Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Réunion du mardi 21 janvier 2020 à 18h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • concrétisation
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem  

La réunion

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La séance est ouverte à 18 heures 05.

Présidence de Mme Cécile Untermaier, présidente

La mission d'information sur la concrétisation des lois entend M. Jean Bouquot, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) et M. François Hurel, délégué général ;M. Philippe Potentier, président de l'institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat, M. François Devos, directeur des affaires juridiques, et M. Nicolas Fantaussi, chargé des affaires juridiques, de l'arbitrage et de la médiation ; M Xavier Autain, président de la commission communication institutionnelle au Conseil national des barreaux, Mme Géraldine Cavaillé, directrice des affaires juridiques et Mme Anne Charlotte Varin, directrice des affaires publiques

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Nous recevons aujourd'hui des représentants des professionnels du droit. Nous accueillons ainsi M. Jean Bouquot, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) et M. François Hurel, délégué général de la Compagnie, Maître Philippe Potentier, président de l'institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat (CSN), et Maître François Devos, directeur des affaires juridiques du CSN. Nous recevons également Maître Xavier Autain, président de la commission communication institutionnelle au Conseil national des barreaux (CNB), ainsi que Mme Géraldine Cavaillé, directrice des affaires juridiques et Mme Anne Charlotte Varin, directrice des affaires publiques.

Ces travaux ont pour objectif de mieux comprendre les difficultés que pose l'application juridique, mais aussi la mise en œuvre sur le terrain des lois que nous votons. Afin de nous permettre de proposer des voies d'amélioration, nous souhaitons vous entendre sur ce sujet. Nous réfléchissons aussi au rôle nouveau que doit avoir le parlementaire pour veiller plus étroitement au respect de la volonté du législateur et aux moyens supplémentaires dont il pourrait avoir besoin pour ce faire.

Il nous a paru important de vous entendre en raison de vos professions, à la fois de praticiens du droit, mais aussi de pédagogues auprès des destinataires finaux de ces lois que nous votons. Ces destinataires sont souvent vos clients, principalement des citoyens et des entreprises.

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Jean Bouquot, président de la CNCC

Ma profession est plutôt une profession du chiffre que du droit ; elle est aux confins des deux. Ce qui marque notre profession, c'est que non seulement nous avons à nous conformer et à faire respecter les textes de loi, mais aussi que nous sommes une profession régulée. Nous avons à tenir compte des textes, mais aussi des normes mises en place par le régulateur, lequel est très attentif au droit européen. Ceci rend le dialogue avec le législateur particulièrement ardu. Nous l'avons mesuré tout récemment puisque notre profession a été fortement concernée par la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE. Nous savons combien il peut y avoir une marge importante entre l'intention du législateur lors du vote de la loi et la mise en œuvre de celle-ci, du fait même qu'elle doit être traduite dans les décrets et dans le code de déontologie, ce qui requiert l'intervention non seulement de notre tutelle, qui est la Chancellerie, mais aussi du régulateur. Ne serait-ce qu'au vu de ce que nous vivons en ce moment, nous percevons bien toute la complexité de la question que vous nous posez. Nous essayons d'y faire face en tant qu'acteurs de notre profession.

Vous nous demandez comment nous agissons avec les entreprises auxquelles nous nous adressons en tant que commissaires aux comptes. Il peut y avoir là aussi un sujet particulier et compliqué puisque l'on nous demande d'exercer notre jugement professionnel, que nous mettons beaucoup en avant, lequel peut ensuite entraîner des écarts de compréhension dans la manière dont nous pouvons appréhender tel ou tel élément de nature juridique. Néanmoins, il ne s'agit pas pour nous de réduire l'importance de notre jugement professionnel à zéro, parce que sinon, nous n'aurions plus de rôle et les entreprises elles-mêmes ne comprendraient plus notre action.

Nous avons à gérer l'addition de textes et d'initiatives qui doivent ensuite coexister dans le temps. On nous demande aussi de respecter des normes d'exercice professionnel élaborées par le régulateur. L'empilement des textes et des modifications trop fréquentes peuvent conduire à des situations assez inextricables ; nos services techniques, qui répondent aux questions des confrères, sont inondés de demandes d'explications. La Compagnie nationale a un rôle important d'explication des textes. La lecture simple de cet empilement de textes n'est en effet pas facile pour les professionnels que je représente.

Je souhaitais aborder deux autres points. Nous considérons que la mesure d'impact serait importante a priori. En tout cas, nous y sommes sensibles.

Enfin, des clauses de revoyure par les parlementaires à un an, à deux ans, ou à trois ans – élément que nous avions soutenu lors du débat sur la loi PACTE – seraient essentielles dans la construction de la loi.

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Philippe Potentier, président de l'institut d'études juridiques du CSN

Il y a deux façons d'aborder le sujet de la concrétisation des lois. D'abord, et de manière un peu ésotérique, il y a le temps de l'effectivité du droit. Quand j'étais étudiant, j'ai connu cette formule magique très éclairante du doyen Carbonnier qui disait que le non-droit était l'essence, et que le droit était l'accident. C'est une manière de poser le sujet de la concrétisation des lois. Mais c'est peut-être une façon très théorique et abstraite de l'aborder.

Nous allons essentiellement parler de la deuxième approche, qui est une évaluation plus pratique de la loi : qu'est-ce qui fait qu'il y a des lois qui, traduisant pourtant une aspiration incontestable, ne sont pas appliquées ou le sont mal ? Il faut d'abord en chercher les causes. Si une loi n'est pas appliquée, c'est parce qu'elle ne répond pas aux besoins, qu'elle a été mal expliquée ou qu'elle utilise de mauvais relais. Une fois les causes identifiées, il faut voir comment y remédier.

Le temps de la bonne exécution d'une loi est celui d'une bonne préparation de la loi. Il faut très certainement écouter davantage les milieux professionnels dans lesquels la loi s'appliquera pour en percevoir exactement les besoins. Il y a sans doute d'autres pistes ; c'est de cela que nous devons parler.

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Xavier Autain, président de la commission communication institutionnelle au CNB

Dans le processus d'élaboration des études d'impact, nous sommes régulièrement consultés sous la forme d'une simple audition. Il apparaîtrait pourtant assez logique que nous ne soyons pas simplement entendus, mais véritablement associés, c'est-à-dire que l'on nous soumette une étude avant sa finalisation pour que nous y apportions un certain nombre d'éléments concrets. Il semblerait qu'une étude d'impact ait été élaborée dans le cadre du projet de loi retraite. Non seulement nous ne l'avons pas, mais nous n'en savons rien et n'avons pas été associés à sa préparation.

Mon second point concerne l'expérimentation. Nous en avons une en ce moment sur le tribunal criminel, une réforme majeure qui remet en cause un certain nombre d'éléments qui ont suscité, sinon notre opposition, du moins un fort scepticisme de notre part. Il était prévu que les avocats y soient associés. Le but est, en effet, de voir comment l'expérimentation se déroule pour les praticiens. Néanmoins, comme la loi ne précise pas les conditions de cette association, l'expérimentation a lieu sans les professionnels. Lorsque la loi ne dit pas clairement à l'exécutif ce qu'il doit faire, il ne le fait pas forcément. J'ignore quels seront les retours de cette expérimentation, puisqu'ils seront par définition très monocolores.

Le troisième point que je souhaite aborder concerne les lois les plus importantes, qui comportent des changements d'orientation ou de philosophie. Il ne serait pas inutile, au bout de deux ans, trois ans ou quatre ans, d'interroger les professionnels pour voir comment cela s'est passé.

Voici deux exemples très concrets. Dans la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dites loi Macron, qui a réformé la justice prud'homale, il était prévu une multipostulation pour les avocats devant toutes les cours d'appel. Néanmoins, cette multipostulation est restée lettre morte et n'a aucune effectivité. Il est toujours impossible pour les avocats de communiquer via le Réseau privé virtuel des avocats (RPVA) dans les cours d'appel.

Toujours dans la loi Macron de 2015, il était prévu la fin de l'unicité de l'exercice. Antérieurement, un avocat exerçait dans une seule structure et sous une seule forme. Aujourd'hui, il est possible pour un avocat d'exercer dans plusieurs structures, comme associé dans une, comme collaborateur dans une autre. Cela implique qu'un avocat puisse disposer de plusieurs clés RPVA. Mais comme à la Chancellerie il y a un numéro « système d'identification du répertoire des entreprises » (SIREN) pour une clé RPVA, cette fin d'unicité n'a aucune effectivité. La loi, là aussi, est restée lettre morte.

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À vous entendre, nous avons du travail devant nous. Nous sommes tous d'accord pour améliorer l'étude d'impact et le travail en amont dans la fabrique de la loi en associant les professionnels. Il faudrait nous-mêmes que nous ayons l'étude d'impact dans des délais convenables pour nous permettre de légiférer. Ce sont des progrès qui, je l'espère, seront demandés par la mission.

Nous n'allons pas analyser les points que vous avez évoqués à l'instant, mais ils peuvent faire l'objet de cas que la mission pourrait regarder de plus près dans le cadre de ses prochains travaux pratiques. Nous retenons ces deux points, et verrons dans quelle mesure nous pourrons y travailler.

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Cette mission se déroulera en deux temps : d'abord, une première partie avec un rapport qui démontrera toutes les difficultés que peut comporter la concrétisation des lois. Sémantiquement, la concrétisation n'est pas tout à fait identique à l'application. Dans la concrétisation, il y a une dimension un peu plus politique, proche des citoyens, des entreprises ou des collectivités, de tous ceux qui peuvent être concernés par les lois que nous votons ici. La concrétisation sous-entend la notion de ressenti, ce qui est beaucoup plus difficile à appréhender quand nous votons une loi que les notions d'efficacité et d'application. Il y a aussi l'idée d'accompagner les bénéficiaires d'une loi. Vous paraît-il pertinent d'utiliser le terme de « concrétisation ».

Le premier rapport contiendra un guide pour le suivi de la concrétisation des lois, en essayant de repenser le parlementaire du XXIe siècle. Le député-maire n'existe plus. Le député applicateur de lois doit lui succéder. Pour que ce soit efficace sur le terrain, dans nos circonscriptions, nous devons travailler avec l'ensemble des parties prenantes, dont vous faites partie. C'est là où nous observons bien des défaillances et des absences. Effectivement, cela doit se passer ex ante dès l'étude d'impact. Cela doit aussi passer par des retours d'expérience efficaces qui nous permettent d'approfondir ou de changer de direction, notamment grâce aux expérimentations. Mais au quotidien, comment faites-vous pour signaler une difficulté d'application de la loi que vous avez rencontrée ? Est-ce par le préfet ? Est-ce par votre parlementaire ?  Est-ce par l'Ordre  ? Par le secrétariat général d'un ministère ? Votre réponse nous permettra d'enrichir notre guide de bonnes pratiques.

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François Devos, directeur des affaires juridiques du CSN

Nous avons des instances locales, donc un premier filtre de remontées de difficultés professionnelles d'applicabilité de la loi ou de problèmes d'ordonnancement juridique incomplet. Je reprends là les termes de Marc Guillaume sur l'environnement juridique complet ou incomplet. C'est souvent ce qui pose difficulté. Nous avons une loi qui est votée mais dont les décrets ou arrêtés d'application ne sont pas publiés. Nous nous trouvons parfaitement démunis. Nous le vivons ces derniers temps. Les difficultés remontent par les instances, puis directement au Conseil supérieur. Nous apportons une réponse parce que nous pouvons nous inspirer des travaux parlementaires, notamment des rapports, qui nous sont extrêmement précieux. Je vous remercie de rester le plus précis possible, cela nous donne un faisceau d'indices qui nous est d'une grande aide. Nous avons aussi des discussions en direct avec des administrations centrales, à travers la Chancellerie ou des courriers à la direction générale des finances publiques (DGFIP) sur des problèmes fiscaux. Nous lui en avons adressé quelques-uns à la suite de la dernière loi finances.

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N'avez-vous pas le réflexe, l'idée ou l'envie d'aller voir le député qui a voté la loi ?

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François Devos, directeur des affaires juridiques du CSN

Si nous avons la chance d'avoir un député qui a participé à l'élaboration et qui ne s'est pas « satisfait » de la loi votée, nous pouvons parfaitement le contacter. En ce qui nous concerne, le réflexe est de remonter par les ordres.

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Philippe Potentier, président de l'institut d'études juridiques du CSN

Le canal parlementaire n'est pratiquement jamais utilisé. La responsabilité est sans doute partagée. Peut-être ne savons-nous pas le faire, mais il faut dire que nous ne sommes pas toujours entendus des parlementaires. S'adresser à un parlementaire est souvent une perte de temps. Tandis que la possibilité pour le notaire de base de faire remonter les difficultés à ses instances hiérarchiques, lesquelles discutent ensuite avec les administrations centrales, notamment la Chancellerie, est une voie très efficace.

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Je n'ai pas l'impression que l'efficacité soit la même.

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Jean Bouquot, président de la CNCC

Quand il s'agit d'un texte qui vient d'être voté, nous nous retournons vers les parlementaires. En revanche, s'il s'agit de textes qui vivent déjà depuis un certain temps, nous sommes exactement dans la même situation que celle qui vient d'être décrite par le conseil du notariat : des confrères qui nous interrogent, qui nous sollicitent, une commission des études juridiques qui analyse les remontées, puis une discussion avec les directions centrales, principalement la direction des affaires civiles et du sceau (DACS), mais pas seulement. Nous pouvons aussi avoir des sujets qui touchent aux diplômes et qui vont remonter vers la direction de l'enseignement supérieur, d'autres vers la DGFIP, etc. Nous avons donc plusieurs interlocuteurs au sein des directions centrales.

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Xavier Autain, président de la commission communication institutionnelle au CNB

Nous remontons à la Chancellerie, comme beaucoup, mais comme elle est souvent la cause de nos tourments, nous savons que nous n'y serons pas forcément entendus. Nous allons voir régulièrement les parlementaires, comme vous le savez, Madame la présidente, non seulement pour leur expliquer un dysfonctionnement, mais aussi pour faire d'eux le porte-voix de nos questions qu'ils acceptent parfois de relayer de manière écrite ou orale auprès de l'exécutif. Le parlementaire est avant tout le représentant du peuple et nous en représentons une partie. Mais vous avez raison, nous ne sommes pas allés voir le parlementaire votant la loi dont résulte le dysfonctionnement. Nous sommes fautifs sur ce point. Cela aurait été plus opportun et aurait eu sans doute plus d'effet que la pratique que nous avons à l'heure actuelle.

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Jean Bouquot, président de la CNCC

Nous n'avons pas cité les conseillers des ministres, qui sont parfois plus actifs que les administrations centrales dans ce dialogue sur les difficultés d'application ou les dysfonctionnements.

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Le réflexe est souvent d'aller voir l'ancien rapporteur de la loi ou un responsable du texte. Effectivement, sur chaque loi, il y a trois ou quatre parlementaires qui la connaissent particulièrement bien. Notre philosophie est que tous les parlementaires sont responsables du suivi de l'application de toutes les lois qui sont votées, majorité comme opposition. Nous en sommes loin, je vous l'accorde, mais c'est pour cela que je vous pose la question. Et votre réponse est assez parlante. Vous vous tournez plutôt vers l'administration. Il faut que tous les parlementaires soient responsables du suivi de l'application de toutes les lois, certes avec un niveau d'expertise et un degré de connaissance toujours un peu différents, c'est normal. Mais il faut qu'ils aient les clés pour connaître le niveau d'application des lois sur leur territoire pour que les relations avec l'ensemble des parties prenantes, quelles qu'elles soient, puissent changer.

Vous avez raison, les conseillers ministériels sont aussi une porte d'entrée nécessaire pour vous. Un onzième conseiller par ministère est en charge justement de l'application des réformes, joue le rôle d'une « delivery unit ». Certains d'entre vous ont-ils déjà eu affaire à cette personne-là et ont remarqué des capacités d'échanges différentes par rapport aux conseillers techniques classiques ?

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Cette mission est extrêmement intéressante du point de vue de l'ouverture vers ceux qui « subissent » les textes que nous votons ; ce n'est pas toujours une punition. Le parlementaire a changé avec le non-cumul des mandats. Nous ne sommes plus députés-maires ou députés-présidents de Conseil général. Le parlementaire est devenu un tout autre personnage politique qui est ancré à la fois sur le territoire et à l'Assemblée nationale. Nous partageons cette philosophie : le parlementaire doit être désormais sur un territoire à l'écoute des professionnels, pas seulement de la mairie dont il était le maire, mais précisément de l'intérêt général que l'on retrouve au travers du citoyen, du professionnel, de l'entreprise. Il nous semble extrêmement important pour notre démocratie que le pouvoir législatif garde la main sur les textes qu'il a votés. Il ne doit pas les abandonner. D'ailleurs, il fait normalement des rapports au bout de trois ans sur des textes importants pour les évaluer. Nous l'avons fait sur la loi Macron et sur d'autres textes.

Nous devrions utiliser davantage le maillage que nous représentons sur l'ensemble du territoire et la liaison que nous assurons entre le national et le local pour être un vecteur de facilitation, de transmission ou de dynamisme, notamment lorsqu'une administration ne réagit pas. Le député du XXIe siècle n'est plus celui du XXe siècle.

Sur ce point, avez-vous des idées ou des suggestions ? N'auriez-vous pas intérêt à développer au niveau des chambres des rendez-vous avec les parlementaires ? Nous le faisons avec les préfets, par exemple pour la répartition de dotations. Avant, c'était inenvisageable. Maintenant, les députés et les sénateurs sont présents dans les réunions où est répartie la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Nous devons aussi être sur le terrain, là où se concrétise le texte, dans des configurations qui nous permettent de vous entendre autrement que par le biais d'auditions solennelles à l'Assemblée nationale.

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François Devos, directeur des affaires juridiques du CSN

Nous ne pouvons que nous féliciter d'entendre cela. Je n'ai jamais eu de difficulté à imaginer que la professionnalisation de nos élus allait en s'accélérant, par le fait justement de pouvoir consacrer l'exclusivité de leur temps à leur mission.

Les instances au niveau local développent déjà un certain nombre de liens qui ne sont pas forcément des relations de pression avec nos élus ; c'est heureux. Maintenant, le problème est que le parlementaire que vous pouvez interroger sur n'importe quel texte n'est pas forcément en capacité immédiate de répondre ou même de suivre un texte particulier quand il y a une difficulté d'interprétation. Si chacun avance de ce côté-là, nous pouvons parfaitement imaginer une relation beaucoup plus suivie sur des thématiques.

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Nous n'avons pas l'intention de faire du « café du Commerce ». Nous parlons de concrétisation des lois. Tout cela s'organise. Ce n'est pas spontanément à une permanence de député que nous allons régler la question. Il faut que chacun prenne la mesure du phénomène. Il faut imaginer des réunions sur le territoire avec des députés particulièrement qualifiés ou qui ont le souci de venir, et d'autres qui sont moins intéressés sur cette question et qui seront ailleurs. Il faut utiliser la puissance que peut représenter le pouvoir parlementaire. Nous ne pouvons pas toujours être à l'initiative. Nous avons besoin de nous sentir attendus sur le territoire.

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François Devos, directeur des affaires juridiques du CSN

Je ne reviens pas sur la présence du notaire sur le terrain et sur le maillage territorial ; vous connaissez cela très bien. Le quotidien est fait de remontées de ce type-là. Le problème est qu'il faut que nous ayons en face de nous des députés qui puissent faire autre chose que « faire remonter ».

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Xavier Autain, président de la commission communication institutionnelle au CNB

Nous essayons d'avoir des liens réguliers, non seulement dans les 164 barreaux, mais quand la présidente du CNB se déplace – et elle le fait régulièrement – nous faisons en sorte d'avoir des rencontres avec les parlementaires. Nous considérons qu'il est important d'instaurer ce dialogue, non pas simplement dans l'objectif de concrétisation de la loi et de remontée des difficultés, mais en amont, de pouvoir mieux travailler ensemble. Se pose parfois le problème de la connaissance que le parlementaire peut avoir des particularités du problème soulevé, mais nous essayons de nourrir cela. Cela n'a pas très bien marché sur les retraites puisque dans la plupart des appels que nous avons lancés aux parlementaires, les retours ont été notoirement insuffisants auprès des barreaux.

Il n'y a pas très longtemps, nous avons eu tout un débat sur la loi asile et immigration. Nous avons essayé de nourrir ces réflexions-là. Régulièrement, nous invitons des parlementaires à venir au CNB pour renforcer ce lien et permettre que le dialogue se fasse en aval mais aussi en amont. Si les lois collent mieux à la réalité pratique de ceux qui les mettent en œuvre, la concrétisation en sera d'autant plus aisée.

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Jean Bouquot, président de la CNCC

Nous ne pouvons que souscrire au terme de concrétisation. Dans notre profession, au plan international, nous sommes confrontés aux mêmes difficultés de concrétisation, c'est-à-dire à un écart entre ce qui est attendu des différents acteurs et le réalisé .

(expectation gap)

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Jean Bouquot, président de la CNCC

La difficulté par rapport à votre travail de législateur – nous la vivons régulièrement et tout particulièrement en ce moment sur la loi PACTE, un texte qui nous est très cher – est qu'ensuite, viennent les décrets. Là, nous entrons dans une complexité qui peut potentiellement dénaturer ce que le législateur avait voulu, pour des motifs d'une nature extrêmement technique. Il est extrêmement préoccupant de se dire qu'il y avait un esprit de la loi et que la traduction en est bien éloignée. Je n'ai pas, à ce jour, les bonnes recommandations à fournir.

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Sur ce point, il faut effectivement mettre en place des commissions de suivi à l'Assemblée nationale. Nous l'avons fait pour des lois importantes. Richard Ferrand, actuel président de l'Assemblée nationale, l'avait initié pour la loi Macron de 2015. Nous avons contesté des décrets qui étaient contra legem. Nous n'avons pas toujours gagné, mais nous avons essayé. Le législateur n'est pas dans un travail à moitié. Il vote un texte qui doit retrouver dans ses textes réglementaires l'esprit qu'il y a insufflé. C'est valable autant pour la majorité que pour l'opposition. Nous sommes tous autant potentiellement trahis par les textes réglementaires, mais quelques fois, cela arrive parce que la profession va faire du lobbying auprès de l'administration pour faire en sorte que le texte ne soit pas tout à fait celui qui ne lui convenait pas et qui a pourtant été voté. Nous avons les outils. Il faut des commissions de suivi des décrets. Dans le cas d'un décret contra legem, c'est d'abord au législateur de s'en emparer.

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Il y a aussi le temps de la législation qui court sur les cinq années d'une législature. Pour un texte voté une première année, le suivi peut être facilement réalisé deux années, trois années après son application si celle-ci s'est déroulée rapidement. En revanche, pour un texte voté dans la dernière année, les possibilités d'évaluation ne sont pas de même nature. À combien estimez-vous le délai moyen d'identification d'une malformation du décret par rapport à l'intention de la loi ? Évidemment, tout dépend du délai de publication du décret.

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François Devos, directeur des affaires juridiques du CSN

On dit souvent chez nous qu'avant de se lancer dans un travail d'évaluation, il faut avoir un peu de temps, généralement trois ou quatre ans minimum. Cela dépend des lois. La loi fiscale a peut-être une façon différente d'évaluer les choses. Mais sauf à avoir des outils extraordinairement puissants et qui soient reconnus, nous n'avons pas de retour avant au moins trois ans.

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Puisque vous êtes des professionnels du chiffre et du droit de talent, considérez-vous que nous allons rencontrer des difficultés dans notre démarche qui consiste à rappeler que le pouvoir législatif doit exister avant, pendant, et après la loi ? Considérez-vous au contraire que cette indépendance du pouvoir législatif fonde cette démarche ?

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Xavier Autain, président de la commission communication institutionnelle au CNB

Pour répondre à monsieur le député, pour nous, c'est à partir de deux ans. Il faut, s'agissant de la mise en œuvre judiciaire, avoir les premières décisions qui permettent de voir comment cela dysfonctionne. Avant, c'est trop compliqué.

Deuxièmement, l'intervention du législateur à tous les stades est une nécessité démocratique indispensable.

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Philippe Potentier, président de l'institut d'études juridiques du CSN

Tout dépend du domaine dans lequel la loi intervient. Pour toutes les lois récentes qui ont réformé le droit de succession et des libéralités, il ne faut pas trois ans ou dix ans, mais une génération. Le temps d'apprivoiser un mandat de protection future et d'apprécier le mécanisme de la réduction en valeur des libéralités ne se fait pas en deux ou trois ans, mais à des échelles plus longues. Ces lois sont de maturation très lente.

Madame la présidente, l'idée d'une commission de suivi d'exécution des lois est excellente. Il faut surtout créer des outils fidèles de communication entre nous. Ces commissions de suivi doivent être précédées de commissions d'élaboration des lois avec ces mêmes milieux professionnels. C'est une condition sine qua non pour que cela marche bien. Une loi qui connaît un grand succès dans la pratique est une loi bien préparée qu'on éprouve le besoin d'appliquer. C'est indépendant des inflexions politiques du moment. Dans ces commissions de travail, il faut des personnes intemporelles qui auront le souvenir de l'élaboration de la loi pour mieux apprécier son exécution. Cette concordance entre la commission de suivi et la commission d'élaboration est importante.

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Concernant la commission de suivi, nous sommes tout à fait dans notre métier, puisqu'il s'agit du suivi d'une loi que nous venons de voter. Mais la commission d'élaboration ne nous concerne pas réellement. Quand c'est un projet de loi, vous savez que notre droit est complètement opaque, quel que soit le gouvernement. Il s'agit de savoir comment se construit la loi et comment nous associons le citoyen ou le professionnel à l'élaboration de celle-ci. Est-ce complètement jacobin ? Est-ce délocalisé ? Ce sont des questions qui sont moins dans le sujet de cette mission, puisque nous travaillons sur la concrétisation. Mais puisque vous avez des relations privilégiées avec la Chancellerie et le Gouvernement, faites valoir cette nécessité de transparence dans la préparation des lois. Je le disais sous le précédent quinquennat et le répète maintenant.

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Philippe Potentier, président de l'institut d'études juridiques du CSN

Vous avez raison, madame, les questions se touchent et se mêlent. Il y a certainement dans notre système actuel un problème de démocratie. L'initiative des lois ne vient pas forcément du pouvoir exécutif. C'est aussi une initiative parlementaire. C'est su de tous les étudiants, peut-être pas de tous nos gouvernants.

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Nous sommes sur la concrétisation, pas sur l'évaluation de la loi. Notre sujet n'est pas une évaluation tardive, quelles qu'en soient les retombées. C'est une question traitée par d'autres groupes de travail à l'Assemblée.

Il s'agit davantage de déterminer dans la mécanique comment se traduit cette loi. Nous avons reçu le secrétaire général du gouvernement qui nous a dit que les délais pour prendre les mesures d'application avaient été réduits. Nous cherchons à déterminer la manière dont les décrets dénaturent parfois ce que nous avons voté.

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Nous sommes en train de lister des réformes ponctuelles qui ne correspondent pas au périmètre d'une loi entière, mais qui soient des objets plus faciles à suivre sur le terrain. Il nous serait utile d'avoir une liste d'objets législatifs que vous-mêmes suivez en tant que professionnels, et pour lesquels nous pourrions solliciter quelques parlementaires pour commencer ce travail avec vous. Encore une fois, nous ne sommes pas dans l'évaluation ex post. Vous avez parlé de quelque chose de très contemporain vous concernant. Si chacun avait deux ou trois objets à nous donner, nous pourrions partir sur le terrain ensemble et évaluer leur concrétisation.

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Jean Bouquot, président de la CNCC

Un objet que j'ai déjà cité est la traduction réglementaire des dispositions relatives au commissaire aux comptes dans la loi PACTE. C'est tout à fait d'actualité puisque la loi a été votée récemment. La traduction va s'opérer dans les mois, les semaines ou les jours qui viennent.

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Là, nous ne sommes pas dans la concrétisation parce qu'elle se fera après le décret.

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90 % des décrets de la loi PACTE ont été publiés.

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Jean Bouquot, président de la CNCC

Pas pour ce qui concerne le commissariat aux comptes. L'essentiel est encore attendu.

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Nous pouvons entendre votre observation et la faire remonter. Sur ce qui a été publié, auriez-vous des points particuliers à signaler ?

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Puisque vous êtes des observateurs privilégiés des décisions des entreprises et que nous parlons de la loi PACTE, il y a notamment – ce n'était pas dans le projet de loi, mais cela l'accompagnait – la réduction du forfait social pour les entreprises qui mettent en place des plans d'intéressement et de participation. Puisque nous avons quasiment fait un cycle opérationnel entier depuis la loi PACTE, peut-être avez-vous vu ou n'avez-vous pas vu les entreprises se saisir pleinement de cet outil. Il s'agit de l'un des « objets de la vie quotidienne » qui est particulièrement suivi par le ministère de l'Économie et des finances.

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Jean Bouquot, président de la CNCC

Je regrette, Monsieur le député, je ne serai pas en mesure ce soir de vous donner des informations sur ce dispositif.

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François Devos, directeur des affaires juridiques du CSN

Au sujet de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite ELAN, nous attendons un arrêté concernant les études de sol dans le cadre des obligations nouvelles sur les terrains à bâtir. Cela pose de grandes difficultés parce que nous devons appliquer les dispositions législatives relatives aux études de sol à compter du 1er janvier. Beaucoup de questions sur le sujet me remontent des instances. Les centres de recherches, d'information et de documentation notariales (CRIDON) sont également submergés de questions.

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J'imagine qu'une partie de vos confrères sont impliqués dans la signature des pactes Dutreil. Il y a eu un certain nombre d'évolutions. Ont‑elles posé problème dans leur application ?

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François Devos, directeur des affaires juridiques du CSN

Pour parler de la suppression des obligations déclaratives en matière de pacte Dutreil, nous n'avons pas de difficulté. Nous avons beaucoup d'interrogations sur le nouvel abus de droit, c'est l'article L. 64 du livre des procédures fiscales (LPF). Nous avons des difficultés d'interprétation sur l'article 21 de la loi de finances, sur les droits d'enregistrement. J'ai une lettre toute prête à envoyer à la DGFIP mais la voie parlementaire serait peut-être plus simple. Nous nous heurtons à des incompréhensions dans le dispositif.

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Nous sommes sollicités par certains de vos confrères pour poser des questions écrites. Est-ce un outil qui vous paraît intéressant et suffisamment souple et réactif pour apporter des réponses ? Sur dix réponses obtenues, combien sont vraiment valides et résolvent les problèmes ?

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François Devos, directeur des affaires juridiques du CSN

Les questions ministérielles apportent des éclairages fondamentaux, à condition qu'elles soient bien posées. Il faut que l'exposé soit le plus complet possible, pas trop « corporatiste » parce qu'il faut que cela puisse répondre à tous les questionnements possibles dans toutes les matières. Comme toute profession, nous faisons relativement souvent appel aux questions ministérielles dans des cas où nous n'avons pas de retour de l'administration centrale. Nous revenons au parlement, à la source. C'est un outil intéressant, mais le problème est le délai de traitement. Nous n'avons pas forcément ce dont nous avons besoin en temps et en heure.

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Xavier Autain, président de la commission communication institutionnelle au CNB

C'est un outil extrêmement efficace, mais nous avons les mêmes problématiques de délais des réponses. Nous avions posé des questions notamment sur les cages de verre. Le délai de réponse de l'administration centrale est long alors que la question a été posée avec célérité par les parlementaires.

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Normalement, le délai est encadré. Il y a une obligation. Il faut revenir vers le parlementaire qui peut relancer le ministère. Nous avons beaucoup de réponses à nos questions. Cela dépend des ministères, il faut bien en convenir, et de la difficulté du sujet traité.

Vous avez une vision très centralisée, mais ce qui nous intéresse, ce n'est pas simplement de se satisfaire de nos auditions, mais d'être sur le territoire avec les professionnels que vous représentez. Pour vraiment tester la concrétisation d'un texte, c'est peut-être moins à l'Assemblée que nous allons la mesurer, que sur le terrain. Là-dessus, nous souhaitons évoluer profondément.

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François Devos, directeur des affaires juridiques du CSN

C'est justement sur le terrain que la réponse à la question ministérielle est très attendue.

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Xavier Autain, président de la commission communication institutionnelle au CNB

Dans nos métiers, nous avons des structurations nationales, mais aussi locales. Si nous allons vers le parlementaire, ce dernier peut aussi aller vers ces structurations locales, vers les découpages départementaux des notaires, les 164 barreaux, les découpages du commissariat aux comptes, etc., où il sera toujours extrêmement bien accueilli ; je parle en nos trois noms.

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Il nous reste à vous remercier. Nous sommes prêts à entendre toutes les suggestions qui pourraient vous venir ensuite, notamment sur les objets d'évaluation. Merci beaucoup.

La séance est levée à 19 heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Noël Barrot, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Philippe Bolo, M. Michel Lauzzana, M. Laurent Saint-Martin, Mme Cécile Untermaier, Mme Alexandra Valetta Ardisson

Excusé. - M. Claude Goasguen