La réunion débute à 14 heures 05.
Présidence de M. Jean-René Cazeneuve, président.
La délégation auditionne M. Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'Intérieur, accompagnée de Mme Cécile Raquin, adjointe au directeur général des collectivités locales, et de Mme Françoise Taheri, sous-directrice des finances locales et de l'action économique.
Nous recevons Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'Intérieur, qui est, vous le savez, une experte des collectivités territoriales.
Cette délégation a été créée par l'Assemblée nationale à la fin du mois de décembre dernier. Nous sommes donc au tout début de nos travaux, même si nous avons déjà mené une dizaine d'auditions. La délégation a décidé de traiter deux sujets en priorité cette année : d'une part, la fiscalité locale, en vue du projet de loi de finances et surtout de l'importante réforme de la fiscalité locale qui est en train de se dessiner ; d'autre part, la révision constitutionnelle que nous examinerons bientôt. Nous avons lancé deux missions « flash » qui rendront normalement leurs conclusions la semaine prochaine : la première porte sur l'autonomie financière des collectivités territoriales et la seconde sur l'expérimentation et la différenciation territoriale – il y a une forte demande en la matière, mais un cadrage est nécessaire afin d'éviter les excès.
Nous souhaitons notamment vous entendre sur un certain nombre de sujets d'actualité. L'Association des maires de France (AMF), l'Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France, anciennement Association des régions de France (ARF), viennent de publier un communiqué de presse relatif à la contractualisation, selon lequel le discours du Gouvernement ne correspondrait pas tout à fait à ses actes. S'agissant de la dotation globale de fonctionnement (DGF), je tiens à préciser que les engagements ont été tenus dans la mesure où l'on observe globalement une stabilité par rapport à l'année dernière, mais quelques communes font remonter des écarts assez significatifs. Nous aimerions donc avoir quelques éléments d'explication.
Je crois que l'Assemblée nationale a eu raison de créer cette délégation aux collectivités territoriales. Comme vous le savez, j'ai présidé celle qui existe depuis fort longtemps au Sénat – puisqu'il représente les collectivités territoriales, il était bien normal qu'il y ait une telle délégation. Pour l'équilibre de notre bicamérisme, je trouve sain que les députés, qui ont exercé ou exercent encore des responsabilités au plan local, puissent aussi réfléchir à ces sujets.
En ce qui concerne la conférence de presse que vous avez citée, l'idée d'ensemble est le refus de contractualiser, mais chacun a en réalité ses propres raisons. Les départements disent qu'ils ne signeront pas tant que la question des allocations individuelles de solidarité (AIS) et celle des mineurs non accompagnés (MNA) ne seront pas traitées, mais vous avez vu – c'était dans une dépêche de l'Agence France Presse (AFP), me semble-t-il – que le président de l'ADF, Dominique Bussereau, a pris beaucoup de précautions. Il dit que c'est une position d'attente et qu'il signera : sa position est somme toute assez modérée. Hervé Morin, qui a un autre tempérament, insiste quant à lui sur l'apprentissage. Pour les régions, c'est ce qui coince, alors que tout se passait bien au début – j'ai participé à certaines réunions, notamment celles avec Hervé Morin et le président de ma région, François Bonneau, qui est très impliqué dans les questions d'apprentissage et de formation. C'est une question de détails, mais ça coince encore. Le président de l'AMF est en revanche contre la contractualisation par principe : il accuse le Gouvernement de procéder à une recentralisation. François Baroin est dans une posture politique. Les autres le sont peut-être un peu aussi, mais ils ont à mon avis des arguments qui partent davantage de la réalité : il existe un vrai problème dans les départements et il y a encore une discussion sur l'apprentissage avec les régions.
Certaines associations de collectivités territoriales, comme France urbaine, se sont engagées dans une démarche de négociation avec le Gouvernement : cela concerne l'essentiel des 322 collectivités qui vont contractualiser avec l'État – ce sont celles dont le budget dépasse 60 millions d'euros, c'est-à-dire les grandes communes, les départements et les régions. Je pense donc que des contractualisations auront lieu. Les négociations se déroulent dans les départements, au sens administratif du terme, les préfets étant chargés de négocier avec les collectivités. J'ai pu constater sur le terrain que l'on avance, plus ou moins vite, avec plus ou moins de difficultés selon les cas. Certains élus me disent qu'ils ne signent pas, car ils font partie de l'ADF, laquelle attend la fin de la négociation, mais qu'ils sont en réalité prêts à le faire. Globalement, j'observe une volonté de dialogue chez les élus, mais certaines questions politiques entrent en jeu. C'est la vie : il y a une majorité et des oppositions.
Le Gouvernement a choisi de mener une nouvelle politique, basée sur la négociation et le dialogue, dans le cadre de la Conférence nationale des territoires. Le but est d'essayer de retisser un lien de confiance. Néanmoins, je ne veux pas accuser les gouvernements précédents : depuis la crise, tout le monde s'efforce de trouver un moyen de rentrer dans les clous européens en ce qui concerne les finances publiques. Le précédent gouvernement a opéré des prélèvements sur la DGF – j'y reviendrai –, mais il s'est ensuite rendu compte des difficultés qui en résultaient pour l'investissement des collectivités territoriales, et c'est pourquoi un Fonds de soutien à l'investissement local (FSIL) a notamment été créé. Nous l'avons conservé dans la loi de finances pour 2018, afin de continuer à aider l'investissement. Il y aura aussi les effets de notre nouvelle politique – du moins si les collectivités territoriales jouent le jeu... Quels que soient les gouvernements et les majorités, il faut trouver des solutions pour réaliser des économies au niveau de l'État, de la sécurité sociale, mais aussi des collectivités territoriales. Je reconnais que ces dernières ont déjà fait beaucoup d'efforts, mais cela ne signifie pas que l'on ne doit pas continuer. L'idée est de demander aux collectivités de limiter l'augmentation de leurs dépenses de fonctionnement à 1,2 % en moyenne – de nombreux paramètres seront pris en compte dans le cadre de la contractualisation afin de permettre une adaptation.
S'agissant de la DGF, l'enveloppe prévue est identique à celle de l'an dernier. Cette stabilité rompt avec ce que faisait le gouvernement précédent. En son temps, le gouvernement de François Fillon avait décidé un « gel » de la dotation – nous parlons pour notre part de « stabilisation ». L'enveloppe dont nous parlons comprend la part forfaitaire de la DGF et les parts de péréquation, notamment la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) et la dotation de solidarité rurale (DSR). Nous travaillons avec le Comité des finances locales (CFL), dont certains d'entre vous font partie, me semble-t-il.
Les règles ont été négociées. Si la population d'une ville augmente, la DGF a également des chances d'augmenter, en particulier si elle a des quartiers prioritaires au titre de la politique de la ville. Le montant peut aussi varier en cas de baisse de la population dans une commune rurale. C'est le principe, qui n'a rien de nouveau. Avec votre accord, je vais laisser à Françoise Taheri le soin d'apporter quelques compléments plus techniques.
La grande rupture de la loi de finances pour 2018, s'agissant des concours financiers de l'État aux collectivités locales, est leur progression globale de plus de 300 millions d'euros par rapport à l'année précédente. En ce qui concerne plus spécifiquement la DGF, il y a aussi une rupture par rapport à la période qui s'était ouverte en 2014 : alors que cette dotation était amputée chaque année, à hauteur de 3,67 milliards d'euros, il y a désormais une stabilité globale.
Si l'on constate des évolutions dans l'attribution individuelle de la DGF, c'est d'abord le reflet de la démographie de la collectivité concernée, ou du groupement de collectivités, et ensuite des indicateurs financiers, lesquels sont pris en compte pour le calcul des différentes dotations de péréquation – à savoir le potentiel fiscal, le potentiel financier et le revenu par habitant. Les montants attribués individuellement ont été mis en ligne au tout début du mois d'avril et un bilan de la répartition globale sera présenté au CFL en juin, comme chaque année.
Un certain nombre d'enseignements peuvent déjà être tirés – j'insisterai surtout sur les évolutions à la baisse, car elles retiennent davantage l'attention que les majorations, lesquelles sont généralement passées sous silence. Si l'on prend en compte l'intégralité de la DGF, c'est-à-dire la dotation forfaitaire et les dotations de péréquation, 53 % des communes ont connu une augmentation en 2018. Cela signifie une minoration dans 47 % des cas.
Quels sont les facteurs d'explication des baisses ? Pour ce qui est de la dotation forfaitaire, autrefois qualifiée de « dotation de base », cela s'explique par l'écrêtement, qui est destiné à financer les « emplois internes » de la DGF – liés à l'augmentation de la population et des dotations de péréquation. Depuis cette année, ils sont intégralement financés à partir de la dotation forfaitaire des communes au lieu de l'être, à parts égales, au moyen des « variables d'ajustement » et de la dotation forfaitaire.
Oui. Pour bien mesurer la charge qui pesait en interne sur la DGF, il faut rappeler que la DSU a progressé de 110 millions d'euros et la DSR de 90 millions.
Tout à fait, le Gouvernement avait initialement prévu 90 millions d'euros dans les deux cas.
La charge pesant sur la dotation forfaitaire est néanmoins équivalente à ce que l'on connaissait les années précédentes : l'augmentation de la péréquation était alors supérieure à ce qui a été décidé dans le cadre de la loi de finances pour 2018.
Je rappelle aussi que les modalités d'application de l'écrêtement comportent un dispositif de péréquation extrêmement puissant, qui a été modifié en 2017 à la suite d'un amendement déposé par Mme Pires Beaune. Ne sont concernées par l'écrêtement que les communes dont le potentiel fiscal par habitant est supérieur à 75 % de la moyenne, et il y a aussi une péréquation pour la répartition de l'écrêtement. À cela s'ajoute une garantie absolue : en aucun cas, on ne peut aller au-delà de 1 % des recettes réelles de fonctionnement des communes.
Je le répète : le principal facteur d'explication, s'agissant de la dotation forfaitaire, est l'application de l'écrêtement, de manière classique, et avec une péréquation.
Le principal facteur de changement est que 50 % de la ponction sur la part forfaitaire étaient jusque-là pris ailleurs. Il y a ensuite l'effet de l'écrêtement. Par ailleurs, l'augmentation de la péréquation est finalement un peu moins importante qu'en 2017, puisqu'elle s'élevait alors à deux fois 180 millions d'euros. Au total, cela fait donc trois raisons.
Il y avait deux fois 180 millions d'euros, mais seulement la moitié pesait en interne sur la dotation forfaitaire, contre 110 et 90 millions d'euros cette année, soit 200 millions d'euros. Cela représente un alourdissement de 20 millions.
C'est assez technique, excusez-nous… (Sourires.)
Nous n'allons pas consacrer toute l'audition à ce sujet, même s'il est d'actualité. Néanmoins, il est utile de mettre les points sur les i.
Vous pouvez donc continuer, madame Taheri.
Une autre raison est l'évolution des dotations de péréquation, qui est très largement favorable à l'ensemble des communes. Je rappelle que la fraction « cible » de la DSR est allouée aux 10 000 communes les plus pauvres de moins de 10 000 habitants qui sont éligibles aux autres fractions de la DSR. La DSR « cible » est calculée selon deux critères : le revenu par habitant et le potentiel financier…
Je pense qu'il s'agit du potentiel financier. Son évolution peut expliquer que certaines communes sortent de ce dispositif, mais il faudra bien analyser les effets. Par ailleurs, la recomposition de la carte intercommunale a sans doute joué un rôle. La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRE) a demandé de prendre davantage en compte l'objectif de solidarité financière entre les territoires dans le cadre de la recomposition des schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI).
En ce qui concerne la dotation nationale de péréquation (DNP), qui est purement péréquatrice, puisqu'elle ne fait appel qu'à des indicateurs financiers, l'augmentation du potentiel fiscal – ou financier – a sans doute eu un effet, là aussi.
Il faut souligner que tout cela permet d'augmenter ce qui va aux collectivités les plus pauvres, qui connaissent les plus graves difficultés.
On est quand même assez surpris par l'évolution de certaines dotations. Environ 1 000 communes, ce qui n'est pas négligeable, perdent plus de 25 % de leur DGF globale. Ne faudrait-il pas instaurer des planchers et des plafonds, comme pour la part forfaitaire de la DGF, afin d'amortir les écarts d'une année à l'autre ? On connaît début avril le montant versé, alors que le budget est quasiment voté dans les communes : ce n'est pas toujours facile à digérer.
Il y a par ailleurs un effort de communication à réaliser, quelles que soient les évolutions, à la hausse ou à la baisse. Nous arrivons à un moment critique où il faut s'appeler Christine Pires Beaune pour saisir ce qui se passe – et même elle éprouve parfois quelques difficultés. (Sourires.) Des efforts d'explication et d'accompagnement mériteraient d'être faits, par la direction générale des collectivités locales (DGCL) ou par d'autres acteurs. Certains élus m'ont dit qu'ils allaient faire appel à des cabinets pour essayer de comprendre les évolutions.
Nous avons discuté du changement de financement des « emplois internes » lors des débats sur la loi de finances pour 2018 : vous savez que je n'y étais pas favorable. Néanmoins, il n'y a pas de bonne solution en la matière, car les variables d'ajustement pèsent aussi sur les plus défavorisés. C'est ce qui me fait dire depuis des années que nous sommes vraiment au pied du mur, et en tout cas au bout du système.
Nous sommes bien d'accord.
En la matière, j'espère que ce Gouvernement aura davantage de courage que le précédent.
Ma sous-préfecture, qui est une des communes les plus riches du département, devient éligible à la DSR et à la DSU : il y a quand même des évolutions que je ne comprends pas, moi non plus. Mais c'est normal, d'une certaine manière, vu le degré de complexité du système auquel on est parvenu, notamment du fait des interactions entre les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
J'aimerais bien que vous regardiez la question de la DSR « cible » : j'avais cru comprendre que l'on utilisait le potentiel fiscal pour déterminer les communes éligibles et que l'intercommunalité ne jouait pas.
J'ai vérifié : c'est bien le potentiel financier que l'on prend en compte pour le calcul de la DSR « cible ».
Je parle de l'éligibilité, pour ma part. Ce ne sont pas nécessairement les mêmes critères que pour le montant de la dotation…
Dans le Puy-de-Dôme, environ 49 % des communes sont perdantes. André Chassaigne a d'ailleurs interpellé le ministre de l'intérieur : sa commune perd 19 %, à cause de la DSR « cible ». Et j'en connais qui perdent 25 %, alors qu'Issoire gagne 36 %. Connaissant cette ville, je ne vois vraiment pas comment c'est défendable. Si chaque commune doit demander des explications à la DGCL, on ne va pas s'en sortir.
La DGCL s'efforce de donner des explications qui, si elles sont absolument nécessaires, ne peuvent cependant être que globales, car il nous serait impossible d'apporter des réponses au cas par cas à chacune des collectivités. Nous donnons surtout des éléments de réponse aux préfectures qui, munies des données individuelles relatives aux communes de leur ressort, ont à expliquer telle ou telle évolution aux élus locaux et aux parlementaires.
Cette année, nous allons approfondir ce travail d'explication en ouvrant l'accès sur le site www.dotation.gouv.fr à l'ensemble des critères de répartition de la DGF dont les montants, comme chaque année, sont en ligne. Cependant, la technicité de la répartition de la DGF requiert un certain degré de spécialisation pour interpréter ces données.
Il faudra en effet consentir un effort massif de pédagogie. J'ai demandé au préfet de l'Isère de m'expliquer l'évolution de la DGF des communes de ma circonscription entre 2017 et 2018 : c'est extrêmement complexe, comme le reconnaissent également les responsables de la ville que j'ai longtemps dirigée. Cette ville, qui compte 15 000 habitants, percevait une DGF de 1,7 million d'euros il y a cinq ans contre 138 000 euros en 2017 et, au vu de cette tendance, avait anticipé une DGF nulle pour 2018. Surprise : elle percevra tout de même 45 000 euros ! C'est une bonne nouvelle, mais d'autres communes connaissent le phénomène inverse, ce qui pose un problème de prévisibilité. Précisons que de nombreuses villes adoptent leur budget en décembre ou en janvier en fonction d'une estimation prévisionnelle de la dotation de l'État. Pour une ville comme la mienne dont le budget est de 33 millions d'euros, la dotation est certes utile mais pas cruciale ; pour de plus petites communes, un montant de l'ordre de 45 000 euros fait une profonde différence et la surprise peut être très mauvaise. Il faut rendre le calcul de la DGF plus prévisible.
Rappelons tout de même, pour éviter toute éventuelle instrumentalisation politique, que la répartition de l'enveloppe globale est soumise chaque année au même mécanisme, même si les critères peuvent évoluer. Cela ne remet naturellement pas en cause la nécessité de fournir des explications.
Mme Pires Beaune a raison : nous arrivons au bout d'un système. Je saisis l'occasion pour aborder la question de la refonte de la fiscalité locale – un sujet ancien dont il est d'autant plus indispensable de parler que le Gouvernement a opté pour une suppression progressive de la taxe d'habitation. Les régions entrent cette année dans une nouvelle ère puisque suite à la décision du précédent gouvernement, leurs ressources proviendront pour partie de la TVA. Le contexte général – difficultés de certains départements et disparition de la taxe d'habitation – dans lequel vont travailler la mission Richard-Bur, le comité des finances locales et le Parlement nous oblige à trouver des solutions. La question fondamentale est la suivante : faut-il confier des pouvoirs de taux sur les ressources locales aux collectivités ou, au contraire, s'orienter vers le financement par un impôt national, comme cela vient d'être fait pour les régions ? Faut-il envisager de combiner les deux options selon les collectivités ? Les départements, par exemple, agissent essentiellement pour le compte de l'État en appliquant la politique sociale dont ils sont chargés. La commune, quant à elle, est une collectivité de proximité dotée de la compétence générale et a partie liée avec les intercommunalités.
Le rapport à venir de MM. Alain Richard et Dominique Bur comportera des pistes – je précise bien qu'il ne s'agit que de pistes dont la publicité ne lie pas le Gouvernement – mais je souhaiterais aussi vous entendre sur les questions d'autonomie fiscale et financière.
Il est vrai que plus une collectivité est proche du citoyen, plus elle tient à conserver son autonomie fiscale, car l'élu est jugé en fonction des services liés à l'impôt. C'est moins vrai pour le département et encore moins pour la région, car les citoyens ignorent souvent le montant de leur contribution au fonctionnement de ces collectivités et la nature de leurs compétences. L'autonomie fiscale peut donc se justifier dans le cas de la commune sans que ce soit forcément le cas pour les autres collectivités.
La définition actuelle de l'autonomie financière est quelque peu dévoyée : cette autonomie a progressé au fil du temps, depuis l'entrée en vigueur de la loi de 2003, alors que les collectivités éprouvent le sentiment qu'elle a reculé puisque des impôts nationaux et autres impôts pour lesquels elles n'ont pas de liberté de taux entrent dans sa définition. Le juge de paix qu'est l'autonomie financière ne semble donc pas correspondre à la réalité ; sans doute serait-il plus juste de privilégier l'autonomie fiscale. S'y ajoute la perte de la taxe d'habitation – qui constituait l'essentiel de l'autonomie fiscale des communes – qui renforce la crainte des élus.
Je suis plutôt favorable à une imposition en lien avec le territoire. À mon sens, l'autonomie fiscale, qui mériterait d'être inscrite dans la Constitution et dont découle l'autonomie financière, est consubstantielle à la décentralisation et à la responsabilité des élus. Cela n'empêche pas de concevoir un régime mixte, compte tenu de l'hétérogénéité des territoires, notamment de la différence entre les métropoles et les autres collectivités, qui supposerait des mécanismes de péréquation que les égoïsmes locaux rendraient impossibles à mettre en oeuvre…
S'agissant de la taxe d'habitation, la règle du jeu a quelque peu changé. L'engagement présidentiel initial d'appliquer une exonération de 80 % donnait une certaine visibilité aux élus locaux, puisqu'ils pouvaient même en augmenter le taux de sorte que les contribuables bénéficiant d'un dégrèvement en paient tout de même une petite partie. Cette vision était donc tout à fait différente.
En effet. Dans son avis, toutefois, le Conseil constitutionnel estime que l'exonération doit être portée à 100 % ; la règle change – car il faut trouver dix milliards d'économies.
Gardons-nous de prendre les communes en traître. Elles sont engagées dans des investissements pour lesquels elles ont contracté des emprunts sur quinze ou vingt ans et ont besoin de ces recettes. L'excédent du budget de fonctionnement permet de couvrir le remboursement de la dette en capital. Il faudrait selon moi sanctuariser les recettes à un instant T, car les communes ont engagé des dépenses avant d'être soumises à une nouvelle règle du jeu qu'elles ignoraient à l'époque, et qui les place dans une situation d'incertitude.
J'en viens à la fixation des taux. Certaines communes font des choix de gestion budgétaire dynamique, consistant par exemple à réduire les dépenses de fonctionnement ou à engager des investissements relatifs à la transition énergétique. La péréquation devrait selon moi être pour partie déterminée en fonction des mesures d'intérêt général que prennent les communes. Une commune peut en effet être vertueuse autrement qu'en fixant un taux, par exemple en s'employant à réduire ses dépenses. De nombreuses grandes collectivités sont en-deçà du seuil de 1,2 % imposé à la pente de leurs dépenses de fonctionnement, et cela ne présente guère de difficulté. Je plaide pour une compensation en fonction des orientations prises – même s'il faut se garder de toute immixtion dans le détail de la gestion et se contenter de fixer de grands principes, comme la transition énergétique. L'autonomie de gestion serait respectée.
Prenons l'exemple de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour les constructions nouvelles : j'ai demandé au conseil municipal de ma commune de ne pas utiliser cette possibilité – même s'il est vrai que le prix des terrains à bâtir s'en ressentait. De même, il est possible d'utiliser des critères de variation de la taxe d'aménagement. D'autres sources de recettes liées à l'aménagement peuvent être exploitées. Ne faut-il pas réfléchir à la fameuse règle des dix-huit ans concernant la taxe sur la cession des terrains devenus constructibles ? De même, les communes sont concernées par les droits de mutation à titre onéreux puisqu'il leur en est reversé une part de 1,20 % : faut-il que cela incombe à l'acquéreur ? Ce taux ne peut-il être modulé en fonction de l'attractivité du territoire et des effets bénéfiques des aménagements réalisés par les communes ?
En clair, il existe, au-delà du seul taux, de très nombreux outils à exploiter, qui sont davantage liés à l'attractivité des territoires et qui seraient sans doute plus incitatifs. Soyons inventifs !
Le lien avec le territoire est certes pertinent, mais il entraîne un effet pervers sur une partie de la fiscalité locale. Celle-ci est souvent peu élevée dans des communes dynamiques et attractives, alors qu'elle l'est beaucoup plus dans des zones rurales en difficulté. Dans la perspective du rééquilibrage de la fiscalité, il nous faut trouver les outils permettant de préserver la solidarité nationale, qui est essentielle. Je suis donc plus nuancée concernant le lien avec le territoire ; je vois davantage d'intérêt à une part d'impôt national.
S'agissant de la méthode, il ne saurait y avoir de big bang instantané : il faut d'abord fixer un cap à dix ou quinze ans.
Je n'en suis pas sûre : certaines collectivités ont entrepris des investissements importants sur trente, voire quarante ans, en regard de quoi un cap de dix à quinze ans n'est que du court terme. Une fois ce cap fixé, les ressources de certaines collectivités pourront augmenter, d'autres diminuer.
La réforme des valeurs locatives des locaux professionnels était certes nécessaire, mais n'oublions pas que le rééquilibrage n'a lieu qu'au sein des EPCI. Nous sommes loin du « grand soir » de la fiscalité locale : il s'agit plutôt d'ajustements à la marge – d'autant plus marginaux lorsque les EPCI sont de petite taille. La volonté de péréquation est donc limitée.
Je souhaite que la refonte de la fiscalité locale soit globale et poursuive un objectif de solidarité nationale entre les collectivités en fonction de leur richesse et de leur attractivité, en veillant à l'équilibre et au maillage du territoire. Nous avons certes besoin de villes attractives, mais aussi de villages plus resserrés : c'est ce qui fait le charme de notre pays et les Français y sont attachés.
J'ai omis de dire que les impôts nationaux qui pourraient être perçus en partie par les collectivités sont plus ou moins dynamiques. Si vous me passez l'expression, la TVA, c'est « bingo » pour les régions !
Monsieur Mattei, vous avez suggéré d'assouplir certains outils et esquissé l'idée de politiques plus ou moins vertueuses. Je suis convaincue qu'il faut, dans le cadre de la décentralisation, trouver un équilibre entre les pouvoirs locaux et l'intervention de l'État ; les collectivités locales et l'État doivent être solidaires et travailler ensemble. Prenons l'exemple de la réforme éventuelle des métropoles : le Président de la République s'est engagé à accompagner les grandes métropoles qui décideraient de fusionner avec les départements, rappelant qu'il s'agissait là d'une décision locale. Tout le monde en est d'accord, mais certains élus locaux viennent quand même trouver le Gouvernement pour demander une loi qui les obligerait à le faire ! Vous le voyez, l'équilibre des relations entre pouvoirs locaux et État n'est pas si facile à trouver. D'où l'importance du dialogue et du travail en commun.
De la même manière, les communes qui ne parviennent pas à créer des communes nouvelles, souvent à cause de querelles de clochers, aimeraient que l'État les y oblige et assume ainsi le mauvais rôle…
Le fait que les 33 communes de ma circonscription voient leurs dotations augmenter cette année rend sans doute mon esprit plus léger ; aussi voudrais-je évoquer un sujet moins grave, celui de la répartition des sièges communautaires. J'entrevois en effet un risque de décrochage entre les élus communaux et les élus des EPCI. Et alors que l'on parle beaucoup de ruralité et de la place des communes dans le dispositif, je pense que leur représentativité pourrait être renforcée à peu de frais, non pas en augmentant le nombre de sièges au sein des EPCI, mais en modifiant leur répartition. Vous me répondrez sans doute que les élus communaux peuvent participer aux commissions ; ce n'est pas pareil : ils ne peuvent peser sur le vote et ont le sentiment d'un décrochage. L'AMF et l'Association des maires ruraux de France (AMRF) évoquent souvent la question. Revoir la loi de 2004 ne coûtera rien mais pourrait rapporter beaucoup, tant les élus locaux sont en attente d'une meilleure représentativité au sein des EPCI.
La loi du 16 décembre 2010 prévoit en effet que les élus communaux peuvent siéger dans les commissions. Pour ce qui est de la répartition des sièges, je vous rappelle que la décision du Conseil constitutionnel, suite à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) « commune de Salbris », a eu pour effet de limiter les possibilités.
Élue d'un département, le Maine-et-Loire, qui a connu beaucoup de créations de communes nouvelles, j'ai le sentiment que le phasage relatif à la réduction du nombre de conseillers municipaux est rapide et que la marche à franchir est un peu trop haute pour les conseils de ces communes nouvelles.
Par ailleurs, des effets induits de la réforme territoriale, peu à peu, se font jour, et ils n'ont pas toujours été anticipés. Ainsi, l'enveloppe départementale de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), basée entre autres critères sur le nombre d'habitants des EPCI éligibles, se trouve réduite du fait que beaucoup de communes rurales ont rejoint les agglomérations, et ce, alors même que le nombre de communes éligibles est maintenu. Certes, ces effets avaient été anticipés et la modalité de calcul ajustée. Mais pour un département comme le Maine-et-Loire, qui a beaucoup fait en matière de regroupements de communes, l'enveloppe est fortement réduite, sans aucune compensation pour les communes rurales hors agglomérations. Je crois en ces réformes et en ce modèle, mais, pour que celui-ci reste attractif, nous devons continuer à travailler sur la façon d'adapter les outils de soutien financier.
Il n'est pas certain, en effet, que les élus parviennent à anticiper tous les effets liés à la création des communes nouvelles, des EPCI ou aux changements de fiscalité des intercommunalités. Lorsque les chiffres tombent, les surprises sont parfois bonnes, parfois mauvaises !
Pour clore le feuilleton de la baisse des dotations, nous savions tous, à commencer par les commissaires des finances, qu'il y aurait des baisses et des hausses, il en est toujours ainsi. Si l'enveloppe globale est stable, voire en légère augmentation – de 60 millions d'euros –, sa répartition va changer : en fonction du besoin de financement des emplois internes, de la démographie ou des changements de périmètre, certains y gagneront, d'autres perdront. Aussi, lorsque le Président de la République dit au journal télévisé de 13 heures qu'« aucune petite commune ne va perdre », c'est tout bonnement un mensonge, qui risque de susciter la fureur des associations et des élus !
Je suis bien d'accord avec vous : il faut que tout le monde surveille son vocabulaire. L'AMF, notamment, a déclaré que la part forfaitaire de la DGF baissait, ce qui est aussi un mensonge.
Madame Dupont, vous avez raison : dans le département des Pyrénées-Atlantiques, la création de la communauté d'agglomération Pays basque a fait baisser considérablement l'enveloppe de la DETR, même si les communes y sont encore individuellement éligibles. Je laisse à Mme Taheri le soin d'expliquer la façon dont le Gouvernement a anticipé cette évolution.
Des modifications du calcul des enveloppes départementales ont été introduites en loi de finances pour 2017 : l'enveloppe des communes et l'enveloppe des groupements ont été remises à parité et les seuils de populations prises en compte ont été relevés. Par ailleurs, la globalité des crédits de la DETR progressent, pour atteindre 1,56 milliard d'euros.
Pourrait-on approfondir l'échange sur ces changements liés aux réformes territoriales, parfois mal anticipés ?
Peut-être devrions-nous auditionner la DGCL pour entrer dans le détail de ces modifications ?
Pour terminer cette audition, je souhaite vous interroger, madame la ministre, sur la révision de l'article 72 de la Constitution. Une très grande majorité des élus appellent de leurs voeux une différenciation des compétences et une adaptation des normes aux réalités des territoires. De son côté, le Président de la République a annoncé sa volonté de laisser aux collectivités un droit à l'expérimentation, en dissociant celle-ci de la généralisation.
Êtes-vous favorable à ce mouvement ? Doit-il concerner seulement les compétences des différents niveaux de collectivités territoriales ou pensez-vous qu'il faille aller plus loin, en donnant une marge de manoeuvre aux collectivités territoriales ou au préfet pour adapter chaque loi aux réalités locales ?
Par décret du mois de décembre, complété par une circulaire du mois d'avril, le Gouvernement a souhaité donner, à titre expérimental et pour deux ans, un pouvoir de dérogation aux préfets de département de la Creuse, du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et du Lot. Ceux-ci bénéficieront ainsi d'une marge de manoeuvre dans l'application des réglementations nationales.
C'est un élément très important et je me permettrai, pour l'illustrer, de prendre mon cas personnel. J'étais maire d'une commune de plus de 3 500 habitants, comprise dans une agglomération de plus de 50 000 habitants, donc soumise à l'obligation de compter 20 % de logements sociaux. Pour atteindre ce quota, la commune a entrepris un programme de construction triennal, qu'elle a réussi à réaliser sur deux ans. Mais n'ayant pas construit la troisième année, elle s'est vu appliquer les pénalités prévues par la loi du 1er décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU ». J'ai dû me battre au niveau régional, sans obtenir gain de cause ; c'est finalement le préfet de département qui a mis fin à cette situation invraisemblable en assouplissant l'application de la norme.
Je laisse Cécile Raquin vous détailler la révision constitutionnelle, dont le texte pourrait être examiné au mois de juillet par l'Assemblée nationale.
L'idée serait que des collectivités territoriales d'une même catégorie puissent exercer des compétences différentes si des circonstances locales ou un motif d'intérêt général le justifient. Le cas type est celui d'une cité scolaire rassemblant des collèges et des lycées, pour laquelle le département ou la région pourrait exercer la compétence. Le législateur autoriserait cette répartition, soit en attribuant directement des compétences différenciées, soit, après acte de candidature des collectivités, en habilitant le pouvoir réglementaire à arrêter la liste par décret en conseil d'État.
Le deuxième volet de la réforme viserait à permettre l'adaptation des lois ou des règlements par les collectivités territoriales. L'article 72 dispose aujourd'hui que cette adaptation peut être réalisée par la voie de l'expérimentation, l'inconvénient étant que la procédure doit déboucher sur l'abandon ou sur la généralisation à l'ensemble des collectivités territoriales. La réforme constitutionnelle permettrait aux collectivités d'adapter les normes de façon différenciée et pérenne.
La réunion s'achève à 15 heures 25.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-René Cazeneuve, Mme Stella Dupont, Mme Catherine Kamowski, M. Didier Le Gac, M. Jean-Paul Mattei, Mme Christine Pires Beaune, Mme Annie Vidal
Excusés. - M. Christophe Jerretie, M. Arnaud Viala