La réunion débute à 18 heures 20.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, Présidente.
La Commission poursuit l'examen du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (n° 778) (Mme Alexandra Louis, rapporteure).
Mes chers collègues, nous reprenons l'examen des articles du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
Article 2 (suite)
La Commission examine l'amendement CL47 de Mme Marie-Pierre Rixain.
Issu de la recommandation n° 6 de la Délégation aux droits des femmes, le présent amendement vise à clarifier l'application de l'article 222–22–1 du code pénal qui dispose que la contrainte morale peut résulter de la différence d'âge entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime. Cette précision de la notion de contrainte s'applique en effet non seulement à l'article 222–22, relatif à l'agression sexuelle, mais également à l'article 222–23, relatif au viol.
Il est logique que seul l'article 222-22 du code pénal soit visé, dans la mesure où cet article figure dans les dispositions communes à l'ensemble des agressions sexuelles, qu'il s'agisse de viols ou d'agressions sexuelles autres que le viol, à la différence des articles 222-23 et suivants, qui sont propres à chacune de ces deux catégories d'infractions.
En conséquence, il ne fait pas de doute que la définition de la notion de contrainte s'applique à l'ensemble de ces infractions. Il n'y a pas lieu d'ajouter la précision que vous appelez de vos voeux.
Je vous invite à retirer votre amendement.
L'amendement est retiré.
La Commission est saisie de l'amendement CL64 de M. Xavier Breton.
La contrainte peut être morale ou physique ; elle peut résulter de plusieurs situations, dont l'autorité de l'auteur sur la victime et la particulière vulnérabilité de celle-ci, qui peut affaiblir sa capacité de résistance.
Aussi proposons-nous que les mots « exerce sur la victime » soient remplacés par « a sur la victime » qui supposent que l'état d'autorité constitue à lui seul une contrainte sans que l'exercice de cette autorité soit exigé.
Cette question a été posée lors des auditions préparatoires : faut-il préciser la notion de contrainte ? À trop vouloir préciser les notions, on risque d'enfermer le juge dans des définitions trop strictes, qui empêchent parfois de cerner certaines situations.
Le choix a été fait de ne pas définir les notions de violence, contrainte, menace ou surprise dans le code pénal.
L'état de vulnérabilité de la victime est de longue date pris en compte par les juridictions au titre de la contrainte morale, comme dans le cas d'une femme vulnérable face à son médecin, par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 octobre 1994, d'une jeune fille timide face à un supérieur hiérarchique au caractère tyrannique ou d'une victime dépressive et souffrant de pathologies mentales. Il en va de même de l'autorité qu'a l'auteur des faits sur la victime, qui ne soulève en pratique aucune difficulté de caractérisation.
Il me semble donc qu'il faut laisser à la jurisprudence le soin de caractériser ces notions plutôt que de les graver dans le marbre de la loi. Pour ces raisons mon avis est défavorable.
La Commission rejette cet amendement.
Elle se saisit ensuite de l'amendement CL118 de Mme Bénédicte Taurine.
Cet amendement rédige l'alinéa 2 de la façon suivante : « Lorsque les faits sont commis sur un mineur de moins de 13 ans par une personne majeure d'au moins cinq ans son aînée, cette dernière doit apporter la preuve du consentement du mineur. »
Le dispositif prévu par le projet de loi ne suffit pas à protéger de façon convenable les mineurs victimes de viol, puisqu'il se borne à reprendre la jurisprudence. Il nous semble qu'en ce qui concerne de très jeunes mineurs, il faut a minima que la charge de la preuve soit inversée car, dans ce cas, la présomption de non-consentement est indispensable.
En l'état actuel du droit, il existe une forme de présomption de consentement : les corps des femmes et des jeunes filles sont présumés disponibles jusqu'à ce qu'elles apportent elles-mêmes la preuve du contraire. Cet état du droit nous semble archaïque, notamment quand il s'agit de jeunes victimes.
La spécificité des violences faites aux femmes, le très faible taux de condamnations et les difficultés à établir la preuve nécessitent un traitement spécifique. Il faut donner des outils supplémentaires aux magistrats et aux jurés afin d'éviter des non-lieux en matière de viols commis sur de très jeunes mineurs, mais aussi d'adresser un message à la société tout entière.
Cet amendement propose une présomption simple de non-consentement pour les faits commis sur un mineur de moins de 13 ans par une personne majeure d'au moins cinq ans son aînée.
Par cohérence avec la position que j'ai jusque-là défendue, je suis défavorable à cette rédaction qui ne manquerait pas d'être source d'importantes difficultés, pour au moins trois raisons.
Premièrement, il n'est pas certain qu'une telle présomption soit conforme à notre Constitution compte tenu de l'état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière, qui s'applique encore plus dans le domaine criminel, qui nous occupe aujourd'hui.
En second lieu, comme les autres propositions, elle crée des risques d'effets de palier, et revient sur le seuil de l'âge de 15 ans, dont le maintien nous paraît très important, comme l'ont montré tant les travaux de la secrétaire d'État que nos propres auditions.
Enfin, la question de l'écart d'âge serait source de complexité et de contestations.
Pour ces raisons, mon avis est défavorable.
J'évoquerai la décision n° 99-411 du 16 juin 1999 du Conseil constitutionnel : « en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu'est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité. »
Ainsi, des décisions du Conseil vont déjà dans ce sens, dès lors, pourquoi ne pas les intégrer au texte ? Cela permettrait de voir s'il nous donne les moyens de rendre constitutionnelle une telle intention.
Nous pourrions au moins nous retrouver sur l'intention : la ministre ayant indiqué qu'elle accepterait tous les amendements allant dans le sens de l'amélioration du texte, je ne doute pas de son soutien.
La décision du Conseil constitutionnel que vous évoquez traite de la matière contraventionnelle…
Or, nous nous situons ici dans le domaine criminel qui ne connaît aucune présomption et le Conseil d'État a émis les plus grandes réserves à ce sujet. Nous ne pouvons pas prendre le risque d'une censure du Conseil constitutionnel : cela s'est produit au sujet du harcèlement sexuel, ce qui a eu pour effet de faire tomber toute une série de procédures.
La rédaction que je vous proposerai permettra de recentrer la définition en fixant l'âge seuil à 15 ans.
Vous proposez par ailleurs une présomption simple qui n'empêchera jamais le débat sur le consentement de la victime, parce qu'elle implique que la défense puisse renverser cette présomption. Je n'ignore pas que beaucoup veulent éviter cela, c'est pourquoi le Gouvernement a proposé d'inscrire cet âge de 15 ans dans la loi en redéfinissant la contrainte ou la surprise, dont nous améliorons encore la définition, ce qui est beaucoup plus protecteur pour les mineurs.
En outre, elle s'appliquera aux dossiers pendants devant les juridictions, alors qu'une présomption ne pourrait concerner que les faits survenant après la promulgation de la loi.
Nous avons su trouver un texte d'équilibre et je vous donnerai plus de précisions en présentant mon amendement.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL210 de Mme Albane Gaillot, CL104 de Mme Lætitia Avia, CL193 de la rapporteure, CL247 de M. Dimitri Houbron et CL46 de Mme Marie-Pierre Rixain, les amendements CL193 et CL247 étant identiques.
Cet amendement vise à prendre en compte plus spécifiquement les violences sexistes et sexuelles à l'encontre des personnes handicapées.
Dans le texte actuel, il n'est aucunement indiqué que le manque de « discernement » ou de « maturité » puisse résulter directement de la situation de handicap, ce qui ne facilite pas la preuve de la vulnérabilité. Il apparaît ainsi essentiel que les filles et femmes handicapées victimes de violences sexistes et sexuelles soient davantage protégées par la loi qu'elles ne le sont actuellement.
Notre amendement vise à mieux prendre en compte la vulnérabilité due à l'âge du mineur concerné.
Dans la mesure où il poursuit le même but que les amendements identiques de la rapporteure et de M. Houbron, dont la rédaction me semble meilleure, je le retire.
L'amendement CL104 est retiré.
Au cours des auditions, nous avons réfléchi à la façon d'améliorer la rédaction de cet article afin de le rendre beaucoup plus efficace et plus utilisable par les praticiens et les magistrats. Aussi nous proposons de substituer aux mots : « peuvent résulter de l'abus de l'ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou », les mots : « sont caractérisées par l'abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas ». Ce qui nous conduit à substituer aux notions d'abus d'ignorance et de maturité celles de discernement et de vulnérabilité, auxquelles les magistrats et les spécialistes recourent bien plus couramment.
Cette rédaction permet de bien cerner la problématique du consentement, donc de la surprise et de la contrainte, notamment lorsqu'elles concernent des mineurs ; ce qui garantit aux intéressés une meilleure protection.
Cet amendement résulte des nombreuses auditions menées afin de trouver un équilibre en recourant à des notions régulièrement utilisées par les magistrats qui auront la charge de traiter ces affaires.
La rédaction proposée permettra de régler des affaires pendantes devant les tribunaux ainsi que des affaires à venir, et ne manquera pas de constituer un outil efficace dans les mains des juges pour régler ces difficultés.
L'amendement CL46, issu de la recommandation n° 6 de la Délégation aux droits des femmes, vise à simplifier et à clarifier le fait que la contrainte ou la surprise, élément constitutif du viol ou de l'agression sexuelle, peuvent résulter d'un abus de l'ignorance de la victime âgée de moins de 15 ans qui, du fait de son âge, n'est pas en mesure de consentir à des actes sexuels.
Nous soutenons pleinement l'idée de faire figurer dans le code pénal que l'écart d'âge entre un mineur de 15 ans et un majeur peut être un élément constitutif de la contrainte ou de la surprise.
Toutefois, de nombreux experts nous ont signalé que la formulation retenue était trop complexe et risquerait de nuire à l'efficacité du dispositif en étant utilisée au bénéfice des mis en cause.
S'agissant de l'amendement CL210, je rappelle que l'objet de l'article 2 était de lever une difficulté jurisprudentielle portant sur l'appréciation de la surprise et de la contrainte lorsqu'elles concernent les mineurs. Or la jurisprudence prend déjà en compte la notion de vulnérabilité, singulièrement dans les situations que vous évoquez.
C'est pourquoi je vous suggère de le retirer, faute de quoi j'émettrai un avis défavorable. Mon avis sera par ailleurs défavorable à tous les autres amendements.
La rédaction que je propose répond à un besoin de clarté et permet de mieux protéger les mineurs et de mieux définir les notions de contrainte et de surprise pour qualifier les agressions sexuelles et les viols commis sur mineur.
Le Gouvernement est favorable à l'amendement CL193 de la rapporteure. Dans un souci d'apporter une plus grande protection, l'article 2 du projet de loi allège considérablement la preuve de la contrainte pour les mineurs de moins de 15 ans en posant une règle selon laquelle la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l'abus de vulnérabilité de la victime lorsqu'elle ne disposait pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes. Et cette disposition, il est important de le rappeler, s'appliquera de manière rétroactive, c'est-à-dire qu'elle concernera aussi les procédures en cours, cela même pour les faits commis, mais non encore dénoncés, avant l'adoption de la loi. Cela montre qu'un réel souci d'efficacité a présidé à la rédaction de cet article.
Le renforcement de la protection des mineurs de 15 ans est en outre assuré par deux dispositions importantes : l'aggravation des peines d'atteintes sexuelles à dix ans d'emprisonnement lorsqu'un majeur commet un acte de pénétration sexuelle sur un mineur de moins de 15 ans ; l'obligation pour le président de la cour d'assises, dans l'hypothèse où la qualification de viol serait contestée, de prévoir subsidiairement une qualification d'atteinte sexuelle pour que jamais aucun auteur de ces faits ne reste impuni.
C'est une mesure très forte et la mise en oeuvre des dispositions du projet de loi aura également pour effet d'éviter le recours à la technique dite de correctionnalisation – la déqualification des faits de viol en délit afin de renvoyer l'auteur devant le tribunal correctionnel – grâce notamment à la facilitation de l'établissement de la contrainte par le nouvel article 222-22-1 du code pénal, et la question subsidiaire obligatoire sur la qualification d'atteintes sexuelles prévue par le même code.
En outre, la création du tribunal criminel départemental prévue par le projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022 s'inscrit également dans cet objectif très clair du Gouvernement d'éviter les correctionnalisations de viol, dont il convient de rappeler qu'elles sont aujourd'hui en grande partie liées à l'engorgement des cours d'assises ainsi qu'aux délais d'audiencement anormalement longs devant ces juridictions.
Pour ces raisons, le Gouvernement est favorable aux amendements identiques CL193 et CL247 et défavorable aux autres.
Nous arrivons au coeur de ce qui nous préoccupe : garantir une protection accrue aux mineurs victimes de viols et éviter des décisions de justice ne permettant pas de retenir la qualification de viol parce qu'il est difficile de qualifier et de caractériser le défaut de consentement.
Les notions d'abus d'ignorance et de maturité qui figurent dans le texte ne sont probablement pas suffisamment fiables juridiquement et pas assez habituellement utilisées par les magistrats, ce qui risque à nouveau de laisser place à une interprétation trop floue, trop subjective, voire trop psychologisante.
L'amendement de la rapporteure propose un recentrage sur la notion de discernement ainsi que la prise en compte de la vulnérabilité due à l'âge. La notion de discernement est couramment utilisée par les magistrats et les experts, en droit civil comme en droit pénal ; or nous avons entendu à quel point la prise en compte explicite de la vulnérabilité était importante.
L'amendement présenté par la rapporteure est de nature à rassurer les membres de la Délégation aux droits des femmes, car il donne des armes au juge afin qu'il retienne la contrainte lorsque des violences sexuelles sont exercées sur des mineurs. Dans ces conditions, nous retirons notre amendement.
L'amendement CL46 est retiré.
En vous écoutant, madame la ministre, j'ai cru avoir confirmation de l'une de nos inquiétudes : en créant une sanction plus élevée pour un délit d'atteinte sexuelle avec pénétration, ne permettez-vous pas la correctionnalisation du viol ?
Je me suis exprimée assez longuement à ce sujet ce matin : l'objet de cet article est de disposer de deux seuils.
Il s'agit tout d'abord de ne laisser aucune situation sans réponse ; à cette fin, nous voulons provoquer le questionnement systématique par le magistrat, même lorsque la victime n'est pas capable de prouver le viol. Faute de quoi, nous constatons des acquittements ; or, le but de ce projet de loi est d'obtenir des condamnations.
Nous utilisons les mêmes chiffres, et vous savez comme moi que seulement 1 % des violeurs sont véritablement condamnés ; il n'est pas tolérable qu'en France 99 % des violeurs soient dans la nature : ils se promènent au parc, ils sont au restaurant, au travail, ils vont chercher leurs enfants à l'école, ils ne sont pas en prison. Ce que nous voulons, c'est une condamnation effective pour tous les cas.
La deuxième intention de cet article est de poser un interdit civilisationnel clair : l'interdit du rapport sexuel, même dit consenti, entre un majeur et un mineur de moins de quinze ans. Même lorsque le mineur concerné dit qu'il n'y a pas viol, qu'il était consentant, et qu'il n'a pas pu être prouvé qu'il y avait défaut de contrainte, de surprise, etc. et que le magistrat ne dispose pas d'assez d'éléments, cet interdit devient l'atteinte sexuelle avec pénétration.
Tous les rapports sexuels ne sont pas des viols, mais nous voulons condamner tous les rapports sexuels impliquant des mineurs de 15 ans, en partant du principe qu'avant cet âge il n'est pas possible d'avoir un rapport sexuel avec un adulte. Notre intention est très claire ; elle est cohérente avec l'engagement du Président de la République ainsi qu'avec ceux que j'ai toujours pris, comme l'a fait aussi la majorité dès l'annonce de ce projet de loi.
Je ne suis pas certain, madame la ministre, de bien saisir votre propos. Au mois de novembre dernier, vous avez considéré qu'en dessous d'un certain âge, il ne pouvait pas y avoir débat sur le consentement sexuel d'un enfant, et que tout enfant, en dessous d'un certain âge – le Haut Conseil à l'égalité préconise 13 ans, des parlementaires 15 ans – devait être considéré comme violé ou agressé sexuellement.
L'exigence de la preuve risque de conduire à la correctionnalisation ; or, nous avions tous compris que vous étiez partisane d'une criminalisation systématique, pas d'une correctionnalisation de ces actes.
C'est ce que nous attendons, même si peut-être, à travers nos paroles et nos amendements, nous ne l'exprimons pas clairement.
Nous ne devons pas oublier notre responsabilité de législateurs, qui est de veiller à ce que les textes que nous adoptons soient efficients et répondent à leur objectif premier : en l'occurrence, une zone grise doit être supprimée.
J'entends parler du risque de correctionnalisation, aujourd'hui la procédure est criminelle, et si d'aventure – et c'est là que le bât blesse – les éléments réunis ne permettent pas d'établir la matérialité du viol, à savoir contrainte, violence ou surprise, le prévenu est acquitté. Souhaitons-nous que le choix porte sur la condamnation ou sur la relaxe ?
Une graduation doit bien être prévue afin de pouvoir sanctionner en toutes hypothèses une personne ayant eu une relation sexuelle emportant un acte de pénétration avec un mineur. C'est ce que la ministre a dit au mois de novembre dernier ; nous ne cautionnons pas l'acte de pénétration ; mais s'il y a viol dès lors qu'il y a contrainte, violence ou surprise, qui sont les éléments constitutifs du viol, la condamnation est criminelle. En l'absence de ces éléments, on recourt à la notion d'atteinte sexuelle ; nous ne modifions donc pas notre droit, nous renforçons la sanction dès lors qu'il y a pénétration.
Dans le cadre des travaux conduits par la Délégation aux droits des femmes, il a été rappelé que 40 % des viols exercés sur des mineurs le sont par contrainte ou menace, et 42 % par surprise. On comprend donc aisément la nécessité de donner au juge les moyens de retenir la contrainte ou la menace.
La proposition du Gouvernement ainsi que la précision apportée par l'amendement de la rapporteure permettront au juge de retenir bien plus facilement la contrainte ou la menace ; ce qui renforcera la répression des violences sexuelles exercées sur les mineurs, et, in fine, la prévention.
Cette précision ne va pas dans le sens de la correctionnalisation de la procédure ; au contraire, elle favorisera une meilleure répression des violences sexuelles exercées sur les mineurs, qui seront sanctionnées beaucoup plus sévèrement. Elle permettra aussi d'adresser à l'ensemble de la population française le message qu'aujourd'hui, en 2018, les violences sexuelles exercées sur les mineurs ne seront plus tolérées, qu'elles aient eu lieu dans le cadre d'un viol ou même si les quatre éléments constitutifs ne peuvent être retenus par le juge.
Nous avons tous compris que l'objet était le renforcement des condamnations et des sanctions.
Toutefois, vous prétendez vouloir accroître le nombre des condamnations, sans pour autant établir la distinction entre le viol, défini par l'acte de pénétration, et l'atteinte sexuelle. Vous ne faites ainsi que maintenir la tendance croissante à la correctionnalisation du viol. En effet, de plus en plus de plaintes font aujourd'hui l'objet d'une procédure correctionnelle : cela va plus vite et la chance d'aboutir à une condamnation est supérieure. Pour notre part, nous proposons d'inverser la charge de la preuve afin que les condamnations pour viol soient effectivement prononcées.
À mesure que nous avançons dans nos débats, j'éprouve le sentiment que nous nous écartons de leur objet : que voulons-nous tous ensemble ? Qu'il n'y ait pas de « trou dans la raquette ».
Pour avoir présidé des cours d'assises, je sais que le débat judiciaire fait que l'on est parfois en mesure de démontrer une culpabilité et que cela est parfois plus difficile. Cela a été dit, nous essayons de sortir de cette logique de « on-off ».
Une cour d'assises peut parfaitement disqualifier des faits en correctionnelle et nous pourrions donc considérer que nous n'avons pas besoin de nouveau texte. N'oublions toutefois pas que les cours d'assises ont souvent tendance à rechercher s'il y a ou non culpabilité.
Ce texte permet de flécher le regard du magistrat vers une notion particulière et de répondre à des situations dans lesquelles les preuves objectives ne sont pas faciles à atteindre. Dans ces conditions précises, nous demandons au magistrat de poser a minima une question subsidiaire, ce qu'il aurait déjà pu faire puisque le fonctionnement des cours d'assises le permet. Simplement, la rédaction proposée offre sans conteste une garantie très supérieure pour aboutir à la condamnation des faits – pour autant qu'ils soient démontrés, car notre droit exige la démonstration.
Une collègue a soutenu tout à l'heure que la pénétration serait la caractéristique du viol. Elle ne l'est pas : c'est l'absence de consentement qui caractérise le viol.
Cette absence de consentement peut se constater de différentes manières, notamment par une contrainte morale ou par une surprise. Notre rédaction a pour objectif de faciliter la qualification de viol sur mineur de moins de 15 ans. Ce faisant, nous allons à l'opposé d'une correctionnalisation, puisque les faits pourront être plus facilement criminalisés.
D'autre part, le nouveau tribunal criminel départemental permettra d'obtenir une audience dans des délais beaucoup plus courts que devant une cour d'assises, où ils sont parfois trop longs, tant pour les victimes que pour le monde de la justice, de sorte qu'on recourt parfois de façon exagérée à la correctionnalisation. Des délais plus courts permettront, à notre sens, une qualification criminelle plus fréquente, ce qui répondra à l'impératif que nous partageons tous.
La correctionnalisation est en effet un problème que nous ne nions pas. Mais il ne faut pas tout confondre : la rédaction proposée par le Gouvernement améliore la protection des mineurs et ne crée pas de risque de correctionnalisation.
Pour rappel, nous évoquons trois infractions distinctes. Le viol, dont la pénétration constitue l'élément matériel, est établi s'il y a contrainte, surprise, menace ou violence. L'agression sexuelle, également caractérisée par ces éléments de contrainte, surprise, menace ou violence, ne requiert pas la pénétration pour être établie. Enfin les atteintes sexuelles sont des agissements perpétrés avec le consentement de la victime mineure par un majeur.
Ces dernières ne sanctionnent pas la violation d'un consentement, mais le fait qu'un adulte ne peut avoir de relation sexuelle avec un mineur de 15 ans. Punie aujourd'hui de cinq ans d'emprisonnement, cette interdiction, qui existe déjà dans la loi, serait désormais assortie d'une peine renforcée.
Le phénomène de correctionnalisation tient à différentes raisons. Il peut parfois tenir au fait que l'administration de la preuve est difficile à faire devant une cour d'assises. Les magistrats que j'ai entendus au cours de mes auditions sont très attentifs à la question et m'ont dit tout faire pour éviter la correctionnalisation. Malheureusement, il n'y a pas en ce dossier-type, mais une multitude de dossiers différents recouvrant des situations très complexes.
Que la preuve d'une pénétration soit difficile à apporter amène l'infraction à être jugée au niveau correctionnel. Nous devons prendre en compte cette réalité.
En matière pénale, les droits de la défense doivent également être respectés : s'il y a doute, il profite au mis en cause.
Nous sommes tout aussi conscients que le Gouvernement du problème que vous évoquez. La création du tribunal criminel départemental répondra aux besoins de clarification, en permettant la prise en charge des dossiers concernés.
Ce texte marque donc un pas en avant et permet de mieux sanctionner toute relation sexuelle d'un adulte avec un mineur de 15 ans.
Les amendements CL210, CL104 et CL46 sont retirés.
La Commission adopte les amendements identiques CL193 et CL247.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CL262 de Mme Nathalie Elimas, CL38 de Mme Mireille Robert et CL179 de Mme Nathalie Elimas.
Le premier amendement vise à mettre un terme aux discussions insupportables sur le consentement d'un enfant à une relation sexuelle avec un majeur.
Nous proposons de fixer deux seuils d'âge. Le premier, en dessous de 13 ans, afin que la contrainte soit établie sans aucune discussion sur un éventuel consentement de l'enfant. Dans ce cas, un seul élément constitutif du viol, la contrainte, est retenu pour permettre l'établissement de l'infraction. Cela n'empêchera cependant pas la défense de contredire les autres éléments constitutifs, ce qui évitera de porter atteinte à la présomption d'innocence.
Le deuxième seuil d'âge, entre 13 et 15 ans, vise au renversement de la charge de la preuve, en faisant peser une présomption simple de contrainte morale sur l'accusé auteur des faits.
Sans doute nous opposera-t-on que cet amendement est inconstitutionnel. Pour ma part, je ne connais qu'un juge de la constitutionnalité : non pas le Conseil d'État, mais le Conseil constitutionnel. La seule manière de savoir si une disposition est conforme ou non à la Constitution est de la lui soumettre, ce qui implique qu'elle soit adoptée par le Parlement.
Ne nous enfermons pas dans des craintes, légiférons plutôt.
La présomption simple et non irréfragable vise à améliorer encore les dispositions du code pénal relatives à la répression du viol, des agressions sexuelles et des atteintes sexuelles.
Compte tenu de l'avis du Conseil d'État, saisi le 28 février 2018, il est proposé de renforcer la répression des abus sexuels sur les mineurs en inversant la charge de la preuve : au présumé coupable de prouver qu'il n'y a pas eu viol. Ce choix s'explique par la difficulté d'établir l'absence de consentement d'un jeune mineur. Il va plus loin que la simple précision de la notion de contrainte pour mieux prendre en compte la vulnérabilité des victimes mineures.
Aucune limite d'âge n'est retenue pour laisser le juge apprécier la maturité ou les capacités de discernement de la victime.
Notre second amendement vise, dans le cadre de violences sexuelles commises sur un mineur de 15 ans, à renverser la charge de la preuve, en faisant peser une présomption simple de contrainte morale sur l'accusé auteur des faits.
Ainsi, il n'est plus question pour le mineur de prouver qu'il a été contraint à consentir les actes sexuels dont il est question mais pour le défendeur de prouver qu'il n'a pas exercé de contrainte morale sur le mineur victime de violences sexuelles.
Ces dispositions instaurent un meilleur équilibre entre la prise en compte du préjudice subi et la nécessaire préservation des droits de la défense, dans le cadre desquels l'accusé aura toujours la possibilité de prouver l'absence de contrainte morale. Nous soulignons donc la nécessité de déplacer la charge de la preuve, afin de lutter non seulement contre la vulnérabilité des mineurs face à ces situations, mais aussi, parfois, contre leur impuissance à prouver clairement cette contrainte morale.
J'émets un avis défavorable à l'ensemble de ces amendements pour les raisons que j'ai précédemment évoquées.
Voici encore un débat particulier. Depuis le début de nos débats, nous parlons de « présomption irréfragable », alors que cette notion ne s'applique pas à la matière pénale, mais uniquement à la matière civile. Efforçons-nous, à la commission des Lois, à plus de précision dans l'emploi des termes.
En outre, une question de constitutionnalité se pose, qui se ramène au fond aux droits de la défense. Dans les juridictions, la parole de l'enfant est en général très entendue, au point que c'est souvent elle qui prime. Nous nous trouvons donc déjà dans la situation où c'est à l'adulte, à l'auteur, de montrer que ce que dit l'enfant n'est pas exact.
Soyons vigilants sur ce point : laissons au moins la capacité à l'auteur présumé de faire une démonstration inverse dans les conditions normales de l'exercice du débat judiciaire. Pour l'avoir vu à plusieurs reprises, j'ajoute, sans crainte de choquer certains, que, même si beaucoup d'enfants sont victimes d'abus sexuels et de viols, d'autres sont parfois victimes d'une manipulation, tandis que d'autres encore sont eux-mêmes manipulateurs.
La parole de l'enfant doit être absolument entendue, mais cette parole doit pouvoir être critiquée. Si on allait jusqu'au bout de ce qui est proposé ici, la critique de la parole de l'enfant ne serait plus possible, alors qu'elle est fondamentale pour l'exercice normal de notre droit. Même si les cas que j'évoque sont en nombre limité, et quand bien même il n'y en aurait qu'un, nous ne pouvons nous permettre de systématiser et d'automatiser une peine sans tenir compte de la parole de l'un comme de l'autre.
La Commission rejette successivement les amendements.
Elle examine l'amendement CL184 de Mme Annie Chapelier.
Mon amendement propose une définition du consentement. Je m'étonne simplement qu'il soit examiné à ce moment de la discussion.
Dans la présente loi, il s'est agi pour le Gouvernement d'établir un âge minimum en dessous duquel un enfant ou un adolescent est présumé non consentant à un acte sexuel. La question reste cependant entière d'une présomption générale de consentement.
Le droit européen nous crée pourtant des obligations. En 2014, la France a ratifié la Convention d'Istanbul du Conseil d'Europe. Son article 36, relatif aux violences sexuelles, viol inclus, définit le consentement en son second paragraphe : « Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes. »
Dans son arrêt du 4 décembre 2003 sur une affaire concernant la Bulgarie, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a établi que « les autorités n'en ont pas moins l'obligation d'examiner tous les faits et de statuer après s'être livrées à une appréciation de l'ensemble des circonstances. L'enquête et ses conclusions doivent porter avant tout sur la question de l'absence de consentement. »
La Cour incite ainsi les États parties à la Convention, dont la France, à ne plus définir prioritairement le viol à partir du comportement de l'auteur présumé, mais à partir de l'absence de consentement du plaignant.
L'article 222-23 du code pénal définit le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». Le non recours à l'un de ces quatre procédés conduit généralement à la déqualification de l'acte criminel en acte délictuel.
Le code pénal ne définit pas à l'heure actuelle le consentement et, de facto, l'absence de consentement. Ainsi, l'absence de consentement ne suffit pas à constituer l'infraction pouvant ainsi conduire à la considération, implicite certes, mais toutefois indirectement appréciée, d'un consentement.
Les viols, criminalisés, viennent alors à être déqualifiés en agressions sexuelles, et donc en délits. Nommer les faits est pourtant un préalable au processus de reconstruction post-traumatique. Définir le consentement dans le code pénal est nécessaire pour mettre un terme à cette zone grise.
Il s'agit non seulement de renforcer la définition des éléments constitutifs du viol, d'en éviter les interprétations fluctuantes et le traitement différencié, mais aussi d'éviter le déplacement du registre des violences sexuelles vers celui de la relation sexuelle.
Par vos amendements, vous voulez intégrer la notion de consentement dans le code pénal. Or, elle transparaît déjà dans les notions de contrainte, surprise, menace et violence, de sorte qu'elle est prise en compte par les magistrats.
Ce texte a précisément pour objet de combler les angles morts de notre droit pénal. Vous proposez, pour votre part, de détricoter des infractions reposant sur des notions très bien maîtrisées par la jurisprudence, qui en donne des définitions précises permettant d'appréhender de nombreuses situations différentes.
La notion de consentement ne manque pas dans ces définitions, puisqu'elle est par essence prise en compte dans les différentes situations. Vous évoquez la jurisprudence de la CEDH qui, dans l'arrêt que vous citez, procède à une comparaison des législations européennes nationales. Or, la plupart d'entre elles font appel aux notions de contrainte et de surprise, sans nécessairement faire appel à celle de consentement. La CEDH, de même que la Convention d'Istanbul, exigent la prise en compte de ces notions, sans s'attacher au prisme par lequel cela doit passer.
Il nous paraît donc inutile et, à vrai dire, peu opportun d'introduire dans le texte que nous examinons la définition que vous proposez. Avis défavorable.
J'abonderai dans le sens de la rapporteure.
Souvenons-nous en effet que le droit pénal est d'interprétation stricte, c'est-à-dire que n'est réprimé que ce qui y est expressément prévu. Si légitimes qu'elles puissent être, les précisions que vous voulez apportez, chères collègues, auraient probablement l'effet inverse de celui que vous recherchez : elles mettraient en effet sous contrainte la motivation judicaire et les motivations des condamnations, rendant plus difficile encore le débat judiciaire.
Nous irions ainsi totalement à l'encontre de notre volonté commune.
Je ne comprends pas : alors que nous sommes plutôt d'accord pour dire qu'il y a un « trou dans la raquette », comme l'ont reconnu tant la ministre que la rapporteure, vous voulez le statu quo…
Vous avez pourtant rappelé des chiffres faisant apparaître que les procédures ne débouchent pas sur des procès. Je ne suis pas d'accord avec notre collègue Didier Paris : si on maintient des zones grises, rien ne se passe ! C'est l'un des problèmes fondamentaux : les victimes refusent d'aller en justice parce que les éléments exigés par la définition légale pour que les procès aboutissent leur font défaut.
Toutes les personnes qui travaillent sur le sujet vous diront que le consentement est un élément fondamental dans tout acte sexuel, y compris quand on l'explique sur un plan pédagogique. Cette notion doit donc être formalisée dans le droit. Vous n'avez aucun argument à opposer à cette nécessité ; votre attitude est incompréhensible !
La Commission rejette l'amendement.
Notre ordre du jour étant très chargé, je n'accepterai plus qu'un orateur par groupe dans la discussion des amendements.
La Commission examine l'amendement CL4 de M. Philippe Latombe.
Il n'est pas acceptable, pour la plupart d'entre nous, qu'un enfant de moins de 13 ans puisse être réputé avoir consenti à des relations sexuelles avec un adulte.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL63 de M. Xavier Breton.
Je propose de préciser l'élément de violence, en indiquant que la violence n'est pas seulement physique, mais peut aussi être psychologique. Nous ajouterions ainsi : « La violence mentionnée au premier alinéa de l'article 222-22 peut être de toute nature et, notamment, résulter de violences psychologiques mentionnées à l'article 222– 14–3 du même code. »
Vous souhaitez redéfinir la notion de violence dans le code pénal. Toutefois, au fil des auditions, il nous est apparu qu'il n'était pas opportun de définir les notions de violence, menace, contrainte ou surprise que nous ne cessons d'évoquer.
Il convient en effet de laisser le juge apprécier des situations qui sont parfois très différentes. À vouloir trop le contraindre, nous risquerions de passer à côté de certaines particularités. J'émets donc un avis défavorable.
Cela ne restreint pas l'appréciation du juge. Au contraire, l'emploi du mot « notamment » permet d'évoquer d'autres cas. Ainsi, il est bien indiqué que les violences psychologiques sont également concernées. Nous opérons plutôt une ouverture qu'une fermeture.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL65 de M. Xavier Breton.
Il s'agit de définir les menaces, au regard des décisions jurisprudentielles. Nous indiquons que la menace est constituée lorsque la victime peut craindre une atteinte à son intégrité physique ou à celle de ses proches, ou à ses biens, ou une atteinte grave à sa vie personnelle, professionnelle, sociale ou familiale.
Avis défavorable. Ces raisons sont particulièrement bien définies par la jurisprudence. Il n'y a absolument aucune zone grise en la matière.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL66 de M. Xavier Breton.
Dans le cas de viols commis avec surprise, le consentement de la victime est vicié par des manoeuvres dolosives ou par un abus de faiblesse. Contrairement aux autres modes opératoires, le consentement de la victime peut être donné sans qu'il soit libre ou éclairé.
L'analyse de la jurisprudence fait ressortir que la surprise est souvent retenue, dans trois types de cas bien définis. Il convient ainsi de préciser les circonstances dans lesquelles elle peut être retenue, afin de couvrir un large éventail de situations.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine, en discussion commune, l'amendement CL194 de la rapporteure et l'amendement CL256 de M. Erwan Balanant.
L'amendement que nous proposons est issu des auditions que nous avons menées. Il s'agit de la définition du viol.
Nous prenons ainsi en compte les actes de pénétration commis sur la personne de l'auteur par la victime. Cela recouvre des cas auxquels la jurisprudence ne s'étend pas. Toutes les situations seraient ainsi prises en compte.
L'amendement de la rapporteure reprend une proposition des associations. À la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, il nous pose cependant un problème.
À propos de l'amendement CL184, vous avez rappelé que c'est le quadriptyque des notions de contrainte, surprise, menace et violence qui définit le viol, et non le consentement ou l'absence de consentement. Or, en remplaçant les mots « commis par » par « imposés à », nous nous heurtons à une difficulté puisque nous réintroduisons de fait la notion de consentement.
Pour rappel, imposer signifie « faire connaître, reconnaître, accepter son autorité et sa volonté, entraîner telle action ou tel état ». C'est pourquoi je propose la rédaction « commis sur ou avec », qui est en réalité beaucoup plus simple, car elle fait l'économie de la notion d'imposition impliquant celle de consentement.
Nous réglons par là définitivement la question de la pénétration dans le sens inverse, si j'ose m'exprimer ainsi. Madame la rapporteure, votre amendement part d'un bon sentiment, mais il posera problème aux juges, en troublant le jeu qui avait définitivement – ou provisoirement ? – été établi par les notions de contrainte, surprise, menace et violence.
Ces amendements – y compris, même si elle n'est pas là pour le défendre, celui de Mme Marietta Karamanli, identique à celui de la rapporteure – vont en fait dans le même sens, malgré des divergences sémantiques. La définition proposée est nécessaire, parce qu'elle englobe des situations qui ne pourraient aujourd'hui être caractérisées comme des viols, mais seulement comme des agressions sexuelles.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable à l'amendement CL194 et souhaite le retrait de l'amendement CL256 à son profit.
L'amendement de la rapporteure est en totale adéquation avec la recommandation n° 9 du rapport de la Délégation aux droits des femmes, invitant à une réflexion sur l'inclusion, dans la définition du viol, de tous les types de pénétration. Il importe en effet de traiter l'ensemble des victimes de viol de manière beaucoup plus homogène, en prenant en compte des situations jusqu'à présent exclues de la définition du viol, qui nous ont été présentées lors d'auditions. C'est pourquoi je salue cet amendement.
Je réponds rapidement aux observations de M. Balanant. Quand on emploie des mots « imposé à », on qualifie matériellement l'infraction, alors que l'élément intentionnel relève toujours de la définition de la contrainte, de la violence, de la menace ou de la surprise. Il n'y a donc à mon sens pas de confusion possible et cet amendement permet précisément de prendre en compte des situations qui échappaient jusqu'à présent à la définition de l'élément matériel du viol.
La Commission adopte l'amendement CL194.
Par conséquent, l'amendement CL256 tombe.
La Commission en vient aux amendements, en discussion commune, CL148 de Mme Clémentine Autain, CL264 de M. Hugues Renson, CL176 de M. Ugo Bernalicis, et CL265 de M. Hugues Renson.
L'amendement CL148 porte sur la notion de consentement mais, avant de le présenter, ayant relevé quelques confusions, je rappellerai que, depuis la loi de 1980, la définition du viol est d'abord liée à l'acte de pénétration – précision qu'exigeaient les mouvements féministes dans les années 1970. C'est la pénétration qui différencie le viol de l'agression sexuelle, et la pénétration de quelque nature qu'elle soit, ce qui permet de comprendre dans la catégorie du viol la fellation, l'introduction d'objets etc.
J'en reviens au consentement. Cette notion ne figure pas dans la loi. L'arrêt Dubas rendu par la Cour de cassation en 1857 n'évoquait pas la pénétration mais définissait la notion de consentement de façon assez intelligente. Nous estimons qu'il faut la réintroduire dans le code pénal afin que le viol soit défini par l'absence de consentement de la victime, cela pour des raisons symboliques et juridiques. Symboliques parce que l'enjeu reste ce que nous appelons ici la zone grise, à savoir la non-reconnaissance par un partenaire de la volonté de l'autre d'avoir une relation sexuelle ; il faut d'ailleurs impérativement qu'entre dans la tête des hommes – qui sont la majorité des auteurs de viols – le besoin de connaître la volonté féminine, le désir féminin. Pour des raisons juridiques aussi car la définition proposée orientera le travail des magistrats qui devront, en premier lieu, déterminer si les partenaires se sont assurés de leur accord mutuel pour un acte de pénétration sexuelle.
C'est pourquoi nous tenons à ce que la notion de consentement soit réintroduite dans le code pénal.
L'amendement CL264 a pour objet de remettre le consentement au premier plan. On l'a dit, la définition du viol repose sur le mode opératoire de l'auteur – la violence, la contrainte, la menace ou la surprise – et non sur le vécu de la victime. La conséquence, problématique, en est que la charge de la preuve repose sur la victime et qu'il est difficile de l'établir en l'absence de l'un des quatre éléments que je viens d'énoncer. Il apparaît donc important de modifier la définition du viol puisqu'on peut noter, dans le droit en vigueur, une forme de présomption de consentement des femmes à l'activité sexuelle si l'auteur n'a pas recours à la violence, à la contrainte, à la menace ou à la surprise. D'autres modes de contrainte peuvent donc avoir du mal à être reconnus, comme le lien hiérarchique ou la dépendance économique.
Par ailleurs, le Conseil de l'Europe fonde sa définition du viol sur l'absence de consentement.
Le présent amendement vise donc autant à éviter la correctionnalisation des viols provoquée par la difficulté de démontrer la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, qu'à aligner le droit pénal sur les engagements internationaux de la France.
Au regard de l'évolution de la société et de la nécessité d'aider efficacement la lutte contre les violences sexuelles, en l'occurrence les viols, le groupe de La France insoumise, par le biais de l'amendement CL176, souhaite élargir la qualification de la contrainte et de l'intimidation en mettant l'accent sur la dimension économique.
On dénonce de plus en plus les actes de harcèlement liés à des contraintes sociales et économiques, et conduisant à des viols. L'affaire Weinstein est un exemple de cette contrainte s'exerçant sur de jeunes actrices qui ont subi des violences par intimidation, mais aussi une forme de chantage auquel pouvait se livrer le producteur du fait de sa position. Il n'est en effet pas impossible que des hommes de pouvoir utilisent leurs fonctions pour obtenir, en échange de « bons procédés », des « faveurs sexuelles » qui sont en réalité des viols.
Il est en outre nécessaire de s'interroger sur le fait que les victimes sont culpabilisées par la société, donc poussées à se réfugier dans le silence.
L'amendement CL264 concerne également l'absence de consentement – notion nécessaire pour fonder l'infraction de viol et qui n'est ni inscrite dans la loi, ni définie. Il vise à dénoncer les situations dont on déduit abusivement le consentement de la victime. Il vient d'être rappelé que la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique fonde la définition du viol sur l'absence de consentement. D'autres pays ont adapté leur droit et, en faisant reposer le viol sur l'absence de consentement, ont inversé la charge de la preuve en définissant les situations dans lesquelles on ne saurait présumer un consentement : il appartient dès lors à l'accusé de prouver que la victime était consentante. Le présent amendement s'inspire du droit en vigueur au Canada et s'inscrit parfaitement dans la logique du présent texte.
Je comprends votre souci de pédagogie sur la notion de consentement, votre exigence symbolique. Je rappellerai néanmoins l'objet du texte : combler des lacunes du droit pénal, en particulier s'agissant de la définition des notions de contrainte et de surprise pour ce qui concerne les mineurs.
La matière pénale est très spécifique et, dans un souci de sécurité juridique, il convient d'être vigilant, d'éviter de modifier des notions bien appréhendées par ses praticiens – notamment les magistrats. Si la pédagogie est importante, la sécurité juridique ne l'est pas moins.
En tant qu'avocate, j'ai souvent défendu des victimes de viol ; or, la notion de consentement est inhérente à chaque dossier. La question n'est jamais absente des débats, au stade non seulement de l'enquête mais aussi de l'audience. Aussi ce que vous demandez est-il déjà couvert par la jurisprudence.
Je le répète, la notion de consentement est inhérente à la définition du viol telle qu'appréhendée sous le prisme de la violence, de la surprise, de la contrainte et de la menace.
J'émets donc un avis défavorable à l'ensemble de ces amendements.
Je les défends pour ma part, en particulier celui de M. Renson, partant du principe qu'une femme sur dix, seulement, porte plainte, et un seul auteur sur dix est sanctionné. Voulons-nous réellement faire avancer la cause ou pas ?
C'est en particulier la notion de consentement et la question de l'éventuelle décriminalisation du viol qui a poussé la Délégation aux droits des femmes à se saisir du sujet au mois de janvier dernier. Au cours de l'ensemble des auditions que nous avons réalisées, mais aussi de nos déplacements, notamment en Suède où la notion de consentement est au coeur d'un projet de loi, un grand nombre d'associations nous ont indiqué que revenir sur la définition pénale du viol serait moins protecteur pour les victimes. Pourquoi ? Parce que la loi de 1980 a permis de déplacer la caméra sur l'auteur des faits – si vous me permettez cette métaphore cinématographique – alors qu'elle était braquée auparavant sur le consentement de la victime. De fait, on imaginait que sa tenue vestimentaire, le lieu où elle se trouvait, les propos qu'elle avait pu tenir laissaient penser qu'elle avait pu consentir à une relation sexuelle. Or, le fait de décaler la caméra sur l'auteur permet de ne plus s'interroger sur le consentement de la victime mais d'examiner la manière dont l'auteur a pu agir et plusieurs associations, comme le Collectif féministe contre le viol, et institutions, comme le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, ont fait valoir que ce dispositif était plus protecteur pour les victimes.
Aussi, même si la question s'est longuement posée pour nous, au cours de ces quatre mois de travail, de l'intégration de la notion de consentement dans la définition pénale du viol, je ne suis pas favorable à ces amendements.
Je suis de l'avis de Mme Auconie et donc voterai l'amendement CL264 de M. Renson ou bien, s'il est rejeté, son amendement CL265.
Là encore nous sommes en pleine contradiction. Madame la rapporteure, vous indiquez que la question du consentement se pose lors de l'examen de tous les dossiers et qu'elle est même de fait inhérente, vous l'avez dit, à la définition du viol ; or si elle l'est dans la jurisprudence, elle ne l'est pas dans la loi.
Vous voulez sécuriser le texte, mais non : la notion de consentement, je le répète, ne figure pas dans la loi donc vous ne sécurisez rien ! Ce n'est pas vrai que la question du consentement ne se pose pas. Toutes les victimes déclarent que leur parole est remise en cause, que leur absence de consentement est remise en question du fait de la manière dont elles étaient habillées. C'est toujours la victime dont on doute pour toutes les raisons possibles et imaginables. Donc, oui, le problème du consentement se pose toujours et, puisque vous l'avez reconnu, pourquoi refusez-vous de l'aborder ? La jurisprudence et la loi sont deux dimensions différentes.
Vous avez rencontré un certain nombre d'associations, nous en avons rencontré aussi qui, elles, posent la question du consentement. À nous d'apporter une réponse, mais vous ne pouvez pas dire que ce n'est pas un enjeu du débat. Ce qui est systématiquement mis en avant, dans les médias, au cours des procès, c'est le fait que la victime était peut-être, en fait, d'accord parce qu'elle était habillée comme ça, parce qu'elle avait bu un verre de trop, que sais-je. C'est bien le sujet majeur du débat et vous vous défaussez, pour le coup, de vos responsabilités en refusant de le reconnaître et en décidant de laisser les procédures en l'état alors qu'elles ne permettent pas d'aller jusqu'au bout, alors qu'à cause d'elles les faits sont déqualifiés de manière systématique. Nous attendons toujours les arguments qui permettraient de comprendre votre refus quasi dogmatique d'aborder la question. C'est franchement affligeant !
La Commission rejette successivement les amendements.
Elle examine l'amendement CL263 de M. Hugues Renson.
Cet amendement concerne ce qu'on appelle les drogues du viol. Elles sont nombreuses. Depuis la fin de 2017, à Paris, l'absorption volontaire ou involontaire de gamma-hydroxybutyrate (GHB), dérivé du gamma-butyrolactone (GBL), a provoqué, chez des jeunes de 19 à 25 ans, dix comas et causé la mort d'une personne. Ces drogues modifient des fonctions physiologiques ou psychiques de l'organisme et entraînent des vertiges, des pertes de mémoire, allant jusqu'à la perte de conscience, au coma, à l'arrêt cardiaque ou à l'insuffisance respiratoire. Elles sont donc dangereuses, autant en raison du risque de viol – c'est leur destination – que pour la santé.
L'amendement vise par conséquent à reconnaître juridiquement la gravité de cette pratique. L'article 222-24 du code pénal punit plus sévèrement les agissements considérés par la société comme particulièrement graves. Or, on se trouve dans une situation assez étonnante : depuis 2017, cet article considère comme une circonstance aggravante le fait qu'un viol soit commis par une personne agissant en état d'ivresse manifeste et non le fait qu'un viol soit commis sur une victime sous l'emprise d'une ivresse stupéfiante. Ainsi, l'utilisation par l'auteur, pour parvenir à ses fins, d'une substance nuisible portant atteinte à l'intégrité physique ou psychique de la victime constitue aujourd'hui un viol simple et non un viol aggravé par la vulnérabilité de la victime.
C'est pourquoi la préméditation du geste et la dangerosité pour la santé et la sécurité de la victime doivent automatiquement faire de l'administration à son insu d'un produit stupéfiant une circonstance aggravante.
Si votre proposition est intéressante, sa rédaction pose problème. Je vous propose par conséquent de retirer votre amendement afin de l'améliorer en vue de l'examen du texte en séance publique ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.
Je considère qu'il s'agit d'une main tendue. Dès lors je retire mon amendement à condition que nous puissions le retravailler d'ici à l'examen en séance.
L'amendement est retiré.
La Commission examine l'amendement CL258 de M. Erwan Balanant.
Le présent amendement vise à créer une circonstance aggravante supplémentaire lorsque le viol est commis dans les transports en commun. En effet, la situation d'enfermement créée par les transports publics peut favoriser le passage à l'acte de certains individus et augmenter le sentiment de détresse et d'impuissance qu'une victime est susceptible de ressentir.
Or, dans sa version actuelle, l'article 222-24 du code pénal, énonçant les circonstances aggravantes du viol, ne désigne pas expressément les transports collectifs de voyageurs. À l'inverse, le projet de loi, dans son article 4, alinéa 11, prévoit l'introduction d'une telle circonstance aggravante pour l'outrage sexiste. Dès lors, il semble pertinent de l'étendre aux infractions sexuelles plus graves que sont les agressions sexuelles et le viol.
Cet amendement met en cohérence l'article du code pénal mentionné avec le projet de loi. Avis favorable.
Je n'arrive pas à comprendre cet amendement : pourquoi le fait que le viol soit commis dans un transport public constituerait-il une circonstance aggravante ?
Madame Autain, imaginez l'angoisse d'une femme – ou d'un homme – violée dans un transport public, ce qui est déjà arrivé. Vous êtes enfermée… certes comme dans beaucoup d'autres cas, mais il faut tenir compte ici de la promiscuité et de la « facilité » pour le violeur d'agir quand il est seul – car on espère que cela n'arrive pas quand il y a du monde dans le wagon, même si l'on connaît des exemples où les voyageurs n'ont pas bougé en cas d'agression manifeste. Je livre cet amendement à la discussion et vous pouvez ne pas être d'accord.
Pardonnez-moi, et je n'y reviendrai plus, mais j'ai été violée sur des voies désaffectées et je n'ai pas le sentiment que si cela s'était produit dans un transport public, il se serait agi d'une circonstance aggravante. Je vous le dis franchement : il y a dans votre proposition quelque chose qui me dépasse. On pourrait dénombrer de multiples circonstances aggravantes et à trop en mentionner dans la loi, on risque de dénaturer les véritables circonstances aggravantes. Je réagis ainsi, je suis désolée. Les rails désaffectés étaient dans un sous-bois et non dans un espace confiné et l'idée que le viol d'une femme serait plus grave parce que commis dans un transport public me paraît des plus extravagantes. Surtout, ne dénaturons pas les autres circonstances aggravantes.
Je m'en tiendrai à des considérations purement juridiques, madame Autain. Le code pénal prévoit des infractions pour lesquelles il y a circonstance aggravante lorsqu'elles sont commises dans les transports publics, qu'il s'agisse de l'outrage sexiste, du vol ou d'autres. L'amendement apporte donc au droit une certaine cohérence.
Je m'interroge également sur la disposition proposée par notre collègue. Le sentiment d'insécurité dans les transports en commun est une réalité ; il est vrai au surplus qu'on peut s'interroger sur l'absence de réaction de certains voyageurs en cas d'agression ; mais créer une nouvelle circonstance aggravante ne résoudra pas le problème. Il me semblerait plus utile de retravailler l'amendement d'ici à l'examen du texte en séance publique. On a en effet l'impression qu'il s'agit d'un geste entre groupes afin de faire passer un amendement ; cela paraît quelque peu délicat sur un tel sujet.
La Commission adopte l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL186 de Mme Annie Chapelier.
Puisque nous évoquons les circonstances aggravantes, le présent amendement vise à sanctionner plus sévèrement les viols incestueux.
Dans la législation actuelle, que le viol soit commis par une personne du cercle familial ou par une personne qui en est étrangère, la sanction est la même. Pour un viol sur mineur, puni de vingt ans de réclusion criminelle, aucune sanction supplémentaire n'est prévue si le violeur est un membre du cercle familial comme spécifié à l'article 222-31-1 du code pénal.
Pourtant, je rappelle que les violences sexuelles incestueuses constituent environ 75 % des violences sexuelles sur mineurs. Elles engendrent par ailleurs des traumatismes d'une ampleur extrême parce que, précisément, l'agresseur est un proche ou appartient au cercle familial. Aujourd'hui, ce sont 4 millions de Français qui affirment avoir été victimes d'attouchements, d'agressions ou de viols incestueux.
Nous proposons par conséquent que le caractère incestueux d'un viol devienne une circonstance aggravante en ajoutant dix années de réclusion criminelle à la peine actuellement prévue. Il faut savoir que lorsqu'il s'agit d'une atteinte sexuelle, la circonstance aggravante est prise en compte quand la personne appartient au cercle rapproché.
Or, passer d'une peine de vingt à trente ans de réclusion, cela revient à entrer dans le cadre des peines prévues pour des actes ayant entraîné la mort de la victime. Aussi, par le biais de cet amendement, je souhaite que le viol commis par un ascendant soit désormais considéré comme un crime avec actes de barbarie et torture psychologique qui, certes, n'a pas entraîné la mort, mais justifie l'aggravation de peine proposée.
Vous abordez, chère collègue, un sujet très sensible qui a retenu notre attention au cours des auditions. Reste que votre amendement remet en cause la cohérence de l'échelle des peines en matière de répression des infractions sexuelles car il aurait pour effet de punir aussi sévèrement un viol incestueux et un viol ayant entraîné la mort de la victime.
J'ajoute que le législateur a récemment fait le choix de viser spécifiquement ces comportements par l'intermédiaire de la surqualification pénale d'inceste et qu'il convient de ne pas déstabiliser cet édifice.
Je vous invite donc à retirer votre amendement ; à défaut, j'y serai défavorable.
Je comprends très bien votre argument et je l'avais d'ailleurs déjà intégré à mon raisonnement. Il est délicat, face à un sujet aussi grave, de ne pas chercher à modifier l'échelle des peines. Certes, vous remarquez que l'on mettrait au même niveau un acte ayant entraîné la mort de la victime et un acte qui ne l'aurait pas tuée, mais, en refusant ce changement d'échelle, vous mettez au même niveau un viol commis par un ascendant et un viol commis par un tiers… Dans les deux cas, la balance est déséquilibrée.
Je retire mon amendement car je sais très bien qu'il ne sera en aucun cas adopté, mais je regrette qu'on ne puisse reconsidérer l'échelle des peines, tâche à laquelle vous pourriez vous atteler, vous qui êtes membres de la commission des Lois.
L'amendement est retiré.
La Commission en vient à l'amendement CL180 de Mme Aude Luquet.
Je souhaite appeler votre attention sur les agressions sexuelles dans les transports en commun. En effet, en 2015, un rapport du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes indiquait que 100 % des utilisatrices des transports en commun avaient été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d'agression sexuelle.
Ce sentiment d'insécurité dans les transports en commun est amplifié par la situation de promiscuité inhérente à ce mode de déplacement, particulièrement en période de forte affluence, dont les agresseurs, notamment ceux que l'on appelle les frotteurs, profitent pour passer à l'acte.
Or l'article 222-28 du code pénal, énonçant les circonstances aggravantes de l'agression sexuelle autre que le viol, ne désigne pas expressément les transports collectifs de voyageurs.
Face à ces agressions quotidiennes qui se multiplient dans les transports en commun, il est proposé de renforcer les sanctions en faisant de l'agression sexuelle dans un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs ou dans un lieu destiné à l'accès à un moyen de transport collectif de voyageurs, une circonstance aggravante.
Par cohérence, j'émets un avis favorable. Il est vrai que les femmes sont particulièrement exposées aux violences et agressions sexuelles dans les transports en commun.
Cet amendement est cohérent avec le texte et l'amendement CL258 précédemment adopté. Avis favorable.
La Commission adopte cet amendement.
Elle examine ensuite l'amendement CL185 de Mme Annie Chapelier.
Dans la continuité du précédent, l'amendement CL185 permet de sanctionner plus sévèrement les agressions sexuelles incestueuses. Dans la législation actuelle, que l'agression sexuelle soit commise par une personne du cercle familial ou par une personne qui en est étrangère, la sanction est la même. Nous proposons une augmentation de la peine, qui passerait de dix à quinze ans, et une amende de 200 000 euros.
Si cela ne peut être entendu, on pourrait récrire l'amendement afin de prévoir au moins que la commission de l'acte par un ascendant soit considérée comme une circonstance aggravante.
Une aggravation des peines à dix ans d'emprisonnement est déjà prévue par le 2° de l'article 222-30 du code pénal lorsque l'agression sexuelle autre que le viol est commise par un ascendant. La circonstance aggravante existe donc déjà dans notre droit. Aller au-delà, comme vous le proposez, en instituant une peine d'emprisonnement de quinze ans, remettrait en cause l'échelle des peines des infractions sexuelles et, plus généralement, l'échelle des peines du code pénal. En effet, il n'existe pas, dans notre code pénal, de peine d'emprisonnement délictuel supérieure à dix ans : quinze ans de prison, c'est de la réclusion criminelle. J'ajoute que notre législation, comme je l'ai déjà indiqué, a fait le choix de viser spécifiquement ces comportements par l'intermédiaire de la surqualification pénale. Je vous invite donc à retirer votre amendement ; à défaut, j'y serai défavorable.
Le caractère d'ascendant ou de personne ayant autorité est pris en compte dans le cadre de l'atteinte sexuelle mais non du viol. Spécifier une circonstance aggravante en matière de viol incestueux me paraît plus pertinent qu'une circonstance aggravante dans les transports en commun.
Je vous lis le 4° de l'article 222-24 du code pénal relatif au viol : « le viol est puni de vingt ans de réclusion criminelle (…) 4° lorsqu'il est commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ». Je pense que cela répond à votre question.
La peine de quinze n'existe pas en effet mais, lorsque le viol est commis sur un mineur par un ascendant, la peine est la même que s'il est commis par un tiers.
La Commission rejette cet amendement.
La Commission est saisie de l'amendement CL187 de Mme Annie Chapelier.
Il manque à la définition des personnes pouvant commettre l'inceste les cousins et cousines germains, qui appartiennent pourtant au cercle familial proche.
J'y suis favorable sous réserve que vous rectifiez votre amendement afin de préciser dans le dispositif, comme vous venez de le dire, qu'il vise les cousins germains et cousines germaines.
Avec les mêmes observations que la rapporteure, avis favorable.
Le mariage entre cousins étant autorisé, j'ai du mal à voir la cohérence de cette proposition.
Je ne suis pas juriste mais je crois que le mariage est également autorisé entre oncle et nièce ou tante et neveu, et pourtant oncle et tante font partie des personnes pouvant commettre l'inceste par définition.
Je précise que cet élargissement est demandé par de nombreuses associations. Beaucoup de personnes ont été violées par des cousins ou cousines qu'elles voyaient lors de réunions familiales.
La Commission adopte cet amendement ainsi rectifié.
Elle examine l'amendement CL183 de Mme Annie Chapelier.
Dans le même cadre, je souhaite élargir la définition de l'inceste aux enfants du conjoint ou concubin d'une personne mentionnée aux 1° et 2° ou du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du partenaire de vie avec l'une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, élevés en commun avec le mineur de 15 ans. Vu le nombre de personnes vivant dans des familles recomposées, cela me paraît essentiel. Il n'y a pas lien de sang mais on considère déjà l'acte du concubin ou partenaire de vie sur l'enfant de son concubin ou partenaire comme un inceste, alors qu'il n'est pas le père de l'enfant.
L'amendement étend considérablement la surqualification incestueuse. Je m'en remets à la sagesse des membres de cette commission.
Je reviens sur l'amendement précédent : après vérification, le mariage est strictement interdit entre un oncle et une nièce ou entre une tante et un neveu. Il faudra donc voir d'ici à la séance si l'on maintient une telle rédaction, même avec la précision « cousins germains ou cousines germaines ».
S'agissant du présent élargissement, je suggère également que nous réfléchissions à quelque chose d'abouti d'ici à la séance plutôt que de prendre une décision aujourd'hui. Je m'abstiendrai.
Peut-être que spécifier le beau-père et la belle-mère, même si cela ne règle pas la question des demi-frères et demi-soeurs, permet d'avancer dans la reconnaissance du statut de beau-père et de belle-mère. Il pourrait être intéressant de l'introduire dans ce cadre.
Le 4°, que madame la rapporteure a cité, dispose que lorsque le viol « est commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait » il est aggravé. Le présent amendement ne serait-il pas satisfait par cette disposition ? Ne faudrait-il pas voir d'ici à la séance si, du fait de la jurisprudence, les personnes ici visées ne sont pas déjà poursuivies ?
Il s'agit des enfants du compagnon, conjoint ou concubin du parent des enfants, et non des oncles ou tantes, c'est-à-dire des enfants élevés en commun, comme une fratrie, dans une famille recomposée.
J'accepte cependant de retirer l'amendement.
L'amendement est retiré.
La Commission est saisie des amendements identiques CL69 de M. Xavier Breton et CL254 de M. Dimitri Houbron.
Cet amendement prévoit d'étendre la surqualification pénale de l'inceste aux viols et agressions sexuelles commis à l'encontre de majeurs. Il n'existe aucun obstacle à cette extension aux victimes majeures ni aucune justification à la restriction actuelle aux seules victimes mineures.
Cette extension de la surqualification pénale de l'inceste pour les personnes majeures est en effet logique. L'exclusion des majeurs n'est plus raisonnable ni fondée sur des éléments objectifs.
La Commission adopte cet amendement.
Elle examine ensuite l'amendement CL70 de M. Xavier Breton.
Il tend à aggraver les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans, afin de rapprocher notre droit de celui de la plupart des autres pays européens. Il est ainsi proposé de prévoir sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende.
Suivant l'avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte cet amendement.
Puis elle examine l'amendement CL119 de Mme Danièle Obono.
Le dispositif prévu par les alinéas dont nous demandons la suppression vise à sanctionner les atteintes sexuelles qui correspondent à des relations consenties entre une personne mineure et une personne majeure, par exemple une relation sexuelle entre une jeune fille de 15 ans et un homme de 18 ans, souhaitée par les deux. Cette qualification de l'atteinte n'a pas vocation à sanctionner des relations non consenties. Cet article est inadapté parce qu'il tombera nécessairement à côté de son objectif. S'il s'agit de sanctionner des relations sexuelles consenties entre deux jeunes, dont l'un n'a pas encore atteint la majorité sexuelle, alors la peine proposée, passant de cinq à dix ans, est hors de proportion. Si l'objectif est de protéger des personnes mineures dont on a du mal à estimer qu'elles aient pu être consentantes, parce qu'elles sont très jeunes ou manquent de discernement, le véhicule délictuel nous semble particulièrement inadapté parce qu'il risque d'avoir un grave corollaire : la correctionnalisation du viol.
Nous proposons donc de supprimer ces dispositions qui ajoutent de la complexité au dispositif pénal et n'offrent qu'un « moins disant » du point de vue de la lutte contre les violences sexuelles. Nous proposons plutôt, dans deux amendements conjoints, d'introduire une logique de présomption de consentement pour les mineurs de moins de 13 ans, ainsi qu'une redéfinition générale des éléments constitutifs du viol, qui devraient selon nous s'axer davantage sur l'absence de consentement.
Avis défavorable. Le I de l'article 2 a précisément pour objectif d'éviter au maximum la correctionnalisation des viols, en guidant davantage les juridictions et les jurys populaires dans l'appréciation du consentement de la victime mineure. Mais lorsque, malgré tout, aucune violence, contrainte, menace ou surprise ne peut être établie, il est important de pouvoir poser cette question subsidiaire. C'est ce qui est apparu dans les affaires récentes. La cour d'assises posera systématiquement cette question de manière à sanctionner l'auteur d'une atteinte sexuelle.
Presque toutes les personnes auditionnées ont été très favorables à la question subsidiaire. Je pense même que rendre ce caractère systématique clarifiera bien les débats.
La Commission rejette l'amendement.
Elle adopte les amendements rédactionnels CL195 et CL196 de la rapporteure.
Elle adopte l'article 2 modifié.
La réunion s'achève à 20 heures 10
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Sophie Auconie, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Éric Ciotti, M. Christophe Euzet, Mme Élise Fajgeles, Mme Isabelle Florennes, Mme Paula Forteza, M. Raphaël Gauvain, M. Dimitri Houbron, M. Sébastien Huyghe, Mme Catherine Kamowski, M. Philippe Latombe, Mme Alexandra Louis, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Rémy Rebeyrotte, M. Thomas Rudigoz, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Cédric Villani, Mme Hélène Zannier
Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, M. Jean-Michel Fauvergue, M. Philippe Gosselin, Mme Marie Guévenoux, M. Mansour Kamardine, Mme Maina Sage, Mme Alice Thourot, M. Guillaume Vuilletet, M. Sylvain Waserman
Assistaient également à la réunion. - Mme Clémentine Autain, Mme Annie Chapelier, Mme Bérangère Couillard, M. Nicolas Démoulin, Mme Nathalie Elimas, Mme Albane Gaillot, Mme Aude Luquet, M. Hugues Renson, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Jean-Marc Zulesi