Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Réunion du mardi 29 octobre 2019 à 18h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 18 heures 05.

Présidence de Mme Cécile Untermaier, présidente

La mission d'information sur la concrétisation des lois entend M. Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement, de M. David Sarthou, chef du service de la législation et de la qualité du droit au secrétariat général du Gouvernement, et de M. Claude Kupfer, coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés de l'État.

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Je suis heureuse et très honorée d'accueillir M. Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement, M. David Sarthou, chef du service de la législation et de la qualité du droit au secrétariat général du Gouvernement, et M. Claude Kupfer, coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés de l'État.

Je rappelle que nous avons décidé de commencer nos travaux par une série d'auditions générales afin de mieux comprendre la vie de la loi après sa promulgation et sa publication au Journal officiel, c'est-à-dire lorsque le pouvoir législatif que nous incarnons confie la loi qu'il a votée aux bons soins du pouvoir exécutif pour que celui-ci prenne les mesures réglementaires nécessaires afin de la mettre en oeuvre sur le terrain.

Notre objectif est de mettre en lumière les points de blocage et leurs causes afin d'essayer de fluidifier l'ensemble pour s'assurer que la volonté du législateur est respectée et que les besoins exprimés le citoyen sont satisfaits.

Le secrétariat général du Gouvernement joue un rôle essentiel pendant les premiers mois qui suivent la promulgation d'une loi, puisque c'est lui qui identifie, coordonne et supervise l'élaboration des décrets qui seront indispensables à son application.

Nous vous avons aussi sollicité monsieur le préfet Kupfer. Placé depuis juillet dernier pour deux ans auprès du secrétaire général du Gouvernement, vous êtes chargé de coordonner les mesures nécessaires à la mise en oeuvre de la réforme des services déconcentrés de l'État.

Le directeur interministériel à la transformation publique, que nous avons entendu la semaine dernière, nous a indiqué que la réforme en cours donnerait aux préfets de région une plus grande liberté dans l'organisation des services déconcentrés. Je crois que la réflexion est en cours sur le terrain et que le niveau départemental devrait en sortir renforcé. Ces sujets nous intéressent directement, car l'efficacité de la mise en oeuvre des lois sur le terrain repose largement sur ces services.

Je précise enfin que cette audition est ouverte à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site Internet de l'Assemblée nationale et elle fera également l'objet d'un compte rendu.

Si vous souhaitez commencer par un propos liminaire, je vous donne donc la parole pour une dizaine de minutes, Monsieur le secrétaire général, le rapporteur vous posera ensuite des questions.

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Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement

Madame la présidente, vous m'avez adressé un certain nombre de questions en vue de cette audition. Je peux chercher à y répondre pour anticiper les autres questions que cela pourrait entraîner, dans l'ordre des rubriques du questionnaires, relatives, d'une part, à l'application des lois et, d'autre part, à des questions liées au suivi des réformes et aux questions de qualité de droit.

Sur l'application de la loi, comme vous l'avez très bien dit dans votre propos introductif, il faut distinguer deux questions très différentes, celle de la prise des textes d'application – essentiellement les décrets d'application – et celle de l'exécution concrète des mesures une fois que tous ces textes ont été pris. Comme vous l'avez dit, le secrétariat général du Gouvernement est compétent pour le premier de ces deux aspects. Vous avez rencontré par ailleurs la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), qui est davantage centrée sur le deuxième aspect.

Pour débuter notre échange, je souhaite vous donner deux ou trois chiffres relatifs à l'application des lois. Il y a quelques années, on observait une lenteur dans la publication des décrets d'application des lois. Depuis lors, une mobilisation générale a été décidée pour qu'il n'en soit plus ainsi. Grosso modo, dans le délai de six mois qui a été fixé, nous prenons à peu près 90 % des décrets d'application. Je reviendrai à la fois sur ces 90 % et sur les 10 % restants. Pour prendre des chiffres sur le taux d'application des lois actuelles, à la mi-2019, nous avions pris 678 des 767 mesures qui devaient être prises avant cette échéance. Pour citer les travaux de Mme Létard, vice-présidente du Sénat, que vous évoquiez dans le questionnaire que vous m'avez transmis, c'est le taux le plus élevé depuis que le Sénat procède à ce contrôle, en augmentation de plus de 20 % par rapport à 2014. Le délai moyen de publication des textes continue de décroître : il est désormais de 4 mois et 17 jours ; il était de 5 mois et 10 jours pour les lois votées lors de la session 2016-2017.

Pour assurer la publication rapide de ces textes, nous lisons les lois, une fois promulguées, alinéa par alinéa, ligne à ligne, pour repérer les renvois à des décrets que le législateur a prévus, qu'il s'agisse de décrets en Conseil d'État ou de décrets simples, et nous dressons des tableaux, communiqués au Parlement, qui recensent la totalité des mesures à prendre. L'élaboration de ces mesures est attribuée, pas simplement ministère par ministère, mais direction de ministère par direction de ministère. Ces tableaux comprennent la totalité des étapes avant la publication du décret : est-ce qu'il faut saisir pour avis une autorité administrative indépendante, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), est-ce que le décret est en Conseil d'État ? Nous faisons un calendrier pour que le texte sorte dans les six mois et donc que les objectifs de délai de sortie que nous nous fixons soient atteints. Ce tableau consolidé est aussi mis en ligne sur Internet, sur le site Légifrance et fait l'objet d'une communication en Conseil des ministres. Le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement tient régulièrement des comités interministériels, pour accélérer le processus d'application et repérer les éventuels points de blocage.

Vous m'avez posé une question sur les rapports qui doivent être déposés par le Gouvernement mais qui le sont dans des proportions insuffisantes. Vous évoquiez notamment le rapport dit de l'article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit, que nous devons déposer pour attester de la publication des mesures réglementaires. C'est vrai que, contrairement à la sortie désormais très rapide des décrets d'application, ces rapports ne sont pas systématiquement déposés, essentiellement parce que les tableaux dont je vous parlais tout à l'heure, qui résument la totalité des étapes d'élaboration des décrets et des mesures qui sont prises, sont rendus publics ; les tableaux remplacent en fait les rapports.

Vous vous interrogez sur les 10 % des décrets non publiés dans les six mois. Pourquoi certains décrets ne sortent-ils pas dans ce délai ? Pour des raisons assez variables en fait, spécifiques à chaque mesure. Pour un certain nombre de décrets, ce retard est lié aux notifications à la Commission Européenne, laquelle a trois mois pour nous répondre. À partir du moment où on identifie la nécessité de saisir la Commission, le délai de six mois sera dépassé en raison du temps de réponse de la Commission. Dans d'autres cas, nous devons tout simplement mener des concertations qui prennent plus de temps que prévu, que ce soit avec des partenaires sociaux ou avec d'autres acteurs, si bien que le délai de six mois est légèrement dépassé. Enfin, il y a des cas dans lesquels, en préparant le décret d'application, le Gouvernement s'aperçoit qu'il doit revenir devant le Parlement pour faire modifier la base législative.

Vous m'avez aussi demandé pourquoi nous ne suivions pas les arrêtés avec la même détermination. Tout simplement pour des raisons de nombre. En moyenne, environ 1 600 décrets et 8 000 arrêtés sont pris chaque année. Le suivi centralisé absolu, alinéa par alinéa, de la publication de chacun des décrets d'application voulus par le Parlement ne peut être appliqué aux arrêtés.

Dans l'émission de décrets, il y a environ 40 % de décrets en Conseil d'État et 60 % de décrets simples. Nous les suivons un à un. Ensuite, chaque ministre est responsable des arrêtés. Le Premier ministre est titulaire du pouvoir réglementaire, il est donc naturel que ses services puissent suivre la sortie de ces décrets. Il en va différemment des arrêtés. Comme vous le savez, au titre du programme budgétaire 129 qui est le programme de coordination du travail gouvernemental, un des indicateurs sur lesquels nous sommes évalués est celui du taux d'application des lois dans le délai de six mois.

Vous m'avez aussi posé une question sur la sanction que le juge peut prononcer en l'absence de publication du décret dans un certain délai.

Il y a effectivement une jurisprudence du Conseil d'État qui, dès lors que le requérant a intérêt à agir, peut le conduire à connaître du refus du Gouvernement d'édicter des mesures d'application de la loi. Le Conseil d'État peut alors ordonner, sous astreinte, l'édiction des décrets. Les cas sont très rares, mais nous en avons eu quelques-uns. Nous travaillons par exemple en ce moment sur la question du reste à charge pour les personnes handicapées, pour lequel le décret n'a pas encore été pris. Un texte est aujourd'hui en cours de discussion au Parlement pour essayer de remédier à cette difficulté.

Dans votre questionnaire, vous m'interrogez sur la pertinence de prévoir un intérêt à agir des parlementaires pour saisir le juge administratif, afin qu'il prononce cette astreinte, contrairement à l'état de la jurisprudence du Conseil d'État. Il nous semble que cette jurisprudence est sage, parce que dans les différends qui peuvent – rarement – exister entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, ce n'est pas au juge administratif de trancher. Savoir si une mesure législative a été votée et si le Gouvernement peut demander au Parlement de la modifier relève d'une logique politique. Mais en tout cas, ce n'est pas au juge administratif d'intervenir car il n'a pas à être l'arbitre d'éventuels différends entre le Parlement et le Gouvernement. Cette jurisprudence nous paraît d'autant plus raisonnable au regard du contrôle politique que vous exercez de manière plus suivie que par le passé, comme cette audition et les tableaux que nous vous adressons le soulignent.

L'autre aspect de vos questions concerne plutôt l'application sur le terrain : tous les textes ayant été pris, comment les réformes entrent-elles en vigueur ?

Je crois que vous vous êtes tournés vers la DITP, puisque c'est davantage elle qui suit ces questions. Le Gouvernement a mis en place des indicateurs relatifs aux Objets de la Vie Quotidienne (OVQ) et des plans de transformation ministériels, afin d'évaluer la perception des Français sur les résultats des réformes qui ont été votées. Il ne s'agit donc plus de savoir si les textes ont été pris ; par définition, s'ils ne l'ont pas été, ils ne produiront aucun effet. Nous partons toujours, en revanche, de l'hypothèse que nous arriverons à les prendre dans des délais brefs pour la quasi-totalité des cas.

Pour faire le lien entre l'application sur le terrain et les textes eux-mêmes, le Gouvernement a décidé, il y a quelques mois, que figureraient dans les études d'impact des projets de loi des indicateurs de résultats. Ces indicateurs sont suivis indépendamment du calendrier des textes réglementaires. Nous l'avons fait pour la loi relative à l'énergie et au climat, par exemple, avec des indicateurs sur la baisse annuelle des émissions de gaz à effet de serre ou sur la baisse de consommation d'énergie. Nous l'avons fait pour d'autres textes depuis, comme le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire ou le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique. Si des projets de loi, comme celui sur la bioéthique, ne s'y prêtent pas, alors aucun indicateur n'est défini. Tout cela pour dire que notre travail se combine avec celui de la DITP.

S'agissant de vos questions sur les études d'impact et le travail que fait le service de la législation et de la qualité du droit au secrétariat général du Gouvernement, nous essayons d'avoir un échange et un dialogue constructif avec les ministères, pour densifier les études d'impact avant qu'elles ne soient déposées afin que le Parlement dispose d'un maximum d'informations.

Vous m'avez interrogé sur les circulaires, pour lesquelles un effort très important a été fourni depuis deux ans. Alors qu'environ 30 000 circulaires applicables figuraient sur le site internet de diffusion des circulaires rattaché aux services du Premier ministre, nous en avons supprimé 20 000, avec l'aide des administrations compétentes. Le stock est passé de 30 000 à 10 000, réduction drastique qui témoigne du fait qu'il y avait sans doute trop de circulaires. Mais il ne s'agit pas simplement de s'attaquer au stock, il faut également s'attaquer au flux pour éviter que le stock ne se reconstitue. 40 % des circulaires étaient relatives à l'organisation et au fonctionnement des services et ne s'adressaient pas au citoyen lui-même. Le Premier ministre a demandé à ses administrations de se recentrer uniquement sur les circulaires d'application des politiques publiques. Pour le reste, il a demandé de revoir les textes qui s'adressaient à la fois aux citoyens et aux administrations, pour éviter que certains d'entre eux puissent donner lieu à des interprétations divergentes. Depuis que nous avons mis en place ce dispositif, nous avons réduit de deux tiers le nombre de circulaires publiées : ainsi, pour la période comprise entre juin et septembre, ce nombre est passé de 425 pour 2018 à 106 cette année. Cet effort doit se poursuivre.

Voilà pour les questions que vous m'aviez posées, Madame la présidente. En résumé, la mobilisation qui a été engagée dans l'administration vise à ce que nous arrivions, pour la publication des textes d'application des lois, à ce que le temps administratif soit réduit le plus possible. Le délai de six mois est en réalité assez bref, dans la mesure où nous ne pouvons pas, aujourd'hui, anticiper la rédaction des projets de décrets, compte tenu de l'évolution des projets ou propositions de loi au gré de leur examen par le Parlement. Sous les douzième et treizième législatures, 34 000 et 31 000 amendements avaient respectivement été adoptés au Parlement ; sous la quatorzième, 58 000 amendements ont été adoptés au Parlement. La quasi-totalité des articles du projet de loi initial sont modifiés au cours de la navette parlementaire. L'administration n'est donc pas en situation d'anticiper le travail réglementaire avant le vote final de la loi. À partir du moment où la loi a été définitivement adoptée, il faut évidemment rédiger les premières versions des décrets, recueillir les arbitrages interministériels nécessaires et procéder aux consultations, même si nous avons un soutien très important du Conseil d'État pour arriver à tenir le délai de six mois dont je vous parlais.

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Simplement une question avant de passer la parole à mes collègues et au rapporteur. Notre souci, c'est bien la concrétisation des mesures prises. Je souhaiterais vous poser une question peut-être plus personnelle. Comment considérez-vous que les parlementaires que nous sommes peuvent agir pour améliorer la concrétisation de la loi ?

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Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement

Le terme « concrétisation » renvoie aux deux aspects dont vous avez parlé. Le premier est de savoir si l'environnement juridique est complet. À ce stade, il n'y a aucune ambiguïté ; le Gouvernement est tenu de prendre les textes d'application des lois. C'est une obligation qui lui est faite et les administrations sont mobilisées pour que cela soit le cas. Si le Gouvernement estime, pour des motifs politiques, que tel ou tel article lui pose une difficulté, il doit revenir devant le Parlement. Nous communiquons aux assemblées et à leurs services la totalité des informations. Je crois que notre dialogue est fructueux.

Votre question renvoie aussi à un deuxième aspect. Une fois qu'une réforme ou qu'un ordonnancement juridique est complet, le citoyen peut-il effectivement recourir au dispositif mis en place ? Comment le fait-il ? Est-ce qu'il en est suffisamment informé ? Est-ce que le dispositif a été porté à sa connaissance ? Il est vrai que c'est une question plus délicate, parce qu'elle renvoie, en fonction de la variété des publics, à des mesures d'ordre divers. De ce point de vue-là, un des efforts engagés actuellement est d'essayer d'aller davantage sur le terrain pour vérifier concrètement si les mesures en cause appellent des corrections ou des ajustements. Je crois qu'effectivement cela fait le lien avec ce dont on parlera tout à l'heure parce que, s'agissant du rôle des préfets ou des échelons déconcentrés, la question est de savoir comment on fait connaître les nouveaux dispositifs au citoyen.

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Et le rôle du parlementaire, dans cette démarche-là ?

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Je pense que c'est une audition centrale pour cette mission d'information, et pas uniquement parce que nous avons tous sur notre table de chevet votre constitution commentée, mais bien parce que votre rôle de secrétaire général du Gouvernement (SGG) est décisif !

Je crois que vous avez bien compris, Monsieur le secrétaire général, que la difficulté et le défi de notre mission d'information sont de réunir ce distinguo que vous avez fait dans votre propos liminaire entre votre travail et celui de la DITP. Au milieu de tout cela, nous essayons de repenser le rôle du parlementaire, comme le suggère la question de Madame la présidente. C'est ce triptyque SGGDITPParlement que nous essayons de mieux comprendre, afin de parvenir à des propositions visant à gagner en efficacité.

In fine, vous l'avez mentionné, ce qui nous importe en tant qu'élus, c'est la bonne compréhension, par les citoyens, de l'application des lois afin qu'ils s'en saisissent et qu'il y ait un consentement à la loi. Il faut qu'il y ait un renforcement du lien entre le Parlement et les citoyens, par le biais d'une meilleure application des lois.

Vous avez déjà dit beaucoup de choses très pertinentes. Je voudrais les compléter, si vous me le permettez, par quelques questions un peu plus précises.

Vous avez mentionné une amélioration des délais de publication des décrets d'application : je voudrais savoir comment vous y êtes parvenu ?

Et puis, naturellement, je voudrais compléter la question de la présidente sur le rôle du parlementaire. Effectivement, depuis la fin du cumul des mandats, nous ne sommes plus députés-maires, mais nous sommes plusieurs à penser que le parlementaire de demain deviendra un « député applicateur de loi » ou au moins « vérificateur de la bonne application de la loi ». D'où la question : Comment peut-on construire une relation de terrain entre l'administration déconcentrée et le parlementaire de façon institutionnalisée ?

Selon vous, est-ce que le parlementaire a un rôle à jouer ? On peut aussi penser que ce n'est pas le rôle du parlementaire d'aller vérifier l'application de la loi sur le terrain. Finalement, est-ce avec vous, à côté de vous, que doit être effectué ce travail ?

Une autre question : le Gouvernement a pris très récemment une décision qui nous semble intéressante, consistant à doter les cabinets ministériels d'un onzième conseiller chargé de la Delivery Unit, comme on dit en bon français. Que pensez-vous de cette initiative ? Est-ce que vous pensez que c'est une façon efficace d'aider la DITP dans le suivi de l'application des réformes ?

Et une dernière question sur cette première série. Une liste comportant une soixantaine d'OVQ a récemment été rendue publique. Quel est votre avis sur le choix de ces OVQ ?

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Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement

Pourquoi l'amélioration des délais d'application ? Parce que nous avons changé la méthode de suivi. Nous avons des tableaux de bord pour la totalité des lois. Nous réunissons les ministères, parfois même entre le vote de la loi et la décision du Conseil constitutionnel, pour commencer à répartir la tâche et nous tenons, en fonction des textes, une réunion toutes les six semaines pour suivre l'avancée du travail. Il y a une mobilisation générale de l'administration. Le temps politique d'un quinquennat est évidemment de nature différente aujourd'hui et dans ces conditions, il est normal que le temps administratif soit réduit pour que les réformes entrent en vigueur plus rapidement.

Il y a un énorme travail qui est fait ; les directeurs d'administration centrale viennent eux-mêmes à chacune de ces réunions, parce qu'ils sont en charge de ces mesures. Dès le vote de la loi, la totalité des acteurs de la chaîne, jusqu'au Conseil d'État, est mobilisée. Je crois que c'est la principale raison.

Sur la vérification de l'application des lois, cela rejoint deux problématiques : une problématique de déconcentration et une problématique d'application.

Depuis un an et demi, nous avons repris, pour tous les ministères, les 1 600 régimes de procédures donnant lieu à des décisions administratives individuelles, ministère par ministère, conformément aux instructions du chef de l'État et du Premier ministre. L'objectif est que la déconcentration des décisions soit maximale et que seules les décisions particulièrement sensibles soient prises par les ministres au niveau central. À la suite de ce travail qui nous amènera à revenir devant vous – certains cas nécessitant des mesures législatives – 99 % des décisions administratives seront prises à l'échelon déconcentré. Cela rejoint le point que vous abordiez, monsieur le rapporteur ; nous avons besoin de vérifier que les mesures d'application prises au niveau déconcentré sont bien conformes au droit. De ce point de vue-là, le travail sur le terrain des ministres et celui des parlementaires, comme relais des préoccupations locales, assurent une remontée des difficultés rencontrées. Je crois que, de ce point de vue-là, les rôles de l'administration et du parlementaire se conjuguent.

Votre troisième question portait sur les objets de la vie quotidienne. La soixantaine d'OVQ qui a été dégagée suit la même logique. Les Français ne s'intéressent guère au fait que 92 % des décrets ont été publiés dans le délai de six mois. Ce qui est important, c'est de savoir si les mesures se traduisent dans les faits, ou s'il y a des difficultés. D'où le lien avec les indicateurs, comme je le disais tout à l'heure, dans les études d'impact des textes. Pour dire les choses simplement : les représentants de deux ministères se rendent chaque mardi matin à Matignon, pour que, avec la DITP, nous fassions un point de l'état d'avancement de chacun des OVQ de manière à identifier les points bloquants, ce qui manque et les solutions pour avancer.

Finalement, ces méthodes sont assez simples : nous bâtissons des tableaux de bord, nous suivons les indicateurs, nous désignons des chefs de projet, nous interrogeons régulièrement les responsables.

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Il y avait aussi une question sur les onzièmes conseillers des cabinets.

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Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement

Vous l'avez bien dit, dans certains cas, les points de blocage peuvent être des différends interministériels, que le cabinet du Premier ministre doit arbitrer.

Il est utile que, dans les ministères, un membre de chaque cabinet soit chargé de discuter avec son homologue des mesures d'exécution à prendre, afin de trouver une solution avant que le cabinet du Premier ministre rende son arbitrage. Cela permet de gagner du temps et participe à la fois du suivi de l'exécution et de la fluidification du dispositif.

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Dans le prolongement de tout ce qui vient d'être dit, je souhaiterais vous poser trois questions.

Dans vos réponses, vous avez beaucoup fait référence au Gouvernement. À chaque fois que l'on évoquait la relation et la tension qu'il peut y avoir entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, par exemple en répondant au rapporteur sur la question du rôle des parlementaires dans le contrôle de l'application de la loi, vous avez précisé « à côté du ministre ». Je voudrais qu'on aille au bout de cette idée. Est-ce que pour vous, lorsqu'un parlementaire s'intéresse au fonctionnement de l'appareil d'État, le ministre concerné est un interlocuteur obligé ? Je vais vous donner un ou deux exemples. Si l'on prend un des outils de la promotion des fruits et légumes qui s'appelle « un fruit à la récré » et qui est cofinancé par la Commission européenne, on sait que la France est incapable d'utiliser la totalité de l'enveloppe qui est prévue pour cette opération. Il y a des problèmes entre le fonctionnement de la filière concernée, l'interprofession, le ministère de l'Éducation nationale et l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer). Soit le parlementaire s'adresse au ministre par un courrier, une question au Gouvernement et le processus est très long parce que le ministre a autre chose à faire et que les membres du cabinet ont d'autres priorités, etc., soit il y va directement, sans passer par le ministre. Dans ce dernier cas, cette mission pourrait décider de mandater deux parlementaires, de la majorité et de l'opposition, pour aller comprendre pourquoi la France est incapable d'utiliser l'enveloppe qui est dédiée à cette opération « un fruit à la récré ».

Quel regard portez-vous là-dessus ? Est-ce que vous pensez que nous pouvons avoir cette autorité directe auprès d'une administration décentralisée ou centrale dans l'application de la loi, au sens général du terme ?

Dans le prolongement de cette question, est-ce que vous pensez que cette mission peut être utile et quels conseils nous donnez-vous ? Vous pouvez nous dire : « Je comprends vos motivations, mais une fois que vous aurez entendu les quelques personnes qui peuvent vous éclairer sur la façon dont l'appareil d'État fonctionne, vous n'avez qu'à mettre fin aux travaux de votre mission, parce qu'en fait, vous n'avez rien de spécial à faire ». Ou est-ce que vous pensez que, d'ici la fin du quinquennat, sachant que c'est une mission qui n'a pas été voulue par le Gouvernement mais par la Conférence des présidents, nous pouvons avoir un rôle direct au contact des services et des administrations ? Quels conseils nous donneriez-vous là-dessus pour que le parlementaire soit utile ?

Dernier point. Au fond, il est question de l'autonomie du Parlement, dans sa maîtrise de la complexité du pouvoir réglementaire. Si nous modifions la Constitution d'ici la fin du quinquennat, que pensez-vous de l'idée de créer un outil d'expertise autonome, rattaché au Parlement, sous la forme d'une agence telle qu'elle était proposée à l'issue des travaux sur une « nouvelle Assemblée nationale » ?

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J'ai une question et peut-être une remarque. Vous êtes revenu à différentes reprises sur le principe de l'obligation de publier les décrets d'application. Je m'étonne : cela veut donc dire qu'en France, toutes les lois ont vu leurs décrets d'application publiés. Ce qui veut dire que, quand certains Français s'étonnent que certaines lois aient été votées mais ne sont pas applicables parce que les décrets d'application ne sont pas publiés, ils se trompent ? Je n'ose le croire, mais si c'était le cas, avez-vous un suivi, un tableau ou un listing reprenant tous les décrets qui n'auraient jamais été publiés pour voir ce qu'on en fait et s'il faut supprimer les lois en question, puisque l'on ne publiera jamais leurs décrets d'application ?

Nous avons un rôle très clair, au contact de la population, de remontées et de descentes d'information. Pour faire écho à une remarque que vous avez faite, semblant dire que les Français ne s'intéressaient pas la publication des décrets, je peux, a contrario, vous assurer que le temps que cela prend et le fait que les décrets soient ou non publiés intéressent fortement les Français. Ils sont de plus en plus éclairés sur la question. , etc. Nous les faisons aussi participer de plus en plus à la construction de la loi en amont et ils s'intéressent vraiment à la façon dont elle s'applique en aval.

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Effectivement, je vais rebondir sur les propos de ma collègue, en illustrant ce qu'elle vient de dire par trois exemples. Le premier est relatif à la loi pour un État au service d'une société de confiance, dite loi ESSOC. Si l'on doit parler des délais, je vous donnerai par exemple celui de l'expérimentation du guichet unique dans les collectivités territoriales. La loi ESSOC a été votée le 10 août 2018 et ce décret est sorti en réalité, près d'un an après. On est loin des six mois dont on parlait initialement. J'aimerais savoir pourquoi alors que, en l'occurrence, il n'y a pas eu de réécriture du texte par le Parlement, pas de négociation particulière à conduire...

Deuxième exemple, la loi pour une République numérique de 2016 est une loi dont j'entends très souvent parler comme l'exemple type de la loi qui n'a pas trouvé ses décrets d'application : que s'est-il passé ?

Et enfin, de manière tout à fait opérationnelle, en tant que commissaire aux finances, tous les ans, j'entends avec un peu de peine que l'intégralité des décrets d'application de la loi de finances ne sont pas pris au mois de juillet, comme en atteste le rapport d'application de la loi fiscale (RALF) de cette année, qui indique que, en réalité, 65 % seulement des 95 dispositions d'application de la loi de finances pour 2019 étaient prises au 30 juin 2019. Là encore, on constate un décalage avec ce que vous nous dites et j'aimerais comprendre pourquoi, d'autant que, s'agissant de la loi de finances, un grand nombre non seulement d'administrations mais surtout d'entreprises et autres associations ou avocats attendent avec impatience ces décrets d'application.

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Ma question va dans le même sens que les deux dernières interventions. Concernant la partie décret, j'ai entendu ce que vous avez dit tout à l'heure, le Gouvernement a obligation d'appliquer la loi parce qu'elle a été votée. Cependant, on se rend compte aujourd'hui, vous l'avez suggéré en évoquant les points de blocage interministériels, qu'un décret d'application peut modifier la volonté du législateur. Actuellement, j'ai des alertes sur un ou deux sujets dans le cadre de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi ELAN. Si les projets de décrets d'application, tels qu'envisagés aujourd'hui par le Gouvernement sortent en l'état, ils vont totalement modifier la philosophie de la loi. Le problème c'est que nous n'avons pas la main mise sur l'application de la loi que nous avons nous-même votée. Comment pouvons-nous donc nous assurer de sa bonne application?

Je rebondirai sur ce que disait tout à l'heure ma collègue Cendra Motin. J'ai eu le cas d'un décret relatif à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) qui aurait dû lui permettre de négocier avec les entreprises sur certains cas litigieux, pour ne pas les sanctionner. Ce décret n'est jamais sorti mais l'URSSAF reste demandeur, parce qu'il y a des situations où elle pourrait modifier ou assouplir les règles en vue d'aider le monde économique. Or, elle ne peut pas le faire, parce que ce décret n'est jamais sorti.

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Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement

Je reviens d'abord sur la question qui a été posée par plusieurs d'entre vous sur les décrets qui ne sont pas sortis. Il est clair qu'à partir du moment où 90 % des décrets sortent dans les six mois, 10 % ne sont pas dans ce cas. Tous les chiffres et tableaux vous sont donnés mensuellement ; je veux bien les regarder avec vous si vous le souhaitez. Dans le cadre de ma dernière audition au Sénat, au printemps dernier, la sénatrice Valérie Létard avait calculé que le délai moyen de publication des décrets était aujourd'hui de 4 mois et 18 jours : ce n'est pas le SGG qui a fait ce calcul !

Mais vous avez raison, il reste des textes qui ne sortent pas dans ce délai. On rencontre deux cas de figure : certains prennent un peu plus de temps à être publiés et d'autres ne le sont pas. Certains prennent du retard, généralement, soit parce qu'il y a des différends interministériels, soit parce que les concertations ont pris plus de temps. Par exemple, aujourd'hui, vous avez raison de le dire, l'application de la loi de finances pour 2019 reste incomplète.

Cela rejoint la question de tout à l'heure : quel est le rôle d'un parlementaire ? Il est tout à fait normal que les parlementaires nous alertent en nous disant : « on ne comprend pas pourquoi tel décret n'est pas sorti ». Nous y sommes attentifs et quand on le signale au Premier ministre, il nous dit : « convoquez une réunion interministérielle et sortons le décret ». Au Sénat, on m'avait signalé un décret sur les caméras-piétons pour les pompiers qui n'était pas publié. Je me suis tourné vers le ministère de l'Intérieur, nous avons tenu deux réunions, nous avons saisi le Conseil d'État et en trois mois, le décret était en vigueur.

Il faut tout de même avoir conscience que la situation est sans commune mesure par rapport à ce qui se passait il y a dix ans. Quand le Parlement a voté la loi de simplification du droit de 2004 et notamment son article 60, il demandait que l'on fasse le point au bout de six mois. Il y a un amendement qui avait été adopté à l'Assemblée, qui prévoyait la publication d'un deuxième rapport au bout d'un an si le nombre de décrets non pris était supérieur à 33 %. À l'époque, il arrivait donc que, au bout d'un an, il restait plus de 33 % des décrets à prendre. Aujourd'hui, au bout de six mois, il reste seulement 10 % de décrets à prendre. C'est encore trop ; il faut qu'on travaille à réduire au maximum ce taux.

Le problème de l'application des lois est en très grande partie, non pas derrière nous, parce que nous devons y veiller tous les jours, mais traité. Il est tout à fait normal que, si vous voyez tel ou tel décret qui n'a pas été pris, vous puissiez nous le signaler.

Ensuite, je m'excuse si j'ai été imprécis, mais bien entendu, les Français sont très attentifs à la sortie des textes dans des délais rapides. Encore une fois, c'est une priorité absolue pour le Président de la République et le Premier ministre et tous les six mois, en Conseil des ministres, il y a une communication du secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement pour faire le point, ministère par ministère et loi par loi, sur les résultats.

Il y a deux autres aspects dont je souhaiterais parler, dont un relatif à la complexité de l'ordonnancement juridique. Vous observez à juste titre qu‘il est complexe. Le volume des lois est devenu aujourd'hui très important. Plusieurs lois ont été votées, pour lesquelles plus de 100 mesures d'application sont à prendre. Quand la loi compte 150 ou 200 articles, in fine, nous avons 150 mesures réglementaires d'application à prendre, dont aucune n'a pu être rédigée avant le vote de la loi. Il est nécessaire de légiférer et de prendre des textes d'application mais il faut veiller à ne pas ajouter de manière excessive de la norme à la norme. J'en reviens à votre question initiale : savoir si elles entrent en vigueur dans les faits, pour les Français, est sûrement le plus important.

L'administration est placée sous l'autorité des ministres donc il tout à fait normal que les parlementaires s'adressent au ministre, mais il est tout à fait normal aussi que dans le cadre des missions qui sont les vôtres, notamment votre mission de contrôle, vous alliez sur le terrain. Chaque administration sait que c'est le rôle du Parlement. Le fait d'ailleurs que loi par loi, les parlementaires, notamment les rapporteurs, puissent être en contact avec le ministère pour en suivre l'application paraît normal. Cette relation entre les parlementaires et le ministre peut aller au-delà de la question de la sortie des décrets.

Tout cela pour dire que je crois qu'on a une conviction commune : l'importance de la prise rapide des décrets d'application et la nécessité de veiller à ce que la loi soit mise en oeuvre sur le terrain, pour que l'ensemble des Français puissent bénéficier de ses effets.

Le respect du souhait du législateur est la première question que se pose le Conseil d'État chaque fois qu'il examine un projet de décret. Dans 98 % des cas, la version finale du décret n'est pas celle que nous avons soumise au Conseil d'État, parce que celui-ci nous dit : « vous n'avez pas tout à fait respecté les termes de la loi, il va falloir réécrire tel article de telle manière ». Nous ne prenons jamais le risque contentieux de publier une version d'un décret qui solliciterait une interprétation trop audacieuse des termes de la loi, a fortiori si le Conseil d'État nous a mis en garde. Les administrateurs du Parlement qui font une mobilité au Conseil d'État peuvent témoigner du fait qu'il s'agit du travail principal de cette juridiction, indépendamment de la rédaction et de la bonne conception juridique du texte. La volonté du législateur est respectée.

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J'ai, monsieur le secrétaire général du Gouvernement, le sentiment que certains amendements sont plus ou moins acceptés et appréciés par l'administration. C'est ainsi : nous l'avons vécu par exemple dans le cadre de la mission de suivi de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron ». La difficulté – je dirais presque le combat –que nous avons dû surmonter face à des décrets contra legem préparés à ce moment-là par la Chancellerie, sur des questions assez sensibles, est bien connue. Je crois qu'il faut que nous ayons une parole transparente et franche. Je constate que, quelquefois, effectivement, il y a de réelles difficultés pour l'administration, à suivre les recommandations du législateur. C'est là où il me semble que nous devrions pouvoir travailler davantage ensemble et non pas rester chacun dans des camps opposés. Or, quand il y a une difficulté qui surgit, on est confronté, me semble-t-il, au repli d'une administration qui est en position de force face à un parlementaire qui se trouve impuissant. C'est une réalité que j'ai personnellement observée, il y a deux ans.

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Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement

Je tiens à souligner que le taux d'application des projets de lois et des propositions de lois est exactement similaire. L'administration, sous l'autorité des ministres, est mobilisée de la même manière qu'il s'agisse des décrets d'application des mesures qui résultent d'un projet ou d'une proposition et au sein de ces textes, des mesures qui proviennent du texte initial ou des amendements. Quand nous balayons la totalité des mesures d'application, plus personne ne va se souvenir d'où vient telle disposition ou telle autre. Le fait qu'il reste certains décrets d'application qui ne soient pas pris dans le délai est un autre sujet et nous devons veiller à ce que cela se produise le moins possible.

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Madame la présidente, je suis d'accord avec ce que vous venez de dire sur le rôle du parlementaire sur le terrain, vis-à-vis des administrations. Monsieur le Secrétaire général, vous dites que c'est dans la nature des choses et qu'effectivement il est normal que les parlementaires aillent contrôler les administrations. C'est très juste sur le papier, mais on se rend compte, dans les faits, que c'est bien plus complexe. Les contrôles sur pièces et sur place ne sont pas toujours aussi faciles qu'ils devraient l'être et même pour des rapporteurs spéciaux de la commission des finances, on se rend compte que, parfois, l'accès à l'information n'est pas effectif. C'est une vraie difficulté et nous devrions commencer par là si nous voulons rapprocher le rôle du parlementaire de l'administration, pour la bonne application des lois ou l'évaluation ex post. Ce sont deux sujets différents mais qui posent ce même problème.

Je reviens sur le terrain : peut-être que M. Kupfer pourra répondre. Je crois qu'il faut s'interroger sur le rôle des administrations déconcentrées dans la bonne application des lois. J'aimerais savoir quelles sont les difficultés qu'elles peuvent rencontrer. Est-ce qu'il y a des difficultés par rapport à des territoires donnés, qui font que la loi ne s'applique pas aussi bien partout ? Si oui, pourquoi ? En tant qu'élus de territoire, cela nous intéresse. De façon précise, que se passe-t-il quand il y a une difficulté de mise en application d'une loi ? Cela remonte à l'administration centrale via les secrétariats généraux et redescend ensuite dans les administrations déconcentrées ? Comment, dans les faits, arrivez-vous à surmonter les blocages entre l'administration centrale, le SGG et l'administration déconcentrée ?

Une autre question d'actualité. Le 12 juin dernier, il y a eu une circulaire du Premier ministre concernant la mise en oeuvre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État, le SGG ayant été missionné sur ce sujet. Dans cette circulaire, il était prévu que les préfets de région devaient remettre, avant le 31 octobre, des propositions d'organisation territoriale. Nous ne sommes pas loin du 31 octobre. Est-ce qu'en avant-première, vous pouvez nous révéler le contenu des principales propositions formulées par les préfets de région ?

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Claude Kupfer, coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés de l'État

Je commencerai par répondre à la seconde question que vous m'avez posée, en lien avec la réforme de l'organisation territoriale de l'État. Effectivement, les préfets ont jusqu'au 31 octobre pour nous adresser leurs contributions. Je ne suis pas en mesure de vous dire aujourd'hui ce que contiendront les réponses des préfets. Il s'en suivra une analyse de l'ensemble de ces propositions et un examen en lien avec les ministères. Il est prévu également que la Conférence nationale pour l'administration territoriale de l'État examine les sujets qui seront portés à sa connaissance et qu'ensuite le Gouvernement arrête les décisions sur la base des propositions des préfets de région.

Pour répondre à votre première question, je crois que les relations entre les services déconcentrés et l'administration centrale sont à la fois nombreuses et régulières. Les ministères réunissent fréquemment les chefs des services déconcentrés. Les ministres le font aussi parfois directement. C'est l'occasion, pour les responsables des services déconcentrés, d'appréhender la manière dont ils doivent exécuter les instructions gouvernementales et l'application des lois. C'est aussi le moment, le cas échéant, de faire remonter les difficultés qu'ils peuvent rencontrer, lesquelles peuvent être de nature différente.

Il n'y a pas à proprement parler un canal privilégié. Souvent, ces réunions sont animées par les secrétaires généraux des ministères eux-mêmes, mais avec la participation des directeurs d'administrations centrales qui sont en charge de l'élaboration et de la conduite des politiques publiques en cause.

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Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement

Pour faire le lien avec votre question sur les difficultés territoriales dans l'application de la norme, cela renvoie à la question de la différenciation. Est-il possible ou pas, d'envisager qu'une même norme ne soit pas appliquée de la même manière sur la totalité du territoire ? Plusieurs éléments de réponse à ce point. Nous avons pris deux décrets, en date du 29 décembre 2017, qui ouvraient l'expérimentation territoriale d'un droit de dérogation, l'un aux préfets, l'autre aux directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS), dans un certain nombre de matières et de territoires (parmi lesquels la Bourgogne-Franche-Comté et les Pays de la Loire). Nous sommes en train, avec les deux ministères, de faire un point sur ces dispositifs qui se sont avérés utiles et pour lesquels le Premier ministre envisage étape supplémentaire pour l'année prochaine, à la fois sur les matières et les territoires géographiques pour lesquels l'expérimentation sera rendue possible.

Deuxièmement, dans le projet de révision constitutionnelle, une disposition sur la différenciation a été insérée, qui vise à permettre, à l'avenir, de tenir davantage compte des spécificités locales. Aujourd'hui, le principe d'égalité nous interdt que la loi puisse opérer des différenciations contraires à la Constitution.

Le Conseil d'État, dans une étude récente sur l'expérimentation, dégageait une autre piste, à Constitution inchangée, qui serait celle d'étendre, par une révision de la loi organique d'application de la révision constitutionnelle de 2003, le champ des expérimentations à la disposition des collectivités territoriales. On voit bien qu'il y a un mouvement de réflexion autour de ces questions pour essayer de trouver des pistes nouvelles pour répondre aux préoccupations qui sont les vôtres.

Enfin, comme je le disais tout à l'heure, la ligne de force absolue doit être de faire en sorte que les décisions soient prises au plus proche des gens. Il est justifié que certains types de décisions, qui nécessitent des expertises techniques très poussées ou des décisions très politiques, soient pris par les ministres à Paris. Pour le reste, nous devons faire des efforts, qui vont se traduire par des séries de décrets de déconcentration de décisions, dans les semaines et mois à venir, pour être au plus proches du terrain.

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J'ai beaucoup d'admiration pour le travail du corps préfectoral. J'ai toujours entretenu d'excellentes relations, sur le terrain, avec les préfets, quelle que soit leur appartenance politique, et je tiens à dire que c'est un corps qui fait honneur à la République.

Vous dites qu'il y a des relations tout à fait régulières et faciles entre l'administration centrale et les administrations déconcentrées. Je voulais vous livrer un autre sentiment. Je pense que l'administration déconcentrée est en difficulté pour faire remonter l'exacte appréciation par les citoyens d'une mesure législative qui a été prise. Le parlementaire, grâce au travail de terrain effectué dans les permanences, a des éléments tout à fait pertinents à faire remonter. Il me semble qu'un des objectifs de la mission est précisément de provoquer une sorte d'émulsion au niveau du territoire avec les administrations déconcentrées, mais aussi avec vous et les ministres pour que ce ressenti des citoyens puisse arriver au plus haut niveau.

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Je vais rejoindre votre interrogation. J'essaie de comprendre la mécanique. Il me semble que les décrets peuvent contenir des dispositions inapplicables sur le terrain. Comment est-ce pris en compte à votre niveau ? Est-ce qu'il y a des remontées de terrain qui conduisent à un échange, voire à une modification de décret, lorsque l'on se heurte à des difficultés d'application ? Comment cela se passe-t-il ?

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Je voudrais vous faire part d'une expérience personnelle sur laquelle j'aimerais avoir votre opinion. Je fais régulièrement des immersions et j'en ai fait une au régime social des indépendants (RSI), pour savoir comment se passait la transition, au niveau du personnel, entre la sécurité sociale des indépendants (SSI) et les trois organismes vers lesquels le personnel va être transféré.

Lorsque je fais une immersion de trois jours, je pose des questions au personnel ou aux agents sur l'utilité de certains décrets afin de savoir si la loi, d'une certaine manière, peut les déranger dans leur fonctionnement quotidien. C'est une première phase, pendant laquelle, je vous le dis clairement, les gens sont parfois terrorisés par mes questions. Ils ouvrent les parapluies qui sont grands comme des parasols, en me disant : « tout va bien, tout va bien, madame la députée », alors que je ne peux pas croire un instant, en parlant du RSI, de Pôle emploi ou de l'URSSAF, que tout est merveilleux. C'est une première problématique sur laquelle je voudrais avoir votre avis.

Deuxième problématique, qui, à mon avis, est bien pire. J'avance dans mon enquête et je me rends compte qu'il y a un certain nombre de soucis sur le transfert des personnels. Je ne rentre pas dans les détails. Il se trouve que je rencontre les syndicats et je leur dis : « je vais poser des questions au ministère et je reviendrai ». Six semaines plus tard, je reviens au RSI pour voir si les choses se sont améliorées. Et là, c'est un grand moment ! Le directeur de la SSI locale, me dit : « mon supérieur hiérarchique m'a convoqué à Paris pour que je ne puisse pas vous voir. Ils m'ont dit, texto, ″ Vignon vient, tu ne la reçois pas ″ ». Il a eu l'intelligence de me le dire. Comme il sait que j'ai un caractère assez fort, il lui a répondu : « de toute façon, tu peux m'inviter à Paris, si elle a décidé de venir, elle viendra ». Et j'y suis allée. J'en ai informé le ministère et je leur ai dit : « je suis députée, je viens m'informer, je veux faire remonter au Gouvernement un certain nombre de dysfonctionnements et on tente de m'en empêcher ou on me dit qu'il ne faut pas que le député vienne sur place ».

Donc, messieurs, j'ai besoin de votre retour là-dessus, parce que cela ne me semble pas admissible.

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Une question assez pragmatique. Dans le cas de travaux que je mène notamment sur le travail dominical, je découvre qu'il y a un certain nombre de décrets un peu partout en France qui datent d'il y a parfois 15, 20 ou 30 ans, que les nouveaux préfets ignorent. Est-ce qu'il y a une sorte de cahier où l'on note ce qui a été fait ? Est-ce qu'il y a un toilettage qui est fait régulièrement ? Est-ce qu'il y a une mise à jour ? Parce que quand je pose la question, parfois on découvre qu'un texte a été pris en telle année mais qu'on l'avait oublié.

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Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement

La première question, monsieur le député, portait sur les modifications des décrets. J'aurais peut-être dû en parler plus tôt, mais une fois qu'on a publié les textes et qu'on les applique, les remontées de terrain qui sont les vôtres, comme les difficultés qui nous sont signalées par les uns et les autres doivent conduire à modifier les textes s'ils s'avèrent défectueux ou s'appliquent de manière imparfaite. Avec l'appui notamment des inspections des ministères, on vérifie si la difficulté est propre à la façon dont cela a été appliqué à tel endroit ou si c'est une difficulté plus substantielle qui est due à la façon dont nous avons rédigé le texte.

Vous avez raison de dire que c'est le troisième temps logique de nos échanges. Il faut qu'on sorte les décrets dans des délais rapides, qu'on les applique concrètement et qu'on les modifie, si le deuxième temps a montré qu'il y avait des imperfections. Vous voyez bien que c'est compliqué : on trouve déjà qu'il y a trop de normes ; si on les modifie souvent, on s'expose à la critique de l'instabilité de la règle. Mais néanmoins, si elles n'ont pas été bien faites, il faut les corriger.

Madame la députée, je ne peux que dire qu'il n'est pas normal que vous ayez été mal reçue dans diverses administrations. Les habitudes sont en train de changer et il faut que les comportements évoluent. Pour prendre un autre exemple, un effort très important est opéré en ce moment pour que les fonctionnaires des directions d'administration centrale aillent davantage sur le terrain vérifier si l'application des textes qu'ils ont rédigés est bonne, même si cela représente une charge de travail supplémentaire pour eux, qui sont déjà très occupés. Nos autorités politiques sont parties de l'idée que cela allait aider à améliorer à la fois l'application et le contact avec les Français. Il y a sûrement une modification des comportements qui est en cours de part et d'autre.

Je suis plus gêné par votre question, monsieur le député, parce que normalement la prise des décrets est la prérogative du seul Premier ministre. Il est la seule personne titulaire du pouvoir réglementaire. S'il y a des hauts fonctionnaires, notamment des préfets, qui ignorent les décrets, cela prouve que nous aurions peut-être dû les codifier. De ce point de vue-là, le travail de codification est toujours utile parce qu'il permet de retrouver la totalité des textes relatifs à une matière, dans le code afférent. Quoi qu'il en soit, il n'est pas normal que tel ou tel texte ait pu être oublié. Cela peut être un égarement local mais normalement, la publication au Journal officiel, la codification puis le suivi des textes par l'administration compétente, doivent y remédier. Nous poursuivons le travail de codification. Vous allez par exemple voir arriver une refonte du droit de la copropriété qui est un droit important. Nous avons aussi préparé une réforme du code de la justice pénale des mineurs, qui passe par la publication d'une trentaine de décrets.

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Monsieur le Secrétaire général, que pensez-vous des questions écrites ? Pour un député d'opposition comme moi, les chances de faire adopter un amendement sont assez faibles. Par conséquent, les questions écrites permettent de répondre à des préoccupations tout à fait légitimes des électeurs. La question écrite constitue une façon de dire à la personne, l'organisation ou l'entreprise qui m'a saisi : « votre problème est un vrai problème et je lui consacre une question écrite ». La réponse n'intervient pas avant plusieurs mois, mais elle finit par arriver. Lorsque j'ai la curiosité de la lire, ce qui n'est pas toujours le cas, je trouve qu'elle est bien rédigée. Est-ce que c'est un moyen de faire bouger l'administration, et dans certains cas, d'appeler son attention sur des dysfonctionnements ?

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S'agissant de la loi ESSOC, bien que les décrets aient été pris, on constate que les changements prescrits n'arrivent pas sur le terrain. Quelle explication pouvez-vous donner à cela ? On voit bien, par exemple au centre des impôts, que les agents ne sont pas toujours au courant des décrets. Ils ont pu en avoir connaissance globalement, parce qu'ils suivent l'actualité, en particulier celle qui les concerne. Mais quant aux décrets d'application, j'aimerais savoir comment ils sont réellement diffusés dans les administrations et si vous suivez cela ?

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Je voudrais juste insister sur ce que vient de dire Mme Motin sur la loi ESSOC. On savait en la votant, que c'était une forme de pari, celui de parvenir à changer la culture administrative, en faveur d'une société de confiance, c'est-à-dire à privilégier le conseil par rapport au contrôle ; vous connaissez le texte aussi bien que moi. Force est de constater que cette loi est très difficile à mettre en oeuvre jusqu'aux agents de guichet.

Que peut-on faire pour changer cette culture administrative ? Est-ce qu'il faut modifier la loi ? Est-ce qu'il faut que les parlementaires multiplient les contrôles sur pièces et sur place ? Avez-vous un retour d'expérience sur cette loi en particulier, que je trouve très représentative des difficultés d'application que l'on peut rencontrer ?

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Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement

Pour répondre à la question de monsieur le député sur les questions écrites, nous avons reçu 36 771 questions écrites posées par les parlementaires et nous avons répondu à 26 898 de ces questions. La très grande majorité vient de l'Assemblée nationale. Un ministère comme celui de l'Agriculture a reçu 2 676 questions et a répondu à 2 428, soit à 91 %.

Votre question, monsieur le député, était de savoir si c'était utile. Nous n'avons pas à nous interroger sur l'utilité ou l'opportunité de la question ; nous devons y répondre. Et c'est un travail tout à fait considérable pour l'administration de répondre à 36 771 questions écrites. Je crois que des grands progrès ont été faits dans les relations entre le Gouvernement et le Parlement sur ce sujet, puisqu'on a à la fois dégagé des questions qui sont signalées, et auxquelles nous sommes tenus de répondre plus vite, et essayé de maîtriser le flux général.

L'autre question est une question qui me touche beaucoup : nous sommes devenus fonctionnaires et avons décidé de dédier notre vie professionnelle à l'idéal du service public, parce que nous voulions nous mettre au service de ce que la représentation nationale et l'exécutif décident pour que les Français puissent vivre heureux.

La question que vous posez n'est pas une question normative. Il s'agit de savoir si on arrive, dans les mêmes délais, à suffisamment former les agents, à leur donner les outils pour que tout cela fonctionne bien. Pour prendre l'exemple qui était le vôtre, il est sûr que l'administration des impôts fonctionne bien dans notre pays comme en atteste, de manière exemplaire, la réussite de mise en place de l'impôt à la source. Vous reprochez aux agents de cette même administration de ne pas s'être appropriés au même degré la loi ESSOC, pour arriver à la mettre en oeuvre. Des efforts colossaux ont été consentis pour arriver à appliquer l'impôt à la source dans les temps ; les mêmes efforts doivent accompagner toutes les réformes. Cela nécessite une mobilisation des équipes de fonctionnaires, de la formation, des outils pratiques, mais il est tout à fait fondamental pour nous que les Français gardent confiance dans leur administration, dont la qualité est l'une des caractéristiques de notre pays. La place de l'État et de son administration est constitutive de la France depuis toujours. Cela nous renvoie à la façon dont nous devons démultiplier notre action pour qu'au plus proche du terrain, les citoyens voient les effets des lois votées. C'est pour nous un enjeu fondamental.

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Je pense que la France a vraiment besoin de vous et de nous. Je crois que ce qu'exprime vraiment cette mission, c'est ce besoin d'être extrêmement complémentaires sur les questions qui nous préoccupent.

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Je voudrais revenir sur l'esprit de cette audition et de cette mission.

Comme le disaient le rapporteur et la présidente dans leurs mots introductifs, votre position est essentielle. Vos prérogatives sont telles que, pour nous, il est évidemment central de comprendre comment vous travaillez. J'ai le sentiment, après cette heure passée ensemble, que, pour vous, tout va pour le mieux. Pardonnez-moi, je vous parle franchement. Mme Vignon donnait un exemple des réactions à nos visites dans les administrations, où on nous dit, contre l'évidence, que tout va bien : cela traduit un climat de méfiance. J'ai régulièrement le sentiment que le parlementaire est pris a priori pour un emmerdeur potentiel, ou même actuel ! Est-ce qu'on peut essayer de sortir de cette situation ?

Vous soulignez à très juste titre que nous sur-légiférions – quand je dis « nous », c'est de manière très générale, et cela inclut nos prédécesseurs –, ce qui est passablement préoccupant. Je suis néo-député, j'ai peu d'expérience mais je pense que nous sur-légiférons d'autant plus que nous avons peu de pouvoir de contrôle.

Nous sommes dans cette relation de méfiance avec l'appareil d'État. Il faudrait qu'on arrive à se parler franchement pour être vraiment complémentaires. Je vais vous donner un exemple de plus, sur l'application du droit de la concurrence au secteur agricole. Je connais bien cet enjeu, j'ai ferraillé avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) au moment de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi EGALIM. Les échos qui me reviennent maintenant, c'est que l'esprit de la loi n'est pas respecté. En vertu du droit communautaire de la concurrence, les objectifs de la politique agricole commune (PAC) prévalent sur l'application des règles de la concurrence au secteur agricole. Nous avons demandé aux interprofessions de bâtir des indicateurs pour que les négociations se fassent à partir de la production, sur la base du coût de revient. Il n'y a aucune interprofession aujourd'hui qui n'a pas peur de le faire et qui ne se dit pas : « je vais me faire retoquer ». J'ai vérifié au contact direct de la DGCCRF qu'en fait on ne se comprend pas, que nous n'avons pas la même interprétation du droit communautaire.

Comment est-ce qu'on peut dépasser ça ? Nous, nous avons besoin de vous, du SGG, de la haute administration, nous ne doutons pas de ce qui est l'esprit de la fonction publique en France. Elle rayonne dans le monde et nous en sommes tous fiers. Vous, vous avez besoin de nous, parce que nous sommes 577 et que c'est un pouvoir d'audit potentiellement considérable, qui va beaucoup plus loin que celui des membres du Gouvernement. Excusez-moi de faire cette comparaison, mais je le pense vraiment. Je renouvelle ma question : quels conseils nous donnez-vous pour que cette mission soit vraiment utile et comment pouvons-nous travailler dans la complémentarité, pour que, d'ici la fin du quinquennat, on ait augmenté la capacité des parlementaires à accompagner l'appareil d'État dans l'application de la loi ?

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Je vais revenir sur les sous-préfectures. C'est vrai que quand on parle de concrétisation, au plus près de nos concitoyens, l'un des visages de l'État, en tout cas dans les territoires, ce sont d'abord les sous-préfets et les sous-préfectures, qui ont été, à mon avis, passablement délaissés dans la réforme de l'organisation de l'État et qui ont pâti de la décentralisation au cours des vingt dernières années. On remarque, dans les crises que nous traversons régulièrement, qu'un certain nombre d'oppositions vont manifester devant la sous-préfecture. C'est peut-être une réminiscence d'une pratique très ancienne, mais il ne faut pas négliger le rôle des sous-préfectures dans l'organisation et dans la modernisation de l'État.

Il y a trois obstacles à la concrétisation des lois. Le premier, c'est l'absence de décrets d'application, dont nous avons beaucoup parlé. Le deuxième, c'est la complexité dans la mise en oeuvre, parce que c'est interministériel, parce que c'est dans des départements et des régions différentes, et le troisième, c'est l'inertie administrative. Nous pouvons facilement partager ce constat avec les sous-préfets, car c'est avec eux que l'on peut avoir une relation directe, dépourvue de méfiance, parce qu'on les croise dans des réunions informelles dans nos circonscriptions.

Ma question est assez simple. Dans le cadre de la différenciation, de la déconcentration et de la concrétisation des textes de loi, quelle place voyez-vous pour les sous-préfectures ?

Nous avons aussi connu un mouvement de centralisation ou de régionalisation au niveau des préfectures de région, qui fait que dans des régions comme la mienne par exemple, la Bretagne, beaucoup de sujets remontent maintenant au niveau du préfet de région. Dans des régions de très grande taille, cela devient très compliqué. Il y aura donc peut-être aussi une réflexion à avoir sur la déconcentration au sein des régions.

Comment voyez-vous les choses ?

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Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement

S'agissant de votre question sur le lien de confiance, pour parler du secrétariat général du Gouvernement, avant de parler du reste de l'administration, nous avons pris une mesure simple, nous mettons 100 % de nos documents à votre disposition. Tout ce que nous faisons, nous vous le donnons et nous le rendons public. 100 % de notre travail, 100 % de nos tableaux de bord, 100 % de notre suivi sur le travail que nous faisons est mis sur Internet et nous vous le communiquons. Nous sommes partis de l'idée que le lien de confiance doit d'abord se bâtir sur le partage de l'information. Pour dire les choses simplement, je crois que cela produit des effets, parce que quand nous nous voyons, nous ne parlons plus de ça, en réalité. On peut parler de tel ou tel accident de parcours, et je reviendrai vers vous après au sujet de tel décret qui n'avance pas, qui vous préoccupe, pour qu'on regarde où est le problème. Mais ce partage de l'information est la base d'un climat de confiance.

Ensuite, le deuxième aspect, c'est sûrement de se connaître. C'est vrai au niveau central, mais c'est vrai aussi au niveau local. Peut-être que ce que disait Madame la présidente sur la confiance dans les préfets est lié au fait que le lien entre le préfet et l'élu est plus naturel qu'avec d'autres directeurs départementaux ou régionaux. De ce point de vue aussi, nous devons évoluer, parce que ce n'était pas dans la culture de l'administration française. Cela renvoie à la question de monsieur le rapporteur tout à l'heure sur la formation, etc. Il est plus difficile de changer la culture que de changer un décret, c'est sûr.

Je crois que c'est un travail qui doit se faire loi par loi, et près du terrain. La sortie, l'exécution et la bonne compréhension des mesures sont suivies. J'ai l'impression que les choses sont en train de changer. J'ai été directeur de deux ministères pendant douze ans, et j'observe que nous connaissons une évolution assez sensible des pratiques, et je ne doute pas qu'elle se poursuive. Quand le Président de la République a indiqué qu'il souhaitait que les parlementaires puissent être davantage présents sur cette fonction de contrôle auprès des ministères, au bout du délai de six mois, pour s'assurer que les réformes avancent, je crois que c'en est une traduction.

Je vais laisser Claude Kupfer répondre sur les sous-préfets mais je voulais juste dire un mot sur la région et le département : la déconcentration que nous devons opérer ne doit pas conduire à recréer en quelque sorte un deuxième niveau d'administration lointain, au niveau de la région. Nous devons trouver un juste milieu entre la mutualisation de nos moyens – parce que nous n'avons pas des compétences techniques qui peuvent se démultiplier dans certains métiers – et la proximité qui fait que les décisions doivent se prendre au niveau des départements. Le Président de la République et le Premier ministre ont bien dit dans les travaux récents que dans la réorganisation des ministères, l'effort principal des plans de transformation ministériels devait se situer au niveau des administrations centrales, puis au niveau des administrations régionales, et que le niveau départemental devait être préservé.

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Il y a un mouvement que l'on peut voir dans certaines régions : en même temps qu'il y a une centralisation au niveau des régions, qui ont pris de plus en plus de compétences au département, il peut y avoir une tendance – je ne veux pas faire de procès d'intention – à passer des accords entre les préfets de région et les présidents de région, au détriment des préfets de départements, des sous-préfectures.

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Claude Kupfer, coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés de l'État

Le Premier ministre, dans son instruction du 12 juin 2019 à laquelle il a été fait référence tout à l'heure, a bien indiqué que, dans la répartition des effectifs, priorité devait être donnée à l'échelon départemental. Il est même allé un peu plus loin, en disant que lorsque des gains d'efficience seront opérés à la faveur des mutualisations engagées, ces gains reviendront pour partie à l'échelon départemental, notamment pour des questions touchant à ce que l'on appelle l'ingénierie territoriale. C'est vraiment l'échelon de proximité qui est privilégié.

S'agissant des sous-préfectures, c'est une question qui intéresse le ministère de l'Intérieur mais la cartographie des sous-préfectures n'est naturellement pas affectée par les décisions qui ont été prises. À travers les décisions du Premier ministre, nous voyons bien qu'il y a un effort tendant à rendre un service au plus près des citoyens. C'est vrai en particulier avec la création des maisons France Service, y compris au plan immobilier, dans laquelle les sous-préfectures et les sous-préfets joueront naturellement un rôle éminent.

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Deux dernières questions. La première est un retour d'expérience. Nous avons découvert avec notre ancienne collègue Amélie de Montchalin, l'an dernier, qu'une disposition votée à l'Assemblée nationale, avait été inscrite au Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFIP) puis écrasée ensuite, probablement pour des raisons d'impossibilité de mise en application. Cela a été découvert complètement par hasard : la disposition avait disparu. J'aimerais bien savoir comment cela peut arriver ! Je veux bien que ce soit une manière assez efficace de réduire la norme, mais ce n'est pas acceptable.

Dernier petit point annexe. Au Parlement, nous votons, hélas, beaucoup de demandes de rapports au gouvernement. J'aimerais savoir s'il y a un décompte des rapports demandés et des rapports réalisés et, si c'est le cas, où on peut le trouver.

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Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement

Sur le premier point, il n'y a aucun doute, une disposition législative ne peut être abrogée que par le Parlement. Je suis prêt à regarder avec vous ce dont vous parlez, il n'y a aucun doute sur ce point. L'administration des finances a un BOFIP dans lequel il y a souvent beaucoup d'informations, c'est vrai, mais elle ne peut pas décider l'abrogation d'une loi, c'est impossible.

Sur le nombre de dépôts de rapports, nous vous communiquerons tous ces chiffres. Le taux est moins bon que celui de l'application des lois. Nous avons un taux de dépôt des rapports qui est de 56 %. Je n'ai pas le chiffre exact du nombre de rapports demandés. Ils sont sûrement utiles mais ils représentent un travail important pour les administrations et il est clair que la priorité est d'abord de publier les décrets d'application des lois.

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J'ai une proposition : c'est qu'un amendement sollicitant le rapport ne compte pas comme un amendement adopté ! On constate que l'on a beaucoup de demandes de rapports qui permettent finalement à certains députés de faire adopter un amendement, ce qu'ils n'auraient jamais pu obtenir pour un amendement visant un autre objectif.

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Juste un point technique. Quand le rapport est remis, est-ce que le parlementaire à l'origine de la demande en est informé directement ? Parce que souvent, nous n'avons pas de retour direct…

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Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement

À nos yeux, cette question est une question interne au Parlement. La loi nous fait l'obligation de déposer un rapport au Parlement. Pour tout vous dire, je ne connais pas le circuit interne qui conduit ensuite à la distribution de celui-ci.

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Les présidents de Commission sont informés, me dit-on, mais ne répercutent pas toujours l'information à leurs collègues.

La séance est levée à 19 heures 30.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Hervé Berville, M. Frédéric Descrozaille, Mme Paula Forteza, M. Fabien Gouttefarde, Mme Olivia Gregoire, M. Michel Lauzzana, Mme Cendra Motin, M. Laurent Saint-Martin, M. Buon Tan, M. Vincent Thiébaut, Mme Cécile Untermaier, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Charles de la Verpillière, Mme Corinne Vignon

Excusés. - M. Jean-Noël Barrot, M. Yves Daniel, M. Claude Goasguen