rapporteur pour avis)
Mes chers collègues, lors d'une audition conjointe avec la commission des lois qui s'est tenue hier, M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, nous a présenté le projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement.
Notre commission a été saisie pour avis. La discussion générale ayant déjà eu lieu, nous en venons à l'examen de l'article unique du projet de loi constitutionnelle, qui sera examiné demain, au fond, par la commission des lois. Trente-huit amendements sont en discussion.
Avant l'article unique
La commission examine l'amendement CD36 de M. Hubert Wulfranc.
Nous souhaitons reprendre l'une des propositions de la Convention citoyenne pour le climat – au sujet de laquelle le Président de la République a utilisé son joker – et insérer, après le premier alinéa du préambule de la Constitution, un alinéa ainsi rédigé : « La conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l'environnement, patrimoine commun de l'humanité. »
Une telle rédaction ouvrirait la voie à une remise en cause de l'exercice abusif du droit de propriété et à un encadrement plus strict de la liberté d'entreprendre. Ce serait un premier pas vers la reconnaissance effective de l'environnement comme bien commun intéressant l'ensemble de l'humanité – cette notion de « bien commun » nous est particulièrement chère.
Il y a deux manières d'interpréter votre amendement.
Dans le premier cas, il est déjà satisfait par l'ensemble du texte constitutionnel et par la manière dont il s'applique. En effet, la jurisprudence constitutionnelle ne fait apparaître aucun droit ni aucune liberté constitutionnelle comme supérieur, ou au-dessus des autres. La préservation de l'environnement est un droit – ou une exigence constitutionnelle – qui devra être concilié avec les autres droits sans leur être subordonné ou considéré comme inférieur. C'est bien l'objectif de la réforme proposée.
Dans le deuxième cas, vous souhaitez placer l'objectif de préservation de l'environnement au-dessus des autres droits et libertés – pour entraver le droit de propriété, par exemple. Nous ne souhaitons pas placer cet objectif au-dessus des autres, considérant justement que des conciliations doivent être recherchées.
Quel que soit le sens de votre amendement, nous devons donc émettre un avis défavorable.
Je soutiens cet amendement, d'abord parce que c'était l'une des trois propositions de nature constitutionnelle de la convention citoyenne, ensuite parce que la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, en particulier celle qui a validé la loi sur le retour des néonicotinoïdes, a montré toute la pertinence et la nécessité de cette évolution.
Cette idée de conciliation rend impossible le débat sur la notion de « bien commun ». Elle évacue un débat qui, compte tenu de la réalité de nos sociétés et de notre système économique, est pourtant majeur.
La commission rejette l'amendement.
Article unique
La commission examine, en discussion commune, les amendements CD8 de Mme Delphine Batho, CD1 de Mme Jennifer de Temmerman et CD29 de Mme Mathilde Panot.
La réécriture de l'article unique que je propose vise trois objectifs. Le premier, c'est d'inscrire dans notre Constitution que la France est une République écologique. Le deuxième, c'est de préciser le sujet de la phrase qu'il est proposé d'insérer, en spécifiant que c'est la loi qui « garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Le troisième consiste à inscrire le principe d'« amélioration constante » de la préservation de l'environnement – ce serait l'avancée la plus importante de cette révision constitutionnelle.
Nous avions déjà débattu de ces questions à l'occasion de l'examen du projet de réforme constitutionnelle de 2018. Les auditions auxquelles nous avons procédé n'ont pas fait évoluer notre position.
Vous souhaitez, premièrement, définir la France comme une République « écologique ». Le mot « écologie » est extrêmement polysémique : l'écologie est à la fois une science – l'étude des interactions des êtres vivants avec leur milieu –, une valeur et un courant politique – et cette liste n'est pas exhaustive. Il me semble donc délicat d'insérer cet adjectif après « démocratique et sociale ». De plus, si un comportement peut être qualifié d'écologique, on voit moins ce que recouperait l'expression « République écologique ».
Vous souhaitez, ensuite, modifier le sujet de la phrase que le projet de loi propose d'insérer dans la Constitution, en remplaçant la France par « la loi ». Ce faisant, vous voulez faire peser l'obligation d'agir sur le législateur. Or nous pensons que la réforme proposée est plus ambitieuse, puisqu'en se référant à la France, ou à la République – car nous nous sommes assurés que la France représentait bien l'État et la République dans l'intégralité de l'article 1er de notre Constitution –, le pronom « elle » désigne tous les pouvoirs publics. C'est bien sur eux, dans leur ensemble, que pèsera l'obligation d'agir pour préserver l'environnement, et non sur le seul législateur. Pour ces différentes raisons, je suis défavorable à votre amendement.
J'aimerais, au-delà des problèmes de rédaction posés par cet amendement, poser une question plus globale qui va concerner tous les amendements à venir. Monsieur le rapporteur pour avis, à quelle date ce référendum aura-t-il lieu, selon vous ?
J'ai été très surpris d'entendre le rapporteur de la commission des lois, M. Pieyre-Alexandre Anglade, dire que le référendum aurait lieu en septembre. Lorsque nous avons examiné les possibilités de report des élections régionales et départementales, nous avons constaté – c'est ce que dit le rapport de M. Debré – qu'aucun scrutin national ne peut avoir lieu entre septembre et novembre, pour au moins trois raisons : la situation sanitaire, d'abord ; le fait, ensuite, qu'il serait absurde, si le référendum devait avoir lieu en septembre, de faire campagne aux mois de juillet et d'août ; le problème qui se poserait, enfin, s'agissant des comptes de campagne. Imaginons que le Président de la République décide de s'engager en faveur du référendum, ce qui serait bien son droit : faudra-t-il imputer les dépenses liées à cette campagne sur ceux de la campagne pour l'élection présidentielle ? Selon vous, quand ce référendum aura-t-il lieu ? Et, surtout, pourquoi serait-il possible ?
Monsieur le rapporteur pour avis, l'un de vos arguments m'inquiète : vous dites qu'on ne peut pas inscrire le mot « écologique » dans la Constitution, parce que ce terme renvoie à un courant politique. Mais c'est vrai aussi des mots « social » et « démocratique », qui apparaissent dans l'intitulé de certains partis et qui sont pourtant inscrits dans notre Constitution. Avec ce genre de raisonnement, il faudrait supprimer bien des mots de ce texte...
Plus fondamentalement, je suis extrêmement inquiet à l'idée que l'on joue avec la Constitution pour pas grand-chose. Nous dépensons beaucoup d'énergie : pour quel résultat ? Nous devrions être dans l'action, non dans l'affichage. Notre commission ferait mieux de réfléchir aux transformations écologiques nécessaires à notre société.
Monsieur Orphelin, vous imaginez bien que je ne peux pas vous donner la date du référendum, puisque vous venez vous-même de montrer qu'il est impossible de la fixer pour l'instant. J'ajoute que cette réforme constitutionnelle n'aboutira à un référendum que si l'Assemblée nationale et le Sénat tombent d'accord sur la même formulation, et que le nombre de navettes n'est pas limité. Il me paraît important d'aller jusqu'au référendum, afin de sensibiliser encore davantage nos compatriotes à la problématique environnementale.
Monsieur Lambert, il nous semble que la question de l'écologie est déjà couverte par la rédaction proposée qui parle de « préservation de l'environnement » et qui reprend les deux piliers essentiels mis en évidence depuis 2018 que sont la « diversité biologique » et le « dérèglement climatique ».
Je vous rappelle que notre débat ne porte pas sur le référendum, mais sur le projet de loi constitutionnelle.
Il me paraissait préférable d'avoir ce débat une bonne fois pour toutes, plutôt que d'y revenir à propos de chaque amendement. Je comprends que votre position vous impose une certaine prudence, Monsieur le rapporteur pour avis, mais vous ne m'avez pas du tout rassuré. Si nous ne travaillons que pour la beauté du geste ou pour montrer que le Sénat n'est pas assez écolo, cela n'a pas de sens. Vous ne pouvez pas nous garantir que le référendum aura lieu à l'automne. Cela signifie qu'il n'y aura pas de référendum, puisqu'on ne va pas l'organiser au début de l'année 2022.
Je pense moi aussi qu'il vaut mieux avoir ce débat maintenant : cela nous permettra d'aller plus vite sur les amendements. Arrêtons de nous raconter des histoires et de faire semblant que nous travaillons pour quelque chose. Nous sommes là pour la forme car ce référendum n'aura pas lieu : M. Orphelin a raison. Il faut que le texte soit adopté conforme par le Sénat et cela n'arrivera pas. Nous sommes là pour faire de l'occupationnel et repeindre en vert quelques éléments d'une politique qui ne l'a jamais été depuis trois ans et demi. Ne nous racontons pas d'histoires : si vous ne pouvez pas nous donner la date du référendum, Monsieur le rapporteur pour avis, c'est parce qu'il n'aura pas lieu. C'est un enfumage complet : nous perdons du temps dans une opération de communication gouvernementale.
Je ne peux pas laisser dire que nous perdons du temps. La volonté du groupe La République en Marche est très claire : nous voulons inscrire au premier alinéa de l'article 1er de la Constitution que la France « garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Je ne crois pas que ce soit le rôle des parlementaires, à ce stade, de donner la date du référendum, mais ce qui est très clair, c'est que nous voulons aller au bout de ce processus démocratique.
Si la volonté d'inscrire dans la Constitution l'importance de l'engagement du pays en faveur de l'environnement et dans la lutte contre le réchauffement climatique, en accord avec la promesse faite à la Convention citoyenne pour le climat, peut être louable, se limiter à cette seule question serait réducteur.
Les fortes oppositions qui se sont manifestées au moment de la hausse de la taxe carbone ont démontré que si les Français sont sensibles à ces questions qui impactent de plus en plus leur quotidien, ils continuent de s'inquiéter de la situation économique et sociale.
Nous devons veiller à réconcilier ces visions : c'est ce que permettent la notion de développement durable et l'Agenda 2030. Cet amendement propose donc d'aller plus loin en affirmant qu'environnement, économie et social ne sont pas incompatibles et qu'il est possible de proposer une vision globale pour le bien commun des Français.
Je pense que nous ferions mieux de nous concentrer sur l'examen du projet de loi dit « climat et résilience », plutôt que de réviser la Constitution. Mais si nous révisons la Constitution, alors faisons-le vraiment, en adoptant l'amendement CD1 de ma collègue Jennifer de Temmerman.
L'amendement CD29 fait écho à celui de notre collègue Hubert Wulfranc : nous estimons que l'écologie et la protection de l'environnement doivent passer avant les intérêts privés. C'est pourquoi nous demandons que l'État soit le garant des biens communs que sont l'eau, l'air, le vivant et l'énergie. C'est ce que nous prônons quand nous demandons l'avènement d'une VIe République, émanant d'une Assemblée constituante. Ce serait autre chose que ce faux débat sur une réforme constitutionnelle qui n'aura pas lieu.
Permettez-moi de développer un peu ma réponse, car c'est un débat important.
Nous ne souhaitons pas inscrire la notion de « limites planétaires » dans la Constitution. En nous opposant aux amendements qui proposent d'introduire l'idée selon laquelle il y aurait des limites planétaires à ne pas dépasser, nous ne voulons pas amoindrir la portée scientifique de ce concept et son utilité.
Les limites planétaires ont été établies par une équipe internationale de chercheurs en 2009 ; leur nombre – neuf – et leur contenu sont discutés dans la littérature scientifique. Des mesures sont réalisées et actualisées pour établir où nous nous situons au niveau mondial par rapport à ces limites et certaines semblent déjà dépassées.
Il est certain qu'en inscrivant la préservation de la biodiversité et la lutte contre le dérèglement climatique dans la Constitution, nous intégrons des notions qui sont prises en compte par les limites planétaires. Néanmoins, introduire dans la Constitution la notion de « limites planétaires » reviendrait à introduire un concept scientifique qui évolue avec le temps et dont la pertinence peut être remise en cause. Dire que la France agira dans le respect de ces seuils constitue un engagement sur l'avenir dont rien ne garantit que l'on puisse le tenir. De plus, une telle rédaction occulterait le fait que cela ne dépend pas de l'action d'un seul pays. On introduirait ainsi une notion scientifique évolutive dans un texte juridique, ce qui n'est pas souhaitable. La Constitution n'est pas le lieu pour introduire un système de mesures.
La fin de l'amendement propose d'introduire un principe de non-régression. Nous sommes opposés à l'introduction d'un tel principe au niveau constitutionnel, pour plusieurs raisons. Le principe de non-régression est présent dans le code de l'environnement, à l'article L. 110-1, depuis la loi pour la reconquête de la biodiversité. Il ne s'applique, en pratique, qu'à des normes de rang inférieur à la loi, c'est-à-dire aux règlements. Le Conseil constitutionnel a validé ce principe dans sa décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016, où il confirme que « le principe de non-régression, de valeur législative, s'impose au pouvoir réglementaire, dans le cadre des dispositions législatives propres à chaque matière » et qu'il « ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle ».
Néanmoins, le Conseil constitutionnel a récemment estimé, dans sa décision n° 2020‑809 DC du 10 décembre 2020 sur la réintroduction de l'usage d'insecticides contenant des néonicotinoïdes, que le législateur ne pouvait pas être contraint par des lois antérieures, ce qui ne l'empêchait pas de poursuivre l'objectif de préservation de l'environnement et de ne porter atteinte à cet objectif que de manière pleinement justifiée et proportionnée par rapport aux objectifs poursuivis.
Introduire un principe de non-régression, que ce soit en l'explicitant dans la Constitution ou en faisant de l'objectif d'amélioration constante un objectif constitutionnel, obligerait le législateur pour l'avenir. Cela laisserait à des institutions autres que le pouvoir législatif la capacité de déterminer les normes minimales et de statuer sur ce qui constituerait ou non un retour en arrière. Un tel principe suppose d'identifier le sens du progrès en matière d'environnement et le degré plus élevé de protection des droits et interdit de diminuer ce degré de protection. De plus, implicitement, un tel principe impliquerait que la préservation de l'environnement prime sur d'autres exigences ou d'autres droits constitutionnels et empêcherait à l'avenir la conciliation nécessaire entre différents objectifs ou droits et libertés constitutionnels.
Le fait de ne pas introduire le principe de non-régression dans la Constitution n'est toutefois pas incompatible avec l'idée d'amélioration de l'environnement, qui est présente dans la Charte de l'environnement, comme le devoir de tout un chacun – à l'article 2. Le fait d'inscrire dans la Constitution que la République garantit la préservation de l'environnement implique par ailleurs, en lui-même, l'ambition de progresser dans ce domaine. Pour toutes ces raisons, j'émettrai un avis défavorable sur l'amendement CD1.
S'agissant de votre amendement CD29, Monsieur Prud'homme, le titre que vous proposez d'insérer soulève plusieurs remarques. Le 4-1 et le 4-5 sont déjà satisfaits par l'état actuel du droit ; la réforme proposée ne remet nullement en cause les droits définis dans les textes du préambule. Par ailleurs, beaucoup d'éléments listés au 4-2 font partie de notre économie des marchandises, à commencer par l'alimentation. Cet article heurte donc une réalité qu'il n'est pas possible de faire évoluer à une échelle globale. Le 4-4, enfin, ne définit pas le principe de préjudice écologique, qu'il est par conséquent difficile de mettre en œuvre. Pour toutes ces raisons, j'émettrai un avis défavorable à votre amendement.
Vous nous dites, Monsieur le rapporteur pour avis, que les limites planétaires ne seraient pas une réalité scientifique avérée. J'avais pourtant cru comprendre que rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Vous êtes en train de nous vendre une croissance infinie, alors que les ressources de notre planète sont finies. Toute personne dotée d'un minimum de sens mathématique, et tout simplement de bon sens, pourrait comprendre que cela ne peut pas fonctionner et que les limites planétaires s'imposent à nous. Voilà pourquoi il faudrait les inscrire dans la Constitution, pour qu'elles s'imposent aussi à notre façon de décliner notre corpus législatif.
S'agissant de cette croissance infinie qui reste votre paradigme, je pense que vous faites une erreur sémantique : dans votre start-up, vous opposez « croissance » et « décroissance », mais la décroissance n'est pas la récession. La décroissance, c'est la prise en compte des limites planétaires, c'est le fait de s'y adapter pour que la vie soit toujours possible demain sur cette planète.
Monsieur le rapporteur pour avis, l'article unique dispose que la France « garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Cela signifie que de votre point de vue, la disparition de certaines ressources, si elle n'a un impact ni sur la diversité biologique, ni sur le dérèglement climatique, n'est pas un problème. Je songe aux ressources minérales : la disparition de certains métaux rares, comme le tantale, pourrait être aussi grave que celle de la biodiversité – il existe d'ailleurs un comité pour les métaux stratégiques au sommet de l'État. Ces métaux manqueront aux générations futures et la rédaction que vous avez choisie n'empêchera pas leur disparition. Il reste beaucoup de travail à faire avant d'organiser un référendum, car votre projet de réforme néglige de nombreuses données.
La notion de « limites planétaires » est fondamentale. Ce n'est pas un concept flou, c'est un fait : certaines limites physiques déterminent l'espace de sécurité dans lequel l'humanité a pu s'épanouir et se développer sur terre. C'est une notion qui est reconnue à l'échelle internationale et qui est déjà inscrite dans notre droit, puisqu'elle figure à l'article L. 110-1-1 du code de l'environnement. Je ne souscris pas du tout à votre argumentation, Monsieur le rapporteur pour avis. Le rapport sur l'état de l'environnement en France, depuis 2019, est fait sur la base de la grille de lecture des limites planétaires : c'est une notion étayée, qui a du sens. Elle a d'autant plus de sens que la réforme constitutionnelle proposée introduit une différence avec la rédaction de la Charte de l'environnement, en dissociant « environnement », « biodiversité » et « climat ». Il manque, dans votre texte, la notion de « ressources ».
S'agissant du concept de « non-régression », je souhaite bonne chance au juge constitutionnel qui devra interpréter l'intention du constituant, dans l'hypothèse où cette révision constitutionnelle aboutirait. Pour ma part, je ne crois pas que ce sera le cas et, pour tout dire, je ne souhaite pas qu'un référendum ait lieu sur ce sujet car je crois qu'il se retournerait contre l'écologie. Le seul intérêt d'une révision constitutionnelle, au regard de la jurisprudence actuelle et de la Charte de l'environnement, consisterait à inscrire le principe de non-régression dans la Constitution. Sinon, la phrase que vous proposez d'ajouter n'apporte rien.
La Convention citoyenne a fait ses propositions au mois de juin et c'est le 8 août qu'a été annoncé le projet de loi sur le retour des néonicotinoïdes en France, qui constitue la plus grave régression du droit de l'environnement de ces dernières années. Si la Convention citoyenne avait fait cette expérience avant de rendre ses conclusions, elle en aurait tenu compte. Il faut inscrire noir sur blanc le principe de non-régression dans la Constitution.
Il y a une contradiction entre M. Prud'homme qui cite Anaxagore – lequel fut plagié par Lavoisier avec « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » – et Mme Batho et M. Lambert qui expliquent que des ressources vont disparaître.
Plusieurs constitutionnalistes ont confirmé que la rédaction retenue dans le projet de loi va potentialiser les considérants de la Charte de l'environnement. Nos débats nourris éclaireront les juges chargés de l'interpréter.
Le principe de non-régression et la question des limites planétaires sont des sujets sérieux. Mais encore une fois : nous discutons du sexe des anges ! C'est un mensonge de faire croire qu'il peut y avoir un référendum avant la fin du quinquennat. Lors de la présentation à la commission des lois de son rapport sur la tenue des prochaines élections départementales et régionales, M. Jean-Louis Debré a expliqué que l'automne ne serait pas le bon moment pour un scrutin national – en raison de la difficulté à conduire le débat pendant la période estivale, sans même parler des délais d'ouverture des comptes de campagne. Je continue de soutenir la modification de l'article 1er de la Constitution, et la convocation du Congrès est la seule solution pour y parvenir.
Les expressions très diverses sur ce texte aboutissent parfois à des avis convergents, malgré des différences d'appartenance politique. Je ne sais pas s'il s'agit d'un mensonge – nous verrons. La question est de savoir si l'on poursuit un but symbolique ou si l'on souhaite avoir de l'ambition. Pour être ambitieux, il faut aller plus loin que ce qui est proposé.
Nous sommes réunis ici pour examiner le contenu de ce projet de loi et non pour discuter de l'éventualité d'un référendum.
La commission rejette successivement ces amendements.
Elle examine l'amendement CD7 de Mme Delphine Batho.
Je n'ai pas été convaincue par les observations rédactionnelles du rapporteur pour avis sur la question importante du sujet de la phrase lors de la discussion de mon précédent amendement. S'agit-il des pouvoirs publics ? La Charte de l'environnement a retenu les mots « toute personne ».
L'amendement CD7 a pour objet d'inscrire la notion d'écologie à l'article 1er de la Constitution, en complément des principes fondamentaux de la République, c'est-à-dire son indivisibilité et son caractère laïc, démocratique et social.
Je rappelle le sens de l'adjectif « écologique » : qui respecte l'environnement ou qui se réclame de l'écologie comme science. C'est un complément que nous souhaitons apporter à l'identité historique de la République française.
Suivant l'avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l'amendement CD32 de M. Hubert Wulfranc
La commission examine les amendements identiques CD9 de M. Emmanuel Maquet et CD15 de M. Martial Saddier.
Mon amendement prévoit de remplacer « garantir » par « préserver ».
Dans son avis du 21 janvier, le Conseil d'État a émis des réserves quant à l'utilisation du verbe « garantir », qui pourrait imposer aux pouvoirs publics « une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d'être plus lourdes et imprévisibles » que les dispositions actuellement inscrites dans la Charte de l'environnement.
Je souhaite rappeler que l'adoption de la Charte de l'environnement avait été précédée par la mise en place d'une commission de préparation présidée par Yves Coppens, faisant suite aux débats durant la campagne pour l'élection présidentielle de 2002. Il avait ensuite fallu de longs travaux parlementaires sur le projet de loi constitutionnelle afin de convaincre une majorité d'adopter la Charte lors d'une réunion du Congrès, le 28 février 2005.
Je pense que le choix du verbe « préserver » reprendrait les termes de la Charte et de la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel.
Contrairement à ce qu'a dit le garde des sceaux lors de son audition hier, si l'on reprend les travaux préparatoires très complets sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement, il est clair que les enjeux climatiques étaient bien pris en compte par le constituant.
Nous abordons le chantier de cette modification constitutionnelle avec précaution et humilité. Si nous comprenons la réflexion conduite par le Conseil d'État dans son avis sur l'utilisation du verbe « garantir », nous pensons que cela implique, non pas une obligation de résultat, mais plutôt une obligation de moyens renforcée. Comme nous l'avons rappelé hier, nous sommes prêts à assumer la potentialité du verbe « garantir », qui montre l'importance et l'urgence qu'il y a à poursuivre nos efforts en matière de préservation de l'environnement et de la diversité biologique.
D'une certaine manière, dire que la France se contente de « préserver l'environnement » n'est pas assez ambitieux ou pas assez précis quant aux obligations que cela entraîne ou aux droits que cela confère.
Cela nous ramène à l'essentiel des débats intervenus il y a plus de quinze ans sur la Charte de l'environnement : la portée de ses articles était-elle directe ou indirecte ? À l'issue des discussions, seul le fameux principe de précaution figurant à l'article 5 était directement applicable par le juge ; les autres articles ne pouvaient être appliqués qu'après l'intervention d'une loi. Pour avoir été rapporteur pour avis du texte constitutionnel relatif à la Charte de l'environnement pour la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, je peux dire que « garantir » ou « préserver », c'est exactement la même discussion. Le Conseil d'État le confirme : le premier verbe donnera une portée directe, et ce n'est pas une petite différence.
Au vu de mon expérience quotidienne en Guyane, je me demande si nous ne sommes pas plongés dans un doux rêve.
J'entends les discussions sur les différences entre obligation de résultat et obligation de moyens renforcée. Je suis perplexe, même si je devrais me réjouir du choix du terme « garantir », qui obligera les services de l'État à se doter du nécessaire pour éviter de se retrouver dans les impasses que nous connaissons. En matière d'orpaillage illégal, les autorités peuvent être tentées de seulement juguler un phénomène qu'elles pensent ne pas pouvoir éradiquer.
Ce débat aura des conséquences extrêmement lourdes, d'où l'importance de bien peser les mots.
Même le garde des sceaux a parlé d'une quasi-obligation de résultat. Si l'on ne retient pas le verbe « garantir », ce n'est plus la peine de réviser la Constitution.
J'entends bien qu'on a pu avoir ce débat sur la Charte il y a quinze ans, mais il n'aura échappé à personne que depuis lors, la situation s'est dégradée et que l'urgence est plus pressante. Je comprends à peine cette discussion ; il faut être sérieux. La proposition de « garantir » constitue la seule ambition de ce texte. Si on l'enlève, il ne reste plus rien.
J'aurais aimé que nous disposions de deux ans pour faire cette réforme, plutôt que le calendrier qui nous est imposé. Je relève de plus que deux débats vont se superposer en commission et en séance publique : l'un sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique, l'autre sur ce projet de loi constitutionnelle.
Toutes les interventions doivent permettre de nourrir le débat de fond pour que chacun puisse voter en son âme et conscience. Encore une fois, ayant eu la chance d'avoir été rapporteur pour avis du projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement, je cherchais modestement à éclairer les conséquences juridiques respectives des verbes « garantir » et « préserver ». Si l'on pouvait éviter de porter des jugements les uns sur les autres lors des longues discussions qui s'annoncent, chacun y gagnerait.
La commission rejette les amendements.
Elle examine l'amendement CD27 de M. Jimmy Pahun.
Cet amendement propose d'inscrire la préservation de la biodiversité et de l'environnement marins à l'article 1er de la Constitution.
En 2018, lors des débats sur le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, l'Assemblée nationale avait souhaité consacrer cet enjeu en l'intégrant à l'article 34 de la Constitution.
La nécessité d'agir pour la protection de l'océan mérite de figurer au sommet de l'ordre juridique national.
La diversité biologique est le terme le plus inclusif possible pour parler de toutes les espèces vivantes, animales et végétales. L'ajout n'apporterait pas de précision supplémentaire puisque la diversité biologique concerne aussi bien le milieu terrestre que marin. L'amendement est donc satisfait.
De plus, en mentionnant les diversités biologiques terrestre et marine, n'exclurait-on pas le milieu aérien ?
On pourrait aussi parler des marins d'eau douce ! La notion de milieu marin exclut les eaux douces. On pourrait inscrire beaucoup d'autres éléments nécessaires à la biodiversité. Ce qui manque avant tout dans ce texte, ce sont les matières fossiles.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine, en discussion commune, l'amendement CD10 de M. Emmanuel Maquet ainsi que les amendements identiques CD16 de M. Martial Saddier et CD25 de M. Jimmy Pahun.
L'amendement prévoit de remplacer « lutter » contre le dérèglement climatique par « œuvrer », afin de tenir compte des réserves du Conseil d'État s'agissant des conséquences potentielles pour les pouvoirs publics de l'interprétation par le juge.
Quand on lutte, c'est toujours avec retard. En proposant d'« agir » contre le dérèglement climatique, on incite davantage à l'anticipation.
Il est vrai que le terme « œuvrer » contre le dérèglement climatique ne paraît pas en contradiction avec le texte soumis à notre examen, puis qu'il montrerait l'engagement de l'État dans ce domaine crucial. Mais après avoir entendu de nombreuses personnes sur la question, nous sommes intimement convaincus que le verbe « lutter » est le plus approprié au but recherché, parce que c'est le terme le plus fort et engageant.
Il s'agit de celui choisi par les membres de la Convention citoyenne pour le climat, et sans faire de cet élément un argument d'autorité, nous souhaitons le conserver.
Comme « garantir », « lutter » implique au moins une obligation de moyens pesant sur les pouvoirs publics. D'un strict point de vue sémantique, il révèle mieux l'urgence à agir et le combat que chacun peut mener, les pouvoirs publics en premier lieu, pour conduire des politiques compatibles avec la stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Au passage, je réponds à Mme Batho : notre intention est bien que ce soient les pouvoirs publics qui agissent, pas la loi.
Le Conseil d'État a estimé dans son avis que le verbe « lutter » ne convenait pas, mais uniquement pour dire que d'autres verbes conviendraient mieux. Il faut noter par ailleurs que ce verbe apparaît à de très nombreuses reprises dans le code de l'environnement, notamment en matière de changements climatiques.
C'est pourquoi mon avis sur ces amendements est défavorable.
J'ai cosigné l'amendement de M. Saddier car il va au-delà d'une simple modification rédactionnelle. « Agir » relève d'une vision globale plus préventive et apaisante. Même s'il est urgent d'agir pour l'environnement – le Président de la République Jacques Chirac avait ouvert la voie avec son discours de Johannesburg – il faut le faire sans connotation négative et dans le but de mieux organiser la planète pour les générations futures.
Il n'y aurait de lutte ou d'action que contre le dérèglement climatique ? Où est-il question des pollutions ? Le changement climatique est l'un des impacts sur l'environnement ; c'est donc d'une certaine manière une redite. Quitte à en avoir une, autant que l'énumération soit complète. Ou alors restons-en à « elle garantit la préservation de l'environnement et la diversité biologique ».
La construction de ce texte n'est pas aboutie. Pour une fois, les travaux parlementaires vont peut-être servir à quelque chose.
Quelle est notre marge de manœuvre pour être à la hauteur d'un projet de loi constitutionnelle ? Changer la Constitution n'est pas anodin : c'est symbolique et crucial. Allons-nous dire à nos enfants que nous luttons contre le dérèglement climatique, alors qu'eux perçoivent avant tout les effets mortels de la pollution atmosphérique ? Je regrette qu'il n'y soit pas fait allusion.
La commission rejette successivement les amendements.
Elle est saisie de l'amendement CD3 de Mme Delphine Batho.
Cet amendement, le plus important, vise à inscrire à l'article 1er de la Constitution le principe d'amélioration constante. En effet, dans son avis, le Conseil d'État relève que jusqu'à présent, la jurisprudence du Conseil constitutionnel estime que l'article 2 de la Charte de l'environnement ne permet pas de reconnaître le principe de non-régression, principe que la France soutient sur la scène internationale dans le cadre du Pacte mondial pour l'environnement. L'adoption de cet amendement marquerait donc une véritable avancée. Certes, il compléterait la proposition de la Convention citoyenne pour le climat mais, je le rappelle, le projet du Gouvernement a lui-même apporté deux modifications à cette proposition.
Je ne reprendrai pas le très long argumentaire que j'ai développé précédemment. Je rappellerai simplement que nous ne voulons pas faire primer un principe à valeur constitutionnelle sur un autre : cela empêcherait le juge de mettre en balance les différents principes et d'user de sa liberté d'appréciation. Avis défavorable, donc.
Pardon d'insister. Non seulement la majorité ne respecte pas les principes qu'elle nous propose d'inscrire à l'article 1er de la Constitution, puisqu'elle a adopté récemment une loi qui autorise de nouveau l'utilisation des néonicotinoïdes, mais elle refuse d'inclure le principe de non-régression dans cette révision constitutionnelle. On se moque du monde !
Sans aller jusqu'à dire que l'on se moque du monde, je rejoins Mme Batho. Si l'on veut que le texte soit ambitieux, il faut indiquer une direction ferme qui empêche tout retour en arrière, en inscrivant le principe d'amélioration constante dans la Constitution.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CD28 de Mme Mathilde Panot, CD21 de M. Paul-André Colombani et CD4 de Mme Delphine Batho.
Je vous avertis, Monsieur le rapporteur pour avis : vous risquez de vous évanouir. En effet, nous proposons que la France garantisse la préservation de l'environnement, dans le respect des limites planétaires par l'application du principe de non-régression et – pour couronner le tout – de la règle verte, étant précisé, d'une part, que le principe de non-régression correspond à une amélioration constante de la préservation de l'environnement, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, et, d'autre part, que la règle verte implique de ne pas prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu'elle peut reconstituer, ni de produire plus que ce qu'elle ne peut supporter sur une année. Tout le reste n'est que verbiage.
Mme Batho a dit que refuser ce principe, c'est se moquer du monde. Soyons clairs : c'est du foutage de gueule ! J'ajoute que le référendum n'aura pas lieu puisqu'il faudrait pour cela que le texte soit adopté dans les mêmes termes par les deux chambres, ce qui ne se produira jamais.
Mes chers collègues, j'ai pour chacun d'entre vous le plus profond respect. À aucun moment, je ne me permettrais de penser ce que vous suggérez. M. Leseul sait, pour avoir assisté à de nombreuses auditions, avec quelles précautions et quelle humilité j'ai abordé nos travaux, lesquels détermineront ce que sera le texte une fois qu'il aura été adopté à la suite du référendum.
Monsieur Prud'homme, je crois que nous nous comprenons mal. J'adhère aux principes qui figurent dans votre amendement, mais je crois qu'ils ont leur place dans la loi, et non à l'article 1er de la Constitution, d'autant que certains d'entre eux sont déjà satisfaits. Quant à la règle verte, je sais que votre groupe y tient particulièrement et je ne peux que saluer l'énergie que vous mettez à la défendre. Néanmoins, j'émettrai un avis défavorable à votre amendement.
Ne vous méprenez pas, Monsieur le rapporteur pour avis, le respect est réciproque. Ce n'est pas votre personne mais bien le texte que nous attaquons. Il n'y a pas d'incompréhension entre nous : nous défendons l'un et l'autre des choix politiques radicalement opposés. Nous estimons quant à nous qu'il n'est plus temps de tergiverser : la règle verte doit primer sur la préservation des intérêts économiques. C'est sur ce point que nous divergeons.
Nous souhaitons quant à nous insister sur la notion de limites planétaires, que le ministre a qualifiée hier de floue et peu consensuelle. Cette notion est cruciale pour l'avenir de la planète. Les limites planétaires sont des limites physiques que l'humanité doit s'astreindre à respecter, sous peine de détruire les conditions favorables à son existence. Elles sont au nombre de neuf, dont six ont d'ores et déjà été dépassées par la France : le changement climatique, l'érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l'azote et du phosphore, la modification des usages des sols, l'acidification des océans, l'utilisation mondiale de l'eau, l'appauvrissement de l'ozone stratosphérique, l'augmentation des aérosols dans l'atmosphère, l'introduction d'entités nouvelles dans la biosphère. Ces limites sont précises et font l'objet d'un consensus scientifique. Depuis 2012, elles sont évoquées à l'ONU, au niveau européen et en France – notamment par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). La lutte contre le changement climatique requiert le recours à des outils adaptés tel que celui-là. Aussi, je regrette que l'on renonce à l'utiliser au plan constitutionnel.
Par l'amendement CD4, nous proposons – j'ai déjà expliqué pourquoi – de faire référence au respect des limites planétaires en tant qu'objectif.
Monsieur le rapporteur pour avis, à la différence de la Charte de l'environnement, qui retient une approche globale de la notion d'environnement, comprenant aussi bien la biodiversité et le climat que l'impact sur la santé humaine ou la question des ressources, le projet de loi introduit une distinction puisqu'y sont explicitement mentionnés l'environnement, la diversité biologique et le changement climatique. Ainsi, il n'est question ni des ressources ni de la santé humaine. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce point, qui préoccupe non seulement des parlementaires, dont je fais partie, mais aussi des juristes spécialistes du droit constitutionnel lié à l'environnement ?
Monsieur Colombani, la métrique inhérente à la notion de limites planétaires nous semble importante, mais nous estimons que celles-ci n'ont pas leur place à l'article 1er de la Constitution. Je note que l'introduction de cette notion a été rejetée par référendum en Suisse.
Je suis d'autant plus défavorable à votre amendement que ce qui y est suggéré se trouve déjà dans les considérants de la Charte de l'environnement : « Le peuple français, considérant :
« Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité ;
« Que l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ;
« Que l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ; [...]
« Qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins […] ».
À ce propos, Madame Batho, les considérants de la Charte de l'environnement ont valeur constitutionnelle, mais ils ne confèrent aucun droit, dans la mesure où ils ne peuvent pas être invoqués dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel ne prend en effet en compte que les articles. Or, la rédaction que nous proposons – beaucoup de constitutionnalistes nous l'ont confirmé – leur conférerait leur pleine valeur.
Enfin, en 2018, nous avons privilégié une approche englobante de l'environnement – nous avions d'ailleurs débattu de longues heures sur la notion de morcellement. Mais, depuis, a été publié le cinquième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui montre bien que deux des piliers sont dans une situation d'urgence extrême : la diversité biologique et le climat. Cela ne signifie pas pour autant que la notion d'environnement est morcelée : elle continue de désigner l'ensemble des milieux – animal, végétal, minéral – avec lesquels l'être humain interagit. Avis défavorable également à l'amendement CD4.
Depuis sa décision QPC du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel reconnaît les considérants de la Charte comme ayant des conséquences juridiques puisque c'est sur le fondement du considérant selon lequel la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation que la loi qui interdit le transport, la circulation et la production de pesticides a été jugée conforme à la Constitution. Pour être précise, il n'est pas possible de poser une QPC sur le fondement de ces considérants, mais ceux-ci peuvent être pris en compte dans la décision.
Monsieur le rapporteur pour avis, dans quelques mois, la pollution par le plastique sera une urgence, au même titre que le changement climatique et l'effondrement de la biodiversité. Dès lors, soit nous adoptons un amendement visant à mentionner cette problématique dans le projet de loi, soit nous revoyons la rédaction qui nous est proposée.
Madame Batho, il a tout de même fallu quinze ans pour que le Conseil constitutionnel accepte de donner une valeur constitutionnelle à l'environnement sur le fondement de la Charte. Nous souhaitons ne pas attendre quinze années de plus pour que toutes les conséquences soient tirées de ses considérants. Or, des constitutionnalistes nous ont donné l'assurance qu'ils seraient potentialisés par la rédaction proposée.
Monsieur Lambert, notre intention n'est pas de morceler la notion d'environnement. Il y a un environnement, et un seul. Mais, en tant que constituants, nous nous devons d'entendre les aspirations profondes du peuple français, dont les principales préoccupations concernent la biodiversité et le dérèglement climatique, qui sont depuis 2008 deux piliers de la préservation de l'environnement.
Tout d'abord, on révise la Constitution, non pas pour « potentialiser » une Charte, mais pour créer de nouvelles règles constitutionnelles. À cet égard, cette révision ne peut avoir de véritable intérêt que si elle permet d'inscrire le principe de non-régression dans la Constitution – je ferme la parenthèse.
Par ailleurs, je ne dis pas qu'il faut entrer dans le détail de ce que recouvre la notion d'environnement et mentionner la biodiversité, le climat, les ressources, etc. Je souligne simplement le fait que, à la différence de la Charte de l'environnement, le projet de loi entre dans le détail et qu'il le fait de façon incomplète. L'une et l'autre sont donc contradictoires. Or, en s'abstenant de clarifier l'intention du constituant sur ce point, on s'en remet au juge constitutionnel. Peut-être y reviendrons-nous ultérieurement en commission des lois, mais la rédaction qui nous est proposée pourrait être interprétée, par exemple, comme excluant les ressources naturelles – puisqu'elles ne figureront pas à l'article 1er –, alors qu'elles sont prises en compte dans la Charte. Si nous ne souhaitons pas que cela puisse être le cas, il faut que les choses soient clairement dites.
Je souscris à l'argumentation de Mme Batho. Ou bien nous parlons d'environnement de manière globale, ou bien nous nous efforçons de compléter intelligemment la liste qui nous est proposée. Monsieur le rapporteur pour avis, je salue la manière dont vous avez mené les diverses auditions, mais je m'interroge : avons-nous la possibilité de modifier ne serait-ce qu'une virgule de ce texte ?
Monsieur le rapporteur pour avis, la biodiversité et le dérèglement climatique correspondent, dites-vous, à une attente forte de nos concitoyens. Mais si, dans quelques mois, ils expriment une forte préoccupation concernant la pollution de l'air – qui est à l'origine de 50 000, voire de 100 000 morts par an – ou de la pollution par le plastique – qui pourrait causer d'ici à vingt ans la destruction de la Méditerranée –, faudra-t-il que nous révisions à nouveau la Constitution ?
En 2004, nous avions fait le choix de retenir une formule large à l'article 1er de la Charte de l'environnement et de faire référence, dans les travaux préparatoires, notamment les rapports, au climat, à la biodiversité, aux ressources naturelles, à la qualité de l'eau et de l'air... Aujourd'hui, nous ne savons pas très bien où nous en sommes. Il est proposé que le dérèglement climatique apparaisse explicitement dans la Constitution, mais les autres problématiques ne sont pas citées, de sorte que le juge constitutionnel pourrait s'interroger demain sur la véritable pensée du constituant. Il ne faudrait pas que la volonté louable d'aller plus loin que la Charte aboutisse in fine à une régression.
Par ailleurs, très peu de décisions constitutionnelles portent sur la Charte de l'environnement, la procédure des QPC est relativement récente et celles-ci ne sont pas très fréquentes. Le juge a donc attendu d'avoir l'opportunité d'apporter des précisions sur les considérants de la Charte de l'environnement.
Quoi qu'il en soit, nous sommes plusieurs, de différentes sensibilités, à souligner que le projet de loi semble rompre un équilibre.
Nous avons constaté la prudence des juges concernant la Charte et nous avons acquis, au fil des auditions, la conviction que la formulation retenue lui donnerait force et vigueur.
La commission rejette successivement les amendements.
Elle est saisie de l'amendement CD37 de M. François-Michel Lambert.
Madame la présidente, je tiens à saluer votre volonté de laisser les uns et les autres s'exprimer, quitte à susciter l'impatience de quelques-uns.
Il s'agit ici de mentionner le principe de subsidiarité afin de faire toute sa place à la dynamique des territoires dans la poursuite de ces objectifs planétaires. Il serait bon que, dans une France de plus en plus verticale, on comprenne que, s'agissant des enjeux collectifs, tout acteur, à commencer par ceux de nos territoires, peut apporter sa contribution.
Vous abordez la question intéressante de l'échelon pertinent pour agir en matière de protection de l'environnement et de lutte contre le changement climatique. Appliquer le principe de subsidiarité signifie que l'État ne devrait agir et définir des politiques nationales que si cela n'est pas possible au niveau local. Il est vrai que l'ambition qu'il nous est proposé d'inscrire à l'article 1er de la Constitution implique tous les niveaux des collectivités locales et de l'administration déconcentrée, mais le texte du projet de loi n'empêcherait en aucun cas une gestion à la fois nationale et locale de la politique environnementale. Cet ajout n'est donc pas nécessaire.
Par ailleurs, l'article 72 de la Constitution précise que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». Par conséquent, en matière de décentralisation, le principe de subsidiarité est un principe général qui n'a pas besoin d'être rappelé. C'est pourquoi nous sommes défavorables à votre amendement.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CD5 de Mme Delphine Batho.
La notion de biens communs dépasse le cadre du droit constitutionnel français et ne correspond pas à l'objet de la révision constitutionnelle proposée. Nous ne pouvons nier que l'eau, l'air, la terre, le climat constituent des biens fondamentaux mais notre texte constitutionnel ne peut affirmer que certains de ces éléments n'appartiennent à personne. Inscrire une telle assertion dans la Constitution aurait des conséquences que nous ne mesurons pas. L'usage de ces éléments considérés comme des biens communs, s'il ne se traduit pas nécessairement par un droit de propriété, se traduit par un droit d'exploitation. Adopter un tel amendement reviendrait ainsi à remettre en cause des pans entiers de notre droit. C'est pourquoi nous émettons un avis défavorable.
La position du rapporteur pour avis est tout à fait logique. Il s'agit ici d'un débat de société, voire de civilisation. La notion même de biens communs implique celle de lutte ; elle heurte, de fait, un certain nombre de principes, de libertés et de droits propres à la démocratie libérale, en particulier le droit de propriété. Nous nous inscrivons, à cet égard, dans nos logiques respectives. Pour ma part, je voterai l'amendement, tout en respectant les arguments du rapporteur pour avis et en sachant que ce texte ne pourra aller bien au-delà de la logique de la démocratie libérale.
Le Préambule de 1946 proclame que « tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ». En 2021, nous considérons que les biens communs doivent être préservés ; tel est le sens de la République écologique. Préserver ne signifie pas nationaliser, car un bien commun n'appartient à personne.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle émet un avis favorable à l'adoption de l'article 1er sans modification.