La réunion débute à 9 heures 05.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission examine les articles des projets de loi ordinaire puis organique, adoptés par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice (n° 1349) et relatif au renforcement de l'organisation des juridictions (n° 1350).
Nous entamons ce matin l'examen des articles des projets de loi ordinaire et organique de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et relatif au renforcement de l'organisation des juridictions dont nous avons achevé la discussion générale hier.
Titre premier Objectifs de la Justice et programmation financière
Article 1er : Programmation financière et approbation du rapport annexé
La Commission examine les amendements CL1019 et CL1075 du Gouvernement, l'amendement CL58 de M. Ugo Bernalicis et l'amendement CL59 de Mme Danièle Obono.
Les amendements CL1019 et CL1075 ont pour objet de rétablir la programmation budgétaire prévue dans le projet de loi initial.
Le Gouvernement a choisi l'objectif, ambitieux, d'une augmentation de 24 % du budget du ministère de la justice et de la création de 6 500 emplois d'ici à 2022, en adéquation avec les orientations qui figurent dans le rapport annexé. La soutenabilité de cette évolution de grande ampleur est garantie par sa cohérence avec la loi de programmation des finances publiques, ce qui n'est pas le cas de la trajectoire, à nos yeux irréaliste, retenue par le Sénat, qui tablait sur la construction et la livraison de 15 000 places de prison d'ici à 2022.
Nous prévoyons pour notre part la création de 7 000 places de prison et de 2 300 équivalents temps plein pour armer les établissements pendant cette période et nous comptons lancer la construction de 8 000 places supplémentaires pour une livraison d'ici à 2027. La programmation budgétaire que je vous propose intègre également la réforme des peines, qui a vocation à réduire le placement en détention au profit d'autres types de peines. Elle prévoit aussi une progression des moyens consacrés à la transformation numérique et à la protection judiciaire de la jeunesse.
Je défendrai en même temps les amendements CL58 et CL59 qui, eux aussi, soulèvent la question des moyens. Nous pensons pour notre part que le Sénat ne va pas assez loin : dans le prolongement des réflexions que nous avons menées pendant la campagne présidentielle, nous retenons une trajectoire de 9,5 milliards d'euros pour le budget du ministère de la justice et 18 000 nouveaux postes d'ici à 2022.
Ces chiffres sont le fruit d'une mûre réflexion que nous avons menée pendant la campagne présidentielle. Dix-huit mille postes, c'est la cible réelle, le chiffre qui nous permettrait d'atteindre le niveau des principaux pays de l'Union européenne, qu'il s'agisse des magistrats, des greffiers, ou de l'administration pénitentiaire – surveillants ou conseillers d'insertion et de probation. Or pour l'heure, madame la garde des sceaux, il y a un gap énorme entre ce que vous proposez et les standards européens. Je ne nie pas la réalité des efforts consentis mais vous partez de si bas… Il faudrait aller bien plus haut et bien plus loin.
Pour finir, madame la présidente, j'émets une protestation : certains de nos amendements ont été rejetés pour des raisons qui nous apparaissent purement politiques. Il nous a été expliqué qu'ils n'avaient pas de lien direct avec le texte. Aux termes de la Constitution, « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. » Je ne manquerai pas d'en évoquer quelques-uns au cours de la discussion. En commission en tout cas, il est de bon usage de laisser défendre le plus grand nombre possible d'amendements. À la suite d'échanges avec la commission des finances certains de nos amendements, pourtant déclarés irrecevables au titre de l'article 40, ont pu être réintégrés. Nous aimerions que tel soit le cas de nos autres amendements. Ce n'est pas pour le plaisir que nous en rédigeons, nos collaborateurs et nous-mêmes travaillons dur pour les élaborer. Il me semble que ce serait faire preuve d'un minimum de respect que de nous permettre de les défendre tous.
Monsieur Bernalicis, je vous répondrai à ce sujet une fois la discussion sur les amendements à l'article 1er achevée.
Nous émettons un avis favorable sur les deux amendements présentés par le Gouvernement qui permettent de rétablir la programmation pluriannuelle prévue dans le projet de loi initial. Nous saluons l'effort considérable que constituent l'augmentation de 24 % des moyens du ministère de la justice et les créations d'emplois.
Je regrette la surenchère du Sénat comme du groupe La France insoumise : elle est loin de toute réalité budgétaire.
Madame la ministre, permettez-moi de m'étonner : à vous entendre, la trajectoire retenue par le Sénat serait irréaliste. Celle-ci se fonde sur une constatation, le manque de moyens de l'administration pénitentiaire, constatation partagée en son temps par Emmanuel Macron qui s'était engagé alors qu'il était candidat à construire 15 000 places de prison. Et ce constat réaliste, retenu par le Sénat, devient à vos yeux une trajectoire irréaliste… Pour être réellement ambitieuse, votre loi aurait dû répondre à ces besoins mais vous préférez par tous moyens limiter au maximum les engagements du Gouvernement.
Je tiens à soutenir les amendements déposés par La France insoumise. Je crains que la trajectoire budgétaire que vous proposez, madame la ministre, ne permette pas de prendre en compte le malaise du monde pénitentiaire, que l'actualité vient nous rappeler de manière récurrente : surpopulation carcérale, déficit en moyens humains, notamment en matière d'insertion et d'accompagnement. Vos propositions d'amélioration budgétaires me font penser à ce que disait ma grand-mère : « C'est moins pire que si c'était mieux ! ». J'approuve la création de nouveaux postes de magistrats et de greffiers : cela participe de l'efficience et de la réactivité de la justice, avec des délais de jugement raccourcis, comme l'attendent nos concitoyens. Je ne suis pas certain que ce soit en spécialisant, en regroupant, en concentrant, en fusionnant que nous parviendrons à ce résultat.
Je viens d'apprendre qu'une mission conjointe de la commission des affaires sociales et de la commission des Lois du Sénat a été mise en place pour étudier la place de la justice prud'homale en France. Le questionnaire précis qui a été envoyé à toutes les juridictions laisse penser que l'organisation territoriale des conseils prud'homaux pourrait être remise en cause. Or hier, vous avez souligné que l'objectif des projets de loi que nous examinons n'était pas de modifier l'organisation territoriale de la justice. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point ?
Madame Avia, j'ai dû mal m'exprimer. Vous parlez de surenchère alors que nos propositions visent précisément à nous faire entrer dans la norme européenne. Le chiffre de 9,5 milliards correspond à une moyenne européenne : 0,33 % du PIB consacré la justice. La richesse existe. La question est de savoir comment la partager et comment la répartir. Si vous cherchez les millions qui manquent pour parvenir à ce total, je peux vous faire des propositions. Il y en a des tonnes dans le contre-budget de La France insoumise, ne serait-ce que le rétablissement de l'impôt de solidarité sur la fortune, qui vous permettrait d'atteindre cet objectif. Si vous voulez consacrer moins que ce qu'il faudrait à la justice, c'est bien un choix de la part du Gouvernement.
Vous pourrez toujours m'expliquer que ces chiffres européens sont farfelus et que les institutions qui les publient donnent dans la surenchère, mais je crois que vous ne le ferez pas.
L'article 1er conditionne tous les autres articles du projet de loi. Vous préférez accélérer les délais de jugement et construire des places de prison plutôt que de recruter des magistrats et des greffiers et développer les actions en milieu ouvert. C'est votre choix, je ne le partage pas ; mais il n'y a pas qu'une vérité révélée, en l'occurrence celle des chiffres ministériels, tout le reste relevant du farfelu ou de la surenchère. Nous essayons de coller au plus près du réel. S'il y avait 18 000 personnes en plus, je ne pense pas qu'elles seraient de trop pour faire bien fonctionner le ministère de la justice.
Madame la ministre, par ces premiers amendements qui reviennent sur les améliorations opportunes apportées par le Sénat, vous enlevez toute ambition à ce texte et par là même vous dévoilez toutes les arrière-pensées qui le sous-tendent.
La justice est dans une situation catastrophique, toutes les comparaisons avec les grands pays européens le démontrent. Votre prédécesseur parlait de « clochardisation » de l'institution judiciaire et récemment des magistrats du tribunal de Bobigny alertaient l'opinion dans une tribune sur le fait qu'ils étaient devenus les « juges de mesures fictives ». Tous les indicateurs confirment la gravité de la situation à laquelle contribue pour une large part le manque de places de prison.
Ce manque de place pèse sur toute la chaîne pénale et sur les conditions d'exécution des peines. L'administration de la justice est conduite à recourir à des subterfuges pour éviter l'incarcération. Vous le dites même dans votre amendement.
Je déplore profondément ce manque d'ambition. Les 15 000 places de prison annoncées par le Président de la République étaient encore un objectif trop faible. Je vous rappelle qu'en 2012, la loi de programmation relative à l'exécution des peines, issue du rapport que j'avais remis en 2011 au président Nicolas Sarkozy, prévoyait la construction de 24 000 places de prison à l'horizon de 2017 : il s'agissait de passer de 56 000 places à 80 000 places en cinq ans. Aujourd'hui, il y a plus de 70 000 détenus pour 59 000 places : l'encellulement individuel ne peut être respecté. Au regard de l'explosion de la violence dans notre pays, le recours aux peines d'emprisonnement serait pourtant nécessaire.
À travers ce repli par rapport aux propositions du Sénat, vous dévoilez vos ambitions, qui sont finalement les mêmes que celles de Mme Taubira : éviter l'incarcération et privilégier de manière systématique les aménagements de peine.
Cet article 1er est au coeur de la discussion ; des orientations qu'il fixe dépendent l'ambition et l'effectivité de la réforme.
Nous savons que vous avez bataillé pour obtenir une augmentation des crédits de la justice, mais d'autres ont aussi bataillé et le résultat n'est pas à la hauteur des enjeux. Vous ne devez pas voir nos interventions comme des critiques, madame la garde des sceaux, mais comme des témoignages de soutien. Vous pourrez faire valoir auprès des autres membres du Gouvernement que la justice mérite mieux que cela.
Vous avez fait un effort important, je tiens à le souligner, mais nous pourrions aller encore plus loin et retenir à tout le moins la trajectoire proposée le Sénat, qui n'a rien d'irréaliste. Cela démontrerait notre résolution : mettre la justice française au niveau des standards européens.
Nous avons le sentiment que cette réforme, même si elle est empreinte de bon sens et si elle comporte de bonnes orientations, nous fait courir le risque de ne pas réussir. Les crédits consacrés à la dématérialisation ne sont pas à la hauteur de l'enjeu : ce n'est pas avec 500 millions que vous réussirez la révolution numérique de la justice ; quant aux effectifs consacrés aux actions en milieu ouvert, ils sont clairement insuffisants. Vous voulez rendre convenable l'accueil en prison mais le dispositif que vous proposez ne pourra remplir son office ; c'est pourquoi nous soutenons l'orientation retenue par l'autre chambre.
Les oppositions donnent dans la surenchère. Un demi-milliard d'euros, ce n'est pas rien. La programmation budgétaire du ministère de la justice est ambitieuse, qu'il s'agisse de la dématérialisation ou de la construction de places de prison. En outre, ce projet de loi est marqué par une réforme en profondeur de la procédure civile et des changements importants dans la procédure pénale. Le groupe de La République en Marche salue l'effort que traduit ce budget.
Pour construire un budget, il faut d'abord se fixer des ambitions. À partir de là, il y a deux façons de procéder : ou bien on choisit de faire plaisir à tout le Landernau de la justice avec des promesses insincères, et alors le budget sera insincère et intenable ; ou bien on choisit d'être réaliste, et alors on peut faire ce à quoi on s'est engagé. Nous savons que le budget tel que le proposent le Sénat ou M. Bernalicis n'est pas tenable au regard de la trajectoire qu'imposent les capacités budgétaires du pays.
Nous savons que la programmation budgétaire telle que l'a retenue le Gouvernement, et la réorganisation qui l'accompagnera, permettront de faire avancer la justice de notre pays.
La position de M. Balanant n'est pas dénuée d'intérêt mais si nous allions jusqu'au bout de sa logique, il aurait fallu que l'article 1er qui fixe les grandes orientations financières soit placé à la fin, de manière à pouvoir tirer les conséquences des objectifs retenus tout au long de la discussion du projet de loi. Vous procédez à l'inverse, nous obligeant à faire entrer les objectifs dans un cadre budgétaire prédéfini. Votre raisonnement est bien sympathique et intellectuellement intéressant, mais totalement obsolète.
Le sujet central de nos débats est le nombre de places de prison. Vous comptez développer des mesures alternatives à l'incarcération car nous sommes incapables d'avoir des prisons dignes d'un pays du rang de la France. C'est justement pour cela que nous vous proposons de construire plus de places de prison afin que les magistrats aient le choix, quand ils le jugent nécessaire, d'emprisonner dans des conditions dignes celles et ceux qui se sont rendus coupables d'actes que la société se doit de réprimer. Aujourd'hui, on a de moins en moins peur d'enfreindre la loi car les peines encourues sont de moins en moins lourdes. L'effet dissuasif de la peine d'emprisonnement doit être au coeur de nos débats.
La programmation budgétaire visée par La France insoumise a autant de cohérence que celle du Gouvernement, compte tenu des objectifs visés par chacun, mais les propositions de la ministre sont plus réalistes : une progression de 24 % sur cinq ans, une augmentation des places de prison, une numérisation, source d'économies. C'est bien cette trajectoire qu'il nous faut suivre.
Personne ne niera qu'il faut à la justice toujours plus de moyens, mais toute trajectoire budgétaire doit conjuguer ambition et réalisme. L'ambition est là avec une augmentation de 24 % jusqu'à 2022, soit une augmentation de 4 % à 5,5 % par an : c'est une hausse considérable. Quant au réalisme, il est nécessaire : on ne saurait se contenter de mesures d'affichage. La programmation budgétaire de la justice doit être cohérente avec l'ensemble de la trajectoire budgétaire voulue par le Gouvernement. Nous devons pouvoir mettre en oeuvre d'ici à la fin du quinquennat les mesures proposées dans le projet de loi si nous voulons changer le rapport de nos concitoyens à la justice.
Enfin, la réforme de la justice ne se réduit pas à une approche strictement budgétaire.
Nous sommes guidés par un souci d'efficacité et de simplification et mus par la volonté de recentrer les missions de chacun.
Deux arguments ont été avancés contre la trajectoire budgétaire que nous avons choisi de réinscrire dans le texte.
Le premier, porté par M. Bernalicis, repose sur une comparaison européenne. Je n'ai jamais considéré que les chiffres de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) étaient farfelus, je leur prête au contraire la plus grande attention. Seulement il faut faire preuve de prudence, non que ces chiffres soient erronés mais parce qu'ils recouvrent des réalités disparates. Je citerai un exemple parmi d'autres : il y a beaucoup de juges non professionnels en France – pensons aux conseils de prud'hommes ou aux tribunaux de commerce – mais ce n'est pas le cas dans d'autres pays, en Allemagne en particulier. Il est parfois extrêmement difficile de comparer ce qui est comparable. C'est la raison pour laquelle je ne fais pas de ces normes européennes une référence indépassable. L'accroissement du nombre d'emplois que nous proposons nous permettra du reste de mieux soutenir les comparaisons européennes.
Le deuxième argument, développé par M. Ciotti et ses collègues, se rapporte aux aspects pénitentiaires. La loi de mars 2012 prévoyait la création de 24 000 places, monsieur le député, mais je ne crois pas vous faire injure en disant qu'un texte adopté trois mois avant la fin d'un quinquennat relève davantage du tract électoral que d'une volonté politique réelle…
Et cela n'a pas marché… Ces créations de places n'étaient d'ailleurs pas financées ; je ne considère pas que cela puisse avoir valeur d'exemple. Les 15 000 places promises par le Président de la République, elles, seront construites dans un délai qui me semble tout à fait réaliste.
Oserai-je rappeler à l'ensemble de vos collègues que le « programme 4 000 », engagé en 1995 par Pierre Méhaignerie et poursuivi par Élisabeth Guigou, a permis la construction de six établissements, entre 2003 et 2005, soit dix ans plus tard ? Quant au « programme 13 200 » lancé par M. Perben en 2002, il a débouché sur la construction de moins de 13 000 places en quatorze ans et le nouveau programme immobilier lancé en 2012 a abouti à la livraison de moins de 3 000 places en cinq ans.
Autrement dit, tous ces programmes pénitentiaires étaient fondés sur des prévisions totalement irréalistes. Pour notre part, nous avons su donner de la crédibilité à nos propositions et ce faisant, madame Untermaier, nous avons montré notre résolution, qui rejoint la vôtre.
Quand j'ai lu la lettre adressée par Jean-Jacques Urvoas « à un futur ministre de la justice, sur les défis et priorités de la politique judiciaire » – jamais je n'imaginais alors être le futur garde des sceaux –, la progression de 1 milliard d'euros en cinq ans qu'il appelait de ses voeux m'avait marquée par son ambition. Or ce n'est pas 1 milliard de plus que nous vous proposons mais 1,6 milliard. Je ne dis pas que nous pourrons réaliser tous nos rêves mais cela permettra qu'une grande partie d'entre eux devienne réalité. Et je voudrais rassurer la grand-mère de M. Jumel : nous faisons mieux que si c'était moins bien !
La Commission adopte successivement l'amendement CL1019 puis l'amendement CL1075.
En conséquence, les amendements CL58 et CL59 tombent.
Avant de passer au rapport annexé, je vais répondre à M. Bernalicis sur la question de l'irrecevabilité. J'ai déclaré irrecevables quarante-deux amendements…
… Ce qui est finalement assez peu, vous en conviendrez, par rapport aux mille amendements que nous avons à examiner.
Ces amendements sont issus, je le précise, de tous les groupes politiques et même du Gouvernement. Si je les ai déclarés irrecevables, ce n'est donc pas par esprit partisan, mais parce que j'ai considéré qu'ils n'avaient aucun lien avec le texte ou qu'ils relevaient du domaine réglementaire. Chacun de leur auteur a reçu une notification indiquant les motifs de cette irrecevabilité. Il n'y a donc pas lieu de nous faire des reproches à cet égard.
Rapport annexé
La Commission est saisie d'un amendement CL1035 du Gouvernement.
Les amendements du Gouvernement au rapport annexé visent à rétablir une cohérence avec les modifications de l'article 1er que nous venons d'adopter : c'est donc une sorte de coordination par anticipation, liée à la structure de la loi de programmation. J'en profite pour faire remarquer à M. Schellenberger, qui s'est étonné que la loi fixe dès son article 1er la trajectoire budgétaire, que toutes les lois de programmation pour la justice, et notamment la loi Perben, ont été ainsi construites : la trajectoire est arrêtée dès l'article 1er et le rapport annexé.
Vous prévoyez d'allouer 3,3 milliards d'euros supplémentaires au ministère de la justice, mais cette somme sera vite dépensée entre la construction de 7 000 places de prison – 1,7 milliard d'euros environ – et la mise à niveau numérique pour 0,5 milliard. Que restera-t-il pour le fonctionnement courant du ministère et plus particulièrement de l'administration pénitentiaire, confrontée à des problèmes de recrutement ? Sans compter les surveillants qu'il faudra recruter pour faire fonctionner vos nouvelles prisons, alors que nous avons déjà du mal à garantir les effectifs dans celles qui existent déjà !
Je ne sais pas faire des choses qui ne marchent pas, cher collègue Balanant. Nous ferons les comptes à la fin de la législature, si vous arrivez jusque-là : je crains malheureusement que vous ne parveniez ni à construire 7 000 places de prison, ni à garantir un encellulement individuel !
L'un de nos amendements déclarés irrecevables proposait d'expérimenter un cours d'initiation au droit dans les collèges et les lycées. C'est à se demander si l'accès au droit et à la justice fait partie de ce texte…
Monsieur Bernalicis, veuillez vous en tenir à l'amendement que nous sommes en train d'examiner.
J'aimerais pour ma part intervenir sur les créations d'emplois : sans entrer sur les batailles de chiffres sur les 8 000 ou les 10 000 emplois qui auraient pu être visés au-delà des 6 500 prévus, je voudrais me concentrer sur la réalité des recrutements.
Nous sommes plusieurs à nous être déplacés à la prison de Fresnes il y a quinze jours où nous avons fait un tour d'horizon très complet des personnels et des syndicats. Il nous a été dit qu'un tiers seulement des postes ouverts au concours avaient trouvé preneurs, faute de candidats. Au-delà des chiffres et des éléments financiers dont on peut se féliciter ou se gargariser – je laisse à chacun le choix de l'expression –, il y a une difficulté : vous aurez beau créer 15 000 ou 30 000 nouveaux emplois, ce sera un coup d'épée dans l'eau tant que vous n'aurez pas procédé à une revalorisation des emplois dans l'administration pénitentiaire, qu'il s'agisse du logement, des conditions de vie ou des rémunérations. Vous ne répondrez pas à la question du mieux-vivre dans les prisons, ni pour les détenus, qui ont besoin de conditions dignes pour se réinsérer, et encore moins pour les personnels qui méritent toute notre considération.
Madame la garde des sceaux, au sujet de la construction de places de prison, vous avez fait une réponse qui se voulait polémique. Je crois que cette question mérite davantage de gravité.
La France est l'un des pays d'Europe qui recourt le moins à la détention. C'est une réalité que le rapport que j'avais rédigé en 2011 avait mise en lumière. Nous avons 100 détenus pour 100 000 habitants contre 130 détenus pour 100 000 habitants en moyenne dans les pays du Conseil de l'Europe et près de 150 détenus pour 100 000 habitants pour le Royaume-Uni, qui ne peut faire figure de régime autoritaire, selon les critères du Président de la République.
Ce problème majeur, vous le négligez ; vous ne prenez pas la mesure de l'enjeu alors que la violence gangrène nos territoires. Gérard Collomb l'a dit dans son discours de départ, qui était sans doute l'un de ses meilleurs discours : il a parlé des quartiers livrés aux narcotrafiquants et aux islamistes radicaux où l'on ne vivra bientôt plus côte à côte, mais face à face. Nous avons besoin d'une réponse judiciaire. L'importance de la détention doit être réaffirmée.
Dans l'exposé sommaire de l'un de vos amendements, vous écrivez que « la réforme des peines a vocation à réduire le placement en détention ». Je vous le dis solennellement : c'est une faute, une erreur d'analyse majeure qui conduira à des drames.
Nous aurions pu construire davantage de prisons par le passé, certes, mais sous la présidence de Nicolas Sarkozy, plus de 7 000 places ont été créées alors qu'il y en a eu moins de 1 000 sous le précédent quinquennat, tendance que vous avez soutenue puisque vous étiez membre de la majorité précédente, me semble-t-il.
Monsieur Gosselin, je ne sais pas si vos informations ont été actualisées. Je ne suis ministre que depuis quinze mois…
Cela doit vous paraître long, monsieur Ciotti, mais l'attente est toujours délicieuse… (Sourires.)
Reste que cette année, l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP) a fait le plein du recrutement : l'ensemble des postes ouverts au concours ont été pourvus. Et pourtant, compte tenu du nombre de départs en retraite, les effectifs des promotions sont très importants.
Vous avez raison, il faut conforter l'attractivité de ce métier. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place une prime de fidélisation d'un montant de plus de 8 000 euros dans les établissements les plus difficiles.
Enfin, monsieur Ciotti, la politique que je conduis est fondée sur le principe que toute infraction mérite sanction. Mais les sanctions ne passent pas toutes par l'emprisonnement. On ne doit avoir recours à l'incarcération que si elle apporte une plus-value pour la sécurité de la société et pour la prévention de la récidive.
Rappelons que l'article 723-15 du code de procédure pénale a conduit à convertir les peines de prison inférieures à deux ans en d'autres types de peine.
Ce que nous proposons vise à rendre effectives les peines de prison lorsqu'elles sont prononcées et à avoir recours à d'autres types de sanction lorsqu'elles sont plus utiles.
On ne peut faire le constat des problèmes de recrutement des surveillants et des difficiles conditions de vie et de travail en prison sans se poser plus globalement la question de la vision de la prison dans la société. Les métiers, les emplois et les services n'y sont pas toujours très attractifs ; encore faut-il, pour s'engager dans ce type de mission, avoir conscience du sens, y compris au sens social, de son travail. Pourquoi construit-on 15 000 places de prison, quelles infractions nécessitent obligatoirement sanction, pourquoi cette escalade d'infractions depuis des dizaines d'années, et qui appellent à autant de sanctions ? C'est cette logique qu'il faudrait à mon sens déconstruire, sous peine de tourner à vide : on n'aura pas de mal à remplir les nouvelles prisons, mais ce sera autre chose de les faire fonctionner et de trouver les gens disposés à faire ce métier, particulièrement difficile ; les prisons resteront sinon des lieux d'extrême souffrance pour ceux qui y sont enfermés comme ceux qui y travaillent. Il est grand temps de se poser cette question éminemment politique, sous peine de reproduire les mêmes schémas que nous connaissons depuis des années.
Au-delà du débat sur le niveau du curseur, pouvez-vous nous dire précisément, madame la garde des sceaux, quel est le ratio entre les places créées et les places supprimées, dans la mesure où certaines prisons vétustes ont vocation à fermer ? Par ailleurs, le diagnostic de l'existence d'un malaise en prison et de la faible attractivité du métier semble faire consensus. Disposez-vous de ratios objectifs, comme celui du nombre de personnels par rapport à celui de prisonniers, qui montreraient que votre projet de loi de programmation améliore les conditions de travail et d'encadrement ainsi que les moyens d'insertion ?
Les chiffres de 7 000 et 8 000 places correspondent à des places nettes.
La Commission adopte l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL23 de Mme Danièle Obono.
Cet amendement concerne les centres éducatifs fermés (CEF). Il peut paraître étrange d'en parler dès maintenant, étant donné qu'ils ne constituent pas le coeur du texte, mais puisque vous avez rattaché l'examen du rapport annexé à l'article 1er, j'aborde le sujet. Plutôt que de créer vingt centres éducatifs fermés, nous proposons de réaffecter les sommes concernées au milieu ouvert. Il existe déjà cinquante et un centres éducatifs fermés dans le pays, qui obtiennent des résultats dont on ne peut pas dire qu'ils soient réellement satisfaisants. En effet, même s'il n'y a pas de statistiques nationales, les retours des éducateurs et de la police judiciaire montrent que le taux d'incarcération des mineurs passés dans ces centres est extrêmement élevé : ils entrent finalement plus dans un parcours d'incarcération que d'éducation et de protection de la jeunesse… Nous créons dans ces centres les délinquants de demain. Qui plus est, ils coûtent plus cher que le milieu ouvert, avec des résultats moindres.
Madame la garde des sceaux, je sais que vous défendez le principe d'une palette de dispositifs offerte aux magistrats. À ceci près que votre palette s'étend à partir du centre éducatif fermé. Or il existe des dispositifs avant ces centres, et à leur place. Nous aurions pu demander par amendements la fermeture des cinquante et un centres existants ; nous avons pensé qu'il valait mieux essayer de vous convaincre modestement, étape par étape. Il existe de nombreux dispositifs en milieu ouvert, que ce soit l'accueil de jour, l'accompagnement par des éducateurs spécialisés ou les lieux de vie adaptés, et qui ont déjà prouvé leur efficacité.
Monsieur Bernalicis, même si j'entends bien votre argumentation, mon avis sera défavorable. La construction de ces centres éducatifs vise à garantir aux magistrats la permanence d'outils éducatifs opérationnels et adaptés, sur l'ensemble du territoire national, et à répondre à la demande sociale de contrôle et de sécurité. Mais ce n'est pas la seule orientation retenue : la construction de ces centres et la rénovation des centres actuels vont de pair avec l'intensification du recrutement de familles d'accueil et le développement d'une pluridisciplinarité accrue des interventions éducatives en milieu ouvert.
Même avis que Mme la rapporteure.
Monsieur Bernalicis, quand un mineur est dans un centre éducatif fermé, il n'est pas incarcéré. Si vous aviez participé à la mission que nous avons conduite avec Cécile Untermaier sur la justice des mineurs, vous auriez entendu les professionnels dire que nous manquons de centres éducatifs fermés, afin d'assurer une meilleure répartition sur le territoire et une meilleure adaptation de ces jeunes, qui doivent parfois être éloignés de leur famille ou, à l'inverse, en être rapprochés pour une meilleure réinsertion. Ces vingt centres éducatifs fermés sont attendus par les professionnels de la justice.
Nous ne disposons malheureusement pas d'une évaluation fine des centres éducatifs fermés. Nous allons sans doute la recommander dans le cadre de notre mission. La programmation s'étendant sur cinq ans, nous avons le temps de la réaliser, afin d'étudier les effets de ces centres dans la lutte contre la récidive.
Monsieur Terlier, je n'ai pas dit que les mineurs en centres éducatifs fermés y étaient incarcérés, mais que ces centres conduisaient à l'incarcération dans les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). La logique d'enfermement est consubstantielle aux centres éducatifs fermés. Or, en termes de protection de la jeunesse et d'éducation, enfermer quelqu'un ne fonctionne pas. Ainsi, nous allons proposer un amendement, qui obtiendra, je l'espère, le soutien de la ministre, visant à supprimer le délit de fugue. Cela peut vous sembler surréaliste, mais la plupart des jeunes en centres éducatifs fermés se retrouvent ensuite en prison, uniquement parce que, ne supportant pas d'être enfermés, ils ont fugué. Une fois en prison, ils nouent de nouvelles relations qui les mènent sur la voie de la délinquance. C'est ainsi que se construisent les parcours de délinquance dans notre pays.
Il faut rompre avec cette logique, grâce aux milieux ouverts. Si vous voulez éloigner les jeunes temporairement, sans les enfermer pour autant, mettez le paquet sur les lieux de vie ! Le problème, c'est que cela suppose des éducateurs et un bon maillage du territoire. Cela relève d'une volonté politique. Il est vrai que construire un centre éducatif fermé et y placer une association résout, d'une certaine manière, le problème, d'autant que, pour notre déshonneur, certains centres ont dû être… fermés, parce qu'ils ne fonctionnaient pas et n'étaient pas à la hauteur, le ministère n'ayant parfois même plus les moyens de contrôler ce qui se passe dans ses propres centres.
J'ai également rencontré des professionnels, monsieur Terlier, et pris le temps de discuter avec tous les syndicats de la protection judiciaire de la jeunesse. Autant vous dire que nous avons eu de très longs échanges avec les magistrats.
J'avais cru comprendre que le nouveau gouvernement et la nouvelle majorité étaient adeptes de l'évaluation. Lorsque des membres de l'opposition proposent, objectivement et sereinement, d'évaluer un dispositif pour voir s'il faut le consolider ou le questionner, vous devriez applaudir ! Par ailleurs, s'agissant de la manière de prendre en charge les mineurs, l'asphyxie financière des départements est telle qu'elle a conduit à réduire, dans mon département de Seine-Maritime, d'un tiers les moyens de la reconversion spécialisée. Les conditions de travail et le nombre de mineurs suivis en aide éducative en milieu ouvert ne permettent pas, nous le savons, une prise en charge satisfaisante, sérieuse et efficiente des mineurs « borderline », en voie d'exclusion et sur le point de suivre le parcours de la délinquance.
Nous ne parlons pas tout à fait des mêmes jeunes, monsieur Bernalicis : certains, quand il est nécessaire de faire un travail éducatif, ont besoin du milieu ouvert, et pas seulement dans les quartiers sensibles. Rappelez-vous la thèse défendue par le chercheur Sébastien Roché : ce n'est pas le nombre d'éducateurs qui compte – à un certain point, le nombre nuit même à l'efficacité –, mais la politique mise en oeuvre dans les quartiers concernés, en lien notamment avec les éducateurs. Quant aux jeunes des centres éducatifs fermés, ce sont souvent des multirécidivistes qui ont déjà commis des faits extrêmement graves. Or, tant qu'elle existe, notre pays choisit la solution éducative plutôt que la prison, afin de favoriser la réinsertion. Ces centres ont été qualifiés de « fermés », alors qu'il aurait sans doute mieux valu les appeler « centres éducatifs sous contrôle judiciaire ».
Ou semi-ouverts ! Dans tous les cas, ce n'est ni la prison ni le milieu ouvert : c'est un autre outil. L'idée est de ne plus faire de la prison la seule solution et de toutes les autres voies de simples alternatives, mais d'essayer, au contraire, de disposer d'un panel de solutions proposées aux magistrats, afin d'adapter la peine à la situation et à la personne.
Madame Untermaier, il existe beaucoup de rapports d'évaluation sur les centres éducatifs fermés. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté en effectue. Ce n'est donc pas un espace dépourvu d'évaluations. D'autres sont également faites par notre propre inspection générale. Qui plus est, je n'ai évidemment, par principe, aucune hésitation quant à l'intérêt de l'évaluation globale d'un système.
La Commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte successivement les amendements de coordination CL1015, CL984, CL1032, CL1028, CL1022, CL1029, CL1027, CL1031, CL1021, CL1013, CL1033 et CL1030 du Gouvernement.
Puis elle examine l'amendement CL381 de Mme Bérangère Couillard.
Cet amendement vise à étendre l'accès à l'aide juridictionnelle totale aux personnes dont les ressources sont inférieures à 1 200 euros, au lieu de 1 000 euros actuellement. Cela permettra de rendre les personnes bénéficiant d'un SMIC net mensuel, qui s'élève à 1 188 euros, éligibles à l'aide juridictionnelle totale. Selon une étude réalisée par l'INSEE sur la séparation en Nouvelle-Aquitaine, divorcer de son conjoint est un choc financier plus significatif pour les femmes que pour les hommes. À la suite d'un divorce, 20 % d'entre elles basculent sous le seuil de pauvreté, perdant 25 % de leur niveau de vie la première année. La précarité ou l'anticipation du choc financier que peut représenter la séparation peut être un frein pour certaines femmes. L'élargissement de l'aide juridictionnelle totale permettra de mieux accompagner les personnes ayant une situation financière difficile.
Madame la députée, j'entends et je comprends très bien votre objectif. Néanmoins, s'agissant de l'accès aux droits et de l'aide juridictionnelle, il est important d'engager une réflexion d'ampleur. La mission, animée par Naïma Moutchou et un de nos collègues du groupe Les Républicains, sur la réforme de l'aide juridictionnelle, constituera le cadre le plus approprié pour répondre à votre préoccupation et à celles soulevées par les dispositions de l'article 52. Je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.
Même avis que Mme la rapporteure. Si, sur le fond, je ne peux qu'être d'accord avec l'objectif vers lequel vous tendez, selon une évaluation, votre proposition de relèvement du plafond aurait un coût qui avoisinerait les 100 millions d'euros. Pourquoi pas ? Encore faudrait-il l'intégrer dans une réflexion globale. Nous avons souhaité engager cette réflexion par trois biais : un rapport confié à l'inspection générale de la justice et à l'inspection générale des finances, qui ont tracé plusieurs propositions ; des discussions avec les avocats – nous nous sommes donné l'année pour travailler avec eux sur les différentes propositions à mettre en oeuvre ; votre mission parlementaire enfin. Je souhaite que nous conduisions une réflexion globale sur l'aide juridictionnelle. D'autres propositions ont été formulées, il y a quelques jours, à l'occasion du vote du budget pour 2019, afin de créer de nouvelles infractions qui déclencheraient automatiquement l'aide juridictionnelle. Je vous suggère de retirer votre amendement, madame la députée.
Madame la garde des sceaux, je veux vous faire un compliment, chose suffisamment rare pour être soulignée : grâce à vous, sous votre impulsion, la France s'est enrichie de 147 000 millionnaires… Force est de constater que nous n'avons pas réfléchi ni tenté d'approfondir le sujet lorsqu'il s'est agi d'alléger leur fiscalité et d'améliorer leurs conditions de vie, voire de faire en sorte qu'ils s'enrichissent encore un peu plus demain, grâce à la dernière loi de finances. Mais, dès lors qu'il s'agit de renforcer l'accès aux droits des plus empêchés, des plus exclus, des plus paupérisés, on nous répond qu'il faut se poser, réfléchir et étudier les conséquences financières : voilà la parfaite illustration du deux poids, deux mesures. Le renoncement aux droits est une réalité dans un grand nombre de territoires. Je redoute, d'ailleurs, que cette réforme, du fait de l'éloignement et de la privatisation, en quelque sorte, des rapports juridiques, accentue ce renoncement aux droits ainsi que l'inégalité territoriale et sociale dans l'accès aux droits. Nous allons soutenir cet amendement et le reprendre à notre compte s'il était retiré. Il va dans le bon sens : celui du renforcement des droits.
Je remercie notre collègue d'avoir déposé cet amendement, qui a l'avantage de pointer une question extrêmement importante et délicate. La loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique reste le texte fondateur ; mais le système est arrivé à bout de souffle, comme nous le disons depuis quelques années, en dépit de quelques colmatages. Et dans bon nombre de cas, cela se traduit, au-delà de l'insuffisance des moyens et des plafonds très bas, que ce soit pour l'aide juridictionnelle totale ou partielle, par un renoncement aux droits. Dans une société démocratique, l'accès aux droits est essentiel. Nous veillerons tout particulièrement à ce que les engagements pris par la garde des sceaux, à laquelle je ne fais aucun mauvais procès d'intention, soient bien suivis d'effets. Le sujet dépasse largement les postures politiciennes : c'est un enjeu de société. J'attends que le Gouvernement aille jusqu'au bout de sa volonté de réforme affichée, en coordination avec l'ensemble des professionnels et auxiliaires de justice, les avocats en premier lieu. C'est tout l'écosystème qu'il faudra revoir, notamment les bureaux de l'aide juridictionnelle (BAJ) et la Caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA).
Cet amendement est effectivement très positif, dans la mesure où, aujourd'hui, quelqu'un qui gagne le SMIC n'est pris en charge par l'aide juridictionnelle qu'à hauteur de 55 %, ce qui n'est pas admissible dans une grande démocratie. Certains avanceront que les assurances fournissent une protection juridique. Encore faut-il bénéficier d'une assurance qui prenne le complément en charge ! Ce n'est pas l'idée que nous nous faisons de l'accès aux droits. La question n'est pas tant celle de l'étude à mener sur le sujet que de savoir si l'on accepte une prise en charge à 100 % pour les gens gagnant moins de 1 200 euros. Elle est extrêmement simple ! Visiblement, l'étude du coût a déjà été faite : une centaine de millions d'euros. Il n'y a donc plus qu'à se positionner. Or vous n'êtes pas à 1,3 milliard d'euros près, apparemment… On peut sacrifier trois cents places de prison pour financer cette enveloppe. Je peux vous trouver des solutions très rapidement ! Je préfère sacrifier trois cents places de prison et faire en sorte que toutes les personnes qui gagnent moins de 1 200 euros bénéficient d'une prise en charge totale de l'aide juridictionnelle. Comme je vous l'ai dit hier, madame la ministre, lors de votre audition, vous faites les choses à l'envers : vous étendez les obligations de représentation et vous réfléchissez après à l'aide juridictionnelle. Ce n'est pas tenable ! Faisons les choses à l'endroit : commençons par élargir l'aide juridictionnelle et, ensuite, augmentons les obligations de représentation, sans quoi vous oubliez des gens. Même si vous réformez ces aides dans un an ou deux, cela fera un an ou deux pendant lesquels certains n'auront pas accès aux droits.
Il faut raison garder quand on parle de l'aide juridictionnelle. Aujourd'hui, son fonctionnement est plutôt satisfaisant. Les bureaux d'aide juridictionnelle (BAJ) fonctionnent bien. Il faut d'ailleurs saluer leur travail. Par ailleurs, Mme la ministre s'est engagée à mener une réflexion plus globale sur l'aide juridictionnelle, parce qu'on ne réglerait pas la situation en augmentant un seuil. Cela n'est pas forcément pertinent, puisque, dans le calcul de l'aide juridictionnelle, ce n'est pas le seul critère pris en charge.
Monsieur Bernalicis, pour avoir un peu travaillé sur la question de l'aide juridictionnelle dans le rapport budgétaire, je puis vous assurer que cette affaire est bien plus complexe que la seule définition d'un seuil. Se posent la question de son financement, mais également celle du montant réservé aux avocats, puisque certains avocats, notamment en matière pénale, considèrent qu'ils sont déficitaires. Il faut repenser l'aide globalement. J'ai défendu un amendement visant à créer une aide juridictionnelle de droit pour les victimes de violences conjugales, sujet sur lequel nous devons également réfléchir. Il n'est pas possible de régler tout cela en deux minutes, en prenant 100 millions quelque part. Le sujet est complexe et mérite que l'on y réfléchisse. C'est pour cela que je salue l'existence d'une mission d'information. Tous les collègues qui voudront y participer pourront faire des propositions et travailler avec le ministère pour réformer en profondeur l'aide juridictionnelle.
Je suis sensible à plusieurs arguments. Tout d'abord, quand je vivais avec le SMIC, alors que j'étais chargé de famille, je comptais exactement, à la fin du mois, combien je pouvais dépenser, et tout était marqué sur un carnet. Aujourd'hui, je ne marque plus rien sur un carnet… Par ailleurs, je suis aussi relativement sensible au fait que Mme Couillard défende la condition des femmes. Lors des divorces, qui ne se passent pas toujours bien, c'est très difficile pour les femmes, qui continuent souvent à s'occuper des enfants, de se retrouver dans une précarité financière. Pour ces deux raisons, je voterai l'amendement de notre collègue.
Je tiens à réaffirmer la nécessité de revoir de manière générale, complète et profonde notre aide juridictionnelle.
Vous aurez noté que le Sénat a proposé des amendements visant à rétablir le droit de timbre… Ce genre de mesure à celle seule n'est pas ce qui permettra d'améliorer notre système d'aide juridictionnelle. Le droit de timbre n'a jamais été une solution à l'aide juridictionnelle, et ce n'est pas en jouant d'un seul élément que nous pourrons la refondre. La méthode choisie par le Gouvernement et la commission des Lois de concertation et de réflexion est nécessaire à ce stade.
C'est pourquoi je vous proposerai, pour la séance, d'affirmer encore plus clairement, dans le rapport annexé, notre volonté de réformer l'aide juridictionnelle, afin d'engager une réflexion suivie d'effets.
Il était important d'apporter une réponse apaisée à ce problème. Comme cela a été rappelé, une personne au SMIC obtient une aide correspondant à 55 % du montant de l'aide juridictionnelle, ce qui n'est pas négligeable. Je suis ravie que Mme la ministre ait précisé que le sujet fera l'objet d'une réflexion plus large, au-delà de la mission parlementaire. Je suivrai bien évidemment avec vigilance tout ce qui sera fait, lorsqu'une réflexion plus approfondie aura été menée. Pour l'instant, je retire mon amendement.
Je reprends cet amendement, madame la présidente ! J'aime que nos débats théoriques soient illustrés par des réalités concrètes. Les points d'accès aux droits mis en place d'une manière volontariste dans un certain nombre de territoires, avec les commissions départementales, sont souvent en panne de financements. En réalité, les associations d'aide aux victimes et les permanences organisées avec les professionnels qui jouent le jeu – avocats ou notaires – ont le plus grand mal à trouver des financements. Quand j'étais maire de la belle ville de Dieppe, j'ai voulu mettre ces points d'accès en place : nous les portions seuls, à bout de bras. Le financement du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), notamment, était nettement insuffisant pour faire face à cette question centrale : comment réduire le renoncement à l'accès aux droits des publics les plus empêchés, les plus fragilisés et les plus éloignés territorialement ? En freinant l'accès aux droits, le groupe majoritaire n'est pas à la hauteur des enjeux.
Ce débat honore l'Assemblée. Dans le projet de réforme, nous devons nous soucier de l'égal accès au juge de chacun des justiciables. Cet amendement n'est pas anodin. Le projet de réforme modifie sensiblement l'accès au juge. Tout citoyen est en droit de s'interroger sur la possibilité qu'il aura à un moment ou à un autre d'aller vers la médiation, et dans quelles conditions cela se fera. C'est un débat extrêmement compliqué, que nous avons mené sous le précédent quinquennat, où nous avons augmenté les unités de valeur (UV) des avocats. Cela étant, nous nous sommes heurtés à de grosses difficultés pour financer le dispositif. C'est un enjeu fort. Si le budget de l'État doit favoriser cette question, les professionnels du droit eux aussi doivent s'interroger sur l'accès au juge.
La Commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis favorable de la rapporteure, elle adopte l'amendement de coordination CL1016 du Gouvernement.
Puis elle examine l'amendement CL418 de M. Philippe Gosselin.
Il s'agit de mettre sur la table plusieurs éléments qui font suite à un rapport, écrit à quatre mains, que vous connaissez bien, madame la présidente : « Repenser la prison pour mieux réinsérer ».
À quatre mains de présidente et de vice-présidents ! Mais vous avez raison d'élargir.
L'idée de ce rapport, vous le savez, mes chers collègues, était d'avoir des sanctions et des peines de prison nécessaires, parce que la sanction doit être nécessaire, dans l'intérêt de la société. Mais il faut également avoir en tête la réinsertion, pour prévenir le risque de récidive. Parmi les éléments favorisant la réinsertion figure l'activité en prison. Or, lors de nombreux déplacements, notamment dans des établissements récents voire très récents, nous avons fréquemment constaté que l'architecture n'avait pas été suffisamment pensée, au point que même des établissements neufs n'avaient pas pris en compte, de façon prioritaire, le développement du travail en détention faute de disposer des salles ou des halls adéquats. Cet amendement d'appel a pour vocation de rappeler qu'il faut intégrer, dans les prochains appels d'offres, des éléments architecturaux pour penser le travail en détention.
L'exigence du développement du travail en détention est désormais bien prise en compte dans la construction des futurs établissements pénitentiaires ; c'était nettement moins le cas par le passé, même si des progrès sont encore possibles. Sur le plan géographique, l'administration pénitentiaire a décidé de n'implanter de nouveaux établissements que dans des zones compatibles avec l'exigence de réinsertion des personnes détenues, c'est-à-dire proches des bassins d'emploi, des services publics et des associations de réinsertion. S'agissant de l'architecture, sans entrer dans ce niveau de détails, le rapport annexé prévoit tout de même que les structures d'accompagnement vers la sortie devront s'inscrire dans un « environnement plus favorable à l'aménagement des peines et à l'engagement des démarches vers la réinsertion », ce qui rejoint votre préoccupation. Je vous suggère donc de retirer votre amendement ou de modifier l'expression « de façon prioritaire », afin de lui donner une acception plus large.
Sur le fond, je partage pleinement ce que vous avez dit, monsieur Gosselin. J'en profite d'ailleurs pour remercier l'ensemble des députés qui ont participé à la rédaction du rapport de cette mission pilotée par la commission des Lois. Le travail en détention est évidemment un atout essentiel pour la réinsertion. Dans les établissements qui ont organisé un parcours de détention avec des activités, le taux de réinsertion est plus élevé. En revanche, monsieur le député, je vous propose une petite rectification : l'architecture des établissements doit répondre à plusieurs objectifs, notamment à celui de sécurité, qui n'est pas la même selon les établissements. Il m'est difficile de considérer que le travail serait la priorité des priorités dans l'architecture. Si vous acceptiez d'enlever l'expression « de façon prioritaire », je pourrais émettre un avis favorable à votre amendement.
Votre sollicitation est très intéressante, madame la garde des sceaux. C'est bien volontiers que je souscris à votre demande de rectification.
Cet amendement est intéressant, en ce qu'il nous questionne sur un point fondamental : la nature des prisons que nous allons construire. Nous nous sommes aperçus lors de nos visites que, parfois, elles n'étaient plus adaptées aux types de détention actuels. Comme M. Gosselin l'a bien dit et comme le montre le rapport de la commission, le travail en prison favorise la réinsertion. N'oublions pas qu'un détenu ne reste pas à vie en prison. Pour lutter contre la récidive, il est important de suivre les parcours de peines. Le design d'une prison n'est pas anodin : nous avons vu, par exemple, qu'il n'était pas possible de mettre en place un « module respect » dans tous les types de bâtiment. Nous avons un travail important à faire, en collaboration avec les acteurs du domaine, et particulièrement le personnel pénitentiaire, qui connaît les flux et les besoins. Cet amendement ainsi rectifié est particulièrement utile, en venant rappeler que la question de l'architecture est fondamentale dans notre projet.
Je salue l'esprit constructif dans lequel nous examinons la question importante du travail en prison, qui doit redevenir une priorité stratégique de l'administration pénitentiaire, dans la mesure où c'est un facteur déterminant de réinsertion. Il existe une corrélation entre l'augmentation de la récidive chez ceux qui sortent de prison et l'inexorable baisse du travail en prison. Pour favoriser le sentiment d'utilité sociale, la constitution d'une identité en prison et un certain rapport aux règles, il faut développer le travail en prison. En Suède, les détenus sont occupés de cinq à sept heures par jour ; le Conseil de l'Europe a même fixé une durée minimale d'occupation en prison. En France, le temps de travail journalier n'excède pas une à deux heures. Je ne prétends pas être aussi expert sur le sujet que mon collègue Philippe Gosselin, mais j'ai visité quelques prisons et le taux de sous-occupation des détenus y est évident.
Se pose aussi la question de la formation professionnelle, dans des structures qui ne sont pas toujours adaptées et qui proposent très peu de choix – horticulture pour les femmes et ébénisterie pour les hommes, par exemple. Cela vaut aussi pour les occupations annexes au travail, pour lesquelles on dispose de très peu de données. Il faudrait établir des statistiques plus précises, afin de disposer des chiffres de l'occupation en prison, laquelle doit redevenir une priorité de l'administration pénitentiaire, dans la mesure où elle favorise la baisse de la récidive et où elle est plus utile aux prisonniers que la simple détention, fût-ce dans une cellule individuelle.
Je tiens à souligner l'importance de l'aspect culturel et notamment de l'accès à la culture pour les détenus. Il serait intéressant d'intégrer dans les futures prisons des bibliothèques, des lieux d'accès à la culture.
C'est un travail que nous avons mené en commun avec Philippe Gosselin, Laurence Vichnievsky, Stéphane Mazars et de nombreux autres collègues de la commission. Lors de nos multiples visites, nous avons effectivement entendu beaucoup d'anecdotes sur le travail en détention, montrant que l'architecture est un élément fondamental et que certains centres n'ont pas été pensés pour que le travail puisse avoir lieu en détention.
Tout à fait. Pour les plus récents, il s'agit souvent d'un manque de places : des établissements de 400 ou 500 détenus ont seulement quarante ou cinquante postes de travail. C'est sous-dimensionné dès l'origine. Parfois aussi, c'est une porte trop petite qui ne permet pas aux camions d'entrer dans l'établissement, et ainsi de suite ; les obstacles architecturaux peuvent être multiples. C'est pourquoi Philippe Gosselin et Laurence Vichnievsky mettent l'accent sur le caractère essentiel de la conception architecturale des établissements pour favoriser le travail en détention. À titre personnel, je souscris donc pleinement à cet amendement rectifié. Je n'ai pas pour habitude de donner mon avis, mais ce sujet me tient trop à coeur.
Je salue à mon tour le travail réalisé par nos collègues et l'amendement qui en découle, tel que rectifié à la demande du Gouvernement. Notre groupe y est favorable.
L'amendement rectifié tend à insérer après l'alinéa 180 un alinéa dont je vous donne lecture : « Par ailleurs, l'architecture des nouveaux établissements pénitentiaires prendra en compte de façon prioritaire le développement du travail en détention. »
La Commission adopte à l'unanimité l'amendement CL418 tel qu'il vient d'être rectifié.
Elle examine ensuite l'amendement CL419 de M. Philippe Gosselin.
Toujours dans le prolongement du rapport « Repenser la prison pour mieux réinsérer », nous souhaitons prolonger une expérimentation par l'instauration d'une structure telle que le groupe pour l'emploi des probationnaires (GREP) que nous avons rencontré pendant nos auditions, qui existe dans plusieurs départements et qui a l'avantage d'allier les missions locales, Pôle emploi, les entreprises, la justice, l'administration pénitentiaire (AP), qui ont toujours du mal à se coordonner de façon régulière. Il est proposé une structure très souple, associative, en complément de ce qui existe, pour être plus efficace. L'expérimentation pourrait se dérouler sur une période de trois ans et aurait vocation, en cas de succès, à être généralisée sur l'ensemble du territoire.
Je vous remercie encore pour le travail accompli. Les initiatives que vous décrivez sont intéressantes et doivent être encouragées, mais je ne crois pas utile de les inscrire dans la loi : la preuve est qu'elles existent d'ores et déjà. Je crains qu'une inscription législative ne s'avère contre-productive parce que trop contraignante. Les projets de ce genre ne se décrètent pas : ils supposent des partenariats forts, une véritable volonté et une dynamique locale, qu'il faut encourager en vue de la réinsertion des personnes détenues. Cet objectif se trouve de manière diffuse dans l'ensemble de ce projet de loi. Je demande le retrait de l'amendement, à défaut de quoi j'émettrai un avis défavorable.
Même avis. Ce n'est pas un avis au fond car l'expérience des GREP marche très bien, mais il me semble que c'est une modalité de travail, il en existe d'autres. Nous étions récemment à Marseille, dans la structure d'accompagnement vers la sortie mise en place aux Baumettes : c'est une autre modalité de travail collaboratif entre l'administration pénitentiaire et des structures externes. Cet amendement rigidifierait trop les choses.
J'ai appris, à la faveur d'un cas particulier dont je saisirai la ministre, que les intervenants bénévoles en milieu carcéral pour favoriser la réinsertion des détenus se voyaient imposer une limite d'âge. Cela ne me paraît pas pertinent. Je ne me souviens plus de l'adage…
L'âge ne fait rien à l'affaire ! (Sourires.)
On peut être âgé et en même temps très engagé et performant dans des missions d'insertion, a fortiori lorsqu'elles ne sont pas rémunérées.
Je n'ai pas connaissance d'une telle limitation.
L'idée n'est pas d'imposer le fonctionnement du GREP à tout prix : c'est une des modalités. L'amendement prévoit bien la mise en place d'associations au pluriel ; cela offre de la souplesse. Il s'agit d'appeler l'attention, dans cette partie annexée, qui ne crée pas du droit absolu, sur la difficulté bien réelle de coordination des différents acteurs. Les acteurs sont nombreux, professionnels et bénévoles, mais il n'y a pas de coordination. On peut avoir l'impression d'enfoncer une porte ouverte, mais de la coordination découlerait une plus grande efficacité de ce travail.
La Commission rejette cet amendement.
Puis elle examine l'amendement CL420 de M. Philippe Gosselin.
Une expérimentation est actuellement conduite dans certains centres pénitentiaires depuis 2016 mais elle a commencé à s'appliquer en réalité en 2017 et les retombées sont encore peu nombreuses. Afin de mieux prendre en considération les besoins de l'insertion, l'amendement CL420 propose d'élargir les possibilités de chantier d'insertion, à titre expérimental, afin de repenser le déroulement des peines et surtout la sortie, dans l'intérêt de la société et des détenus.
Ce sera encore une fois une demande de retrait. Vous avez raison, ces projets sont intéressants, permettent un bon taux d'insertion dans l'emploi à la sortie de détention et un accompagnement global du détenu sur le plan social et professionnel. En revanche, comme vous l'indiquez vous-même, des expérimentations sont en cours. Ce n'est qu'à l'issue de celles-ci, autrement dit l'année prochaine, qu'un bilan pourra en être tiré et que la généralisation de ce dispositif pourra être envisagée.
Même avis. Là encore, sur le principe, je suis extrêmement favorable à ce vous proposez. Mon ministère et le ministère du travail ont décidé de mettre en place une phase pilote de l'insertion par l'activité économique (IAE), qui mobilise dix ETP répartis sur les établissements sélectionnés par la direction de l'AP. Nous avons donc des équipes constituées autour du projet. Il nous semblait difficile d'envisager la généralisation que vous proposez sans avoir lancé au préalable l'évaluation, prévue en 2019, et solliciter l'avis de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). À partir des préconisations qui seront remises par l'évaluateur, nous pourrons voir comment effectuer les ajustements nécessaires et déployer le dispositif.
Dans le même esprit, j'ai récemment rencontré Mme Pénicaud au sujet du travail en milieu pénitentiaire. Nous allons lancer, dans le cadre des financements dont elle dispose, des appels à projets spécifiques pour contribuer à la dynamisation de ce travail en établissement pénitentiaire.
Ce n'est pas une généralisation que propose cet amendement, mais un élargissement du champ de l'expérimentation. Aujourd'hui, seuls trois établissements sont concernés, dans le Bas-Rhin, la Réunion et l'Allier ; il est donc proposé d'élargir à quelques autres types d'établissement pour que la palette soit plus large avant toute généralisation. L'IAE est un point majeur.
Ces amendements portent tous sur le lien entre le milieu carcéral et la vie dans la société après l'exécution de la peine. La voie de l'expérimentation a souvent été prônée par la majorité sur d'autres sujets. En l'espèce, elle me paraît bonne, et l'étendre, sans généralisation, permettrait d'aller un peu plus loin pour évaluer des effets dont nous pressentons tous qu'ils sont positifs.
J'apprécie les avis modérés de la garde des sceaux. Nous aimerions qu'ils soient favorables car les travaux conduits par nos collègues mobilisés sur ces sujets doivent trouver une traduction législative ; je trouve un peu dommage que, sur des amendements de portée aussi modeste, on ne puisse satisfaire à leurs demandes car ce serait de nature à encourager d'autres députés à s'impliquer dans des travaux et la rédaction de rapports, s'ils ont l'espoir qu'ils ne finiront pas sous une armoire.
Je remercie Mme la garde des sceaux pour les compléments d'information qu'elle vient d'apporter. Pour avoir travaillé dans l'IAE du côté non carcéral, je suis convaincu de ses capacités et de ses réussites. On sait que cela marche bien : c'est une passerelle entre l'intérieur et l'extérieur de la prison. Continuons à travailler sur des dispositifs qui permettent aux détenus de préparer leur retour à la liberté en évitant un passage trop brutal souvent synonyme d'échec et de récidive. Augmenter le volume des expérimentations ne nuirait pas à leur bilan. À titre personnel, je voterai donc cet amendement.
L'objectif des expérimentations est d'en dresser un bilan pour décider ou non d'une généralisation. Nous sommes très près de la fin de l'expérimentation en cours, qui doit intervenir l'année prochaine. Étendre dès à présent son champ, alors que de tels dispositifs demandent un peu de temps pour être mis en oeuvre, ne serait-ce que pour définir des projets d'insertion et solliciter des associations à même de les porter, conduirait à retarder la date du bilan que nous en attendons.
Tout à fait. L'idée est d'avoir cette évaluation en 2019, pour pouvoir étendre l'expérimentation en tenant compte des modifications à apporter. Je me suis rendue, comme votre présidente, à Oermingen ; l'association Emmaüs y réalise un travail formidable, comme souvent. C'est un travail autour du bois : récupération de vieux meubles, formation des détenus à l'ébénisterie, restauration des meubles et revente. Ce qui m'intéresse, c'est de voir avec Emmaüs si, à la fin de la détention des personnes, ils peuvent les réembaucher. Je suis tout à fait favorable à l'extension de l'expérimentation, mais après avoir terminé l'évaluation de la première vague.
Je maintiens l'amendement tout en comprenant vos arguments ; il n'y a pas d'affrontement brutal entre nous sur ce sujet. Encore une fois, il s'agit d'appeler l'attention sur la difficulté de l'employabilité d'un grand nombre de détenus. Les chantiers d'insertion ont l'avantage de coller aux besoins. Même si une évaluation est prévue en 2019, il n'y a pas de difficulté majeure à ajouter quelques éléments supplémentaires aujourd'hui. Ce serait un signal fort, non seulement vis-à-vis de nos rapports, qui, comme l'a souligné Arnaud Viala, ne trouvent pas assez souvent de traduction concrète, mais aussi parce que nous avons le véhicule législatif : je ne suis pas sûr que nous ayons un texte sur la justice dans les mois à venir, même si nous n'en sommes pas au premier de ces dernières années. Cela part du bon vieux principe que ce qui est entré ne craint pas l'eau.
Dans un souci constructif, je propose d'ajouter à la fin de la phrase de l'amendement de M. Gosselin les mots : « après évaluation ».
Je souhaite faire une proposition qui devrait satisfaire M. Gosselin…
Je pensais que c'était l'amendement Belloubet… Nous sommes en train de réfléchir à une rédaction.
La séance, suspendue à onze heures, est reprise à onze heures cinq.
Je suis sensible à la volonté de la garde des sceaux, au nom l'ensemble de la commission car c'est un travail collectif que nous avons conduit depuis un an sur le rapport « Repenser la prison pour mieux réinsérer ». La commission des lois a travaillé en bonne intelligence et nous sommes parvenus à des conclusions partagées. Ce n'est pas tant le mot à mot qui importe que l'esprit : il est nécessaire de rapprocher de l'emploi les détenus, qui connaissent de vraies difficultés d'employabilité. Il faut ménager des passerelles entre la prison et le monde extérieur, dans l'intérêt du détenu mais aussi, et peut-être plus encore, dans celui de la société. Je suis certain, sans en connaître encore le détail, que la proposition de la garde des sceaux me conviendra très bien. Je pense que nos collègues seront eux aussi sensibles à cette avancée et y verront une marque d'attention à l'égard de la commission dans son intégralité.
Je vous propose donc la rédaction suivante : « Afin de favoriser l'insertion professionnelle des détenus, à l'issue de l'expérimentation des chantiers d'insertion dans les centres pénitentiaires mis en place à compter de 2016, ce dispositif pourra être étendu à de nouveaux établissements pénitentiaires. »
J'accepte volontiers cette rectification. Si la parole est libre, ma plume sera serve, et bien volontiers dans le cas présent…
La Commission adopte à l'unanimité l'amendement tel qu'il vient d'être rectifié.
Puis elle adopte l'article 1er et le rapport annexé modifiés.
Article 1er bis (nouveau) : Programmation de la progression du nombre des conciliateurs de justice
La Commission est saisie de l'amendement CL1003 du Gouvernement.
Cet amendement tend à supprimer un article introduit par le Sénat, qui a souhaité programmer un nombre de conciliateurs de justice. Je partage évidemment l'objectif d'augmenter le nombre de ces conciliateurs ; nous avons d'ailleurs pris des mesures avec la direction des services judiciaires pour rendre la fonction plus incitative, ce qui est logique dans la mesure où je prévois dans la loi un recours étendu à la conciliation. Cependant, programmer un nombre de conciliateurs n'a pas grand sens dans la mesure où il s'agit d'une fonction bénévole.
Avis favorable. Inscrire un nombre programmé des conciliateurs alors qu'il s'agit d'une fonction bénévole n'a en effet pas beaucoup de sens. En revanche, l'objectif est bien entendu partagé. Je souligne que les conciliateurs sont en 2018 au nombre de 2 229, une augmentation de 11 % par rapport à 2016. La programmation telle que prévue par les sénateurs engageait une augmentation de plus de 50 %, peu réaliste.
Les conciliateurs de justice sont des bénévoles, souvent d'anciens chefs d'entreprise, assureurs, banquiers, responsables associatifs, etc., issus de milieux extrêmement divers. S'ils ne revendiquent pas une indemnisation qui serait l'équivalent d'un salaire, je crois me faire leur porte-parole en appelant l'attention du Gouvernement sur les conditions de leur remboursement kilométrique, particulièrement faible alors que certains, dans les territoires ruraux, sont astreints à de longs déplacements – le sujet était déjà d'actualité avant l'augmentation du prix des carburants. Les 200 ou 300 euros que certains peuvent récupérer par trimestre ou par mois ne couvrent pas leurs frais. Ils revendiquent, et ils ont raison, d'être bénévoles mais ils souhaiteraient une meilleure prise en considération de leur indemnisation, afin qu'elle soit décente et rapide. La garde des sceaux pourrait-elle nous faire connaître son point de vue ?
L'argument selon lequel on ne pourrait pas programmer des fonctions exercées à titre bénévole ne me semble pas justifié : ce n'est pas parce que la fonction est bénévole que cela ne coûte rien à l'État. L'État doit effectivement, M. Gosselin vient d'y faire allusion, prévoir des moyens. Ce sont des bénévoles qui sont fiers d'exercer cette fonction au service de la nation, mais il faut leur donner des moyens. L'État doit notamment prévoir une augmentation de leur nombre, éventuellement en menant une campagne de recrutement, de sensibilisation, d'engagement au service de la conciliation juridique. Ce débat sur la place, le nombre, le rôle de conciliateurs est d'autant plus important que, dans ce texte, vous augmentez le recours à la conciliation, à la médiation ; rejeter cet amendement au prétexte qu'il ne faudrait de programmation que pour les emplois publics me semble un peu léger, intellectuellement erroné.
Enfin, il ne faut pas non plus éluder la question de la formation des conciliateurs et de leur accompagnement. Les cas qu'ils ont à traiter sont de plus en plus complexes.
Le sujet est extrêmement important. Se fixer des objectifs est une invitation à les atteindre, avec divers moyens à notre disposition. Avec les moyens alternatifs de règlement des différends que vous souhaitez rendre obligatoires dans certains domaines, le conciliateur de justice est la seule voie gratuite à la disposition des citoyens. Si vous ne fixez pas d'objectifs pour garantir l'accès à cette seule voie gratuite, de deux choses l'une : ou bien vous acceptez un allongement des délais, ou bien vous expliquez au justiciable qu'il va falloir allonger un peu de « pognon » pour aboutir à une médiation plus rapide qu'avec un conciliateur… C'est ce que le Sénat a mis en avant et je pense qu'il serait de bon aloi de maintenir cet article.
La même argumentation vaut pour l'aide juridictionnelle : vous ne pouvez pas augmenter la représentation obligatoire et examiner l'aide juridictionnelle plus tard, imposer un recours préalable en reportant à plus tard les moyens d'accès gratuit à ce recours. De facto, vous faites reculer l'accès gratuit à la justice pour tous.
Mes chers collègues, vous n'avez pas été suffisamment attentifs aux propos de la garde des sceaux : cela n'a aucun sens de programmer cette activité de conciliateur, par essence bénévole. On ne lance pas une campagne de recrutement de bénévoles. En outre, ces conciliateurs reçoivent une indemnité de menues dépenses administratives, complétée sur justificatifs, et leurs frais de déplacement sont pris en compte et ont d'ailleurs été revalorisés il y a peu. Leur situation est prise en considération ; mais il n'est pas envisageable juridiquement d'inscrire dans la loi une campagne de recrutement de bénévoles.
Le conciliateur va devenir une cheville importante dans le dispositif législatif. Avec l'aide de la présidente du tribunal de Chalon-sur-Saône et le sous-préfet de Louhans, nous avons installé deux conciliateurs au coeur même de la maison de l'État. Ils ont donc un bureau à disposition et ils sont en relation avec le service d'accueil unique du justiciable (SAUJ) par le biais de la visioconférence. Nous avons pu dégager des crédits, mais nous avons tout de même un vrai problème de recrutement. Qui pourra être conciliateur dans les proportions que nous envisageons ? Le plan du Gouvernement me semble réaliste. Il faut en revanche envisager pour ces conciliateurs une formation un peu plus étoffée que les huit heures actuelles, qui paraissent nettement insuffisantes. En termes de déplacements et d'informatique, ils travaillent avec leur propre matériel ; ce n'est pas non plus correct vis-à-vis de ces bénévoles. Enfin, la justice civile est toujours moins bien traitée que la justice pénale : le délégué du procureur, lui, perçoit une indemnité pour ses prestations. Nous serons vite rattrapés par cet état de fait. Je tenais à vous alerter.
Je ne souhaite pas fixer d'objectifs précisément parce que ce sont des bénévoles ; il ne s'agit pas d'un recrutement sur concours. Nous avons engagé, au ministère de la justice, une campagne de recrutement qui produit ses fruits puisqu'elle nous a permis de passer de 1 958 conciliateurs en 2016 à 2 229 en 2018. Dans le même temps, nous avons dialogué avec l'Association nationale des conciliateurs de justice, avec laquelle nous sommes fréquemment en contact, directement ou bien via la direction des services judiciaires : cela nous a conduits, d'une part, à revaloriser l'indemnité de défraiement annuelle à laquelle ils peuvent prétendre – très modeste, entre 500 et 1 000 euros – et à prendre en charge le remboursement de leurs frais de transport.
Majoritairement, les conciliateurs sont des jeunes retraités issus des professions du droit – à 94 % – et ils sont saisis d'un nombre important d'affaires directement par les particuliers : 130 000 affaires par an environ, ce qui est tout de même important. Ce sont des gens passionnés par la fonction qu'ils remplissent et je tiens à leur rendre hommage.
La Commission adopte cet amendement.
Par conséquent, l'article 1er bis est supprimé.
Article 1er ter (nouveau) : Rapport annuel au Parlement sur l'exécution de la présente loi
La Commission est saisie de l'amendement CL781 de Mme Naïma Moutchou.
Cet amendement s'inspire des modules « Respeto » créés dans les établissements pénitentiaires espagnols. Ils existent en France depuis 2015 : aujourd'hui dix-huit prisons en ont ouvert et vingt établissements supplémentaires projettent de le faire entre 2018 et 2022. Le module de confiance, « Respeto », s'inscrit dans l'esprit du projet de loi, qui vise à repenser la prison et concilie peine adaptée et peine efficace en termes de réinsertion. Il semblerait que les bénéfices soient nombreux. La contrôleure générale des lieux de privation de liberté a eu l'occasion de s'exprimer sur le sujet en 2017 ; elle estime notamment que ce dispositif est intéressant en ce qu'il promeut l'autonomie des personnes et qu'il allège les contraintes sécuritaires. Mon amendement CL781 vise à évaluer les modules « Respeto » aujourd'hui expérimentés – évaluation qui s'inscrirait dans le cadre du rapport prévu à l'article 1er ter, qui préciserait en particulier les effets des modules sur l'évolution des violences en détention, sur la responsabilisation des personnes détenues dans le cas de la préparation de leur réinsertion, et sur l'évolution des métiers pénitentiaires.
Avis favorable. Je partage les propos de Naïma Moutchou quant à l'intérêt d'évaluer précisément la mise en place des modules de confiance expérimentés dans une vingtaine d'établissements pénitentiaires depuis 2015. Ces modules permettent aux détenus de bénéficier de conditions de détention plus souples moyennant le respect de certaines règles, notamment de discipline. Il convient de procéder à une évaluation de ce dispositif qui trouvera toute sa place dans le rapport d'exécution de la présente loi.
Avis très favorable. Dans la mesure où nous envisageons d'étendre le module de confiance comme l'une des modalités de la détention, cette évaluation nous sera très utile.
J'ai presque envie de dire que nous n'avons pas besoin d'évaluer le module « Respeto » : d'après ce que j'en ai vu, cela fonctionne très bien. Un rapport permettra aussi d'imaginer nos futures prisons en partie autour de ce module. Un des freins à sa création, c'est souvent que les bâtiments ne sont pas adaptés. Je me félicite de ce rapport et du fait que la garde des sceaux et l'AP aient la volonté de développer ce dispositif.
L'évaluation est indispensable car certaines choses fonctionnent très bien, d'autres un peu moins. Tous les publics ne peuvent être visés ni tous les établissements pénitentiaires. Nous avons besoin de données pour pouvoir étendre ce dispositif.
La Commission adopte cet amendement.
Elle examine ensuite l'amendement CL782 de Mme Yaël Braun-Pivet.
Cet amendement, dans la droite ligne des amendements présentés par Philippe Gosselin tout à l'heure, s'inspire des travaux que j'ai pu conduire dans le cadre des groupes de travail sur la détention. J'ai piloté un groupe sur la diversification des conditions de détention par le recours aux établissements ouverts, partant du principe qu'il fallait avoir des établissements dont la sécurité soit différenciée selon la dangerosité des détenus et selon le projet que l'on veut y mener. Nous avions préconisé dans notre rapport des établissements destinés très fortement à la réinsertion, que ce soit pour la prise en charge de courtes peines d'emprisonnement ou pour les fins de peine pour préparer le retour dans la société.
Je me suis réjouie de la reprise de cette idée par le Gouvernement à travers les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), pour lesquelles le Gouvernement s'est engagé à construire 2 000 places. Cet amendement invite le Gouvernement à nous transmettre une évaluation des mises en place de ce concept nouveau. Je souhaite que la commission puisse recevoir ces données afin de suivre les préconisations qu'elle avait formulées et la concrétisation qui aura lieu dans les prochaines années.
Mon avis sera évidemment favorable… J'en profite pour saluer les travaux que vous avez conduits sur ces sujets et qui se concrétisent dans ce texte. Un rapport d'évaluation permettant de suivre la mise en oeuvre effective de ces mesures aura également toute sa place.
Avis très favorable, pour toutes les raisons que vous avez exposées.
Je soutiens cet amendement d'autant plus volontiers que j'ai participé aux travaux que vous avez menés au nom de la commission des Lois, mais j'aurais souhaité que l'on puisse préciser ce que l'on entend par les différentes dénominations.
Vous prônez, madame la garde des sceaux, des SAS avec 2 000 places pour des courtes peines et des fins de peine. Nous avons eu l'occasion, avec la présidente de la commission, de nous rendre au Danemark pour voir ce qu'était là-bas le concept de prison ouverte. Je vous rappelle que nous avons en France Casabianda, à côté de Bastia, avec 200 places, ainsi que le centre de Mauzac en Dordogne, avec 251 places et rattaché à des fermes écoles : ce dispositif évite des suicides et l'angoisse de l'enfermement, et permet une resocialisation plus importante. Au Danemark, 34 % des détenus sont dans des structures ouvertes ; en Finlande, ils sont 32 % et en Suède 24 %. Nous avons conclu, à la commission des Lois, à la création de centres de détention à sécurité allégée, qui auraient concerné environ 10 % des personnes incarcérées, ce qui représenterait quelque 7 000 personnes. Comment se situent les SAS par rapport aux prisons ouvertes ou aux centres de détention à sécurité allégée ? Cela mériterait d'être précisé.
J'ai la même question que M. Morel-À-L'Huissier. Par ailleurs, puisqu'il s'agit de 2 000 places sur 15 000, Mme la garde des sceaux pourrait-elle nous préciser la répartition de ces 2 000 places dans la première période, donc des 7 000, puis parmi les plus hypothétiques 8 000 à l'horizon 2027 ? Est-ce 2 000 sur 7 000 ?
Nous avons l'habitude de demander des rapports, justement parce qu'il est intéressant de mettre à jour les données et les éléments dont nous disposons sur chacune des questions. J'imagine qu'absolument rien n'a jamais été écrit sur le sujet ; je suppose que c'est pour cela que vous êtes favorable, pour une fois, à ces deux rapports consécutifs !
Pourtant les dispositifs en question, même s'ils ont changé de sigle, correspondent à des structures qui existaient déjà : les quartiers de préparation à la sortie devaient être mis en place par le précédent garde des sceaux.
Nous serons favorables à cet amendement car la proposition est pertinente, et nous espérons que cette ouverture d'esprit non pas sur la forme – un rapport –, mais sur le fond, sera encore à l'oeuvre pour les prochaines propositions que nous ferons en ce sens.
Ce rapport nous donne envie d'en savoir un peu plus sur le plan prison. Sans esprit de polémique, est-il envisageable de connaître le programme jusqu'en 2022 : les emplacements, la structure et la nature des établissements que vous envisagez ? S'il est difficile de le dire maintenant, pourrions-nous avoir ces informations quand vous le jugerez possible ?
Le programme pénitentiaire est public. Je pourrai vous le communiquer très rapidement : un document officialise les lieux, les dates, les places, les structures. Cela existe, avec des photos des différents établissements.
Au fond, je souhaite que nous ayons des structures à l'architecture différenciée, et des régimes de détention différenciés. Les deux doivent se conjuguer.
Monsieur Morel-À-L'Huissier, vous faites allusion à votre voyage avec la présidente au Danemark. Sans doute vous en souvenez-vous avec émotion, et vous n'aurez pas oublié que cette prison dite « ouverte » n'est pas complètement ouverte physiquement. Elle a des grillages et des barbelés : on n'y entre ou on n'en sort pas n'importe comment. Ce qui n'est pas le cas de la prison de Casabianda, en Corse, dont on entre et on sort comme on veut, puisqu'il n'y a aucune limite physique entre la prison et le champ à côté : c'est une exploitation agricole de 15 000 hectares et il y a même une route nationale qui passe au milieu. Et les détenus, dont les bâtiments de détention sont face à la plage, peuvent parfaitement s'éloigner lorsqu'ils ne sont pas occupés à des activités.
Tout cela illustre que l'expression « prison ouverte » recouvre des régimes pénitentiaires différents. Or je souhaite qu'il y ait une gamme d'établissements et de régimes pénitentiaires : il y aura bien sûr des maisons centrales, très fermées, avec des miradors ; il y aura des maisons d'arrêt, qui pourront accueillir des régimes de détention différents – régime confiance, régime classique ; il y aura des centres de détention où l'on trouvera des prises en charge différentes ; enfin, il y aura les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), beaucoup moins sécuritaires, voire très peu sécuritaires. Si vous allez à Villejuif, où il y a une structure d'accompagnement vers la sortie – qui porte actuellement un autre nom, mais peu importe –, vous ne verrez pas physiquement la différence entre ce petit immeuble et le reste de cette rue plutôt pavillonnaire. Il y a évidemment de la sécurité à l'intérieur, et les détenus, parce que c'est le principe de la structure, sont progressivement accompagnés vers la sortie : à Marseille par exemple, les détenus ne sont pas soignés dans la SAS, mais à l'extérieur, pour qu'ils puissent avoir un médecin de référence quand ils sortiront, car la prise en charge sanitaire est souvent un point important. De la même manière, les questions liées au logement sont traitées avec l'extérieur. C'est une forme de prison ouverte.
Par ailleurs, nous allons implanter trois prisons expérimentales centrées sur le travail, qui comporteront également un régime de détention beaucoup plus ouvert que dans d'autres systèmes. C'est donc une gradation des bâtiments et des régimes de détention.
Vous n'avez donc pas l'idée que les SAS soient une structure ex nihilo, indépendante d'un centre de détention ?
Si, tout dépendra des situations physiques. Dans un certain nombre de cas, nous sommes obligés d'implanter le SAS dans une emprise pénitentiaire, car nous avons besoin d'un terrain pour installer d'ici à 2022 les 2 000 places en SAS, sur 7 000 prévues. Parfois, nous aurons besoin d'une implantation pénitentiaire, mais alors ce sera toujours en lisière de l'établissement pour que le dedansdehors soit possible. Dans d'autres cas, ce seront des structures ex nihilo, implantées… quelque part.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle en vient à l'amendement CL783 de la présidente.
Je tiens beaucoup à cet amendement, dont Robin Reda a parlé précédemment : il s'agit de réaliser une évaluation beaucoup plus fine de la récidive. Il est demandé au Gouvernement d'évaluer le taux de récidive et de réitération en fonction des conditions de détention, de la catégorie d'établissement pénitentiaire d'affectation, du régime de détention, de la nature des activités que le détenu aura suivies en détention : y a-t-il travaillé, reçu une formation ? Quel est l'impact de cette prise en charge sur le taux de récidive ? Il y a quinze jours, j'ai exhumé un rapport de 1955 dans lequel il était écrit qu'en la matière, l'administration pénitentiaire ne faisait que de grossières approximations. Malheureusement, nous avons peu progressé et j'espère que le Gouvernement pourra nous donner des évaluations beaucoup plus précises qui nous permettront un pilotage beaucoup plus fin de notre politique pénale et pénitentiaire.
Avouons-le, nous ne sommes pas parfaitement outillés en termes de statistiques, nous devons vraiment progresser de ce point de vue. Nous avons beaucoup de statistiques dans tous les sens, mais il est tellement difficile de les analyser, parce que les éléments d'évaluation sont multifactoriels, que nous avons le plus grand mal à utiliser pleinement l'ensemble des données chiffrées. Nous devons progresser de ce point de vue, et votre travail nous y aidera certainement.
Sans statistiques, on ne peut pas évaluer parfaitement, et on ne peut pas savoir ce qui marche. Dans la mesure où l'on va développer les types de détention et se doter d'un panel de parcours de peine, il est extrêmement important que l'on mette en place les outils statistiques objectivant le résultat de chacun de ces types de parcours.
Nous avions parlé avec la présidente de la commission, lorsque nous nous sommes rendus à Casabianda, de la difficulté de disposer de statistiques sur ce qui marche et ce qui ne marche pas. Nous avions demandé à l'administration de Casabianda si elle avait des statistiques ; elle avait été très gênée pour nous répondre, faute de disposer de données totalement objectives. Je pense donc qu'il faut aussi prévoir des objectifs par établissement, sans qu'ils soient nécessairement publics, pour éviter tout risque de stigmatisation, afin qu'au moins l'administration puisse avoir des données très précises de ce qui marche et de ce qui ne marche pas dans les différents endroits.
C'est la seconde fois que je prends part aux travaux de cette commission, et je suis heureux de constater l'état d'esprit qui y règne, qui tranche singulièrement avec d'autres commissions, notamment à l'égard des rapports. Votre jurisprudence mériterait de faire des petits dans d'autres domaines de l'activité parlementaire…
Je trouve que votre idée, consistant à évaluer ce qui conduit à la récidive pendant le temps de la détention, est bonne. Mais il faudrait aussi évaluer, dans la place réservée dans la société à ceux qui sortent de prison, tous les éléments qui conduisent à la récidive. Quelles sont les conditions d'accès au logement social pour quelqu'un qui sort de prison et dont le « pedigree » et les capacités financières sont difficilement compatibles avec les critères d'éligibilité ? Si l'on étendait le diagnostic de la récidive au champ sociétal, aux défaillances de politiques publiques et d'insertion réelle des plus exclus d'entre nous, cela permettrait peut-être d'améliorer ces politiques publiques par ailleurs tellement abîmées sous cette majorité : politique de la ville, politique du logement… Stéphane Peu pourrait vous en dire beaucoup là-dessus.
Quand on sort de prison et que l'on n'a pas de logement, pas de boulot, et que l'on retourne dans son quartier d'origine avec au bout du compte le seul bagage de la détention sans avoir réglé aucun des problèmes qui vous y ont conduit, cela s'appelle la récidive.
Il est toujours utile de renforcer les outils statistiques du ministère de la justice, mais je suis surpris de voir qu'on ne s'intéresse qu'aux conditions de détention, et non au profil des détenus. Il peut être éminemment utile de croiser les données et de les analyser en fonction de l'âge du détenu, s'il s'agit de sa première condamnation effective à une peine de prison, si c'est son premier séjour en prison, s'il est déjà récidiviste, pour appréhender l'effet des conditions de détentions. Mais peut-être s'agit-il d'un oubli ?
Il ne s'agit pas d'un oubli : mon amendement s'inscrit dans la continuité des travaux que nous avons menés au sein de la commission des Lois. Nous nous étions focalisés sur la prise en charge du détenu à l'intérieur des établissements pénitentiaires, notamment via l'activité ou le travail. Le champ a été volontairement restreint. Il ne s'agit pas de demander au Gouvernement de nous faire un état global des causes de la récidive, mais de nous concentrer sur les conséquences des différentes prises en charge sur la récidive pour les préciser, les adapter et voir ce qui marche et ce qui ne marche pas – ce qui ne signifie pas que les autres sujets ne soient pas intéressants.
Je prends un exemple au hasard : si l'on forme tous les ans deux cents détenus à la boulangerie, exerceront-ils un emploi dans ce secteur après leur sortie ? Exerceront-ils un emploi en général ? Ou, si cette formation n'a mené à rien, est-il nécessaire de la piloter différemment ?
Voilà pourquoi j'ai volontairement limité mon amendement à la seule prise en charge en détention. Vous avez raison, les causes de la récidive sont multiples et variées, c'est la raison pour laquelle nous avons beaucoup de mal à la mesurer et à lutter contre ce phénomène. Mais je pense que mon amendement apporte un début de réponse à la question de la prise en charge spécifique en détention.
Je ne veux rien ajouter au fond, mais en réponse à l'observation de M. Jumel à propos des rapports, il ne s'agit pas d'un rapport en plus – vous savez que le Gouvernement n'est pas favorable à la multiplication des rapports quand cela n'apparaît pas opportun. En réalité, nous nous situons dans le cadre d'un article rajouté par le Sénat qui avait été proposé par le sénateur Thani Mohamed Soilihi, lequel prévoit que le Gouvernement remette chaque année un rapport d'exécution sur la loi. L'ensemble des éléments dont nous venons de débattre s'inscrira dans ce rapport. Si le Gouvernement n'est pas favorable à la multiplication des rapports, nous souhaitons vraiment rendre compte de nos politiques publiques : c'est l'esprit général de la révision constitutionnelle que j'aurai le plaisir de porter prochainement devant vous.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'article 1er ter modifié.
Sous-titre Ier Redéfinir le rôle des acteurs du procès
Chapitre premier Développer la culture du règlement amiable des différends
Avant l'article 2
La Commission est saisie de l'amendement CL384 de M. Antoine Savignat.
Mon amendement propose de supprimer le chapitre premier. Vous partez, madame la garde des sceaux, d'un constat juste, partagé par l'ensemble des professions judiciaires : le développement et la mise en place des modes alternatifs de règlement des litiges sont indispensables, mais en procédant comme le propose le projet de loi, vous n'en tirez pas la juste conclusion.
L'ensemble de notre procédure civile est axé sur le procès : les articles 1er et 2 du code de procédure civile imposent que les parties introduisent et conduisent l'intégralité de la procédure. Or votre texte laisse la possibilité aux magistrats, à tout moment de la procédure, d'ordonner la mise en place d'un mode alternatif de règlement. À tout moment, alors que bien souvent, les personnes arrivent à l'issue d'un long parcours, après avoir subi un dommage, constitué un dossier, rencontré l'ensemble des professionnels du droit et que de longues audiences de mise en état se sont tenues, le magistrat pourra leur ordonner de s'adresser à un autre interlocuteur.
C'est particulièrement gênant, car il y va de la souveraineté de l'État : rendre la justice est une de ses prérogatives essentielles. Qui plus est, si l'on suit le procédé dont vous proposez la mise en place, vous allez privatiser et commercialiser la justice : en renvoyant devant un médiateur ou un arbitre, vous imposerez aux parties de supporter un coût qu'elles n'auraient pas à supporter en saisissant la juridiction. Vous ne pouvez pas développer la culture du règlement amiable à coups de marteau tel que vous le proposez dans ce texte.
Avis défavorable. Vous êtes opposé par principe à l'approche du règlement amiable et alternatif des litiges dans ce projet de loi ; nous aurons l'occasion d'en débattre plus longuement en discutant de chacune des dispositions de ce chapitre.
Le développement du mode alternatif de règlement des différends est au coeur du dispositif de la réforme de la procédure civile dans ce texte. Je signale une petite confusion, qui sera rectifiée : les parties ne seront pas obligées de trouver un accord de médiation. Elles auront l'obligation de rencontrer un médiateur, mais pas de souscrire à la médiation.
D'expérience, je peux vous dire que cette médiation est déjà ordonnée dans la plupart des cas, et même en appel, par le premier président de cour d'appel. Force est de constater que même après plusieurs années de procédure et de contentieux, ces techniques de médiation fonctionnent tout à fait correctement.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL-925 de la rapporteure.
Il s'agit d'un amendement de précision : l'intitulé de cette division porte sur le règlement amiable des litiges, alors qu'il est également fait référence à l'arbitrage, qui n'est pas un mode de règlement amiable, mais alternatif.
La Commission adopte l'amendement.
La réunion s'achève à 11 heures 50.
Informations relatives à la Commission
La Commission a désigné :
– M. Fabien Matras, rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la représentation des personnels administratifs, techniques et spécialisés au sein des conseils d'administration des services départementaux d'incendie et de secours (n° 1356) ;
– Mme Maud Petit, rapporteure de la proposition de loi relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires (n° 1331) :
– Mme Sarah El Haïry, rapporteure sur la proposition de loi visant à améliorer la trésorerie des associations (n° 1329).
La Commission a approuvé la création :
– d'une mission d'information sur l'aide juridictionnelle ;
– d'une « mission flash » sur la démocratie locale et la participation citoyenne.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, M. Christophe Euzet, Mme Élise Fajgeles, M. Jean-Michel Fauvergue, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. David Habib, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Sébastien Jumel, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, M. Philippe Latombe, M. Olivier Marleix, M. Jean-Louis Masson, M. Fabien Matras, M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, Mme Maud Petit, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, M. Aurélien Pradié, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Robin Reda, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, M. Hervé Saulignac, M. Antoine Savignat, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala, M. Cédric Villani, M. Guillaume Vuilletet
Excusés. - M. Philippe Dunoyer, Mme Paula Forteza, Mme Marie Guévenoux, M. Mansour Kamardine, Mme Maina Sage, M. Jean-Luc Warsmann
Assistaient également à la réunion. - Mme Emmanuelle Anthoine, M. Vincent Bru, Mme Bérangère Couillard, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Isabelle Florennes, Mme Émilie Guerel, Mme Frédérique Meunier, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Jean-Pierre Vigier, M. Michel Zumkeller