Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Réunion du mardi 8 décembre 2020 à 17h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION

Mardi 8 décembre 2020

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

(Présidence M. Bruno Studer, président)

La commission procède à l'audition, en visioconférence, de M. Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), et de M. Denis Rapone, président de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), sur le projet de fusion des deux autorités.

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Mes chers collègues, je souhaite la bienvenue à M. Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et Denis Rapone, président de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), que je remercie d'avoir répondu à mon invitation à cet échange sur le processus de rapprochement en cours entre les deux autorités.

Dès le dépôt à l'Assemblée nationale du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique, fin 2019, un comité de préfiguration du nouveau régulateur a été mis en place par vos deux autorités. Nous savons tous ce qu'il est advenu de ce texte, suspendu sine die par la crise sanitaire. Par le biais d'autorisations à légiférer par voie d'ordonnances, nous sommes néanmoins parvenus à avancer dans la transposition des directives sur le droit d'auteur et sur les services de médias audiovisuels (SMA), mais leur application ne sera effectivement assurée que si l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), telle qu'elle était configurée par le projet de loi adopté par notre commission en février dernier, voit le jour.

En outre, des sujets cruciaux sont encore pendants et nécessitent l'adoption rapide de mesures législatives – lutte contre le piratage audiovisuel, production audiovisuelle, diffusion des compétitions sportives. Les intérêts économiques et financiers ne sont pas négligeables.

Nous sommes nombreux à attendre le retour au Parlement d'un texte audiovisuel, certes resserré dans son objet mais suffisamment précis pour finaliser la modernisation de notre droit audiovisuel et mieux armer les créateurs et les industries françaises du cinéma et de l'audiovisuel face aux transformations en cours dans le monde numérique de la culture et du divertissement.

Depuis un an, vous avez continué à travailler, aussi bien sur le rapprochement des fonctions support que sur les compétences de chacune des autorités que vous présidez. Vous pourrez sans doute nous dire où vous en êtes de la construction de l'ARCOM, quels sont les points qui présentent des difficultés, à court et moyen termes, et dans quelle mesure nous pourrions vous aider à finaliser le processus de fusion.

Plus spécifiquement, concernant la régulation des plateformes numériques, plusieurs dispositions législatives ont été adoptées sous cette législature pour étendre les compétences du CSA. Je pense notamment à la loi relative à l'exploitation commerciale de l'image des mineurs de moins de 16 ans, dont j'ai été à l'initiative. Cette extension des pouvoirs du régulateur – le CSA aujourd'hui, l'ARCOM demain – nécessite de réfléchir globalement à ses moyens d'action et à leur adaptation à ses nouvelles missions. Vous avez sûrement des souhaits à exprimer à ce sujet.

Messieurs les présidents, après que vous vous serez exprimés et avant de donner la parole aux orateurs des groupes puis aux députés, je laisserai un temps de parole particulier à Mme Aurore Bergé, en raison de sa fonction de rapporteure générale sur le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique.

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Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Je suis très heureux de renouer ce dialogue régulier et confiant avec les membres de votre commission. Je commencerai par rappeler la démarche de préfiguration du rapprochement entre le CSA et l'HADOPI.

Dès la présentation du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique, qui prévoyait le rapprochement entre le CSA et l'HADOPI au sein d'une nouvelle autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), les deux autorités ont souhaité préparer au mieux ce rapprochement, conformément à ce qu'elles avaient exprimé dans les avis rendus sur le projet de loi. Dès le 13 janvier 2020, j'ai signé avec le président Denis Rapone, sous l'égide du ministre de la culture, une convention instaurant une mission de préfiguration de la fusion des deux autorités. Selon cette convention, la préfiguration est pilotée par les deux présidents, dans le cadre d'un comité stratégique qui se réunit tous les trimestres – le prochain est programmé la semaine prochaine. Par ailleurs, un comité de pilotage réunit le directeur général du CSA et la secrétaire générale de l'HADOPI, qui supervisent les travaux de plusieurs groupes de travail thématiques.

Cette anticipation est importante, car l'expérience des fusions administratives montre que beaucoup de chantiers ne peuvent être menés du jour au lendemain et qu'ils nécessitent du temps. C'est le cas pour les systèmes d'information et les ressources humaines. C'est pourquoi l'information, l'association des personnels et des instances représentatives a été au cœur de nos préoccupations. Ainsi, le président Rapone est intervenu devant l'ensemble des agents du CSA, le 4 mars dernier, et j'ai moi-même présenté notre institution et ses missions devant le personnel de l'HADOPI, le 18 septembre. Pour le seul CSA, près de 300 agents, au siège et dans les territoires de métropole et des outre-mer, sont concernés.

La mission de préfiguration suit son cours, nonobstant les incertitudes qui pèsent sur le devenir du projet de loi adopté par votre commission au printemps dernier. Les deux maisons ont appris à se connaître et à travailler ensemble, et n'attendent plus qu'une intervention législative pour concrétiser le rapprochement. L'incertitude qui plane sur le calendrier rend les travaux de configuration difficiles pour nos deux institutions. Les dossiers importants, comme l'immobilier, ne pourront franchir certaines étapes qu'une fois le paysage législatif éclairci. Cet entre-deux rend difficile la communication en direction de nos équipes.

Pour ce qui est du CSA, les constats qui avaient présidé au projet de rapprochement avec l'HADOPI restent d'actualité. Le report du projet de loi n'empêche pas nos compétences de s'étendre. Le CSA a récemment émis un avis sur le projet d'ordonnance que le Gouvernement a été autorisé à prendre par la loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (DDADUE) pour la transposition de la directive relative aux services de médias audiovisuels. Il sera prochainement saisi de la modification du décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), qui fixera les obligations des plateformes. Nous serons amenés à intégrer ces grandes plateformes internationales de vidéo à la demande à notre système de financement de la création et de la production. Ce sera une grande étape dans l'évolution du périmètre de la régulation.

En parallèle, nos missions s'élargissent en direction des plateformes de contenus et de réseaux sociaux du fait de l'adoption de divers textes : deux lois dont vous étiez le rapporteur, monsieur le président, l'une contre la manipulation de l'information, dite loi infox, promulguée le 22 décembre 2018, sur laquelle nous avons rédigé notre premier rapport cette année, l'autre, visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne, afin de juguler le phénomène grandissant des enfants youtubeurs, sur laquelle nous travaillons dès à présent ; mais également la loi relative à la protection des victimes des violences conjugales, adoptée en 2020, qui impose aux sites hébergeant des contenus pornographiques de recourir à des dispositifs de vérification d'âge pour empêcher que les mineurs y aient accès. Enfin, nous aurons peut-être à traiter bientôt des dispositions du projet de loi confortant les principes républicains qui visent à lutter contre la haine en ligne.

Dans ce contexte où nos attributions s'élargissent, il reste pertinent de constituer un régulateur renforcé, doté de moyens et d'une expertise confortés, et dont la compétence s'étendra sur l'ensemble de la chaîne de la création, depuis les contributions des opérateurs audiovisuels jusqu'à la lutte contre le piratage. Ce régulateur renforcé présenterait une vraie valeur ajoutée alors qu'aujourd'hui, notre simple appellation de CSA, qui ne renvoie qu'aux médias audiovisuels, ne rend plus vraiment compte de la réalité de nos missions.

Qui plus est, la France se positionne, en Europe comme au niveau international, en faveur d'une responsabilisation accrue des grandes plateformes de contenus. Elle joue un rôle essentiel, au sein de la Commission européenne, dans la préparation du Digital Services Act (DSA), qui est un ensemble de textes législatifs destinés à proposer le nouveau régime de responsabilisation des plateformes systémiques mais aussi à moderniser la directive sur le commerce électronique adoptée en 2000, à une époque où ces acteurs n'existaient pas. La constitution d'un régulateur intégré, disposant d'une taille critique face à de grands opérateurs d'envergure internationale, recueille un large consensus.

Outre le rapprochement du CSA et de l'HADOPI, d'autres chantiers participent à la modernisation de notre législation : la révision, cet été, des décrets relatifs au cinéma et à la publicité ; la transposition de la directive SMA, très attendue ; le plan de relance, qui redonnera de l'oxygène à la filière audiovisuelle. D'autres encore seraient nécessaires à nos yeux. Sans même parler de la seule lutte contre le piratage, il faudrait actualiser certaines règles applicables aux médias audiovisuels, notamment en ce qui concerne les concentrations ou la publicité, simplifier l'exercice de la régulation et faciliter l'adaptation du secteur à son environnement.

Il conviendrait également de moderniser la télévision numérique terrestre (TNT) qui reste un mode d'accès gratuit à la télévision, accessible dans la quasi-totalité du territoire français – plus de 22 % de nos concitoyens ne reçoivent la télévision que par cette voie. Moderniser la TNT en la portant aux standards de l'ultra haute définition et en offrant des possibilités d'interaction comme il en existe sur le câble, serait un objectif important.

Pour ces raisons, il nous semble toujours nécessaire que le législateur adopte la partie procédant à l'adaptation de la régulation dans le projet de loi relatif à l'audiovisuel, que votre commission avait adopté début mars.

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Vous avez effectivement été saisi, il y a quelques jours, par différentes associations de protection de l'enfance, de l'accès par les mineurs à des sites à caractère pornographique. Nous serons très attentifs à la manière dont vous pourrez travailler et nous verrons, à terme, si la saisine du juge judiciaire s'avère nécessaire pour ordonner le déréférencement de sites qui n'auraient pas pris les dispositions de modération de l'accès à leurs contenus correspondant aux attentes du législateur.

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Denis Rapone, président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI)

Cette audition conjointe avec le président Maistre illustre parfaitement l'état d'esprit dans lequel nous nous inscrivons depuis le début de l'année 2020 : une démarche partagée, proactive, pour rapprocher étroitement nos deux institutions dans la perspective d'une fusion.

Deux sujets concernent particulièrement l'HADOPI : le renforcement de la lutte contre le piratage et la création d'un régulateur unique, puissant, capable de mener cette lutte grâce à des moyens renouvelés.

En 2009, la France était l'un des pays pionniers dans la lutte contre le piratage des œuvres culturelles sur les différents supports numériques. En onze ans, la situation s'est améliorée puisque nous sommes passés d'un tiers des internautes se livrant à des pratiques illicites à un quart, tandis que l'offre légale se développait considérablement. Pourtant, le fléau du piratage est loin d'être éradiqué. En 2020, 11,8 millions d'internautes, en moyenne, se livrent encore, chaque mois, à des pratiques illicites. En mars 2020, nous avons même atteint les 13,6 millions d'internautes, en raison du confinement.

Le projet de loi sur l'audiovisuel comportait des mesures ambitieuses qui nous semblaient de nature à relancer la lutte contre le piratage, à l'origine d'un manque à gagner considérable pour notre économie – en 2019, la consommation illicite de contenus audiovisuels et sportifs a représenté un manque à gagner de plus de 1 milliard d'euros, et 300 millions pertes de recettes fiscales pour les finances publiques. L'idée principale était de de s'intéresser non plus aux modalités technologiques du piratage, tant on sait que la technologie est toujours en avance sur le droit, mais aux sites, aux moyens de les assécher, de les bloquer et de les faire disparaître de manière pérenne.

Ce texte portait une autre ambition : moderniser le paysage de la régulation et l'adapter au monde numérique. L'ampleur du piratage et le niveau élevé d'atteintes aux droits d'auteur soulève un enjeu de régulation numérique évident et éprouve la capacité de l'État à faire cesser des pratiques illicites sur internet. Cette question de la régulation numérique se pose d'ailleurs de la même façon en matière de lutte contre la diffusion de fausses informations ou de propos haineux sur internet.

Nous avions donc salué la création d'un nouveau régulateur, l'ARCOM, issu de la fusion entre le CSA et l'HADOPI, dont les missions convergent de plus en plus. Je partage pleinement la vision du président Maistre sur l'intérêt de cette fusion et les raisons qui militent en sa faveur, sans hésitation.

Les agents de nos deux autorités attendent une claire visibilité quant au devenir de leurs institutions. Au sein de l'HADOPI, je perçois un risque de démobilisation si le projet de fusion ne devait pas rapidement devenir réalité. On ne peut pas laisser durablement les agents dans l'incertitude de leur avenir. Mon mandat à la présidence de l'HADOPI s'achèvera à la fin du mois de janvier prochain, et j'éprouve une responsabilité particulière à leur égard. Je crois de mon devoir de faire tous les efforts pour ne pas laisser les équipes en proie à l'inquiétude, au doute ou à la déception.

Depuis la signature de la convention de préfiguration de la fusion de nos deux autorités, en janvier dernier, les équipes de l'HADOPI et du CSA avancent rapidement et s'engagent résolument sur le chemin de la fusion. Six groupes de travail rassemblant des agents des deux autorités ont été constitués sur des sujets transverses : le budget, les ressources humaines, les marchés publics, la communication, les systèmes d'information et l'immobilier.

Les travaux du groupe de travail « Budget » avancent très rapidement puisque nous disposerons du même système d'information budgétaire et comptable d'ici au 1er janvier 2021, ce qui facilitera nettement les échanges d'informations et les mutualisations entre nos deux institutions.

Sur proposition du groupe de travail « Ressources humaines », nous avons décidé de considérer les candidatures des agents de l'HADOPI et du CSA postulant dans l'une ou l'autre des autorités comme des candidatures internes, de façon à leur donner une priorité sur les candidatures externes. Nous avons recruté l'ancienne directrice de la communication du CSA comme chef de notre pôle communication et nous allons recruter un premier agent mutualisé entre l'HADOPI et le CSA, qui sera chargé de préparer et de mettre en œuvre les procédures de marchés publics pour les besoins de la préfiguration et ceux de nos deux autorités. Enfin, un premier séminaire de direction rassemblant les comités de direction des deux autorités s'est tenu le 6 octobre dernier, pour que les équipes se connaissent mieux et puissent échanger.

Dans le cadre du groupe de travail « Marchés publics », l'HADOPI a réalisé un inventaire de l'ensemble de ses marchés publics afin d'en renouveler certains ou d'en mettre d'autres en commun avec le CSA.

Nos équipes du groupe de travail « Communication » ont travaillé à la définition de la future marque ARCOM ainsi qu'à son futur site internet. Dans un premier temps, une simple page d'accueil devrait permettre aux internautes de découvrir la nouvelle autorité, avant le lancement d'un nouveau site rassemblant les contenus de ceux de l'HADOPI et du CSA. Une lettre d'information commune, à destination des agents des deux autorités, a également été élaborée afin de les tenir informés de l'avancée de la préfiguration et des évolutions législatives en perspective, qui vont redéfinir leur mission.

Concernant le groupe de travail « Systèmes d'information », il est prévu que nous installions, dès l'année prochaine, nos serveurs informatiques au sein du fort de Rosny en vue d'une future mise en commun de nos salles serveur.

Enfin, le groupe de travail « Immobilier » a examiné la question du regroupement des agents des deux autorités dans la tour Mirabeau, siège du CSA. Toutefois, le développement du télétravail, encouragé depuis le déclenchement de la crise sanitaire et qui tend à devenir une pratique plus usuelle au sein de nos deux autorités, nous pousse à reconsidérer nos besoins en matière d'espaces de travail. Aussi aucune décision définitive n'a‑t-elle été actée sur le plan immobilier.

Nous avons, en outre, fait appel à un cabinet extérieur en vue d'accompagner les agents dans le processus de fusion. L'envoi d'un premier questionnaire aux agents des deux autorités, afin de recueillir leurs attentes et leurs sentiments, a été reporté compte tenu de la suspension de l'examen du projet de loi sur l'audiovisuel.

Si la fusion ne devait pas se réaliser dans les prochains mois, les travaux de ces différents groupes de travail auront permis à nos deux institutions de mettre en place des mesures substantielles de mutualisation de leurs actions et d'améliorer la cohérence de leur gestion interne afin de fonder une forme de coopération renforcée. Ce n'est toutefois pas un scénario conforme aux attentes que je partage avec le président Maistre. Notre conviction profonde est que la fusion de nos deux institutions est une nécessité. Elle permettra de porter, avec une efficacité renouvelée, une politique publique de soutien à la création ambitieuse et pérenne, et de refonder la régulation audiovisuelle à l'ère numérique. Nous sommes donc impatients qu'un texte de loi soit voté à cette fin dans les meilleurs délais possibles.

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En tant que rapporteure générale du projet de loi sur l'audiovisuel, je ne peux que partager votre impatience de voir celui-ci adopté. Les enjeux de souveraineté culturelle en sont un élément essentiel, que nous avons rappelé à l'occasion de la transposition des directives européennes.

Quels arguments principaux permettraient de démontrer aux esprits chagrins qui considèrent la fusion de vos deux autorités comme inutile qu'une seule autorité, renforcée dans ses moyens humains et budgétaires, assurerait une meilleure régulation de l'ensemble du secteur et une plus grande efficacité de nos politiques publiques de lutte contre le piratage ? Vous savez que notre commission est particulièrement attachée à cet enjeu, que nous n'estimons ni ringard ni liberticide, mais qui correspond simplement au respect des droits des créateurs.

La transposition des directives crée un enjeu évident de transparence sur le calcul des obligations des SMAD. Les précisions apportées à cet égard sont-elles suffisantes ou faut-il renforcer le pouvoir de contrôle de la future ARCOM pour lui permettre de vérifier le respect de ces obligations ?

Pour finir, monsieur le président Rapone, si nous n'avons pas l'occasion de vous auditionner d'ici à la fin de vos fonctions le 25 janvier prochain, je tiens à vous faire part du plaisir que nous avons eu à collaborer avec vous ces dernières années. Avec vos équipes, vous avez démontré l'utilité de l'HADOPI et la nécessité de la moderniser. Nous devons poursuivre le travail que vous avez engagé avec le président Maistre pour mettre en place l'ARCOM. Je tenais à vous remercier personnellement ; j'espère que nous aurons d'autres opportunités de travailler ensemble à l'avenir.

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Au cours des dernières décennies, l'expérience culturelle a constamment évolué, de la télévision au tout numérique, qui se trouve renforcé avec la crise sanitaire et le confinement. Ces évolutions rendent urgente l'instauration du régulateur tel que l'ambitionnait le projet de loi sur l'audiovisuel, issu de la fusion du CSA et de l'HADOPI. L'adoption de ce projet de loi a avorté à cause de la covid-19, mais les missions qui avaient été confiées à la future ARCOM sont plus que jamais d'actualité : protection des publics, suivi des acteurs de l'audiovisuel, régulation des plateformes, lutte contre le piratage, sans oublier la nécessité d'une veille permanente et agile pour anticiper et contrôler les technologies à naître dans une France couverte par la 5G, où les objets connectés seront généralisés. Si la loi DDADUE a permis de transposer les directives sur le droit d'auteur et sur les services de médias audiovisuels, elle ne peut s'appliquer sans qu'ait été créé le régulateur qui veillera à une meilleure protection des contenus.

Au sujet du piratage en ligne, l'étude menée par l'HADOPI et rendue publique la semaine dernière révèle un manque à gagner pour l'État de 332 millions d'euros, de plus de 1 milliard pour la filière audiovisuelle, et de 80 millions pour les distributeurs.

Dans la jungle que peut être l'espace numérique, il nous faut accompagner nos concitoyens et protéger nos enfants. Le confinement a entraîné une nette augmentation de la consommation d'écrans qui doit nous alerter sur trois risques réels : le harcèlement, la cyber‑pédocriminalité et l'accès à la pornographie en ligne.

Les moyens mis en œuvre dans le projet de loi sur l'audiovisuel étaient-ils suffisants pour l'ARCOM ? Une alternative existe-t-elle ? Comment envisagez-vous l'avenir à la suite de la décision du Sénat d'amputer le budget de l'HADOPI de 3,5 millions d'euros ?

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En tant que référente CSA de notre commission, je porte un intérêt particulier à la création de l'ARCOM. Nous nous réjouissons que la mission de préfiguration fonctionne très bien ; ce n'était pas acquis.

Nous avons un problème de calendrier. Plusieurs sujets qui figuraient dans le projet de loi audiovisuel ont été transcrits dans d'autres textes. C'est le cas de la directive SMA, retranscrite dans le projet de loi DDADUE, de l'assouplissement des jours interdits avec l'ouverture du samedi soir à la diffusion d'œuvres cinématographiques et de l'autorisation de la publicité adressée.

Le Gouvernement a laissé entendre que la fusion de l'HADOPI et du CSA pourrait intervenir au premier semestre 2021. L'engorgement législatif n'apporte pas de garanties à ce sujet, et rien ne nous permet de dire qu'un texte sera voté au premier trimestre. Le groupe Les Républicains a déposé, au mois d'octobre, une proposition de loi qui aurait permis la fusion entre le CSA et l'HADOPI en offrant toutes les garanties de sécurité juridique, puisqu'elle reprenait les dispositions du projet de loi audiovisuel. Malheureusement, cette initiative n'a pas rencontré l'approbation du Gouvernement et de la majorité. Comment expliquez-vous cette situation ?

Cette fenêtre législative était d'autant plus opportune que le piratage audiovisuel et sportif est en nette augmentation. La création de l'ARCOM participe à la solution à ce problème. Nous constatons votre impatience à aboutir, et M. Maistre nous a rappelé la nécessité d'un régulateur renforcé, aux moyens confortés, mais nous en sommes loin. Comment expliquer que nous en soyons arrivés à cette situation, et quel calendrier envisagez‑vous ?

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Les résultats de l'enquête que l'HADOPI a dévoilée, la semaine dernière, sur les pertes engendrées en 2019 par le piratage sur les diverses offres légales de l'audiovisuel sont édifiants : près de 12 millions d'internautes ont consommé de manière illicite des contenus audiovisuels et sportifs ; le manque à gagner pour les filières concernées s'élève à plus de 1 milliard d'euros, soit 9 % d'un marché de 11,6 milliards d'euros, les modes d'exploitation les plus touchés étant la vente physique et la vente d'abonnements à la télévision payante ; plus de 320 millions d'euros de recettes fiscales manqueraient aux finances publiques au titre de la TVA, des charges sociales et patronales, de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés.

Le phénomène du piratage a été amplifié par le confinement. Dans les filières concernées, déjà très fragilisées par les effets de la crise sanitaire, il pourrait causer la destruction potentielle de 2 650 emplois. Les méthodes illégales les plus redoutables, qui entraînent des dégâts colossaux, sont le streaming et le téléchargement direct.

Nous sommes tous convaincus de la nécessité de reprendre la réforme de l'audiovisuel, malmenée par la crise sanitaire. Comment la fusion du CSA et de l'HADOPI permettra-t-elle de mieux lutter contre le piratage ?

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La fusion entre l'HADOPI et le CSA était inévitable au regard de l'évolution des techniques et des nouveaux comportements des utilisateurs – encore faut-il qu'elle soit plus efficace que les deux structures maintenues dans leur état actuel. Il est indispensable que les objectifs et les missions de la future autorité soient clairement identifiés.

L'ARCOM devra englober les compétences accrues du CSA, qui est désormais garant de la liberté de communication audiovisuelle et numérique. Les missions de celui-ci, déjà très nombreuses, ont pu souffrir d'un manque de moyens dimensionnés aux exigences de transparence et de régulation. Le vaste ensemble de celles de l'ARCOM imposera des moyens suffisants pour que le chantier en cours de la régulation soit conduit efficacement.

Le régulateur issu de cette fusion veillera à la protection globale de la propriété intellectuelle sur tous les contenus et les modes de production grand public. Il devra travailler à la responsabilisation des plateformes de partage de contenus. L'équilibre entre le droit souple et les contraintes doit permettre d'enrayer les dérives de plus en plus graves en matière de piratage, de sites miroirs et d'atteintes aux droits.

Le groupe Socialistes et apparentés s'interroge sur l'articulation des missions de la future ARCOM et de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP). Leur finalité n'est pas identique : l'une régule les réseaux, l'autre les contenus. Nous comptons donc sur un rapprochement soigneusement préparé – mais vous nous avez rassurés en détaillant les mesures prises.

Le volet éducatif, au cœur des discussions sur le projet de loi, doit être une préoccupation majeure du futur organe. Quels axes de sensibilisation vous paraissent essentiels ? Quels moyens seront dédiés à cette mission particulière ?

Le projet de loi abordait également la lutte contre le piratage des contenus radiophoniques. Les pertes qui en découlent pour les radios indépendantes méritent des réponses fortes. Que pensez-vous de la possibilité d'intégrer les radios dans le mécanisme de rémunération pour copie privée ?

Je termine en remerciant les deux présidents pour leur investissement au service de ces missions très sensibles et particulièrement importantes dans notre siècle un peu fou.

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Messieurs les présidents, je vous remercie, au nom du groupe Agir ensemble, pour votre engagement dans un domaine qui est au cœur des travaux de notre commission. Et, puisque votre mandat s'achève bientôt, monsieur Rapone, je salue votre sens de l'intérêt général et la constance avec laquelle vous avez fait progresser la lutte contre le piratage.

Il est désormais essentiel que le projet de fusion des deux autorités avance rapidement. D'une part, une autorité de régulation puissante et efficace est une nécessité absolue dans un contexte où se multiplient les transformations. D'autre part, il y va de la protection et du développement du modèle de l'exception culturelle. Il est temps que notre dispositif de régulation de l'audiovisuel se réforme. En cette période de crise, les acteurs et l'État ne peuvent se permettre de perdre des recettes. Je suis convaincu que la relance des secteurs concernés passera en partie par la lutte contre le piratage.

Le 13 janvier dernier, vous avez signé une convention sur la préfiguration de la fusion des deux autorités. Le retour d'expérience est-il prometteur pour la future ARCOM ?

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Après l'interruption brutale, en raison de la crise sanitaire, du parcours législatif du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle, la ministre de la culture a annoncé, lors de son audition au Sénat sur le projet de loi de finances pour 2021, un nouveau texte, plus resserré, consacré à la lutte contre le piratage et à l'évolution de la régulation, qui reprend notamment le projet de fusion du CSA et de l'HADOPI au sein d'une seule entité, l'ARCOM, chargée de la police de l'audiovisuel en France.

Aussi, permettez-moi de vous relater les faits suivants. Durant cinq semaines, l'Association des journalistes lesbiennes, gay, bi, trans et intersexe a écouté Les grosses têtes, une émission diffusée sur RTL réunissant chaque jour plus de 2 millions d'auditeurs et d'auditrices. L'enquête souligne l'omniprésence des propos discriminatoires qui seraient tenus dans cette émission – phénomène qui ne se limiterait pas, hélas ! à celle-ci mais serait courant dans de nombreuses émissions de grande écoute, qu'elles soient radiophoniques ou audiovisuelles. L'étude a ainsi dénombré pas moins de 159 propos sexistes, 66 séquences LGBTphobes et 51 remarques racistes. Le syndicat précise qu'« avec, en moyenne, 19 séquences discriminantes par émission, les minorités sont à nouveau désignées aux yeux et aux oreilles de tous comme le bouc émissaire idéal. »

Très complète, l'enquête relève que 100 % des émissions écoutées contiendraient des saillies sexistes – en moyenne, une toutes les onze minutes –, 83 % d'entre elles des propos LGBTphobes, 79 % des séquences racistes et, dans pas moins de 50 % de ces émissions, on s'amuserait des viols, des agressions sexuelles, de la pédocriminalité, des infanticides, des féminicides et des violences conjugales…

En banalisant les propos discriminatoires, les médias construisent un monde où il est normal de dévaloriser les minorités. L'hégémonie et l'impunité des discours discriminants façonnent la conscience de millions d'auditeurs et d'auditrices. Dès lors, comment s'étonner de la banalisation et de l'augmentation des violences contre les minorités ? Les discriminations ne sont pas des opinions : elles sont punies par la loi. Le groupe LFI souhaiterait donc connaître les pistes que vous entendez explorer pour agir contre la prolifération de propos sexistes et homophobes sur les ondes.

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Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Chère Aurore Bergé, quelle est la justification de la création d'un régulateur unique ? Le monde des médias se transforme avec l'arrivée d'acteurs extraordinairement puissants sur les plans technologique, financier et culturel. Certes, la transposition de la directive SMA leur imposera des obligations de financement de la création française. Toutefois, pour être efficaces face à de tels acteurs, nous devons rassembler nos forces en unifiant la chaîne de la création, du contrôle du respect des obligations jusqu'à la protection des droits d'auteur, la promotion de l'offre légale et la lutte contre le piratage. C'est pourquoi, au-delà de la fusion du CSA et de l'HADOPI, nous devons impérativement développer également la collaboration entre les régulateurs. Ainsi, nous avons créé un service commun entre le CSA et l'ARCEP, et nous nous efforçons d'articuler notre action avec celle de l'Autorité de la concurrence.

Pour résumer ma réponse à votre première question, je dirai : l'union fait la force. Fusionner le CSA et l'HADOPI au moment de la transposition de la directive SMA a beaucoup de sens eu égard à la protection de l'exception culturelle française et de nos créateurs.

La transparence des obligations des acteurs est un élément central ; le contrôle de ces dernières est une des principales composantes de l'action du CSA. Nous en dressons chaque année un bilan et nous adressons, le cas échéant, des rappels à l'ordre. La transparence de ces nouvelles plateformes sera très importante. C'est la raison pour laquelle, dans notre avis sur le projet d'ordonnance, nous avons beaucoup insisté sur la collaboration entre le CSA et le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ainsi que sur la coopération avec les services fiscaux de l'État. Par ailleurs, nous avons élaboré, avec nos homologues irlandais, au sein du groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels, l'ERGA, un memorandum of understanding, adopté le 3 décembre, qui détaille la manière dont ces régulateurs vont collaborer pour mettre en œuvre efficacement la directive SMA. En effet, les compétences seront partagées entre, d'une part, le régulateur du pays d'installation, qui devra vérifier, par exemple, si la règle imposant l'exposition d'au moins 30 % d'œuvres européennes dans les catalogues des plateformes est effectivement respectée, et, d'autre part, le régulateur du pays de destination, qui devra contrôler le respect des obligations de financement de la création.

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Denis Rapone, président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI)

Je remercie Aurore Bergé et les autres intervenants pour les propos qu'ils ont pu tenir à mon égard ; j'y suis sensible.

Sur les raisons de la fusion, tout a été dit. Lorsque j'ai été entendu par votre mission d'information, j'ai déclaré que la création d'un régulateur unique conférerait à celui‑ci davantage de puissance et contribuerait ainsi à améliorer l'efficacité de la politique publique de protection de la création. Dans le domaine numérique, face à des plateformes dont le poids est considérable, le régulateur doit avoir la crédibilité et les moyens nécessaires pour agir.

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Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Madame Provendier, pendant cette année de préfiguration, les ressources respectives du CSA et de l'HADOPI ont permis de couvrir les quelques dépenses que nous avons engagées, notamment pour nous adjoindre les services de cabinets d'expertise. Par ailleurs, nous avions estimé à un million d'euros le besoin de financement lié aux dépenses que la fusion pourrait générer – je pense, par exemple, à la refonte du site internet de la future autorité –, soit un ordre de grandeur qui était, à ce stade, compatible avec nos enveloppes budgétaires.

Mais puisque vous me tendez la perche, je la saisis. Nous sommes très honorés que le Parlement nous confie, année après année, des attributions nouvelles. Cependant, il est vrai que nous allons être amenés à demander – le magistrat des comptes que je suis s'en fera une douleur – un renforcement de nos moyens. Nous passerons probablement le cap de 2021 mais, à partir de 2022, un nouvel étalonnement de nos ressources sera sans doute nécessaire, car nos missions se sont beaucoup accrues, en particulier au cours des deux dernières années. Sur les crédits de l'HADOPI et le choix du Sénat, je laisserai à M. Rapone le soin de vous répondre.

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Denis Rapone, président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI)

J'avoue que c'est avec un certain étonnement que j'ai appris l'adoption par le Sénat d'un amendement de M. Assouline visant à prélever 3,5 millions d'euros sur le budget de l'HADOPI, qui est limité à 9 millions d'euros depuis plusieurs années, pour alimenter le fonds de soutien aux radios associatives. Outre que je vois mal le lien de causalité entre la diminution des moyens d'action de la lutte contre le piratage et le fait de favoriser l'expression de radios associatives, je dois dire qu'une telle réduction budgétaire ne nous permettra pas de faire face à l'ensemble de nos attributions ; je pense notamment à la mission nouvelle, qui nous incombe au titre de l'article 17 de la directive SMA, de validation des technologies de reconnaissance de contenus, qui permettent notamment de protéger les créateurs qui ne signent pas avec les plateformes de contenus des contrats de licence autorisant ces dernières à diffuser leurs œuvres.

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Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Madame Kuster, je vous remercie de l'attention que vous portez à notre institution en tant que référente CSA au sein de votre commission. L'autorité publique indépendante qu'est le CSA ne maîtrise ni le calendrier parlementaire ni la gestion des niches fiscales. Toujours est-il que l'important, pour nous, est que la fusion intervienne le plus rapidement possible, non seulement parce que l'union fait la force, mais aussi parce que nous avons besoin d'adapter nos outils de lutte contre le piratage à l'évolution de ce phénomène. Par ailleurs, ce texte permettrait d'adopter d'autres mesures de renforcement de la régulation et de faire avancer des chantiers importants tels que la modernisation de la télévision numérique terrestre, qui intéresse au moins 22 % de nos concitoyens et que nous souhaiterions mettre en œuvre avant les Jeux olympiques de 2024.

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Denis Rapone, président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI)

Sur le contenu de la proposition de loi déposée notamment par Mme Le Grip, qui reprend les dispositions adoptées par votre commission, nous n'avons, bien entendu, aucune objection. Cependant, il ne nous appartient pas d'apprécier la manière dont le Gouvernement entend ou non donner suite à telle ou telle proposition de loi. Au demeurant, le support, projet ou proposition de loi, nous est assez indifférent. Notre seule préoccupation est qu'un texte, quel qu'il soit, puisse être adopté par le Parlement dans les meilleurs délais, sinon avant la fin du mois de janvier prochain, comme cela était initialement prévu, du moins au cours de l'année 2021.

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Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Madame Mette, votre intervention était très juste. Il est essentiel de lutter davantage contre le piratage, a fortiori dans le contexte de transposition de la directive SMA. Le piratage sportif notamment s'est beaucoup développé, du fait de l'augmentation des droits, qui a reporté une bonne partie de l'offre audiovisuelle vers des médias payants. Cela a incité ceux qui ne peuvent pas cumuler des abonnements à se tourner vers des procédés illégaux. Mais c'est aussi vrai, bien évidemment, pour l'offre cinématographique. Le président du groupe Canal+ a dit à plusieurs reprises le tort que le streaming faisait à son entreprise, et tous les grands acteurs de l'audiovisuel français se sont exprimés en ce sens auprès de la ministre. Leurs pertes sont très importantes.

Parallèlement, le développement et la promotion de l'offre légale sont essentiels. Le secteur de la musique en est la parfaite illustration : pouvoir disposer, à des prix relativement raisonnables, d'une offre quasi universelle a eu des effets indéniables sur le piratage. Il n'y a pas de fatalité. Les dispositions du projet de loi permettent d'avancer sur ce terrain. Il est urgent de les adopter, d'autant que l'on va demander aux grandes plateformes de financer notre création.

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Denis Rapone, président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI)

Pour les seuls secteurs audiovisuels et de la retransmission des d'un milliard d'euros. En rapprochant ce chiffre du milliard d'euros du plan de relance consacré au secteur, on constate que cette action conjoncturelle, qui est la bienvenue, obtiendrait son plein effet si une action structurelle pour lutter contre le piratage était entreprise en parallèle.

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Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Alors que cela faisait plusieurs années qu'il était question de la nécessaire collaboration du CSA et de l'ARCEP, une convention a été signée entre nos deux institutions. Avec le président Soriano, nous avons procédé il y a peu de temps à une réunion commune des deux collèges et adopté un programme de travail annuel. Nous avons dorénavant un service commun. La collaboration est efficace, étroite et très confiante, si bien qu'il conviendrait, me semble‑t‑il, de faire évoluer la disposition du projet de loi concernant le croisement des deux collèges, qui ne me paraît pas pertinente. Je crois beaucoup à cette collaboration volontaire et désormais quasi institutionnelle. Comme l'a très bien dit Mme Victory, ce sont deux champs de régulation qui gardent de fortes spécificités. Par ailleurs, le plan de charge du CSA est extrêmement lourd. Les membres du collège ont chacun un portefeuille qui les occupe à temps complet. Aller siéger au sein du collège de l'ARCEP chargerait très significativement la barque du conseiller concerné et pourrait affecter le fonctionnement de l'institution.

L'éducation aux médias est un enjeu central, qu'il s'agisse de lutter contre les fausses informations, les thèses complotistes et les contenus haineux sur internet ou de favoriser le bon décryptage de l'information. On ne progressera pas sans une véritable éducation aux médias associant l'ensemble des acteurs. Nous avons signé avec le ministre de l'éducation nationale une convention pour développer ce volet d'action et entretenons une collaboration étroite avec le Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (CLEMI). Nous déployons nous‑mêmes toute une série d'interventions en direction des enseignants pour avancer sur des sujets très importants comme l'égalité entre les femmes et les hommes, la laïcité ou le concept de liberté d'expression. On n'en fait jamais assez sur ces thèmes, et nous avons besoin de mobiliser les médias, qui font déjà beaucoup.

Je vous remercie d'avoir évoqué la situation des radios indépendantes. Nous avons la chance de bénéficier, en France, d'un tissu radiophonique particulièrement dense, avec près de mille radios, qui jouent un rôle très important. Nous sommes en train de regarder leur proposition d'une rémunération au titre de la copie privée. Elles ont été très touchées par la crise, du fait de la chute de leurs recettes publicitaires et, alors qu'elles ont joué leur rôle essentiel de lien social, il est très important de les accompagner. Une aide à la diffusion a été prévue. Nous pensons, pour notre part, qu'il faudra leur en apporter une autre en 2021, qui verra une étape décisive de leur histoire avec le développement de la radio numérique.

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Denis Rapone, président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI)

La disposition qui prévoit la fusion entre le CSA et l'HADOPI à la fin janvier 2021 ne pourra pas rester en l'état, pas plus que celle prévoyant la présence au sein du nouveau collège de l'ARCOM de sept membres – les cinq membres de l'actuel CSA et deux membres nouveaux. Le premier de ces deux membres serait issu de l'ARCEP, selon le principe du croisement des collèges, et le second désigné par le Président de la République, pour mettre en œuvre la réponse graduée, d'après une liste de trois noms, l'un proposé par le premier président de la Cour de cassation, l'autre par le premier président de la Cour des comptes et le troisième par le vice‑président du Conseil d'État. Ce mode de désignation obéit à une contrainte : le second membre doit être magistrat, puisque la réponse graduée est une procédure pré-pénale, dans le cadre de laquelle un certain nombre de pouvoirs d'enquête et d'investigation nécessitent d'être supervisés par un magistrat. S'il y a un nouveau projet de loi, il faudra que soit adjoint aux membres du collège du CSA, qui auront été, à droit constant, renouvelés fin janvier, un membre magistrat issu de ce mode de désignation pour mettre en œuvre la réponse graduée.

L'éducation aux médias nous tient également particulièrement à cœur. Dans le projet de loi, des pouvoirs nous sont donnés afin de sensibiliser les internautes au respect du droit d'auteur et de les responsabiliser. On développe à l'HADOPI, depuis quelques années, et plus récemment sur la base d'une convention avec le ministère de l'éducation nationale, des modules pédagogiques, aussi bien à destination de l'école primaire que du collège, pour essayer de faire évoluer les comportements dans la consommation des œuvres culturelles sur internet.

En partenariat avec le CNC et l'Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA), nous sommes en train de lancer une campagne de communication sur les réseaux sociaux, les chaînes de télévision et dans les salles de cinéma, sur un mode distancé plutôt que moralisateur, autour de l'expérience utilisateur, destinée à montrer que l'utilisation d'un site pirate nuit au confort et à la sûreté du visionnage.

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Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Monsieur Bournazel, la fusion est, en effet, prometteuse. Le très vieux serviteur de l'État que je suis et qui a connu beaucoup de réformes de l'administration vous assure qu'il y a un alignement des planètes assez rare. Plusieurs raisons expliquent cette très bonne configuration : deux présidents qui se connaissent de longue date et entretiennent des liens d'amitié ; un directeur général et une secrétaire générale qui ont ces mêmes liens ; un consensus du secteur, qui est également rare, entre les acteurs, les principaux éditeurs et les ayants droit ; l'union du Parlement en faveur de cette réforme, ce qui est un encouragement formidable pour les deux acteurs.

Par ailleurs, les travaux de préfiguration, que nous avons engagés très tôt, dès le début du mois de janvier, se déroulent très bien, dans un climat de confiance et d'envie de se retrouver. Les personnels sont très contents. Les collègues de l'HADOPI sont venus voir les aspects matériels de cette fusion : les locaux, le restaurant administratif, nos conditions de travail. Tout cela crée une envie de passer à l'étape suivante, qui ne pourra être franchie qu'après l'intervention du Parlement. Nous souhaitons que l'année 2021 nous permette d'aller de l'avant et de lancer cette belle aventure de l'ARCOM. C'est une phase importante. Même si je ne suis président du CSA que depuis deux ans, je vois la mue en cours : le champ de la régulation s'étend, les modes de régulation se transforment. L'arrivée de l'ARCOM marquera une vraie reconnaissance de cette transformation.

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Denis Rapone, président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI)

Je ne peux que m'associer pleinement aux propos tenus par Roch‑Olivier Maistre. La conjoncture est idéale. Il n'était pas si évident, pour ma part, de pouvoir convaincre un collège dont la plupart des membres allaient voir leur mandat écourté. Il a fallu une vraie conviction commune. L'intérêt général devait primer : si la politique publique de protection de la création était mieux servie par un régulateur fusionné, cela valait la peine de s'engager dans cette voie. C'est ce qui a été fait, non pas seulement au niveau des gouvernances, mais de l'ensemble des équipes. Nous avons travaillé de manière totalement transparente, constructive et fructueuse avec Roch‑Olivier, ce qui n'avait rien de surprenant, compte tenu de notre longue amitié. Je salue également le directeur général du CSA, Guillaume Blanchot, la secrétaire générale de l'HADOPI, Pauline Blassel et, autour d'eux, les directeurs, qui ont participé aux groupes de travail, ainsi que l'ensemble des collaborateurs. Il ne faut pas casser la belle dynamique d'adhésion au projet de fusion. Or le défaut de visibilité dont souffre, à ce stade, le projet risque, s'il perdure, de remettre en cause la motivation et la mobilisation des équipes.

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Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Monsieur le député Larive, la régulation pour combattre les discriminations est une mission importante du CSA : nous intervenons régulièrement pour ce motif, parfois avec des sanctions importantes. Vous vous souvenez très certainement des amendes élevées que nous avons prononcées, et qui ont été récemment confirmées par le Conseil d'État, contre la chaîne C8 en raison de propos tenus dans l'émission animée par Cyril Hanouna. C'est un sujet important pour nous. Dans le volet coercitif de notre action, nous fonctionnons à la suite de saisines – j'ai fait vérifier les chiffres : nous n'avons été saisis ni en 2019 ni en 2020. Néanmoins, nous nous sommes procuré cette étude que vous avez évoquée et nous l'étudierons attentivement.

Je ne voudrais pas laisser circuler l'idée que nous serions une police audiovisuelle, et a fortiori un censeur. La mission que vous, législateurs, nous avez confiée est de veiller à ce que les obligations légales, réglementaires et conventionnelles auxquelles les éditeurs sont soumis soient respectées. Si un manquement à ces obligations est constaté, à l'occasion d'une saisine par des téléspectateurs ou par des auditeurs, le CSA remplira son office en utilisant les outils que le législateur lui a confiés.

La loi que nous appliquons est fondamentalement une loi de liberté ; elle est d'ailleurs intitulée « loi relative à la liberté de communication ». Son premier article dit très clairement que la communication est libre. Elle est au secteur audiovisuel ce que la loi de 1881 est pour la presse écrite. Nous sommes les garants de la liberté éditoriale des chaînes, qui relève de la liberté d'expression, très protégée par notre droit.

En regard de cette liberté très affirmée, le législateur a posé des limites tout aussi explicites : on ne peut pas tout dire sur les radios, on ne peut pas tout montrer sur nos écrans de télévision, ni inciter à la haine, ni tenir des propos discriminatoires ; l'égalité entre les femmes et les hommes doit être respectée, la juste représentation de la diversité de la société française doit être assurée. Y veiller, c'est la mission de régulation que nous remplissons. Chaque année, nous publions un baromètre de la diversité, qui nous permet de nourrir un dialogue avec les chaînes afin qu'elles progressent sur ce terrain. Il y a encore du chemin à parcourir, même si nous obtenons des avancées. Soyez assurés que nous sommes très attentifs à la question des discriminations, en particulier celles qui touchent au genre, qui ne sont pas acceptables dans notre société. Nous allons donc regarder cette étude de près.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans le rapport sur la production audiovisuelle en outre‑mer que j'ai rédigé avec ma collègue de Polynésie Maina Sage, nous avons relevé un manque flagrant de visibilité des territoires ultramarins et de leur population dans le paysage audiovisuel français. Un effort particulier a été consenti ces derniers mois par France Télévisions avec la signature du pacte pour la visibilité des outre-mer ; il n'en demeure pas moins que nous devons rester vigilants, au moyen d'un dispositif de suivi régulier et par le renforcement, dans cet objectif, des compétences et de la logistique. Comment envisagez‑vous la poursuite de la mission de contrôle de la visibilité des outre-mer dans le cadre de la future ARCOM ?

Par ailleurs, avant de parler de contrôle et de sanction contre le piratage, notamment des événements sportifs, nous devrions nous questionner sur le coût, inabordable pour bon nombre de nos concitoyens, des multiples abonnements nécessaires pour suivre les différents championnats.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il est, en effet, urgent d'adopter les dispositions législatives permettant la création de l'ARCOM par la fusion du CSA et de l'HADOPI, afin de renforcer la lutte contre le piratage, dans la droite ligne des travaux et du vote émis par notre commission début mars. Je remercie Mme Kuster d'avoir fait la promotion de la proposition de loi que j'ai déposée courant octobre, avec quelques collègues du groupe Les Républicains, au moment où notre parlement a été saisi du projet de loi dit DDADUE, notre but étant d'insister sur l'importance que nous attachions à parachever le dispositif. Je tiens ce véhicule législatif à la disposition du Gouvernement et de sa majorité parlementaire, car nous cherchons à faire œuvre utile, dans un esprit constructif de rassemblement.

Les chiffres sur l'impact économique destructeur de la consommation illicite de contenus sont tout à fait éclairants. Pouvez-vous nous détailler les dégâts subis dans le domaine de la retransmission d'événements sportifs ? Pouvez-vous également nous en dire plus sur la manière dont vous envisagez les opérations de sensibilisation du jeune public à la nécessité de faire un usage licite d'internet, que cela soit avec l'éducation nationale ou avec des associations ? Que faites-vous concrètement sur ce sujet ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pendant le premier confinement, même si le nombre d'abonnements ou d'achats dématérialisés a considérablement augmenté, avec des prix toujours plus bas, la consommation illicite de biens culturels dématérialisés se situait toujours à un niveau supérieur à celui de 2013, d'environ 20 %. L'étude sur le piratage que vous nous avez envoyée, monsieur Rapone, révèle une mixité des usages, avec une alternance entre consommations légale et illicite. Quels moyens permettraient de réduire la part de la consommation illicite, plus occasionnelle ? Celle-ci apparaît comme un complément destiné à répondre à des besoins spécifiques, la troisième raison la plus souvent évoquée par les personnes consommant de manière illicite étant la difficulté à trouver l'œuvre recherchée de façon légale.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

D'ordinaire, les fusions d'instances ont pour objectif une meilleure efficience grâce au développement de synergies et à la rationalisation des moyens. La fusion du CSA et de l'HADOPI est avant tout motivée par la recherche d'une plus grande cohérence dans la régulation en assurant un périmètre plus large d'intervention, et donc une plus grande efficacité. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue les conséquences qu'une telle fusion pourrait avoir : quelles garanties vous semblent nécessaires pour assurer la conservation des effectifs et des moyens budgétaires ? Cette fusion ne pourrait-elle pas être l'occasion d'une augmentation des moyens mis à disposition de la nouvelle autorité ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'ampleur de l'impact économique du streaming illégal et du boîtier IPTV sur le monde du sport ces derniers mois est sans précédent, plus particulièrement pour la retransmission en direct des matchs de football. À titre d'exemple, lors du dernier classico opposant l'Olympique de Marseille au PSG, il est estimé que les téléspectateurs en streaming illégal étaient trois fois plus nombreux que les téléspectateurs abonnés légalement. Le dernier appel d'offres pour les droits télévisés de la période 2020‑2024 a contribué à une véritable fragmentation de l'offre avec l'arrivée d'un nouvel entrant, Mediapro, et la création de sa chaîne, Téléfoot.

Le sport est un fait culturel. Comme pour toute œuvre audiovisuelle, nous devons, à ce titre, prendre les mesures législatives pour lutter contre le piratage sportif. Cependant, ces mesures doivent s'accompagner d'une profonde réflexion pour simplifier et rationaliser l'offre audiovisuelle, pour répondre à tous les nouveaux modes de consommation des téléspectateurs fans de foot et de sport en général. Quelles seraient les pistes pour faire évoluer l'offre audiovisuelle sportive ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Maistre, le CSA a été saisi par trois organismes de défense des droits des enfants s'opposant à l'accès des mineurs aux sites pornographiques. Les dispositifs en place sont insuffisants et ces associations réclament que vous agissiez afin que l'accès à ces sites soit interdit à tout enfant âgé de moins de 18 ans. Quelles mesures comptez-vous prendre et imposer à ces sites ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Grâce à la fusion, nous pourrions envisager de confier à la nouvelle autorité des pouvoirs renforcés. Je pense notamment à la lutte contre les atteintes à la propriété intellectuelle et contre le streaming illégal. Quels sont les nouveaux champs que devrait investir cette autorité fusionnée ?

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Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

S'agissant de la visibilité des outre-mer, monsieur Claireaux, j'évoquais tout à l'heure le baromètre de la diversité que nous publions tous les ans : l'un des items très importants en est la diversité de nos territoires. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel est attentif au respect par les éditeurs de télévision du principe de juste représentation de la société française. Si tous les Français ne se retrouvent pas dans les images qu'ils regardent, s'ils n'y retrouvent pas la société française qu'ils croisent dans leur quotidien, comment exprimer un sentiment d'unité et de cohésion nationales ? Ils pourraient alors être tentés de s'exprimer d'une autre façon, comme nous l'avons constaté dans un passé récent. Cette question de la visibilité de tous nos territoires, et en particulier des outre-mer, est très importante.

Le service public a franchi une étape vraiment intéressante car, même si cela figurait depuis de nombreuses années dans les différents cahiers des charges, il avait quand même beaucoup de retard en la matière. Le pacte de visibilité, avec en particulier le comité de suivi auxquels les parlementaires sont associés, présente un véritable avantage : le parti pris de traiter des outre-mer dans tous les programmes diffusés sur l'ensemble des antennes du service public, de la météo à la fiction en passant par l'information ou le documentaire, est très cohérent. Ainsi, l'information ne doit pas aborder le sujet des outre-mer seulement quand une catastrophe naturelle se produit dans un territoire ultramarin, mais régulièrement et de façon périodique.

Les premiers rendez-vous que nous avons eus sur la mise en œuvre du pacte de visibilité sont plutôt prometteurs. À titre de téléspectateur, c'est toujours avec beaucoup de plaisir que je retrouve des images de nos outre-mer sur les écrans. Regardant beaucoup la télévision, par déformation professionnelle, je mesure un vrai progrès en la matière depuis que le pacte de visibilité a été signé. Si le service public a une responsabilité particulière dans ce domaine du fait de ses missions, nous devons également être attentifs à ce que l'ensemble des éditeurs, avec qui nous dialoguons, avancent dans la même direction.

S'agissant du sport, l'augmentation spectaculaire des droits est le fruit d'une concurrence très forte entre les différents acteurs. Cette concurrence ne cesse de croître, car les grandes plateformes de vidéo par abonnement commencent à investir dans le sport. Ainsi, Amazon est désormais présente dans les manifestations sportives en Allemagne ; en France, elle a réussi à décrocher certains lots des droits de retransmission du tournoi de Roland Garros. D'autres acteurs, comme Facebook, semblent vouloir également pénétrer ce marché. On voit bien le risque que fait courir cette « échelle de perroquet » sur les droits : le consommateur finira par ne plus pouvoir cumuler les abonnements. Entre le téléphone portable, la box, une plateforme de vidéo par abonnement et une plateforme musicale en streaming, il y a un moment où l'addition devient lourde.

Il est intéressant de constater, dans les statistiques de l'HADOPI, qu'une partie importante du piratage provient de personnes déjà abonnées à une plateforme de streaming, mais qui ne peuvent pas cumuler indéfiniment les abonnements. En matière sportive, l'addition pour un aficionado de football qui souhaiterait couvrir l'ensemble des championnats serait purement et simplement insupportable.

Heureusement, le service public conserve des manifestations très importantes comme le Tour de France, Roland Garros ou les Jeux olympiques – j'ai appris avec plaisir que Radio France serait la radio officielle de ces derniers. Il faut être attentif au sujet de l'inflation des droits : les Français doivent pouvoir accéder, sur les chaînes en clair, à une offre sportive suffisamment large.

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Denis Rapone, président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI)

Le lien entre le piratage et l'absence d'offre légale est évident, mais la multiplication des offres légales ne sera pas forcément un vecteur de disparition du piratage. Les usages hybrides vont se développer, car c'est le coût des offres légales qui est en cause. La situation n'est pas la même que dans le secteur de la musique, où les offres légales fonctionnent bien, car elles sont extrêmement accessibles et proposent des catalogues d'œuvres très fournis, voire complets. On ne retrouve pas la même amplitude dans l'offre légale audiovisuelle ou sportive.

Un deuxième enjeu est la modification des comportements. L'objectif de nos campagnes de sensibilisation est d'inciter les jeunes à adopter un autre mode de consommation sur l'internet, concernant les œuvres culturelles comme les compétitions sportives. Il s'agit là d'une œuvre de très longue haleine, que chacun des régulateurs a engagée dans son domaine propre mais de manière convergente, que ce soit la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) pour la protection des données, le CSA, le Défenseur des droits ou nous-mêmes. Il convient de développer autant que possible une relation citoyenne à l'internet : d'abord, tout ne peut pas être gratuit ; ensuite, quel que soit le prix des abonnements, il faut s'inscrire en faux contre l'idée que pirater est une pratique banale et sans conséquence. Il y a beaucoup à faire en matière d'éducation, de pédagogie et de sensibilisation, non seulement dans le domaine sportif, mais sur le terrain du piratage en général.

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Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Madame Le Grip, je suis très heureux que le groupe auquel vous appartenez soutienne la démarche que nous avons engagée. J'espère que ce projet de fusion pourra aboutir très prochainement.

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Denis Rapone, président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI)

Je remercie, moi aussi, Mme Le Grip pour le soutien actif qu'elle apporte à la lutte contre le piratage et au projet de fusion des régulateurs en vue de renforcer cette dernière.

Le manque à gagner dû au piratage sportif a été évalué, dans l'étude que nous avons publiée la semaine dernière, à au moins 100 millions d'euros pour les chaînes qui ont acquis – au prix fort – les droits de retransmission des différentes compétitions sportives. Le live streaming est devenu le principal mode de piratage : 3,4 millions d'internautes utilisent cette technique, désormais privilégiée sur le pair à pair, ce qui met en évidence la nécessité de mettre en place des procédés de « live blocage ». Le projet de loi comportait de ce point de vue des dispositions intéressantes permettant au juge d'ordonner des mesures de blocage et assurant leur suivi dynamique dans le temps par le régulateur, celui-ci pouvant intervenir dans un rapport de quasi‑concomitance, puisque, en matière sportive, la valeur d'une retransmission diminue au fur et à mesure de l'avancée du match.

Dans le domaine de la sensibilisation du jeune public, les actions que nous menons prennent la forme de modules pédagogiques, destinés principalement aux enseignants, qui peuvent les utiliser en classe avec l'aide d'une association agréée par les ministères. L'idée est de mettre les élèves en position de créer des contenus, par exemple des BD numériques, afin qu'ils puissent appréhender la notion de propriété intellectuelle, et qu'ils voient ce que cela fait quand son œuvre est pillée. Nous en sommes à quelque 10 000 élèves sensibilisés par ce moyen. La convention récemment signée avec le ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports nous fait espérer que l'on puisse quitter la phase expérimentale pour passer à une sensibilisation plus massive.

Pour en revenir à l'actualité, la campagne de communication que j'ai évoquée cible de manière privilégiée les jeunes âgés de 15 à 25 ans. Afin que le message puisse être reçu, compris, voire apprécié par ce public, on a demandé à de jeunes vidéastes de tourner de petits films sur un mode humoristique ou usant de la dérision pour mettre en évidence le fait que l'offre légale procure pour l'utilisateur bien plus de satisfaction que les sites pirates, lesquels peuvent comporter des publicités intrusives ou afficher des sous-titres qui n'ont rien à voir avec ce qui est dit à l'image. C'est dans cet esprit que la campagne a été conçue, et nous espérons qu'elle touchera tout particulièrement le public visé, car c'est celui qui recourt le plus au piratage, comme s'il s'agissait d'une pratique banale.

Plus généralement, chaque régulateur étant amené, dans son champ de compétence, à aller vers les élèves pour les sensibiliser, qui au droit d'auteur, qui à la défense des droits, qui à la protection contre les images susceptibles de choquer leur sensibilité, qui à la protection des données, nous avons conçu une mallette pédagogique commune afin que les enseignants aient, à travers un même support, accès aux différents outils de sensibilisation.

Je répondrai à Mme Piron que les données publiées la semaine dernière montrent qu'il y a eu, pendant les périodes de confinement, un recours plus important aux modes légaux d'accès aux contenus, principalement pour ce qui concerne l'audiovisuel et les séries, mais aussi au piratage, les pratiques mêlant en réalité accès légaux et accès illégaux. Une étude commune avec le CSA est en cours pour étudier les conséquences en matière de piratage de la multiplication et de la fragmentation des offres légales ; on a déjà évoqué le facteur coût, l'obligation de cumul des abonnements finissant par rendre difficile l'accès à l'ensemble des contenus souhaités, mais sans doute y a-t-il d'autres facteurs à identifier.

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Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Vous avez raison, madame Bazin-Malgras, de souligner que la fusion du CSA et de l'HADOPI ne répond pas à une logique de rationalisation administrative et budgétaire. Certes, on réunit deux entités et l'on simplifie, d'une certaine façon, le paysage des autorités publiques indépendantes, mais la finalité première de l'opération est d'améliorer une politique publique essentielle en appréhendant le phénomène du piratage de manière globale et en unissant les forces de deux institutions. En l'état de nos réflexions, et sous réserve que le CSA, qui voit par ailleurs ses compétences étendues par le Parlement, bénéficie d'un certain renfort, nous pensons que la fusion du CSA et de l'HADOPI n'engendrera pas de besoins budgétaires supplémentaires ; nous devrions pouvoir y faire face.

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Denis Rapone, président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI)

Je suis totalement d'accord.

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Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Monsieur Roussel, nous avons déjà abordé la question des droits sportifs, en particulier pour ce qui concerne le foot. Ce que vous avez dit est tout à fait juste, singulièrement pour les matchs du PSG, que je suis moi-même avec attention.

En matière de droits, je pense qu'il faut raison garder. Les difficultés actuelles de l'entreprise qui avait obtenu auprès de la Ligue de football professionnel les droits de retransmission des matches de L1 et de L2 montrent que l'heure est venue d'appeler à une certaine mesure en la matière, si l'on ne veut pas que le secteur s'expose à des déboires, avec les risques que cela ferait courir aux clubs eux-mêmes. Cela suppose que les professionnels du sport, d'une part, et les acteurs du paysage audiovisuel, d'autre part, laissent une possibilité d'accès aux droits de retransmission des événements sportifs. Cela vaut tout particulièrement pour le service public, qui est investi d'une mission particulière en la matière, mais aussi pour les autres chaînes de la TNT – je pense notamment à TF1 et à M6. Il faut que l'on puisse offrir aux Français le plaisir du sport à la télévision, qui est une des émotions fortes que celle‑ci nous apporte.

Il existe une réglementation concernant la couverture des grands événements sportifs, dont la liste est fixée par décret ; le Tour de France en fait partie. La précédente ministre des sports avait engagé une réflexion en vue d'un éventuel élargissement de cette liste ; la concertation semble s'être interrompue – en tout cas, nous n'en avons pas de nouvelles. Nous avions nous-mêmes rendu, il y a un an et demi, un avis sur le sujet, mais celui-ci a disparu des écrans radars. Il y aurait pourtant là matière à réflexion : si les Français ne peuvent plus accéder en clair aux événements sportifs, ce ne sera pas un progrès.

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Denis Rapone, président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI)

Tout comme dans le domaine de la musique ou de l'audiovisuel, il y a un équilibre à trouver, notamment pour que les internautes puissent accéder à des offres à des tarifs raisonnables ; il est clair qu'on en est encore loin. Néanmoins, je crois que cette recherche d'équilibre doit se faire parallèlement à une sécurisation du marché, grâce notamment à un renforcement de la lutte contre le piratage sportif. Si, à ce stade, nous ne disposons d'aucune compétence en la matière, le projet de loi contenait des éléments intéressants en vue d'assurer une forme de sécurité pour les différents acteurs, qu'il s'agisse du milieu sportif ou des chaînes qui ont acquis les droits de retransmission, pour qu'ils évoluent dans un univers le moins piraté possible.

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Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Madame Meunier, par l'adoption d'un amendement à la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, le président du CSA s'est vu attribuer une compétence nouvelle : la capacité de mettre en demeure un site qui diffuserait des contenus pornographiques sans déployer un dispositif permettant de s'assurer que les personnes qui s'y connectent sont bien majeures. Si l'exposition des mineurs à de tels contenus est sanctionnée par le code pénal, on se contentait jusqu'à présent de disclaimers, ce qui revenait à demander à l'utilisateur de confirmer par un simple clic qu'il avait plus de 18 ans pour avoir accès aux images. L'objectif de la nouvelle disposition est d'obliger les acteurs à mettre en place un dispositif réellement protecteur : après une mise en demeure, ils doivent répondre dans un délai de quinze jours au président du CSA et, s'ils ne se conforment pas à la loi, celui-ci a la possibilité de saisir le tribunal judiciaire pour qu'il prononce la suspension du site par les fournisseurs d'accès.

Comme l'a signalé le président Studer en début d'audition, j'ai été saisi, il y a une semaine environ, par trois associations qui œuvrent dans ce domaine, des cas d'une petite dizaine de sites. Nous sommes en train d'instruire le dossier. Cela soulève des questions de droit nouvelles. Première difficulté : l'article de loi prévoit un décret d'application, qui n'a pas encore été publié ; il semblerait toutefois, d'après les analyses juridiques qui ont été faites, que ce ne soit pas une condition sine qua non à la mise en œuvre du texte. Deuxième difficulté : les sites incriminés ne sont pas localisés à proximité ; il va falloir aller les chercher. Soyez néanmoins assurés que nous avons l'intention de nous saisir avec détermination de cette nouvelle compétence. C'est une question qui émeut nombre d'associations féministes ; plusieurs instructions judiciaires sont en cours concernant certains sites et les conditions de tournage de ce type de films. C'est là un point qui fait l'objet d'une vigilance particulière de notre part et de la part des chaînes, implantées sur notre territoire, qui diffusent ces films – sous convention d'ailleurs avec le CSA.

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Denis Rapone, président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI)

Madame Anthoine, les nouveaux champs de la régulation que la nouvelle autorité pourrait assurer sont, outre ceux déjà évoqués par Roch-Olivier Maistre, les atteintes aux droits d'auteur à travers les plateformes numériques, les infox, la protection des mineurs, les contenus haineux etc. Bref, je pense que le nouveau régulateur ne manquera pas d'activités !

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Messieurs, merci beaucoup pour vos réponses. Je profite de ce qui est probablement votre dernière audition par la commission des affaires culturelles et de l'éducation, monsieur Rapone, pour vous remercier tout particulièrement, au nom de l'ensemble de la commission, pour la qualité du travail que nous avons réalisé ensemble et, en tant que représentant de la nation, pour la lutte que vous avez menée en faveur de la création française et des auteurs et créateurs de notre pays, avec tout ce que cela implique en termes d'image et d'exception culturelle française, que ce soit en Europe, où nous avons gagné des combats importants ces derniers mois, ou dans le monde entier. Je pense que vos collaborateurs de l'HADOPI auront été sensibles à la considération dont vous avez fait preuve envers eux et à votre inquiétude par rapport à l'avenir de l'institution. Pour tout cela, je veux vous rendre hommage.

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Denis Rapone, président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI)

Merci infiniment, monsieur le président, pour ces propos qui me touchent beaucoup.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Maistre, vous avez fait allusion au projet de loi relatif au renforcement des valeurs de la République. Je rappelle que l'article 1er de la loi de 1905 affirme que « la République assure la liberté de conscience » : lorsqu'on parle des algorithmes, de l'enfermement algorithmique et des biais cognitifs que cela peut induire, il me semble que nous sommes au cœur du sujet. Le législateur que nous sommes a la responsabilité de s'interroger sur la puissance de ces calculs, que vous expertisez pour nous permettre ensuite de travailler au mieux. Je pense que nous serons très vite amenés à nous revoir dans ce cadre.

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Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Je veux dire à mon tour, au nom de tout le CSA, que nous sommes très sensibles à la qualité de la relation tissée avec votre commission et au dialogue confiant et, si vous me permettez de le qualifier ainsi, amical que vous avez instauré. Cela nous fait chaud au cœur de sentir que nous disposons du soutien constant des membres de votre commission, qui nous est très précieux pour nous acquitter des missions nombreuses, variées et souvent difficiles qui nous sont confiées.

La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.