La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L'ordre du jour appelle les questions sur la politique du Gouvernement en matière d'organisation judiciaire et pénitentiaire.
Je vous rappelle que la conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse.
Nous commençons par des questions du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Vincent Rolland.
J'associe à cette question Émilie Bonnivard, députée de la Savoie. Madame la garde des sceaux, ministre de la justice, je souhaite vous interroger sur le devenir des cours d'appel et des tribunaux de grande instance, et plus précisément sur le maintien de ces juridictions à Chambéry et à Albertville.
Sous couvert du rapport Raimbourg-Houillon, rédigé dans le cadre des « chantiers de la justice », vous vous apprêtez à engager l'institution judiciaire dans une réforme dont les premières victimes seraient les justiciables vivant dans les territoires ruraux. Selon les informations dont nous disposons, la cour d'appel de Chambéry serait en effet transformée en cour d'appel territoriale, privée de certaines de ses prérogatives, et le tribunal de grande instance d'Albertville, dont les compétences seraient également amoindries, en tribunal de proximité. En outre, ces deux entités perdraient leurs chefs de juridiction respectifs et seraient placées sous la tutelle d'une juridiction supérieure, ce qui n'en faciliterait pas la gestion quotidienne.
Les professionnels du droit se sont mobilisés, le 15 février dernier, pour dénoncer cet aspect de la réforme à laquelle vous envisagez de procéder. Ces juridictions, qui sont proches du citoyen et facilitent l'accès au droit, ont développé au cours des dernières décennies des compétences en matière d'urbanisme touristique et de droit de la montagne. Je vous demande d'en confirmer non seulement l'implantation territoriale mais aussi les compétences actuelles.
Par ailleurs, elles ont prouvé leur efficacité, dans la mesure où le délai de traitement des affaires y est inférieur à celui constaté dans les juridictions de taille supérieure. Enfin, je vous demande de respecter le traité de rattachement de la Savoie à la France du 24 mars 1860, qui prévoit le maintien à Chambéry d'une cour d'appel de plein exercice.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Votre question, monsieur le député, m'invite à répondre en abordant la méthodologie ainsi que les objectifs de la réforme que nous souhaitons mener. S'agissant des objectifs, je partage vos propos : notre préoccupation première est bien centrée sur les justiciables, non sur un système dont notre administration ferait partie. Les justiciables d'abord !
C'est pourquoi nous souhaitons profondément que tous les tribunaux d'instance – on en compte plus de 300 en France – soient maintenus, car ce sont eux qui jugent les litiges du quotidien. C'est de ceux-là – et d'autres juridictions que vous avez évoquées – que nos concitoyens sont les plus proches.
S'agissant de la méthodologie, rien n'est décidé. Nous avons engagé, ce qui n'avait pas été le cas lors de la précédente réforme, une consultation suivie d'une concertation. À l'instant où je vous parle, mesdames, messieurs les députés, nous achevons à peine la première phase de concertation. Aucune décision ne sera donc prise dans l'immédiat ; elles viendront ultérieurement. Nous entrerons alors dans une deuxième phase de concertation.
S'agissant de l'adaptation territoriale des structures judiciaires, qui n'est que l'un des cinq chantiers auxquels nous avons travaillé, une phase de dialogue se déroulera sur les territoires, associant leurs élus nationaux et locaux ainsi que les chefs de juridiction et les préfets, en vue de déterminer la façon dont les principes dégagés au niveau national pourront être correctement appliqués dans chacun d'entre eux. Ainsi, rien n'est décidé et tout reste à construire dans la concertation.
Madame la garde des sceaux, depuis le XVIe siècle, la souveraineté d'un État est définie par ses pouvoirs régaliens, au premier rang desquels la justice. Celle-ci, vous le savez mieux que quiconque, est garante du bon fonctionnement de notre société. Sans justice, nous retournerions dans une époque où la loi du talion règne en maître.
Toutefois, pour que notre justice puisse fonctionner, elle doit être respectée. Les citoyens doivent être en mesure de porter une confiance sans faille à cette institution essentielle. Non seulement la justice, grâce à ses magistrats, régule le corps social, mais elle protège nos libertés les plus fondamentales.
Un État ne doit jamais abandonner son institution judiciaire, qui ne doit ni manquer de moyens, ni laisser se former des déserts judiciaires. Par ailleurs, un État ne doit jamais déshumaniser la justice en l'éloignant de la population par une dématérialisation excessive des procédures.
Sur ces deux points, la France est en déficit depuis des décennies. C'est désormais à vous qu'il incombe d'y remédier, madame la ministre, en vous abstenant surtout de vous défausser sur vos prédécesseurs.
Je ne rappellerai pas le rang de notre pays en Europe, que vous connaissez. En matière de moyens alloués par notre société à la justice, nous sommes très mal classés. Par exemple, nous sommes le vingt-quatrième pays de l'Union européenne sur vingt-huit s'agissant du nombre de juges pour 100 000 habitants.
Certes, vous avez augmenté le budget de la justice pour cette année, mais est-ce suffisant ? La hausse de 260 millions d'euros est-elle suffisante, alors que nous parvenons à trouver des milliards pour compenser la suppression des impôts locaux ?
Par ailleurs, j'appelle votre attention sur la dématérialisation des procédures judiciaires. Attention à ne pas aller trop loin en la matière, cela pourrait déshumaniser la justice !
Enfin, permettez-moi d'avoir une pensée pour les agents de notre administration carcérale, qui tâchent de survivre avec le peu de moyens que nous leur accordons.
Madame la garde des sceaux, que comptez-vous faire pour renforcer notre justice et lui donner les moyens de s'exercer dans de bonnes conditions ?
Vous avez, monsieur le député, évoqué le XVIe siècle et Bodin, qui a formulé à l'époque les grandes lois de la République et posé les notions de souveraineté et de principe régalien. La justice est en effet un atout de notre démocratie, un atout de confiance pour les concitoyens ; je partage votre analyse sur ce point.
À cette fin, dites-vous, la justice doit être respectée. J'en suis d'accord. Pour être respectée, elle doit être rendue avec efficacité, transparence et rapidité. Tels sont, très simplement et très pragmatiquement, les aspects de notre justice que je souhaite améliorer, au bénéfice des justiciables.
Vous faites état des chiffres européens et d'un classement qui nous serait très défavorable. Ces chiffres, je ne les conteste pas ; j'observe simplement qu'ils ont été singulièrement améliorés cette année. Nous sommes désormais au quatorzième rang des pays de l'Union européenne sur vingt-huit, consacrant 75 euros par habitant au financement de notre justice, ce qui témoigne d'une pente tout à fait favorable dans le classement européen auquel vous avez fait allusion.
Vous avez également évoqué la nécessité de ne pas déshumaniser la justice. Je partage pleinement votre opinion. Quand je parle de la nécessité de numériser la justice, c'est-à-dire de faire face aux exigences auxquelles nous devons répondre concrètement, je rappelle également que cette évolution devra être accompagnée par des personnes qui, dans chaque service d'accueil unique du justiciable, renseigneront nos concitoyens les plus démunis, qui n'ont pas accès à internet ou ne comprennent pas la numérisation des procédures. Ils trouveront des gens pour leur répondre. C'est là un enjeu majeur de l'accès des citoyens au droit.
Madame la garde des sceaux, les pistes de réflexion explorées par les « chantiers de la justice » dont vous avez pris l'initiative envisagent une réforme de la carte judiciaire prévoyant notamment une départementalisation des tribunaux de grande instance. Nous apprenons qu'un avant-projet de loi pourrait être dévoilé dans les jours prochains, alors même que tous les acteurs concernés souhaitent que cette réforme s'inscrive dans le cadre d'une concertation accrue.
Ce nouveau remaniement de notre carte judiciaire suivrait la règle d'un tribunal judiciaire par département, faisant des tribunaux de grande instance restant des juridictions de proximité. Il s'agit d'une véritable cure d'amaigrissement judiciaire qui ne dit pas son nom, alors même qu'il faut, plus que jamais, recentrer l'action de l'État dans notre pays sur ses missions régaliennes !
Outre les aspects quantitatifs, l'enjeu de la répartition des juridictions sur le territoire est indissociable de celui de l'égalité d'accès des citoyens à une justice de qualité. Ainsi, une réforme de la carte judiciaire doit être menée dans l'intérêt du justiciable et s'inspirer de deux principes : la qualité de la justice et la réalité du territoire.
L'enjeu du maillage territorial est donc majeur. À titre d'exemple, la réforme que vous envisagez entraînerait, dans mon département des Alpes-Maritimes, un déséquilibre territorial ainsi que des modifications structurelles et administratives importantes. En particulier, le tribunal de grande instance de Grasse perdrait son autonomie vis-à-vis du tribunal de Nice, alors que les deux juridictions sont comparables en termes d'activité, d'effectifs et de bassin de population.
Cet exemple démontre bien que le schéma d'organisation que vous présentez ne satisfait pas aux exigences de qualité de la justice et de prise en compte des spécificités territoriales. Il suscite, en outre, l'inquiétude des élus et de nombreux acteurs du monde judiciaire, qui redoutent un regroupement des juridictions et la mutualisation de moyens déjà largement insuffisants.
Madame la garde des sceaux, face à l'inquiétude exprimée par les acteurs du monde judiciaire, qui s'amplifie au fil des jours, envisagez-vous de reporter purement et simplement la réforme afin de ménager le temps d'une concertation meilleure et plus large ? Par ailleurs, pouvez-vous nous apporter des précisions sur l'avenir du tribunal de grande instance de Grasse ?
À vingt et une heures quarante-cinq, M. Sylvain Waserman remplace M. Marc Le Fur au fauteuil de la présidence.
Votre question me semble quelque peu contradictoire, monsieur le député : tout en me demandant de reporter la réforme, vous me demandez ce que deviendra le tribunal de grande instance de Grasse ! Je répondrai néanmoins aux deux questions, en évoquant à nouveau la méthodologie.
Je réaffirme devant vous, mesdames, messieurs les députés, que les rapports susmentionnés, dont celui rédigé par M. Houillon et M. Raimbourg, sont issus d'une consultation. Ils comportent des propositions, rien d'autre.
Les décisions seront prises dans quelque temps, à l'issue de la première phase de concertation, qui sera suivie d'une deuxième phase relative à l'adaptation du réseau de juridictions. Rien ne sera décidé sans qu'une concertation ait été engagée, rassemblant, dans chaque territoire, tous les partenaires concernés, tant les élus que les présidents des juridictions et les préfets. Il importe de le rappeler.
Enfin, si j'ai bien lu le rapport Houillon-Raimbourg, je vous fais observer, monsieur le député, qu'il propose certes la transformation éventuelle de certains tribunaux de grande instance en tribunaux judiciaires, mais qu'il précise également qu'un département pourra compter un, voire deux ou même trois tribunaux judiciaires si la démographie et les données économiques le justifient. Sur cette base, je dessinerai une première architecture que nous soumettrons ensuite à concertation locale, afin de déterminer très précisément comment la mettre en place.
Je tiens, madame la garde des sceaux, à évoquer la visite que j'ai effectuée, au début du mois de janvier, quelque huit jours avant la gronde des gardiens, au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède, établissement que vous connaissez pour y être venue au mois d'août dernier. À la suite de cette visite, je vous ai écrit une lettre récapitulant les problèmes que j'y avais observés. Nous débattons et débattrons encore de certains d'entre eux au sein de la commission des lois, qu'il s'agisse de la surpopulation carcérale ou de problèmes liés à la psychiatrie ou au djihadisme.
Ma question, ce soir, porte plus précisément sur la formation. Quelle a été ma surprise de constater que les ateliers de cet établissement étaient à l'arrêt et les formations professionnelles suspendues, ainsi que les contrats aidés. Les responsables m'ont expliqué que, du fait de la décentralisation, la formation avait été transférée de l'État à la région – je l'ignorais et l'ai appris à cette occasion – et que les modalités de ce transfert avaient pris du retard. En conséquence, l'ensemble des activités avaient été suspendues dans la région et probablement dans d'autres régions.
Qu'il n'y ait pas de méprise, je me préoccupe non pas tant du confort des prisonniers que de leur réinsertion, pour éviter les récidives après leur libération. Je peux comprendre les difficultés posées par un tel transfert de compétence, toutefois le service public doit être assuré sous le contrôle et sous la responsabilité de l'État, qui dispose de pouvoirs en la matière.
Madame la garde des sceaux, que comptez-vous faire pour finaliser ce dossier de décentralisation ? Quand les détenus concernés reprendront-ils leurs activités ?
Monsieur le député, le suivi du parcours des détenus sera un axe important du chantier de la justice relatif au sens et à l'efficacité de la peine. C'est une chose de prononcer des peines adaptées et qui sont mises rapidement à exécution, c'en est une autre de suivre le parcours du détenu, de disposer des personnels à cette fin et, dans le cadre de ce parcours, d'engager des actions qui favorisent la réinsertion des personnes détenues.
Le transfert aux régions de la formation professionnelle a parfois provoqué des balbutiements dans certaines d'entre elles, notamment dans celle que vous avez évoquée. Alors même qu'au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède, il existe des installations de formation professionnelle tout à fait remarquables, notamment en boulangerie ou dans le domaine du bâtiment, elles étaient à l'arrêt lorsque j'ai visité le centre, parce que nous n'étions pas certains que la région prolonge son investissement en la matière.
Je crois savoir, d'après plusieurs interlocuteurs, que le président de la région s'est engagé à financer ces formations professionnelles. En 2016, 19 000 détenus ont pu bénéficier de près de 2 millions d'heures de formation professionnelle. C'est, de mon point de vue, d'ailleurs, insuffisant. Nous devons développer davantage encore la formation professionnelle, le travail et les activités des détenus, car ce sont des éléments essentiels de leur réinsertion, éléments qui font partie des chantiers auxquels je souhaite m'atteler.
Madame la garde des sceaux, la réforme de la carte judiciaire inquiète. J'ai pris bonne note de vos propos sur les tribunaux d'instance : ils ne semblent plus poser de problème. Il n'en est pas de même, en revanche, des tribunaux de grande instance, puisque la tendance serait à un seul tribunal par département. Or, dans de nombreux départements, il en existe à l'heure actuelle entre deux et quatre. Dans chacun des départements bretons, il y a deux tribunaux de grande instance.
L'autre problème qui demeure est celui des cours d'appel. Nous sommes très inquiets parce que le rapport que vous avez commandé prévoit explicitement de mettre en adéquation la carte des ressorts des cours d'appel avec celle des nouvelles régions. Une telle mesure poserait un problème de fond, car, à l'heure actuelle, aucun ressort de cour d'appel ne correspond à une région. De nouvelles régions ont trois, voire quatre cours d'appel, tandis qu'un grand nombre de cours d'appel sont à cheval sur plusieurs régions. Tel est le cas des cours d'appel de Rennes, de Poitiers, de Pau, d'Angers, de Nîmes, de Grenoble, de Dijon, de Bourges ou de Versailles.
Que se passera-t-il pour ces cours d'appel ? Je prends l'exemple de la Bretagne : quarante et un parlementaires, ce qui n'est pas rien, ont appelé votre attention sur cette question, madame la garde des sceaux. Actuellement le ressort de la cour d'appel de Rennes correspond exactement à la Bretagne historique, qui recouvre cinq départements, la Loire-Atlantique représentant 40 % de l'activité de la cour d'appel de Rennes. Remettre en cause l'organisation actuelle serait remettre en cause une histoire – cette cour d'appel est située au sein du Parlement de Bretagne, ce qui n'est pas sans signification – et tout un écosystème : la faculté de Rennes, qui a la réputation que chacun connaît, s'est développée autour de la cour d'appel.
Rassurez, et vite, madame la garde des sceaux, plutôt que de susciter des inquiétudes !
Monsieur le député, je vais vous rassurer, puisque, je le répète, notre seule préoccupation est le justiciable dans la conduite de politiques publiques cohérentes. La politique pénale fait partie des politiques publiques que nous souhaitons rendre cohérentes avec les autres politiques dans lesquelles elle doit s'insérer.
Lorsque nous conduisons des politiques de la ville ou de reconquête républicaine des quartiers, dans certains départements, il me semble très important qu'un procureur soit corrélé très précisément à ces politiques. C'est souvent par le biais d'une chaîne pénale puissante et d'un parquet renforcé que nous agirons dans le cadre de la réforme que je souhaite porter avec vous.
Pour vous répondre plus précisément, le tribunal judiciaire est effectivement le nouveau nom que M. Raimbourg et M. Houillon proposent dans leur rapport à la place du tribunal de grande instance. Comme je l'ai déjà souligné dans une réponse précédente, nulle part dans ce rapport il n'est précisé qu'il n'y aurait nécessairement qu'un seul tribunal judiciaire par département. On peut imaginer, en travaillant au plan local et en prenant en compte les caractères démographiques et économiques des territoires, qu'un département ait non pas un mais deux ou trois tribunaux judiciaires.
L'harmonisation, quant à elle, du ressort des cours d'appel avec les nouvelles régions administratives est effectivement une proposition du rapport Raimbourg-Houillon. À l'heure où je vous parle, rien n'est tranché. Nous sommes très attentifs à la singularité des territoires. Les décisions, je le répète, seront prises en concertation avec leurs élus.
À vingt et une heures cinquante-cinq, M. Marc Le Fur remplace M. Sylvain Waserman au fauteuil de la présidence.
Très récemment, nous avons assisté au conflit douloureux des surveillants de prison, à la révolte, voire à la jacquerie qu'ils ont dû mener pour faire entendre leur voix et faire prendre en compte leurs difficultés et leurs souffrances quotidiennes.
Leurs difficultés quotidiennes, nous les connaissons, vous et moi : ce sont la surpopulation carcérale, les violences, le manque de personnel et la vétusté des prisons. C'est dans un climat d'extrême tension que, tous les jours, ces hommes et ces femmes accomplissent leur devoir. Pour sortir de cette crise sans précédent, vous avez pris, madame la garde des sceaux, des mesures, notamment en vue d'assurer, face au phénomène de radicalisation de certains détenus, la sécurité des surveillants qui exercent un métier qui mérite toute notre considération.
Vous avez dit vouloir recruter. Or nous savons que les places mises au concours ne trouvent pas preneur, pour une raison très simple : si les candidats à l'administration pénitentiaire se font rares, c'est parce que les surveillants sont mal rémunérés et sont méprisés. C'est une raison à la fois nécessaire et suffisante, madame la garde des sceaux, pour que vous envisagiez, dans un avenir proche, de revaloriser la fonction de surveillant et la rendre plus attractive.
Cette revalorisation passe également par une meilleure formation des surveillants, en matière notamment de radicalisation. Eux, qui sont au contact permanent des détenus, sont les mieux placés pour détecter les symptômes de la radicalisation. Leur formation doit se rapprocher de celle qui est dispensée dans les services de renseignements.
J'ai deux propositions à vous faire, l'une coercitive, l'autre plus libérale : pourriez-vous envisager de rétablir, d'une part, les peines planchers, d'autre part, les travaux d'intérêt général, notamment pour les courtes peines ?
Monsieur le député, vous avez posé plusieurs questions, dont les objets sont très différents.
Vous avez raison de souligner la difficile attractivité du métier de surveillant pénitentiaire. Nous en étions déjà conscients bien avant le récent mouvement social. Cette difficulté est également liée à la situation générale des prisons, notamment à la surpopulation, que vous avez soulignée, qui peut atteindre, dans certains établissements, 200 %. Cette situation n'est pas nouvelle : je n'en fais grief à personne, je me contente de le remarquer.
Les mesures visant à renforcer l'attractivité de la profession, que nous avons prises dans le protocole d'accord qui a été signé par l'organisation syndicale majoritaire, ne sont pas négligeables. Je pense notamment à une revalorisation indemnitaire puissante, …
… à laquelle est consacrée une enveloppe de 32 millions d'euros. L'indemnité pour charge pénitentiaire passe de 1 000 euros à 1 400 euros par an et celle qui est versée pour les dimanches et les jours fériés passe de 26 à 36 euros. La prime de sujétion spéciale est, pour la première fois, revalorisée au niveau de celle des gardiens de la paix, sans oublier la création d'une indemnité de fidélisation des surveillants restant dans le même établissement.
Toutes ces mesures ne sont pas négligeables, je le répète, mais elles ne seront pas suffisantes.
C'est pourquoi la direction de l'administration pénitentiaire travaille à la construction de carrières attractives en termes de concours ou d'ouverture à de nouvelles carrières.
Je suis, enfin, opposée aux peines planchers parce que je préfère la sanction de la peine initiale à celle de la récidive.
Nous en venons aux questions du groupe du Mouvement démocrate et apparentés.
La parole est à M. Sylvain Waserman.
Madame la garde des sceaux, le personnel des prisons françaises a, ces dernières semaines, marqué sa colère, voire son désespoir. Bruno Studer et moi-même nous trouvions à la prison de l'Elsau, à Strasbourg, le jour de la dépose des clés. Nous avons eu un long échange, de plus de deux heures trente, avec les syndicats et la direction. J'ai pu me rendre compte à quel point les procédures administratives et les contraintes procédurales font l'objet de vives critiques, en raison de leur lourdeur, de leur difficulté de mise en oeuvre et de l'insécurité qu'elles peuvent engendrer.
Ces critiques sont les mêmes que celles que j'ai entendues lorsque j'ai rencontré les forces de police, leurs syndicats et, notamment, des représentants de la Direction centrale de la sécurité publique. Ces mêmes contraintes procédurales, en cas d'interpellation, font perdre du temps et de l'efficacité, à leurs yeux de manière disproportionnée.
Je ne suis pas un expert, mais j'ai pu, par l'exemple, à de nombreuses reprises, constater la problématique qui est liée aux contraintes administratives de la procédure opérationnelle.
Madame la garde des sceaux, plutôt que d'injecter des ressources administratives qui ne seront jamais suffisantes et que nous n'avons peut-être pas, la solution ne consiste-t-elle pas dans une simplification drastique de certaines de ces procédures, évidemment dans le respect raisonnable des droits du prévenu ou du détenu ? Ce qui impliquerait auparavant d'analyser minutieusement ces procédures, notamment de les étudier dans le cadre d'une comptabilité analytique des charges qu'elles induisent en termes d'équivalent temps plein.
Ne pourrait-on pas s'inspirer également des pratiques de certains pays européens qui ont créé de véritables circuits courts entre les policiers et les magistrats, afin de faciliter des décisions rapides, parfois même dans le cadre de procédures partiellement orales ou s'appuyant sur des technologies numériques ?
Bref, ne faut-il pas conduire un véritable exercice de lean management, comme on dirait dans certaines organisations, de refonte opérationnelle, avec des experts des processus, dans le but de gagner du temps, de l'efficacité et de la sécurité dans le quotidien de la police et de la justice ?
Monsieur le député, merci pour votre question qui me donne l'occasion de préciser deux éléments.
Vous avez dit à quel point la procédure pénale est complexe et souvent peu lisible. Je suis tout à fait d'accord avec vous. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les rapporteurs ayant travaillé sur ce sujet dans le cadre des « chantiers de la justice » proposent une refonte du code de procédure pénale ; c'est une suggestion que j'aimerais suivre si vous décidez aussi d'aller dans ce sens.
Très concrètement et très immédiatement, nous avons travaillé avec le ministère de l'intérieur pour simplifier la procédure pénale durant toute la phase de l'enquête, celle à laquelle vous faites précisément allusion. Nous avons également réfléchi à la simplification de la procédure dans la phase judiciaire, mais sur ce sujet, les services du ministère de la justice ont travaillé seuls.
S'agissant de la phase de l'enquête, donc, nous avons beaucoup travaillé avec les personnels du ministère de l'intérieur pour aboutir à des processus beaucoup plus simples, que je ne vais pas énumérer ici parce qu'ils sont assez techniques et assez nombreux. Ces changements permettent de déverrouiller certaines pratiques pour les rendre beaucoup plus fluides entre les enquêteurs et les magistrats, tout en respectant nos exigences constitutionnelles et conventionnelles en matière de respect des droits de l'homme, ce qui est pour moi tout à fait essentiel.
Nous permettrons ainsi à chacun des acteurs de se recentrer sur son coeur de métier – les enquêteurs sur leur travail d'enquête, et les magistrats du parquet sur leur travail de contrôle de l'enquête. Par ailleurs, nous faciliterons les choses pour le justiciable, ce qui est également tout à fait essentiel, d'autant que nous souhaitons constituer un dossier numérique unique qui ira de la plainte jusqu'au jugement – je ne donne pas plus de précisions sur ce point, car je n'en ai pas le temps.
Madame la garde des sceaux, le 19 décembre dernier, j'appelais votre attention sur la problématique de la surpopulation carcérale et ses effets sur les détenus et les personnels pénitentiaires. Nous avons malheureusement pu constater que la crise que vous avez subie au mois de janvier était assez aiguë.
Aujourd'hui, je souhaite revenir sur une question qui concerne non pas le quotidien à l'intérieur des établissements pénitentiaires, mais la vie des personnels en dehors de leurs établissements. Lorsque j'ai visité la maison d'arrêt de Nanterre, le 8 décembre dernier, j'ai pu constater que l'une des principales difficultés éprouvées par les agents était la quête d'un logement, notamment en région parisienne. La plupart d'entre eux sont affectés dans des établissements situés assez loin de leur lieu de résidence ; pour reprendre l'exemple de la maison d'arrêt de Nanterre, j'ai appris qu'une grande partie des effectifs venait d'outre-mer. Vous comprendrez donc aisément le problème auquel ils se trouvent confrontés. À cette première difficulté s'ajoute l'importante pénurie de logements que connaît notre région.
Ma question porte sur les solutions qui pourraient être apportées à ces problèmes. Alors que le projet de loi pour l'évolution du logement et l'aménagement numérique – la loi ÉLAN – sera présenté en conseil des ministres prochainement, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il pour faciliter l'accès au logement des agents publics en général et des surveillants pénitentiaires en particulier ? Pourrait-on envisager de conclure une convention avec les offices HLM dont le parc est situé à proximité des établissements pénitentiaires pour permettre aux agents d'obtenir prioritairement des logements sociaux, notamment dans les départements franciliens ?
Madame la députée, vous posez une question tout à fait essentielle pour l'attractivité du métier de surveillant pénitentiaire. Vous avez parfaitement relevé qu'un grand nombre de surveillants travaillent en région parisienne, qu'ils viennent parfois de très loin et que la question du logement est très importante pour eux.
Aujourd'hui, nous disposons de quatre types de solutions pour les accueillir.
Nous pouvons d'abord faire appel au parc domanial situé au sein ou aux abords de certains établissements pénitentiaires, notamment en région parisienne. C'est le cas du centre pénitentiaire de Fresnes, par exemple, qui dispose de possibilités de logement. Cependant, cette offre est évidemment constituée d'appartements souvent anciens et inadaptés aux besoins des familles d'aujourd'hui ; elle présente un coût d'entretien élevé et s'avère clairement insuffisante.
Nous disposons également, comme vous le suggérez, d'un parc de logements HLM, qui relève d'une gestion déconcentrée au niveau des établissements. Dans ce cadre, il existe une offre de 1 300 logements constituée d'appartements et d'hébergements en foyer ou résidence. Je retiens votre suggestion, nous pourrions évoluer dans ce domaine.
Nous avons également un parc de logements « justice », géré par le secrétariat général de notre ministère et constitué de plus de 1 700 logements.
Enfin, des solutions d'hébergement provisoire sont offertes par la Fondation d'Aguesseau, qui est liée au ministère de la justice et propose plus de 200 logements.
Cette offre n'est clairement pas suffisante, notamment en région parisienne ; nous devons donc faire un effort tout à fait singulier dans ce domaine. C'est la raison pour laquelle le budget social du ministère de la justice a été augmenté de plus de 7 % en 2018.
Nous avons parfaitement conscience que le problème du logement constitue un handicap majeur pour les personnels qui viennent travailler dans nos établissements pénitentiaires, notamment dans la région Île-de-France. Je retiens, madame la députée, votre suggestion d'un conventionnement peut-être un peu plus pointu avec les sociétés HLM.
Madame la garde des sceaux, nous avons bien compris que rien n'était décidé pour l'instant, mais permettez-moi de vous faire part de l'inquiétude des praticiens du ressort du tribunal de grande instance de Draguignan et d'essayer d'en plaider le maintien.
Historiquement, le TGI de Draguignan abrite la cour d'assises du Var. Cette attribution a été décidée en 1974, lorsque l'État a transféré la préfecture du Var de Draguignan à Toulon : parole avait alors été donnée que cette place forte de justice resterait indemne.
Par ailleurs, le TGI de Draguignan a une activité deux fois supérieure à celle de son voisin de Toulon. Nous sommes ici un certain nombre à savoir que les courbes du chômage et de la délinquance sont presque soeurs jumelles. Rien d'étonnant à ce que cette ville, fortement touchée par le chômage, connaisse une activité judiciaire soutenue !
Je souhaite étayer ma défense du maintien du TGI de Draguignan avec un troisième argument : vos services, madame la garde des sceaux, sont à la recherche d'un deuxième site d'implantation d'une nouvelle prison dans l'arrondissement et le ressort du tribunal de grande instance de Draguignan. La ville de Fréjus, dont je suis élu, fait partie des choix envisagés. Il est d'ailleurs ironique que le Front national, qui est absent ce soir et qui demande toujours la construction de nouvelles prisons, refuse que cette prison soit implantée à Fréjus. Pour ma part, je défends cette option. Avec deux prisons présentes à moins de vingt kilomètres du tribunal, il serait surprenant pour tout le monde d'apprendre le transfert du TGI à Toulon, à Grasse ou je ne sais où !
S'il vous plaît, madame la garde des sceaux, essayez de nous rassurer en nous disant que le TGI de Draguignan sera bien maintenu tel qu'il est !
Monsieur le député, ce qui doit nous rassurer, vous et moi, c'est que nous avons conscience de travailler, les uns et les autres, au service du justiciable. Dans ce souci, je le répète, nous devons préserver la proximité de la justice et donc les tribunaux d'instance ; quel que soit le nom qu'ils porteront dans le futur, ils devront garder leurs compétences pour les petits litiges du quotidien.
Ce qui doit nous rassurer, c'est l'efficacité de la justice. En tout lieu de notre territoire, là où il y a aujourd'hui des tribunaux, l'oeuvre de justice doit continuer à exister – et c'est bien ce qui se passera dans tous les points de nos territoires où il y a des tribunaux.
Ce qui doit nous rassurer, c'est que nous aurons une chaîne pénale puissante. En effet, un parquet éclaté ou trop petit ne permet pas de répondre de manière satisfaisante aux besoins de nos concitoyens, que ce soit en matière de gestion du contentieux pénal ou d'accompagnement des politiques publiques.
Ces principes nous conduisent à retravailler un peu notre organisation, mais cela ne signifie pas, monsieur le député, qu'à Draguignan ou à Toulon, nous trouverons des solutions très différentes de ce qui existe aujourd'hui. Je l'ai dit tout à l'heure et je le répète devant vous : là où ce sera nécessaire, nous maintiendrons un, deux ou trois tribunaux judiciaires ou tribunaux de grande instance – peu importe le nom qui leur sera donné – par département. Je crois que c'est cela qu'il nous faut garder à l'esprit. Quand, dans certains départements, le tribunal ne fonctionnera plus exactement de la même manière qu'aujourd'hui, soyez sûr, monsieur le député, que le contentieux civil et le contentieux pénal de proximité continueront à être jugés. Voilà ce qui est important ! C'est cela qui nous réunira et qui pourra nous redonner confiance.
Vous le faites exprès, monsieur Di Filippo !
Nous poursuivons avec les questions du groupe UDI, Agir et indépendants.
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Madame la garde des sceaux, comme beaucoup de mes collègues, j'ai visité la prison de ma circonscription et j'en suis revenue avec de très nombreuses interrogations. La prison du Havre, qui se situe dans la commune de Saint-Aubin-Routot, est de construction récente. Contrairement à d'autres établissements, elle ne connaît pas de surpopulation carcérale – en tout cas, pas encore !
J'ai pu constater l'implication forte de la direction et des personnels, qui ne parviennent malheureusement pas à faire face en raison du manque de personnel récurrent, et ce depuis l'ouverture du centre pénitentiaire.
Les heures supplémentaires ne résolvent pas tout. Le personnel évoque un sentiment d'insécurité corroboré par diverses menaces ou agressions, dont la dernière en date, il y a quelques semaines, a conduit à l'hospitalisation de deux agents après une agression lors de la distribution des repas.
Quelles mesures comptez-vous prendre pour favoriser le recrutement de gardiens, les former, les rémunérer dignement et les accompagner ?
Dans notre pays, le manque cruel de places de prison est doublement désastreux : pour la dignité des détenus, d'une part, et pour l'effet délétère qu'il entraîne sur le débat sur la peine, d'autre part.
Les promesses passées sur les plans de construction de places de prison n'ayant pas toujours été suivies d'effet, comment comptez-vous rassurer les Français en ce domaine ? Quels moyens allez-vous y consacrer ?
Au-delà, un grand pays démocratique ne peut se contenter de bâtir de nouvelles places de prison ; il doit aussi repenser les modalités des peines, qui doivent s'adapter à notre société. Des expériences ont été tentées au Canada, en Allemagne ou dans les pays scandinaves, notamment au Danemark où certains de mes collègues ont pu se rendre début février et qui pourrait utilement nous inspirer.
Madame la garde des sceaux, le phénomène de radicalisation touche malheureusement toutes les prisons françaises : il n'épargne pas la prison du Havre. Face à ce phénomène, la pratique du regroupement, qui conduit à rassembler des personnes aux niveaux d'ancrage très disparates dans la radicalisation, a été épinglée par le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Les comportements identitaires risquent de s'accroître et nous devons imaginer des solutions, probablement multiples, en fonction du degré d'ancrage dans la radicalisation. Quelles sont les solutions proposées par le Gouvernement ?
Sourires.
Madame la députée, contrairement à ce qu'a dit l'un de vos collègues tout à l'heure, je n'ai pas subi la crise que les établissements pénitentiaires ont traversée il y a quelque temps : je l'ai gérée. Ce n'est pas tout à fait pareil ! Cette crise a effectivement témoigné de la triple problématique que vous avez évoquée.
D'abord, une problématique de sécurité. La première demande des surveillants des établissements pénitentiaires était que soit garantie leur sécurité. En la matière, nous avons pris non seulement des mesures très concrètes liées à leurs équipements et aux procédures d'accompagnement des détenus dans certaines circonstances – les surveillants sont désormais mieux équipés ou en tout cas mieux protégés – , mais aussi des décisions concernant les détenus qui sont terroristes islamistes ou radicalisés.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, 1 700 détenus environ sont concernés : 500 terroristes islamistes et 1 200 personnes radicalisées. Pour ces détenus, nous procédons de deux manières. Dans un premier temps, nous évaluons leur degré de dangerosité. Ensuite, en fonction de ce degré de dangerosité, ils sont placés, soit à l'isolement, soit dans des quartiers pour détenus violents – quartiers que nous avons pris l'engagement de rendre étanches pour éviter tout risque de prosélytisme – , soit, pour ceux dont la dangerosité est faible, en détention ordinaire, certains pouvant faire l'objet d'un suivi particulier.
Les deux autres problématiques concernaient les surveillants pénitentiaires eux-mêmes : il s'agissait, d'une part, d'accroître l'attractivité de cette profession à travers une majoration de l'indemnisation et, d'autre part, de renforcer leur autorité dans l'exercice de leurs fonctions et le rôle qu'ils ont à jouer au coeur de l'établissement pénitentiaire, en lien avec les autres personnels.
Sur ces trois chapitres nous avons essayé d'évoluer.
Ma question portera sur un sujet un peu différent : la réforme de la procédure pénale. Il est vrai que tous les sujets évoqués sont très liés les uns aux autres, mais la réforme de la procédure pénale est un axe particulièrement important.
La réforme concerne de nombreux acteurs, à commencer bien sûr par les victimes, à qui on doit justice et information durant la procédure, ou encore les justiciables, dont on doit garantir les droits, mais elle intéresse surtout ces deux catégories d'acteurs essentiels de la procédure pénale que sont les enquêteurs et les juges.
Les enquêteurs que nous rencontrons se plaignent de très grandes lourdeurs administratives, pendant les auditions, les gardes à vue – le renforcement de la présence de l'avocat, même si c'est une très bonne chose, a modifié considérablement le travail des enquêteurs, ce dont on doit tenir compte – et les procédures. S'agissant d'un mineur, par exemple, même si toute la procédure est enregistrée, l'enquêteur doit quand même tout relater dans le procès-verbal, ce qui prend un temps fou. Les technologies modernes devraient permettre de simplifier tout cela.
Quant aux juges, du fait des textes qui se sont empilés au fil des temps, rendant la procédure toujours plus complexe, ils ont de plus en plus de travail et dans des conditions de plus en plus difficiles.
La réforme de la procédure pénale est donc une réforme essentielle. Elle devra simplifier les conditions de travail des enquêteurs et leur donner des moyens techniques et technologiques importants – il est vrai que cela concerne davantage votre collègue de l'intérieur. Les juges devront également disposer de moyens, notamment informatiques, permettant de simplifier les procédures, dans le respect des victimes – auxquelles, je le disais, on doit la justice – et des justiciables, lesquels ont droit à une procédure efficace et conduite dans des délais aussi courts que possible.
Je le disais tout à l'heure : la simplification de la procédure pénale est l'un de nos chantiers. Nous y avons beaucoup travaillé et nous prendrons des mesures qui, sans refonder le code de procédure pénale, sont réellement pragmatiques et destinées à simplifier l'action des divers personnels intervenant dans cette procédure, qu'il s'agisse des enquêteurs ou des magistrats.
Nous mettrons ainsi fin à certaines formalités surabondantes ou inutiles, notamment à tout un ensemble d'autorisations prévues dans certaines circonstances. Nous développerons de nouvelles prérogatives pour les officiers de police judiciaire, …
… dans une logique de plus grande confiance.
Nous faciliterons le jugement des affaires et raccourcirons les délais, au bénéfice du justiciable.
Cet ensemble de mesures nous permettra de simplifier une procédure extrêmement complexe. Cette première étape très pragmatique ne nous empêchera pas de travailler plus longuement à repenser et réécrire le code de procédure pénale, au moins dans le cadre d'une opération de codification, pour le rendre plus lisible et plus clair pour l'ensemble des personnels qui s'en servent.
Voilà notre ambition : pragmatique à très court terme, de réécriture du code de procédure pénale à moyen terme.
Nous en venons aux questions du groupe Nouvelle Gauche.
La parole est à Mme Cécile Untermaier.
Ma question porte sur la surpopulation carcérale et sur les moyens qui doivent être rapidement mis en oeuvre pour en limiter l'aggravation et les effets dévastateurs pour l'ensemble du monde pénitentiaire et pour les détenus. Il y a urgence : en Rhône-Alpes-Auvergne, un centre de détention inauguré récemment et permettant un encellulement individuel affichait complet quelques mois après la fin des travaux. Depuis lors, la direction de l'établissement commande des lits supplémentaires qui trouveront leur place dans des cellules de 8 mètres carrés.
La construction de nouvelles prisons ne nous exonère donc pas de la nécessité de gérer le flux des entrants et des sortants, dans une approche raisonnée du sens de la peine. On évoque de plus en plus la libération sous contrainte aux deux tiers de la peine, sauf avis contraire du juge. Cette solution a été défendue dernièrement devant nous par Dominique Raimbourg, l'un des deux référents du rapport sur le quatrième chantier, relatif à l'adaptation du réseau des juridictions.
Par ailleurs, nous avons toujours dénoncé les sorties sèches, qui sont vouées à l'échec. Enfin, dernièrement, la direction du centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand me disait sa très grande difficulté à mobiliser les détenus autour d'un programme de formation qualifiante, alors même que de nombreuses propositions utiles leur sont régulièrement faites, en lien avec la région, qui s'engage dans cette voie.
Que pensez-vous, madame la garde des sceaux, de la généralisation d'un tel dispositif de libération sous contrainte aux deux tiers de la peine, à condition d'avoir satisfait à une obligation de formation qualifiante ? Cette même condition pourrait être systématisée, sauf formation déjà acquise, pour toute sortie anticipée.
Vous avez raison, madame la députée : la surpopulation carcérale est une véritable difficulté, et même une forme d'indécence pour l'État. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons y porter remède, en commençant par créer 15 000 places de prison supplémentaires – conformément à la proposition du Président de la République.
Toutefois, cela ne sera pas suffisant. C'est la raison pour laquelle je souhaite que nous ayons une politique pénale ambitieuse. L'objectif est que soient prononcées des peines réellement adaptées à la personne que les magistrats ont devant eux : placement sous bracelet électronique, travail d'intérêt général – il en a été question tout à l'heure – , ou encore sursis avec mise à l'épreuve. Cela suppose notamment de pouvoir réaliser très tôt une enquête de personnalité.
Peut-être devrons-nous avoir également le courage de considérer que certaines peines d'emprisonnement ferme se révèlent inefficaces ou inadaptées, soit parce qu'elles sont trop courtes – moins d'un mois parfois – soit parce qu'elles ne s'accompagnent d'aucun suivi des détenus. À cet égard, nous devons veiller à éviter les sorties sèches, dont on sait qu'elles sont susceptibles de favoriser la récidive. De ce point de vue, le rapport Cotte-Minkowski contient des propositions très intéressantes.
Il m'a été proposé de systématiser la libération sous contrainte aux deux tiers de l'exécution des peines inférieures ou égales à cinq ans d'emprisonnement, sauf décision spécialement motivée du juge d'application des peines. Cela permettrait d'améliorer le dispositif prévu par la loi du 15 août 2014. La libération sous contrainte serait ainsi accordée de plein droit au condamné par le juge, qui déterminera, après avis de la commission d'application des peines, les mesures d'aménagement les plus adaptées. Cette mesure me semble de nature à prévenir la récidive.
J'associe à ma question l'ensemble de mes collègues parlementaires auvergnats, qui sont tous mobilisés s'agissant de la modification de la carte judiciaire.
Le 15 janvier, MM. Raimbourg et Houillon vous ont remis leur rapport sur l'adaptation de la carte judiciaire. Ils proposent clairement de reconfigurer le réseau des juridictions d'appel, en limitant le nombre des cours d'appel de plein exercice à une par région administrative, soit treize – sauf exception. Elles prendraient le nom de « cour d'appel régionale », les autres devenant des antennes locales, dénommées « cour d'appel territoriale ». Celles-ci n'auraient pas l'ensemble des attributions juridictionnelles, pas plus que l'autonomie de gestion administrative.
Comme vous le savez, le ressort de la cour d'appel de Riom épouse exactement les contours de la région Auvergne – sans chevauchement – , quatre départements pour plus de 1,3 million d'habitants, répondant ainsi à un véritable besoin d'équilibre territorial. Sa disparition programmée à travers sa relégation en cour d'appel territoriale aurait pour conséquence la création d'un vaste désert judiciaire entre Lyon et Bordeaux, un très grand éloignement des lieux de justice et donc une forte détérioration de l'accès au droit pour nos concitoyens.
De plus, la cour d'appel de Riom, au-delà de son caractère historique à bien des égards, connaît une activité juridictionnelle soutenue et efficace, avec des résultats très satisfaisants – par exemple des délais de traitement inférieurs à la moyenne nationale. Les magistrats du siège comme du parquet traitent en moyenne un nombre de dossiers bien supérieur à la moyenne nationale.
Au vu de ces éléments et des nombreux arguments objectifs que nous vous avons régulièrement transmis, Riom et l'Auvergne méritent, me semble-t-il, une cour d'appel régionale, et nous avons des propositions à vous faire pour renforcer encore davantage son activité, voire son ressort géographique, dans une perspective d'équilibre global de la carte judiciaire. Nous souhaitons être reçus pour vous exposer nos propositions. Ma collègue Bénédicte Peyrol vous a d'ailleurs demandé une audience en notre nom, madame la garde des sceaux. Ma question est donc simple : allez-vous entendre nos arguments objectifs et responsables ?
Ainsi que je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, madame la députée, il ne s'agit, à ce stade, que de propositions – en l'occurrence celles qui sont contenues dans le rapport Houillon-Raimbourg. Je rappelle ici que, contrairement à ce que j'ai entendu tout à l'heure dans la bouche de M. Di Filippo, qu'il n'y aura aucune fermeture, pas plus à Draguignan qu'à Riom ni où que ce soit.
Vous dites que le rapport Raimbourg-Houillon préconise une cour d'appel par région. Or il y est clairement expliqué qu'il pourra y avoir plusieurs cours d'appel dans certaines régions. C'est d'ailleurs ce à quoi je me suis engagée devant vous, madame la députée, puisque je vous ai déjà reçue, et je n'ai pas l'habitude de revenir sur ce que j'ai dit. Il y aura en Auvergne plusieurs cours d'appel, et celle de Riom sera maintenue avec ses compétences juridictionnelles.
Ce que nous essayons de faire, c'est d'organiser les choses pour qu'elles fonctionnent encore mieux. C'est l'un des points qui pourront être renvoyés à la concertation régionale, conformément à ce qui est proposé dans le rapport Raimbourg-Houillon. Nous disons simplement que, dans une région où toutes les cours d'appel seront maintenues, certaines pourraient exercer des compétences plus spécialisées que d'autres, et que ces compétences spécialisées pourraient être réparties entre les différentes cours d'appel.
Si je prends l'exemple des cours d'appel de Nouvelle Aquitaine, il me semble que la cour d'appel de Pau est mieux à même que celle de Limoges de traiter le contentieux des accidents de montagne et que la cour d'appel de Bordeaux sera mieux à même que celle de Limoges encore de traiter le contentieux maritime.
Tous ces points seront soumis à une concertation locale, même si le cadrage sera national, l'objectif étant d'améliorer le fonctionnement de la justice tout en assurant le maintien des différentes cours d'appel.
Nous en venons aux questions du groupe La France insoumise.
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
Madame la garde des sceaux, ministre de la justice, depuis plusieurs mois ont été lancées des consultations sur des chantiers de la justice, avec des objectifs affichés de simplification des procédures pénales et civiles, d'amélioration de la qualité, de lisibilité, d'accessibilité de la justice et d'efficacité des peines. Très bien !
Mais de « consultation », il n'y a que le nom : nombreuses sont les organisations professionnelles de magistrats et de fonctionnaires qui dénoncent l'agenda intenable et les conditions dégradées dans lesquelles la consultation a lieu, reprochant d'ailleurs le caractère simpliste et orienté des questionnaires adressés aux juridictions. Vous avez évoqué tout à l'heure le fait que les OPJ pourraient se voir confier de nouvelles missions : voilà un exemple de question orientée. La méthode n'a rien à envier à celle des instituts de sondage. Le processus est en réalité conduit à marche forcée – comme d'habitude – , et les propositions ne tiennent aucun compte de la réalité de la justice en France.
Alors que vous êtes une ministre dite « experte », vous avez réussi à vous mettre à dos les magistrats, les fonctionnaires des services judiciaires et les avocats, …
… lesquels, le 15 février dernier, se sont mobilisés de manière unitaire pour une justice de qualité.
On peut les comprendre, car la justice française est en piteux état. Avec votre gouvernement, la France se situe au vingt-troisième rang sur vingt-huit au sein de l'Union européenne pour son budget alloué à la justice : seulement 1,8 % du budget public annuel, soit moitié moins qu'en Allemagne – exemple cher à votre gouvernement.
Les conséquences de la sous-budgétisation sont dénoncées depuis longtemps et la clochardisation – comme il convient de l'appeler – de la justice française conduit à son dysfonctionnement voire, dans certains cas, à un déni de justice. En effet, les équipements informatiques sont indigents, les logiciels obsolètes ou inadaptés. Quant au budget de l'aide juridictionnelle, il est très insuffisant par rapport aux besoins de justice. En outre, le système survit grâce à la seule conscience professionnelle des personnels ; il faut le rappeler.
Avec les chantiers de la justice, vous n'avez visiblement pas la volonté d'améliorer ou de révolutionner – pour paraphraser le Président de la République – la situation. Ma question orientée – comme dans votre pseudo-consultation – est la suivante : madame la garde des sceaux, pouvez-vous nous confirmer que la réforme à venir vise, non pas à répondre au besoin de justice, mais à adapter la justice à la disette budgétaire que vous inflige votre collègue Darmanin ?
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Monsieur Bernalicis, je ne sais pas si je me suis mis à dos les professions du droit mais du moment que je ne me mets pas à dos les députés de La France insoumise, tout ira bien !
Sourires.
Vous évoquez une consultation simpliste, une consultation de façade, une pseudo-consultation. Dont acte : je vous laisse libre de penser ce que vous voulez. Je pourrais toutefois soumettre à votre regard acéré les centaines et centaines de remontées que nous avons eues ; ce sont plus de 200 consultations orales auxquelles MM. Houillon et Raimbourg se sont livrés ; ce sont plusieurs milliers de consultations qui nous sont parvenues sur le numérique – tout cela, me semble-t-il, ne relève pas de la pure consultation de façade. En tout cas, j'ai connu des consultations qui étaient plus de façade que celle à laquelle je me suis livrée.
Je ne crois pas, monsieur Bernalicis, que la justice française ait jamais été dans une situation de grande opulence. En revanche, et même si nous ne sommes pas le premier gouvernement à faire des efforts notables en faveur de la justice, je crois que nous remontons la pente par rapport à des périodes beaucoup plus difficiles.
Lorsque nous recrutons, comme c'est le cas cette année, plus de 148 magistrats supplémentaires, qui viendront s'ajouter aux magistrats déjà en poste – grâce à des recrutements effectués il y a trois ans mais que nous maintenons à la même hauteur – ; lorsque j'augmente le budget de la justice de près de 4 % ; …
… lorsque je vous annonce une loi de programmation qui, en un peu plus de trois ans, mettra sur la table plus d'1 milliard d'euros, cela n'est pas négligeable. Si nous modifions notre façon de travailler et continuons à recruter des personnels pour la justice, nous pourrons réellement faire progresser notre service public.
Madame la garde des sceaux, comme l'actualité récente l'a démontré, la situation dans les établissements pénitentiaires est intenable et relève bien souvent de l'indigence. En ce début d'année, à la suite de plusieurs agressions, le personnel a entamé un mouvement d'une ampleur inégalée depuis vingt-cinq ans, et ce malgré le statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire.
La France insoumise dénonce avec force le manque de moyens humains et financiers, ainsi que la surpopulation galopante dans les maisons d'arrêt. Le groupe La France insoumise avait déjà alerté à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, en octobre dernier, en dénonçant avant l'heure le manque d'effectifs et la surpopulation chronique.
Nous plaidons sans réserve pour un modèle de prison à taille humaine, tourné vers la réinsertion des personnes condamnées, qui est la manière la plus efficace d'assurer les préventions de la récidive. Il faut engager un grand plan de rénovation des établissements qui sont vétustes et indignes de notre République. Pour nous, un établissement pénitentiaire doit être une structure à dimension humaine, située dans un bassin d'emploi et de population afin de correspondre au mieux aux objectifs de réinsertion. Il ne faut pas de grands établissements-usines, qui ne sont sécurisants ni pour les personnels ni pour les personnes détenues.
Il faut aussi donner la priorité aux mesures alternatives à l'emprisonnement, en repensant la question des courtes peines, qui ne doivent pas conduire à désocialiser les personnes condamnées. Le choc carcéral conduit trop souvent à accélérer la précarisation des personnes en leur faisant perdre leur logement, leur travail, leurs liens familiaux, etc.
Un certain nombre de délits ne doivent pas être définis en fonction d'une peine d'incarcération mais plus orientés vers des peines alternatives, comme le SME – sursis avec mise à l'épreuve – ou le TIG – travail d'intérêt général – , seules à même de lutter efficacement contre la récidive.
Êtes-vous prête à renoncer au plan de construction de 15 000 places de prison et à mettre le paquet sur les alternatives à l'incarcération pour les courtes peines ?
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Non, madame la députée, je ne suis pas prête à renoncer au plan de construction de 15 000 places de prison.
Je suis prête en revanche à faire un effort tout à fait soutenu sur la mise en place de peines que je souhaite appeler non pas « peines alternatives à l'incarcération » mais « peines autonomes », différentes de la peine d'incarcération.
Il est tout à fait essentiel qu'il y ait, d'une part, des peines d'emprisonnement – elles sont nécessaires, nul ne conteste – et, d'autre part, des peines autonomes – c'est le cas par exemple du placement sous bracelet électronique : nous souhaitons l'ériger au rang de peine autonome. Je souhaite également, comme je le disais précédemment, que l'on développe les travaux d'intérêt général, les sursis avec mise à l'épreuve et toutes les autres peines…
Monsieur Bernalicis, puis-je répondre, ou bien souhaitez-vous le faire à ma place ?
J'en suis sûre !
Toutes les autres peines, disais-je, qui permettent, lorsque cela est plus pertinent, d'éviter l'incarcération, surtout lorsque celle-ci se traduit par une sortie sèche.
En revanche, non, madame Fiat, je ne suis pas prête à renoncer au plan de construction dont le Président de la République a fait état…
… car nous considérons que, dans la situation actuelle, il est tout à fait nécessaire de construire des places diversifiées. Autrement dit, oui, nous avons besoin de places en maison d'arrêt, mais nous avons aussi besoin, et c'est ce que nous voulons faire, de places dans ce que nous appelons pour le moment les « quartiers de préparation à la sortie », qui soient des lieux moins sécurisés, plus souples et permettant de préparer des sorties de détenus.
Nous souhaitons aussi développer des dispositifs s'apparentant à des prisons ouvertes. Je suis allée aux Pays-Bas, il y a moins d'une semaine, voir ce type d'établissement : c'est très intéressant et assez positif en termes de réinsertion.
Bref, nous préparons un panel de mesures. Nous marchons sur deux pieds : la politique pénale et la construction d'établissements pénitentiaires.
Nous en venons aux questions du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
La parole est à M. Sébastien Jumel.
Madame la garde des sceaux, on m'a appris que répéter, c'était enseigner : je prends donc le risque de réitérer des questions posées plusieurs fois ce soir. Peut-être cela vous permettra-t-il de continuer à nous rassurer quant à votre volonté de prolonger le dialogue avec les territoires.
Vous aurez compris ce soir que les rapports rendus suscitent inquiétude et incompréhension, notamment dans un contexte où la révision générale des politiques publiques – la RGPP – n'a pas épargné les fonctions régaliennes de l'État, même si seuls 0,22 % de notre PIB sont consacrés à la justice. Je fais partie de ceux qui pensent que partout où la République recule, partout où les fonctions régaliennes sont abîmées, le risque du repli sur soi peut progresser, de même que les ennemis de la République.
C'est la raison pour laquelle je souhaite que vous nous rassuriez ce soir. Vous l'avez fait un peu, mais je prendrai l'exemple de la Normandie et soulignerai l'importance de préserver des cours d'appel de plein exercice dans l'ancienne Haute-Normandie et dans l'ancienne Basse-Normandie – je veux parler des cours d'appel de Caen et de Rouen.
Concernant le dépeçage des tribunaux, je prendrai l'exemple de Dieppe, une ville qui m'est chère : qu'en sera-t-il des audiences correctionnelles, des instructions ? Quid des compétences en matière de divorce, de contentieux relatif au placement en détention, d'application des peines, de droit des mineurs, des affaires civiles portant sur des sommes supérieures à 10 000 euros, du contentieux des étrangers – alors que nous avons un port, et donc une frontière avec la Grande-Bretagne – , de droit commercial, de droit de la construction, de baux commerciaux ? Toutes ces compétences seront-elles retirées à nos tribunaux ?
Mes questions sont donc simples : quels critères retiendrez-vous ? Quelles seront les modalités de la concertation ? Quel sera le calendrier ? Des réponses à ces questions sont nécessaires pour nous rassurer définitivement quant à la préservation de tribunaux de plein exercice, notamment dans mon territoire.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Monsieur Jumel, j'ai parfaitement conscience que des inquiétudes peuvent naître du rapport Houillon-Raimbourg ; je lis, j'entends, j'écoute, je reçois énormément puisque nous sommes dans une période de concertation et que celle-ci n'est pas terminée.
En ce qui concerne la question précise que vous me posez à propos du calendrier et de la manière dont la concertation sera organisée dans les territoires, il m'est un peu difficile de vous répondre aujourd'hui, dans la mesure où, comme je le précisais il y a quelques instants, le cadrage général n'a pas encore été arrêté. Je ne suis donc pas en mesure de vous dire à quel moment débutera la concertation dans les territoires.
Je vous indique toutefois que le Gouvernement arrêtera une architecture générale qui précisera, dans un département, ce que seront le tribunal de grande instance – pour reprendre son nom actuel – , les tribunaux d'instance et les cours d'appel – encore une fois, il y en aura plusieurs dans certains départements – et comment ce cadre sera décliné dans les territoires, en termes de compétences – car l'organisation pourra être renvoyée à la concertation locale.
Celle-ci pourrait démarrer assez rapidement : ce sera le cas dès que les grandes lignes architecturales auront été définies. Je pourrai sans doute vous donner un calendrier un peu plus précis dans le mois qui vient. Je souhaitais vous dire aujourd'hui à quel point nous sommes attachés à ce que le dialogue ait lieu dans les territoires.
Par ailleurs, puisque vous évoquez le tribunal de Dieppe, celui-ci continuera bien sûr à connaître du contentieux civil supérieur à 10 000 euros et également du contentieux pénal, même si tout le pénal n'est pas situé à Dieppe. Il y aura donc bien sûr à la fois du civil et du pénal : il n'y a aucun doute à ce sujet.
La justice est une mission régalienne de l'État. Pourtant, il est un département de France métropolitaine où le service public de la justice est gravement en panne – la Seine-Saint-Denis, dont je suis l'un des élus. La situation est bien connue depuis plusieurs années ; elle a même valu à l'État, en décembre 2016, une condamnation pour déni de justice, dans un contexte d'aggravation de la violence et de la délinquance dans ce département.
À l'occasion de l'audience solennelle de rentrée du TGI de Bobigny, la procureure de la République a tiré la sonnette d'alarme. Selon elle, la nature de la réponse pénale « renvoie un message peu audible aux victimes, peu audible aux enquêteurs qui ont mis leur énergie à élucider les affaires et interpeller les auteurs, et par contre très audible des délinquants ».
Le résultat de cette situation est une véritable rupture d'égalité républicaine pour ce département. Il en découle un sentiment de discrimination qui est malheureusement une réalité. La population de la Seine-Saint-Denis est certes plus modeste, plus jeune, plus métissée et dispose probablement de moins d'influence et de réseaux que d'autres populations dans d'autres départements, mais la République ne lui en doit pas moins l'égalité.
Certains n'hésitent pas à gloser sur des territoires qui seraient perdus pour la République. Or, à l'inverse, la Seine-Saint-Denis a le sentiment d'être un territoire que la République abandonne.
Ma question est simple : il serait nécessaire, pour paraphraser Mme la procureure de Bobigny, de prendre des mesures exceptionnelles pour un département exceptionnel. Madame la garde des sceaux, aurez-vous le courage de prendre ces mesures et de mettre les moyens qu'il faut pour assurer aux habitants de la Seine-Saint-Denis une égalité de traitement en matière de justice, au-delà de ce que vous avez annoncé jusqu'à présent ?
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Monsieur Peu, vous avez raison de souligner que la Seine-Saint-Denis – je pense en particulier au tribunal de Bobigny – constitue une juridiction tout à fait singulière. Historiquement, elle a été un laboratoire judiciaire, car elle a mis en place des procédures, telles que le traitement en temps réel, qui ont ensuite essaimé dans toute la France. Bobigny compte beaucoup de forces vives, des jeunes qui arrivent souvent de l'École nationale de la magistrature et prennent leur premier poste. Cette juridiction représente également, comme vous l'avez rappelé, des enjeux importants en termes de délinquance.
J'ai évidemment entendu des propos tenus par les chefs de juridiction, mais je n'avais pas besoin de les entendre pour connaître la situation de Bobigny, car je m'y étais déjà rendue, j'y étais resté longtemps et j'avais dialogué avec les personnels. Nous suivons évidemment la situation de très près.
En prenant la mesure des difficultés de cette juridiction, nous avons pris des décisions fortes : nous avons nommé des magistrats supplémentaires, de telle sorte qu'il n'y ait plus de postes vacants au parquet, ce qui est tout à fait positif – il y aura même, je crois, un surnombre de deux magistrats au siège et au parquet.
Il existe bien sûr d'autres difficultés que nous devons prendre en compte – je ne parle pas là des difficultés matérielles, que nous devons certes traiter, mais du turn-over des personnels du tribunal de Bobigny. Ce sont des questions que nous devons aborder.
Nous souhaitons donc apporter des réponses et nous avons soutenu la création d'une deuxième chambre de comparution immédiate. Cette décision appartient certes au président du tribunal, mais nous avons fait en sorte qu'il puisse la prendre s'il le souhaitait. J'ai aussi demandé qu'un quinzième juge des enfants soit nommé à Bobigny. Des efforts ont également été faits au niveau des greffes.
Je crois en outre que, dans le cadre de l'interrogation globale dont ce tribunal doit faire l'objet, la mission d'inspection générale qui se traduira pour lui à la fois par un audit et par un appui pourra jouer un rôle positif.
Soyez sûr, monsieur le député, que nous portons à ce tribunal une attention tout à fait soutenue.
Nous en venons aux questions du groupe La République en marche.
La parole est à Mme Alexandra Louis.
Madame la garde des sceaux, comme vous le savez, pour lutter efficacement contre la délinquance, il faut que les peines prononcées par les tribunaux soient adaptées à la gravité des faits, mais aussi à la personnalité des auteurs.
Pour lutter efficacement contre la récidive, il faut que ces peines soient mises à exécution rapidement. Beccaria le disait déjà au XVIIIe siècle, dans son ouvrage intitulé Des délits et des peines : « Plus le châtiment sera prompt et suivra de près le délit commis, plus il sera juste et utile. »
Or les délais d'exécution sont souvent trop longs. La décision judiciaire perd alors de son sens aux yeux de nos concitoyens, et particulièrement à ceux des victimes, qui ont l'impression d'une certaine impunité, alors même que des sanctions ont été prononcées par des tribunaux. Parallèlement, la peine perd en efficacité pour le condamné car, du fait du temps écoulé, cette peine est déconnectée du délit pour lequel il a été condamné. La forfaitisation de certaines infractions répondra – au moins en partie – à cette exigence de célérité et de certitude de la peine.
Pour les peines d'emprisonnement, mais aussi pour les peines que vous appelez à juste titre « autonomes », telles que le placement sous bracelet électronique, le travail d'intérêt général ou le sursis avec mise à l'épreuve, de nouvelles pistes sont évoquées par le rapport remis le mois dernier sur le sens – on pourrait même dire : l'essence – et l'efficacité des peines, dans le cadre des chantiers de la justice.
Par exemple, les tribunaux ont aujourd'hui la possibilité de prononcer un placement sous bracelet électronique à l'audience. C'est, en pratique, rarement le cas, car ils ne disposent souvent pas d'éléments de personnalité suffisants pour pouvoir prendre une décision conformément au principe d'individualisation des peines. Le rapport prévoit donc le renforcement de cette information et fait du placement sous surveillance électronique une peine autonome.
De même, le rapport met l'accent sur ces peines autonomes, comme le travail d'intérêt général, et propose la création d'une nouvelle peine qui fusionnerait contrainte pénale et sursis avec mise à l'épreuve en une peine de probation.
Madame la garde des sceaux, à l'aune de ce rapport, quelles transformations envisagez-vous pour accélérer l'exécution des peines ?
Madame Louis, je remercie de votre question. Pour vous répondre brièvement, le rapport Cotte-Minkowski me semble fournir des pistes très intéressantes, que je souhaiterais pouvoir suivre et proposer dans le cadre du projet de loi pénale que j'aurai l'occasion de vous présenter à la fin de ce printemps.
Je souhaite en effet, tout d'abord, que les peines soient mieux adaptées à la situation du justiciable. Pour cela, il faut évidemment que nous clarifiions l'échelle des peines et mettions les magistrats en situation de pouvoir prononcer ab initio des peines adaptées, ce qui suppose évidemment de développer des enquêtes de personnalité plus solides sur les personnes présentées au magistrat. Cela supposera sans doute que nous ayons des personnels supplémentaires dans les fonctions de conseillers d'insertion et de probation…
… et que nous continuions à travailler avec les associations.
Nous souhaitons également promouvoir un régime clarifié d'exécution de la peine. Sans doute pourrai-je vous proposer, comme je le disais tout à l'heure, qu'il n'y ait plus de peine d'emprisonnement inférieure à un mois, en raison de l'inefficacité de ce type de peine, compte tenu des sorties sèches qu'elles génèrent.
Sans doute également vous proposerai-je que, comme le suggère le rapport Cotte-Minkowski, pour les peines comprises entre un et six mois, le magistrat puisse prononcer par priorité des peines autres que l'emprisonnement, qu'il s'agisse du placement sous bracelet électronique ou d'autres peines, la peine d'emprisonnement restant bien évidemment possible dans les situations où il n'est pas envisageable de faire autrement.
Sans doute encore pourrons-nous ramener de deux à un an les termes du fameux article 723-15 du code de procédure pénale, qui permet un aménagement de la peine. Il nous semble en effet qu'ainsi, lorsqu'une peine d'emprisonnement supérieure à un an sera prononcée, elle sera mise à exécution.
Nous pourrions ainsi proposer un dispositif assez équilibré, qui s'inscrirait en même temps dans le cadre de la démarche du rapport Cotte-Minkowski.
Madame la garde des sceaux, vous avez lancé, le 5 octobre dernier, les chantiers de la justice, que vous avez confiés à d'anciens parlementaires, à des universitaires ou à des praticiens reconnus pour leur compétence et leur connaissance des réalités du terrain. Leurs conclusions vous ont été présentées le 15 janvier et vous vous êtes engagée, sur la base de ces cinq rapports, à poursuivre vos consultations auprès de divers interlocuteurs.
Je tiens tout d'abord à saluer votre méthode, qui s'inscrit dans la durée, l'échange et la transparence, et qui devrait éloigner toute critique dénonçant une réforme « à la hussarde » et « sans concertation », …
… comme celles qui ont pu accompagner les réformes menées par certains de vos prédécesseurs et qui ont laissé dans les territoires un traumatisme encore perceptible aujourd'hui, notamment pour ce qui concerne le maillage territorial de nos juridictions.
À ce titre, madame la garde des sceaux, vous avez été depuis le début, en vous exprimant sur ce sujet, plutôt rassurante en affirmant qu'aucun lieu de justice ne serait fermé. Toutefois, si le nombre et la localisation de nos juridictions ne devraient pas être remis en cause, la compétence de certains tribunaux judiciaires et de certaines cours d'appel devrait être modifiée et l'on perçoit des inquiétudes à l'idée que pourraient alors apparaître des juridictions de seconde zone sous le patronage de juridictions de premier rang.
Par ailleurs, dans leurs conclusions, MM. Beaume et Natali, chargés du chantier visant à améliorer et à simplifier la procédure pénale évoquent la suppression de l'instruction infra-pôle. J'appelle votre attention sur les conséquences d'une telle mesure dans des départements éloignés géographiquement des actuels pôles de l'instruction : les objectifs que vous avez fixés d'une justice proche et efficace ne seraient alors pas satisfaits car, à l'instar de ce qui se produit déjà – et souvent – en matière d'instruction criminelle, les personnes mises en examen et les victimes dans des affaires délictuelles seraient en difficulté pour faire valoir pleinement leurs droits au titre de la défense ou de la partie civile auprès d'un juge d'instruction trop éloigné.
Si le principe de la collégialité est aujourd'hui acquis, une nouvelle carte des pôles devra être envisagée pour permettre l'effectivité de l'égal accès au droit pour chaque citoyen.
Madame la garde des sceaux, puisque votre méthode est participative et transparente, pouvez-vous confirmer à la représentation nationale l'engagement du Gouvernement pour une présence du service public de la justice efficient pour tous et à proximité de tous ?
Merci, monsieur Mazars, d'avoir salué la méthode que nous avons adoptée – et que nous continuons à mettre en oeuvre au moment où nous parlons. Je crois avoir dit que, dans le cadre des évolutions sur lesquelles nous nous interrogeons, ma priorité est la proximité et l'efficience de la décision rendue, ce qui supposera dans certains cas un peu de spécialisation et une certaine collégialité. Ma priorité est également le renforcement de la chaîne pénale, qui est tout à fait essentiel.
Ces trois axes ne signifient pas pour autant, bien entendu, que nous toucherons à l'instruction telle qu'elle fonctionne actuellement. Les différents lieux de l'instruction seront préservés.
Vous aviez indiqué, lors de diverses rencontres, que vous souhaitiez formuler un certain nombre d'observations sur ce sujet. Je suis prête à les entendre pour que nous réfléchissions plus avant : cela entrera parfaitement dans le cadre de la concertation locale et nationale qui est encore en cours sur ces questions.
Madame la garde des sceaux, je vous prie de bien vouloir excuser le caractère redondant qu'auront mes propos, compte tenu de tout ce que vous avez entendu ce soir. Il me semble cependant, et vous en aurez pris conscience, que dans le cadre des cinq chantiers de la réforme de la justice, la mission relative à l'adaptation du réseau des juridictions est la plus sensible, tant les réformes engagées par vos prédécesseurs se sont traduites, pour les justiciables et les professionnels, par le sentiment d'être déclassés et abandonnés. En confiant cette réflexion à des personnalités éminentes, vous avez déjà – et je le salue – rassuré et rompu avec la défiance et la brutalité souvent reprochées aux méthodes précédentes.
Cette nouvelle réforme doit s'inscrire dans le cadre de l'ambition exprimée par notre Président, qui a déclaré qu'une justice répondant aux enjeux de notre temps est un service public qui remet le justiciable au coeur de l'organisation judiciaire.
Comme vous l'avez rappelé – et je vous en remercie – , une justice accessible, lisible et simplifiée est une justice de proximité, qui n'aggrave pas la disparité et les déséquilibres entre les territoires.
Madame la garde des sceaux, vous avez su nous rassurer sur le schéma général en vous engageant d'abord à maintenir le maillage territorial actuel puis, plus encore, à ne fermer aucun lieu de justice.
En revanche, et vous l'avez entendu à maintes reprises, une réorganisation judiciaire des tribunaux cohérente avec l'échelon administratif départemental suscite de nombreuses inquiétudes et pourrait participer du sentiment d'une justice à deux vitesses.
Nous sommes convaincus que nos tribunaux doivent se moderniser et nos procédures tendre vers une dématérialisation et une simplification numérique de l'accès au droit et à l'information juridique, mais il nous faut tendre aussi vers une pédagogie plus approfondie quant à la détermination des critères retenus pour opérer ces transformations.
Madame la garde des sceaux, comme vous l'avez évoqué, la réorganisation de nos tribunaux ne semble pas inscrite dans le marbre. Certains départements pourraient conserver plusieurs tribunaux judiciaires et, je l'espère, de pleine et entière compétence. C'est, vous le savez car nous en avons déjà discuté, le voeu que je forme pour mon département du Tarn.
À ce titre, pouvez-vous préciser quels seraient les critères objectifs d'efficience qui permettraient de déterminer la taille en deçà et au-delà de laquelle se décidera le maintien, la transformation ou la création de ces nouvelles juridictions ?
Monsieur Terlier, vous dites que le chantier relatif à l'adaptation territoriale est le plus sensible. Je le sais, bien entendu, et je le comprends, car c'est, au fond, lié à la constitution de nos territoires. En même temps, il faut comprendre que le service public est d'abord fait pour les justiciables et que c'est par cette réflexion sur la nécessité de renforcer les chaînes pénales et de rendre une justice plus rapide et plus prévisible que nous pourrons montrer que le service public sait s'adapter à notre siècle.
Vous m'interrogez sur la notion de critères d'efficience. Il est un peu tôt pour vous répondre sur ce sujet précis car, comme je vous l'ai dit, nous sommes encore dans la phase de concertation. Si je vous disais ce soir exactement comment les choses s'organiseront dans le cadre d'une architecture générale – je vous ai dit que, s'agissant du dessin local, nous renverrons aux territoires – , cela signifierait que la concertation est terminée, ce qui n'est pas du tout le cas au moment où je vous parle.
Je peux dire en revanche que, pour que la justice soit rendue plus efficacement, il est nécessaire que la collégialité des magistrats, dans certains cas, puisse être assurée. Il me semble également nécessaire – je me répète – de travailler à certaines formes de spécialisation pointue – je vous ai donné tout à l'heure des exemples – et de renforcer la chaîne pénale. Ce sont là les trois axes que je défendrai. Il faut un parquet fort pour que les politiques publiques soient efficaces, coordonnées, rapides et réactives par rapport à la situation des territoires.
À ce stade, il m'est difficile de définir les critères retenus mais, comme je l'ai précisé tout à l'heure, c'est également sur les territoires que nous nous appuierons pour caractériser cette nouvelle évolution.
Madame la garde des sceaux, le 18 janvier dernier, vous avez présenté les cahiers des chantiers de la justice, vaste travail de concertation et de réflexion qui nourrira les futurs projets de loi de programmation pour la justice et de simplification pénale et civile.
Les seuls intitulés de ces cahiers témoignent de la volonté du Gouvernement de simplifier les procédures pour en renforcer l'efficacité. Ma question s'inscrit dans cette perspective et porte sur les modalités de rétrocession des auditions menées par les forces de police et de gendarmerie dans le cadre de leurs enquêtes.
Aujourd'hui, chaque audition effectuée est assortie d'un procès-verbal d'audition écrit et contresigné par la personne convoquée. Nos forces de sécurité sont nombreuses à trouver cette procédure lente, la retranscription étant de surcroît contraignante. Nombre d'acteurs de la chaîne judiciaire conviennent que la gestion des procès-verbaux d'audition est l'un des éléments de la viscosité des procédures.
À cela s'ajoute la question de l'exactitude de l'écrit, souvent contestée après coup, les auditionnés pouvant en effet juger ces transcriptions peu fidèles et approximatives. Or, la plupart du temps, la vidéo des auditions existe. Elle est prévue en cas de crime et de flagrants délits pour être justement opposable en cas de contestation. On peut donc facilement imaginer que ce support tienne lieu directement de procès-verbal. À l'argument selon quoi il est plus simple de chercher un élément dans un procès-verbal écrit, je pense qu'il est possible d'opposer, les techniques évoluant, la possibilité de faire de même avec la vidéo grâce aux repères numériques d'une séquence.
De fait, la gestion des vidéos numérisées est infiniment plus conviviale que par le passé. Le rapport à l'image et à la digitalisation des données s'est profondément modifié ces derniers temps. Il faut aussi noter que cette pratique est déjà largement en vigueur dans de nombreux pays.
Le fait d'instaurer des auditions vidéos filmées permettrait d'éviter de multiplier lesdites auditions et de restituer fidèlement la parole tout en optimisant le service au citoyen. Elles pourraient s'accompagner d'un résumé écrit signé par les convoqués.
Le recours au procès-verbal vidéo filmé voire, au moins, audio-retranscrit semble aujourd'hui pertinent. Serait-il à tout le moins possible de procéder à des expérimentations dans certains territoires ? Pourriez-vous nous dire votre sentiment à ce sujet ?
Je vous remercie, monsieur le député, de votre question. L'oralisation des procédures est régulièrement demandée par les forces de l'ordre. Nous en avons beaucoup discuté dans le cadre des rencontres que nous avons organisées avec les forces de police et de gendarmerie pour faire évoluer la procédure pénale. À ce stade, nous n'avons pas prévu de nous engager dans cette voie.
En effet, outre qu'actuellement seules certaines auditions font l'objet d'un enregistrement vidéo – en particulier dans les procédures criminelles impliquant les mineurs – , il ne faut pas oublier, comme vous l'avez vous-même souligné, que ce système imposerait un certain nombre de tâches très lourdes : la réalisation d'une synthèse nécessitant le visionnage de l'ensemble des auditions et des actes diligentés – par exemple une perquisition ; plusieurs enquêteurs peuvent de surcroît intervenir dans le cadre d'une même procédure et chacun d'entre eux devrait visionner l'enregistrement ; enfin, pour les magistrats, en l'état, il est beaucoup plus rapide et efficace de prendre connaissance d'un interrogatoire écrit, malgré les points de repérage sur les vidéos, auxquels vous avez fait allusion. Pour le moment, il nous semble plus efficace de prendre connaissance d'un interrogatoire écrit afin de rechercher des éléments plutôt que de visionner un enregistrement. Selon nous, la principale difficulté est là, un dossier judiciaire ayant vocation à être lu et partagé par de très nombreux acteurs. Il me semble que ce que vous proposez entraînerait des difficultés.
J'ajoute que l'accès de l'avocat aux auditions de son client par le visionnage préalable des enregistrements audiovisuels occasionnerait également des difficultés et, peut-être, un certain nombre de ralentissements dans le cours de la procédure.
En revanche, des expérimentations d'usage de logiciels de dictée peuvent être envisagées afin de conserver le principe de production d'un écrit, lequel semble indispensable en l'état de notre système juridictionnel. Une telle perspective s'inscrit dans nos objectifs de numérisation, en liaison avec le ministère de l'intérieur.
Madame la garde des sceaux, à la suite des événements qui ont eu lieu au sein des établissements pénitentiaires de Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais et de Borgo en Corse, et plus encore du blocage qui s'est ensuivi et a affecté nos prisons, vous avez signé le vendredi 26 janvier 2018 avec le syndicat majoritaire des surveillants pénitentiaires, l'UFAP-UNSA, un protocole d'accord que ce dernier considère comme la manifestation d'une volonté de changer profondément le fonctionnement des prisons.
Ce protocole visant à améliorer la sécurité des agents par le renouvellement et l'amélioration de leurs équipements, à accélérer les recrutements et à renforcer les dispositifs indemnitaires, comprend trois volets : l'emploi, les indemnités et la sécurité – ce dernier concernant la gestion des détenus dits radicalisés et la mise en place de quartiers totalement étanches.
Ce troisième volet est particulièrement important, compte tenu de l'évolution de la population carcérale. La manière dont se sont tenus de récents procès médiatiques nous a confirmé que la réponse pénale apportée aux affaires liées au terrorisme était singulière, que ce soit au stade de la détention des prévenus, de leur procès, ou encore du prononcé et de l'exécution de la peine.
Je souhaite donc que vous puissiez expliciter concrètement les mesures décidées le vendredi 26 janvier 2018 s'agissant des détenus dits radicalisés, le calendrier de leur mise en oeuvre ainsi que la manière dont elles intégreront ou impacteront le plan prison à venir.
Madame Mirallès, vous posez là en effet une question sensible car les deux principales agressions qui ont été à l'origine du mouvement des surveillants dans les établissements pénitentiaires étaient le fait, me semble-t-il, de détenus connus comme étant radicalisés ou en voie de radicalisation – encore que cela ne soit pas tout à fait sûr pour le second. Peu importe au demeurant car la question que vous soulevez est d'ordre général.
Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, 500 détenus sont répertoriés en tant que terroristes islamistes et 1 200 sont considérés comme étant en voie de radicalisation. Actuellement, ces personnes sont détenues dans 78 établissements pénitentiaires répartis sur l'ensemble du territoire national. C'est un choix politique que de ne pas les regrouper dans un seul établissement pénitentiaire – nous le maintenons, tout en prenant des mesures supplémentaires.
D'une part, comme je le disais tout à l'heure, nous évaluons ces détenus et nous doublons nos capacités d'évaluation. Actuellement, nous disposons de trois quartiers d'évaluation de la radicalisation et nous passerons à six à la fin de 2018, ce qui nous permettra de prendre en charge 250 personnes environ et donc de rattraper le retard en termes d'évaluation puisque, au moment où je vous parle, le degré de dangerosité de tous ces détenus n'a pas encore été évalué.
Une fois que les derniers ont été évalués – la procédure dure quatre mois – , nous les plaçons dans l'un des 78 établissements susceptibles de les accueillir, où ils sont à l'isolement. Par ailleurs, pour ceux qui n'y sont pas, nous avons pris l'engagement de les placer dans des quartiers qui, désormais, seront étanches. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous nous organiserons pour éviter des contacts avec d'autres détenus afin d'éviter tout prosélytisme. Évidemment, cela supposera que nous engagions des travaux. Dès la fin de cette année, nous serons en mesure d'ouvrir 450 places dans ces quartiers étanches. J'ajoute que les travaux seront prolongés en 2019.
Voilà la manière dont nous entendons traiter le problème que vous avez soulevé.
La parole est à M. Michel Castellani, au titre des députés non inscrits.
Madame la garde des sceaux, je souhaite d'abord apporter une nouvelle fois mon soutien aux personnels de la maison d'arrêt de Borgo, et plus particulièrement aux agents récemment et gravement agressés.
La France est très souvent mise à l'index en raison des conditions carcérales infligées aux détenus : vétusté, promiscuité, insalubrité – cela a déjà été dit, y compris ce soir. Dans cet hémicycle, des députés de tous bords se sont en effet exprimés en faveur d'une humanisation des prisons. Récemment, la commission des lois de notre assemblée a organisé une matinée multisites, afin de sensibiliser les médias et l'opinion française.
Je tiens à rappeler que l'ensemble des personnes incarcérées ont vocation à sortir de prison et à retrouver leur place dans la société. C'est un devoir d'humanité que de préparer au mieux ces dernières à leur réinsertion, de minimiser ainsi le risque de récidive et d'éviter la forme de double peine que constituerait une nouvelle marginalisation liée au chômage ou à la précarité.
Cette notion de « double peine » m'amène à vous interroger ici sur la question lancinante du rapprochement des prisonniers politiques corses, donc sur le fait qu'actuellement la loi n'est pas appliquée. Je tiens à souligner les problèmes considérables qu'implique cette situation pour les familles.
Madame la garde des sceaux, ma question est simple et directe : quels sont les voies et moyens envisagés par le Gouvernement en vue du rapprochement des prisonniers corses de leur île ?
Monsieur Castellani, votre question est très fréquemment posée par les élus corses, …
… que j'ai d'ailleurs eu l'occasion de rencontrer à l'occasion de mon déplacement à Borgo après l'attentat très douloureux commis à l'encontre de surveillants pénitentiaires.
Le Gouvernement a eu l'occasion de répondre à plusieurs reprises à cette question. Nous considérons qu'il ne s'agit pas de prisonniers politiques et que ces détenus, comme tous les autres, ont droit à l'application des règles de droit commun, laquelle se fait au cas par cas.
Nous sommes actuellement en train d'apprécier la situation d'un certain nombre de détenus corses pour examiner dans quelle mesure ils pourront être rapprochés de la Corse, comme cela peut être le cas pour les détenus de droit commun, …
… ainsi que j'ai eu l'occasion de le dire à l'instant. Lorsque les choses évolueront – ce qui pourrait être assez prochainement le cas – , nous vous en tiendrons bien entendu informé.
La séance de questions sur la politique judiciaire et pénitentiaire est terminée.
Prochaine séance, demain, mercredi 21 février, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Questions sur la politique économique en outre-mer ;
Questions sur la politique nationale en matière de sécurité routière et d'aménagement des infrastructures de transport.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures quinze.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Catherine Joly