La réunion débute à 21 heures 35.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission auditionne M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
L'état d'urgence sanitaire, prévu par la loi du 23 mars 2020, a pris fin le 11 juillet dernier sur l'ensemble du territoire national, hormis en Guyane et à Mayotte. Prenant en compte le risque d'une résurgence de la pandémie, la loi du 9 juillet 2020 a institué un régime transitoire dotant les pouvoirs publics des instruments juridiques nécessaires pour réagir au plus vite si les faits devaient l'exiger.
Le Gouvernement considère que la situation actuelle justifie une prorogation de ce régime transitoire. Vous êtes ici, monsieur le ministre de la santé, pour en expliquer les raisons.
Après votre intervention, les députés présents vous poseront des questions d'environ deux minutes. Compte tenu de l'heure tardive de cette réunion, j'ai décidé de reporter à demain matin la discussion générale sur le projet de loi, discussion générale au cours de laquelle les orateurs des groupes politiques disposeront, chacun, de cinq minutes.
C'est la première fois que je m'exprime devant la commission des Lois. Que cette audition ait dû être différée à ce soir n'enlève rien à ma fierté et mon plaisir d'être avec vous.
Dans la crise sanitaire, nous sommes à la croisée des chemins. Cette expression correspond à la situation d'un pays qui a été confronté à une première vague épidémique d'une violence inouïe et qui a tout fait pour éviter une réplique.
Il y a eu lors de la première vague, je le reconnais sans difficulté, un effet de surprise qui a mis en tension notre système de santé. Chacun a en tête les images de nos services de réanimation, des transferts sanitaires et des soignants en première ligne dans la lutte acharnée contre le virus. Désormais, nous savons quelles peuvent être les conséquences de la maladie ; nous savons qui elle frappe majoritairement ; nous savons la vigilance plus que jamais de rigueur.
Je l'ai dit la semaine dernière en conférence de presse : les indicateurs de suivi épidémiologique ne sont pas bons dans de nombreux territoires. Ils rappellent à ceux qui l'auraient oublié que l'épidémie n'est pas derrière nous, que le virus circule encore parfois de manière très active. Entre le début du mois de juillet et la fin du mois d'août, les nombres d'hospitalisations et de placements en réanimation à cause du virus ont plus que doublé.
La loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire a mis en place un régime transitoire applicable jusqu'au 30 octobre. Ce changement de régime juridique a permis la reprise des activités et le rétablissement du droit commun tout en conservant la faculté de prescrire des mesures visant à prévenir, et, le cas échéant, à maîtriser une dégradation de la situation sanitaire.
Je ne serai pas le ministre du déni. Je ne vous dirai ni : « tout va bien, madame la marquise », ni « circulez, il n'y a rien à voir ». C'est faux. Des Français meurent encore du covid-19. S'il y a une phrase que je ne veux ni prononcer ni entendre dans les semaines qui viennent, c'est : « je vous l'avais bien dit ».
Ce texte, je le sais, ne suscite pas l'enthousiasme – ni le vôtre ni le mien. Mais il est absolument indispensable pour faire reculer le virus. Nous nous en serions bien passés. Le virus est là : nous devons faire preuve de courage, de responsabilité, et restreindre certaines des libertés auxquelles nous sommes profondément attachés.
Le régime transitoire adopté par le Parlement au mois de juillet a permis de répondre efficacement à la reprise de l'épidémie. Le Gouvernement a pu prendre des mesures garantissant un niveau élevé de protection de la santé des Français. Complétées par des actions territoriales, elles ont permis de limiter les réinfections malgré les risques liés aux congés d'été.
La reprise généralisée des activités risque d'amplifier la recrudescence des cas de covid-19. Dans ces conditions, une interruption soudaine des mesures transitoires risquerait de laisser se reproduire la catastrophe de mars dernier, qui nous avait contraints à créer l'état d'urgence sanitaire. Le Gouvernement estime indispensable de conserver des capacités d'intervention suffisantes pour assurer une continuité dans la gestion de la crise et pour prévenir une dégradation des indicateurs.
Dans un avis rendu le 12 septembre dernier, le conseil scientifique a considéré indispensable, au regard de l'évolution actuelle et prévisible de l'épidémie dans les prochains mois, de proroger le régime transitoire institué à la sortie de l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 1er avril 2021. C'est ce que prévoit le projet de loi.
Plusieurs parlementaires estiment cette date lointaine. Des amendements ont été déposés sur ce point. Néanmoins, ce choix est cohérent avec la clause d'extinction dont le législateur a pris l'initiative d'assortir le régime juridique de l'état d'urgence sanitaire. L'échéance proposée permettra de réfléchir à la création d'un dispositif pérenne de gestion de l'urgence sanitaire, préférable à de multiples rendez-vous de prorogation des mesures transitoires que nous savons déjà nécessaires. Je vous confirme que le Parlement sera saisi, d'ici janvier prochain, d'un projet de loi. Le dispositif transitoire de sortie de l'état d'urgence sera ainsi applicable sur l'ensemble du territoire national jusqu'à l'adoption d'un nouveau régime.
S'agissant de l'article 2 du projet de loi, le conseil scientifique a souligné le rôle déterminant des systèmes d'information pour suivre et gérer efficacement la crise sanitaire. Ils permettent de repérer les cas contacts, de les accompagner, de leur prodiguer des conseils adaptés, d'effectuer un suivi épidémiologique et de conduire des travaux de recherche. Il est indispensable que la durée de mise en œuvre de ces systèmes dédiés à l'épidémie corresponde à celle de la période transitoire – il faut aller jusqu'au 1er avril 2021.
L'article 2 permet également de prolonger, pour la même durée, la conservation de certaines données pseudonymisées collectées dans ces systèmes aux seules fins, je le répète, de surveillance épidémiologique et de recherche. Il n'y a aucune donnée nominative.
Nous redoutons toutes et tous, depuis la rentrée, de revivre ce que nous avons connu au printemps. On ne peut pas à la fois craindre une aggravation de la situation et craindre des outils efficaces, qui permettent de bloquer les chaînes de transmission et de garder le contrôle.
Dans le cadre de nos travaux, il importe de prendre en compte le contexte sanitaire. Le conseil scientifique l'a qualifié de « préoccupant » dans son avis du 12 septembre. Pourriez-vous dresser, monsieur le ministre, un état des lieux chiffré de la situation et revenir sur les évolutions prévisibles, notamment au regard de ce que nous avons connu en mars dernier ? Je m'interroge en particulier, comme beaucoup de Français, sur le risque de saturation des lits de réanimation et, si nous ne parvenions pas à l'éviter, de pression sur les capacités de soins pour les personnes les plus gravement atteintes.
Le 11 juillet, l'état d'urgence sanitaire a laissé place à un dispositif transitoire dont le Gouvernement sollicite la prorogation. Ainsi que son nom l'indique, ce dispositif qui comprend des mesures temporaires – j'insiste sur ce point – n'a pas vocation à s'inscrire dans la durée, pas plus que l'état d'urgence issu de la loi du 23 mars dernier. Il est néanmoins indispensable pour faire face au virus. Pourriez-vous éclairer l'Assemblée nationale sur le calendrier du projet de loi de pérennisation du dispositif d'urgence sanitaire – vous avez évoqué janvier prochain – et nous apporter des informations sur son contenu ? Pouvez-vous également nous indiquer dans quelle mesure les parlementaires seront associés à l'élaboration de ce projet de loi ?
S'agissant de l'article 2 du présent texte, le système d'information de dépistage (SIDEP) et le dispositif Contact Covid sont extrêmement importants pour assurer un suivi de l'épidémie et pour mettre en œuvre la stratégie « tester-tracer-isoler ». Pourriez-vous nous exposer les difficultés qui ont été rencontrées, et qui le sont peut-être encore, lors du déploiement de ces systèmes d'information, notamment en ce qui concerne le traçage et l'isolement des personnes ? Quelles mesures pourraient être prises pour améliorer ces outils ?
Ce texte concernant la sécurité sanitaire comprend certes des éléments épidémiologiques. Mais il soulève aussi de nombreuses interrogations sur le plan juridique – nous sommes la commission des Lois. Nul ne conteste la progression de la pandémie ; la deuxième vague évoquée est évidemment inquiétante et il n'y a pas de déni de notre part. Néanmoins, il faut replacer tout cela dans le contexte : celui d'un régime transitoire que vous comptez faire durer. Si le texte est adopté, nous allons prolonger cette transition jusqu'au 1er avril 2021, soit pour six mois, ce qui n'est pas rien. Dans le même temps, vous proposez une remise à plat dans un texte qui deviendrait un cadre pérenne en matière d'état d'urgence sanitaire. C'est donc une fusée à deux étages.
Les questions relatives aux droits individuels ne sont pas clairement mises en avant alors qu'il s'agit d'un régime restrictif des libertés fondamentales.
Un autre sujet sur lequel je souhaiterais vous entendre est celui des élections régionales et départementales. Si la campagne électorale est très réduite, perturbée, parce qu'on ne peut pas débattre, parce que les rassemblements restent limités à moins de dix personnes, beaucoup de questions se poseront.
Comment pouvez-vous, monsieur le ministre, demander une prorogation de six mois pendant lesquels vous vous passeriez du Parlement, alors même que nous demandons une clause de revoyure ?
Je reviens sur la question posée par la rapporteure à propos du projet de loi que vous venez d'annoncer pour le début de l'année 2021. Mon groupe politique est vigilant dès lors que ce type de mesures spéciales doit entrer dans le droit commun. Comment associer les parlementaires et les élus locaux ? C'est important : cela a été fait à l'occasion du précédent projet de loi, en juillet, et je crois que la territorialisation de la prise de décision doit être soulignée. Quel sera le cadre de travail pour le futur projet de loi ?
Par leur portée, les mesures de police administrative prises par les autorités déconcentrées dans le cadre de l'urgence sanitaire sont très différentes d'un territoire à l'autre, parfois sans raison objective. On pouvait ainsi être autorisé à faire du vélo sans masque à Paris alors que c'était, au même moment, interdit au Mans. Le respect des libertés individuelles est assuré, dans bien des cas, parce que nos concitoyens saisissent le juge administratif. Ce n'est pas bon : cela devrait d'abord résulter du respect du droit par l'autorité administrative et du discernement dont elle fait preuve. Quelles mesures entendez-vous adopter pour éviter que ces incohérences, pour ne pas dire ces aberrations, se poursuivent ?
Quelles améliorations allez-vous apporter en matière de dépistage ? Il n'y a pas nécessairement de priorisation des personnes.
J'en viens à la collecte de données que le projet de loi tend à proroger. Le groupe Socialistes et apparentés souhaite insister sur un aspect essentiel : s'il est question de relancer la promotion de l'application StopCovid et des dispositifs de traçage complémentaires, rien n'est dit de ce qui est fait dans d'autres États européens et de la coordination à cette échelle.
Au début du mois de septembre, la ministre du travail a déclaré avéré que se laver les mains et porter un masque procurait une protection maximale. La situation est très différente de celle de mars dernier. Les usines de masques ont commencé à tourner – j'en ai une dans ma circonscription qui a lancé sa production dès juillet, et une autre, ailleurs en Bretagne, va également démarrer. Nous avons du gel hydroalcoolique. Vous avez dit que l'on fait plus d'un million de tests par semaine. Nous avons donc les moyens de lutter contre ce virus, alors que ce n'était pas le cas au printemps.
Pourquoi ne pas revenir au droit commun et à l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, qui donnent déjà de nombreuses marges de manœuvre ? Je m'inquiète à l'idée qu'une autre loi, à partir de janvier prochain, introduise dans le droit commun les mesures prévues dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, comme nous l'avons fait en matière de terrorisme. Nous donnons de plus en plus de pouvoir à la justice administrative et à l'administration, c'est-à-dire, finalement, de moins en moins au juge judiciaire. C'est une dérive qui m'inquiète.
J'abonde dans le sens de notre collègue Paul Molac. Vous nous demandez une prorogation de l'état d'urgence et des systèmes de collecte de données. Le groupe La France insoumise s'interroge sur la planification des moyens dans laquelle cela s'inscrit. Nous vous avons demandé aujourd'hui, lors des questions au Gouvernement, si vous avez bien anticipé la deuxième vague, l'augmentation des hospitalisations et le calibrage des tests. On a vu que vous ne les aviez pas bien calibrés : cela ne fonctionne pas. Dans la métropole lilloise, si vous appelez pour un rendez-vous en vue d'un test, vous n'en avez pas, à moins de suivre le canal spécifique des cas contacts directs gérés par l'agence régionale de santé (ARS).
J'ai alerté le préfet du Nord en juillet dernier, qaund une infirmière m'avait dit que des sacs-poubelle continuaient à faire office de blouses parce qu'on n'en avait pas assez au centre hospitalier de Seclin. C'était en juillet, alors qu'on n'était plus du tout dans le pic des hospitalisations, ni encore dans la deuxième vague ! Si on en était là, qu'est-ce que ça va être dans les mois à venir ?
Vous nous demandez de proroger l'état d'urgence sanitaire et les moyens de coercition alors que vous n'avez pas planifié les moyens nécessaires. Si vous voulez continuer dans le cadre actuel, qui est une réduction des libertés individuelles, qu'il y ait au moins en contrepartie la prise en charge sanitaire !
Vous restez dans votre fantasme du droit à la différenciation, où chaque préfet fait comme il veut à tel point qu'on n'y comprend plus rien. Il n'est pas nécessaire de prolonger cela. Des mesures très dures, mais tout à fait légales, ont été prises par la voie réglementaire avant l'adoption de la loi relative à l'état d'urgence sanitaire. N'essayez pas de nous faire croire que vous avez absolument besoin de celui-ci pour une coercition !
Le groupe Écologie Démocratie Solidarité a déjà eu l'occasion de s'exprimer clairement sur ce sujet. Nous sommes contre tout dispositif qui impliquerait une régression quant à la place des libertés fondamentales dans la hiérarchie des normes. Nous ne pouvons accepter de déléguer ces libertés au pouvoir réglementaire. Or, le régime transitoire que l'Assemblée nationale est appelée à proroger jusqu'au 1er avril 2021 – vous voyez large – a sorti ces questions du domaine de la loi. C'est une perte de contrôle pour les citoyens et pour le Parlement, qui est dans l'impossibilité de déférer vos mesures au Conseil constitutionnel.
Les Français ont besoin de cohérence, de décisions claires et compréhensibles par tous. Or, loin d'être parfaitement cohérentes, les mesures qui se sont succédé n'ont cessé de se contredire.
La prorogation que vous nous proposez ne peut, certes, pas être effectuée par voie réglementaire. Les articles L. 3131-1 et L. 3131-13 du code de la santé publique autorisent déjà le ministre de la santé à prendre les mesures nécessaires tout au long de l'épidémie et même au-delà, lui permettant de réagir immédiatement si l'épidémie prenait une ampleur inégalée. Ces dispositions ne sont-elles pas suffisantes ?
C'est pourquoi, en cohérence et en responsabilité, par attachement aux libertés fondamentales et à notre rôle de parlementaires, notre groupe votera contre ce projet de loi.
Vous êtes un certain nombre à me demander pourquoi je n'utilise pas l'article L. 3131-1. Il n'y a encore pas si longtemps, j'étais parlementaire : je préférais que l'on demande au Parlement de statuer sur les mesures prises, d'en définir les contours et la durée, plutôt que laisser le Gouvernement décider par arrêté, sans contrôle.
J'ai signé des arrêtés en application de l'article L. 3131-1 pendant plusieurs semaines, lorsqu'il a fallu prendre en urgence des mesures d'ordre sanitaire pour lutter contre l'épidémie. Puis des décisions d'ordre interministériel ont été nécessaires, notamment des mesures de police. Cela a rendu instable le dispositif de l'article L. 3131-1, et justifié pleinement un passage devant le Parlement pour définir l'ensemble des règles inhérentes à l'état d'urgence sanitaire et au régime transitoire de sortie. Si je devais tout décider par arrêté, nous ne nous verrions plus ; je me contenterais de signer des décisions dans mon bureau, dont certaines seraient attaquées devant la juridiction administrative. Nous avons préféré organiser un débat parlementaire. C'est un choix que je revendique.
L'épidémie a progressivement redémarré cet été. Tout au long du mois d'août, j'ai alerté sur des reprises épidémiques en plusieurs endroits du territoire, notamment chez les plus jeunes. Ce qui était redouté arriva : il y a eu une transmission des plus jeunes aux publics les plus vulnérables – personnes âgées, population porteuse de comorbidités... S'il n'y avait pas d'impact visible lorsque l'épidémie ne touchait que les jeunes, très nombreux à faire des formes asymptomatiques et très rares à développer des formes graves, les conséquences sanitaires sont apparues lorsque le taux d'incidence chez les populations plus âgées a commencé à monter.
Si nous constatons une augmentation sensible des hospitalisations et du nombre d'entrées en réanimation – respectivement plus de 500 et plus de 140 sur la seule journée d'aujourd'hui –, ce n'est que la conséquence de l'augmentation de la circulation du virus chez les publics vulnérables il y a dix à quinze jours. Comme l'incidence, notamment chez les publics vulnérables, continue d'augmenter, il n'y a aucune raison de penser que les conséquences sanitaires en termes d'hospitalisation et de réanimation diminueront d'elles-mêmes. Il est donc impératif de lutter contre la diffusion du virus, chez les jeunes comme chez les moins jeunes.
Grâce aux gestes barrières, aux protocoles sanitaires en entreprise, dans les transports et dans les écoles, et parce que les gens font très attention, le virus circule moins vite qu'au printemps dernier. Mais c'est encore trop vite toutefois : le facteur de reproduction du virus (R) est supérieur à 1, ce qui veut dire que l'épidémie accélère. Si la courbe des contaminations est moins prononcée, l'augmentation est réelle.
Permettez-moi de vous interrompre, monsieur le ministre, pour indiquer à Mme Obono et M. Bernalicis que, s'ils sont dans cette salle, c'est pour vous écouter puisque nous ne vous avions pas entendu lors de l'examen des textes relatifs à l'état d'urgence sanitaire, et entendre les réponses aux questions qu'ils pourraient avoir posées.
Nous sommes en réunion de la commission des Lois. En tant que présidente, j'attends de chacun des participants qu'il soit respectueux du Parlement, de la commission des Lois elle-même et du ministre, qui n'est pas venu écouter des invectives. Je vous remercie de cesser vos interpellations et de laisser cette audition se poursuivre sereinement.
Outre le taux d'incidence, nous suivons également l'indicateur de la positivité des tests. Au début de l'été, sur cent tests, une personne était positive. Aujourd'hui, elles sont six, ce qui atteste que le virus circule davantage, indépendamment de l'augmentation du nombre de tests. Il n'y a guère de doute, même pour les plus sceptiques, y compris pour ceux qui considéraient que le virus avait muté – cela aurait été une première heureuse dans l'histoire de la virologie puisqu'un virus s'attaque à son hôte et n'a pas vocation à devenir moins virulent, en tout cas pas dans des délais aussi brefs. De même, certains, constatant que la courbe des hospitalisations et le nombre de diagnostics n'augmentaient pas cet été, en avaient déduit que le virus était moins dangereux. Il n'en est rien. Quand le virus touche les populations les plus jeunes, l'impact sanitaire est très faible ; lorsqu'il touche les populations les moins jeunes, l'impact sanitaire est réel. Le virus est toujours aussi dangereux. Nous sommes à la croisée des chemins et nous devons prendre les mesures adaptées.
La grande différence avec le printemps dernier, c'est que la répartition du profil épidémique est très variable d'un territoire à l'autre. Les outils de mesure étant désormais plus fins, ils nous permettent de déterminer métropole par métropole, département par département, le profil épidémique. Ainsi, on ne peut pas traiter le cas de la Dordogne de la même manière que la situation marseillaise. Cela n'aurait pas de sens de mettre en place le même type de mesures dans ces deux territoires. C'est pourquoi nous avons fait le choix de poursuivre la stratégie de différenciation et de proportionnalité des mesures en fonction de la situation épidémique locale. L'objet de ce projet de loi est d'ailleurs de nous autoriser à poursuivre l'application de ces mesures dans les mois à venir.
Par ailleurs, nous voulons que cette fois soit la dernière où nous nous voyons pour proroger le régime transitoire institué à la sortie de l'état d'urgence. Un projet de loi en ce sens sera présenté dès le mois de janvier prochain. Même si j'adore me présenter à vous, je pense qu'il est préférable de stabiliser ce régime – pour les commissaires aux Lois que vous êtes, cela doit avoir son importance. J'ai cru comprendre, lors des débats pour la précédente prorogation, que vous souhaitiez travailler sur un texte créant un régime transitoire durable…
C'est précisément une clause de revoyure que je vous propose avec le projet de loi en question. Il permettra une réponse graduée, dans la durée, avec des mesures d'accompagnement inspirées du travail des parlementaires qui auront souhaité travailler sur le sujet.
Avec l'article 2 du présent projet de loi, nous proposons de proroger de six mois le fonctionnement de deux systèmes d'information.
Le premier, SIDEP, est très précieux. C'est le système dans lequel on inscrit tous les patients prélevés, qui traite tous les résultats et les adresse aux laboratoires ainsi qu'aux cellules chargées de retracer les contacts, comme l'assurance maladie ou les ARS. Si nous devions perdre SIDEP au moment où nous sommes obligés de faire encore plus de tests, nous risquerions de mettre totalement à mal le dispositif. Je ne vois pas comment on peut faire une politique de tests dans notre pays si l'on ne dispose pas d'un tel dispositif.
Le second, Contact Covid, est l'outil qui permet de retracer les contacts : l'assurance maladie et les ARS peuvent ainsi joindre les personnes pour les protéger, les informer et recueillir les informations nécessaires. À la mi-septembre, 231 871 patients « zéro », c'est-à-dire des patients positifs, et 642 295 contacts ont été identifiés par ce dispositif. À l'heure où l'épidémie repart de plus belle, ce n'est certainement pas le moment d'abandonner ces deux outils numériques !
Je précise que StopCovid est une application à part, qui n'est pas concernée par le projet de loi.
Concernant un éventuel report des élections départementales et régionales, c'est le ministère de l'intérieur qui est compétent. Un tel décalage nécessiterait des modifications législatives qui dépassent très largement le sujet de la sortie de l'état d'urgence sanitaire. Anticiper la situation de mars 2021 me paraît hors de portée en l'état.
À propos de l'éventuelle association des parlementaires à l'établissement du projet de loi, je proposerai au prochain bureau de la commission des Lois, qui aura lieu au début du mois d'octobre, d'initier une mission consacrée au régime juridique de l'état d'urgence sanitaire.
Lors de l'examen du premier texte, nous avions adopté une clause d'extinction car nous ne pouvions pas légiférer dans l'urgence sur un régime d'exception. Le temps est venu pour nous d'y travailler, de s'intéresser à son régime juridique, d'étudier le droit comparé, d'auditionner des constitutionnalistes, etc.
Actuellement, 1,2 million de tests PCR sont effectués par semaine. Mais qui tester en priorité ? Outre les cas patents, qui passent le plus souvent par le corps médical, il y a également les cas contacts qu'il faudrait définir : ils supposent des contacts d'au moins un quart d'heure dans un lieu confiné. Confirmez-vous cette définition ?
Certaines personnes se font tester sans motif, parfois à plusieurs reprises, ce qui engorge les laboratoires. Plus il y a d'examens, plus l'incidence est forte sur le délai de réponse. Alors qu'un résultat peut être obtenu quasiment dans la journée, on entend parler de délais de trois, quatre, voire sept jours, ce qui retire toute valeur au résultat et toute utilité à l'examen – faut-il, dès lors, le rembourser ? Une information sériant les priorités du dépistage peut être la base d'une bonne maîtrise de la pandémie.
Vous avez récemment annoncé le choix de territorialiser l'application des mesures en confiant au préfet, en accord et en concertation avec les différents élus locaux, le soin de préciser la façon dont faire face à une situation au moment où elle se présente. Cela permet, par exemple, de ne pas fermer les bars partout à la même heure ou encore de ne pas appliquer les mêmes mesures restrictives à tous les rassemblements. Je trouve cela positif.
Dans le cadre de la prorogation de l'état d'urgence sanitaire, puis dans celui de l'entrée dans le droit commun de cette situation sanitaire dégradée, comment garantir la pérennité de cette territorialisation ? Il est à craindre que la crise ne dure. S'adapter localement à l'évolution de la situation permettrait de ne pas trop entraver la liberté de nos concitoyens et la bonne marche des activités économiques. Ainsi, pour le secteur de la restauration, des bars et du monde de la nuit, qui souffre d'énormes difficultés – les professionnels en arrivent à dénoncer ceux d'entre eux qui contournent l'obstacle –, renoncer à adapter localement les règles ferait empirer les choses.
Cette crise, qui touche la plupart des États et les confronte à l'absence d'une solution immédiate pour endiguer le virus, doit nous inciter à faire preuve d'humilité. Néanmoins, notre rôle de parlementaires est de faire remonter les attentes de nos concitoyens, des élus locaux et des entreprises. Cela peut se résumer en une seule exigence : un discours clair. Je salue la volonté de déconcentrer les décisions, de les rendre pragmatiques au niveau local. En même temps, elles doivent répondre à une exigence de lisibilité car nos concitoyens sont parfois perdus.
Quels éléments précis permettraient de fonder un diagnostic de l'état sanitaire de notre pays et de celui de nos voisins, de sorte que nous puissions comparer nos résultats et voir ce qui fonctionne ou pas pour limiter la propagation du virus ?
En ce qui concerne la prorogation, nous avions rappelé l'exigence d'une évaluation, aussi dois-je saluer la décision de la présidente de la Commission de créer une mission de réflexion. C'est indispensable. Le groupe Agir ensemble votera cette prorogation parce que nous considérons que le Gouvernement doit disposer de tous les outils pour protéger nos concitoyens.
Ce matin, la réunion de l'Assemblée parlementaire franco-allemande a permis d'évoquer l'adoption d'une résolution commune contre la pandémie. Comment travaillez-vous avec l'Allemagne ; quels sont les points de convergence avec ce pays ?
Par ailleurs, la lisibilité pose problème. Les citoyens ne savent pas si on priorise la santé ou l'économie. Concernant les cas contacts, il conviendrait, selon moi, de les identifier pour leur donner la priorité dans l'accès aux tests – je crois que c'est le chemin sur lequel vous vous engagez. Dans les faits, je comprends que l'application ne marche pas car certains ont peur d'être identifiés comme cas contact : comment assurer ensuite son travail ou s'occuper de ses enfants ? Personne n'a envie d'être détecté et de faire face aux conséquences. Cela ne veut pas dire que l'on n'est pas un bon républicain. Il faut tenir compte de la réalité quotidienne et économique.
Les délais de délivrance des résultats de certains tests sont trop longs et il n'y a aucune sanction. Mme Pau-Langevin pourra vous raconter avoir subi ces délais exorbitants alors qu'elle est cas contact ! Il faut peut-être assurer la traçabilité de ces dysfonctionnements qui portent préjudice à votre politique.
Monsieur le ministre, vous venez demander au Parlement la prorogation du processus de sortie de l'état d'urgence sanitaire, les mains vides et en espérant que nous signerons à nouveau un chèque en blanc. Les mains vides : rien de ce que vous avez dit dans votre intervention liminaire n'a pu nous convaincre que vous serez plus efficace dans les prochains mois. Vous devez rendre des comptes au Parlement mais vous avez totalement échoué dans cet exercice. Vous vous gargarisez de ce million de tests mais, si ce chiffre est exact – nous sommes censés vous croire sur parole –, ces tests n'ont aucune utilité puisqu'ils sont effectués avec un retard préjudiciable. Certains laboratoires se sont mis en grève pour protester contre les conditions de leur réalisation.
Lorsque je vous avais interrogé, il y a quelques mois, sur la nécessité de planifier la stratégie de dépistage, vous vous étiez montré extrêmement méprisant, renvoyant à je ne sais quel exemple exotique, alors que la question était de savoir comment s'organiser. Beaucoup d'acteurs de terrain ressentent un sentiment de pagaille générale. Vous renvoyez aux collectivités la responsabilité de se débrouiller – pour dire les choses gentiment. Or, le manque de moyens est systématique et constant. Nous ne vous donnerons pas de chèque en blanc parce que vous avez échoué à assurer la protection de la population.
Je vous rappelle qu'il existe une commission d'enquête et un contrôle parlementaire renforcé sur les mesures sanitaires. L'audition de ce soir porte uniquement sur la prorogation de l'état transitoire.
Pour la troisième fois, le Gouvernement demande au Parlement de l'autoriser à prendre des mesures exceptionnelles dans le cadre de la crise sanitaire. Tout en restant prudente, la majorité vous accorde sa confiance. La stratégie sanitaire mise en œuvre compte parmi les plus performantes en Europe du fait de la réactivité de nos administrations et de la robustesse de notre service public, qui sont admirables.
Je vous avais saisi, à ce sujet, d'une demande concernant l'ensemble des personnels des pôles médicosociaux des établissements publics de santé et des établissements qui y sont rattachés, afin qu'ils bénéficient des revalorisations décidées à l'occasion du Ségur de la santé. J'ai, en effet, constaté que certains personnels du centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers et du centre psychiatrique Henri Laborit en sont exclus, sans que j'en aie l'explication.
Pour revenir à la situation sanitaire, lorsque vous avez annoncé, en avril, un objectif de 700 000 tests par semaine, certains se sont montrés sceptiques. Ils ont été servis puisque ce sont un million de tests qui sont maintenant effectués ! Il faut optimiser et rationaliser leur usage pour raccourcir les délais cependant. Pouvez-vous nous présenter les dispositions, à l'image de celles déjà déployées en Île-de-France, qui permettront de résoudre ces difficultés ?
Toujours en matière sanitaire, il faut être très attentif à l'adhésion de nos concitoyens à la stratégie déployée, qui présente plusieurs limites.
Tout d'abord, ces mesures doivent être strictement proportionnées. Pour prendre un exemple, la fermeture des bars, cafés, restaurants à 23 heures en zone épidémiologique rouge paraît contreproductive : les personnes attablées aux terrasses sont déportées sur l'espace public ou dans des lieux privés. Le résultat est quasiment contraire à celui qui était recherché, à savoir organiser la consommation dans des conditions acceptables.
Ensuite, le pilotage national de la crise implique les préfets. Ils mettent parfois en œuvre des mesures uniformes sur tout le territoire sans tenir compte des spécificités locales. Les jauges de 1 000 places en sont l'exemple : il faudrait peut-être passer d'une jauge forfaitaire à une jauge proportionnelle. J'ai déposé un amendement d'appel en ce sens.
Enfin, je vous invite à trouver une proportionnalité dans la lutte contre les discriminations. Il était envisagé d'accorder aux usagers de l'application StopCovid une priorité dans l'accès aux tests. Ce serait une mesure profondément discriminatoire. Je vous demande de confirmer que vous n'y aurez pas recours.
La territorialisation des mesures n'est pas un changement de stratégie et il n'est pas vrai que nous visons l'immunité collective contre la santé de chacun. Nous sommes exactement dans les mêmes processus de décision que lors de la vague épidémique du printemps. Si le profil épidémique est différent, si la connaissance du virus a progressé, ce sont toujours les gestes barrières qui limitent les contaminations. Puis, lorsque l'épidémie repart, on met le paquet pour tester, tracer, mettre à l'abri et isoler. Enfin, si, en dépit de tout cela, la diffusion de l'épidémie a un impact sanitaire, alors des mesures de gestion deviennent nécessaires même si elles emportent des conséquences sur une population plus large que la seule population contaminée : elles visent justement à protéger ceux qui ne le sont pas pour éviter qu'un trop grand nombre de malades ne sature les hôpitaux et les réanimations. La stratégie est donc exactement la même. Simplement, nous n'avons pas retrouvé le niveau de l'épidémie du printemps dernier – d'où mon appréciation selon laquelle nous sommes à la croisée des chemins.
Pendant la première vague épidémique, il y a bien eu une territorialisation et une différenciation des mesures. Des restrictions de déplacements et des mesures de confinement partiel ont été imposées dans l'Oise. Avant même l'épidémie, aux Contamines-Montjoie, des écoles ont été fermés et des personnes confinées. La territorialisation prend aujourd'hui une ampleur nouvelle parce que nous fonctionnons davantage à l'échelle des métropoles. C'est, en effet, dans les zones de forte densité de population que la circulation du virus est la plus forte, à l'exception notable de la Guadeloupe. Marseille, Bordeaux, Lyon et Nice sont des zones de forte concentration.
La territorialisation est donc pertinente mais nous avons aussi entendu que lorsque les mesures étaient prises depuis Paris, l'adhésion des élus locaux n'était pas toujours la norme. Nous prenons le temps de la concertation avec les préfets pour identifier les mesures opportunes. Cela ne signifie pas que l'on tombe d'accord. Lors de ma visite à Marseille, cet été, pour expliquer et accompagner les mesures décidées, j'ai discuté avec les élus locaux : je me suis rendu compte que ceux qui considéraient ne pas avoir été consultés étaient ceux qui n'étaient pas d'accord avec ces décisions. On peut ne pas être d'accord mais les décisions prises sont justifiées et expliquées dans les territoires : telle est notre règle, notre boussole. C'est ainsi que nous voulons continuer de fonctionner. C'est important.
Pour répondre à M. Sacha Houlié, tout le sanitaire et tout le médicosocial sont concernés par le Ségur. Le secteur social, en revanche, est extérieur au périmètre car on n'est plus du tout dans le domaine du soin. Le Ségur concerne tout de même près de 2 millions de salariés de ce pays pour plus de 8 milliards d'euros.
Je ne sais pas si la fermeture des bars et restaurants à 23 heures dans certaines zones est contre-productive. Elle l'est si on n'effectue pas de contrôle sur la voie publique pour limiter les rassemblements spontanés, si on n'interdit pas les soirées sur les toits d'immeuble regroupant 1 500 personnes sans masque, si on laisse des gens louer des appartements à la journée pour organiser des soirées privées, parfois payantes. Elle n'est pas contre-productive si on fait respecter le droit et si on assure les contrôles.
Je tire mon chapeau aux forces de l'ordre, fortement mobilisées. Nous leur demandons beaucoup et leur action est indispensable. Peut-être faudrait-il faire davantage respecter les dispositions dans les territoires où elles ne le sont pas ?
Pourquoi cibler les bars et les restaurants ? Dans le monde entier, des études soulignent un risque trois à quatre fois supérieur de contracter la maladie si on a fréquenté un restaurant ou un bar dans les dix jours précédents. On peut le déplorer, mais dans ces endroits de convivialité, en milieu fermé, on enlève le masque et on peut, hélas ! se contaminer. Cela ne signifie pas que nous allons les fermer. C'est une éventualité si la situation devait encore se dégrader. J'en ai parlé en conférence de presse la semaine dernière.
Toute personne reconnue comme cas contact par son médecin, le médecin de l'assurance maladie ou les équipes de l'ARS est prioritaire dans l'accès aux tests. Il ne serait absolument pas choquant qu'un cas contact identifié par l'application StopCovid soit également prioritaire puisqu'il est fait usage des mêmes critères. Cela ne signifie pas pour autant que télécharger l'application permet de bénéficier d'un test rapide !
Cela a été dit avec raison : personne n'a envie d'être cas contact. C'est une des faiblesses françaises. Nous nous en sortons bien en termes de masques, de tests ou de places d'hôpital, mais moins bien dans le respect des mesures, la participation au traçage et la mise à l'abri. Nous pouvons faire mieux. Or, la France est le pays des libertés et elle n'a jamais envisagé de contraindre les gens à demeurer chez eux. D'autres pays l'ont fait. Vous avez probablement vu ces policiers espagnols allant chercher, dans l'eau, une surfeuse dénoncée par ses voisins comme positive. Au Canada, les citoyens sont passibles d'une amende pouvant aller jusqu'à 500 000 dollars, voire d'une peine d'emprisonnement, et ils peuvent être appelés jusqu'à cinq fois par jour. Ce n'est pas le choix de la France. Mais nous devons faire preuve de plus de conviction pour que les Français respectent les mesures de mise à l'abri, prononcées pour protéger les autres.
La lisibilité des mesures est certes problématique. Mais la situation évolue vite. Si, du jour au lendemain, vingt-cinq personnes sont entrées en réanimation dans une région, les autorités peuvent être amenées à prendre rapidement des décisions. Les conférences de presse sont faites pour apporter la lisibilité : nous en avons tenu une après le dernier conseil de défense et le ferons encore pour présenter de nouvelles mesures concernant les collectivités où la situation pourrait s'aggraver.
Quelles sont les avancées en matière de prise en charge et de traitement des patients ? Si les personnes contaminées sont nombreuses, il semblerait que la prise en charge hospitalière et les traitements soient aussi plus efficaces. N'est-ce pas un espoir ?
Si je suis favorable, dans les grandes lignes, au projet de loi présenté, je tiens à vous faire part de mon incompréhension. Devant la commission d'enquête dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur, d'éminents spécialistes et épidémiologistes ont jugé, comme vous, la situation préoccupante. Cette inquiétude devrait vous amener à sortir du « en même temps » sanitaire qui semble dominer. Nos concitoyens reçoivent des messages totalement contradictoires qui brouillent les lignes : le Président de la République, qui a lancé le week-end dernier un appel à participer massivement aux Journées du Patrimoine, vous aurait, selon la presse, désavoué, ainsi que le Premier ministre, en conseil de défense…
La stratégie « tester-tracer-isoler » est un échec : les résultats des tests sont trop tardifs ; le traçage est imparfait ; l'isolement n'est pas respecté. Cela vous conduit à répéter de façon systématique l'importance des gestes barrières.
Depuis le début de la crise, la gestion des frontières françaises est incohérente. Je suis élu dans un département frontalier avec l'Italie. Depuis hier, ce pays a mis en place des restrictions importantes : personne ne peut y rentrer sans fournir un test négatif datant de moins de soixante-douze heures. La réciprocité est-elle prévue, comme ce fut le cas après l'instauration par le Royaume-Uni d'une quatorzaine pour toutes les personnes arrivant de France ? Comment gérer nos frontières de façon plus logique ?
La stratégie « tester-tracer-isoler », à laquelle nous adhérons, est marquée par deux échecs : celui de l'application StopCovid, au sujet de laquelle nous étions perplexes dès le début et dont nous souhaitons connaître l'avenir ; celui des tests. En la matière, mon exemple personnel est éclairant. Mon équipe a été avisée, le lendemain d'une réunion de travail tenue le 7 septembre, que mon assistante était positive. À partir du 9, j'ai interrompu mes activités et j'ai subi le test le 11 septembre. Deux semaines plus tard, encore dans l'attente des résultats, j'ai décidé de reprendre mes activités. Pourquoi tester si les résultats n'arrivent jamais ?
J'ai moi-même été testée et j'ai reçu le résultat dès le lendemain. Je n'ai pas l'impression d'avoir été privilégiée. Les délais sont probablement inégaux.
Au début, il était normal de se tromper. Mais, à partir du mois de mars, le Gouvernement a accumulé les erreurs et les mensonges. Nous vivons sous un régime totalement anticonstitutionnel depuis le 16 mars. Vous estimez que l'urgence sanitaire perdure et qu'elle justifie l'urgence sécuritaire. Vous culpabilisez les jeunes, les étudiants, les familles qui n'ont plus le droit de s'embrasser. Vous continuez à abandonner les seniors, voire à utiliser le « protocole Rivotril ». Vous continuez à entretenir la peur en bâillonnant la démocratie.
Or, le virus a muté en une vingtaine de variants. La mortalité baisse – la France a enregistré moins de décès qu'au cours des quatre dernières années, hormis les pics de mars et avril. Pourquoi persistez-vous dans cette stratégie erratique et ne proposez-vous aucun traitement pour les patients ?
Avec environ 3 millions de téléchargements, l'application StopCovid n'a, selon le porte-parole du Gouvernement, « pas trouvé son public ». Dubitative au début, je l'ai téléchargée depuis plusieurs semaines : elle fonctionne plutôt bien et complète utilement le travail des médecins et de l'assurance maladie. Par quelles mesures pourriez-vous encourager son utilisation ?
Dans les établissements et les services médicosociaux, les acteurs nous alertent tous les jours sur les conditions de travail : le poids psychologique, notamment lié à la crainte d'être vecteur de transmission du covid-19, vient s'ajouter à la fatigue, conséquence d'un absentéisme record dans le secteur. Les responsables craignent d'être dans l'obligation de rappeler le personnel en congé. Face à la situation tendue et alors que le secteur est indispensable à la bonne gestion de l'épidémie, quelles mesures envisagez-vous pour soutenir les structures les plus en difficulté ? Dans l'hypothèse, hélas probable, d'une reprise forte de l'épidémie, elles risquent d'être à nouveau fortement sollicitées.
La situation épidémiologique est différente selon les territoires, tout comme les modalités d'accès aux tests. Paris, où la demande de tests est en forte hausse, concentre les difficultés logistiques. Trop de citoyens nous font part de leurs difficultés : malgré des symptômes ou en dépit d'une identification comme cas contact, les délais sont décourageants. Comment relever ce défi ?
Au printemps dernier, les États européens ont géré la crise de manière plutôt désordonnée. Cela a laissé un goût amer aux citoyens européens, notamment ceux des bassins frontaliers ou résidant dans des pays frontaliers de la France. Alors que l'épidémie reprend, les mêmes errements se reproduisent. Ce manque de coordination fragilise la confiance des citoyens européens et entre États européens.
À l'instar de la France, tous les pays européens se fondent sur le taux d'incidence pour piloter la gestion de crise. Si certains utilisent un système de zonage avec un code couleur, les critères peuvent différer de ceux adoptés par les autorités françaises. Ainsi, le seuil d'alerte peut varier, tout comme les recommandations. C'est là que les difficultés commencent, les décisions unilatérales prises sur cette base ayant des conséquences néfastes pour les déplacements quotidiens des Français en Europe.
Ne pourrait-on aboutir à une appréciation européenne commune et à des critères communs afin que la lutte contre l'épidémie soit plus lisible sur le continent ? Quelles mesures pourriez-vous prendre avec vos homologues européens ?
Pour beaucoup de familles, c'est la crise dans la crise. Heureusement, la population est disciplinée, responsable, consciente de la gravité de la situation ! Après le scandale des masques, voici maintenant le scandale des tests. Bien utilisés, ils pourraient constituer un outil de protection, mais les délais de délivrance des résultats les rendent quasiment inutiles.
Ces dépistages mal gérés entraînent cafouillages et dysfonctionnements, notamment outre-mer. Des centaines de nos concitoyens ultramarins n'obtiennent pas leurs résultats dans les délais impartis, et vous invitez les voyageurs à anticiper leurs prélèvements d'au moins une semaine ! Or, pour prendre l'avion, le test doit dater de moins de soixante-douze heures. C'est du je-m'en-foutisme !
Attendant toujours une réponse à mon courrier sollicitant une rencontre avec vous, j'aurai peut-être plus de chance en vous interrogeant ce soir. On ne peut pas demeurer insensible à la détresse des gens. Beaucoup ont dû annuler leur voyage, qu'ils devaient faire suite à l'annonce d'un décès, pour des raisons de santé, une formation, un motif professionnel ou encore pour les études. D'autres ont dû payer deux fois leur billet d'avion, voire dormir à l'aéroport. Voilà la réalité ! Comptez-vous trouver une solution ou bien considérez-vous les outre-mer comme des territoires de seconde zone, qui ne sont pas votre priorité ?
J'étais en retard ce soir car je suis allé chercher une famille à l'aéroport – vous pouvez les rencontrer, si vous le souhaitez. Ce sont une mère, ses deux enfants, son mari et la grand-mère, que j'ai installés à l'hôtel parce qu'ils n'avaient plus d'argent. On n'a pas le droit d'abandonner des gens dans la rue ! C'est votre responsabilité et vous ne pouvez balayer le problème d'un revers de la main. Si leur situation n'évolue pas – ils pourraient être bloqués à Paris pendant quatre jours –, ils viendront peut-être même manger dans les restaurants de l'Assemblée nationale !
Comment la crise est-elle gérée dans les pays voisins de la France et quels sont les résultats ?
Je comprends que le sujet passionne mais beaucoup de questions n'ont rien à voir avec les deux articles du projet de loi que je suis venu présenter. Des commissions d'enquête sont en cours sur la gestion de la crise et j'ai répondu à quatre questions au Gouvernement cet après-midi dans l'hémicycle.
Les mesures prises par l'Italie concernent les aéroports : un test datant de moins de soixante-douze heures doit être fourni avant de prendre l'avion de France vers l'Italie. Il ne s'agit pas de contrôle aux frontières pour les passages en voiture ou en train. Il me semble que les Français sont plus nombreux à aller en Italie par le tunnel de Fréjus que par avion, aussi ne suis-je pas convaincu de la cohérence de la mesure. Mon homologue italien, avec qui j'en ai discuté, m'a proposé d'appliquer la réciprocité. J'ai décliné, n'en voyant pas la nécessité : le virus circule moins en Italie qu'en France.
La coopération européenne est prioritaire depuis le premier jour. Certes, des États ont parfois fermé leurs frontières extérieures mais, la plupart du temps, c'est à l'intérieur même des États que des barrières ont été instaurées : l'Italie a confiné la Lombardie, la Vénétie et le Piémont au début de l'épidémie. De même, certaines régions allemandes ont parfois instauré des mesures unilatérales de contrôle aux frontières. Pour éviter ces aléas, avec tous nos partenaires européens, nous réfléchissons à des indicateurs communs afin que les mesures de gestion soient également claires pour tous, dans la mesure du possible. En dehors de la zone Schengen, les frontières de nombreux pays sont fermées.
Comment s'expliquent ces variations dans les mesures ? Certaines tiennent à la temporalité. Au cœur de l'été, le virus circulait beaucoup moins en France et nous étions plus ouverts que nos partenaires européens. Désormais, le virus a recommencé à circuler et c'est l'inverse qui se produit. Globalement, nous actionnons tous les mêmes leviers : les lieux de convivialité et de sortie – bars, restaurants, établissements qui reçoivent du public (ERP) –, les jauges de 50 à 1 000 personnes, et la réduction des interactions sociales. Nous sommes armés de la même manière et nous nous concertons beaucoup. Généralement, lorsque l'un prend des mesures, on l'interroge et on lui demande de fournir analyses et résultats. Il n'y a malheureusement pas trente-six façons de lutter contre le virus une fois qu'il s'est installé et qu'il circule.
S'agissant de StopCovid, si 18 millions d'Allemands ont téléchargé l'application allemande, 3 500 cas seulement ont été déclarés dans le logiciel. En France, avec un peu moins de 3 millions de Français connectés, près de 5 000 cas ont été déclarés dans le logiciel. Si l'objectif est d'identifier les cas contacts et de déclarer les cas positifs, notre système est le plus efficient. Certes, le virus circule plus chez nous. Mais nous n'avons pas à rougir. Nous allons malgré tout enrichir le dispositif – toujours de manière incitative – en le reliant à des bases de données numériques d'information et d'accompagnement des personnes qui l'ont téléchargé et qui souhaitent l'utiliser.
Il est absolument anormal d'attendre cinq, sept, voire dix jours pour se faire tester. Selon les dernières données dont je dispose, datant de la fin de la semaine dernière, environ deux tiers – 65 % – des Français ont leurs résultats en moins de quarante-huit heures. Bien sûr, on ne parle pas des trains qui arrivent à l'heure, seulement de ceux qui arrivent en retard. Il y en a encore trop. C'est pourquoi nous avons réorienté toutes les forces de dépistage affectées aux populations asymptomatiques vers les publics prioritaires, avec des horaires d'ouverture spécifiques et un contrôle administratif afin de vérifier que les personnes testées sont bien prioritaires.
Le Royaume-Uni est le seul pays qui fait plus de tests que nous ; depuis une semaine, il fait face à des délais monumentaux. L'Allemagne teste moins que nous ; elle a aussi beaucoup moins de malades ; pourtant, les délais sont du même ordre que les nôtres dans certains territoires et certaines villes. En Espagne, le sujet est géré par les régions : la situation varie en fonction du degré de circulation du virus et, où il circule, les délais sont les mêmes que les nôtres.
Personne n'a trouvé la martingale. Dès que la situation se dégrade et que le nombre de cas augmente rapidement, le dispositif sature. Ce n'est pas une excuse mais, il y a trois semaines, lors d'une conférence de presse avec le Premier ministre, j'avais alerté : avec la fin des vacances, le retour au travail et la reprise épidémique, le bouchon allait mettre un peu de temps à se résorber. Nous sommes en train de régler le problème avec les laboratoires en multipliant les machines et en priorisant les publics à tester.
Les publics prioritaires au sein de la population qui se fait tester ne sont pas en minorité. Les individus symptomatiques représentent 28 % des personnes testées ; les cas contacts sont en moyenne trois par personne diagnostiquée positive ; avec les soignants, les aides à domicile et les autres professions exposées, quasiment deux tiers des personnes qui se font tester sont prioritaires. On ne peut pas non plus stopper complètement le dépistage en population asymptomatique : on trouve des cas et cela permet de casser des chaînes de contamination.
Madame Wonner, j'ai l'impression que vous me reprochez de ne pas avoir identifié de traitement. Mais je ne sais pas quels sont les traitements qui marchent. Vous-même prenez un traitement depuis des mois ; c'est votre droit, mais il ne marche pas. Il ne marche ni en France ni ailleurs. Certes, il est utilisé par des milliards de personnes mais contre le paludisme. Les pays encore peu touchés par l'épidémie sont de moins en moins nombreux, vous le constaterez. J'aurais adoré que cela fonctionne car nous sommes le premier producteur mondial de chloroquine ! Il y a d'autres traitements et d'autres pistes intéressantes en termes de vaccination. Ainsi, la dexaméthasone, un dérivé de cortisone, fonctionne bien. Cela ne coûte pas cher et ça réduit les cas graves de 20 %, donc aussi la réanimation et la mortalité.
L'outre-mer est un véritable sujet de préoccupation. Je ne veux pas donner l'impression de balayer le sujet. Je me mets à la place des personnes qui doivent aller outre-mer ou en revenir et qui n'ont pas pu réaliser les tests. Nos ressortissants qui voyagent régulièrement à l'étranger rencontrent le même type de difficultés. C'est pourquoi l'anticipation de ces déplacements est importante car il faut présenter un résultat de test de moins de soixante-douze heures. Avec le ministre des outre-mer Sébastien Lecornu, nous cherchons une solution administrative dérogatoire pour les outre-mer. Je ne peux pas m'engager devant vous à réussir. Mais nous y travaillons d'arrache-pied. L'innovation en matière de tests pourra peut-être aussi nous aider.
Je vous remercie. Nous tiendrons la discussion générale sur le projet de loi et nous procéderons à l'examen des amendements demain à partir de 9 heures 30.
La réunion s'achève à 23 heures.
Information relative à la Commission
La Commission a désigné Mme Alice Thourot rapporteure sur le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l'état d'urgence sanitaire.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Caroline Abadie, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Ugo Bernalicis, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Isabelle Florennes, M. Philippe Gosselin, M Guillaume Gouffier-Cha, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, Mme Marietta Karamanli, M. Paul Molac, Mme Danièle Obono, Mme Valérie Oppelt, Mme George Pau‑Langevin, M. Jean-Pierre Pont, M. Rémy Rebeyrotte, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, M. Raphaël Schellenberger, Mme Alice Thourot, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala
Excusés. - M. Philippe Dunoyer, M. Mansour Kamardine
Assistaient également à la réunion. – Mme Annie Chapelier, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Martine Wonner