Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Réunion du mercredi 23 septembre 2020 à 15h40

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • concrétisation
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem    Les Républicains  

La réunion

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La séance est ouverte à 15 heures 45

Présidence de Mme Cécile Untermaier, présidente

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Nous poursuivons nos travaux en entendant M. Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public, qui s'intéresse particulièrement aux études d'impact.

Notre rapport méthodologique a formulé plusieurs propositions au sujet de ces études. Afin de permettre une meilleure anticipation des difficultés potentielles d'application d'un texte de loi, nous avons d'abord suggéré d'associer les différentes parties prenantes à l'élaboration des documents qui accompagnent les projets de loi, au premier rang desquels les études d'impact. Nous avons ensuite proposé de préciser systématiquement en amont ce que pourraient être les principales mesures réglementaires liées au texte et d'élaborer des indicateurs qui ne soient pas des indicateurs d'impact, mais des indicateurs de mise en œuvre de la loi. Enfin, nous avons recommandé la publication, après l'adoption d'un projet de loi, d'une analyse actualisée des effets qui en sont attendus.

Je vous remercie de votre présence et vous laisse la parole.

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Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public

En tant qu'universitaire, maître de conférences à l'université d'Amiens et chercheur associé à l'université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, j'ai rédigé en 2015 une thèse de droit public consacrée à l'étude d'impact des projets de lois. Cette recherche s'intéressait à la façon dont la réforme adoptée en 2008-2009 rénovait les rapports entre les institutions, essentiellement le Parlement et le Gouvernement, et sur ses influences possibles quant à la qualité de la loi.

Si, depuis lors, j'ai entrepris d'autres recherches, je continue d'approfondir ces questions. L'Assemblée nationale ainsi que le Sénat m'ont déjà sollicité à ce sujet. Je les ai également reprises avec la Cour des comptes, puis avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE) à l'occasion d'un travail que vous citez dans votre propre rapport.

J'ai observé l'évolution progressive de la réforme, avec ses défauts et ses avancées. Je les relie à l'ensemble des dispositifs évaluatifs destinés à améliorer la portée concrète de la loi.

Au-delà de cette présentation, je vous ferai humblement part de mon point de vue de chercheur sur les études d'impact et sur l'évaluation législative en général.

Mon impression est celle de deux mondes parallèles qui s'observent. Le premier renvoie aux déclarations d'intention, aux textes et rapports, très nombreux depuis 2008, voire dès avant, dans les assemblées et au sein du Gouvernement. La volonté affichée entend sans conteste améliorer l'efficacité des lois, mais aussi développer son évaluation. Les parlementaires ont bien compris que cette dernière leur offre un moyen de revoir la nature des relations qui prévalent entre les institutions intervenant dans le processus législatif.

Si les travaux se multiplient, chacun d'entre eux apporte assurément des éléments nouveaux. Votre rapport, dont j'ai pris connaissance, aborde par exemple la question de l'évaluation in itinere.

Face aux déclarations d'intentions, législatives voire constitutionnelles, la mise en application me semble cependant toujours balbutiante. Elle paraît témoigner d'une difficulté à se projeter. Vous évoquiez les indicateurs dans les études d'impact. Or, pour la plupart d'entre elles, il n'y en a pas.

Peut-être à l'issue de vos travaux serait-il opportun que vous organisiez une communication en faveur d'un « choc de concrétisation ». Elle montrerait que l'Assemblée se saisit du problème.

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Je rejoins votre analyse sur l'existence de deux mondes parallèles. Nous continuons à travailler, à formuler des exigences. L'Assemblée nationale dispose néanmoins des moyens juridiques de refuser les résultats d'une étude d'impact. Nous n'y avons jamais eu recours pendant le précédent quinquennat. Je ne reprocherai donc pas leur attitude aux actuels présidents de commission. Si ses membres en expriment le désir, notre mission reviendra sur ce sujet qui touche directement à la concrétisation des lois.

Pour l'heure, je leur cède la parole afin qu'ils vous interrogent.

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Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « choc de concrétisation » ? Votre constat s'avère largement partagé. La mission que nous menons en témoigne. Chacun dresse le constat d'un évident dysfonctionnement et de tentatives de simplification qui, paradoxalement, complexifient encore la situation. En 2017, cinq ans après avoir engagé le « choc de simplification », François Hollande reconnaissait ainsi que « la simplification, c'est compliqué ».

En quoi un « choc de concrétisation » consisterait-il ? Quelles recommandations prodigueriez-vous à cette mission d'information pour que nous franchissions enfin un seuil, et qu'au-delà des intentions et de leur reformulation, y compris en y introduisant de nouvelles idées, un effet de l'ordre du choc se manifeste, qui inverserait la tendance du phénomène à l'œuvre, celui d'une complexification toujours croissante ?

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Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public

Vous l'avez dit, les instruments existent. En tant que parlementaires, vous en disposez déjà. Il vous appartient de les utiliser.

Comment, avec eux, accomplir un « choc de concrétisation » ? Je vous soumettrai une suggestion mais je ne sais comment vous l'accueillerez.

Parce qu'il s'agit d'une obligation organique et constitutionnelle, le Gouvernement accompagne systématiquement la présentation de ses projets de loi d'une étude d'impact. En dépit de l'avis que le Conseil d'État a rendu à leur sujet, certaines d'entre elles se révèlent d'une qualité relativement médiocre.

Certes, le phénomène majoritaire demeure inévitable à l'Assemblée nationale, car une discipline partisane, jeu de la politique et de la représentation, s'avère indispensable à la prise de décision. Partager avec la majorité et le Gouvernement un même point de vue politique sur la nécessité d'une réforme n'empêche néanmoins nullement d'exprimer un désaccord sur la méthode retenue. À la lumière de l'étude d'impact, il reste donc toujours possible de constater une éventuelle carence, une insuffisance dans la qualité des travaux préalables.

Devant les lacunes d'une étude d'impact, j'estime que le « choc de concrétisation » pourrait prendre la forme, ne serait-ce qu'une fois, du recours par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale à son droit de refuser l'examen d'un projet de loi inscrit à l'ordre du jour. Il ne s'agirait pas d'un acte de défiance à l'endroit du Gouvernement, mais de la manifestation par les parlementaires, y compris ceux issus de la majorité, de leur volonté de travailler dans de meilleures conditions.

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Je voudrais que vous alliez plus avant dans votre analyse. Vous signalez la relative médiocrité des études d'impact au regard de l'objectif de concrétisation des lois. Qu'entendez-vous par là ? Évoquez-vous de simples carences techniques ou mettez-vous en évidence une insuffisante prise en compte du fait que la loi doit trouver à s'appliquer aux réalités quotidiennes ?

Précisément, au sein de la mission d'information, nous nous déplaçons actuellement sur le terrain, afin d'identifier les difficultés d'application des lois, les points de blocage.

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Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public

Lorsque j'évoque des études d'impact de qualité médiocre, je compare modestement leur contenu avec les exigences inscrites dans la loi organique. Parmi les carences que je relève, certaines concernent la concrétisation des textes législatifs. Des corrections pourraient leur être apportées. Le rapport de la mission d'information pointe déjà fort bien ces éléments. Je me bornerai à les répéter.

Il convient effectivement, à l'étape de l'étude d'impact, lors de la préparation de la loi, de s'intéresser d'emblée à la mise en œuvre concrète, dans les différentes administrations, du texte en cours d'élaboration. Faudra-t-il prendre des actes réglementaires ? Dans l'affirmative, quand seront-ils adoptés ? Respecteront-ils la volonté des parlementaires ? Qui aura la qualité de référent dans l'administration ? Une circulaire s'imposera-t-elle ? Quels éléments d'information obtiendrez-vous, en tant que parlementaires, par exemple en organisant des réunions citoyennes ?

À ce jour, les études d'impact tiennent insuffisamment compte de la mise en œuvre effective du texte après son adoption.

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En vous écoutant, nous avons le sentiment que l'émergence d'un droit gouvernemental s'impose. En l'état, les projets de loi sont élaborés sur le bord d'une table, ils échappent aux parlementaires. Nous nous intéressons de longue date à ce problème. Il conviendrait que l'administration soit davantage présente devant le Parlement.

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Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public

Telle est la conclusion de ma thèse universitaire. Il existe un droit parlementaire ; de même, un droit gouvernemental doit encadrer l'action du Gouvernement. Dans l'élaboration des projets de loi, l'administration devrait rendre compte de son action, non plus seulement au pouvoir exécutif, mais également au pouvoir législatif.

Il me semble qu'il vous incombe, en votre qualité de députés, de convaincre le Gouvernement que renforcer la marge de manœuvre de l'Assemblée ne constituerait aucunement un acte de défiance à son égard, ni n'aboutirait à un retour à la IVe République, mais permettrait un regain de crédibilité aux yeux des citoyens.

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Voulez-vous nous en dire plus sur ce droit gouvernemental ?

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Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public

À l'instar de la plupart des constitutions modernes, celle de 1958 organise des mécanismes de « parlementarisme rationalisé », selon l'expression consacrée. En lui-même, le parlementarisme rationalisé ne signifie pas nécessairement que le Gouvernement décide seul, ni que le Parlement se retrouve écrasé.

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Sans doute, mais c'est néanmoins la situation qu'il faut assez souvent constater.

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Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public

Le parlementarisme rationalisé renvoie d'abord à des dispositions constitutionnelles qui encadrent l'action politique. Certes, en 1958, il corsetait avant tout l'action du Parlement. L'idée d'un droit gouvernemental consiste, par symétrie et cohérence, à astreindre de même le Gouvernement à une certaine rationalisation. L'obligation d'étude d'impact des projets de loi en constitue un embryon. Elle s'impose au Gouvernement. Celui-ci ne dispose en principe plus de la faculté de rédiger dans un délai très bref un projet de loi sur un coin de table, avant d'en demander l'adoption aux membres de la majorité parlementaire. Il conviendrait de renforcer ce droit gouvernemental, en développant de nouvelles règles.

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Le développement d'un droit gouvernemental supposerait de consacrer plus de temps au travail législatif.

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Nous pourrions imaginer le même principe de transparence que celui qui prévaut pour nos travaux parlementaires, où les auditions font l'objet d'une diffusion publique. Il est loisible de connaître notre manière de travailler, l'origine des amendements. La remarque touche à la déontologie.

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Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public

En reprenant un terme qui a déjà été utilisé, je dirai qu'une meilleure « emprunte normative » favoriserait la compréhension des méthodes de travail du Gouvernement, et permettrait de mieux saisir comment et avec qui ce travail s'organise. Elle n'implique pas une transparence totale de l'action gouvernementale.

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L'objet de notre mission tient à la concrétisation des lois. De vos propos, je retiens qu'une étude d'impact qui n'emporterait décidément pas la conviction justifierait de ne pas poursuivre l'examen d'un projet de loi.

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J'aimerais nuancer nos propos, mais non en vue de défendre l'actuel Gouvernement en particulier. J'observe l'augmentation constante du nombre de lois. La volonté réelle de changer les choses, celle d'engager une véritable action politique de terrain, requiert du temps. Des décrets d'application sont par exemple indispensables. Au cours de la présente mandature, cette volonté ne nous a pas fait défaut. À mon sens, nous avons d'ailleurs obtenu des résultats positifs dans plusieurs domaines.

Au cours d'une précédente audition en date du 19 novembre 2019, M. Alain Lambert, président du Conseil national d'évaluation des normes, relevait que nous légiférions trop, mal ou, parfois, de manière excessivement précise et source de complications.

La forme du quinquennat qui s'est substituée à celle du septennat fait peser de nouvelles contraintes sur les gouvernements successifs. Peut-être, du moins je le crois, nuit-elle à la qualité des études d'impact. Je n'imagine pas que les gouvernements cherchent à expédier ce travail préliminaire, mais de fortes contraintes de temps les astreignent à le précipiter. Qu'en pensez-vous ?

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Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public

Je partage le point de vue selon lequel on légifère trop et de manière trop précise. Je le constatais déjà dans ma thèse de doctorat.

Évidemment, je comprends qu'un parlementaire veuille légiférer d'une manière méticuleuse. Un défaut de confiance à l'égard des institutions et des administrations qui agiront en aval de son intervention l'y incite. Il craint que ces dernières ne trahissent la volonté et les attentes du Parlement.

Convient-il de lutter contre cette attitude ? Sans doute. Comment s'y prendre ? Si la marge de manœuvre demeure étroite, des dispositifs permettraient certainement de légiférer dans une moindre ampleur ou d'une façon moins précise. L'étude d'impact compte parmi eux. Elle signale, ou doit vous signaler, à vous parlementaires, s'il est ou non nécessaire de légiférer.

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Le thème de la loi « bavarde » ne présente aucun caractère de nouveauté. Dans un rapport de 1992, le Conseil d'État critiquait déjà la logorrhée législative et réglementaire. Dans les années suivantes, M. Pierre Mazeaud, président du Conseil constitutionnel, évoquait à son tour les lois « bavardes » puis, après lui, le Président Chirac. Nous dressons tous le même constat.

En réalité, je pense que nous connaissons d'importantes difficultés, en tant que parlementaires, pour peser en amont du travail d'élaboration des projets de loi. En France, pour des raisons que chacun connaît, la Ve République se manifeste par un parlementarisme bien rationalisé. Le Conseil constitutionnel a quelque peu desserré l'étau, mais le fait majoritaire reste prégnant. Un rapport de force et de complémentarité s'installe entre une majorité et son exécutif. Ce dernier conserve toujours, dans les faits, la maîtrise de l'ordre du jour. Sauf éclatement de cette majorité, avec une multiplication de frondeurs ‒ cas de figure que nous n'avons jusqu'à présent connu qu'à l'état de prémices ‒, comment concevoir une remise en cause profonde de la situation présente ?

En revanche, je vous rejoindrai en admettant que nous avons la faculté de peser en amont sur le terrain d'une véritable contre-expertise. Elle suppose toutefois des moyens humains et financiers conséquents. Pour l'heure, les services de l'Assemblée nationale ne disposent pas de ressources comparables à celles de leurs homologues du ministère de l'Économie et des Finances. Nous ne jouissons pas d'une capacité équivalente pour mobiliser des conseils extérieurs.

À mon sens, nous pourrions peser davantage en aval, dans ce que j'appellerai le « SAV », le « service après vote ». Il s'agit de se rendre sur le terrain, d'en remonter les informations, d'identifier les décrets d'application qui font défaut. C'est par exemple encore le cas avec la dernière loi de financement de la sécurité sociale, particulièrement dans le domaine de l'oncologie ou sur le sujet des aidants. Les décrets d'application n'en sont toujours pas parus. Des changements n'interviendront ici qu'à la faveur d'une culture, d'un état d'esprit spécifiques, et d'un combat.

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Sur la question du suivi des décrets d'application, nous avions rencontré des représentants du Sénat, où ce travail s'avère exemplaire. Mme Valérie Létard en avait assuré la présentation. Le secrétariat général du Gouvernement effectue en principe aussi un suivi régulier des décrets d'application. Cependant, nous en recevons quelquefois des données quelque peu discordantes avec celles de nos homologues parlementaires du Sénat.

Vous évoquez beaucoup l'étude d'impact. Quand nous-mêmes produisons des amendements, il arrive encore que nous en ignorions les effets précis. Outiller le Parlement avec de véritables moyens d'évaluation ex ante et ex post était l'une des propositions majeures que nous portions au début de l'actuel quinquennat. Pensez-vous qu'une décision en ce sens serait susceptible d'améliorer la qualité de la concrétisation de la loi ?

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Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public

Votre question rejoint la remarque de votre collègue. De fait, votre marge de manœuvre en amont du travail d'élaboration des projets de loi reste limitée. S'opposer au dépôt d'un projet de loi placerait la majorité dans une position difficile.

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Une telle attitude constituerait assurément une chausse-trape politique que l'opposition s'empresserait aussitôt d'exploiter.

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Le Sénat lui-même ne se résout pas à l'adopter, alors qu'il dispose aussi de cette faculté.

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Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public

Renforcer les moyens d'expertise du Parlement en aval, pendant le processus d'élaboration de la loi, me semble bien entendu souhaitable. Quant au renforcement des moyens d'évaluer les effets d'un amendement parlementaire, il serait surprenant que le rôle en revînt au Conseil d'État. N'est-ce pas ce que votre rapport propose ?

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Non, notre rapport suggère l'intervention du Conseil national d'évaluation des normes.

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Plus précisément, le rapport suggère que de la même façon que le Conseil d'État peut donner un avis sur une proposition de loi, il pourrait le faire sur un amendement parlementaire.

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Cet avis devrait aussi pouvoir porter sur les amendements du Gouvernement. Outre que les études d'impact ne se révèlent guère contraignantes pour le Gouvernement, celui-ci tend à s'émanciper totalement de la surveillance du Conseil d'État en introduisant par amendement des dispositions lourdes et complexes.

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Nous sommes passés assez rapidement à l'aval du processus d'élaboration de la loi. Je reviens quelques instants sur la phase d'amont, c'est-à-dire essentiellement sur l'étude d'impact. Il convient de ne pas attribuer à ce type de travail plus de mérite qu'il ne peut en obtenir. Par définition, l'étude d'impact se rédige au commencement du processus. Elle n'anticipe ni n'intègre des modifications que la procédure parlementaire apportera sous la forme d'amendements. J'admets cependant qu'elle peut tout de même se révéler insuffisante.

Si j'entends bien le mécanisme évoqué, la Conférence des présidents refuserait, en vertu de l'article 39 de la Constitution, d'examiner un projet de loi dont l'étude d'impact prévue par la loi organique du 15 avril 2009 lui paraîtrait insatisfaisante. Nous comprenons cependant qu'il s'agit d'un acte politique qui ne saurait se produire régulièrement. Dès lors, je crois qu'il nous incombe de travailler prioritairement sur l'aval du processus.

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Dans les travaux que nous menons depuis plusieurs mois, nous sommes convenus que la précision de l'étude d'impact, en particulier sur les objectifs poursuivis, autorise en aval le travail de « SAV » et que nous devrions au moins formuler cette exigence de précision.

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Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public

Je le pense en effet. Sans immédiatement utiliser ce droit d'opposition qui risquerait d'être mal perçu politiquement, vous ‒ députés de toutes tendances confondues ‒ conservez la possibilité d'indiquer à l'exécutif que l'engagement qu'il avait pris de fixer des objectifs dans l'étude d'impact, ainsi que des critères pour l'évaluation de la concrétisation, n'est pas respecté et que vous entendez qu'il le soit désormais, au risque qu'une opposition ne finisse par se manifester contre un projet.

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J'aimerais aussi revenir sur un point. Nous évoquons la relation entre le Parlement et le pouvoir exécutif. La question requiert quelque précaution de langage et je tâcherai de m'exprimer à mots choisis.

Depuis longtemps, les majorités qui se sont succédé ont constaté la faiblesse du pouvoir parlementaire dans la fabrique de la loi et le contrôle de l'action publique. Ce n'est pas parce que des députés sont devenus ministres qu'ils ont changé d'avis.

La relation s'avère parfois délicate entre une majorité et des membres du Gouvernement. Pour autant, la véritable question demeure celle-ci : que contrôle réellement un ministre ?

Loin de mon esprit l'idée de mettre à l'index les hauts fonctionnaires. La réalité se révèle complexe. Il existe une chaîne de responsabilités où chacun s'efforce d'effectuer au mieux la part de travail qui lui revient. Toutefois, au bout du compte, le résultat ne satisfait personne.

L'Administration prend une part notable dans cette chaîne, mais elle y reste un point complètement aveugle. Comment pouvons-nous agir sur ce point, afin que la fabrique de la loi gagne en pertinence sous l'angle de la légistique ? Les textes d'origine, attendus et critères, doivent devenir plus concis, clairs et lisibles, en s'en tenant d'abord à des principes directeurs. Il importe qu'ils soient rédigés à l'usage du citoyen à qui ils s'adressent, quand même les parlementaires seront toujours tentés ensuite d'entrer dans le détail par leurs différents amendements.

Avez-vous travaillé sur cet échelon, celui de la production des projets de loi par l'exécutif, entendu non au sens de Gouvernement, mais au sens des services de l'État, des inamovibles de la République ‒ appelez-les comme vous voudrez ‒, qui ne sont pas pour rien dans le constat d'une surproduction de complexité ?

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Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public

Au moment de commencer ma thèse de doctorat, ma vision du droit constitutionnel correspondait à celle que l'université enseigne : trois pouvoirs coexistent et une administration gouvernementale travaille sous les ordres du politique. En entrant dans le détail, j'ai dû m'interroger sur ce qui précédait l'étude d'impact, sur la qualité de ceux qui interviennent et l'étendue de leur décision.

De fait, j'ai été confronté à une sorte de point aveugle du droit constitutionnel. Afin d'identifier les rédacteurs des études d'impact, ceux qui prennent la responsabilité de retenir une option plutôt qu'une autre, je me suis intéressé à la science administrative. Le ministre lui-même endosse-t-il cette responsabilité ? Les membres de l'administration, que nous connaissons mal, assurent-ils véritablement leur mission sous le contrôle d'un responsable politique ? Il m'a été difficile d'obtenir des réponses précises à ces questions.

Je relève un déficit de visibilité sur cette étape de l'élaboration de la loi. Vous pourriez vous en enquérir sans nécessairement susciter l'hostilité ni du Gouvernement ni de l'administration.

Enfin, le ministre porteur d'un projet de loi a-t-il seulement pris connaissance de l'étude d'impact qui s'y rapporte ? À l'exemple du Royaume-Uni, pourquoi ne pas envisager qu'il en atteste formellement et qu'il se dise ainsi prêt à en répondre devant les députés ?

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Je pense que le système constitutionnel français n'autorise pas de dialogue entre le Parlement et l'administration. La seconde n'existe nullement pour le premier. La Constitution évoque-t-elle seulement le secrétariat général du Gouvernement ? Tel n'est pas le cas.

Pour notre part, pendant la procédure parlementaire, nous ne connaissons que les ministres. Au moment du dépôt des projets de loi, notre interlocuteur est même en théorie le seul Premier ministre. Dans ces conditions, la responsabilité revêt nécessairement une nature politique.

À moins de changer de système, ce qui peut tout à fait s'entendre, je n'imagine pas la possibilité d'un dialogue direct entre l'administration et le Parlement. En l'état, le travail de dialogue revient aux ministres.

À l'évidence, ceux-ci ne lisent pas la loi dans son intégralité. Au mieux, ils n'ont participé aux arbitrages relatifs qu'à cinq ou six articles problématiques. Les autres arbitrages sont le fait, parfois de leur directeur de cabinet, souvent du secrétaire général du Gouvernement, avec des péripéties de la nature de celles auxquelles nous avons récemment assisté. À tort ou à raison, le politique décide qu'il en va ainsi.

Dans un système parlementaire comme le nôtre, je crois qu'il ne saurait y avoir ici d'échappatoire.

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L'expérience du précédent quinquennat montre que des ministres, qui s'estimaient isolés face à l'administration, s'appuyaient notablement sur les parlementaires pour peser devant elle.

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De tels propos, de la part de ministres, ne sont pas entendables.

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Au contraire, je pense qu'un ministre peut parfaitement ménager des temps de réflexion et de travail d'élaboration avec des parlementaires impliqués dans les sujets en cause.

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Ce cas de figure se rencontre occasionnellement.

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La pratique demeure non écrite et très aléatoire. Elle est fonction de la personnalité du ministre. Je serai favorable à son encadrement normatif. Le dépôt d'un projet de loi pourrait par exemple donner lieu à une rencontre préalable obligatoire entre le ministre et les parlementaires. Il s'agirait que l'étude d'impact ne s'en tienne pas à la seule matérialisation du projet de loi. Nous avions développé l'idée d'une étude d'impact qui précède la rédaction du projet et autorise ainsi un vrai débat.

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Depuis plusieurs années, nous assistons à chaque nouvelle nomination d'un rapporteur pour tel ou tel texte de loi, à celle, concomitante, d'un co-rapporteur d'application. Auparavant, nous obtenions parfois des rapports d'application. Ils ne se contentaient pas d'établir la liste des décrets adoptés à la suite de l'adoption de la loi. Ils permettaient de conduire un véritable travail d'évaluation.

Nous ne réalisons pas suffisamment ce travail. À texte constant, nous pouvons nous y investir davantage. Il requiert certes que nous, parlementaires et administrateurs, y consacrions du temps. Il ne suppose par ailleurs guère d'engager des sommes conséquentes. La décision ne dépend en définitive que de nous.

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Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public

Vos rapports relatifs à l'application de la loi sont en effet nécessaires. Cependant, ils ne s'en tiennent le plus souvent qu'à la stricte vérification de la mise en œuvre de la loi par ses textes d'application. Les rapports d'évaluation que votre règlement prévoit ne leur sont pas équivalents. Je vous inviterais à travailler davantage sur ce second type de rapports, en remarquant que ce travail ne vous mettrait pas en porte-à-faux vis-à-vis du Gouvernement.

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Connaissez-vous l'étude que cite le rapport de M. Bertrand du Marais ? Elle contient une analyse quantitative.

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Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public

Je n'en ai pas pris connaissance d'une manière approfondie, mais son auteur m'en a parlé.

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Cette étude propose une approche plutôt originale. À partir d'une quarantaine ou d'une cinquantaine de textes, elle balaie les études d'impact correspondantes, afin de vérifier si elles répondent à l'ensemble des rubriques attendues. Sujet par sujet, elle montre ceux des ministères qui réalisent des études d'impact de qualité, au sens où ils respectent les obligations qui leur incombent. Enfin, l'étude s'attache aux textes ainsi qu'aux groupes qui citent les études d'impact à l'occasion des débats parlementaires.

Sa conclusion révèle une relative médiocrité d'ensemble et elle met en évidence de nombreuses lacunes. Les ministères économiques apparaissent un peu plus diligents que les autres. Sans surprise, les groupes parlementaires de l'opposition citent plus souvent que ceux de la majorité les études d'impact au cours de leurs interventions.

J'invite les membres de la mission d'information à prendre connaissance du détail de cette étude.

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Je note que notre invité indique avoir dû, dans ses recherches, s'intéresser à la science administrative, s'enquérir des mécanismes à l'œuvre dans la production des études d'impact, et qu'il s'est heurté à des difficultés dans cet exercice.

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Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public

Bien que j'aie pu obtenir quelques entretiens, j'ai surtout eu l'impression de me confronter à l'équivalent du secret de la Défense nationale ! Sous cet aspect, je n'ai pu que reconnaître les limites de ma recherche.

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Il nous faudra y revenir car un tel constat nous heurte. Il s'oppose à la démocratie.

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Nous vous remercions pour la qualité de cet échange. Nous associons toujours volontiers les membres de l'université à nos travaux.

L'audition s'achève à seize heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Noël Barrot, M. Frédéric Descrozaille, M. Philippe Gosselin, M. Fabien Gouttefarde, M. Michel Lauzzana, Mme Cendra Motin, M. Laurent Saint-Martin, Mme Cécile Untermaier, M. Charles de la Verpillière

Excusé. - Mme Alexandra Valetta Ardisson