Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du jeudi 9 décembre 2021 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • ADN
  • déclin
  • espèce
  • insecte
  • note
  • stockage

La réunion

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Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi 9 décembre 2021

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Examen de la note scientifique sur le stockage de données sur l'ADN (Ludovic Haye, sénateur, rapporteur)

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. – L'Office est réuni ce matin pour examiner trois notes scientifiques sur trois sujets d'actualité : la première sur le stockage des données sous la forme d'ADN, présentée par le sénateur Ludovic Haye, la deuxième sur le déclin des insectes, présentée par la sénatrice Annick Jacquemet, et la troisième sur les équilibres psychosociaux à l'épreuve de la Covid-19, présentée par les sénateurs Michelle Meunier et Pierre Ouzoulias. Nous allons aborder des questions technologiques avec des perspectives pleines d'espoir, des questions écologiques plutôt pessimistes, avec des constats clairs, et enfin des questions psychosociales liées à la Covid 19, thématique au moins aussi importante que les sujets directement médicaux.

Le stockage des données sous la forme d'ADN est un sujet technologique émergent sur lequel l'Office a entendu il y a quelques mois François Képès, membre de l'Académie des technologies. Cet entretien nous avait convaincus qu'il était pertinent d'approfondir la question sous la forme d'une note scientifique. Ludovic Haye avait été nommé rapporteur, ses compétences scientifiques lui permettant d'aborder sans difficulté un sujet aussi intéressant et complexe. Comme le montre la note, on peut se réjouir que de jeunes pousses françaises soient à la pointe dans ce domaine. Toutefois il faut rester vigilant car la concurrence est vive et si notre pays veut conserver ses atouts, il devra aider nos jeunes champions.

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Ludovic Haye, sénateur, rapporteur

. – Est-ce que le stockage de données sur l'ADN est une simple idée géniale d'un chercheur ou est-ce une piste prometteuse ? Je vais essayer de vous expliquer pourquoi l'ADN est bien adapté au stockage des données. Naturellement, l'ADN stocke le génome humain et joue donc déjà un rôle dans le stockage de l'information. Est-ce qu'à la place de données biologiques on peut y stocker des données numériques ? Cette question sera le fil rouge de ma présentation. Cette molécule est présente dans les cellules de tous les êtres vivants et elle supporte le matériel génétique. Pourquoi parle-t-on aujourd'hui de stockage de données sur l'ADN ? Parce le volume des données numériques est en train d'exploser. Rien qu'en 2020, 47 zettaoctets de données ont été créés.

Un bref rappel des mesures de grandeur s'impose : un octet, c'est un groupe de huit bits, chacun portant une information élémentaire binaire que l'on peut symboliser par un 0 ou un 1. Un caractère peut être codé par un octet ; une page nécessite environ 3 kilooctets ; 300 pages, un mégaoctet ; une bibliothèque, un gigaoctect. Aujourd'hui, on ne parle pratiquement plus de gigaoctets, on est dans les téraoctets et les pétaoctets. Un téraoctet, cela représente 6 millions de livres ou une pile de 200 DVDs, et un pétaoctet, qui est devenu monnaie courante aujourd'hui dans les entreprises, représente 1015 octets, soit une pile de DVDs de 200 mètres de hauteur. Les exaoctets (1018 octets) qui sont également monnaie courante pour toutes les entreprises du CAC 40 correspondent à une pile de DVDs d'un kilomètre. Les zettaoctets (Zo, 1021 octets) équivalent à une pile de DVDs qui irait de la Terre à la Lune. Enfin, le yottaoctet (1024 octets), c'est ce que devrait pouvoir stocker le centre que va ouvrir la National Security Agency américaine (NSA) en 2023, soit le volume d'informations qui sera généré d'ici cinq ans.

Cet emballement s'explique par des appareils qui génèrent de plus en plus de données, car notre société est entrée dans une phase de numérisation. Ces données doivent être stockées. Aujourd'hui, elles le sont dans des data centers. Si les données sont transparentes, les bâtiments qui les stockent consomment de l'énergie – cela représente 3,6 % de la consommation énergétique mondiale actuelle –, des surfaces agricoles, des ressources telles que des métaux, des terres rares, beaucoup d'eau pour les refroidir, ce qui a des conséquences environnementales. Or, en 2040, la sphère globale des données devrait atteindre 5 000 Zo. Le problème des data center s est la fragilité : la durée des supports de stockage (actuellement des disques magnétiques) est comprise entre 5 et 7 ans. Tout le monde a fait l'expérience de supports d'écriture dépassés (les disquettes, les CDs) à la fois parce que leurs cycles de vie sont courts, mais également parce qu'on ne fabrique plus ce genre de support. Depuis 2010, la demande en capacités de stockage est supérieure à l'offre, ce qui laisse craindre une « crise des données » dans les prochaines années, qu'on ne saura plus où stocker.

Les conséquences environnementales du numérique sont de plus en plus importantes. Il nous faut un système de stockage plus dense, plus écologique et que nous serons capables de lire dans plusieurs décennies, plusieurs siècles, voire plusieurs millénaires. Le stockage sur l'ADN devrait le permettre dans la mesure où il promet un stockage dense, non soumis à l'obsolescence et durable puisque c'est une ressource qu'on trouve facilement et qui consomme peu d'énergie. J'attire tout de suite votre attention sur le fait qu'il est hors de question de réinjecter dans l'être humain de l'ADN qui stockerait des données. Aujourd'hui, les êtres humains stockent l'équivalent de 2,7 Zo dans leur ADN. Si dans 1 gramme d'ADN, on peut entreposer 0,45 Zo, on peut estimer que l'ensemble des données mondiales pourraient tenir dans 100 g d'ADN. Les perspectives quant au volume des données à venir suggèrent qu'il faudra l'équivalent de la pièce dans laquelle nous nous trouvons pour les stocker. Par ailleurs, si l'ADN est stocké dans des conditions appropriées et qu'on empêche toute réaction chimique avec l'air ou l'eau, il pourra être conservé à température ambiante des dizaines de milliers d'années.

Je vais maintenant vous décrire le principe du stockage dans l'ADN. On part d'un fichier connu numérique (.xls, .ppt, etc.) qu'il va falloir faire passer du code binaire des octets au langage quaternaire des nucléotides A, C, G, T (adénine, cytosine, guanine et thymine). Pour passer de 2 à 4, on va créer des couplets de bits et on va les associer à une base. On va traduire les 0 et les 1 en A, C, G, T. Lorsque le fichier numérique est traduit en une séquence de bases, on va créer une molécule ADN qui correspond à cette séquence. C'est cette étape qui est coûteuse. Le brin d'ADN est ensuite stocké afin de pouvoir être lu ultérieurement. C'est la phase dormante. Le jour où quelqu'un voudra lire le fichier, il fera la procédure inverse et convertira les bases A, C, G, T en code binaire. Comme un couple de bits donne quatre combinaisons possibles de 0 et de 1, on va associer chacune de ces combinaisons à l'une des quatre bases : on dit que le A, c'est le 00 (« zéro-zéro »), le C, c'est le 01 (« zéro-un »), le G c'est le 10 (« un-zéro ») et le T c'est le 11 (« un-un »). Ceci couvre l'ensemble des combinaisons possibles, qui correspondent aux 4 bases qui constituent l'ADN. Je précise que dans l'ADN, il n'y a pas que de la donnée pure, on doit ajouter des octets qui servent de « flags », c'est-à-dire des étiquettes pour savoir où est l'en-tête, ainsi que d'autres petits morceaux qui servent à corriger les erreurs. À l'instar d'un CD qui, lorsqu'il est gravé, peut faire l'objet d'une rayure, on n'est pas à l'abri d'erreurs au moment de la synthèse de l'ADN. Les chercheurs ont donc développé des séries de bases qui peuvent corriger ces erreurs.

La synthèse de l'ADN est la phase la plus critique, qui coûte le plus cher. La méthode la plus répandue consiste à faire de la synthèse séquentielle. On ajoute un par un les nucléotides. Sur chacun est fixé un groupement protecteur qui empêche les emballements dans l'écriture. Ce groupement est ensuite enlevé pour fixer le nucléotide suivant. Il n'est pas intéressant de faire de trop grandes chaînes, car les chaînes longues augmentent les risques d'erreurs. On préférera donc travailler avec des brins d'ADN relativement courts. La deuxième méthode est celle de la réaction chimique, grâce à des enzymes. Une entreprise française est leader dans ce domaine.

L'ADN stockant les données est ensuite placé dans une capsule en inox, qui le protège de toute réaction chimique. Une capsule de la taille d'une pilule peut contenir une grande partie de l'ensemble des informations numériques mondiales.

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Ludovic Haye, sénateur, rapporteur

Il y a une multitude de brins d'ADN dans une seule capsule. On reproduit le brin à de très nombreux exemplaires, idéalement autant que d'utilisations prévues de la donnée, car la lecture du brin conduit à le détruire. Le 23 novembre dernier, les Archives nationales ont stocké sur ADN la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi que la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, à plus de 100 milliards d'exemplaires, dans une capsule métallique de 18×5 millimètres, conçue par la société Imagene.

On utilise la soudure laser pour fermer la capsule, avec inscription d'un QR Code pour retrouver les données plus facilement. L'ADN est stocké dans un milieu combinant de l'argon et de l'hélium, entre deux petites plaques de verre, pour éviter les dégradations.

L'accès à l'information stockée, qui passe par le séquençage de l'ADN est également un moment critique. Le séquençage prenait des mois voire des années. Désormais il prend quelques heures, avec des machines très puissantes, comme le séquenceur « Illumina ». Le coût pour déchiffrer un génome humain était de plus de 100 millions de dollars il y a 20 ans. Il est de l'ordre de 1 000 dollars désormais.

Il existe toutefois d'importants freins au développement du stockage de données sur ADN. Les deux opérations cruciales de synthèse et de séquençage sont encore chères et chronophages, même si l'on enregistre des progrès d'année en année. On estime que, pour être compétitif, il faudrait aujourd'hui réduire les coûts de stockage d'un facteur 1 000 sur les données dites « froides » et d'un facteur de 100 millions sur la synthèse. La donnée froide est celle que l'on va chercher peu fréquemment. Le stockage de données sur ADN présente le grand intérêt de permettre de lire ces données dans plusieurs milliers voire millions d'années. L'ADN n'est cependant pas adapté à des lectures et réécritures fréquentes comme nous le faisons aujourd'hui avec des disques magnétiques. Il faut encore plusieurs jours pour écrire et plusieurs heures pour lire des données stockées sur ADN. Le stockage sur ADN n'est donc pas adapté aux données régulièrement consultées. Cependant, les données froides ou chaudes prennent la même place. Il faut pouvoir archiver les données froides, ce qui fera autant de données en moins dans les data center.

La communauté scientifique est très optimiste quant aux progrès à venir du stockage de données sur l'ADN. Les Américains misent beaucoup sur cette technologie. La France s'intéresse au stockage de données sur l'ADN mais aussi sur des polymères, qui fonctionnent de manière assez similaire à l'ADN. On est en pointe sur ce sujet, notamment à Strasbourg. Les polymères présentent l'avantage de pouvoir être fabriqués de manière industrielle très facilement.

Beaucoup d'entreprises françaises, associées à des laboratoires de recherche, sont pionnières dans le domaine du stockage de données sur l'ADN. Ce domaine est d'ailleurs l'un des quatre retenus au titre des programmes exploratoires prioritaires de recherche (PEPR) avec 20 millions d'euros sur 84 mois.

Les chercheurs estiment que l'on peut accélérer considérablement les cycles de lecture/écriture sur l'ADN et que l'on pourrait atteindre prochainement 10 Go en 24 heures. La marge de progression est importante, tant sur l'ADN, qui fait l'objet de recherches depuis 30 ans, que sur les polymères, pour lesquels la recherche est plus récente.

L'écriture de données sur l'ADN est un sujet technique, mais j'ai aussi souhaité entendre un spécialiste des questions éthiques, pour m'assurer que cette technologie ne pose pas de difficulté sur ce plan. L'ADN doit en effet être vu comme un support de stockage, sans aucune intention ni possibilité de l'injecter dans un être vivant.

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Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office

La question éthique va forcément se poser. Il y a beaucoup de fantasmes autour du mot « ADN ». On l'a vu avec les récents débats sur l'ARN messager et l'enzyme de rétrotranscriptase.

Sur un plan pratique, on constate que les données occupent beaucoup de place dans les bibliothèques. Elles consomment donc du foncier, à une époque où l'on parle de plus en plus des politiques de zéro artificialisation nette. Mais ce ne sont pas que des données froides car elles ont vocation à être consultées. Pourrait-on envisager que le stockage de données sur ADN concerne d'abord les archives ?

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Si l'on en croit les spécialistes, on pourrait voir une multiplication par mille de la surface occupée par les data center, qui pourraient couvrir jusqu'à un millième des terres émergées, ce qui est énorme.

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Ludovic Haye, sénateur, rapporteur

. – Au lieu de parler de données froides ou chaudes, ne faut-il pas parler de données utiles ? Aujourd'hui, on estime que 60 % des données sont des archives. En entreprise, on estime que 80 % des données ne seront jamais réutilisées. Elles sont stockées un peu par facilité, parce que les supports le permettent, en se disant qu'elles seront peut-être utiles un jour. Actuellement, le coût du gigaoctet est de 26 centimes. Pour une entreprise qui manipule 500 téraoctets, comme c'est le cas de beaucoup de PME, le montant total est de 150 000 euros. Ces données ne servent à rien, mais il faut les sauvegarder, il faut du personnel pour les traiter au quotidien, etc. C'est un coût faramineux. Je dis toujours aux entrepreneurs que s'ils veulent faire des économies, ils peuvent regarder le volume des données qu'ils traitent quotidiennement et dont ils n'utilisent que 20 %.

La construction de data center va se heurter à un énorme frein, parce qu'ils ne contiennent des données que pour cinq à sept ans. C'est bien souvent un investissement important pour pas grand-chose. Certes, les GAFAM peuvent se le permettre, parce qu'ils sont en expansion, mais la grande majorité des entreprises doit s'interroger sur les données qu'il sera bon de garder. C'est d'ailleurs totalement dans l'air du temps : le Règlement général sur la protection des données (RGPD) va contraindre à s'interroger sur les données critiques qu'il faut préserver d'un sinistre et sur celles qui sont moins critiques. La « datasphère » atteint aujourd'hui 175 zettaoctets, sans aucune distinction entre données utiles et inutiles, chaudes et froides. Il faut désormais se pencher sur ce sujet.

J'ai intégré à la note des éléments portant sur la dimension éthique, pour rassurer. Aujourd'hui, qu'est ce qui ne fait pas débat dès qu'on parle d'ADN ? Lors de notre récente rencontre avec l'Académie de médecine sur l'ARN messager, les plus grands spécialistes nous ont expliqué comment entrer dans une cellule, comment changer la polarité de tel ou tel composant, etc. mais cela n'empêchera jamais tout un chacun de dire sur Facebook que les scientifiques qui font cela sont des apprentis sorciers. Il en ira de même pour le stockage sur l'ADN. Il faut répondre en rappelant que l'ADN stocke déjà de l'information : l'ADN humain contient 2,7 zettaoctets d'information. On ne fait qu'utiliser le support ADN pour y mettre un autre type de données, mais le but n'est pas de l'injecter dans l'organisme.

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Je me souviens d'une conférence où avait été mis sur papier l'ensemble d'un génome humain, qui représente une bibliothèque en petits caractères serrés.

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Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office

La contrainte de consultation unique est-elle la même pour le stockage sur les polymères ? Je voudrais rappeler par ailleurs que les données stockées dans les data center sont parfois dupliquées jusqu'à sept fois, souvent par sécurité. Peut-être qu'il faudra légiférer pour l'éviter.

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La multiplication des serveurs permet aussi de diminuer la latence, pour que la lecture d'informations soit aussi rapide que possible, où que l'on se trouve.

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Ludovic Haye, sénateur, rapporteur

. – Dupliquer la donnée lui donne une chance de survivre à un sinistre, même si une perte peut survenir, comme on l'a vu récemment à Strasbourg. Il faut prendre aussi en compte le coût du stockage et de l'hébergement, qui est en rapport avec la sécurité associée. Celui qui duplique ses données sept fois le paye très cher. C'est intéressant pour l'hébergeur, mais en regard des contraintes environnementales il faudra y mettre une limite. Un chef d'entreprise qui estime qu'il possède des données importantes et a les moyens de payer pour les héberger à sept exemplaires va-t-il réellement les utiliser un jour ? On touche à la notion de liberté de stocker ou pas. Le législateur devra intervenir.

Les polymères offrent de nouvelles possibilités, avec des besoins de réplication réduits. La France a choisi de continuer à suivre ces deux pistes.

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office

J'ai trouvé cette note absolument passionnante, admirablement présentée, parfaitement didactique et accessible. Étant très impliqué dans le nucléaire et attentif au risque de perte de compétences dans la société, je voudrais savoir si le stockage sur ADN parait plus apte à permettre à l'humanité de survivre à une défaillance apocalyptique. Je ne suis pas du tout un passionné de science-fiction mais on ne peut pas exclure l'idée que la connaissance ne soit pas linéaire et qu'un choc civilisationnel puisse aboutir à une perte de compétences, à une régression absolue. Le stockage sur ADN est-il plus résistant, plus robuste et in fine plus accessible ?

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Ludovic Haye, sénateur, rapporteur

. – Il y aurait beaucoup à dire sur le sujet. Avant même d'essayer de faire en sorte que des données restent lisibles dans plusieurs millions d'années, il faut s'interroger sur l'existence de quelqu'un pour les lire à cette échéance. Quand on regarde les données environnementales sous-jacentes, on se dit que les data center auront peut-être raison de la planète avant même que l'ADN permette de transmettre le savoir sur trois, quatre ou cinq générations. Il faut donc se demander si l'on ne fait pas tout ceci pour rien. Transmettre le savoir n'est jamais inutile, mais sera-t-il encore intéressant de lire ces données ? S'il s'agit d'un film, aura-t-il encore une justification ? Peut-être que des puces implantées dans le cerveau permettront de se projeter avec des avatars dans n'importe quelle scène, dans n'importe quel environnement, pour devenir acteur, comme dans le monde de la science-fiction… Les prochaines décennies annoncent de tels changements qu'il semble difficile de se projeter dans des millénaires. Le futur est inconnu. Faisons-nous œuvre utile ? Ce n'est pas pour se donner bonne conscience, mais l'utilité de la transmission du savoir est peut-être la dernière chose dont il faut douter.

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Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office

Existe-t-il des obligations légales ou juridiques de durée de stockage des données ?

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Ludovic Haye, sénateur, rapporteur

. – Les élus d'expérience que vous êtes savent que des obligations légales existent pour les entreprises et même pour les particuliers, comme conserver les talons de chéquiers, les relevés de compte, etc. Les collectivités y sont aussi soumises, ce qui les pénalise, car elles n'avaient pas vocation à stocker des données. Pour octroyer des aides, les services sociaux des collectivités gèrent énormément de données bancaires, médicales, etc. alors qu'ils n'y étaient pas préparés. Il est aujourd'hui parfois reproché aux collectivités de ne pas être au niveau des entreprises en termes de cybersécurité. Aussi, pour que des mairies servant de relais à des organismes étatiques ne restent pas livrées à elles-mêmes, je les accompagne, comme je le fais pour les entreprises.

S'agissant du respect des obligations légales de conservation, les technologies actuelles suffisent parfaitement : lorsqu'un disque dur commence à montrer des signes de faiblesse, il suffit de le remplacer pour être tranquille pour quelques années supplémentaires – c'est un réflexe que nous devrions tous avoir. Avec le stockage sur ADN, nous parlons d'échelles temporelles – des siècles voire des millénaires – qui sont sans commune mesure avec la gestion des obligations légales.

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Pierre Ouzoulias, sénateur

. – Merci pour cette note qui donne le vertige. Dans le cadre de la mission sur la science ouverte que nous conduisons pour l'OPECST, il est apparu qu'environ un tiers des articles scientifiques produits et publiés n'étaient finalement jamais lus : le stockage sur ADN pourrait-il aider les chercheurs à envisager un autre mode de diffusion de leurs données, moins systématiquement porté vers la production d'articles ?

L'expérimentation menée par les Archives nationales fait réagir le conservateur du patrimoine que je suis. L'original de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'est pas détruit, et les ouvrages qui en rendent compte non plus. Nous avons pour ce type de documents un mode d'archivage de très longue durée, les archives froides. Par conséquent, le stockage sur ADN ne vient pas se substituer aux originaux, il s'y ajoute. Cela reste une excellente chose, car pour l'archiviste, le choix du mode d'archivage est fondamental.

L'un des sujets sur lesquels il me paraît important d'avancer est celui des banques de gènes, en particulier pour les céréales. Il existe déjà une réserve mondiale de semences dans l'archipel du Svalbard. Un jour, l'humanité pourrait avoir intérêt à y revenir, y compris pour des variétés que nous ne cultivons plus aujourd'hui. D'ailleurs, pour faire suite à la remarque de Gérard Longuet, pourquoi ne pas envisager un stockage sur la face cachée de la Lune ? Ce qui semble relever de la science-fiction mettrait en réalité les données à l'abri de bien des aléas. Toutes ces questions sont complexes et ouvertes, y compris sur le plan philosophique.

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Ludovic Haye, sénateur, rapporteur

. – Compte tenu du faible volume qu'elles occupent, emmener les données stockées sur ADN sur la face cachée de la Lune n'aurait sans doute rien d'infaisable. Mais une fois de plus, en cas de très gros problèmes sur Terre, qui ira lire ces données sur la Lune ? Ce ne sera sans doute pas la priorité…

J'ai échangé avec plusieurs scientifiques. Ils sont enfermés dans un système où il faut « publier pour survivre », et donc produire des données pour survivre. C'est peut-être d'abord sur ce système qu'il faudrait agir…

Il est vrai que nous disposons encore des documents originaux – vous avez cité l'exemple de la Déclaration de 1789. Mais il faut bien comprendre que cela tient à l'époque de leur production. S'il y avait aujourd'hui une nouvelle Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, prendrait-elle vraiment la forme d'un document papier original ? Ou ferait-on plutôt comme chez le notaire, avec une signature électronique et un document dématérialisé ? Le support numérique de ce document devrait quand même être remplacé au bout de quelques années. Nous pensions avoir fait le plus dur avec le papyrus, mais non : c'est bien le numérique qui posera les plus gros problèmes de conservation. Tous les supports vieillissent, et les disques durs ne sont pas non plus à l'abri d'une catastrophe – imaginez par exemple une guerre électromagnétique. Nous l'avons connu avec les registres d'état civil de nombreuses mairies, disparus après 1945 car l'occupant se chauffait parfois avec.

Cela pose une question majeure : identifie-t-on bien aujourd'hui les données importantes ? Interrogez un chercheur dans un laboratoire : il vous répondra souvent qu'il dispose bien de sauvegardes de ses travaux sur son ordinateur ou son cloud, mais qu'en est-il au-delà ? Qui est garant des données essentielles de notre société ? Ce n'est pas le rôle de la CNIL, ce n'est pas non plus celui des organismes qui interviennent sur les aspects réglementaires.

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. – La note indique qu'il faut tenir l'ADN à l'écart de l'eau, de l'oxygène, des hautes températures : a-t-on fait le test ? La capsule de protection résiste-t-elle, par exemple, à un incendie ?

Je lis dans la note qu'on estime qu'un coût d'un euro pour la lecture ou l'écriture de 1 Mo de données permettrait de rendre le stockage sur ADN viable pour les données froides : le chemin qui reste à parcourir correspond-il à la réduction des coûts d'un facteur mille pour le séquençage et d'un facteur cent millions pour la synthèse, que la note mentionne également ?

Vous évoquez l'idée d'utiliser des polymères qui ne soient pas de l'ADN, c'est-à-dire non constitués des bases A, T, C et G. Quelles sont les pistes ? Le code serait-il binaire, quaternaire, voire octal ou hexadécimal ? Si les choses sont moins avancées dans ce domaine, est-ce faute de recherches ou parce que l'ADN présente des avantages intrinsèques qui expliquent la priorité qui lui est accordée ?

S'agissant de l'encodage – 00 donne A, 01 donne G, etc. –, n'y a-t-il pas un risque d'erreur ? Par exemple, si le premier 0 est détruit, cela peut-il conduire à tout fausser ? J'imagine que le sujet est bien connu et bien traité…

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Ludovic Haye, sénateur, rapporteur

– Les techniques de codage sont tout à fait au point. On peut notamment identifier la position dans la chaîne avec un code préfixe ou un code flag, et même corriger les erreurs grâce aux bases précédentes et suivantes. Le prochain défi est celui de la cybersécurité, et les chercheurs s'y préparent : pour les données froides, les risques sont d'ordre physique et n'iront sans doute jamais très loin, mais dès lors que nous passerons aux données tièdes voire chaudes, les entreprises devront s'en préoccuper.

Le stockage sur des polymères est en effet moins avancé que celui sur ADN. Avec les polymères, tout est ouvert : il n'y a pas la contrainte des quatre bases de l'ADN, on peut imaginer des polymères intelligents capables de se concaténer tout seuls, etc. Il en va de la recherche comme du sport : il y a d'abord une première phase de progression, puis une phase de stagnation, enfin les dernières marches qui sont difficiles à gravir. Avec l'ADN, nous sommes sur le plateau, mais avec les polymères, c'est la première phase qui débute.

Le calcul des coûts n'est pas toujours clair, mais la note contient quelques détails. Une chose est sûre : la viabilité économique du stockage sur ADN, et donc la diminution permanente des coûts, conditionne l'avenir de cette technologie. Du reste, même si nous parvenons à un coût d'un euro par Mo pour la lecture et l'écriture sur ADN, cela ne suffira pas, tant que les technologies actuelles coûteront 50 centimes.

S'agissant de la protection des capsules, des tests ont évidemment été menés, et je vous confirme que celles-ci résistent à des températures extrêmes, que l'on parle d'un incendie domestique ou d'un stockage sur la face cachée de la Lune.

Un autre avantage du stockage sur ADN est la possibilité de suppression rapide des données archivées, qu'elles concernent l'armement, le nucléaire, etc. Les données peuvent être supprimées aussi rapidement qu'elles sont mises en place, par immersion dans l'eau.

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Florence Lassarade, sénatrice

Sur un plan pratique, quel environnement, quelle maîtrise et quelle technologie seront nécessaires à la lecture des données ? Je pense par exemple aux données médicales que l'on stocke sur 30 ans. La lecture des données stockées sur ADN est-elle déjà opérationnelle ou faudra-t-il des structures spécialisées ?

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Ludovic Haye, sénateur, rapporteur

– La question est pertinente et ouvre le débat. Aujourd'hui, une toute petite minorité d'organismes peut lire la donnée stockée dans les capsules. Cependant, il y a 15 ans, seuls 1 ou 2 laboratoires en France pouvaient lire le génome humain. Aujourd'hui, ils sont bien plus nombreux et la machine de lecture s'est démocratisée, elle est devenue plus petite et moins chère. L'objectif est d'obtenir à terme un périphérique informatique qui utilisera la technologie ADN et qui permettra à nos ordinateurs de réaliser les étapes de chiffrement, de synthèse, etc. Certaines des technologies nécessaires pourraient apparaître d'ici 10 ans. Les opérations dont j'ai pu parler prennent actuellement plusieurs jours, nous serons bientôt capables de les réaliser en moins de 24 heures. Cela peut vous paraître encore trop long, mais atteindre l'ordre de grandeur de l'heure est très important pour la communauté des chercheurs. Les technologies évoluent et c'est là tout le but de la recherche.

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– Un très grand merci, cher collègue, pour ce rapport passionnant et vos réponses détaillées. Ces technologies prometteuses ne doivent cependant pas éluder les questions touchant au volume des données à stocker et à la consommation d'énergie, de surface et de matières. Pierre Ouzoulias nous a rappelé qu'un tiers des données publiées en science ouverte ne sont jamais utilisées. En médecine, on estime que la moitié des résultats publiés ne sont jamais exploités. La surabondance de connaissances et de données ainsi que la sélection des données utiles restent problématiques.

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Ludovic Haye, sénateur, rapporteur

– Le stockage des données en tant que tel mériterait effectivement une note spécifique.

L'Office autorise à l'unanimité la publication de la note scientifique sur « Le stockage de données sous la forme d'ADN ».

* * *

Examen de la note scientifique sur le déclin des insectes (Annick Jacquemet, sénatrice, rapporteure)

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– Le deuxième point de l'ordre du jour est l'examen d'une note scientifique sur le déclin des insectes. Notre collègue Annick Jacquemet a regardé de près ce sujet qui est souvent évoqué mais rarement abordé de manière satisfaisante. Il était important que l'Office puisse faire un point précis sur la situation : quelle ampleur du déclin, quelles causes, quelles conséquences, quelles prédictions, et que peut-on faire pour atténuer ou empêcher ce déclin ?

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Annick Jacquemet, sénatrice, rapporteure

–Je vais présenter cette note sur le déclin des insectes en abordant cinq aspects. D'abord, je montrerai qu'il s'agit d'un sujet complexe et sensible. Je m'appuierai sur des résultats reconnus par la communauté scientifique pour montrer que le déclin des insectes est un phénomène massif, même s'il touche inégalement les espèces. Je hiérarchiserai les causes de ce déclin. Enfin, je présenterai quelques recommandations après avoir montré les conséquences du déclin des insectes sur les écosystèmes et l'humanité.

Il s'agit d'un sujet complexe puisque le mot « insecte » recouvre plus d'un million d'espèces recensées et les scientifiques estiment qu'il en existe 5 millions dans le monde. La France compte environ 40 000 espèces d'insectes. Les espèces sont réparties en 28 ordres (mouches, abeilles, frelons, coléoptères, papillons, etc.) dont cinq en réunissent 80 %. Il n'existe pas d'étude globale sur les insectes : toutes les études sont partielles et ne concernent que certaines espèces. On a donc du mal à avoir une vision globale sur l'ensemble des espèces. Les biais scientifiques sont très importants, notamment à l'échantillonnage. Il existe des biais géographiques. Des études sont menées en Europe, en particulier en Allemagne. Cependant, les pays tropicaux recèlent plus de la moitié des espèces d'insectes mais sont peu étudiés. Les biais sont également temporels : les recueils d'insectes sont très dépendants de la température, des conditions météorologiques, etc. Enfin il existe des biais méthodologiques. Les techniques de recueils (tentes éclairées, pièges collants, filets, etc.) varient fortement selon les chercheurs. Pour pouvoir comparer les résultats des études, il faudrait qu'elles soient menées dans les mêmes conditions, au même moment, sur les mêmes secteurs géographiques.

L'identification des insectes est aussi une étape complexe. La méthode de la taxonomie, qui consiste à reconnaître les insectes en se basant sur leur morphologie et certains critères physiologiques, est difficile, notamment quand les insectes ne sont pas recueillis entiers. La taxonomie a besoin de temps et de connaissance pour fonctionner. Les nouvelles technologies, telles que le barcoding moléculaire (le codage à barres de l'ADN), le metabarcoding, qui permet d'étudier un assemblage de populations dans un échantillon environnemental, et l'intelligence artificielle facilitent l'identification des insectes.

Le déclin des insectes est également un sujet sensible. S'il s'agit d'un phénomène multicausal, les pesticides occupent une place importante parmi ces causes. Or, ces produits sont associés à de forts enjeux économiques. Les lobbies exercent une pression sur les chercheurs que nous avons pu percevoir pendant les auditions. Certains chercheurs nous ont rapporté avoir subi de très fortes pressions des laboratoires lorsqu'ils ont publié leurs premiers résultats dans les années 2000. Les laboratoires remettaient en question l'exactitude des chiffres et le lien de causalité avec les pesticides. Ils proposaient des explications alternatives, comme une mauvaise gestion des ruches par les apiculteurs. Un chercheur nous a rapporté ne pas avoir voulu publier les résultats de son étude car il craignait la réaction des industriels. Les industriels possèdent un système de veille redoutablement efficace, et leurs nombreux avocats peuvent présenter immédiatement des contre-arguments.

Le déclin des insectes est un phénomène massif, établi scientifiquement en dépit des biais que je viens d'évoquer. Il se mesure en termes d'abondance par rapport au nombre d'individus, de richesse par rapport au nombre d'espèces, et de biomasse par rapport au poids global des insectes. Ce phénomène a longtemps été sous-évalué, les recherches sur les mammifères, en particulier l'ours polaire, le rhinocéros ou le gorille, monopolisant les moyens et l'attention du public.

Les grandes tendances de ce déclin ont été mises en évidence par des études, réalisées notamment en Allemagne. La disparition des taxons a commencé au début du XXe siècle, s'est accélérée dans les années 1950-1960 et a pris des proportions très alarmantes depuis deux décennies. Ce déclin massif a conduit en 27 ans à une baisse de 76 % de la biomasse des insectes volants dans 63 aires naturelles protégées en Allemagne.

Actuellement, 41 % des espèces d'insectes sont concernées par ce déclin. 31 % d'entre elles seraient menacées d'extinction dans le monde, avec une perte de l'ordre de 1 % par an. Ce phénomène est complexe, toutes les espèces n'étant pas en déclin, certaines étant même en croissance : les espèces généralistes résistent mieux, alors que – c'est un consensus scientifique – les espèces spécialisées, tributaires d'habitats et de sites potentiels de nidification qui se raréfient, sont plus impactées. Les espèces multi-voltines – donnant naissance à plusieurs générations par an – et les espèces mobiles sont globalement moins affectées.

Les causes de ce déclin sont multiples, mais on peut en identifier quatre principales : les pertes d'habitats, les pollutions, le changement climatique et les invasions biologiques. Les pertes d'habitats naturels ou semi-naturels résultent de la déforestation, de l'urbanisation, de la construction de voies de communication, de la fragmentation des paysages et, surtout, de l'agriculture intensive. Cette dernière réduit et altère l'approvisionnement en nourriture, ainsi que les habitats. Ainsi, dans la Beauce ou le Sud-Ouest, sur des hectares et des hectares de monoculture, la floraison ne dure que trois à quatre semaines dans l'année, au printemps ou à l'automne. De ce fait, les insectes pollinisateurs se retrouvent à la diète pendant certaines périodes de l'année, faute d'autres végétaux pour les abriter ou les nourrir. Les cultures de céréales et d'oléo-protéagineux recouvraient en 2010 50 % de la surface agricole utile en France. Dans le monde, depuis 2001, 70 % des prairies permanentes ont disparu, 90 % des zones humides et 10 % des forêts mondiales ont été détruites. En France, près de 600 000 kilomètres de haies ont été arrachées. Or les haies sont essentielles à la vie des insectes puisqu'elles leur permettent de s'abriter, de se nourrir et de se reproduire. Ceci a aussi grandement contribué à leur déclin.

Les pollutions de l'air, de l'eau et du sol contribuent également à ce déclin, causées notamment par les pesticides au sens large : insecticides, herbicides et fongicides. Les engrais jouent aussi un rôle, en modifiant la flore utile au niveau du sol. Parmi les pesticides, les néonicotinoïdes, mentionnés dans des textes de loi récents, présentent des caractéristiques particulièrement nocives. D'abord, ils sont souvent utilisés en prophylaxie, par enrobage des semences, alors qu'on ne sait pas forcément si ce produit sera utile au cours de l'année. Un autre problème résulte de leur rémanence dans le sol, où l'on estime que 80 à 90 % de ces substances se retrouvent finalement. Or, le sol abrite énormément d'insectes qui entretiennent sa qualité. On constate aussi une insuffisance des réglementations européennes et nationales pour évaluer les risques liés aux pesticides avant leur mise sur le marché. Depuis 30 ans, ce sont quasiment les mêmes études qui sont réalisées. Or, les scientifiques ont découvert l'existence de pollutions croisées entre substances, qui agissent aux différentes étapes du développement des insectes : au stade larvaire, des nymphes ou de l'éclosion. Les facteurs de stress se superposent. Pour autant, les industriels n'ont pas adapté les études réalisées avant la mise sur le marché. Or, une fois un produit mis sur le marché, il est très difficile de revenir en arrière.

Parmi les autres pollutions, on peut noter la pollution lumineuse. Afin de réaliser des économies d'énergie, beaucoup de communes équipent leur éclairage public avec des ampoules à diodes électroluminescentes, encore plus nocives que les précédentes pour les insectes nocturnes, en raison de leur intensité lumineuse supérieure. De plus, leur utilisation coûtant moins cher aux communes, ces luminaires restent allumés beaucoup plus longtemps, ce qui désorganise complètement les insectes nocturnes, qui ne peuvent plus s'orienter en fonction des étoiles ou de la Lune. La lumière artificielle désynchronise leurs activités, notamment leur alimentation et leur reproduction. Les pollutions sonores nuisent aussi aux insectes qui s'orientent par des communications acoustiques, tout comme la pollution industrielle bien sûr, avec les métaux lourds. Tous ces facteurs jouent un rôle important dans le déclin des insectes.

Le changement climatique a des effets contrastés, mais constitue une menace pour la diversité. Il modifie l'aire de répartition des insectes, certains ne pouvant pas s'adapter. Ainsi, en Europe, les aires d'habitation des papillons se sont déplacées de 249 kilomètres vers le nord mais, sur le terrain, les papillons ne sont remontés que de 114 kilomètres. Ils mettent donc du temps à s'habituer au changement climatique et ne trouvent plus nécessairement l'habitat qui leur convient. Le changement climatique induit aussi des phénomènes extrêmes. Par exemple, les feux récents en Australie ont détruit plusieurs millions d'hectares et on estime que plusieurs centaines de milliards d'insectes ont péri. Par ailleurs, les cycles des végétaux ne correspondent plus forcément aux périodes de butinage des pollinisateurs, ce qui induit un décalage entre la floraison et les périodes où les insectes vont butiner.

Le déclin des insectes résulte aussi des invasions biologiques, comme celles du frelon asiatique, de la coccinelle asiatique, qui menace notre coccinelle à sept points, et de la pyrale des buis, qui a fait d'importants dégâts depuis son arrivée voici quatre ou cinq ans. Ces invasions sont dues au commerce international et à l'importation de plantes exotiques.

On le voit, les causes du déclin des insectes sont vraiment très diverses.

Ce déclin a des conséquences sur notre environnement et sur tout l'écosystème. Les insectes ont en général une très mauvaise image, parce qu'on pense tout de suite aux moustiques qui nous piquent et aux mouches qui nous gênent. Mais 1 % seulement des moustiques transmettent des maladies comme la dengue, le paludisme ou la fièvre jaune. De même, 1 % seulement des insectes ravagent les cultures, alors que tous les autres ont une utilité dans l'écosystème. Ainsi, ils jouent un rôle fondamental dans la reproduction des plantes via la pollinisation : environ 80 % des plantes à fleurs sauvages dépendent de celle-ci. Les insectes constituent aussi un maillon essentiel dans la chaîne alimentaire et nourrissent de nombreux vertébrés, tels que les musaraignes, les hérissons, etc. Ils assurent également le recyclage de la matière organique. En Australie, lors de l'introduction des bovins, les scarabées locaux étant incapables de manger leurs bouses, celles-ci ont entièrement recouvert les prairies. Il a fallu introduire des coléoptères européens, aptes à digérer cette matière organique. En quelques années, les sols ont été assainis. Les insectes contribuent également, par leur diversité, au bon fonctionnement des écosystèmes et à leur résilience face aux changements et aux facteurs de stress. Ils garantissent notre sécurité alimentaire, en quantité, car 35 % de la production agricole proviennent de cultures dépendant en partie de la pollinisation animale, et surtout en qualité, car les cultures pollinisées sont riches en vitamines A, en fer et en folates, indispensables à notre organisme. De plus, la biodiversité est une valeur en soi. Par conséquent, le déclin des insectes est pour notre planète un appauvrissement majeur de cette biodiversité.

Je terminerai en évoquant ce que les insectes peuvent nous fournir : le miel, la soie, etc. Dans certains pays, ils sont une source de protéines, en particulier les Asiatiques mangent des insectes, des araignées, des vers, etc. En Europe, on commence à évoquer la production d'insectes pour la fourniture de protéines.

Parmi les recommandations formulées par la communauté scientifique, mentionnées dans les deux dernières pages de la note, il y a le besoin de plus de recherche, conviction certainement partagée par l'Office. Pour autant, un consensus scientifique existe sur un certain nombre de solutions. Par exemple, l'Académie des sciences préconise la réduction des pesticides et la mise en place de solutions alternatives, ainsi que la préservation et l'amélioration des habitats-refuges pour les insectes, en établissant des zones protégées, mais aussi en favorisant la conservation dans les jardins et parcs publics, tout comme dans les jardins des particuliers. Dans bon nombre de communes, le fauchage différencié le long des routes sert justement à maintenir une floraison assurant une biodiversité des insectes. Il faut également lutter contre toutes les formes de pollution : lumineuse, sonore, etc.

Des mesures ont déjà été prises aussi bien au niveau européen que national mais elles ont été peu efficaces pour l'instant. Je voudrais insister sur deux priorités.

D'une part, il convient d'utiliser les bons leviers d'action pour soutenir la transition agro-écologique. On évoque toujours la responsabilité des agriculteurs, mais ils se trouvent dans cette situation parce qu'il y a 30 ans la politique agricole commune (PAC) les incitait à arracher les haies et à pratiquer la culture intensive, pour augmenter la production. Maintenant, il faut les aider à réaliser la transition agro-écologique sans les culpabiliser, parce qu'ils ont simplement appliqué ce qu'ils avaient appris dans les écoles et ce que préconisaient les ingénieurs agronomes. In fine, ils sont les exécutants d'une politique qu'on leur a demandé de mettre en œuvre. Il faut donc les former et les accompagner sur le long terme, car passer d'une production intensive à une production plus écoresponsable est complexe. Dix ans sont souvent nécessaires pour remettre de la vie dans un sol exploité de façon trop intensive durant des années.

D'autre part, il faut associer tous les acteurs, que ce soit les pouvoirs publics, les transformateurs, les distributeurs et aussi les consommateurs. Pour qu'en amont la production puisse évoluer, ces derniers doivent être rééduqués, parce qu'ils s'attendent actuellement à ce que les fruits et les légumes soient bien calibrés et qu'ils aient une belle apparence. La PAC a aussi un rôle considérable à jouer, puisqu'elle représente 50 milliards d'euros par an pour l'Union européenne et plus de 10 milliards pour la France. La nouvelle PAC devrait accompagner les agriculteurs, même si elle ne va pas assez loin dans l'aide accordée aux pratiques les plus respectueuses de l'environnement.

Voici les grandes lignes d'une note très fournie J'ai réalisé 18 auditions et interrogé 17 scientifiques de toutes disciplines ainsi que des enseignants, auxquels j'ai demandé si la manière de former les agriculteurs de demain évolue.

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– Merci pour cet exposé. Je note l'ampleur du travail accompli à travers la quantité de notes et l'enthousiasme qui a animé la rapporteure.

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Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office

– Je salue ce travail remarquable. Ne faudrait-il pas faire état des substances héritées du passé, j'entends les polluants utilisés par le passé, et notamment ceux qui persistent dans notre environnement alors qu'ils ont été interdits ? C'est le cas du DDT, interdit en 1970, et des PCB, interdits depuis 1987. Malgré leur interdiction ancienne, ils sont trouvés partout, jusque dans la graisse des ours polaires et chez de nombreux autres spécimens de la faune et la flore. Cet héritage mériterait d'être mentionné et devrait nous encourager à utiliser les produits phytosanitaires avec d'autant plus de parcimonie.

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– J'appuie la remarque d'Angèle Préville. L'OPECST a d'ailleurs travaillé sur le chlordécone, insecticide utilisé dans les Outre-mer et dont la rémanence dans l'environnement peut durer plusieurs siècles ; cela mériterait également d'être rappelé dans la note.

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Ludovic Haye, sénateur

– Je salue la note et la présentation qui en a été faite. Si la présentation précédente donnait tout autant le vertige que celle-ci, elle aboutissait à une fin optimiste alors que la vôtre suscite beaucoup d'inquiétude. Le dénominateur commun à ces sujets, auxquels on peut ajouter ceux que Gérard Longuet a à cœur, comme l'hydrogène ou le nucléaire, n'est-il pas en fait la démographie ? L'explosion des données, l'explosion de la surface des terres agricoles sont probablement la conséquence de celle-ci. Si nous avons supprimé les haies pour intensifier l'agriculture, c'est parce que nous mangeons plus. Nous étions 4 milliards en 1975, nous sommes aujourd'hui au seuil des 8 milliards, et l'on estime que nous serons 10 milliards en 2050.

On constate le déclin des insectes par l'indicateur empirique suivant : il est aujourd'hui possible de rouler 200 km en voiture sans que le pare-brise soit couvert d'insectes. Il me semble qu'on peut distinguer deux aspects de la question : les « chaînes trophiques » et la « chaîne alimentaire ». Les luttes entre les espèces sont anciennes, même si des espèces nouvellement arrivées perturbent les équilibres, comme c'est le cas du frelon asiatique, mais la lutte entre les espèces n'est pas responsable du déclin global observé. Les modifications de la chaîne alimentaire ont certainement des conséquences de grande ampleur, et je m'interroge : sommes-nous près du seuil à partir duquel la pollinisation ne sera plus possible ? Se rapprocher de ce seuil doit nous inquiéter.

Si l'élevage d'insectes est possible, à des fins alimentaires, notamment comme solution plus écologique de source protéique que l'élevage intensif d'animaux, n'est-il pas possible, par ce biais, d'augmenter les populations d'insectes pollinisateurs et de les réintégrer dans la nature afin de maintenir ce service écologique qui sert à l'alimentation humaine en nous permettant d'avoir des fruits ?

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Florence Lassarade, sénatrice

– Merci pour cette excellente note. De ce que je comprends, la forêt est l'écosystème le plus vertueux du point de vue de la biodiversité. En Nouvelle-Aquitaine, la forêt s'est développée et elle ne requiert pas de produits phytosanitaires, y compris les forêts de plantation, exploitées de façon intensive. Et pourtant, les forêts sont décriées et on suggère souvent de les remplacer par des grandes installations de panneaux photovoltaïques, ce qui me semble poser problème si la forêt est vertueuse. Pourquoi ne pas continuer à développer les forêts, même celles dites de plantation ?

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Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office

– L'antibiothérapie massive pratiquée dans les élevages a notamment conduit au développement de bactéries résistant aux antibiotiques – on se souvient des bovins que l'on faisait marcher dans des bains d'antibiotiques. Or, les insectes sont également sujets à l'infection par des bactéries, des virus et des parasites. Cette utilisation massive aurait-elle pu avoir des conséquences sur des espèces nuisibles pour les insectes et être liée à leur déclin ?

S'agissant des sols et de la consommation foncière, on évoque de plus en plus souvent un objectif « zéro artificialisation nette ». Il conviendrait d'établir un plan pour le sol car tout ce qui contribue à modifier le sol a au moins autant d'impact que ce qui contribue à le recouvrir et à l'imperméabiliser. Ce sujet est mis sous cloche, pour un certain nombre de considérations et d'orientations de politique écologique et environnementale. Je pense à l'éolien, dont on tait trop souvent l'envahissement du sous-sol. Cela a été rappelé dans la note, il faut une dizaine d'années pour récupérer un sol de qualité, il est difficile de retrouver une vie dans le sol.

Il a été rappelé que la biodiversité de la flore conditionne la biodiversité de la faune, dont les insectes font partie. Or, les trames vertes et bleues discutées lors des lois Grenelle ont-elles eu un impact sur les documents d'urbanisme et de planification ? Elles ont permis la replantation des haies, la préservation de zones humides et le maintien de continuités écologiques. On a maintenant dix ans de recul et l'impact de ces mesures devrait être visible dans les territoires les plus vertueux.

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André Guiol, sénateur

– Le futur « arrêté abeilles » que le gouvernement prépare est censé faire la part entre les pratiques agricoles et la nécessité de préserver les abeilles et les insectes en général. Dans le département du Var, l'Observatoire français d'apidologie, soutenu par l'Union européenne et la Principauté de Monaco, a une démarche intéressante qui consiste à étudier l'environnement actuel des abeilles et à essayer de sélectionner des espèces plus adaptées à l'environnement qu'on leur impose.

Sur les forêts, je fais remarquer qu'il ne faut pas confondre le « champ d'arbres » avec un lieu de biodiversité. Il s'agit de deux concepts différents. Leur bonne compréhension et un traitement différencié permettront de concilier l'exploitation du bois et la nécessité d'avoir des lieux de préservation de la biodiversité. Je m'interroge sur le fait que la Chine a décidé de préserver ses forêts et que l'on exporte du bois français en Chine.

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Florence Lassarade, sénatrice

– Une étude sur la sylviculture menée dans le Sud-Ouest a fait le constat d'une grande biodiversité dans les forêts, y compris cultivées.

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office

– Le travail d'Annick Jacquemet est très riche, très complet. Je m'interroge néanmoins sur la méthodologie retenue, car ce travail traite de nombreux sujets et remet en cause l'essentiel des modes de culture qui ont assuré le développement économique de l'Union européenne, en particulier la PAC. C'est une préoccupation légitime, ce sont d'ailleurs des débats quasi permanents, aussi argumentés que passionnés – le dernier exemple en date étant celui des néonicotinoïdes.

Peut-être cette note présente-t-elle la petite faiblesse d'ouvrir trop de fronts à la fois. Certes, le déclin des insectes est un sujet absolument majeur. Mais il s'agit d'un phénomène multicausal. S'agissant de l'agriculture, le diagnostic aurait mérité d'être modulé en fonction de la nature des cultures. Le système agricole mondial est tout de même assez différencié, puisqu'il comprend à la fois des cultures extensives, des cultures intensives, des cultures primaires, etc. Sans parler de l'absence totale de culture, lorsque les conditions climatiques ou démographiques ne le permettent pas. Certains modes de culture sont en tout cas plus favorables que d'autres aux insectes.

Les insectes sont aussi des agents de la culture industrielle. De grands laboratoires, tel BioMérieux en France, proposent que certains traitements des grandes cultures soient assurés par des insectes. L'homme, dans sa perversité, sait ainsi opposer les insectes les uns aux autres, de sorte que l'on préserve les cultures. Telle est la complexité du système des insectes : il y a aussi des insectes maîtrisés ou domestiqués, comme des chiens ou des chevaux peuvent l'être.

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Pierre Ouzoulias, sénateur

– Je voudrais évoquer quelques paradoxes, notamment au sujet de la forêt. Jamais, en France, le couvert forestier n'a été aussi important. Bien plus, lorsque les archéologues travaillent sur des forêts prétendument primaires, ils s'aperçoivent qu'elles ne l'ont pas toujours été… En Alsace, en particulier, les sommets vosgiens étaient occupés par des fermes gallo-romaines. La forêt de Haye en est sans doute le meilleur exemple. Cela montre qu'il y a eu, à l'époque antique, une pression de la population supérieure à celle que nous connaissons aujourd'hui.

Si l'on s'oriente vers une agriculture aux rendements moins élevés, elle aura besoin de plus de surface. Nous serons obligés de remettre en culture des forêts qui n'y sont plus depuis l'an mille à peu près. C'est le paradoxe de la situation : en réclamant une agriculture aux rendements inférieurs, on risque de faire baisser la biodiversité de la forêt. Il est donc important d'adopter une vision de longue durée.

À l'optimum de population dans l'Antiquité a correspondu un optimum climatique. Au IIe siècle après Jésus-Christ, les températures sur le territoire de l'Empire étaient comparables à celles que nous connaissons aujourd'hui, ce qui permettait de cultiver les sommets vosgiens. Mais pardonnez ces remarques d'archéologue.

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– Le passé éclaire le présent et le futur !

Je suis très heureux de voir que le sujet a été traité de façon très systématique. Cette note scientifique approfondit, sur un aspect particulier, la note remise en 2019 par notre collègue Jérôme Bignon sur le risque d'extinction ou d'effondrement de la biodiversité, la « sixième extinction de masse ». Même en se limitant aux insectes, nous découvrons encore ici un sujet d'ampleur considérable.

Ces notes ouvrent des fronts nombreux sur des questions de société ; elles touchent à des modèles technologiques et économiques. Il aurait été précieux de disposer de celle que nous examinons aujourd'hui dans les grands débats que nous avons eus l'an dernier, soit sur les néonicotinoïdes, soit sur le texte qui est devenu la loi Climat-Résilience. Mais je ne m'inquiète pas. L'Office mène avec raison un travail de fond. Il avance en traitant des sujets structurants. Et ces sujets sont aux fondements de débats de société qui sont appelés à durer.

La présente note creuse donc son chemin en insistant sur la diversité des causes du déclin, sans oublier de mentionner que certaines sont prépondérantes. Car, parfois, certaines institutions et entreprises, ou même certains laboratoires, ont eu intérêt à brandir comme un argument cette diversité des causes, jusqu'à tenter de s'en servir pour étendre un écran de fumée… afin d'éviter qu'on s'attache plus particulièrement à telle ou telle problématique, tels les pesticides ou certaines pratiques agricoles.

Le sujet abordé est très récent. L'essor des travaux sur les écosystèmes, les liens entre les espèces et l'écologie au sens large ne datent guère que des années 1960. Sur les relations des espèces les unes avec les autres, un grand nombre de recherches sont encore en cours. On estime qu'on ne connaît même pas 10 % des espèces existant sur la planète, d'où l'incertitude qui pèse sur les données quantitatives disponibles.

Ce n'est pas un hasard si les rapports de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (ou Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, IPBES) présentent une marge d'incertitude qui est sensiblement plus importante que les rapports du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Pour nous guider dans cette complexité, la note de notre collègue Annick Jacquemet est un travail remarquable. Elle arrive à être exhaustive tout en sachant dégager l'essentiel.

Une première question de fond retient mon attention. Vincent Bretagnolle apparaît au nombre des scientifiques entendus. Il anime ce centre des Deux-Sèvres où l'on conserve des registres et des comptages d'insectes qui courent sur plusieurs décennies. La note soutient pourtant qu'« en France, il n'existe pas d'étude globale sur les connaissances relatives à l'état et aux tendances des communautés d'insectes ». Pourquoi ce travail fait à Chizé n'est-il pas qualifié comme tel ? Est-il trop partiel ou trop restreint à un terrain géographique particulier ?

Le sujet du déclin des insectes était passé dans la sphère médiatique il y a quelques années. Le journaliste Stéphane Foucart y avait consacré un article en 2017, dans Le Monde. Il y mettait précisément en lumière les travaux du centre CNRS de Chizé, en soulignant la perte de biodiversité qui était observée.

Deuxièmement, vous exposez le peu de succès de la PAC à enrayer cette chute de biodiversité. Un rapport récent de la Cour des comptes insiste quant à lui sur le peu de succès de la PAC à enrayer les émissions de gaz à effet de serre. La synthèse d'engrais en dégage des quantités non négligeables. On dit parfois que l'agriculture représente 15 % de l'empreinte en gaz à effet de serre mondiale, ainsi que l'élevage, pour 15 % également. La Cour des comptes indiquait que, sur les quelque 100 milliards d'euros consacrés, sur une durée de 7 ans, à enrayer les émissions de gaz à effet de serre au titre de la PAC, les milliards avaient bien été dépensés… mais que lesdites émissions n'avaient pas baissé. Nous ne pouvons que constater l'incapacité de la PAC à convertir les dépenses en amélioration environnementale. Qu'en disent les scientifiques que vous avez pu interroger ? Formulent-ils des préconisations particulières propres à la rendre plus efficace ?

Troisièmement, vous insistez sur les services écosystémiques fondamentaux rendus par les insectes et sur les conséquences induites pour les écosystèmes et l'humanité. Je me permets de suggérer qu'il soit fait mention un peu plus explicitement, au troisième point du résumé, de la valeur intrinsèque que constitue également la biodiversité. En effet, nos concitoyens doivent apprendre à reconnaître que la richesse et la diversité de la vie sont une valeur en soi, au même titre que la préservation d'un paysage. Il ne s'agit pas seulement des services qu'elle rend aux humains ou à d'autres espèces, mais de sa valeur intrinsèque.

Il y a peu, il était recommandé aux collectivités locales, de passer aux LEDs pour des motifs écologiques et notamment pour réaliser des économies d'énergie. Dans ma circonscription, une commune a radicalement renouvelé son éclairage pour des LEDs et elle en est très fière. Je constate cependant en vous lisant qu'en raison de ce que l'on appelle un « effet rebond » – avec des LEDs, on éclaire davantage ou avec des fréquences différentes – l'impact pour la biodiversité serait encore plus nocif qu'avec un éclairage traditionnel.

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office

– Pour compléter la discussion, quand j'évoquais le potentiel débat ouvert par cette note, je pensais notamment aux sénateurs qui sont au contact des élus locaux. En général, les maires s'efforcent d'économiser sur la dépense d'électricité de leur commune et ils utilisent pour cela des éclairages de plus en plus intermittents, qui se déclenchent si besoin ; on a aussi cessé d'éclairer toute la nuit comme c'était le cas il y a encore 10 ou 15 ans. Quand un système consomme 10 fois moins d'énergie, il doit quand même être bon quelque part.

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– Il est possible que le débat soit similaire à celui sur la 5G : une opération isolée consomme moins d'énergie mais cela amène à effectuer plus d'opérations, ce qui induit, in fine une consommation supérieure. J'avoue découvrir le sujet. Il est certain que cela va ouvrir le débat et que des élus risquent de nous reprocher des approches contradictoires, comme pourraient le faire les agriculteurs que vous évoquiez tout à l'heure. Il se peut aussi que le diable soit dans les détails ou dans la mise en œuvre en répondant à certaines contraintes.

Un commentaire supplémentaire : à mon sens, il ne fait aucun doute qu'un certain nombre de sujets évoqués soit dans le corps du texte, soit dans les notes pourront très bien faire l'objet d'un travail supplémentaire de l'OPECST. On a coutume de dire, en sciences, qu'au fur et à mesure que la quantité de connaissances augmente, la quantité d'inconnues augmente aussi. On sait ce qu'on ne sait pas et chaque nouveau travail amène de nouvelles questions.

La domestication des insectes et l'apprivoisement des écosystèmes posent des défis remarquables. Le sujet est discuté dans un ouvrage de Jared Diamond : certaines espèces sont apprivoisables et d'autres ne le sont pas. Il s'agit en réalité d'un pur accident, un facteur de combinaisons génétiques. Les chevaux sont des animaux extrêmement apprivoisables et les zèbres ne le sont pas du tout. Pourtant les deux sont quasiment identiques. Au-delà des vertébrés, il serait intéressant de savoir comment le débat s'étend à d'autres espèces.

La population est plus ou moins en train de se stabiliser. Le plateau arrivera vers 2100 ou peu après, mais les démographes disent que le mouvement ralentit globalement dans le monde à l'exception de l'Afrique dont la population va continuer à augmenter pendant encore quelques décennies. En revanche, pour les questions de développement, par exemple sur le stockage de données, aucun ralentissement n'est perceptible, l'exponentielle n'a pas encore amorcé sa transition vers une sigmoïde ou une gaussienne. La démographie n'est donc pas le seul facteur déterminant. Ludovic Haye pourrait certainement nous en dire plus.

J'adresse à nouveau à notre rapporteure des félicitations très appuyées pour ce travail qui fait honneur à l'Office.

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Annick Jacquemet, sénatrice, rapporteure

– Je vous remercie pour toutes ces questions. Angèle Préville m'a interrogée sur les polluants de type DDT ou PCB : nous pouvons effectivement ajouter une note de bas de page sur ce sujet.

S'agissant de la démographie et la consommation des terres agricoles, il faut convenir que la culture intensive a été la pratique recommandée jusqu'à maintenant, justement dans le but de pouvoir « nourrir la planète ». Mais on se rend compte désormais de ses limites et, avec près de 30 ans de recul, nous pouvons réfléchir à la pertinence de ce modèle. Si l'on veut continuer à développer les cultures, il faut des insectes pollinisateurs.

Nous pourrions imaginer d'autres sources de protéines animales que celles tirées des animaux classiquement utilisés dans l'alimentation. Aujourd'hui, nous entendons le discours qui appelle à réduire la consommation de viande, parce que la production de viande accroît les émissions de gaz à effet de serre. Nous parlions justement tout à l'heure de protéines dérivées d'insectes. Ce type de nourriture est très courant en Asie. Dans les pays occidentaux, on mange bien des escargots, des crevettes, etc. Il existe probablement d'autres sources de protéines consommables.

Plus largement, le gaspillage alimentaire devra être réduit, aussi bien à la production qu'à la consommation – les consommateurs doivent accepter de manger une pomme avec une petite tache ou un petit défaut. Ce sont des dizaines de kilogrammes par personne qui peuvent être valorisés si l'on considère l'ensemble, production et consommation. Il s'agit là aussi d'une piste de réflexion car il me semble qu'environ 25 à 30 % de la production est non utilisée ou mal utilisée.

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– Cela fait partie des problèmes analysés par un laboratoire d'idées qui s'appelle l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), qui est notamment très intéressé par les transitions agro-écologiques. Il a été auditionné au printemps dernier par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale dans le cadre de tables rondes sur la réforme de la politique agricole commune.

Leur problématique est la suivante : au vu des données de consommation, mais aussi des données agricoles et économiques, peut-on imaginer, à l'échelle de l'Europe, une transition agro-écologique complète, sans élevage intensif mais où toutes les fonctions alimentaires soient assurées ? Leur conclusion, approuvée par certaines institutions et critiquée par d'autres, était que cette transition peut se faire mais à plusieurs conditions. L'une d'entre elles est la relocalisation en Europe de toutes les cultures de légumineuses, de soja pour nourrir le bétail, etc. Une autre est la diminution de la consommation de viande à l'échelle européenne, d'un facteur au moins 2. Le GIEC tend à préconiser une réduction encore plus importante, par un facteur 5 ou 6, pour avoir un impact significatif sur les émissions des gaz à effet de serre. Un slogan du GIEC serait non pas « un jour par semaine sans viande ni poisson », mais « un jour avec viande ou poisson ». Comme toujours, le GIEC n'impose pas une ligne directrice, mais avance des propositions et des options parmi lesquelles la société est seule légitime à décider. Il me paraît clair qu'il est impossible de sortir à la fois de l'élevage intensif et de continuer à produire la même quantité de viande qu'aujourd'hui.

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office

– Les hasards de la vie ont fait que je me suis retrouvé récemment bloqué chez moi, dans l'obligation de regarder la télévision, et j'ai vu un reportage absolument passionnant sur les producteurs de bêtes à viande aux Pays-Bas. Les éleveurs gèrent l'alimentation des bêtes pour diminuer la production de méthane, qui est la principale contribution de l'élevage au réchauffement climatique. En fonction de l'alimentation, les émissions peuvent diminuer de 30 à 50 %. Le monde est donc en mouvement.

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– Ce sujet était également mentionné dans la note scientifique de notre collègue Antoine Herth sur les enjeux sanitaires et environnementaux de la viande rouge, ce qui montre la grande cohérence de l'Office.

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Annick Jacquemet, sénatrice, rapporteure

– Je précise que 30 % de la production alimentaire finit en déchet. Une prise de conscience est nécessaire, il faudrait mettre en place certaines mesures car ce taux est loin d'être négligeable.

Pour en revenir à l'élevage des insectes, il est vrai qu'il existe déjà : pour lutter contre les pucerons, par exemple, il existe des élevages de coccinelles. Je parlais tout à l'heure de la pyrale du buis. Des micro-guêpes peuvent aider à lutter contre cette pyrale car elle n'a pas de prédateurs, mais certains peuvent exister en Chine. La production d'insectes utiles est déjà un axe de recherche.

La forêt est vertueuse pour la biodiversité, j'en suis convaincue. Reboiser est d'ailleurs un sujet d'actualité. Dans le département du Doubs, les forêts sont très atteintes par les scolytes et autres maladies, alors qu'il faut gérer en parallèle les effets du réchauffement climatique. La problématique de régénération des bois s'intensifie et l'ONF est pour l'instant en difficulté pour nous proposer des essences pertinentes à planter. De plus, il faut attendre 10 ou 20 ans pour voir le résultat.

Une mode est aussi en train de percer qui tend à multiplier les installations de panneaux photovoltaïques ou de traqueurs solaires, avec un risque de déforestation – les traqueurs sont des panneaux photovoltaïques sur pied qui suivent la course du soleil. J'y suis à titre personnel totalement opposée ; on parle toujours des gaz à effet de serre mais on oublie trop souvent que la végétation et les arbres stockent 15 % du CO2 émis dans l'atmosphère. De plus, la végétation est aussi importante pour la photosynthèse.

Le sujet des risques liés aux antibiotiques et aux anti-parasitaires a été étudié. Parmi les médicaments vétérinaires, un grand nombre d'antibiotiques ont été pointés ou supprimés de l'arsenal des médicaments disponibles, à cause des répercussions dommageables de ces produits administrés par injection ou voie orale aux animaux. La réglementation a aussi été modifiée : les éleveurs doivent avoir une ordonnance avec prescription pour les utiliser. Un antibiotique qui était uniquement à usage vétérinaire a été interdit afin de pouvoir l'utiliser en médecine humaine dans un contexte d'antibiorésistance croissante. Cette démarche a permis de mettre une molécule nouvelle au service de la médecine humaine.

En matière d'atteintes au sol et au sous-sol, là encore les pratiques agricoles commencent à évoluer. En général, les terrains sont retournés sur une profondeur de 20 ou 30 centimètres. Mais retourner la terre n'est pas très bon, à la fois pour les insectes présents dans le sol mais aussi car cela modifie la stratification pédologique : on fait remonter à la surface une terre qui est beaucoup moins favorable, et l'humus se retrouve enfoui trop profondément. La méthode du semis direct ne retourne pas la terre. Elle présente cependant l'inconvénient d'obliger les agriculteurs à changer complètement leur matériel et vous savez comme moi que celui-ci est couteux. C'est la raison pour laquelle nous recommandons d'accompagner les agriculteurs dans cette transition, à tous les niveaux.

Je confirme que la biodiversité de la flore conditionne celle des insectes. Le fauchage différencié se développe car on s'est rendu compte qu'il faut une multitude de végétaux pour permettre aux insectes de se développer. L'urbanisme, j'en ai parlé aussi, constitue une cause supplémentaire d'appauvrissement végétal, donc de déclin des insectes.

S'agissant des abeilles, il faut savoir qu'outre les abeilles domestiques, il y a une population encore plus importante d'abeilles sauvages qui ont aussi un rôle dans la biodiversité et dans la pollinisation. Les abeilles domestiques retiennent souvent l'intérêt, mais elles ne correspondent qu'à une petite partie des pollinisateurs.

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André Guiol, sénateur

– J'ai pour ma part quelques ruches et l'ennemi que j'ai rencontré cette année est le frelon asiatique. Il est venu un frelon, puis deux, puis trois… C'est très difficile de les attraper et ça crée ce qu'on appelle des essaims de misère : l'essaim quitte la ruche et on ne connaît pas son devenir.

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Annick Jacquemet, sénatrice, rapporteure

– Pour en revenir au long diagnostic qui a été fait par Gérard Longuet sur la méthodologie retenue pour élaborer la note et sur la multitude des sujets abordés, il est vrai que ces sujets sont très nombreux. Chaque scientifique avec lequel nous avons dialogué nous a proposé sa propre vision. Comme je l'ai dit tout à l'heure, il n'y a pas de méthode globale pour l'évaluation des insectes. Il n'y a pas de suivi d'une année sur l'autre ou de canevas que tous les scientifiques pourraient observer afin d'avoir des données globales comparables. Ainsi, tel scientifique va faire le choix d'étudier les carabes, les papillons ou l'influence des pesticides ou d'une autre substance sur les abeilles. Chaque scientifique va se focaliser sur un sujet particulier. C'est d'ailleurs pour cela que la note inclut de si nombreuses notes de bas de page : elles n'ouvrent pas des sujets nouveaux, mais elles éclairent le contenu de la note. Tous les sujets abordés l'ont été par les scientifiques que nous avons rencontrés. Cette diversité rend difficile toute synthèse. Il y a en effet des sujets qu'il va falloir assumer mais ils existent et il faut donc en parler.

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office

– L'observation de Florence Lassarade sur la forêt est très intéressante. C'est un espace qui, comme l'a rappelé Pierre Ouzoulias, est en progression dans notre pays et dont l'intensité culturale est en réalité assez faible. C'est peut-être dommage mais c'est peut-être aussi une chance. Pour les céréales, on n'a pas eu la main légère – je vois des départements de l'Ouest qui ont abandonné le bocage comme la Manche ou le Calvados, bien qu'ils en reviennent un peu –, mais avec la forêt, on a un domaine qui est resté relativement préservé. Il aurait donc été intéressant de savoir s'il y avait le même déclin des insectes en forêt que dans les champs de culture. On imagine bien que dans la Beauce ou la Brie, avec des productions de 90-100 quintaux à l'hectare et des fermes qui font plusieurs centaines d'hectares, il peut y avoir des conséquences négatives pour le sujet que vous évoquez – bien qu'il n'y ait pas que des inconvénients. Mais sur la forêt qui reste, hélas, en France, trop artisanale et peu cultivée, il aurait été intéressant de voir s'il y avait des conséquences favorables pour les insectes.

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Florence Lassarade, sénatrice

– On a des éléments là-dessus en Gironde et dans le Sud-Ouest. Il existe une espèce de papillon, le Fadet des laîches, qui ne se développe que lorsqu'on fait des coupes rases de pins. Il apparaît donc de nouvelles biodiversités qui pourraient être précieuses dans le futur.

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Annick Jacquemet, sénatrice, rapporteure

– Notre président parlait de l'étude de Vincent Bretagnolle. Je l'ai auditionné mais il n'a pas voulu donner de chiffres, donc je ne peux pas m'appuyer sur ces chiffres-là. Comme je vous le disais, il n'y a pas d'étude globale en France puisque chacun traite le sujet ponctuel qui l'intéresse.

La PAC a effectivement peu de résultat dans ce domaine. Avec la nouvelle PAC qui va être établie pour les six prochaines années, le ministre de l'agriculture a déjà fait un certain nombre d'arbitrages. Un éco-régime va être mis en place avec trois voies d'accès. La première sera organisée autour du non-labour des prairies permanentes, de la diversification des cultures et de la couverture végétale des inter-rangs en cultures pérennes, pour utiliser moins d'herbicide. La deuxième voie sera construite autour de la certification, en agriculture biologique ou sur d'autres critères environnementaux comme le bas carbone. La troisième voie vise à réserver un pourcentage de la surface agricole aux infrastructures agro-écologiques, comme les haies ou les jachères.

Les autorités ont effectivement poussé les communes à faire des économies d'énergie en s'équipant de LED. Mais vous savez comme moi que l'on réalise parfois après plusieurs mois ou années qu'une modification effectuée pour de bonnes raisons peut avoir des effets secondaires. Ce sont les scientifiques qui ont fait remonter ces effets secondaires des LED par rapport aux ampoules traditionnelles.

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. – Je ne m'explique pas pourquoi M. Bretagnolle n'a pas souhaité communiquer de chiffres.

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Annick Jacquemet, sénatrice, rapporteure

– C'est parce qu'il ne veut pas être remis en cause par les industriels. Certains chercheurs font leurs études et n'ont pas envie de « s'embêter » avec ce qui pourrait être les contre-arguments des industriels.

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. – À défaut d'être cité en personne, M. Bretagnolle pourrait voir sa production faire partie de chiffres avancés plus globalement par le CNRS. Le CNRS doit bien avoir des estimations du déclin.

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Annick Jacquemet, sénatrice, rapporteure

– On peut demander.

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. – Oui, il me semble qu'il y a un petit point à préciser. Je suis d'autant plus surpris qu'il y avait eu une communication à la suite de l'article de Stéphane Foucart que je vous citais, qui date de 2017 – peut-être a-t-il eu des ennuis après 2017…

Je suggère d'apporter une petite précision à la note n° 17 : l'expression « ce chiffre » se rapporte au taux de 17 %, donc il serait préférable d'écrire « ce dernier chiffre ».

Pour conclure, je trouve extrêmement intéressant de constater que sur ce sujet du déclin des insectes, la communauté scientifique commence à trouver un consensus – même si celui-ci est très alarmiste.

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Annick Jacquemet, sénatrice, rapporteure

– Tout à fait, c'était très net.

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. – Il me semble donc qu'il y a eu une évolution importante ces dernières années. Je note que la première référence cite Jactel et al. à partir des comptes rendus de biologie de l'Académie des Sciences : « immediate action is needed ». Il s'agit là de scientifiques qui, comme ceux du GIEC, ne se contentent pas de faire un constat mais appellent à l'action immédiate. On voit bien qu'on se trouve au niveau d'une interface entre science et politique et que la balle est dans le camp du politique. Le rôle de l'OPECST est évidemment de susciter cette action et de transmettre le constat aussi fidèlement et aussi précisément que possible au Parlement tout entier, pour qu'il puisse agir. Ce sont deux sujets qui ont été traités au cours de l'année écoulée mais qui, à n'en pas douter, vont revenir animer le débat parlementaire très rapidement. Je suis certain que l'OPECST a fait œuvre utile avec cette note. On observe aussi – il y a eu consensus là-dessus – que cette note ouvre un certain nombre d'autres débats qui pourront eux-mêmes donner lieu à des notes ou à des rapports. Nous sommes ici dans une démarche de construction de la connaissance au service de l'action politique. Un grand merci à vous.

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office

– Je souhaite apporter une ultime précision à mes remarques : la note 7 répond parfaitement à mon interrogation : « Les difficultés apparaissent au moment de l'échantillonnage et au moment de la discrimination ». Toute la relativité méthodologique est évoquée ici.

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Annick Jacquemet, sénatrice, rapporteure

– Ce sont les biais méthodologiques dont je parlais au début de mon propos…

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. – … ce qui accroît notre conviction que cette abondance de notes est légitime du fait de la complexité des réponses à une question qui semblait simple et qui ne l'est finalement pas tant.

L'Office autorise à l'unanimité la publication de la note scientifique sur « Le déclin des insectes ».

* * *

Examen de la note scientifique sur les équilibres psychosociaux à l'épreuve de la pandémie de Covid-19 (Michelle Meunier, sénatrice, et Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteurs)

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Nous n'avons pas fini notre travail de la matinée puisque nous allons maintenant examiner la note scientifique sur les équilibres psychosociaux à l'épreuve de la pandémie de Covid-19 présentée par Michelle Meunier et Pierre Ouzoulias. Lors de notre étude sur cette pandémie, nous avons constaté que les aspects purement médicaux sont essentiels, mais il en est de même des conséquences sociales : les conséquences économiques se sont invitées très largement dans l'actualité, ainsi que les conséquences psychologiques, voire psychiatriques, sur les individus.

Pierre Ouzoulias a déjà présenté devant l'Office deux notes scientifiques passionnantes, l'une sur les rites funéraires et l'autre sur les cultes religieux dans le contexte de l'épidémie de Covid-19, publiées en juillet 2020. Elles avaient mobilisé la recherche en sciences humaines et sociales et certaines conclusions étaient paradoxales, ce qui avait confirmé le fait qu'il ne faut pas prendre pour argent comptant ce qui peut paraître naturel mais s'appuyer sur les sciences, qu'il s'agisse des sciences de l'univers ou des sciences humaines.

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Michelle Meunier, sénatrice, rapporteure

Tout à l'heure, on parlait de ce que l'on savait et de ce que l'on ne savait pas. Cette note sur les risques psychosociaux en est un témoignage puisqu'elle conclut… qu'il est encore prématuré de tirer des conclusions. Lorsque Pierre Ouzoulias et moi avons commencé cette note, nous n'étions pas dans la nouvelle phase de l'épidémie que nous connaissons actuellement. Je le dis avec d'autant plus d'humilité qu'hier, la commission des affaires sociales du Sénat entendait le professeur Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique Covid-19, qui nous a fait part de tout ce qu'il ne savait pas sur ce virus, qu'il a qualifié de « vacherie ».

Pour aborder ce sujet des équilibres psychosociaux, nous nous sommes intéressés à des aspects qui concernaient le travail des soignants, mais également la situation des étudiants en médecine – nous avons voulu éclairer la façon dont ces jeunes ont vécu les premiers isolements, confinements et distanciations. Nous nous sommes aussi intéressés à l'emploi tertiaire, domaine dans lequel des évolutions étaient déjà observées.

Le premier constat, qui nous a étonnés, est la baisse tendancielle du nombre de suicides alors qu'on aurait pu s'attendre à une hausse en raison de l'anxiété et de l'angoisse dont souffraient les personnes qui se trouvaient soudainement isolées dans leur domicile. Cependant, il faut être très prudent sur ce phénomène, qui demande à être confirmé et qui doit continuer à attirer notre attention.

En revanche, il a été observé une montée de l'anxiété et des troubles liés, notamment en santé mentale, qui se traduisent par des troubles du sommeil, des troubles de l'alimentation, des addictions, etc. Ils s'expliquent par l'accumulation de facteurs de risque, tels que le deuil de proches.

Je vais maintenant évoquer les effets du télétravail contraint, pratique largement diffusée dans l'emploi tertiaire, et les signaux de vigilance qui se dégagent. Une étude américaine sur les liens entre les comportements sédentaires et l'hypertension était en cours au moment où la pandémie s'est déclarée. Les chercheurs ont saisi cette opportunité pour mesurer sur leurs cohortes les effets négatifs du confinement, tels que des changements des rythmes d'activité – l'horloge biologique n'est pas toujours respectée lorsqu'on se retrouve seul devant son écran –, une hausse du « temps écran » et une détérioration de la santé mentale. Les changements de rythme de travail peuvent toutefois être contrebalancés, pour certaines personnes, par une plus grande liberté dans l'organisation du travail.

Avec l'audition de Nina Tarhouny, nous avons découvert la notion de sociovigilance. C'est une démarche qu'on peut rapprocher de la pharmacovigilance ou de la gynécovigilance. Elle consiste à détecter et étudier ces phénomènes, pour mieux les prévenir, afin de réduire les risques qui y sont liés – le mal-être et les difficultés de santé, qu'elles soient psychiques ou physiques, et qui sont en relation avec la sédentarité et le télétravail.

Si nous avions eu plus de temps, nous nous serions aussi penchés sur le trio « activité, sommeil et alimentation » qui sont les composants essentiels de la santé globale.

J'ai beaucoup apprécié de travailler sur ces sujets, qui sont peut-être secondaires pour l'Office…

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Michelle Meunier, sénatrice, rapporteure

Tant mieux.

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

J'ai principalement travaillé sur les étudiants en médecine. Sur la population étudiante en général, je n'approfondirai pas car je vous conseille de lire l'excellent rapport de la mission d'information du Sénat sur les conditions de la vie étudiante en France. D'autres documents ont été également publiés, notamment ceux de l'Observatoire de la vie étudiante, qui montrent les importants dégâts liés au confinement et à l'épidémie de Covid sur la santé des étudiants.

Nous avons donc centré nos travaux sur les étudiants en médecine qui sont, hors période Covid, parmi les plus touchés par les problèmes psychologiques. Notre problématique était de savoir s'ils avaient davantage souffert compte tenu des situations extrêmes qu'ils ont dû affronter. Je rappelle qu'au début de la pandémie, les étudiants en quatrième année de médecine et au-delà ont été mobilisés à titre bénévole et qu'ils ont très largement répondu à l'appel, aux quatre cinquièmes, pour travailler dans des services où les conditions étaient très difficiles. Les soins à apporter aux malades y étaient quasiment permanents, compte tenu de l'évolution très rapide de l'état de santé de ces derniers. Cela entraînait une sollicitation de tous les instants pour ces jeunes, qui ont en outre été confrontés à un taux de mortalité peu habituel à l'hôpital.

Nous pensions donc qu'ils avaient subi une pression plus forte que d'habitude et plus importante que chez d'autres catégories d'étudiants. Or ils ont mieux résisté qu'en situation normale. Comment expliquer ce phénomène ? D'abord, il leur est apparu de manière très forte qu'ils avaient un rôle social reconnu par la société ; le fait, un peu anecdotique, qu'ils aient été applaudis tous les soirs par les personnes qui étaient confinées leur a donné une forme de soutien moral et psychologique dont on ne mesure pas les effets. Ils ont eu l'impression de constituer une avant-garde face au virus, tandis que « l'arrière » les soutenait. Ensuite, les étudiants mobilisés dans les services de soins gérant l'épidémie ont été entraînés par un esprit d'équipe très fort, tel qu'ils n'en connaissaient pas jusque-là. Les barrières hiérarchiques ont été abolies et ils ont été pris dans un collectif qui leur a permis de surmonter cette épreuve. C'est ce qu'on appelle en sociologie les effets positifs de la cohésion sociale. Cette cohésion sociale permet à l'individu de dépasser une situation qu'individuellement il aurait eu du mal à surmonter.

La difficulté qui se pose désormais est la gestion de la situation après la Covid. On manque de recul pour saisir quelle va être l'évolution psychologique de cette population. Il est très important de comprendre que, dans notre analyse politique de la Covid, en plus des facteurs médicaux qu'on arrive à quantifier tels que le taux d'incidence ou le taux de mortalité, un autre élément est déterminant : celui de la cohésion sociale.

Dans cette balance qu'on essaye de faire en permanence entre les bénéfices et les risques, le traitement politique de la Covid, doit absolument prendre en compte la cohésion sociale, et bien comprendre que le confinement a sans doute les conséquences psychologiques les plus lourdes pour des adolescents et les jeunes adultes. Il est très difficile de trouver un critère qui permette de quantifier ceci, mais la décision politique doit absolument intégrer aujourd'hui qu'on ne peut maintenir indéfiniment des enfants, des collégiens, des lycéens et encore plus des étudiants chez eux face à un écran. À un moment donné, cette réalité sociale va s'imposer à nous. Elle n'est pas toujours très bien vue par les épidémiologistes, qui considèrent que le plus simple sera de mettre tout le monde sous cloche et d'attendre que la maladie disparaisse d'elle-même. Comme l'ont montré nos collègues Cédric Villani et Gérard Longuet, quand il utilise les méthodes des sciences humaines, l'Office renforce la compréhension des faits donnée par les sciences dures. Sur un sujet comme celui-ci, on voit très bien que les sciences de l'humain en société sont fondamentales pour apporter une réponse politique adéquate à cette pandémie.

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Merci beaucoup pour cette note qui, encore une fois, parvient à aborder un sujet subtil, pleinement d'actualité, d'une façon sans aucun doute utile à l'action politique.

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Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office

Il est très intéressant de se pencher sur la dimension psycho-sociale de la crise de la Covid-19. Il faudra suivre cette question dans la durée, car les effets psychologiques se manifestent dans le temps long.

La note qui nous est présentée tire des enseignements de la première phase de l'épidémie seulement. Or, la phase critique et la phase post-critique d'une crise ne sont pas ressenties de la même manière. Durant la crise, les soignants ont tenu psychologiquement. Mais nous sommes entrés dans la phase post-critique, qui doit faire le deuil de ce moment un peu spécial qu'est la crise, où l'on a vécu une parenthèse de mobilisation et de reconnaissance. Il peut y avoir désormais un effet rebond.

Nous devons aussi analyser ce temps d'anesthésie sociale marqué par l'isolement, l'entrée dans une routine de la crise, avec la mise sous cloche de nos vies. Mais nous ne sommes plus dans ce moment. Il est important de s'intéresser aussi à la dimension psychosomatique, qui n'est pas sans lien avec la question du Covid long.

Vous avez évoqué les difficultés du confinement pour les jeunes. Mais celui-ci a aussi été un drame absolu pour les personnes âgées. Certains parmi les plus âgés ont même eu des réminiscences de leur vécu de la guerre. Des décès sont intervenus du fait de l'isolement.

Enfin, le télétravail est un sujet majeur, susceptible de modifier en profondeur la manière dont fonctionne notre société au quotidien.

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Florence Lassarade, sénatrice

Merci pour cette note très intéressante. Il conviendrait d'approfondir les impacts sur les enfants. Après le déclenchement de l'épidémie, les pédiatres ont constaté une hausse des troubles chez les jeunes, en particulier les filles de 10-12 ans. Les consultations pour ce type de phénomène ont saturé les services de psychiatrie infantile.

On peut aussi s'interroger sur l'avenir scolaire des enfants après la crise de la Covid. Certains ont totalement décroché, en particulier sur l'apprentissage de la lecture. La scolarité en accordéon risque d'avoir des conséquences désastreuses sur le niveau scolaire, déjà pas formidable, de certains enfants.

En temps normal, les étudiants en médecine n'étaient pas confrontés aux patients et à la mort avant la cinquième ou la sixième année. Avec la Covid, ils ont été confrontés à cette expérience beaucoup plus tôt.

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Michelle Meunier, sénatrice, rapporteure

Selon le professeur Delfraissy, il y aurait aujourd'hui dix études en cours sur le Covid long. Nous devrons suivre leurs résultats avec beaucoup d'attention. Notre note constitue un point d'étape, que nous vous présentons avec humilité, car les effets psychologiques de la Covid ne sont pas encore tous connus et évalués.

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Bruno Sido, sénateur

Bravo pour cette note très intéressante. Le personnel médical, et en particulier les étudiants, ont été formidables durant la crise. Les personnels de santé retraités se sont aussi mobilisés. A-t-on noté une différence dans les effets psycho-sociaux de la crise de la Covid entre ruraux et urbains ? Dans mon département, la Haute-Marne, j'ai le sentiment que les restrictions ont été relativement bien supportées. Ne surestime-t-on pas les dommages psychologiques ? Durant la guerre de 1939-1945, on a constaté une baisse notable du nombre de personnes dépressives. Pourtant la période était rude. Il convient de s'interroger sur la résilience et la robustesse de notre société face aux crises, qui ne manqueront pas d'arriver, avec notamment les effets du réchauffement climatique, les tensions géopolitiques ou encore l'accélération du changement.

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Ludovic Haye, sénateur

Le télétravail est un sujet important, qui justifierait des assises, tellement les implications sont nombreuses. Le travail en entreprise repose sur la collaboration d'individus au sein d'équipes composées de leaders et de suiveurs – cette distinction n'est pas péjorative. Avec le télétravail, seuls les leaders n'ont pas vu leur activité perturbée. Pour tous les autres, le télétravail a compliqué leurs tâches. Les suiveurs se sont retrouvés en manque de travail et livrés à eux-mêmes. L'âge a aussi beaucoup joué : les jeunes et les personnes âgées ont mal vécu le confinement, les quadragénaires l'ont plutôt mieux vécu. Pourquoi ? Je suis peut-être un peu cru en disant cela mais je pense que c'est parce que le jeune n'a parfois pas encore trouvé sa place dans la société et que l'ancien l'a un petit peu quitté. Finalement, est-ce que cet équilibre psychosocial ne dépend pas du rôle qu'on a dans la société, du fait que celle-ci attend encore quelque chose de nous, ou pas ?

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Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office

Je salue le travail qui a été fait par Michelle Meunier et Pierre Ouzoulias, qui est très intéressant. J'ai fait partie de la commission d'enquête du Sénat sur la gestion de la pandémie. Celle-ci a auditionné de jeunes étudiants en médecine et j'ai été marquée par le récit de quelque chose que vous n'avez peut-être pas mentionné : la manière dont ils ont été actifs face à la désorganisation. Ils se sont pris en main et ils ont tout organisé eux-mêmes. Je pense que c'est une dimension très importante. Ça leur a apporté quelque chose de se rendre compte qu'ils pouvaient gérer cela. Je voulais vous transmettre ce souvenir de l'audition car il m'a marqué.

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. – La note insiste – et j'en suis très heureux – sur l'importance fondamentale du fait d'être actif, d'être en situation de choix et d'action, ou à l'inverse, d'être passif, en train de subir les événements. Face aux mêmes conditions, il est radicalement différent d'être dans une démarche active de recherche de solutions ou occupé à lutter contre le fléau, et de subir la situation sans pouvoir rien faire. On accepte même des conditions bien plus dures quand on est actif, qu'on se sent respecté et qu'on peut être fier de ce que l'on fait. La note le met bien en avant.

La note explique aussi très bien, avec la référence à Durkheim, un phénomène qui peut sembler paradoxal mais qui avait été très clair dans les auditions du monde universitaire : même s'il a été moins dur pour la société, le deuxième confinement a été beaucoup plus dur psychologiquement pour les étudiants, avec une bien plus grande hausse des pensées suicidaires et des profils en désarroi. L'explication qui avait été donnée est totalement cohérente avec ce que dit la note : pendant le premier confinement, tout le monde était logé à la même enseigne alors que durant le deuxième confinement, les étudiants avaient à subir des restrictions fortes, comme l'absence de cours en amphithéâtre puisque tout se passait en visioconférence, pendant que les employés retournaient au bureau et que les rues retrouvaient leur animation. Les étudiants avaient le sentiment d'être laissés pour compte, abandonnés, oisifs, et d'être négligés par la société qui ne voyait pas leur utilité alors que la machine économique redémarrait. De plus, les étudiants qui, par nature, ont besoin de se projeter dans le futur, de faire des rencontres, de discuter, ont vu l'essence même de leur futur métier vidée de son esprit : à quoi cela sert-il d'être scientifique si vous ne pouvez pas rencontrer les uns et les autres et participer à des colloques ? Ce qui semblait donc paradoxal – ce confinement moins dur a été beaucoup plus difficile pour les étudiants – est parfaitement éclairé par votre note.

Une dernière remarque : comme vous le dites bien, il est évidemment très simple pour un épidémiologiste de prôner des mesures radicales pour limiter la contagion (cloisonner, limiter, confiner), mais le problème se pose différemment pour les questions économiques ou pour les questions psychologiques ou psychiatriques. On retrouve ici le fait que c'est au politique de trancher face aux conseils ou suggestions des experts alors que ces experts peuvent être d'opinions différentes en fonction de leurs champs professionnels respectifs. C'était d'ailleurs le cas pour StopCovid – désormais TousAntiCovid : des réserves très fortes venaient du monde de l'informatique, évoquant notamment des failles de sécurité, alors qu'il y avait parallèlement des recommandations très fortes qui venaient du monde de l'épidémiologie. C'est le rôle du politique de trancher face à ces éclairages contradictoires. Ici aussi, vous montrez l'écart entre les approches relevant de la santé vis-à-vis de la contagion et de la santé au niveau psychiatrique, qui peuvent aller en sens contraire. Il revient aux politiques d'arbitrer et de l'expliquer.

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

. – Merci monsieur le président. Nous partageons complètement l'analyse de Sonia de La Provôté. Les étudiants en médecine sont maintenant entrés dans une phase post-traumatique. Ce qui serait sans doute extrêmement dangereux – tous les spécialistes nous l'ont dit –, c'est de considérer que, l'« épisode » de la Covid étant passé, on pourrait revenir au traitement des étudiants en médecine tels qu'ils le subissaient – j'emploie ce mot à dessein – avant cet épisode-là. Ce serait catastrophique car avec ce qu'ils ont vécu, ils ont au contraire besoin aujourd'hui d'un surcroît de sociabilité. Or, il n'est pas du tout sûr que l'université puisse le leur apporter. Donc Sonia de La Provôté a tout à fait raison : les risques sont surtout présents maintenant et je ne suis pas sûr qu'ils aient été parfaitement identifiés comme tels. Pour parler très paternellement, on a sorti les gamins des salles de réanimation et on les a remis chez eux ou chez elles devant leur écran. Pour autant, je pense que le traumatisme qu'ils ont subi ne va pas s'effacer comme ça, il est encore extrêmement fort.

Bruno Sido a évoqué la relation villes-campagne. J'aimerais vous faire part de l'exemple que j'ai personnellement vécu. Nous avons été enfermés à quatre dans un appartement des Hauts-de-Seine avec l'impossibilité de sortir ou de faire quoi que ce soit, alors que pendant ce temps, mes parents étaient en Haute-Corrèze sur le plateau de Millevaches et marchaient 10 kilomètres par jour. Ils regardaient la télévision en me disant que ce que vous vivions était terrible, que c'était la guerre chez nous. J'aurais bien voulu les rejoindre mais je ne voulais pas qu'un sénateur alto-séquanais soit vu sur une route corrézienne, donc je suis resté chez moi. En effet, tout le monde n'a pas vécu le premier confinement de la même façon. Je dirais que les règles de sociabilité classiques en milieu rural ont eu un effet d'amortisseur extrêmement important, alors qu'au contraire, quand on est seul en ville – et je l'ai ressenti – la solitude peut être vraiment extrême. Même le voisin de palier a tendance à vous oublier dans ces moments-là.

Bruno Sido a aussi posé une question très forte et très juste, parce qu'elle est au fond de notre engagement politique : jusqu'à quel point une société humaine comme la nôtre peut-elle résister à des accidents nationaux tels que celui-ci ? Je pense que l'on peut tirer des enseignements de la crise que nous avons vécue, même si c'est difficile. Je partage complètement votre analyse : nos populations vont être soumises à des chocs encore plus considérables. Vous parliez du réchauffement climatique, il est évident qu'il y a des populations entières – voire des départements entiers – dont il va falloir revoir l'aménagement territorial avec la montée des eaux. Je pense à la Vendée, à la Charente : on sait très bien que l'on ne pourra pas sauver de la montée des eaux des parties importantes de ces départements. Il va donc falloir envisager le déménagement de ces populations vers de nouveaux territoires et regarder comment se passe leur incorporation dans ces territoires. Nous sommes face à des défis majeurs. Quel peut être l'apport des politiques que nous sommes ? Je pense qu'il faut se pencher sur quelque chose de fondamental, la perte de chance. Je le vois très bien avec les étudiants car j'ai encore des relations avec certains à l'université : à quoi ça sert de se lever tôt le matin pour enchaîner 5 heures de visioconférence dans une solitude absolue, sans aucune interaction sociale ? Le soir, l'étudiant ferme son ordinateur et se dit : « Mon Dieu, qu'est-ce qu'a été ma journée ? » Je pense que ce que nous pouvons apporter à une population qui sera face à des enjeux de ce type, c'est redonner du sens à la vie, à l'existence et à la vie en collectivité, redéfinir un horizon d'attente pour la nation, lui dire qu'elle va franchir des obstacles qui sont difficiles – sans lui cacher que ça va être compliqué – mais lui offrir un point lumineux à l'horizon pour essayer de mobiliser tout le monde et, dans un élan collectif, de dépasser ces aléas. Je suis désolé, c'est une réponse un peu lyrique et facile et c'est l'exécution qui est compliquée… Aujourd'hui, la première responsabilité des politiques est de redonner du sens à chacun et à la société en général.

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. – Merci beaucoup cher collègue. Un petit mot supplémentaire sur les étudiants : je pense que la société a fait une erreur majeure lorsqu'elle a établi des règles différentes entre les classes préparatoires et les universités. Les étudiants en université, qui ont déjà souvent l'impression d'être logés à moins bonne enseigne que les étudiants en classes préparatoires, ont vraiment eu le sentiment d'être abandonnés et laissés pour compte quand ils ont vu leurs collègues de classes préparatoires prendre le chemin des salles de classe alors qu'eux-mêmes étaient confinés dans leur petite chambre de résidence universitaire.

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Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office

J'ai aussi participé à la mission d'information du Sénat sur l'illectronisme pendant la pandémie. J'y ai appris que beaucoup des étudiants qui étaient rentrés chez eux n'y avaient pas de connexion internet et se trouvaient donc complètement déconnectés. Ils se sont sentis encore plus isolés. Certes, ils étaient à la campagne mais ils n'avaient plus aucun contact avec l'extérieur alors qu'auparavant ils profitaient des connexions WiFi disponibles sur les campus universitaires, qu'ils n'avaient pas chez eux par manque de moyens. C'est un élément de plus qui fait que le confinement n'a pas été le même pour tous les étudiants.

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. – Absolument. Je suis certain que l'Office tout entier s'associe à moi pour féliciter une nouvelle fois Michelle Meunier et Pierre Ouzoulias pour l'excellent travail qui a été réalisé.

L'Office autorise à l'unanimité la publication de la note scientifique sur « Les équilibres psychosociaux à l'épreuve de la Covid-19 ».

La réunion est close à 12 h 40.

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du jeudi 9 décembre 2021 à 9 h 30

Députés

Présent. - M. Cédric Villani

Sénateurs

Présents. - Mme Laure Darcos, M. André Guiol, M. Ludovic Haye, Mme Annick Jacquemet, Mme Sonia de la Provôté, Mme Florence Lassarade, M. Gérard Longuet, Mme Michelle Meunier, M. Pierre Ouzoulias, Mme Angèle Préville, Mme Catherine Procaccia, M. Bruno Sido