La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
La parole est à M. Thierry Benoit, pour le groupe UDI, Agir et indépendants.
Monsieur le Premier ministre, voilà quelques heures, le président Donald Trump a annoncé sa décision de retirer de manière unilatérale les États-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien. Cette action risque d'entraîner un regain de tensions au Moyen-Orient et autour d'Israël, tout en consacrant le rejet du jeu de la diplomatie collective. Bruxelles a réitéré son soutien à l'accord de juillet 2015, même si elle souhaite le renforcer.
Trump reçoit, mais Trump décide. Le défilé désordonné des chefs d'État européens n'y fait rien : ils sont condamnés individuellement à suivre les desiderata du géant américain. La visite du président Macron n'a finalement été qu'au crédit du président Trump, affaiblissant ainsi les positions de la France et de l'Europe. Pire encore : Mme Merkel a fait de même. Où est l'Europe ? Nous n'avons eu qu'une démonstration de l'impuissance de la parole européenne.
Il y a un an, le Président de la République, Emmanuel Macron, a aussi été élu sur le projet européen et sur l'ambition de la France pour l'Union européenne. Aujourd'hui, 9 mai, journée de l'Europe, la question cruciale se pose encore de l'avenir du projet européen et de sa crédibilité vis-à-vis tant des partenaires extérieurs que des 500 millions d'Européens.
Monsieur le Premier ministre, au-delà de la grande marche pour l'Europe, quelles initiatives la France compte-t-elle prendre pour rehausser l'ambition européenne et susciter une véritable espérance pour les citoyens européens, telle que l'appelle de ses voeux notre groupe UDI, Agir et indépendants ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir.
La décision du président Trump de se retirer de l'accord nucléaire est, comme vous l'avez dit, monsieur le député, une décision unilatérale. C'est une décision américaine et elle n'engage que les États-Unis, qui renoncent ainsi à tenir la parole donnée.
Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.
Le retrait américain fragilise certes l'accord, mais ne l'annule pas. C'est la force du multilatéralisme – que l'on peut marquer en particulier aujourd'hui, journée de l'Europe – que de dire que l'accord de Vienne du 14 juillet 2015 doit toujours être respecté.
Les Européens croient en cet accord qu'ils ont activement contribué à négocier. Pour eux, le retrait des États-Unis implique donc de rester unis, de parler aux Américains et aux Iraniens et de travailler ensemble dans plusieurs directions.
Il s'agit d'abord de maintenir l'engagement dans l'accord tant que l'Iran le respectera, ce qui est le cas aujourd'hui. C'est le sens de la démarche affirmée hier à la fois par le Président de la République, par la chancelière Merkel et par la première ministre May. C'est également ce qu'a dit, au nom de l'Union européenne, Mme Mogherini.
Il nous faut ensuite travailler à un cadre plus large qui permette de traiter les problèmes bien réels – il ne faut pas être naïfs ! – que pose l'Iran sur le plan de la sécurité internationale, qu'il s'agisse de la poursuite de ses programmes de missiles, du devenir du programme nucléaire après 2025 ou de la déstabilisation et des tentations hégémoniques de l'Iran dans la région.
Sur ces engagements, l'Europe restera unie et sera très solidaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
La parole est à M. Richard Ferrand, pour le groupe La République en marche.
Monsieur le Premier ministre, la rénovation de la vie politique de notre pays occupe une place majeure dans notre projet de transformation. La modernisation de notre Constitution est donc à l'ordre du jour.
Ce matin, vous avez présenté en conseil des ministres le projet de loi constitutionnelle, première étape avant la présentation des projets de loi ordinaire et organique dans deux semaines.
Cette réforme prévoit entre autres l'indépendance du Conseil supérieur de la magistrature dans ses choix de nomination, la fin de la présence des futurs anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel ou encore la suppression de la Cour de justice de la République, et définit la place des collectivités territoriales et leurs capacités d'initiative.
Sont à venir trois engagements cardinaux, pris en 2017 devant notre peuple : la réduction de 30 % du nombre des parlementaires, à moyens constants, pour plus d'efficacité dans leur mission ; …
… l'introduction d'une part de proportionnelle, pour renforcer la pluralité ; la fin du cumul de mandat dans le temps au-delà de trois mandats, pour favoriser le renouvellement.
Pour améliorer l'efficacité du travail parlementaire, vous pourrez compter sur l'engagement des députés de la majorité au sein même de cette assemblée.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – « Ah ! » sur les bancs du groupe LR.
Monsieur le Premier ministre, quels seront l'architecture générale de cette réforme et surtout son calendrier, puisque nous devrons examiner trois textes de nature différente qui concourent au même objectif ?
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Sourires sur les bancs du groupe LR.
… vous m'avez interrogé sur le projet qui a été présenté en conseil des ministres ce matin et qui tend à réviser la Constitution pour respecter les engagements qui ont été pris par le Président de la République pendant la campagne présidentielle et réitérés par les candidats aux élections législatives qui composent aujourd'hui la majorité parlementaire.
L'objectif de cette révision constitutionnelle, vous l'avez souligné, est de respecter les équilibres de notre démocratie et de notre Ve République, que nous ne voulons pas transformer : il ne s'agit pas de revenir à la IVe République ni de construire une hypothétique VIe République mais, à bien des égards, de revenir aux fondamentaux de la Ve République.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
La réforme des institutions, qui sera soumise à l'examen du Parlement, repose sur trois textes. Ce matin, le conseil des ministres a examiné le projet de loi de révision constitutionnelle. Dans quinze jours, il examinera le projet de loi organique et le projet de loi simple qui viendront compléter cette architecture. Ces textes seront évidemment soumis à la discussion, …
… d'abord à l'Assemblée nationale puis au Sénat.
Oh, ne vous encombrez pas de l'Assemblée nationale ! Vous allez perdre du temps !
Vous m'avez interrogé sur le calendrier : l'objectif est que l'Assemblée nationale ait pu discuter avant la pause estivale du dispositif de révision constitutionnelle tel qu'il a été présenté ce matin en conseil des ministres.
Les engagements qui ont été pris par le Président de la République et qui ont été débattus lors des élections présidentielle et législatives comprennent notamment, vous l'avez souligné, la réduction du nombre de parlementaires.
J'entends des voix publiques, respectables, s'interroger sur le sens, l'importance et même l'opportunité à certains égards d'une telle réduction.
J'observe, monsieur le député, vous le savez parfaitement, que cette réduction correspond à un engagement qui avait été pris par le Président de la République…
… et, d'ailleurs, partagé par de très nombreux candidats à l'élection présidentielle, à la droite de cet hémicycle comme à sa gauche.
Eh oui ! J'allais oublier que, si François Hollande n'a pas été candidat à l'élection présidentielle,
Exclamations sur les bancs du groupe NG
il avait, en 2016, à l'occasion d'un colloque, indiqué qu'il était favorable à la réduction du nombre des parlementaires et à l'introduction d'une dose de proportionnelle.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM. – Exclamations sur les bancs du groupe NG.
C'est vrai d'un certain nombre de candidats, monsieur Jacob, qui avaient eux aussi milité pour une telle mesure : c'était vrai de François Fillon, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
L'objectif est donc de saisir le Parlement de ce projet, qu'il en discute et qu'il se prononce.
Je suis certain qu'en examinant ce texte, le Parlement aura le souci de mieux travailler avec le Gouvernement de sorte que personne ne soit surélevé ou abaissé, mais que notre efficacité collective soit approfondie. Tel est l'objectif du texte. Je vous garantis, monsieur le président Ferrand, que nous aurons l'occasion d'en reparler, au cours de débats dont la tonalité de cette séance dit déjà toute la vigueur.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Exclamations sur les bancs des groupes LR et GDR.
La parole est à M. Alexis Corbière, pour le groupe La France insoumise.
Monsieur le Premier ministre, en décidant de retirer unilatéralement son pays de l'accord historique sur le nucléaire iranien conclu en juillet 2015, le président des États-Unis, M. Trump, n'est plus qu'un pyromane du Moyen-Orient, craquant une allumette au coeur même de la poudrière.
La France ne doit ni s'aligner sur cette trumpisation du monde, qui rompt avec les traités internationaux et les accords de Paris, ni s'associer à cette déstabilisation géopolitique aux motivations irresponsables. Les embrassades récentes entre M. Trump et M. Macron il y a quinze jours n'auront servi à rien puisque les cartes étaient de toute évidence tirées d'avance.
C'est manifestement pour satisfaire les demandes du Premier ministre israélien, M. Netanyahou, que cette décision a été prise, servant ainsi la volonté d'un gouvernement de plus en plus agressif et augmentant les tensions déjà nombreuses.
La boussole de notre diplomatie doit être l'indépendance de la France mise au service de la paix internationale. Je rappelle que le directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique a affirmé à plusieurs reprises que l'Iran respectait scrupuleusement cet accord.
Un autre enjeu capital est la sauvegarde des intérêts économiques de nos entreprises implantées en Iran, comme Renault et Airbus, qui sont bénéfiques pour nos deux pays. Ce n'est pas à Washington de décider avec qui nos entreprises ont des relations économiques. C'est comme si la France interdisait à Boeing de vendre des avions quelque part. On croit rêver ! Sauf que c'est en réalité un cauchemar qui s'annonce.
Nous devons donc rester dans l'accord pour maintenir la paix. C'est pourquoi nous proposons de sortir de l'OTAN, et pour commencer de son commandement intégré, pour ne pas être aspirés dans une logique de guerre.
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR et parmi les députés non inscrits.
Cette situation rappelle également l'impérieuse nécessité de cesser la vente d'armes à l'Arabie saoudite, alliée des États-Unis et oppresseur du peuple yéménite, ainsi qu'à d'autres pays dont l'activité militaire contribue à l'escalade des tensions au Moyen-Orient.
Monsieur le Premier ministre, allez-vous sortir de l'OTAN ? Allez-vous, au-delà des paroles, cesser d'aligner la France sur la diplomatie des États-Unis ? Que comptez-vous faire sur le plan diplomatique pour préserver l'accord sur le nucléaire avec l'Iran…
… et refuser que M. Trump façonne un nouvel ordre mondial, menaçant la paix dans le monde ?
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.
Monsieur le député, comme je l'ai dit il y a un instant, la France regrette la décision du président Trump, avec laquelle elle est en désaccord profond. Cette décision rompt avec deux principes importants des relations internationales : d'abord le respect de la parole donnée, lorsque les accords sont respectés par les parties – c'est le cas, vous l'avez souligné et je le constate également ; ensuite avec le principe de la non-prolifération, validé par l'ensemble de la communauté internationale.
La France, monsieur le député, restera dans l'accord et continuera pour sa part à l'appliquer tant que l'Iran en respectera intégralement les termes. Cette position est également celle des Européens. Pour nous, donc, l'accord n'est pas mort.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Nous demandons simplement à l'Iran trois choses : faire preuve de retenue et de responsabilité – je constate que les premières déclarations du président Rohani vont dans ce sens – , continuer à appliquer scrupuleusement l'accord et s'abstenir de comportements déstabilisants dans la région.
Vous pouvez le constater, monsieur le député, la France entend maintenir la voie du dialogue et de la paix. C'est pourquoi elle refuse de se laisser enfermer dans une impasse qui conduirait à la guerre.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.
Accord sur le nucléaire iranien
La parole est à Mme Delphine O, pour le groupe La République en marche.
Monsieur le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, ma question porte également sur le JCPOA, le plan d'action conjoint sur le nucléaire iranien. Je me réjouis que tous les groupes politiques se saisissent de ce sujet, ce qui témoigne de son importance pour la France.
Cet accord couronnait douze années de négociations diplomatiques et marquait un tournant historique dans la lutte contre la prolifération nucléaire. Surtout, il apportait une garantie puissante de sécurité pour le Moyen Orient et pour le monde.
Le retrait américain porte gravement atteinte au multilatéralisme. Il signe le renoncement des États-Unis à leurs responsabilités mondiales et ruine les espoirs du peuple iranien, qui aspire à une ouverture sur le monde. Si l'Iran venait à son tour à décider de se retirer de l'accord, une telle décision ferait peser une menace gravissime sur la paix dans la région.
Ce retrait est évidemment une immense déception, mais il ne doit pas nous empêcher, nous Français, Européens, de continuer notre travail de diplomatie. Le Président de la République, avec Theresa May et Angela Merkel, l'a rappelé hier : les pays du groupe « E3 » resteront parties à l'accord et demeureront engagés pour sa mise en oeuvre.
Dans un contexte de retrait des États-Unis, il n'y a aujourd'hui qu'une seule force de négociation et de paix : c'est l'Europe. L'Europe doit parler d'une seule voix, forte et audible.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.
C'est le sens des actions menées depuis des mois par les gouvernements de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne. C'est également le sens de la lettre adressée au Congrès américain et signée par plus de 500 députés français, allemands et britanniques, de tous les bords politiques, lettre que je porterai à Washington la semaine prochaine.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Aujourd'hui, en cette journée de l'Europe, il est plus que jamais important que l'Europe prenne les devants. De notre unité sur la question dépendra l'affirmation de notre souveraineté européenne.
Monsieur le ministre, quelles sont les prochaines étapes de la diplomatie française et européenne pour faire vivre l'accord sur nucléaire et éviter une nouvelle guerre dans la région ?
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI- Agir.
J'ai déjà, madame la députée, répondu en partie à vos interrogations. Je voudrais souligner après vous la gravité de la situation…
… et vous dire, après m'être entretenu hier soir à plusieurs reprises avec mes homologues allemands et britanniques, que nous sommes tout à fait déterminés non seulement à rester dans l'accord mais à être unis dans nos positions, en harmonie avec celle de Mme Mogherini. Nous allons d'ailleurs avoir une rencontre en début de semaine prochaine et nous serons également amenés à rencontrer le ministre iranien des affaires étrangères. Pour sa part, le Président de la République s'entretiendra aujourd'hui avec le président Rohani.
La solidarité européenne sera particulièrement nécessaire sur un point qui a été évoqué par certains orateurs : celui des flux commerciaux et d'investissements avec l'Iran, qu'il nous faut absolument maintenir pour que l'Iran sente le retour de ces engagements sur son territoire. Ce sera pour nous, dans les jours qui viennent, une préoccupation constante. En même temps, il nous faudra assurer la sécurité de nos entreprises présentes sur le territoire iranien. Il faut que les nouvelles sanctions annoncées par les États-Unis ne soient pas opposées aux intérêts de nos propres entreprises.
Attendons de voir ! On se souvient tous de ce qui s'est passé pour Cuba !
Avec Bruno Le Maire, nous allons recevoir dans les jours qui viennent les entreprises françaises présentes en Iran pour essayer, ensemble, de garantir leur situation. Il faudra le faire aussi au niveau européen, parce que nous sommes tous confrontés à la même difficulté, d'autant plus que l'on ne sait pas encore quel sera le périmètre exact des nouvelles sanctions que les États-Unis voudraient imposer.
Soyez en tout cas assurée, madame la députée, de notre détermination et de notre volonté d'agir en solidarité avec tous les Européens sur ce sujet majeur.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Monsieur le Premier ministre, hier nous avons rendu hommage, dans nos villages, dans nos villes, à ceux qui nous ont permis de sortir de la nuit de l'Europe. Aujourd'hui nous célébrons la déclaration de Robert Schumann, qui commençait ainsi : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. »
Dans la Nouvelle Revue française, le Président de la République évoquait il y a peu la perte du sens en politique et le retour du tragique dans l'histoire européenne, dont les questions précédentes viennent de nous donner une illustration.
Monsieur le Premier ministre, le temps n'est-il pas venu de retrouver l'esprit des pionniers qui ont fondé l'Europe il y a près de soixante-dix ans ? Ils ont mis en commun le charbon, l'acier, l'énergie, jetant les bases de notre économie moderne. Aurons-nous l'audace aujourd'hui de sortir des scandales qui indignent les peuples partout en Europe : scandale des paradis fiscaux, scandale des sociétés boîtes aux lettres, sans foi ni loi, des sociétés nomades ? Serons-nous capables d'associer les 140 millions de salariés européens aux décisions sur l'avenir de l'économie, sur le modèle de la co-détermination allemande ? Serons-nous capables de bâtir, pour nos entreprises, une responsabilité sociale et environnementale qui aille jusqu'au bout de la planète ? Serons-nous au rendez-vous de l'économie du futur, celle de la dignité humaine, des communs et de la résilience climatique ?
Monsieur le Premier ministre, n'est-il pas temps de bâtir un modèle commun de société européenne qui rassemble des États aujourd'hui par trop fragmentés et soumis à la suprématie actionnariale ? N'est-il pas temps de bâtir un modèle européen innovant et neuf, capable de se différencier du capitalisme asiatique et des standards anglo-saxons ?
Le temps est venu : serons-nous au rendez-vous ?
Applaudissements sur les bancs du groupe NG et sur quelques bancs des groupes MODEM et GDR.
La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement.
Monsieur le député, vous posez là une question quasi civilisationnelle, rendant ainsi hommage à la démarche engagée par les pères fondateurs de l'Europe. Pour construire la paix, ces derniers ont d'abord mis en commun le charbon et l'acier, avant de promouvoir des traités qui, grâce au commerce, ont permis à des pays qui s'étaient fait la guerre pendant des décennies de trouver un chemin commun.
Les questions que vous évoquez, qu'il s'agisse de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, de la meilleure répartition des fruits de la croissance – le Président de la République s'est engagé à maintes reprises sur le sujet, rappelant très régulièrement qu'il n'y a pas de croissance juste qui n'est pas partagée – ou des impératifs de la transition énergétique et environnementale, qui seront inscrits à n'en pas douter dans les débats qui se tiendront dans le cadre des élections européennes, sont au coeur de l'identité du continent européen. S'il existe des divergences entre les pays membres, nous avons cependant cette identité commune, cet attachement commun à un modèle social, à une économie sociale de marché qui fait de la redistribution des richesses – auquel participe par exemple notre modèle de protection sociale – , un des piliers de l'identité européenne.
Nous avons déjà engagé de nombreux travaux pour inscrire dans la loi ces différents éléments. Nous poursuivrons ce débat dans le cadre des élections européennes mais la France est aussi aux avant-postes. Je pense en particulier au projet de loi PACTE – plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises – , qui a associé six parlementaires et six chefs d'entreprise, et qui a donné lieu à des travaux intéressants ; les travaux que vous avez vous-même produits sur la question de la nouvelle gouvernance – comment mieux associer les salariés aux décisions des conseils d'administration, comment assurer une meilleure diversité et une meilleure représentation, comment mieux répartir les fruits de la croissance, notamment dans les entreprises de moins de 250 salariés. C'est le travail engagé par Bruno Le Maire sur l'intéressement et la participation. Sachez que nous comptons sur vous pour y participer pleinement.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
La parole est à M. Jean-Louis Bourlanges, pour le groupe du Mouvement démocrate et apparentés.
Monsieur le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, le 9 mai 1950, la France, par la voix de M. Robert Schuman, dessinait précisément les contours de la future Union européenne. Le but de l'entreprise était clair : la création non d'un État fédéral mais d'une union politique à caractère fédéral. Le moyen choisi pour atteindre ce but était clair : avancer pas à pas vers l'objectif par l'accumulation des « solidarités de fait ». Le préalable était clair : rétablir l'entente, la coopération et l'amitié entre l'Allemagne et la France.
Soixante-huit ans plus tard, le président Macron a lui aussi clairement marqué la volonté française de reprendre la marche en avant de l'Europe.
Pourtant, nous sommes inquiets.
Inquiets de voir le pacte fondateur de l'Union remis en cause par ceux qui préconisent ce monstre oxymorique que serait une prétendue « démocratie illibérale ».
Inquiets de voir le cadre financier pluriannuel proposé par la Commission stagner autour de 1 % du budget. C'est une hypocrisie que de prétendre relancer l'Union sur le recul drastique des deux seules politiques communes significatives existantes, la politique agricole commune et la cohésion territoriale.
Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et plusieurs bancs des groupes LR et LaREM. – Mme Cécile Untermaier applaudit également.
Sur la PAC, il faut être clair : si elle est bonne, finançons-la ! Si elle est mauvaise, réformons-la, mais n'ayons pas l'impudence de la tuer à petit feu au nom de la relance de l'Europe !
Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur plusieurs bancs des groupes LR, NG et GDR.
Nous sommes inquiets de voir l'Union européenne relever difficilement le défi de puissance lancé par Donald Trump.
Inquiets, enfin, de voir nos partenaires allemands, si amicaux soient-ils – je le dis sincèrement, avec toute l'amitié que je leur porte et qui me lie à eux – ne pas partager aujourd'hui exactement le même niveau d'ambition européenne que nous.
Ne croyez-vous pas, monsieur le ministre, que le moment est venu de procéder avec notre grand voisin à une vraie clarification, notamment sur les trois sujets que j'ai évoqués ?
Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM, LR et UDI-Agir et plusieurs bancs du groupe LaREM.
Je vous remercie, monsieur le député.
La parole est à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Monsieur le député Bourlanges, vous avez raison de souligner combien la relation avec l'Allemagne est essentielle et à quel point le mouvement de refondation que le président Macron souhaite impulser depuis son discours de la Sorbonne passe par une relance de la dynamique propre à nos deux pays.
En revanche, même si je comprends votre inquiétude, je ne partage pas votre pessimisme. Avec nos collègues d'outre-Rhin, nous avons en effet mis au point un calendrier, une méthode, des options susceptibles de dépasser d'éventuels désaccords ou contradictions et de redonner ce souffle que vous attendez de la part du moteur franco-allemand.
Ce calendrier comprend l'établissement d'une feuille de route avant le prochain conseil européen, c'est-à-dire très rapidement. Il intègre aussi la tenue d'un séminaire franco-allemand au mois de juin pour nous permettre d'approfondir nos travaux et de mettre en place une dynamique nouvelle. Vous le savez, il intègre également la redéfinition d'un nouveau Traité de l'Elysée qui devra être prêt pour le 22 janvier prochain.
Tout cela nous permet d'envisager l'avenir avec…
… détermination et un certain optimisme, même s'il ne faut pas cacher un certain nombre de désaccords. Vous avez parlé du cadre financier pluriannuel qui vient d'être déposé : il s'agit uniquement d'un document de la Commission, qui n'a pas été validé par les uns et par les autres. Il est vrai qu'il y a un certain nombre d'appréciations différentes sur cette proposition, mais cela ne nous empêche pas d'avancer sur d'autres sujets, comme sur l'Europe de la défense, sur la question iranienne que j'ai évoquée il y a un instant ou sur un certain nombre de grands dossiers internationaux.
J'ai passé toute la journée de lundi à travailler avec le nouveau ministre des affaires étrangères allemand à ce propos et je suis optimiste quant aux suites à donner à cet accord.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM, MODEM et LR.
Monsieur le ministre d'État, ministre de l'intérieur, le 1er mai dernier, des violences absolument intolérables ont été commises par plus de 1 200 black blocs en marge des manifestations traditionnelles.
C'est une chance que l'on n'ait aucune victime à déplorer. Les images des violences inouïes perpétrées par plusieurs centaines d'anarchistes et d'extrémistes ont choqué la France entière tout comme la presse internationale.
Ces individus se sont retrouvés dans le seul but de tout casser sur leur passage en brûlant des voitures, en saccageant la voie publique, en fracassant des devantures de commerces et en attaquant les forces de l'ordre.
Ces événements du 1er mai ont bafoué notre pacte républicain et je tiens à rendre hommage aux forces de l'ordre prises à parti, qui ont travaillé pour protéger les Français.
Applaudissements sur les bancs des groupes LR, UDI-Agir, MODEM et LaRem
Néanmoins, ces événements inadmissibles témoignent une fois encore du recul de l'autorité de l'État. C'est une faillite de l'État régalien, qui met en cause votre action au sein du ministère de l'intérieur. Monsieur le ministre d'État, vous êtes un homme bien renseigné : comment avez-vous pu laisser 1 200 personnes s'organiser et se réunir pour tout casser ? Ces individus avaient pourtant annoncé leur volonté d'en découdre en promettant, je cite, « une journée en enfer » !
Que retiendrons-nous par ailleurs de ces événements ? Sur 1 200 casseurs, 283 ont été interpellés, 7 ont été mis en examen et tous ont été relâchés ! Sur un sujet aussi grave, une commission d'enquête s'impose, monsieur le ministre d'État ! Quelles mesures entendez-vous prendre pour que de pareilles violences ne se reproduisent plus ?
Applaudissements sur les bancs des groupes LR et GDR.
Monsieur le député, vous avez totalement raison : ces violences sont absolument inadmissibles. Celles et ceux qui les ont organisées seront retrouvés et condamnés.
Que s'est-il passé le 1er mai ? Une manifestation était organisée par la CGT et par la FSU.
Sur les 20 000 personnes présentes, il y avait un bloc de tête composé de 14 000 personnes – cela ne s'était jamais vu – et de 1 200 black blocs.
Si nous avions rétabli l'ordre d'une manière totalement immaîtrisée, nous aurions eu quelques centaines de blessés, comme lors des manifestations contre le contrat première embauche ou contre la loi sur les retraites, où Paris avait été le théâtre de violences inouïes.
Moi, je tiens à rendre hommage au sang-froid des forces de l'ordre, qui nous ont permis de maîtriser les casseurs dans les rues de Paris.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et plusieurs bancs du groupe MODEM.
Mesdames et messieurs les députés, je tiens à vous dire que l'histoire ne se termine pas là. Il y a quelque temps, des policiers ont été violentés à Champigny-sur-Marne. Aujourd'hui, les auteurs de ces actes sont sous les verrous. Je peux vous dire que pour les manifestations dont nous parlons, les inspirateurs des violences le seront aussi demain !
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.
La parole est à Mme Nicole Le Peih, pour le groupe La République en marche.
Monsieur le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, depuis le 9 mai 1950, l'union des États européens s'est nouée autour de politiques communes intégrées, unissant les citoyens européens autour des valeurs communes que sont la paix et l'unité. Après la mise en commun des productions française et allemande de charbon et d'acier, l'Union n'a cessé de se consolider autour de politiques visant à assurer la souveraineté des pays membres. Au premier rang de ces politiques communes fondatrices et protectrices des citoyens européens se trouve la politique agricole commune – PAC.
Monsieur le ministre, dans le contexte de la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne et d'un Brexit qui s'annonce comme une déflagration pour l'Europe, la Commission européenne a mis sur la table un projet de cadrage financier pluriannuel qui met fortement à contribution l'enveloppe dédiée à la PAC, laquelle connaîtra une baisse de 5 % en euros courants.
La France est aujourd'hui la première contributrice et la première bénéficiaire de la PAC, avec plus de 9 milliards par an d'aides directes et agro-environnementales. Or chacun sait que d'autres urgences nécessitent aujourd'hui un engagement européen plus important, comme la défense, la sécurité ou la gestion des flux migratoires. Ce sont autant d'urgences à gérer, si nous voulons que l'Union européenne conserve son poids et son influence dans le monde en protégeant ses citoyens.
À l'heure où vous défendez un projet de loi qui se donne pour objectif de redonner du revenu aux agriculteurs, comment accepter que la PAC soit la politique sacrifiée du budget européen ? Monsieur le ministre, sur quels alliés comptez-vous ? Et de quelles marges de manoeuvre disposez-vous pour défendre une autre vision de la PAC, une vision ambitieuse, pour une PAC forte et solidaire, qui permette à nos agriculteurs de participer à la transformation des modèles agricoles, afin d'assurer une alimentation saine et durable à tous les Européens ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Madame la députée, vous m'interrogez sur la politique agricole commune. C'est une question que vous connaissez bien, puisque vous dirigez une belle exploitation dans le Morbihan.
Il faudrait interchanger, alors ! Elle, ministre, et vous dans le Morbihan !
Vous connaissez le soutien que la PAC représente aujourd'hui pour le revenu agricole. Nous ne pouvons pas accepter la baisse de budget massive, drastique et aveugle qui a été annoncée. Nous ne pouvons pas l'accepter, à l'heure où nous travaillons sur un projet de loi qui vise justement à redonner du revenu aux agriculteurs. Nous ne pouvons pas accepter cette baisse drastique du budget, à l'heure où nous accompagnons les agriculteurs dans la transition qui devra s'opérer au cours des prochaines années.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Nous ne pouvons pas accepter cette baisse drastique du budget de la PAC, madame la députée, alors que nous mettons en oeuvre un projet ambitieux pour notre agriculture de demain, autour d'une alimentation sûre, saine et durable. Nous n'accepterons pas, vous le savez, qu'à l'heure du Brexit, l'agriculture soit le parent pauvre des nouvelles politiques européennes.
Vous me demandez ce que nous comptons faire. Depuis le 19 décembre 2017, la France a pris position pour que la PAC soit dotée d'un budget suffisamment ambitieux pour que notre agriculture puisse répondre aux défis de demain. Nous allons chercher des alliés, comme nous avons commencé à le faire dès le mois de décembre. La semaine dernière, j'ai eu au téléphone un certain nombre de mes homologues, notamment les ministres espagnol et portugais, je m'entretiendrai ce soir avec le ministre finlandais, et nous allons évidemment travailler avec l'Allemagne.
Ensemble, nous ferons en sorte que le budget de la PAC soit à la hauteur des défis que notre agriculture aura à relever demain. Nous sommes totalement mobilisés, le Gouvernement est totalement mobilisé sur cette question et nous ne relâcherons pas notre effort.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Monsieur le Premier ministre, la presse s'est fait écho d'un potentiel conflit d'intérêts concernant l'actuel secrétaire général de la présidence de la République. Dans ses différents postes, à l'Agence des participations de l'État, comme directeur adjoint et, enfin, comme directeur de cabinet de deux ministres de l'économie, ce haut fonctionnaire a été amené à connaître des décisions de financements, de crédits à l'export ou de garanties de l'État pour aider le croisiériste italo-suisse MSC.
Le risque de mélange des genres était tel qu'il avait amené – fait rarissime ! – la commission de déontologie à s'opposer, en avril 2014, à son pantouflage chez MSC. Or, à l'automne 2016, Alexis Kohler a finalement rejoint MSC en qualité de directeur financier. À cette date, la période de trois ans pendant laquelle il est interdit à tout agent public de rejoindre une entreprise privée avec laquelle il a eu à traiter dans le cadre de ses fonctions, en la contrôlant, en la surveillant ou en formulant des avis la concernant, n'était pourtant pas écoulée.
Contrevenir à cette règle des trois ans, c'est commettre un délit, monsieur le Premier ministre, le délit de prise illégale d'intérêt, défini à l'article 432-13 du code pénal et puni de trois ans d'emprisonnement.
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Ce n'est évidemment pas à vous de vous exprimer sur cette question, monsieur le Premier ministre, mais, désormais, à l'autorité judiciaire. Votre responsabilité, en revanche, c'est de prévenir les risques de collusion entre la défense des intérêts publics et celle de quelques intérêts privés dans notre pays. Le doute sur la morale publique est un poison pour notre république.
L'an dernier, votre gouvernement a présenté avec tambours et trompettes une loi de moralisation qui a soigneusement repoussé tous les amendements concernant la haute fonction publique.
Fort heureusement, notre commission des lois, à l'initiative de sa présidente, a lancé une mission d'information qui a fait deux propositions principales pour mieux encadrer le pantouflage : rendre enfin publics les avis de la commission de déontologie, et rendre celle-ci indépendante. Ces propositions ont été adoptées à l'unanimité de tous les groupes de la commission des lois.
Depuis, votre gouvernement a freiné des quatre fers. Ma question, monsieur le Premier ministre, est donc la suivante : comptez-vous enfin vous engager pour mieux encadrer les conflits d'intérêts dans notre pays et éviter toute collusion entre la haute fonction publique et le monde des affaires ?
Applaudissements sur les bancs des groupes LR et NG et parmi les députés non inscrits.
La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement.
Monsieur le député, votre question concerne Alexis Kohler, secrétaire général de l'Élysée. Sachez qu'à chaque fois qu'il a été amené, au cours de sa carrière, à changer de fonction, une commission compétente, dont vous avez rappelé l'existence, a rendu un avis, positif ou négatif, et qu'il a toujours respecté strictement la règle édictée par la commission.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM – Exclamations sur les bancs des groupes LR et GDR.
Je suis pour le moins étonné, et assez amusé, de découvrir que vous êtes un fidèle lecteur de Mediapart. Je vous demande de respecter les choix de carrière qui ont été ceux d'Alexis Kohler, et je suis surpris que vous vous étonniez que l'on puisse successivement servir l'État et avoir un travail dans le secteur privé.
Mêmes mouvements.
Je crois utile qu'il y ait, sur ces bancs comme dans la haute fonction publique, des fonctionnaires qui connaissent le monde de l'entreprise. Croyez-moi, cela ne fait qu'améliorer les textes qui sont votés ici et les décisions publiques qui sont prises.
Exclamations sur les bancs du groupe FI.
Je voudrais vous dire enfin, à titre plus personnel, que je connais bien Alexis Kohler et que je ne doute pas de son intégrité. L'avoir mis en cause ici, publiquement, n'est pas à votre honneur, monsieur le député.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; M. Olivier Becht et Mme Patricia Gallerneau applaudissent également. - Vives exclamations sur les bancs du groupe LR.
La parole est à M. Jean-Luc Fugit, pour le groupe La République en marche.
Monsieur le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, le 25 avril dernier, avec M. le ministre de la transition écologique et solidaire, Mme la ministre des solidarités et de la santé et Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, vous avez présenté le plan d'actions pour réduire la dépendance de l'agriculture aux produits phytopharmaceutiques.
Je salue la démarche car, à partir d'une volonté politique claire et d'un projet initial porté par le Gouvernement, la concertation lancée il y a trois mois a permis aux acteurs économiques concernés, aux représentants de la société civile et aux collectivités locales d'enrichir le plan que vous portez.
Ce plan n'est pas un aboutissement mais un point de départ qui, selon le scientifique que je suis, place l'agriculture française sur une trajectoire positive pour favoriser la transition vers une alimentation plus saine et un impact environnemental moindre.
Le projet de loi agriculture, qui fait suite aux états généraux de l'alimentation et dont nous débattrons ici dans quelques jours, marquera également notre volonté de faire de l'agriculture française un exemple européen dans la réduction de l'impact environnemental et sanitaire.
En ce 9 mai, journée de l'Europe, rappelons que le Gouvernement a adopté une ligne claire au niveau européen, en se positionnant systématiquement contre la prolongation ou le renouvellement de certaines substances. L'interdiction du glyphosate a ainsi été renouvelée l'automne dernier tandis que, plus récemment, le 27 avril, la majorité des États membres de l'Union européenne, dont la France, a décidé d'interdire trois produits néonicotinoïdes de la famille des insecticides, jugés dangereux pour les abeilles.
Monsieur le ministre, je vous poserai trois questions pour nous permettre d'en savoir davantage sur le plan que vous portez avec vos trois collègues. De quelle manière sera coordonné le déploiement du plan d'actions ? Comment les acteurs seront-ils accompagnés, en particulier les agriculteurs ? Quelle part du grand plan d'investissement sera mobilisée pour atteindre les objectifs ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM et quelques bancs du groupe MODEM.
Monsieur le député, le Gouvernement a établi dans la concertation la feuille de route pour réduire l'utilisation des produits phytopharmaceutiques. Le Gouvernement coordonne ainsi un plan d'actions ambitieux pour transformer les pratiques et accélérer la transition que nous souhaitons tous.
Ce plan d'actions s'articule avec les plans de filière élaborés par les professionnels dans le cadre des états généraux de l'alimentation. Cette logique de filière est essentielle en ce qu'elle permet de mobiliser les professionnels de la production jusqu'à la distribution, pour une transition vers des modèles agricoles moins dépendants des pesticides et qui soient matures, durables et rémunérateurs pour l'ensemble des producteurs.
Parallèlement, des groupes de travail seront mis en place pour approfondir des sujets spécifiques comme les méthodes, les alternatives, le conseil, l'accompagnement des agriculteurs, l'information ou la protection des populations.
Quant au financement, les instruments du grand plan d'investissement pourront être mobilisés, qu'il s'agisse d'outils de subvention – plan pour la compétitivité et l'adaptation des exploitations agricoles, aides à la conversion à l'agriculture biologique, mesures agro-environnementales et climatiques… – ou d'un fonds de garantie en cours de finalisation qui permettra, en lien avec le fonds européen d'investissement, d'abaisser le niveau des garanties demandées par les financeurs aux exploitants agricoles.
Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour accompagner la transition agricole et améliorer la résilience de l'agriculture française afin qu'elle devienne plus compétitive et rémunératrice pour les producteurs.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Avant de passer la parole est à Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, je tiens en votre nom à lui souhaiter la bienvenue en tant que députée de la deuxième circonscription de la Martinique, en remplacement de M. Bruno Nestor Azerot, qui a démissionné le 23 avril dernier.
Applaudissements sur tous les bancs
Je saisis cette occasion pour saluer Mme Samantha Cazebonne, élue le dimanche 22 avril 2018 députée de la cinquième circonscription des Français établis hors de France.
Applaudissements sur tous les bancs
La parole est à Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine,.
Merci, monsieur le président. Permettez-moi, pour mes premiers mots dans cet hémicycle, de vous remercier pour votre accueil sympathique, après celui, chaleureux, que m'ont réservé mes collègues du groupe GDR et le président André Chassaigne, à mes côtés.
« Ah ! » sur les bancs du groupe LR.
Je remercie aussi tous les collègues ici présents. C'est une grande émotion pour moi que de pénétrer dans cette Assemblée à la suite de M. Bruno Nestor Azerot mais aussi d'autres grands hommes martiniquais dont Aimé Césaire ou Joseph Lagrosillière, qui ont marqué l'histoire et les débats de cet hémicycle. Ils restent pour nous des exemples.
Monsieur le Premier ministre, je dois vous remercier, ainsi que Mme Annick Girardin et M. Nicolas Hulot, d'avoir activé un plan de ramassage et de lutte contre les algues sargasses qui envahissent nos côtes.
Les collectivités, sans moyens, ne peuvent plus faire face à un phénomène naturel de cette ampleur. Ce plan ponctuel de 3 millions d'euros, ces mesures supplémentaires de ramassage sont positives, mais restent insuffisantes, vous le savez.
L'invasion des sargasses a des effets néfastes sur l'état sanitaire de nos populations, par leurs odeurs nauséabondes, par les émissions de gaz toxique, par la production de métaux lourds. C'est une catastrophe naturelle et écologique majeure, qui s'aggrave chaque année. Les conséquences sont aussi économiques, pénalisant bon nombres d'entreprises, notamment l'activité touristique et la pêche.
Ce phénomène, apparu en 2011, n'est plus celui d'épisodes temporaires appelant des mesures limitées. C'est un phénomène social total. Il faut lutter maintenant en mer et surtout déclarer un état de catastrophe naturelle pour y répondre.
Je vous rappelle que le rapport du Conseil général de l'environnement de 2016 préconisait déjà de prendre des dispositions sur le long terme pour gérer ce phénomène.
Il faut donc mettre en oeuvre une gestion de crise durable du « risque sargasses » à l'instar de ce qui existe pour les autres risques naturels. Nous vous le demandons, monsieur le Premier ministre, et nous souhaitons savoir quelles mesures vous pensez prendre.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Madame la députée, le sujet des sargasses mobilise le Gouvernement. L'ensemble des ministres avec qui nous avons tenu une réunion interministérielle le 27 avril, avant le conseil des ministres – Agnès Buzyn, Frédérique Vidal, Nicolas Hulot – ont bien conscience de l'exaspération, voire plus, de la population, confrontée à un fléau dont les conséquences sanitaires, économiques et écologiques sont considérables.
Pour y répondre, il y a tout d'abord les mesures urgentes que j'ai déjà présentées devant l'ensemble de la classe politique de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe, le 18 avril dernier.
Nous renforcerons tout d'abord les contrôles sanitaires. Nous porterons par ailleurs à 3 millions d'euros les aides financières destinées aux collectivités, qui doivent s'équiper pour le ramassage. Car ramasser, c'est la seule chose que l'on sache faire aujourd'hui, avec les outils qui sont mis à disposition, mais surtout avec des bras ! J'en profite pour remercier tous ceux qui sont aujourd'hui mobilisés : les acteurs du TIG – travail d'intérêt général – et des chantiers d'insertion, les pompiers, les employés municipaux.
Mais il faut aller beaucoup plus loin, et dans la durée. Nous mettrons en place des plans d'urgence locaux de lutte contre la sargasse, pour être plus réactifs à l'avenir. Cette année, en effet, nous n'avons pas été suffisamment rapides alors que nous devons à présent subir des arrivages beaucoup plus massifs qu'auparavant, en particulier en 2015, qui avait été la pire année. Ce manque de réactivité ne doit plus se reproduire.
Nous nommerons un préfet chargé de coordonner l'ensemble de ces actions. L'ADEME – Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie – sera également mobilisée. Elle lancera de nouveaux appels à projets, à hauteur de 1 million d'euros. La recherche sera également mobilisée.
Surtout, nous devrons travailler parallèlement avec la région, car les Antilles-Guyane ne sont pas les seules à être touchées par ce fléau : nous devons y répondre aussi avec nos voisins.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
La parole est à M. Jean-Marc Zulesi, pour le groupe La République en marche.
Monsieur le Premier ministre, alors que certains syndicalistes ont choisi de forcer la porte de notre parti, …
… vous avez ouvert ce lundi celle de Matignon à toutes les organisations syndicales.
M. Olivier Damaisin applaudit.
Avec la ministre des transports, Mme Élisabeth Borne, vous avez choisi la voie de la concertation en adressant aux représentants des cheminots une main tendue, mais ferme.
Sourires.
Oui, le Gouvernement souhaite le dialogue avec l'ensemble des syndicats, …
… mais il restera inflexible quant à ses ambitions pour le ferroviaire.
Ces ambitions, nous les avons inscrites dans la loi, ici à l'Assemblée, à une large majorité. Oui, nous en sommes convaincus : la fin du recrutement au statut au 1er janvier 2020, l'ouverture à la concurrence et le changement du statut de l'entreprise seront porteurs de progrès pour le rail et ses usagers.
Alors que le texte sera examiné par le Sénat à la fin du mois, quels sont les points de la loi encore en négociation ? Quelles sont les prochaines étapes de la concertation ?
Enfin, parce que le rail irrigue nos territoires, grâce à ses lignes de vie, parce que le train est indispensable à la mobilité du quotidien, l'État doit rester présent aux côtés de la SNCF.
C'est pourquoi vous avez, monsieur le Premier ministre, proposé aux forces syndicales deux grands axes d'investissements : un investissement social en faveur des femmes et des hommes qui font la fierté de la SNCF, et d'autre part un investissement dans les infrastructures, piliers de la compétitivité du chemin de fer français.
Pourriez-vous revenir plus en détail sur ces propositions essentielles pour le futur du ferroviaire ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs des groupes GDR et LR.
Monsieur le député, vous m'interrogez sur l'avancement de la réforme ferroviaire. Les réunions qui se sont tenues lundi dernier autour du Premier ministre ont été l'occasion d'ouvrir la deuxième étape de cette réforme. Le Gouvernement est à la fois ferme et ouvert : nous ne reviendrons pas, nous l'avons dit, sur les grands principes de la réforme très largement adoptée par votre assemblée le 17 avril dernier…
… mais les discussions demeurent ouvertes dans trois domaines. Tout d'abord, le projet de loi peut encore être précisé ou complété lors de son prochain examen au Sénat ; je recevrai vendredi prochain les syndicats qui le souhaitent ; deux d'entre eux ont indiqué vouloir proposer des amendements.
Les discussions doivent également s'intensifier au niveau de l'entreprise mais aussi de la branche.
J'ai ainsi demandé à la SNCF de préparer, avec les organisations syndicales, un agenda social d'ici au 23 mai ; quant à la branche, les partenaires sociaux devront avoir défini, dans les quinze jours, les thèmes précis des négociations ainsi qu'un calendrier, afin de compléter la convention collective avant la fin de l'année 2019. L'État s'engagera pleinement pour que ces négociations aboutissent.
Le Gouvernement veut renforcer la SNCF. C'est le sens même de cette réforme. Nous avons prévu un niveau d'investissement sans précédent, et nous sommes prêts à aller plus loin. Nous voulons aussi un plan ambitieux de formation et d'adaptation des compétences.
Enfin, le Premier ministre a pris des engagements forts en matière de dette. Notre objectif, c'est qu'en 2022, la SNCF puisse financer ses investissements sans s'endetter. Cette réforme est ambitieuse ; l'attitude du Gouvernement est à la fois ferme et ouverte, pour la SNCF, pour les cheminots et pour les Français.
Monsieur le Premier ministre, le 26 avril dernier, l'ensemble des élus de banlieues populaires ont salué la remise du rapport de Jean-Louis Borloo sur les quartiers prioritaires. Aujourd'hui, la représentation nationale attend avec impatience la décision du Président de la République sur les suites qui seront données à ce rapport.
Mais alors que nous attendons les arbitrages de l'Élysée, je veux vous dire, monsieur le Premier ministre, qu'il y a urgence dans nos banlieues populaires ! Ces quartiers ne sont pas des sous-quartiers d'une sous-république.
C'est pourtant ce que ressentent trop souvent, malheureusement, les habitants de ces quartiers : ils n'ont pas l'impression d'être logés à la même enseigne que ceux des grandes métropoles, …
… et cela malgré les efforts déjà consentis.
Les maires de banlieues, les agents publics et les bénévoles sont aujourd'hui épuisés, las de voir fleurir les annonces aussi vite que fane l'ambition qui les avait vues naître. Pouvez-vous entendre cette colère sourde des élus locaux à qui l'État demande toujours plus tout en donnant toujours moins ?
Depuis maintenant près de quatre ans, la rénovation urbaine est à l'arrêt. Le nouveau programme de renouvellement urbain, le NPRU, devait être doté de 5 milliards d'euros ; le Président de la République avait même annoncé vouloir le porter à 10 milliards. Mais sur le terrain, pas un seul centime n'est arrivé, et les lourdeurs administratives continuent de croître !
Monsieur le Premier ministre, la France périphérique, rurale comme urbaine, ne demande pas de passe-droits, de quotas dans les grandes écoles ou de discours victimaires. Elle veut la République, rien que la République, mais toute la République !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR ainsi que sur plusieurs bancs des groupes GDR, NG et UDI.
Dans les quartiers de la politique de la ville, notamment dans mon département, la Seine-Saint-Denis, il se crée deux fois plus d'entreprises que partout ailleurs en France. Donnons donc à ce dynamisme les clés de la pérennité ! Quand les annonces et les rapports laisseront-ils enfin place à une vision d'ensemble, à une politique globale d'aménagement du territoire, soucieuse de donner enfin à nos communes et à nos quartiers toute leur place dans la République ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LR ainsi que sur de nombreux bancs du groupe GDR.
Monsieur le député, nous partageons le constat que vous venez de dresser. Je voudrais simplement vous dire ici que nous avons déjà pris des mesures ; c'est un sujet que vous connaissez, puisque vous exercez des responsabilités municipales à Aulnay-sous-Bois depuis 1995. Vous êtes donc confronté à ces problèmes.
Nous avons déjà pris cette année des mesures qui vous concernent directement : je pense aux emplois francs, à la police de sécurité du quotidien – mesure qui s'applique dans votre commune – ou encore au dédoublement de classes en zones REP et REP+. Nous agissons. Voilà la réalité.
De la même manière, nous avons augmenté de manière conséquence la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale, la DSU : 110 millions d'euros en plus, attribués de façon privilégiée à ces communes.
La modification de la péréquation établie en Île-de-France a également permis des ajustements très positifs.
Nous avons voulu ce travail de réflexion, mené par Jean-Louis Borloo grâce à nos équipes et aux groupes de travail qui ont permis de faire participer plus de 15 000 personnes. Des problèmes ont été pointés, notamment dans le fonctionnement de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, l'ANRU. Il faut en effet faire revenir des grues dans les quartiers ; il faut remettre nos dispositifs en ordre de marche. Nous y travaillons, comme nous travaillons sur l'éducation, la petite enfance, la santé…
Vous l'avez dit : ce qu'il faut faire, c'est ramener la République au coeur de l'aménagement du territoire !
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM ainsi que sur plusieurs bancs du groupe MODEM.
La parole est à Mme Ramlati Ali, pour le groupe La République en marche.
Monsieur le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, le 12 septembre 2017, à l'occasion du cinquième haut conseil paritaire France-Comores, vous signiez avec votre homologue comorien une feuille de route intitulée « Vers un cadre propice à une circulation régulière des personnes en toute sécurité ». Cette feuille de route avait pour objet, entre autres, de créer les conditions d'une circulation légale et maîtrisée des biens et des personnes entre les îles de l'Union des Comores et le département de Mayotte, mais aussi d'approfondir la coopération bilatérale entre les deux pays.
Cette feuille de route avait alors suscité une vive émotion à Mayotte. Aussi est-il nécessaire, dans les discussions en cours avec les Comores, de chercher à apporter des gages suffisants à la population mahoraise, en particulier sur la question de la réadmission sur le territoire comorien des personnes entrées illégalement à Mayotte et sur le démantèlement des réseaux d'immigration clandestine entre les Comores et Mayotte. En outre, il conviendrait que les Comores reconnaissent enfin la volonté des Mahorais d'une appartenance de Mayotte à la République française.
Monsieur le ministre, les Mahorais disent oui à la coopération régionale et non à une communauté de l'archipel des Comores dénuée de tout sens historique et politique.
Monsieur le ministre, les Mahorais sont toujours inquiets face à l'insécurité, à la pression migratoire et à la non-reprise des reconduites à la frontière des expulsés. Par médias interposés, on entend à nouveau parler d'un projet de communauté de l'archipel des Comores qui accentue l'inquiétude de nos compatriotes au moment où le ton monte, aux Comores, sur le statut de Mayotte. Pouvez-vous nous faire part de l'état des échanges actuels avec les Comoriens ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Madame la députée, j'ai déjà eu l'occasion de dire dans cet hémicycle que la rumeur de création d'une communauté de l'archipel des Comores était sans fondement. Je vous le redis ici une nouvelle fois et très solennellement. Je regrette qu'un certain nombre d'acteurs continuent de relayer, par voie de presse, ces rumeurs. Nous ne transigerons pas sur le statut de Mayotte au sein de la République française, je l'ai déjà dit à plusieurs reprises et je vous le redis aujourd'hui.
Nous avons été amenés à condamner publiquement, y compris ici, les mesures prises par les Comores le 21 mars dernier pour interdire la reconduite sur leur territoire des Comoriens entrés illégalement à Mayotte. Ces pratiques ne sont pas acceptables. Face aux blocages que nous avons pu constater sur cette question de la réadmission et à la poursuite des arrivées d'immigrants irréguliers à Mayotte, nous avons décidé de suspendre, depuis le 4 mai dernier et jusqu'à nouvel ordre, la délivrance des visas demandés par les Comoriens pour se rendre en France.
Tout cela n'empêche pas la discussion et le dialogue avec les autorités comoriennes, que je poursuis moi-même directement, afin que nous puissions lutter conjointement et efficacement contre les filières d'immigration illégale et aboutir à des actions concrètes de développement aux Comores. J'espère que la confiance et le dialogue que nous souhaitons permettront d'aboutir à ces résultats le plus rapidement possible. En tout cas, madame la députée, sachez que nous ne transigerons pas sur le statut de Mayotte au sein de la République française.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Monsieur le Premier ministre, nous avions un monument de diplomatie : l'accord sur le nucléaire iranien, obtenu grâce à la ténacité de François Hollande et de Laurent Fabius lors du précédent quinquennat. Nous avons l'impression que vous le regardez, impuissant, s'effondrer sous nos yeux.
Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM.
Hier soir, nous avons entendu le Président de la République appeler à « travailler collectivement à un accord plus large », comme si la France voulait faire une concession à Donald Trump…
… alors que l'enjeu est de réaffirmer la solidité de cet accord. Car ce dernier tient toujours.
Monsieur le Premier ministre, la diplomatie du sourire au président Trump a montré ses limites. Il serait temps de reconnaître que la solution n'est pas la mise en scène d'une connivence avec les uns et les autres – cela vaut tant pour la Syrie que pour l'Iran, car il y va de la sécurité mondiale. La diplomatie doit être celle des actes. Monsieur le Premier ministre, nous vous demandons de réaffirmer la solidité de cet accord et le soutien de la France à ce dernier.
Ce qui s'est passé hier soir jette aussi un doute sur votre stratégie européenne. Nous attendions que la France parle au diapason de l'Union européenne. Nous sommes fiers que la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ait dit clairement : « Ne laissez personne démanteler cet accord. C'est l'une des plus belles réussites jamais réalisées de la diplomatie, et nous l'avons construite ensemble. » Dans le même temps, le Président de la République tweetait vouloir élargir cet accord.
Monsieur le Premier ministre, nous vous le demandons solennellement : jouez collectif avec l'Europe ! Réaffirmez la solidité et la validité de cet accord ! Soutenez-le !
Applaudissements sur les bancs du groupe NG.
Madame la présidente Rabault, vous m'interrogez sur l'accord sur le nucléaire iranien. Vous avez raison, cet accord est le fruit de négociations très longues et très difficiles, dans lesquelles la diplomatie française s'est illustrée, avec d'autres, à une époque où notre allié américain était favorable à la conclusion d'un accord – il fallait le convaincre, l'encourager, mais le président des États-Unis d'Amérique de l'époque y était favorable.
Il n'a échappé à personne que la situation actuelle est différente. Le président des États-Unis a fait le choix – à notre grand regret à tous, je dois le dire – de sortir progressivement des accords multilatéraux.
Si, progressivement ! Il est d'abord sorti de l'accord de Paris, et ainsi de suite.
Il n'est pas favorable à la conclusion d'accords multilatéraux et veut sortir des accords existants. Ce n'est pas la ligne de la France, et le Président de la République a eu l'occasion de le dire au président américain, en tête à tête et publiquement.
Le président des États-Unis a pris une décision. C'est une décision souveraine, que nous regrettons, nous l'avons dit publiquement, mais qui existe. Condamne-t-elle l'accord ? À l'évidence, ce n'est pas une bonne nouvelle, mais elle ne le condamne pas encore.
Les autorités iraniennes ont d'ailleurs indiqué qu'elles attendaient une réponse des Européens pour savoir si elles restaient dans l'accord. Nous avons dit nous-mêmes que le retrait américain n'entraînait pas la mort de cet accord et qu'il fallait se battre pour qu'un cadre multilatéral négocié, discuté, puisse à la fois offrir des garanties de contreparties aux Iraniens et nous permettre de vérifier que ces derniers ne poursuivent pas le programme nucléaire dont vous conviendrez probablement, madame la présidente Rabault, qu'il serait dangereux pour l'ensemble de la région qu'il aille jusqu'à son terme.
Telle est la position de la France, qui n'est pas une position solitaire, madame la présidente : dès hier soir, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, qui sont tous les trois parties à l'accord, ont indiqué dans une position commune quelles étaient leurs ambitions. Je me réjouis de cette position commune, qui est indispensable : elle ne garantit pas le succès, madame la présidente, mais elle en est une condition. Avec le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sous l'autorité du Président de la République, nous voulons poursuivre nos discussions avec nos partenaires naturels que sont l'Allemagne et le Royaume-Uni pour faire en sorte de préserver le cadre multilatéral de nos relations avec l'Iran et de sécuriser l'avenir de notre présence économique en Iran – la présence économique française, mais aussi plus largement la présence économique européenne. Nous voyons bien qu'il s'agit là d'un enjeu absolument considérable.
Ce qui se joue, madame la présidente, dans cette affaire du retrait américain et de l'avenir de la négociation multilatérale avec l'Iran, n'est pas accessoire ou mineur : c'est même, à bien des égards, un élément absolument majeur pour le monde qui vient et que nous construisons. C'est la raison pour laquelle je réponds très sérieusement à votre question, madame la présidente Rabault. Évidemment, chacun est libre de ses propos, mais compte tenu de l'ampleur de la discussion, je ne crois pas utile d'en profiter pour essayer de tenir, çà et là, un discours qui aurait finalement pour objectif principal d'alimenter une polémique sur la scène intérieure.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt-cinq.
L'ordre du jour appelle les questions sur la réforme de nos institutions.
Je vous rappelle que la Conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.
Nous commençons par les questions du groupe La France insoumise.
La parole est à M. Bastien Lachaud.
Madame la garde des sceaux, alors que le peuple est censé constituer le fondement de la souveraineté démocratique, il est totalement écarté de vos projets de réforme. Vous nous proposez un énième rafistolage d'une Constitution épuisée, qui va parachever le caractère monarchique de nos institutions, qui n'ont depuis longtemps de républicaine que la prétention. Or, à chaque élection, l'abstention unanimement déplorée démontre que le peuple s'est encore un peu plus éloigné de celles-ci, ce qui affaiblit d'autant leur légitimité. Le peuple est entré en grève civique et en colère froide.
La solution que vous proposez ne peut qu'aggraver le problème. Réformer un sujet aussi fondamental que les institutions sans le peuple, c'est réformer contre le peuple. Il est plus que temps de refonder réellement nos institutions, et nulle autre instance que le peuple lui-même n'a la légitimité pour le faire. À cette fin, la seule méthode valable est l'élection d'une assemblée constituante. Il faut que le peuple puisse prendre le temps de refonder ses institutions pour se réinstituer lui-même comme entité souveraine, et ainsi refonder une véritable démocratie.
En effet, la Constitution actuelle est la seule de l'histoire de la République française à n'avoir pas été délibérée par une assemblée parlementaire. Rédigée à la hâte, dans un contexte de guerre civile et sous la menace d'un coup d'État, elle ne peut satisfaire les exigences démocratiques fondamentales. L'implication du peuple y est minimale. Les possibilités de contrôle des élus par le peuple sont ridicules : il n'existe aucune possibilité de les révoquer en cours de mandat et quasiment aucune faculté d'initiative populaire des lois. Les contre-pouvoirs sont faibles. Nous-mêmes, parlementaires, sommes appelés à nous rabougrir dans l'idée de laisser encore plus les mains libres à un exécutif tout-puissant.
Ma question est simple : quand allez-vous enfin satisfaire l'exigence démocratique minimale consistant à permettre au peuple de se saisir de la définition de ses institutions, en convoquant une assemblée constituante ?
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Monsieur le député, j'ai bien entendu votre question, que je comprends à la lumière des positions qui sont celles de La France insoumise : pendant la campagne présidentielle, vous avez fait état de la nécessité de revenir à une véritable assemblée constituante pour élaborer une VIe République. Ce n'est pas notre optique : nous nous inscrivons dans une logique différente, pour deux raisons.
D'abord, il y a, dans notre Constitution, un très bel article, l'article 3, qui précise que la souveraineté appartient au peuple – de ce point de vue, nos positions convergent – , mais que ce peuple exerce sa souveraineté soit directement, par voie référendaire, soit par le biais de ses représentants. Dans notre Constitution figure une disposition qui donne précisément aux représentants du peuple la possibilité de réformer ses institutions, son texte fondateur, sa Constitution, en l'occurrence celle de 1958. C'est la raison pour laquelle nous empruntons la voie prévue par l'article 89 de la Constitution pour proposer cette révision.
Si nous faisons cela, c'est précisément parce que le peuple s'est déjà exprimé, il y a un an exactement, en portant à la présidence de la République un candidat qui avait clairement exprimé ses positions quant à la révision de la Constitution. Il avait clairement souligné la nécessité d'introduire un système démocratique plus efficace, plus représentatif, et je crois que c'est ce que nous allons essayer de proposer avec la révision constitutionnelle que le Premier ministre et moi-même avons présentée ce matin.
Notre objectif est donc de redonner la parole au peuple, comme cela est prévu par notre texte constitutionnel.
Madame la ministre, le projet de réforme constitutionnelle qui va nous être présenté révèle l'antiparlementarisme exacerbé de votre gouvernement, mais ce n'est pas une nouveauté. Vous allez transformer notre république parlementaire en monarchie présidentielle en réduisant le nombre de parlementaires, en restreignant le droit d'amendement et en affaiblissant les pouvoirs du Parlement. Mais, plus grave encore, vous comptez entamer le démantèlement de l'unité territoriale de la République en permettant l'instauration de lois territoriales permanentes – et je ne parle pas des propositions concernant la Corse ou les outre-mer.
Jusqu'à présent, les territoires pouvaient, à l'initiative du Parlement, faire l'objet d'expérimentations pendant une durée limitée. Avec votre réforme, ce sera la porte ouverte au morcellement législatif et à la fin de l'égalité des citoyens devant la loi puisque, selon la région ou le département, la loi pourra s'appliquer de manière différente. Votre texte aboutira évidemment à la mise en concurrence des territoires et à la création de zones franches sociales, fiscales ou encore environnementales.
Concrètement, on parle de la possibilité d'un salaire minimum de croissance – SMIC – par région, d'un droit du travail différent selon le territoire, ou de règles environnementales plus ou moins contraignantes. Tout cela n'a aucun sens, et c'est en réalité un retour à une organisation territoriale digne de l'Ancien Régime, qui n'a jamais rien apporté, si ce n'est des conflits entre les régions. On voit là votre volonté de mettre en place un fédéralisme à la française pour répondre aux standards européens de compétitivité – comprendre « concurrence » – entre les territoires.
Madame la ministre, comment comptez-vous garantir l'unité de la loi sur le territoire de la République, et ainsi l'égalité des citoyens, en proposant des lois à géométrie variable en fonction des territoires ?
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Monsieur le député, je tiens d'abord à répondre à votre première affirmation, selon laquelle la proposition présentée serait de nature antiparlementariste. Ce n'est absolument pas le cas. Au cours de nos débats, nous aurons l'occasion de démontrer que le texte qui va vous être présenté vise d'abord, c'est vrai, à rendre la procédure parlementaire plus fluide, objectif évoqué de longue date par différents travaux menés par les parlementaires eux-mêmes. Mais il vise aussi à donner au Parlement les moyens de conduire réellement le contrôle du Gouvernement et, surtout, l'évaluation des politiques publiques – nous aurons l'occasion d'y revenir. Cela s'appliquera aux lois de finances et à d'autres domaines. Il ne s'agit en aucun cas d'antiparlementarisme.
Au contraire, nous voulons rendre de l'efficacité…
… à la procédure parlementaire.
Deuxièmement, vous craignez un affaiblissement de l'unité territoriale de la République. Nous n'avons pas du tout souhaité porter atteinte au principe d'indivisibilité de la République : celui-ci reste clairement affirmé et totalement respecté.
En revanche, nous donnons effectivement la possibilité d'adapter l'exercice des compétences et, dans certains cas, d'adapter des dispositions législatives et réglementaires portant sur les compétences, mais sous réserve du respect de deux conditions, qui seront inscrites dans le projet que je vous proposerai : respecter l'égalité entre les personnes ; assurer la garantie des droits et des libertés publiques. Si ces deux conditions, qui forment l'unité de notre peuple, sont respectées, nous pourrons mettre en place un droit à la différenciation.
Madame la ministre, le Président de la République propose une révision de la Constitution. Dans ce contexte, je m'interroge sur l'avenir de l'outre-mer, et tout particulièrement sur celui du département de La Réunion. En effet, depuis la départementalisation de 1946, il y a eu, certes, des évolutions, mais aujourd'hui, les chiffres parlent d'eux-mêmes : fort taux de chômage, illettrisme, manque de logements, une économie orientée vers l'importation plutôt que la production locale ; bref, un modèle socio-économique inadapté. Il est donc impératif de proposer d'autres outils pour de nouvelles façons de penser et de faire.
Lors de son allocution en Guyane, le 28 octobre 2017, le Président de la République s'est clairement exprimé pour une révision de l'article 73, afin de donner plus de moyens à nos collectivités. Le député du groupe La République en marche M. Hubert Julien-Laferriere et moi-même sommes chargés par la délégation aux outre-mer d'un rapport d'étude comparative des statuts outre-mer. Du 20 au 24 avril 2018, nous avons auditionné, à La Réunion, plus de trente organisations et personnalités du monde politique, associatif, syndical, économique. Des divergences sont apparues, mais il ressort, pour une large majorité d'entre elles, une volonté d'adapter les textes de lois à La Réunion. Or le projet validé aujourd'hui par le Conseil des ministres exclut d'emblée La Réunion d'un certain nombre de dispositifs.
Dans l'un des articles du texte, il est mis en exergue que le cinquième et le sixième alinéa de l'article 73 vont être remplacés par des dispositions qui restent plus contraignantes que pour les autres départements d'outre-mer. Pourquoi avoir pris cette décision unilatérale sans discuter avec les élus ? Madame la ministre, est-ce une discrimination voulue ? Est-ce un manque de confiance envers la population et ses élus ? Êtes-vous prête à vous appuyer sur le rapport commandé par la délégation aux outre-mer pour réécrire ce projet de loi ?
Applaudissements sur les bancs du groupe FI et sur plusieurs bancs du groupe GDR.
Monsieur le député, j'ai été très attentive à vos propos et à votre questionnement, comme je le suis d'ailleurs, de manière générale, à toutes les propositions qui émanent des élus. Ma réponse tiendra en deux points. Nous avons effectivement fait une proposition concernant l'article 73 de notre Constitution, qui précise que les départements et les régions d'outre-mer pourront bénéficier d'un régime propre de différenciation des normes. L'article 73 organiserait alors une nouvelle procédure, qui simplifie la possibilité, pour les collectivités ultramarines, de fixer elles-mêmes les règles qui seront applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières.
Dans le texte que nous proposons, le département et la région de La Réunion continueront à bénéficier d'un régime spécifique, conformément au choix retenu en 2003. Les habilitations prévues ne pourront donc porter, pour ce qui les concerne, que sur les matières qui relèvent de leurs compétences.
J'entends ce que vous me dites, mais vous avez vous-même, monsieur le député, prononcé le mot de « divergence ». Si j'ai bien compris, vous faites état de divergences et proposez de continuer à réfléchir. Nous avons fait une proposition qui s'appuie, pour ce qui concerne La Réunion, sur ce qui avait déjà été décidé en 2003. Si tous les élus font des propositions qui se caractérisent par une certaine convergence, nous pourrons bien entendu les étudier ensemble.
Madame la ministre, votre contre-réforme des institutions s'apparente à un nouveau renforcement des pires travers de la Ve République. Elle contribuera à fragiliser la démocratie et, surtout, à conforter le caractère monarchique des institutions, en concentrant l'essentiel des pouvoirs décisionnels dans les mains d'un hyperprésident.
Je souhaite vous interroger sur la réduction du nombre de parlementaires. Alors qu'il existe, dans notre pays, une forte demande pour des élus et des députés plus proches de la population, et que la technocratie est de plus en plus décriée, une telle proposition risque d'éloigner les citoyens de la politique, et d'accroître la déconnexion entre les citoyens et les élus, pourtant chargés de les représenter.
Un député représente aujourd'hui jusqu'à 116 000 habitants. Mais, si votre contre-réforme est adoptée, il en représenterait 195 000. La France deviendrait alors l'un des pays les moins pourvus en parlementaires en Europe, et cela affecterait évidemment le travail parlementaire : comment concilier présence en commission et en séance, y compris la nuit, travail parlementaire et travail de terrain, qui nous permet d'être au plus près de la population ?
Cette équation est déjà difficile, et deviendra, demain, quasiment impossible. Le pouvoir sera donc donné à la technocratie et aux collaborateurs, et non à des élus devant rendre directement des comptes à la population.
Une telle réforme devrait relever d'un grand débat public. Diminuer le nombre de parlementaires, c'est diminuer le nombre de personnes élues pour élaborer les lois. Nous voulons qu'une assemblée constituante puisse en débattre. Madame la ministre, confirmez-vous votre volonté de diminuer le nombre de parlementaires ?
Applaudissements sur les bancs du groupe FI et sur plusieurs bancs du groupe GDR.
Madame la députée, le projet de loi qui porte notamment sur la diminution du nombre de parlementaires et sur l'introduction d'une dose de représentation proportionnelle n'a pas encore été présenté en Conseil des ministres. Il a été transmis pour avis au Conseil d'État, mais je vous confirme qu'il existe.
Ce projet s'inscrit dans la logique développée par le Président de la République, qui nous a semblé correspondre aux attentes des Français. Nous ne le menons pas pour le plaisir de diminuer le nombre des parlementaires : en soi, cet objectif n'a pas de sens, même si, puisque vous évoquez des ratios, je pourrais vous renvoyer au nombre de sénateurs américains, qui sont 100 pour une population plus importante que la nôtre.
Exclamations sur les bancs des groupes FI et GDR.
Il y a, certes, des niveaux différents de représentation.
Il faut préciser que la France compte un nombre très élevé d'élus : plus de 500 000 élus locaux.
Parmi tous ces élus, il y a les parlementaires, qui ont une mission spécifique, au titre de la Constitution : voter la loi, contrôler l'action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques. Nous ne souhaitons pas couper les parlementaires de leur circonscription – ce n'est pas un objectif en soi – ,…
… mais leur donner les moyens d'accomplir réellement leurs missions. Peut-être cela supposera-t-il une nouvelle organisation du travail parlementaire, et le président de Rugy s'est déjà fait l'écho de réflexions en la matière. Il me semble que la proposition de réduire le nombre de parlementaires, qui ne figure d'ailleurs pas dans la révision constitutionnelle, traduit la volonté de recentrer les élus nationaux sur le coeur de leurs missions. L'objectif est d'accroître l'efficacité.
Nous en venons maintenant aux questions du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
La première est posée par son président, M. André Chassaigne.
Madame la garde des sceaux, votre projet de réforme constitutionnelle relève de la pure provocation antidémocratique. Outre la baisse du nombre de parlementaires, les mesures prévues, comme la confiscation de l'ordre du jour par le Gouvernement, la réduction du temps d'examen des projets de loi de finances, ou encore la restriction du droit d'amendement parlementaire, sont destinées à neutraliser la capacité d'action du Parlement, à le réduire au silence législatif ; déjà encadré, affaibli, meurtri par notre république monarchique, le Parlement-législateur serait condamné par cette réforme à l'impuissance législative.
La volonté de limiter le droit d'amendement des parlementaires témoigne d'un mépris des droits fondamentaux des représentants de la nation en général et de l'opposition parlementaire en particulier. Désormais, non seulement les parlementaires continueront à être exclus de facto de l'initiative législative, mais leur pouvoir de coproduction des projets de loi serait neutralisé par l'affaiblissement du droit d'amendement. La loi, expression de la volonté générale, serait faite par un pouvoir exécutif adossé à une technocrature de hauts fonctionnaires et d'experts privés…
… partageant une même idéologie néolibérale, reléguant le Parlement au simple rang d'outil devant se plier aux principes de rationalisation et de rapidité de décision. Notre république n'est pas une start-up ! La technocrature que vous voulez installer n'a rien à voir avec notre tradition républicaine et démocratique, qui régit notre vie parlementaire ! Le statut de spectateur du pouvoir législatif auquel l'exécutif souhaite cantonner le Parlement n'est pas digne des élus du peuple souverain !
Dès lors, faites preuve, madame la garde des sceaux, de franchise : annoncez clairement que ce projet consiste à confisquer le pouvoir législatif, en dépit du principe fondamental de séparation des pouvoirs !
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI et sur quelques bancs du groupe LR.
Monsieur Chassaigne, je vous félicite pour ce morceau d'écriture, qui est incisif…
… à défaut d'être exact.
Tout d'abord, je puis vous assurer qu'il n'y a absolument aucun mépris du Parlement de la part du pouvoir exécutif. Nous sommes embarqués sur le même bateau, …
… avec comme but de faire vivre et de faire réussir notre démocratie, et ce serait une erreur de considérer que ce projet est un projet méprisant.
Nous voulons non pas faire du Parlement un simple « spectateur », pour reprendre le mot que vous avez utilisé, mais, comme aurait pu l'écrire Debord en 1968, « un spectateur engagé sur les actes qu'il doit accomplir », c'est-à-dire engagé sur le vote de la loi et engagé sur l'évaluation des politiques publiques. Nous ne souhaitons pas, pour reprendre ici encore vos termes, un Parlement « encadré », « affaibli », « meurtri », mais un Parlement recentré, rehaussé, responsable.
Il doit ainsi s'agir d'un Parlement recentré sur l'objet même de sa mission, le vote de la loi évidemment, mais aussi l'évaluation des politiques publiques.
Vous évoquez, monsieur Chassaigne, une diminution du nombre de jours consacré à l'examen des projets de loi de finances, mais ce sera pour augmenter le nombre de journées consacré au contrôle de la loi de règlement, parce que c'est là que l'on voit vraiment le travail que le Gouvernement a effectué. Et cela vaut pour toutes les hypothèses : c'est à chaque fois la recherche de l'équilibre et de l'effectivité du pouvoir donné au Parlement en matière de contrôle et d'évaluation. Tel est l'objectif principal du Gouvernement.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
La faible participation à ce débat dans les rangs de la majorité témoigne que celle-ci a déjà acté l'effacement du Parlement, a déjà acté le renoncement du Parlement à fabriquer ou à modifier la loi, et même à l'enrichir. Or nous, nous considérons qu'on ne peut résumer le rôle des parlementaires au contrôle de l'exécution de la loi deux ans après son adoption.
De plus, la diminution du nombre de parlementaires correspond, madame la garde des sceaux, à votre volonté de satisfaire une lubie présidentielle. Il s'agira d'une réduction sans fondement, sinon celui de distiller un sentiment de défiance à l'égard des parlementaires et de la démocratie représentative. Vous oubliez au passage de préciser que la France va être rétrogradée au regard des standards européens dans sa capacité à représenter le peuple dans de bonnes proportions dans ses institutions.
Au lieu de faire un tel bricolage institutionnel, vous auriez pu envisager de replacer le Parlement au coeur de la démocratie, vous auriez pu vouloir contrebalancer le poids de l'exécutif dominé par un hyper-président en renforçant réellement les pouvoirs du Parlement et le contrôle des citoyens.
Dans les faits, si votre mauvaise réforme va jusqu'au bout et si les arrangements passés en catimini avec le Sénat prospèrent, vous allez remplacer les députés de circonscriptions « XXL » par des collaborateurs. Ce ne seront donc plus les représentants du peuple qui décideront, mais des technocrates, des collaborateurs salariés, d'autant plus que votre gouvernement envisage, ce que personne ne dit, d'externaliser l'expertise du Parlement et même de la privatiser, privant ainsi les assemblées de leur capacité à établir des diagnostics dans la neutralité.
Je vois que cela ne fait pas plaisir au président de l'Assemblée que d'entendre ces propos.
Je fais respecter le temps de parole, monsieur Jumel, et vous l'avez déjà dépassé.
Qu'est-ce qui explique, madame la garde des sceaux, votre ardente volonté de réduire le nombre de parlementaires ?
J'espère, monsieur Jumel, que vous ne demandez pas à Mme la ministre de vous dire quels seront demain les moyens du Parlement pour mettre en oeuvre sa propre expertise.
Ce n'est pas ma question, monsieur le président, mais je note qu'il y a une cohérence derrière ces réformes.
Monsieur le député, je puis vous l'assurer : nous ne faisons pas de bricolage institutionnel. Le projet de loi présenté aujourd'hui en Conseil des ministres a été pensé, pesé, réfléchi, …
… et présenté également à chacun des groupes parlementaires – vous le savez, puisque nous avons eu l'occasion de nous en entretenir. Par conséquent, il n'y a pas d'arrangements passés en catimini avec quiconque. Chacun s'exprime, et c'est bien le moins dans un débat de cette nature.
Vous dites que nous voulons abaisser le Parlement, que nous aurions tendance à l'empêcher de remplir ses missions, illustrant votre propos par le faible nombre de députés ici présents, mais je vous rappelle que nous sommes en semaine de contrôle. Votre constat justifie donc notre volonté d'améliorer, avec vous et tous les autres députés, le fonctionnement du système aujourd'hui en place. Nous voulons ainsi donner plus de poids au Parlement en accroissant ses pouvoirs, y compris lors des semaines de contrôle, pour qu'il puisse y étudier des propositions de loi résultant du travail d'évaluation effectué.
Par ailleurs, si une diminution du nombre de parlementaires est bien prévue, celle-ci se fera à moyens constants.
Il s'agit de donner à chaque parlementaire les moyens d'exercer sa mission mieux encore qu'actuellement.
Il n'y aura à nos yeux aucun plus en termes de représentativité, de responsabilité ou d'efficacité démocratique dans ces divers projets de loi, qu'il s'agisse de projets de loi constitutionnelle, organique ou ordinaire – les mots que vous employez, madame la garde des sceaux, ne servent que de déguisement – ; on y trouvera en revanche une nouvelle étape de la longue dérive présidentialiste de notre Ve République et un pas de plus vers une forme de césarisme.
Cette réforme veut l'abaissement du Parlement, réduit alors, comme l'a dit mon collègue, au rang de spectateur, un spectateur qui aura le droit de « taper un » ou de « taper deux » de temps en temps. Vous allez nous demander d'amputer encore un peu plus l'initiative et la liberté parlementaires, et donc pour partie la souveraineté populaire.
J'ai vu que vous hésitiez sur la date pour la mise en scène de notre consentement : je vous suggère celle du 20 juin, jour du Serment du Jeu de paume… Vous voulez la démocratie, mais à condition qu'elle ne conteste par le pouvoir exécutif central et qu'elle se conforme aux recettes de la technocratie libérale. Or la présidentielle ne saurait résumer la démocratie et, face à la crise, j'appelle à se garder de toute quête de l'homme providentiel. « Malheureux le pays qui a besoin de héros », écrivait Bertold Brecht. Il faut au contraire favoriser sous toutes ses formes l'intervention populaire et citoyenne.
Les objectifs poursuivis par vos trois textes sont identiques. Dès lors, pourquoi ne pas en avoir intégré les principales mesures dans la révision constitutionnelle ? Cela cache-t-il quelque arrangement de couloir ? Une telle solution permettrait pourtant de soumettre l'ensemble de la réforme au référendum au titre de l'article 89, lequel le prévoit sans ambiguïté pour l'adoption définitive d'une réforme constitutionnelle. Ce n'est à personne d'autre qu'au peuple de décider, après un débat parlementaire et citoyen, de changements qui remettraient en cause substantiellement nos institutions démocratiques, la façon dont s'exprime la souveraineté populaire et sa portée. La référence au scrutin présidentiel est une facilité qui ne saurait suffire. En période de crise, il y a besoin d'actes de réappropriation de la République, et nul ne doit craindre l'intelligence populaire. C'est pourquoi notre groupe demande un référendum sur ce sujet.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Si la réponse que vous attendez de moi porte sur le référendum, je vais vous la donner. Elle est claire et ne dépend ni de moi, ni de vous, puisqu'elle est précisée dans notre texte constitutionnel. En effet, deux articles concernent le référendum de portée nationale : l'article 11 et l'article 89. Pour réviser la Constitution, il n'y a pas cinquante voies possibles : l'article 89 est la seule possible. Il suppose un vote du texte dans les mêmes termes au Sénat et à l'Assemblée nationale. Il va falloir travailler ensemble pour y parvenir – évidemment, nous savons que le chemin ne sera pas forcément simple.
Ensuite, il appartiendra au Président de la République de faire le choix entre la réunion du Congrès et la tenue d'un référendum au titre de l'article 89.
Il choisira. Mais il me semble que là n'est pas vraiment la question.
En revanche, quand vous me demandez pourquoi le contenu de la loi organique et de la loi ordinaire à venir n'a pas été intégré dans ce projet de loi constitutionnelle, émettant l'hypothèse qu'il y aurait des choses à cacher, je vous réponds qu'on ne veut rien cacher du tout, mais qu'il est impossible d'inscrire la représentation proportionnelle dans le texte de la Constitution : cela n'est pas autorisé, puisque cela relève d'une norme de niveau inférieur, d'un texte de loi organique, de même que le découpage électoral relève de la loi ordinaire. Faire autrement serait juridiquement impossible. On pourrait bien sûr imaginer que le Président de la République fasse le choix de soumettre à référendum la représentation proportionnelle et la diminution du nombre de parlementaires.
C'est exactement ce que je suis en train de démontrer, monsieur Jumel. Ce pourrait être le cas juridiquement, mais ce n'est pas à ce stade ce que le Président de la République a souhaité.
Madame la garde des sceaux, sans être inquiète pour les outre-mer, je m'interroge tout de même sur le projet de réforme institutionnelle. En effet, la réforme de 2003 prétendait simplifier, et elle a au contraire rendu nos statuts très complexes.
S'il y a donc un premier objectif à viser, c'est celui de revenir à des choses simples où le citoyen se retrouve… Que va devenir l'article 73 de la Constitution si le pouvoir d'adaptation, et les habilitations qui en font l'essence, est étendu à l'ensemble des régions hexagonales dans le cadre de l'article 72 – ce qui est par ailleurs une bonne chose – ? Cette question est d'autant plus importante que, vous le savez, la Martinique et la Guadeloupe, régies par l'article 73, n'ont mené à terme que trois lois d'habilitation, notamment en raison de procédures compliquées et longues. Là encore, comment simplifier afin de dégager pour ces collectivités et régions d'outre-mer de nouvelles possibilités, non pas tant de « différenciation » – mot que je n'aime pas – que de « franchises locales », formule qui a ma préférence ?
Madame la garde des sceaux, simplifier, c'est distinguer une chose d'une autre. Dès lors, pourquoi ne pas introduire tout simplement dans la Constitution un titre relatif à l'outre-mer détaillant article par article le statut de chaque collectivité territoriale, inspiré du traité de Lisbonne, dans lequel chaque région ultrapériphérique est précisément citée ? Nous y gagnerions en clarté !
Enfin, un acte symbolique fort visant à réunir les outre-mer et la République et à réaffirmer le pacte républicain est nécessaire. Grâce aux outre-mer, la France est une grande puissance mondiale ; pourtant, les ultramarins sont souvent les oubliés des politiques publiques nationales. Ce n'est plus possible !
C'est pourquoi nous formulons une proposition symbolique visant à créer une assemblée de l'union française des outre-mer, qui en rassemblerait chaque année des représentants autour des problématiques ultramarines. Madame la garde des sceaux, y êtes-vous favorable ?
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Madame la députée, je pense comme vous que les outre-mer – on ne dit plus « l'outre-mer » » mais « les outre-mer », ce qui a du sens, car il s'agit d'en reconnaître les spécificités et les singularités – constituent un apport indéniable à notre République. C'est donc avec eux, et notamment avec la reconnaissance de leurs spécificités, que notre République peut avancer.
Le texte que nous proposons vise au maintien de la spécificité ultramarine, ainsi que de la reconnaissance dont elle fait l'objet, et en même temps à une avancée vers davantage de simplification. Tel est véritablement l'objet de la révision de l'article 73 de la Constitution, que j'ai eu l'occasion de détailler il y a quelques instants.
Elle vise à faire en sorte que les départements et les régions d'outre-mer bénéficient d'un régime propre de différenciation des normes grâce à une procédure simplifiée – décret en Conseil des ministres suivi d'un texte de ratification – , ce qui sera plus simple, me semble-t-il, dans le cadre du processus général.
Par ailleurs, vous évoquez des « franchises locales », madame la députée, préférant cette expression au terme « différenciation ». Pour ma part, je lui trouve une consonance un peu médiévale. Je ne suis pas certaine qu'il faille l'adopter, car je doute qu'elle soit adéquate à l'adaptation de notre Constitution au XXIe siècle.
Sourires sur les bancs du groupe GDR.
Quoi qu'il en soit, nous disposons, entre les articles 72 et 74 de la Constitution, d'une forme de gradation et de souplesse entre les multiples cadres juridiques possibles et leurs descriptions respectives. Nous souhaitons avancer dans ce sens en dialoguant avec les élus de l'outre-mer, aux spécificités duquel nous souhaitons véritablement nous adapter.
La Ve République compte désormais en France parmi les plus établies, car les plus durables. D'aucuns attribuent sa stabilité à la rationalisation de son régime de fonctionnement. C'est un fait.
Toutefois, elle est aussi la République qui a le plus évolué, au fil de vingt-quatre révisions constitutionnelles, la dernière datant de 2008. Son adaptation permanente aux enjeux contemporains est l'une des clés de son bon fonctionnement. Faire évoluer le texte constitutionnel est un exercice périlleux – vous le découvrez, madame la garde des sceaux – qui requiert autant de courage que de précision.
Telle est l'entreprise que vous vous apprêtez à conduire. Elle mobilise et interroge les parlementaires que nous sommes à plusieurs titres. Elle nous mobilise, car l'évolution de la pratique politique est l'un des combats fondateurs du mouvement désormais majoritaire. Dans le sillage du Président de la République, et sans attendre d'injonction légale ou constitutionnelle, les candidats de La République en marche ont choisi de mettre en adéquation leurs convictions et leurs actions.
Non-cumul des mandats dans le temps en sus de leur non-cumul avec des fonctions exécutives, renouvellement, parité, pluralité et probité : cinq critères qui ont sonné, dans la classe politique et dans le pays, comme une révolution, et qui ont reçu l'onction du suffrage universel valant, en République, consécration de nos idées !
Aussi, nous ne laisserons pas réduire en débat électoral la transformation radicale que nous entendons mener. Si telle avait été notre unique ambition, une loi ordinaire aurait suffi.
Au demeurant, la réduction du nombre de parlementaires, l'instauration de la proportionnelle et le non-cumul des mandats dans le temps ne sont qu'une part du vaste chantier que nous ouvrons. L'édifice que nous voulons bâtir tend – en résonance avec notre philosophie politique – à fluidifier le processus parlementaire afin que la loi soit mieux préparée, plus sincèrement débattue, davantage intelligible, pleinement appliquée et profondément évaluée.
La révision du calendrier budgétaire, la réforme de la navette parlementaire – procédure accélérée et modification de la procédure postérieure à la commission mixte paritaire – , la rationalisation des travaux et le printemps de l'évaluation sont autant d'outils mis à notre disposition. Par notre pratique parlementaire, nous souhaitons en inventer d'autres.
Madame la garde des sceaux, pouvez-vous présenter les garanties assorties aux moyens qui seront mis à la disposition du Parlement pour élaborer des textes clairs, exercer un contrôle exigeant et évaluer avec la plus grande pertinence les politiques publiques ? Ces garanties assureront la longue vie de notre République !
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
C'est au Parlement de décider de ses moyens, pas au Gouvernement ! Sinon, c'est une allégeance !
Monsieur le député, c'est un exercice périlleux, dites-vous, que celui qui consiste à travailler sur un texte constitutionnel. Tel n'est pas le mot que j'utiliserai. Il me semble au contraire qu'il s'agit d'un exercice exaltant, car ce que nous allons essayer de faire ensemble, au fond, c'est forger la loi fondamentale qui nous guidera pour plusieurs années, ce qui me semble plus exaltant que périlleux.
Vous avez raison, le suffrage universel a clairement porté au pouvoir les tenants du renouvellement de la vie politique ainsi que de l'exigence de parité et de moralisation – si je puis employer ici ce terme que je n'aime pas, comme j'ai déjà eu l'occasion de vous l'indiquer, mesdames et messieurs les députés. Ces valeurs très fortes ont reçu, par le biais du suffrage universel, lors de l'élection présidentielle et des élections législatives de l'an dernier, l'accord du peuple français.
La révision constitutionnelle que nous proposons procède d'abord d'un souhait d'équilibre entre les différentes fonctions du Parlement, afin de fluidifier l'adoption des textes de loi. Nous voyons bien en effet que la très longue durée nécessaire à l'obtention du vote d'un texte est l'une des difficultés auxquelles nous nous heurtons.
Nous voulons également renforcer la capacité du Parlement à procéder aux évaluations des politiques publiques. À cette fin, nous proposons d'inscrire dans la Constitution ce qui en relève.
Tel est l'objet du printemps de l'évaluation, prévoyant un travail plus long qu'actuellement sur le contrôle des dispositions réglementaires ainsi que la possibilité de faire adopter des propositions de loi découlant des évaluations des politiques publiques menées lors des semaines de contrôle. Pour ce faire, le Parlement devra disposer de moyens. Il lui incombera de réfléchir sur ces sujets, avec l'appui du Gouvernement.
Ma question porte sur le droit à l'expérimentation et à la différenciation. J'y associe les membres de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Il s'agit en effet de l'un des sujets sur lesquels nous travaillons actuellement, sous l'égide du président Jean-René Cazeneuve, qui a conduit une « mission flash » dont les conclusions ont été présentées ce matin même.
Il me semble que nous sommes confrontés à une double contradiction. Le droit à l'expérimentation est inscrit dans notre Constitution, mais il est strictement encadré et, de fait, peu utilisé hors des champs d'application prévus par la loi, tels que la tarification sociale de l'eau. Par ailleurs, notre Constitution dispose en son article 1er que : « La France est une République indivisible [… ]. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens [… ] ». Il s'agit donc en même temps d'une protection et, dans le cas qui nous occupe, d'une limite.
Il s'agit d'une protection, car nos concitoyens sont assurés de bénéficier d'une même règle où qu'ils se trouvent sur le territoire national. Il s'agit aussi d'une limite, car l'expérimentation – conformément à sa définition – est nécessairement limitée dans le temps et mène non moins nécessairement ou bien à sa généralisation sur tout le territoire national, ou bien à son arrêt définitif. C'est pourquoi elle constitue un frein à l'initiative des collectivités territoriales.
Les circonstances locales et les spécificités territoriales peuvent parfois légitimer le souhait d'adapter ou de différencier l'application de la loi sur un territoire donné. Il nous faut donc inventer le droit à la différenciation et desserrer le cadre de l'expérimentation.
Dès lors, madame la garde des sceaux, comment comptez-vous définir les circonstances locales et les spécificités territoriales qui permettront à une collectivité territoriale de recourir plus facilement à l'expérimentation ou à la différenciation ? Comment concilier cette prise en compte avec l'intérêt général et l'unicité de notre République ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Madame la députée, je vous remercie de votre question, dont l'intérêt est d'évoquer un droit nouveau que nous ouvrons : le droit à la différenciation. Abondamment réclamé, il est destiné à répondre à certaines spécificités.
Le Président de la République a indiqué, lors du dernier Congrès des maires de France, qu'il souhaitait conférer aux collectivités territoriales une capacité inédite de différenciation et une faculté d'adaptation des règles aux territoires.
Cet engagement, le Gouvernement le mettra en oeuvre. Ainsi, la révision de l'article 72 de la Constitution ouvrira deux possibilités de différenciation. Tout d'abord, la loi pourra prévoir que certaines communes, certains départements ou certaines régions disposent de compétences différentes de celles normalement prévues pour chaque catégorie de collectivités territoriales. Ainsi, il ne sera pas nécessaire de créer une collectivité à statut particulier sitôt que des circonstances locales se présenteront.
Il s'agit également de proposer un dispositif complémentaire de l'expérimentation, laquelle s'achève soit par sa généralisation, soit par sa fin, ce qui constitue d'une certaine manière un frein, car seules deux issues sont possibles. Dans le cadre du projet de loi proposé par le Gouvernement, il sera loisible aux collectivités concernées d'exercer ces compétences de façon pérenne. Au demeurant, ce mécanisme donne tout son sens au principe de subsidiarité dont procèdent déjà les dispositions de l'article 72 de la Constitution.
En outre, la République est indivisible, ce qui constitue pour nous un enjeu majeur. C'est pourquoi la différenciation ne pourra porter que sur un nombre limité de compétences, à la décision du Parlement. Elle sera en outre exclue si les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou de jouissance d'un droit constitutionnellement garanti sont remises en cause.
Par ailleurs – il s'agit de la seconde innovation – les collectivités territoriales seront autorisées à exercer les compétences dont elles disposent d'une façon spécifique définie localement. Des limites seront également fixées, et l'objet des dérogations devra être limité.
Comme vous le constatez, madame la députée, le Gouvernement souhaite, dans le respect des principes d'égalité et d'indivisibilité de la République, que les élus locaux disposent des outils nécessaires à une action publique au plus proche des réalités de leur territoire.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Madame la garde des sceaux, je souhaite moi aussi vous interroger sur l'ampleur du mécanisme de différenciation s'agissant de l'attribution et de l'exercice des compétences des collectivités territoriales régies par l'article 72 de la Constitution.
Le Gouvernement souhaite modifier cet article afin que certains textes de loi puissent « prévoir que certaines collectivités territoriales exercent des compétences, en nombre limité, dont ne disposent pas l'ensemble des collectivités de la même catégorie ».
Actuellement, les règles applicables aux compétences des collectivités territoriales ne sont pas nécessairement identiques pour toutes celles qui relèvent de la même catégorie. Si une telle révision de l'article 72 de la Constitution ne créerait aucun droit nouveau en la matière, elle lèverait les inhibitions du législateur et des collectivités locales en sécurisant davantage le dispositif prévu.
De nombreuses collectivités locales souhaitent bénéficier d'une différenciation dans l'attribution et l'exercice de leurs compétences, dont la région Bretagne qui formulera bientôt des propositions. Ses élus planchent notamment sur des demandes de différenciation dans des domaines tels que les énergies renouvelables, le logement, l'agriculture littorale ou la politique linguistique – sur ce point, nous attendons toujours la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires à laquelle le Président de la République s'est engagé dans le cadre de sa campagne.
Ces domaines touchent parfois à des compétences qui ne sont pas attribuées aux collectivités territoriales, comme l'éducation – pour la politique linguistique – , les médias, les finances publiques ou le foncier agricole. Toute la question tient donc ici, madame la garde des sceaux : la différenciation dans l'attribution et l'exercice des compétences des collectivités locales de droit commun se fera-t-elle dans le cadre de leurs compétences actuelles, ou bien la loi prévoira-t-elle, comme le préconise notre collègue Jean-René Cazeneuve dans sa communication, que l'État leur transfère de nouvelles compétences, en fonction de leurs demandes et de leurs besoins ?
Certes, j'ai bien compris qu'il fallait un intérêt à agir – que l'on appelle, si je me souviens bien, « l'intérêt national » – et que cela soulevait des problèmes d'égalité, mais c'est quelque chose qui me semble important.
Quant à ma deuxième question, vous y avez déjà répondu : il n'est pas nécessaire de créer une collectivité à statut particulier.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Monsieur Molac, vous entrez déjà dans le détail de la question de la différenciation. Dans le projet de loi constitutionnelle, tel que nous l'avons rédigé – je tiens d'ailleurs à préciser que nous l'avons fait en nous appuyant largement sur l'avis rendu par le Conseil d'État le 7 décembre dernier – , il est prévu que la différenciation s'exerce toujours dans le cadre des compétences des collectivités ; il ne s'agit pas de demander une différenciation dans un domaine qui ne figurerait pas parmi leurs compétences. Telle est la règle qui est écrite.
Déterminer s'il convient ou non d'étendre les compétences des collectivités territoriales décentralisées est une autre question. Le projet de loi constitutionnelle retient le cadre des compétences en vigueur. Quant à savoir s'il faut accroître les compétences des collectivités territoriales, c'est un autre débat ; le sujet pourrait parfaitement être traité, mais ce n'est pas envisagé dans le texte en question.
À dix-sept heures quinze, Mme Carole Bureau-Bonnard remplace M. François de Rugy au fauteuil de la présidence.
Madame la garde des sceaux, lors de sa campagne, le Président de la République avait annoncé vouloir interdire le cumul de plus de trois mandats identiques successifs. Cette promesse a été réitérée en juillet dernier devant le Congrès, le Président présentant cette réforme comme l'une des clefs de voûte d'un renouvellement profond et durable de la vie politique. J'adhère à cette proposition, qui empêchera que la politique ne devienne une carrière. Attendue par nos concitoyens, elle viendra renforcer la loi pour la confiance dans la vie politique que nous avons adoptée l'été dernier.
Les modalités d'application de cette réforme restent toutefois à préciser. En novembre, devant l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, l'AMF, le Président de la République avait laissé entendre que la mesure n'aurait pas d'effet rétroactif : seuls les mandats effectués à compter de l'adoption du projet de loi organique seraient comptabilisés. Avec une telle manière de procéder, la réforme n'entrerait véritablement en application qu'en 2037 – du moins pour les députés. Dès lors, les parlementaires donneraient l'impression de voter une règle qu'ils refusent de se voir appliquer à eux-mêmes.
Je souhaiterais connaître l'avis du Gouvernement sur le sujet, tout en insistant sur le fait qu'il convient de donner à cette réforme la plus grande portée possible, c'est-à-dire préciser qu'elle sera immédiatement applicable.
D'autre part, je souhaiterais appeler l'attention du Gouvernement sur l'importance pour le Parlement de connaître en amont le calendrier gouvernemental. En effet, avoir une certaine visibilité sur le programme de la session parlementaire nous permettrait de mieux nous organiser, tant dans notre travail législatif que dans notre nécessaire présence en circonscription.
Cette préoccupation est partagée par le groupe de travail de l'Assemblée nationale sur la procédure législative, l'organisation parlementaire et les droits de l'opposition. Sur ce deuxième point aussi, j'aurais souhaité connaître l'avis du Gouvernement.
Madame Zannier, votre question est double.
Sa première partie s'attache à la volonté, exprimée depuis longtemps par le Gouvernement de la République, d'instaurer le non-cumul des mandats. La réforme proposée a un objectif général : faire en sorte que la France ait moins de professionnels de la politique et plus de professionnels en politique. Cela suppose d'éviter que des élus ne s'installent dans ce que l'on pourrait considérer comme des fiefs politiques ou dans des pratiques politiques appelées à durer. Nous proposerons donc – dans un texte adjacent au projet de loi constitutionnelle, certes, mais nous avons souhaité présenter, cet après-midi, tous les aspects de la révision constitutionnelle – que, tous les trois mandats, les élus doivent abandonner leur mandat exécutif ou parlementaire. L'objectif est de laisser émerger d'autres figures locales, ce qui sera évidemment tout à fait sain pour la démocratie et évitera toute confiscation du pouvoir. S'agissant de la date d'entrée en vigueur de la mesure, il est actuellement prévu, conformément au discours prononcé par la Président de la République devant l'AMF, que le mandat en cours soit le premier comptabilisé.
Le second point que vous abordez concerne, si j'ai bien compris, le programme législatif prévisionnel. Nous avons considéré que la question n'était pas de rang constitutionnel mais relevait des règlements des assemblées. La révision constitutionnelle ne comportera donc pas de disposition à cet égard.
Madame la garde des sceaux, depuis bientôt soixante ans, la Ve République rythme la vie de nos institutions. Elle se distingue par sa longévité, gage de stabilité pour notre démocratie.
Néanmoins, nous l'avons vu, les Français ne se sentent plus en démocratie. La crise que nous traversons depuis plusieurs décennies est liée, pour partie, à l'architecture des pouvoirs en France ; elle est aussi, pour beaucoup, de la responsabilité d'une classe politique qui s'est éloignée de nos concitoyens.
Les symptômes de la défiance des Français, nous les connaissons : désintérêt envers la chose publique, remise en question de la légitimité des élus et de leurs décisions, manque de représentativité et de renouvellement dans l'ensemble du spectre politique, abstentionnisme grandissant et montée des extrêmes.
Nous constatons ensemble l'absolue nécessité de réformer sans avoir à renverser. Nous, députés de la majorité, serons bien évidemment à vos côtés, madame la garde des sceaux, dans cette entreprise. Ce fut l'un de nos engagements de campagne, et nous le respecterons car les Français espèrent et méritent un Parlement fort, efficace et représentatif.
Le premier geste fort de la majorité nouvellement élue fut d'assainir quelques règles du jeu politique. Dans le même esprit, les travaux issus des conférences des réformes lancées par le président de l'Assemblée nationale proposent de nombreuses et précieuses pistes de réflexion.
Madame la garde des sceaux, nous avons là l'occasion de revoir en profondeur le fonctionnement de notre vie démocratique et de renouer encore un peu plus avec nos concitoyens. Tout le monde doit être associé à cette réforme d'envergure. Pourriez-vous nous indiquer précisément quelle méthode de concertation vous mettrez en oeuvre ?
Madame Moutchou, vous avez raison : un projet de cette importance ne peut pas se travailler en chambre – sauf, bien entendu, s'il s'agit de la chambre des députés. Il va de soi qu'il suppose un travail de concertation important.
On peut considérer que la société civile s'est déjà imprégnée de ce projet puisque les débats, pendant la campagne présidentielle, ont laissé ouvertes plusieurs possibilités, qui vont de l'instauration d'une VIe République à la construction d'un Parlement plus fort et plus équilibré, conformément à ce que nous proposons.
Ce dialogue s'est poursuivi, une fois le Président de la République élu et après le discours qu'il a prononcé au Congrès, en laissant, en quelque sorte, la main aux présidents des deux assemblées. Vous avez d'ailleurs eu raison de faire état des groupes de travail qui ont été constitués, non seulement à l'Assemblée nationale, mais aussi au Sénat ; il en est résulté des rapports extrêmement importants, qui ont joué un rôle important dans la construction de notre dispositif.
Après la publication de ces rapports, au-delà des discussions avec les présidents des assemblées, le Premier ministre et moi avons eu l'occasion de recevoir l'ensemble des présidents de groupe. Nous avons eu également l'occasion de dialoguer avec certains groupes parlementaires.
Toutefois, je crois que cela ne suffit pas encore : à partir du texte que nous proposons, il faut que le travail se poursuive et que nous continuions la concertation, le dialogue et les échanges ; c'est ainsi que nous pourrons aboutir à un texte pleinement achevé et, je l'espère, compris par tous.
Nous en venons aux questions du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Arnaud Viala.
Madame la garde des sceaux, une partie de votre projet de réforme des institutions vient à peine d'être examiné par le Gouvernement en Conseil des ministres, les parlementaires n'en ont pas été saisis et ne disposent sur son contenu précis que de bribes d'information, que se tient déjà dans l'Hémicycle une séance de questions et réponses sur ce sujet si important. Nous nous y plions de bon gré, tout en soulignant que le respect du Parlement eût justifié que nous disposions en amont des contours précis de votre proposition.
Quoi qu'il en soit, s'il est un sujet qui nous préoccupe tout particulièrement au moment d'aborder cette discussion, c'est celui de la représentativité des territoires et de nos concitoyens. Plusieurs mesures de votre projet vont dangereusement éloigner certains territoires et certains Français de leurs représentants élus : réduction du nombre de parlementaires, qui pèsera lourdement sur les territoires les moins densément peuplés, scrutin proportionnel pour l'élection d'une partie de cette chambre, affaiblissement des droits individuels des parlementaires dans la fabrique de la loi, etc.
Ma question ne porte sur aucun de ces points, car ils devront faire l'objet de débats nourris. Elle porte sur un volet moins médiatisé mais tout aussi important pour l'avenir de la France et de ses territoires : expérimentation de la différenciation et de l'adaptation. Comme vous le savez sans doute, madame la gardes des sceaux, j'ai travaillé assidûment, depuis plusieurs mois, avec plusieurs collègues, au sein de la mission d'information commune sur la préparation d'une nouvelle étape de la décentralisation en faveur du développement des territoires, que j'ai l'honneur de présider et qui remettra son rapport dans quelques jours, ainsi qu'au sein d'une mission flash de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur ces sujets, qui rend son rapport public aujourd'hui même.
Nous souhaitons, sur certains points, aller plus loin que ce que nous imaginons être votre proposition à ce stade. Comme vous le savez, dans le pays, les attentes sont fortes pour que la loi tienne compte de la réalité quotidienne à laquelle nos compatriotes sont confrontés, pour dire les choses simplement.
Ma question est donc simple : quel sort allez-vous réserver à nos propositions ?
Monsieur Viala, je lirai avec attention le rapport publié aujourd'hui – j'imagine que vous m'en avez apporté un exemplaire ?
Exclamations.
Tout comme vous nous avez apporté un exemplaire du projet de loi constitutionnelle !
Sourires.
Parlons-en, puisque j'ai bien compris que c'était l'objet de la question de M. Viala ! Je répète ce que je disais à l'instant. Le Premier ministre et moi-même avons reçu tous les présidents de groupe pour leur soumettre un scénario assez précis du texte de loi. Celui-ci ayant été présenté ce matin en Conseil des ministres, il est bien entendu à votre entière disposition – je ne veux pas m'abriter derrière le fait que la presse en a déjà fait largement état, car ce n'est pas un argument recevable ici.
Pour vous répondre plus précisément, monsieur Viala, c'est bien parce que nous sommes conscients qu'on ne peut plus gérer notre République de manière uniforme, sans prendre en considération la nécessité de s'adapter aux spécificités des différents territoires, que le principe de la différenciation a été inscrit dans le texte qui sera soumis à votre approbation. Je serai réellement très attentive aux conclusions écrites des deux missions auxquelles vous avez participé, car je crois que cela répond à une exigence profonde : que nos concitoyens se reconnaissent dans nos institutions. Vous avez raison, il importe que nos institutions s'adaptent à la réalité quotidienne et aux territoires dans lesquels nos concitoyens vivent. C'est pourquoi nous serons attentifs à ce que vous aurez pu écrire.
Madame la garde des sceaux, si le projet de réforme des institutions présenté début avril devait être appliqué en l'état, cela entraînerait de réels bouleversements du fonctionnement de notre démocratie représentative. La volonté de réduire de 30 % le nombre de députés, ajoutée à la mise en place d'une élection à la proportionnelle pour 15 % des députés restants, soulève de nombreuses et légitimes interrogations dans les départements ruraux.
Après avoir mis le conseiller départemental à 30 kilomètres des administrés et le président d'intercommunalité à parfois plus de 60 kilomètres, vous envisagez de mettre le député à 200 kilomètres. La réduction du nombre de circonscriptions – de 577 aujourd'hui à environ 340 demain – aura bien pour conséquence de rendre le territoire à représenter beaucoup plus vaste pour le député, au détriment de la proximité, si bien qu'il aura besoin de plus de temps pour répondre aux diverses sollicitations du terrain et aura moins de disponibilité pour légiférer et contrôler l'action du Gouvernement.
La mise en place d'une fraction de scrutin à la proportionnelle accentuera même ce phénomène puisque ces soixante sièges hors sol priveront les départements les moins peuplés de représentants qui y jouent pourtant un rôle bien utile.
Je veux donc vous faire une proposition : organisez, dans les départements les plus peuplés, un scrutin proportionnel départemental ; en le faisant dans les cinq plus gros départements, vous obtiendrez vos 15 % de députés élus à la proportionnelle, et en étendant la mesure aux dix départements les plus peuplés, vous obtiendrez même 25 % de députés élus par ce mode de scrutin !
Pas plus que vous, mon cher collègue !
Actuellement, une circonscription rassemble en moyenne 112 000 habitants. Avec votre projet de ramener le nombre de circonscriptions à 340, cette moyenne serait portée à 189 000 habitants. Le mécanisme que je vous propose permettrait de ramener la moyenne des circonscriptions à 156 000 habitants, les députés élus à la proportionnelle départementale représentant, eux, 178 000 habitants. Un tel mécanisme serait conforme à votre objectif de voir élire une part significative de députés à la proportionnelle, avec des circonscriptions qui demeureraient à taille humaine dans les territoires les moins peuplés, tout en évitant que ces députés soient complètement déconnectés d'un territoire, puisqu'ils seraient alors rattachés à un département d'élection. Ce mécanisme est d'autant plus envisageable, monsieur Jumel, qu'on l'applique d'ores et déjà tous les trois ans pour les élections sénatoriales.
Je vous remercie, monsieur Schellenberger, pour votre proposition. Sans entrer dans le détail, j'apporterai deux éléments de réponse. Je le répète, cette question ne concerne pas le projet de loi constitutionnelle mais l'un des textes qui l'accompagneront.
Vous évoquez la difficulté d'être député d'un territoire plus vaste, mais je rappelle que cette proposition s'inscrit dans une logique d'ensemble. Nous voulons une représentation plus resserrée et, en même temps, plus proche de la réalité, ce qui justifie la part de scrutin proportionnel. Comme je l'ai dit précédemment, la France compte plus de 500 000 élus locaux ; on ne peut donc pas dire que les Français sont sous-représentés. Ce que nous voulons, c'est que les élus nationaux se concentrent sur les tâches qui leur sont assignées par la Constitution elle-même. Cette logique d'ensemble justifie la construction que nous avons élaborée.
La proposition que vous soumettez sera intéressante à étudier mais, si je l'ai bien comprise, elle revient à concevoir un scrutin qui serait un peu de type sénatorial. Or, soyons clairs, ce n'est pas l'optique du Gouvernement, qui a fait le choix, sans doute au nom du principe d'égalité, de maintenir le mode d'élection des députés à raison d'un par circonscription, s'y ajoutant un certain nombre d'autres députés élus à la représentation proportionnelle, au niveau national. La solution alternative que vous proposez ne correspond donc pas au choix du Gouvernement mais, à titre personnel, je serais intéressée de la découvrir.
La réforme institutionnelle est présentée comme une rénovation de la démocratie mais, à y regarder de plus près, ses mesures les plus symboliques et les plus lourdes de conséquences concernent essentiellement le Parlement : la réduction du nombre de parlementaires ; la limitation dans le temps du cumul des mandats parlementaires ; la restriction annoncée du droit d'amendement.
Ces mesures, populistes, plaisent à l'opinion : elles alimentent un fond d'antiparlementarisme bien connu dans notre société. Mais, en même temps, elles auront un impact : la réduction du nombre de parlementaires chevronnés renforcera le poids des administrations centrales et des hauts fonctionnaires ; quant à la limitation du droit d'amendement, elle amoindrira notre capacité à modifier les textes préparés par les administrations.
Cela me conduit à vous poser une question, madame la garde des sceaux : pourquoi l'exécutif n'est-il pas concerné par cette réforme ? Il l'est, bien entendu, par quelques mesures, mais qui ne sont que des gadgets. Ainsi, les anciens Présidents de la République ne seront plus membres de droit du Conseil constitutionnel, et les ministres ne pourront plus exercer de fonction exécutive locale, ce qui ne fera qu'entériner la pratique. Mais en quoi l'exécutif se remet-il en cause ? On aurait pu imaginer, par exemple, une limitation du nombre de membres du Gouvernement, non pour complaire à l'opinion, mais pour que les ministres soient déterminés, entourés d'équipes cohérentes et efficaces.
On aurait pu se poser la question, d'autant que les dysfonctionnements du processus parlementaire, on le voit bien, ne tiennent pas à notre propre travail mais à la façon dont le Gouvernement nous présente les textes : quand un ministre dépose plus de cent amendements sur un texte qu'il a lui-même présenté quelques semaines auparavant, on voit bien qu'il y a un problème de fonctionnement de l'exécutif. Ma question est donc simple, madame la garde des sceaux : pourquoi l'exécutif ne s'impose-t-il pas lui-même une réforme dans le cadre de la réforme des institutions, pour plus de démocratie ?
L'exécutif, monsieur Breton, s'impose bel et bien un certain nombre de règles. Tout d'abord, je partage votre présupposé : nous devons en effet veiller à ne pas sombrer dans l'antiparlementarisme ou une certaine forme de populisme. C'est là un danger que nous devons éviter ensemble, et je compte sur tous les parlementaires pour nous épauler dans cette tâche.
C'est parce que nous céderions à ce populisme ou à cet antiparlementarisme, dites-vous, que nous défendons la réduction du nombre d'élus ou la limitation du droit d'amendement. Non ! Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, la diminution du nombre d'élus, c'est une démocratie plus resserrée, plus représentative, plus efficace. François Fillon lui-même, je le rappelle au passage, proposait de ramener le nombre de députés à 400 et le nombre de sénateurs à 200 – mais passons sur ce point.
Quant au droit d'amendement, les règles que nous proposons, outre qu'elles ne s'écartent nullement de celles déjà inscrites dans la Constitution – et sanctionnées comme telles par le Conseil constitutionnel – , s'appliqueront certes aux amendements parlementaires, mais aussi aux amendements du Gouvernement. Sur ce point, le texte que nous vous soumettrons prévoit un partage strictement égal de la responsabilité.
Notre optique est donc bien de rendre l'exécutif plus responsable, au travers des modalités du droit d'amendement mais également de l'interdiction, pour les membres du Gouvernement, de cumuler les fonctions exécutives locales.
Une simple pratique peut rapidement être détournée ; ce n'est pas le cas lorsqu'on en fixe une règle dans le marbre constitutionnel.
Le renforcement du contrôle du Parlement rendra lui aussi l'exécutif plus responsable. Vous disposerez par exemple de plus de temps pour examiner le projet de loi de règlement, ce qui impliquera que les ministres viennent présenter leurs résultats devant les commissions parlementaires compétentes.
Il y a donc de multiples raisons de considérer que nos propositions entraîneront le partage des responsabilités.
Proximité, liberté et démocratie : ces trois principes ont marqué les dernières échéances électorales, et pourtant vous semblez les ignorer. Comment, en effet, répondre à l'exigence de proximité en coupant toujours davantage les élus de nos concitoyens avec des futures circonscriptions démesurées ou un mode de scrutin démesurément proportionnel, qui créera des apparatchiks hors sol, déconnectés des réalités ? Comment répondre à cet appel de liberté en reniant le choix des électeurs par le non-cumul des mandats dans le temps ? C'est renier le vote lui-même, lequel permet de sanctionner ou non les élus, et faire peu confiance dans le libre arbitre de nos compatriotes. Comment répondre au besoin de démocratie en mettant le Parlement au pas, en limitant le droit d'amendement, en accélérant la procédure parlementaire au détriment du débat d'idées et en imposant le calendrier gouvernemental ?
Ne vous méprenez pas, madame la garde des sceaux : nous partageons votre volonté réformatrice. Mais, une fois encore, vous confondez vitesse et précipitation. Le temps parlementaire ne peut ni ne doit être le temps politique, et encore moins le temps médiatique. Alors que Nicolas Sarkozy, en 2008, avait mis en place dans la plus grande clarté le comité Balladur et pris le temps de la concertation, vous imposez un texte venu du ciel macronien sans en préciser ni le calendrier ni les modalités réelles, sacrifiant à un exercice de communication qui n'est pas à la hauteur des enjeux.
Madame la garde des sceaux, je vous lance un appel, non pas celui d'un élu assis sur des privilèges, mais celui d'un maire qui fut, jusqu'en juin dernier, le plus jeune du département de l'Oise, et qui a souhaité s'investir pour son territoire : ne rompez pas le lien, essentiel et nécessaire à l'exercice de notre démocratie, qui relie un élu à son territoire ! Je vous mets enfin en garde : ne tentez pas le bras de fer ! Faites preuve d'écoute à l'égard de nos propositions autant que de pédagogie car, comme nous le savons tous, les Français ne pardonnent ni les tripatouillages électoralistes, ni les figures imposées !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Non, monsieur Minot, je ne souhaite pas tenter le bras de fer, mais plutôt garder toute ma capacité d'écoute, conformément, je le dis humblement, à mon tempérament – ce n'est d'ailleurs pas forcément une qualité. Toutefois, écouter n'exclut par d'avoir certains principes ; et les principes que j'ai exposés, s'agissant de cette réforme constitutionnelle, demeureront, au-delà des améliorations que nous pourrons apporter. Ce qui demeurera, c'est l'équilibre, que nous sommes déterminés à préserver, atteint par la Constitution de 1958 : un bicamérisme, prévu à son article 45, qui donne le dernier mot à l'Assemblée nationale et respecte les droits du Parlement. C'est pourquoi, je le répète, la réforme du droit d'amendement n'a pas pour objectif de brimer les parlementaires mais simplement de faire respecter la Constitution. Bref, nous sommes vraiment guidés par les principes fondateurs de la Constitution de 1958.
Le temps parlementaire, ajoutez-vous, n'est pas le temps politique. Si je vous entends bien, vous songez à la mise en oeuvre de la révision constitutionnelle, et m'invitez, de façon subliminale, à prendre le temps de la discussion, notamment à propos du lien des députés avec leur territoire. Cette question, nous l'avons déjà abordée en juillet et en août derniers, lors de l'examen du projet de loi pour la confiance dans la vie politique. Je vous avais dit, alors, ce que je vous répète aujourd'hui : la France compte énormément d'élus, et c'est tant mieux.
Je ne parle pas seulement des élus nationaux mais aussi de l'ensemble des élus locaux : autant de corps de représentativité sur lesquels nous pouvons et devons nous appuyer. Mais cela ne doit pas nous interdire de recentrer l'élu national sur sa mission première, à propos de laquelle je ne m'étendrai pas : voter, contrôler et évaluer. C'est l'objectif que nous poursuivons, sans mépris et sans vouloir couper l'élu de son territoire. Une autre articulation peut être trouvée entre l'élu national et les élus locaux, lesquels peuvent l'alimenter, en quelque sorte, dans sa tâche.
Nous en venons aux questions du groupe du Mouvement démocrate et apparentés.
La parole est à M. Marc Fesneau.
Ma question, à laquelle j'associe mon collègue Frédéric Petit, porte sur la représentation des plus de 3 millions de Français établis à l'étranger. Les premières esquisses de la révision constitutionnelle dont nous allons prochainement discuter suscitent quelques interrogations dans notre groupe.
Ces Françaises et ces Français, installés ou mobiles dans le monde entier, constituent aujourd'hui une sorte de quatrième territoire. Méconnus lors de leur arrivée à l'Assemblée en 2012, les onze députés représentant les Français établis à l'étranger ont su créer un lien avec leur circonscription. Ils sont sollicités par les citoyens, les ambassadeurs, les élus consulaires, les directeurs d'école française, les parlements nationaux et les entreprises. On peut donc parler d'enracinement territorial : ces députés connaissent les pays de leur circonscription, ils parlent leur langue et sont familiers de leur culture. Ils ont appris à gérer la logistique particulière de leur territoire. De fait, se sentant proches des problématiques de leurs concitoyens, ils témoignent au quotidien de leur souhait d'apporter cette richesse à l'aventure nationale de la France. Le regard qu'ils portent sur notre pays nous paraît également important.
Notre groupe, vous le savez, madame la garde des sceaux, soutient pleinement la réduction du nombre de parlementaires, et il est logique que ces élus n'y échappent pas. La représentation parlementaire doit être rééquilibrée et gagner en cohérence, au travers d'un scrutin uninominal majoritaire et d'un scrutin proportionnel, c'est-à-dire d'un scrutin territorial et d'un scrutin représentant mieux les grands courants d'opinion.
Nos interrogations sont donc les suivantes, madame la garde des sceaux. Comment conserver l'identification spécifique des Français de l'étranger ? Pourriez-vous apporter des précisions sur le choix qui a été fait de créer une circonscription unique et spécifique des Français de l'étranger ? N'aurait-il pas fallu les intégrer dans la circonscription unique à la proportionnelle, en augmentant le nombre des députés élus au scrutin de liste ?
Monsieur Fesneau, je vous remercie pour votre question. La représentation des Français établis hors de France par onze députés résulte de la révision constitutionnelle de 2008. Le constituant a estimé, à l'époque, que les conditions de représentation des Français de l'étranger, selon l'expression utilisée, n'étaient pas satisfaisantes, que leur représentation au Sénat par douze sénateurs ne suffisait pas.
Comme vous le soulignez à juste titre, il est vrai que le mode d'élection de ces députés n'est pas facile à choisir car vaste est notre monde, si vous me permettez ce truisme. Les circonscriptions constituées en 2010 selon le critère démographique sont extrêmement étendues ; on peut citer l'exemple de la onzième circonscription qui englobe une partie de l'Europe de l'Est, la Russie, l'Asie et l'Océanie – bref, une petite parcelle de notre planète, votre collègue Anne Genetet est bien placée pour le savoir.
Il faut donc trouver un moyen de représenter ces 2,5 millions de Français qui résident à l'étranger, dont près de 1,7 million sont inscrits auprès des services consulaires. Le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire relatifs aux questions électorales, actuellement soumis au Conseil d'État pour consultation, ont dressé des pistes. L'une d'entre elles vise à organiser le vote dans le cadre de listes uniques, à la représentation proportionnelle. Cela devrait permettre de surmonter la question de l'étendue des circonscriptions, démesurée pour une élection au scrutin majoritaire puisque nous englobons le monde, tout en préservant l'identité de ce scrutin très spécifique. C'est la raison pour laquelle nous ne comptons pas fusionner ces listes avec celles présentées sur le plan national, pour l'élection des députés au scrutin proportionnel.
J'associe à cette question mon collègue Vincent Bru. Saisi par le Gouvernement, d'une part, sur l'attribution de compétences différentes à des collectivités relevant d'une même catégorie et, d'autre part, sur la possibilité de permettre aux collectivités territoriales de déroger à des dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences, le Conseil d'État a rendu son avis le 1er mars. Il a conclu que cette évolution permettra de donner davantage de liberté et de responsabilité aux collectivités territoriales, pour mener une action plus efficace, pour innover et pour adapter les lois et règlements aux réalités des territoires.
M. le Premier ministre, Édouard Philippe, lors de l'annonce du « pacte girondin », le 5 avril dernier, a confirmé que les collectivités locales de métropole et d'outre-mer auraient la possibilité d'adapter par leurs propres moyens à la réalité de leur territoire les règles qui régissent leurs domaines de compétences. Selon toute vraisemblance, un pouvoir réglementaire serait ainsi délivré aux collectivités, afin d'adapter les normes en fonction de leurs connaissances. C'est une véritable preuve de confiance qui leur est ainsi faite.
Par ailleurs, le sujet de la différenciation est intrinsèquement lié à l'expérimentation normative, qui se doit d'évoluer, afin de permettre aux collectivités de pérenniser les dérogations de certains textes législatifs et réglementaires.
Par conséquent, madame la garde des sceaux, pourriez-vous confirmer qu'un pouvoir réglementaire serait délivré aux collectivités locales ? Le cas échéant, dans quelle mesure celui-ci s'inscrirait-il dans le projet de révision de la Constitution ? Enfin, allez-vous permettre que d'autres collectivités puissent se saisir de la différenciation, à la suite d'une expérimentation jugée réussie, afin de l'appliquer à leur propre territoire ?
Monsieur Millienne, je vous remercie tout d'abord pour votre question, qui porte elle aussi sur la différenciation. Je mesure à quel point ce sujet intéresse, ce qui prouve que nous sommes là dans un exercice réellement adapté aux spécificités des territoires. Cela confirme combien l'idée d'inscrire la différenciation dans la Constitution était pertinente. Je précise d'ailleurs à nouveau que, sur ce point, nous avons suivi mot à mot l'avis du Conseil d'État, auquel vous vous êtes référé.
Parmi les éléments transcrits dans le projet de loi constitutionnelle, comme vous l'avez relevé, il y a d'abord la volonté de pérenniser des expérimentations, donc des dérogations, le cas échéant, qui pourraient être conduites par des collectivités singulières. Je confirme que le pouvoir réglementaire pourra être exercé à partir du moment où les collectivités resteront dans l'exercice de leurs compétences, et avec les réserves que j'ai posées tout à l'heure s'agissant du principe d'égalité et des libertés publiques.
Je réponds donc positivement à vos trois questions, monsieur Millienne. Il sera parfaitement possible à des collectivités qui se seront saisies de cette possibilité, de la conserver de manière pérenne, dans l'exercice de leurs compétences.
Le projet de loi constitutionnelle sur la réforme des institutions que le Gouvernement s'apprête à nous soumettre constituera une avancée majeure dans le processus de modernisation des institutions françaises. Je salue cette initiative de grande envergure.
La précédente législature a déjà profondément transformé le statut des parlementaires, en encadrant le cumul des mandats. Il s'agissait d'une première étape, essentielle pour permettre au Parlement de se concentrer sur les trois missions premières que lui assigne notre Constitution.
La loi pour la confiance dans la vie politique, que nous avons adoptée en août dernier, a continué cette oeuvre de modernisation que nos concitoyens désiraient. La révision constitutionnelle, qui vise à accroître encore la représentativité du Parlement, prévoit en ce sens au niveau national, l'élection de certains députés au scrutin proportionnel.
Si cette méthode de désignation doit être favorablement accueillie, toutes ces évolutions ont pu donner lieu à des critiques quant à la préservation de l'ancrage local des élus. Nous devons écouter ces interrogations légitimes. En effet, les liens qu'un député tisse et entretient avec son territoire, les élus locaux et les citoyens qui l'ont investi de leur confiance s'avèrent fondamentaux pour lui permettre de mener avec efficacité et pragmatisme ses activités à l'Assemblée.
L'exercice du mandat de député doit être repensé, sans pour autant que ses liens ne s'en trouvent relâchés. Il me semble ainsi nécessaire d'ouvrir une vaste réflexion sur les méthodes de travail des députés et sur l'agenda parlementaire. En effet, rendre le Parlement efficient, c'est renforcer notre démocratie.
Dès lors, quelles mesures concrètes seront adoptées pour permettre aux députés d'articuler leur ancrage local avec leurs trois missions constitutionnelles ? En particulier, quid des députés élus à la proportionnelle ? Seront-ils des élus complètement hors sol ? Et comment préserver un lien fort entre les élus locaux et les députés ? Dans quel cadre institutionnel créer ce lien ?
Vous avez raison de dire, monsieur Balanant, que le Parlement, à la suite des multiples évolutions institutionnelles qu'a connu notre Constitution depuis 1958 – je pense par exemple à l'inversion des dates de scrutin et au fait que les élections législatives aient à présent lieu après l'élection présidentielle, ce qui, d'une certaine manière, bouleverse la donne – et du non-cumul, doit repenser sa fonction et son organisation. Il est vrai aussi que les méthodes de travail, héritées d'une longue histoire, qui consistent à se réunir des nuits entières – non pas que nous n'ayons pas plaisir à être ensemble des nuits entières – pourraient être revisitées.
C'est pourquoi l'initiative prise par le président de Rugy ou celle que vous évoquez là me semblent extrêmement satisfaisantes, s'agissant aussi bien des méthodes de travail que de l'agenda parlementaire, sur lequel j'ai eu l'occasion de dire un mot tout à l'heure.
Quant à la question de l'ancrage local des députés, nous l'avons déjà traitée lors des discussions sur la loi pour la confiance dans la vie politique. Je me souviens que vos interventions, monsieur Balanant, ainsi que de celles du président Fesneau ou de M. Bourlanges, entre autres, posaient bien la question de l'articulation entre l'ancrage local et la fonction de représentation nationale.
Il nous reste à inventer une solution, pour que les élus de la nation que vous êtes et que vous serez puissent représenter nos concitoyens de manière concrète, afin que ceux-ci sentent bien qu'il y a un lien avec leurs représentants, et pour qu'en même temps, vous puissiez enrichir les débats parlementaires de cette expérience.
Évidemment, à lui seul, le Gouvernement ne peut pas dicter ce que seront ces nouvelles manières d'agir ou de représenter. Il est cependant certain que, sur les territoires, les services de l'État devraient associer plus étroitement les parlementaires dans les domaines qui intéressent nos concitoyens – c'est une piste, mais elle n'est pas de niveau constitutionnel. Je me souviens que nous avions déjà eu ce débat lors des discussions sur la loi pour la confiance dans la vie politique.
Je souhaite vous assurer, monsieur le député, que le Gouvernement a tout à fait cette question à l'esprit et qu'il sera attentif à toutes les mesures concrètes que nous pourrions prendre.
Nous en venons aux questions du groupe UDI, Agir et indépendants.
La parole est à M. Stéphane Demilly.
À la suite de la présentation des grandes lignes du projet de réforme de nos institutions par le Premier ministre, le 4 avril dernier, les associations d'élus ont formulé un certain nombre de propositions. C'est notamment le cas de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, l'AMF, de l'Assemblée des départements de France, l'ADF, et, ce matin encore, de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Si le fonctionnement du Parlement est bien au centre des attentions médiatiques s'agissant des textes qui nous seront soumis, il me semble cependant essentiel de saisir l'opportunité de cette réforme pour remettre à plat les relations entre l'État et nos collectivités. Je pense en premier lieu à nos communes, plus particulièrement à nos communes rurales.
Les élus, qui, vous le savez, madame la garde des sceaux, n'y comptent pas leur temps, quasi bénévolement, font de leur mieux dans des conditions de plus en plus difficiles. Depuis les élections municipales de 2014, il paraîtrait que pas moins de 2 000 maires, adjoints aux maires et conseillers municipaux aient rendu leur écharpe dans notre pays. Dans mon département, la Somme, je ne compte plus les alertes lancées par les maires des petites communes face aux difficultés, notamment financières, qu'ils rencontrent. C'est un des noeuds du problème, vous le savez bien.
Malgré les dispositions des articles 72 et 72-2 de notre Constitution, l'autonomie financière des collectivités n'est plus garantie. À cela s'ajoutent une inflation de textes et une instabilité normative génératrice de véritables casse-tête juridiques pour les élus locaux.
Les propositions portées par l'AMF et l'ADF visent notamment à leur redonner les moyens financiers d'assumer cette charge. Le principe, simple, n'est pas nouveau : les transferts de compétences doivent être intégralement compensés, et l'État doit être tenu au respect de ses engagements. Des études d'impact, suivies de compensations, devraient également être réalisées pour chaque réforme touchant nos collectivités.
Madame la garde des sceaux, pouvez-vous détailler les réponses que le Gouvernement entend apporter à cette gronde ainsi qu'aux propositions présentées récemment par les associations d'élus ?
Avec votre question, monsieur Demilly, nous sommes à la fois dans le champ de la Constitution et un peu en marge du texte constitutionnel : dans le champ de la Constitution, car ses articles 72 et suivants évoquent bien entendu l'autonomie des collectivités territoriales, leur libre administration et les questions financières qui y sont liées ; mais aussi en dehors du domaine constitutionnel, car ce sont des lois qui viennent traduire et appliquer, souvent secteur par secteur, ces dispositions de la Constitution. D'ailleurs, vous le savez, la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'a peut-être pas donné au principe de l'autonomie financière des collectivités territoriales toute l'ampleur que les élus locaux auraient pu souhaiter qu'il acquière.
Comme c'est bien dit, madame la garde des sceaux ! Il a été vidé de son sens, oui !
Vous évoquez la question du transfert des compétences à compenser. Loi par loi, il arrive effectivement que soient décidés des transferts et leur compensation de manière intégrale et satisfaisante. Globalement, les choses sont un peu différentes. Mais, vous le savez également, le ministre d'État, ministre de l'intérieur, mène actuellement une réflexion générale portant à la fois sur les finances locales et sur l'attribution des dotations aux collectivités territoriales.
C'est cet ensemble de pratiques et de normes qui concrétisera le principe d'autonomie financière des collectivités territoriales que vous défendez ; il s'agit de l'un des éléments du « pacte girondin » que nous souhaitons mettre en oeuvre.
Le Gouvernement a annoncé sa volonté de mettre en oeuvre les engagements du Président de la République en matière de réforme des institutions. Il est toujours bon que les promesses soient tenues, surtout lorsque le climat général est à la défiance des citoyens envers les institutions et leurs représentants.
Nos concitoyens s'interrogent beaucoup sur l'efficacité du Parlement ; c'est la raison pour laquelle ils soutiennent massivement la réduction du nombre de parlementaires. Je n'y suis personnellement pas opposé, même si je redoute les conséquences de la création des futures circonscriptions, parfois composées de plus de 300 communes, ce qui éloignera encore davantage les élus des citoyens et du terrain.
Toutefois, soyons lucides : ce n'est pas la réduction de 30 % du nombre de parlementaires qui accroîtra l'utilité et l'efficacité du Parlement.
Le constat sévère dressé par nos concitoyens ne viendrait-il pas, finalement, d'un excès de rationalisation du parlementarisme ? Le contexte et les exigences de ce début de XXIe siècle ne sont plus ceux de 1958. Plus que jamais, les Français ont besoin de comprendre les enjeux et les défis de notre monde, d'en débattre dans la proximité, d'être associés aux choix effectués et de contrôler réellement, sur le terrain, l'usage et l'efficacité des impôts qu'ils paient.
Notre République a besoin d'action : c'est le rôle du Gouvernement. Elle a aussi besoin de dialogue et de temps pour que chacun puisse s'exprimer avant la décision collective : c'est le rôle du Parlement. Comme le rappelait l'un des pères de la démocratie moderne, Thomas Jefferson, le dialogue constructif ne doit pas nuire à l'action ; au contraire, il est la condition pour que la décision soit acceptée sans violence.
Ma question est donc simple : quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour rappeler que, si la démocratie n'a pas de prix, elle a un coût, et pour mieux associer nos concitoyens, à travers le Parlement, au débat sur l'action publique et à son contrôle ?
Vous avez raison, monsieur Becht : il est parfois nécessaire de prendre le temps du dialogue pour qu'une décision soit acceptée, donc adoptée sans violence – institutionnelle, s'entend…
Dans le projet de révision constitutionnelle, deux éléments nous donnent ce temps.
D'abord, au sein du Parlement, le renforcement du travail en commission constitue un élément important, dans la continuité de la révision constitutionnelle de 2008.
Ensuite, le CESE, le Conseil économique, social et environnemental, va être transformé : le nombre de ses membres sera ramené de 305 à 155 et il recevra une nouvelle appellation, correspondant à ses nouvelles fonctions. Il deviendra la Chambre de la société civile, chargée de plusieurs fonctions : d'une part, donner obligatoirement un avis sur tous les projets de texte économiques, sociaux ou environnementaux, et, d'autre part, de recueillir les pétitions émanant de la société civile et de les traiter, c'est-à-dire, le cas échéant, de les transmettre à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Cela permettra, me semble-t-il, une nouvelle participation de la société civile à nos débats. Il s'agira en quelque sorte d'une chambre du long terme, qui pourra éclairer la réflexion à conduire au sein du Parlement, ce dont nous bénéficierons ensemble.
Nous en venons aux questions du groupe Nouvelle Gauche.
La parole est à Mme Cécile Untermaier.
Au vu du débat qui nous réunit cet après-midi, il semble effectivement que la semaine de contrôle mérite une procédure rénovée, de sorte que le sujet passionnant qui nous occupe puisse véritablement mobiliser les citoyens – mais cette analyse ne met nullement en cause la qualité des intervenants.
Mon intervention considère les trois textes à venir. Améliorer la fabrication de la loi, fluidifier les procédures, refonder le contrôle : nous sommes évidemment tous d'accord. À une réserve près, toutefois : ne devenons pas des inspecteurs, restons bien des législateurs, en amont et en aval de la loi !
Tout a été dit sur la réduction drastique du nombre de députés et sur la division par deux du nombre de circonscriptions ; nous aurons l'occasion d'en reparler. Mais revenons à vos propos, madame la garde des sceaux. Je ne vois pas vraiment en quoi, avec cette réduction du nombre de députés, notre Parlement sera non plus spectateur, mais engagé. Le député sera remplacé par un administrateur, ce qui n'entraînera donc pas d'avancée démocratique, ni d'économies, il est important de le dire aux citoyens.
Nous aurions dû nous intéresser bien avant ce quinquennat, je pense, à l'impensé juridique du travail en circonscription, car c'est dans la proximité et l'impartialité, comme cela a été dit à plusieurs reprises, que nous nouons un lien avec le citoyen et écartons les populismes.
La convergence européenne ne peut accréditer votre choix puisque, s'agissant du nombre d'habitants représentés par un député, l'Allemagne et l'Espagne sont loin devant nous, et que nous sommes proches des Pays-Bas et de l'Italie. Quant à Justin Trudeau, qui fut notre hôte il y a peu, il prend la décision d'augmenter le nombre de députés quand la population augmente.
Ces éléments devraient nous importer, je crois.
Enfin, le non-cumul des mandats, voté en 2014 et appliqué en 2017 – je constate que le non-cumul des mandats dans le temps mettra beaucoup plus de temps à être appliqué – , avait pour objectif non la réduction du nombre de députés, mais la limitation des conflits d'intérêts entre un mandat exécutif local et le mandat de législateur. Je pense que nous avons bien fait de le concevoir ainsi et je sais que vous êtes d'accord avec nous.
Ma question porte sur le non-cumul des mandats locaux. Contrairement à ce qui a été dit, c'est, à mon sens, une chance pour la France d'avoir 500 000 élus locaux, très souvent des bénévoles, qui tissent un lien avec les citoyens et portent la parole publique. Je vous demande votre avis, madame la garde des sceaux : doit-on envisager une réduction du nombre de mandats exécutifs locaux successifs ?
Applaudissements sur les bancs du groupe NG.
Madame Untermaier, vos propos témoignent de convergences entre nous, en tout cas s'agissant des objectifs, que vous avez repris à votre compte : la fluidification de notre travail, la volonté que le député ne soit pas un spectateur mais un vrai législateur – « en amont et en aval de la loi », avez-vous dit – , ce qui me paraît tout à fait essentiel.
Vous vous interrogez ensuite sur l'option, retenue depuis longtemps par les lois sur la vie politique, ainsi que par le projet de révision constitutionnelle, consistant à limiter les zones de conflits d'intérêts – je parle de conflits non pas financiers, mais entre les différents objectifs poursuivis. C'est effectivement le but du non-cumul des mandats que nous proposons.
Il est absolument certain que ce non-cumul va transformer la fonction du député. On observe déjà – malgré ce que l'on constate concernant la séance de cet après-midi – cette transformation de la fonction de l'élu national, davantage centré sur son rôle de législateur, de contrôleur, d'évaluateur, comme le voulait, au fond, notre Constitution.
Quant à l'articulation avec le terrain local, il faut évidemment que l'élu puisse se nourrir de ce qui s'y passe. Je crois d'ailleurs savoir – je m'excuse de vous mettre ainsi en avant – que vous avez organisé, dans votre circonscription, des ateliers citoyens sur des projets de loi, ce qui montre bien que, représentante nationale, vous avez su y trouver un point d'ancrage, lien entre votre fonction de législateur et l'émanation, que vous incarnez, des personnes qui vous ont élue. Ce rôle est tout à fait essentiel.
Je n'ai jamais dit, pour ma part – et je ne prétends pas que vous m'avez accusée de l'avoir dit – , que le nombre d'élus locaux est excessif. Je crois simplement que nous devons repenser l'articulation entre l'ensemble des élus. C'est à cette réflexion que vont nous conduire les évolutions du projet de loi constitutionnelle que nous proposons.
Je ne parlerai ni du nombre de députés ni de leur statut car Cécile Untermaier l'a très bien fait au nom de notre groupe, lequel a pris position sur ces questions touchant à la démocratie et aux équilibres à rechercher.
Je voudrais plutôt vous parler de la Constitution en tant que telle, de la liberté et de la capacité de légiférer qu'elle laisse au Parlement. L'initiative du Président de la République nous fournit l'occasion de revenir sur ce qui nous paraît un véritable handicap dans la conduite de réformes qui soient à la hauteur des défis du temps présent.
L'un de ces grands enjeux – vous le constatez avec nous, madame la garde des sceaux – est l'équilibre entre la puissance publique, la démocratie, l'expression de la volonté générale et de l'intérêt général, d'une part, et, d'autre part, la puissance privée, laquelle s'est concentrée et démultipliée de manière fulgurante au XXe et au XXIe siècles, dépassant les limites de l'État nation.
Or, lorsque le Parlement a pris des initiatives en la matière – je pense à la relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle ou à la volonté de la loi Sapin 2 de rendre transparentes les activités financières des holdings – , il s'est vu empêché par une Constitution qui mettait en avant ici la liberté de propriété, là la liberté d'entreprise, telles que déduites de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et de l'esprit de la Révolution française.
Pourtant, la Révolution ne visait-elle pas à émanciper le sujet, à lui donner la capacité de s'organiser en société, de s'affranchir des despotismes ? Par une grande déformation de l'histoire, la protection de la liberté d'association et de la liberté de propriété se retourne contre l'intérêt général et contre les plus faibles en concentrant les pouvoirs de façon exorbitante entre les mains de quelques-uns.
N'y a-t-il pas lieu de profiter de cette révision constitutionnelle pour rééquilibrer la capacité offerte à nos assemblées, aux échelles nationale et internationale, de légiférer dans les temps modernes, et pour réduire l'obstacle qu'y oppose de manière décalée le Conseil constitutionnel ?
Ma question est très simple, madame la garde des sceaux : pouvons-nous ouvrir ce débat avec vous, dans le cadre d'un dialogue non partisan, voué à la recherche de la vérité et du bon équilibre ? Ne faut-il pas limiter la liberté de propriété et la liberté d'entreprise lorsqu'elles sont contraires à la recherche du bien commun ?
Monsieur Potier, je partage les prémisses sur lesquelles vous fondez votre propos, c'est-à-dire l'idée que le pouvoir de création du Parlement ne doit pas être chargé de trop de handicaps. Nous sommes néanmoins soumis à un État de droit, dont vous considérez certainement avec moi, malgré les contraintes qu'il impose au Parlement comme à l'exécutif, qu'il protège les libertés publiques en général.
Quant à la capacité du Parlement à légiférer dans des domaines dans lesquels il ne serait pas bridé par le juge constitutionnel, elle peut lui être offerte dès lors que nous modifions la Constitution : le Conseil constitutionnel n'interviendrait alors pas, puisque ce ne serait pas son champ de compétences.
Or il me semble précisément que quelques-unes des dispositions que nous allons soumettre à votre vote incluent des éléments permettant au Parlement de s'émanciper de certaines contraintes. Je pense par exemple à l'idée que nous pourrions avoir d'inscrire dans la Constitution la lutte contre le changement climatique. Lutter contre les changements climatiques supposera dans un premier temps, pour le Parlement, de concilier cet objectif – que nous pouvons partager par souci d'intérêt général, monsieur le député – avec le droit de propriété, la liberté d'entreprendre ainsi que d'autres éléments. Le juge constitutionnel poursuivra le contrôle de conciliation que vous-mêmes, parlementaires, aurez opéré.
Grâce à ce type de dispositions comme à d'autres, rendues possibles dans le projet qui vous sera soumis – je pense, par exemple, à votre pouvoir de formuler, pendant les semaines de contrôle, des propositions de loi résultant d'une évaluation que vous auriez faite, fondée, par définition, sur les défauts de la législation existante – , vous récupérez une marge d'initiative qui me semble extrêmement importante. En bref, cette proposition offre des libertés au Parlement.
Nous terminons avec une question d'une députée non inscrite.
La parole est à Mme Sylvia Pinel.
Madame la garde des sceaux, vous avez présenté ce matin, en Conseil des ministres, le projet de loi constitutionnelle, qui contient plusieurs mesures que nous approuvons, comme le fait que les anciens présidents de la République ne siègent plus au Conseil constitutionnel ou le droit à la différenciation, permettant d'adapter les politiques des collectivités territoriales à leurs spécificités. En revanche, d'autres éléments de la réforme de nos institutions et l'absence de présentation des lois organique et ordinaire – je pense, par exemple, à la réduction du nombre de parlementaires – nous semblent inquiétants, pour ne pas dire dangereux.
Je peux être favorable à l'introduction d'une dose de proportionnelle pour respecter le pluralisme. Mais, avec la réduction de 30 % du nombre de parlementaires, les territoires ruraux, insulaires ou de montagne vont, une fois encore, se sentir oubliés, et la nécessaire proximité du député avec le territoire de sa circonscription sera mise à mal. Sur ce point, madame la garde des sceaux, je ne peux vous suivre. En comparant le nombre de nos députés à celui de nos amis européens, force est de constater qu'il n'est pas aussi choquant que vous le laissez croire. Le Danemark compte un député pour 31 000 habitants ; le Royaume-Uni comme l'Italie un député pour 95 000 habitants ; la France se situe au même niveau que l'Allemagne. La défiance de l'exécutif à l'égard du Parlement se traduit aussi par la limitation du droit d'amendement et le raccourcissement du temps de débat budgétaire.
Nous sommes, de mon point de vue, bien loin du « pacte girondin » proposé par le Président de la République en juillet 2017, lors de la conférence des territoires. Alors que les collectivités locales réclament un projet de loi de finances spécifique pour leur donner les moyens de leur action et la prévisibilité nécessaire – le précédent gouvernement l'avait accepté et la Cour des comptes le préconise régulièrement – , seriez-vous prête, madame la garde des sceaux, à examiner cette proposition ? La France a besoin de ses territoires et de ses représentants. Vous avez là l'occasion de moderniser véritablement nos institutions en accomplissant une nouvelle étape de la décentralisation. Ne cherchez pas à les affaiblir, comme vous vous apprêtez malheureusement à le faire !
Madame Pinel, je vous remercie pour vos observations. Je note votre accord sur un certain nombre de propositions figurant dans le projet de loi constitutionnelle, ainsi que vos hésitations quant à des mesures qui ne relèvent pas du texte constitutionnel mais qui l'accompagneraient dans les textes de loi organique et ordinaire.
Vous êtes revenue sur la question de la diminution du nombre de parlementaires, en citant plusieurs exemples. Pour m'être intéressée un temps, quand j'étais professeure de droit, au nombre d'élus locaux dans les pays de l'Union européenne, j'avais observé qu'ils étaient beaucoup moins nombreux qu'en France. Sans vouloir critiquer vos propos, il me semble qu'il faut considérer le système électif d'un pays dans sa globalité – mais ce que j'avais constaté il y a une dizaine d'années n'est peut-être plus vrai.
Vous avez également évoqué, à l'instar de plusieurs de vos collègues, la question des finances locales, dont j'entends bien qu'il s'agit d'un point majeur pour les collectivités territoriales. Comme je l'ai déjà dit, le ministre d'État, ministre de l'intérieur, examine le sujet en ce moment. Il m'est donc difficile de m'engager aujourd'hui devant vous sur un pacte financier, qui n'est pas le propos de notre débat. Je puis simplement vous assurer que, dans le cadre du « pacte girondin » que le Président de la République a voulu défendre, le volet financier est particulièrement important pour donner aux collectivités les moyens de s'administrer librement, comme l'exige la Constitution.
Prochaine séance, lundi 14 mai, à seize heures :
Discussion, en lecture définitive, du projet de loi relatif à la protection des données personnelles ;
Discussion, sur le texte de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à l'élection des représentants au Parlement européen ;
Discussion du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
La séance est levée.
La séance est levée à dix-huit heures vingt.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Catherine Joly