La séance est ouverte.
La séance est ouverte à neuf heures.
Le ministre de l'intérieur a informé le président de l'Assemblée nationale que l'élection au Sénat de Mme Valérie Boyer, M. Stéphane Demilly et M. Philippe Folliot était devenue définitive.
En conséquence, en application de l'article L. O. 137 du code électoral, sont remplacés jusqu'au renouvellement de l'Assemblée nationale : dans la première circonscription des Bouches-du-Rhône, Mme Valérie Boyer par M. Julien Ravier ; dans la cinquième circonscription de la Somme, M. Stéphane Demilly par M. Grégory Labille ; dans la première circonscription du Tarn, M. Philippe Folliot par Mme Muriel Roques-Etienne.
La parole est à Mme Albane Gaillot, rapporteure de la commission des affaires sociales.
Rien n'est plus précaire que les droits des femmes. La mort de la grande Ruth Bader Ginsburg est un énième signal d'alarme. Les lois liberticides en matière d'avortement adoptées ces dernières années aux États-Unis mais aussi en Europe, en sont autant d'autres.
À celles et ceux qui se réfugient derrière l'éternel « c'est pire ailleurs », je veux opposer une autre réalité. En France, le recours à l'interruption volontaire de grossesse est de plus en plus difficile, du fait notamment de la fermeture de centres d'IVG et de grandes disparités territoriales en matière d'offre de soins et d'accès à l'information. Chaque jour en France, les femmes font les frais de la clause de conscience spécifique à l'IVG, …
… qui consacre l'avortement comme un acte à part, stigmatisant et culpabilisant.
Il est difficile d'être réunis ce matin sans penser à ce jour de novembre 1974 où Simone Veil est montée à cette même tribune pour défendre son projet de loi ; difficile aussi de ne pas penser à la célèbre plaidoirie de Gisèle Halimi. Il y a quarante-cinq ans, la France a reconnu à toutes les femmes le droit de disposer librement de leur corps.
Alors, pourquoi légiférer aujourd'hui ? Les professionnels de santé et les associations qui accompagnent les femmes nous alertent depuis de nombreuses années sur les entraves à ce droit. Mes collègues Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti, que je salue, ont réalisé, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de notre assemblée, un travail de longue haleine auprès des femmes et de l'ensemble des professionnels. Pour ma part, j'ai mené des auditions pour élaborer cette proposition de loi et organisé des rencontres de terrain. Nous avons entendu toutes les parties.
Nous le savons, nous ne parviendrons pas à faire taire les obscurantismes les plus sombres ; tel n'est d'ailleurs pas notre objectif. Mais nous savons aussi que 75 % des Françaises et des Français se disent favorables à une interruption volontaire de grossesse sans restriction.
Le travail collectif et transpartisan que nous avons mené sur ce texte est un signal important. En dépit de nos appartenances politiques et de nos convictions personnelles, nous nous sommes réunis autour d'un même objectif : faire progresser les droits des femmes et adresser un message fort au monde entier. Je tiens à remercier les députés de tous les groupes qui ont cosigné la proposition de loi, ainsi que celles et ceux qui ont contribué à l'enrichir en commission.
La proposition de loi que je vous présente comporte cinq articles, contre deux à l'origine. Elle prévoit des avancées majeures pour les femmes et pour l'accès à l'IVG, grâce à trois leviers principaux.
Le premier levier est temporel. Nous le savons, le rapport d'information de la délégation aux droits des femmes l'a montré et les auditions que j'ai menées l'ont largement confirmé : les délais actuels sont trop limités, ce qui complique le parcours des femmes pour accéder à l'IVG.
Nous entendons d'abord agir sur le délai d'IVG, en le portant de douze à quatorze semaines de grossesse ; tel est l'objet de l'article 1er. Chaque année, 3 000 à 5 000 femmes de notre pays sont contraintes de partir avorter à l'étranger du fait du dépassement des délais légaux. Et combien d'autres ne peuvent assumer les nombreux frais que cela implique, en matière de déplacement, d'hébergement et de coût de l'intervention ?
À celles et ceux qui en appellent à la responsabilité des femmes, je veux rappeler qu'aucune d'entre elles ne reporte sa décision par distraction, par manque de temps ou par plaisir.
Applaudissements sur les bancs des groupes EDS, SOC et GDR. – M. Guillaume Gouffier-Cha applaudit également.
Le dépassement des délais légaux est davantage le reflet des difficultés de parcours et d'accès des femmes à l'IVG que celui de leur difficulté à faire un choix.
Nous voulons agir ensuite sur le délai de réflexion. Si la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a supprimé tout délai de réflexion entre la consultation d'information et celle de recueil du consentement, un délai de réflexion de deux jours perdure dans la loi pour les femmes qui bénéficient d'un entretien psychosocial – facultatif pour les majeures, obligatoire pour les mineures. Nous proposons d'abroger cette disposition.
Nous souhaitons actionner un second levier : en agissant sur l'offre de soins. Nous savons que des inégalités territoriales importantes persistent sur notre territoire…
… et que l'accessibilité à l'IVG n'y est pas partout identique. C'est pourquoi nous proposons d'ouvrir aux sages-femmes la possibilité de pratiquer des IVG chirurgicales. Nous voulons accroître le nombre de professionnels à même de réaliser des IVG et renforcer ainsi notre maillage territorial.
La suppression de la clause de conscience spécifique à l'IVG va également dans ce sens. Entendons-nous bien, mes chers collègues : nous ne touchons pas à la clause de conscience générale des médecins et des sages-femmes ; en revanche, nous mettons un terme au traitement juridique anachronique dont l'IVG fait encore l'objet. Cette mesure est à la fois symbolique et très concrète. Elle permettra, j'en suis sûre, de faire évoluer les mentalités.
Le troisième et dernier levier que j'identifierai est celui de l'information. Nous le savons, l'information à propos de l'IVG est fondamentale, et nous entendons contribuer à la renforcer, en prévoyant, d'une part, que les agences régionales de santé publieront un annuaire recensant les professionnels et, d'autre part, que le Gouvernement remettra au Parlement un rapport sur l'application de la législation relative au délit d'entrave.
Ce texte est avant tout un texte équilibré, un texte de consensus.
Il répond à des demandes de longue date des acteurs et des actrices de terrain et, surtout, des femmes. Il apportera des changements concrets dans la vie de nos concitoyennes.
Mes chers collègues, près de cinquante ans après le procès de Bobigny, les mots de Gisèle Halimi résonnent encore : « Voulez-vous contraindre les femmes à donner la vie par échec, par erreur, par oubli ? Est-ce-que le progrès [… ] n'est pas précisément de barrer la route à l'échec, de faire échec à l'échec, de réparer l'oubli, de réparer l'erreur ? »
Je le répète, cette proposition de loi est celle, non pas d'un groupe politique, mais de tous les députés qui défendent les droits des femmes.
Applaudissements sur les bancs des groupes EDS, SOC et GDR ainsi que sur de nombreux bancs du groupe LaREM.
Nous vous écoutons attentivement, monsieur le ministre !
Tiens, les membres du groupe EDS se sont installés sur les bancs du groupe SOC !
Avec cette proposition de loi, nous abordons un thème sensible, qui mobilise des convictions aussi ancrées que diverses ; nous prolongeons un débat qui a résonné dans cet hémicycle il y a quarante-cinq ans et qui compte parmi ceux qui ont fait avancer la société française.
Il y a quarante-cinq ans en effet, notre pays a fait un choix historique, et le droit à l'IVG restera emblématique des grands combats menés par le ministère des solidarités et de la santé, car il a mis un terme aux avortements clandestins, qui avaient coûté tant de vies, et fait progresser très fortement le droit des femmes.
Qu'il me soit permis de remercier celles et ceux qui, au quotidien, rendent possible l'exercice de ce droit et font de cette loi ce qu'elle est fondamentalement : un droit au service des femmes, le droit pour les femmes de disposer de leur corps. Nous avons tous en mémoire les mots de la grande Simone Veil à cette même tribune ; nous avons tous à l'esprit la violence des attaques qu'elle a affrontées avec un courage exceptionnel, désormais entré dans la légende.
Si la loi Veil a quarante-cinq ans, je reste, en ma qualité de ministre, extrêmement vigilant, parce que le droit à l'avortement est remis en cause dans de nombreux pays où il passait pour acquis. Partout grandissent des menaces, qui doivent nous mobiliser. Il y a évidemment un lien – comment ne pas le voir ? – entre les tendances autoritaires et le refus du droit à l'avortement. Mais nous assistons également à des reculs, qui nous alertent, dans certaines démocraties, aux États-Unis et, plus près de nous, dans certains pays européens.
En France, très récemment encore, au mois de janvier 2020, une campagne anti-IVG a eu droit de cité dans les espaces publicitaires du métro parisien. Cette campagne osait afficher qu'un tel retour quarante-cinq ans en arrière serait « un progrès pour la société ». Je n'oublie pas non plus que les contrevérités et les discours culpabilisant les femmes circulent à grande vitesse sur les réseaux sociaux. Et je le dis comme je le pense : semer le trouble, aiguiser les doutes, harceler celles qui sont en réflexion ou qui ont pris leur décision, c'est proprement insupportable.
Mme Fadila Khattabi, présidente de la commission des affaires sociales, Mme la rapporteure et Mme Anne-Christine Lang applaudissent.
Dois-je évoquer ici les rassemblements réguliers qui, aujourd'hui encore, visent à dissuader les femmes de recourir à l'avortement ? En tant que médecin, j'ai reçu de nombreux témoignages de femmes qui ont affronté, dans leur parcours menant à l'avortement, une forme de pression psychologique, fût-elle inspirée par des pensées bienveillantes. « Êtes-vous vraiment sûre ? » ; « N'avez-vous pas besoin de davantage de temps ? » ; « Est-ce vraiment ce que vous voulez ? » ; « N'allez-vous pas le regretter ? » ; « Vous savez, ce sera très dur… » sont autant d'éléments d'un discours qui peut être ressenti, par ces femmes, comme une pression psychologique intense.
Nous pourrions nous contenter de voir dans les rassemblements que je viens d'évoquer tantôt des manifestations ostentatoires de bigoterie, tantôt des simagrées ridicules. Mais ils témoignent d'une volonté bien plus grave : celle d'un retour à l'emprise sur le corps des femmes.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et EDS.
De fait, le droit à l'avortement, c'est l'affirmation résolue du droit des femmes à disposer de leur corps.
Mêmes mouvements.
En 2019, 232 000 interruptions volontaires de grossesse ont été réalisées dans notre pays. La délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale, plus précisément ses rapporteures Mmes Battistel et Muschotti ont établi un rapport d'information sur l'accès à l'IVG que je qualifierais de remarquable.
Mêmes mouvements. – Mme Jeanine Dubié applaudit.
Produit après l'audition de nombre d'associations et de professionnels, il dresse un constat détaillé et riche sur les écueils rencontrés aujourd'hui encore par les femmes dans leur parcours. C'est un travail sérieux qui montre qu'il reste du chemin à parcourir pour réduire l'écart entre le droit légal et le droit réel à l'avortement.
Bien entendu, la crise sanitaire que nous traversons n'est pas sans conséquence sur l'exercice du droit à l'avortement, mais tout a été fait pour que ce droit demeure effectif et s'exerce dans les meilleures conditions. Le covid-19 n'a pas remis en cause nos valeurs les plus fondamentales et, à ma demande, le ministère s'est pleinement mobilisé pour faciliter l'accès à l'IVG dans les délais.
Les mesures nécessaires ont été prises pour préserver les femmes du covid-19, grâce à des circuits dédiés, et pour ménager les ressources hospitalières tout en maintenant la qualité de la prise en charge des IVG. Je pense en particulier à la priorité donnée à la simplification de la prise en charge des IVG médicamenteuses en ville, et même à domicile, dont le délai a été étendu jusqu'à neuf semaines d'aménorrhée, comme dans les établissements de santé.
À ce titre, j'ai pris par arrêté une mesure dérogatoire exceptionnelle pour permettre, en pratique, à une jeune femme, même mineure, qui aurait été bien dans la peine d'expliquer pourquoi elle devait sortir en plein confinement pour se rendre dans un planning familial ou à l'hôpital à trois reprises – une consultation préalable, une consultation pour la prise du médicament et une consultation suivant la prise du médicament – de recourir à la téléconsultation et de prendre le médicament à domicile. Je ne pouvais envisager que certaines grossesses soient révélées trop tardivement chez des jeunes filles qui auraient eu peur de les annoncer à leurs parents.
Cette mesure dérogatoire liée à l'état d'urgence sanitaire est désormais tombée. Pour procéder avec méthode, j'ai saisi le 23 septembre dernier l'Agence nationale de santé publique et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé – ANSM – afin de déterminer, en fonction des recommandations formulées par ces agences, s'il est possible d'inscrire durablement dans notre droit cette disposition à laquelle je crois.
Les médecins généralistes, les médecins gynécologues et les sages-femmes de ville ainsi que les centres de planification familiale se sont mobilisés de manière remarquable pour permettre à toutes les femmes, notamment aux femmes isolées, en situation complexe ou éloignées de notre système de santé, d'exercer leur droit à l'IVG dans les conditions de sécurité et de qualité requises, en tenant compte de l'impact de la crise sur leur situation individuelle.
Alors que 5 % des avortements se font dans les deux dernières semaines du délai légal, soit entre la douzième et la quatorzième semaine d'aménorrhée, nous développons un accompagnement particulier pour les IVG tardives avec des équipes dédiées à la coordination. Toujours dans l'objectif d'un accès garanti à l'IVG dans la période de confinement, la téléconsultation a démontré toute sa pertinence pour réaliser certaines ou l'ensemble des consultations qui structurent le parcours d'IVG médicamenteuse en ville. Le circuit du médicament a été aménagé pour permettre aux femmes de se procurer les pilules abortives directement en pharmacie.
Enfin, s'agissant des délais, je sais que certains voulaient aller plus loin durant la période de crise, au motif légitime que les circonstances rendaient plus complexe le respect du délai légal. J'entends cet argument. Mais c'est avant tout pour répondre à la nécessité absolue de garantir l'accès à l'IVG que nous avons fait évoluer le délai pour l'IVG médicamenteuse en ville, après avis de la Haute autorité de santé – HAS.
Reste que, comme dans bien des domaines de la santé, la crise aura permis d'identifier les faiblesses et les atouts des dispositifs qui permettent aux femmes d'exercer ce droit fondamental. Je tenais à rappeler que, dans la période pour le moins difficile que nous vivons, la protection du droit à l'avortement est restée – et reste évidemment – essentielle.
Mesdames et messieurs les députés, la discussion que nous engageons est nécessaire, car il est question d'un droit fondamental et de sa possible évolution. Je vous remercie sincèrement de permettre ce débat, qui fut souvent à l'initiative des parlementaires.
L'une des questions majeures posées par la proposition de loi est de savoir si l'extension du délai légal de l'IVG serait de nature à en faciliter l'accès, pour qui et dans quelles conditions. N'est-il pas préférable de donner davantage de force au droit existant, en poursuivant nos efforts pour assurer une offre diversifiée et de proximité en matière d'IVG, réelle, accessible de façon permanente et répondant aux besoins des femmes dans tous les territoires ?
M. Didier Martin applaudit. – Mme Elsa Faucillon proteste.
Je rends ici hommage à l'action de Mme Marisol Touraine, ancienne ministre de la santé, qui, en tant que députée, avait siégé sur les bancs socialistes. À plusieurs reprises, celle-ci a renforcé l'accès réel à l'IVG pendant le quinquennat précédent en renforçant l'anonymisation et la prise en charge des mineurs et en instaurant le tiers payant ; autant de mesures de nature à lever des obstacles réellement mesurés à l'IVG.
II faut regarder de près les raisons qui conduisent des femmes à se retrouver hors délai. Selon le planning familial, ces raisons sont de deux ordres.
II y a d'abord celles liées à l'organisation des services et des soins, au manque d'information, à l'accessibilité des services, aux délais de rendez-vous, au manque de professionnels, ou encore – j'y reviendrai – à l'utilisation de la clause de conscience de façon parfois sélective par les médecins.
II y a ensuite des raisons personnelles, comme le diagnostic tardif de la grossesse, les grossesses d'adolescentes qui n'osent pas en parler, le départ ou la rupture du partenaire, et des situations de chômage ou de précarité qui rendent le projet parental fragile.
En bref, il y a des raisons objectives tenant à nos organisations et des raisons individuelles qui tiennent le plus souvent à des situations de vulnérabilité.
Nous avons là un premier état des lieux qui permet d'identifier nos lacunes et de renforcer nos dispositifs pour rendre le droit à l'IVG plus accessible, donc plus effectif – plus adapté, aussi, aux besoins individuels de chaque femme et respectueux de ses choix.
Par ailleurs, au regard des enjeux qu'elle soulève, j'ai saisi le CCNE – Comité consultatif national d'éthique – qui rendra prochainement un avis sur l'extension du délai légal de l'interruption volontaire de grossesse. Car cette extension pose des questions relatives à la protection de la santé de la femme et à l'analyse de la complexité des gestes techniques à accomplir ; ces enjeux interpellent jusqu'aux plus farouches défenseurs du droit à l'avortement. Je ne peux, en conscience, considérer que nous disposons de tous les éléments pour prendre une telle décision aujourd'hui.
Je vous le dis en toute sincérité : allonger le délai d'accès à l'IVG sans avoir au préalable consulté les instances indépendantes que l'État a créées pour éclairer les décisions de politique publique…
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem. – Protestations sur les bancs des groupes SOC, EDS et GDR.
Mesdames et messieurs les députés, je ne sais si vous contestez le besoin de saisir le CCNE. Je ne me prononce pas ici sur le délai d'accès ; je ne parle pas du fond de la proposition de loi…
… ni de la consistance du travail réalisé, que j'ai reconnue.
Exclamations sur les bancs des groupes SOC et EDS.
Ayons un débat apaisé sur la question. On peut être fortement impliqué sur le sujet à titre personnel – chacun est libre de ses convictions, et il ne s'agit pas ici pour moi de les critiquer. Mais enfin, quand on veut mener un travail complet, abouti, de modification du droit en matière éthique, ne pas saisir le CCNE, ne pas écouter la voix de ceux à qui nous avons donné une place au sein même de l'État pour éclairer les décisions de politique publique, c'est un problème.
S'agissant de la clause de conscience, les résultats de l'enquête conduite en 2019 auprès des agences régionales de santé n'ont pas fait apparaître de difficultés de dimension nationale d'accès à l'IVG liées à l'opposition de la clause de conscience par les professionnels.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Exclamations sur les bancs du groupe EDS.
Sur ce point, la proposition de loi revêt une portée essentiellement symbolique, presque sémantique, même si c'est un symbole qui a son importance
« Mais oui ! » sur les bancs du groupe EDS
puisqu'elle marque l'obligation pour le professionnel qui refuse de pratiquer une IVG d'accompagner la femme vers une offre qui lui permettra d'exercer son droit à l'avortement.
Le corollaire pratique de cette mesure doit donc rester le développement de l'offre d'IVG et de sa visibilité, la mise en place de véritables parcours pour les femmes souhaitant une IVG, la formation des professionnels et le rappel de leur obligation d'orientation des femmes vers des lieux de prise en charge adaptée, tout particulièrement s'agissant des situations d'IVG tardives.
J'ai souhaité aborder ici les questions posées par les dispositions initiales du texte ; nous aurons l'occasion de revenir sur les autres dispositions adoptées par la commission au cours des débats. Mesdames et messieurs les députés, je souhaite qu'ils se déroulent dans des conditions respectueuses et sereines.
Nous en sommes collectivement capables.
Je l'ai dit en préambule, ce n'est pas un sujet anodin : c'est un vrai, un grand débat de société et c'est dans cet hémicycle qu'il doit avoir lieu.
Vous trouverez en moi, ministre des solidarités et de la santé, …
… un fervent défenseur de la cause des femmes et du droit à l'avortement, et je ne renie aucune de mes positions passées. Mais je suis aussi un fervent défenseur de l'État de droit et du fonctionnement de nos institutions. Je souhaite que, sur un sujet comme celui-ci, les avancées soient enregistrées dans des conditions de débat satisfaisantes et éclairées qui permettent de les conforter dans la durée afin que, si elles étaient adoptées, elles ne soient pas remises en question dans quelques semaines ou quelques mois pour des raisons formelles. Rien ne serait pire que de faire croire que des progrès ont été enregistrés en matière d'accès à l'avortement alors que ce ne serait pas le cas.
Ça fait six mois qu'on vous le demande ! Nous avons posé la question pour la première fois il y a six mois !
Au regard de l'attention que je porte et que j'ai toujours portée à l'exercice de ce droit fondamental, il ne me paraît pas possible de considérer que l'orientation principale de ce texte résoudra à elle seule l'accès à l'IVG. C'est donc avec une sagesse hautement mesurée, sur des raisons formelles mais significatives, que le Gouvernement abordera chacune des questions soulevées par les articles et les amendements.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Une semaine après un travail intense et transpartisan en commission, cette séance est l'occasion, pour l'Assemblée nationale, de voter un texte ambitieux et attendu, et d'envoyer un signal fort sur l'exercice effectif du droit des femmes.
La rapporteure, notre collègue Albane Gaillot, la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et plus particulièrement nos collègues Marie-Pierre Rixain, Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti, ont réalisé un travail dense, significatif, complet et éclairant
Applaudissements sur les bancs du groupe EDS
permettant au législateur de prendre connaissance des difficultés qui persistent dans l'exercice d'un droit : celui, pour une femme, de recourir à l'IVG.
Nul n'est besoin d'attendre d'autres rapports ou d'autres avis, ce qui aurait pour effet de retarder encore un peu plus certaines avancées dans une société qui se dit progressiste, égalitaire et solidaire. Il ne s'agit pas d'une croisade pour l'avortement – j'espère bien que les débats sur ce sujet sont dépassés. Il s'agit de mettre fin, là où elles subsistent, aux situations de désordre et d'injustice, et d'y apporter des solutions « mesurées et humaines », pour reprendre les mots du président Valéry Giscard d'Estaing à la veille d'un débat très difficile, en 1974, dans cette Assemblée.
Entre 3 000 et 5 000 femmes se rendraient chaque année à l'étranger pour avoir recours à l'avortement car leur grossesse a été connue tardivement – parce que l'information n'est pas accessible pour toutes, parce que l'IVG est entravée au nom de convictions religieuses ou idéologiques, ou parce que les femmes souffrent d'une offre de soins variable selon les territoires. L'allongement du délai de douze à quatorze semaines, s'il ne permet pas de pallier les inégalités territoriales, serait un facteur de justice sociale, puisqu'il permettrait à celles qui renoncent au droit à l'IVG pour des raisons financières ou organisationnelles d'avorter en France. Je rappelle que les IVG tardives concernent en priorité les jeunes et les femmes précaires.
La clause de conscience spécifique permet de ranger l'IVG comme un soin à part. Elle permet de garder une vision surannée de l'irresponsabilité féminine face à la sexualité et de ranger l'IVG comme un soin accessoire ou de confort, ou pire, un soin culpabilisant, un soin honteux, un soin que l'on doit cacher ou taire même à sa famille la plus proche. Elle est un témoin législatif du peu de considération que l'on a pour les femmes. Supprimer cette clause, c'est mettre fin à un archaïsme.
Le texte a été enrichi par la commission qui a ajouté, entre autres, la possibilité pour les sages-femmes de réaliser des IVG instrumentales.
C'est une bonne chose : permettre des gestes supplémentaires à ces professionnels médicaux spécialisés en santé féminine est une évidence, et une occasion supplémentaire d'améliorer l'accès aux soins.
Non, les femmes ne sont pas de grandes écervelées, qui auraient besoin de la commisération d'un praticien, parce qu'elles pourraient commettre l'irréparable.
Non, les femmes ne méritent pas de subir une clause de conscience particulière. Comme l'ensemble des assurés sociaux, elles doivent avoir accès aux soins qui leur sont nécessaires.
« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe EDS.
Non, les femmes ne doivent pas aller en Hollande, en Espagne ou ailleurs, pour se faire avorter, une fois écoulé le délai de douze semaines.
Oui, les femmes doivent avoir accès, bien plus facilement que ce n'est le cas aujourd'hui, et sur tout le territoire, à un praticien leur permettant d'avoir recours à l'IVG. Bien entendu, les sages-femmes sauront, sans difficulté, assumer ce rôle.
Mes chers collègues, nous avons, sur ce sujet, comme c'est bien normal, des désaccords, que nous aurons l'occasion d'exprimer tout à l'heure. Néanmoins, le groupe Écologie démocratie solidarité souhaite rappeler quelle fut son intention en inscrivant cette proposition de loi à l'ordre du jour de sa journée d'initiative parlementaire : défendre l'intérêt général.
Aujourd'hui, l'intérêt général commande de soumettre au Sénat, à l'issue de nos débats, un texte qui place au coeur de la loi, pour les hommes, les femmes et les couples, le libre exercice d'un droit fondamental, celui de choisir de sa vie.
Applaudissements sur les bancs des groupes EDS, SOC et GDR.
« J'ai beaucoup pleuré cette nuit-là. Assise sur un banc de l'hôpital, prostrée, anéantie, j'avais découvert l'oppression sous la forme la plus barbare. Un traumatisme. Mais je ne regrette rien. La biologie m'avait tendu un piège ; je l'avais déjoué. Je voulais vivre en harmonie avec mon corps, pas sous son diktat. » Derrière ce passage d'Une farouche liberté, de Gisèle Halimi, se dessine ce qu'encore aujourd'hui de trop nombreuses femmes vivent, lorsqu'elles pratiquent une interruption volontaire de grossesse.
L'IVG a beau avoir été dépénalisée et légalisée en France depuis plus de quarante-cinq ans, le maintien effectif de ce droit reste fragile. Le droit des femmes à disposer de leur corps, ce droit fondamental, consubstantiel à la notion même de liberté individuelle, paraît incomplet.
C'est pour garantir à l'ensemble des femmes vivant en France un égal droit d'accès à l'IVG que la délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les hommes et les femmes de notre assemblée a constitué une mission d'information sur l'accès à l'interruption volontaire de grossesse. Cette mission, dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteure avec ma collègue Marie-Noëlle Battistel, a rendu ses travaux il y a moins d'un mois.
Après avoir entendu pendant des mois des dizaines de représentants d'associations oeuvrant dans tous les domaines concernés, après nous être déplacées en France et à l'étranger, nous en sommes arrivées à la conclusion que les conditions d'accès à l'IVG sont inégales sur le territoire national. Le parcours d'accès à l'IVG est encore semé de trop nombreux obstacles, qui pourraient pourtant être facilement levés. L'offre de soins est variable, et les difficultés d'accès se sont accrues en période de crise sanitaire. Les empêchements sont encore trop nombreux, les effectifs de praticiens diminuent. Des milliers de femmes doivent se rendre à l'étranger pour recourir à un avortement hors délai.
Si la liberté est le choix des contraintes, alors elle n'est pas complète lorsque les contraintes sont trop nombreuses et deviennent dirimantes.
Nous devons « améliorer les conditions concrètes d'accès à l'IVG et faire évoluer les mentalités », pour reprendre l'intitulé du titre II de notre rapport d'information.
Madame la rapporteure, nos constats rejoignent les vôtres. Les difficultés plongent les femmes dans un sentiment de solitude, de rejet et d'angoisse, alors même qu'elles devraient tout au contraire être accompagnées le plus efficacement possible vers un acte qui, même s'il est pratiqué de plein gré, reste grave.
« L'avortement de convenance » n'existe pas, disait déjà Simone Veil en 1974, et sous devons toujours trouver à ce problème une solution « réaliste, humaine et juste », pour reprendre les termes qu'elle employa ici même.
Applaudissements sur certains bancs du groupe LaREM. – Mme la rapporteure applaudit également.
Nous légiférons aujourd'hui dans un cadre contraint, puisqu'en tout état de cause, l'examen de cette proposition de loi s'arrêtera lorsque la troisième séance de la journée sera levée. Pour cette raison, le texte de cette proposition de loi ne peut être alourdi, et nous devons rester concentrés sur les seules dispositions relevant du code de la santé publique.
Le Gouvernement vient de saisir le Comité consultatif national d'éthique sur la question de l'allongement du délai légal d'IVG. Le CCNE avait déjà été saisi de cette question il y a vingt ans, quasiment jour pour jour, par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, à propos du report à douze semaines du délai légal.
La comité estimait alors que si l' « on peut effectivement s'interroger sur le risque de voir se succéder des demandes de report du seuil au-delà de douze semaines, [… ] il est permis de penser que ce risque est minime, compte tenu des modifications physiologiques et psychologiques qui accompagnent le déroulement de la grossesse. Quoi qu'il en soit, il semble difficile pour une société de ne pas fixer des limites, même si l'on sait qu'elles ont un caractère arbitraire et contingent, et que des cas particuliers continueront sans doute à les bousculer. » Ce sage raisonnement laisse augurer de la réponse du CCNE, qui ne manquera pas d'éclairer les débats du Sénat, lorsqu'il examinera cette proposition de loi, après son adoption à l'Assemblée.
Applaudissements sur les bancs du groupe EDS.
Mais l'allongement du délai légal d'IVG est-il bien une question éthique, que Paul Ricoeur définit, dans une belle expression, comme « la visée d'une vie accomplie », renvoyant à la trajectoire individuelle dans la société de tout homme aspirant à une vie bonne ?
N'est-ce pas plutôt une question de morale, si la morale est, comme l'indique Jürgen Habermas, « une intuition qui nous informe sur la question de savoir comment nous devons nous comporter au mieux afin de contrecarrer l'extrême vulnérabilité des personnes, en la protégeant et en l'épargnant » ? Oui, garantir l'accès des femmes à l'IVG est une question de morale, et c'est à nous qu'il revient de l'articuler dans la norme législative.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM, EDS et SOC.
Simone Veil, Françoise Giroud, Gisèle Halimi : autant de femmes qui se sont illustrées ces dernières décennies, chacune avec ses mots et sa sensibilité propre, mais aussi avec le même courage, pour que l'intervention volontaire de grossesse ne soit plus une pratique illégale, honteuse, inaccessible.
En 1975, j'étais une jeune femme admirative du combat politique et médiatique que ces femmes ont mené afin de choisir librement la possibilité de porter la vie. Au cours des quatre dernières décennies, l'évolution de la législation et des mentalités a permis aux femmes de notre pays de s'émanciper grâce à un cadre légal protecteur. Du principe du droit d'avorter jusqu'aux conditions matérielles de prise en charge, toutes ces avancées ont été autant de combats menés avec ténacité par des femmes et des hommes convaincus que l'accès à l'interruption volontaire de grossesse est un droit pour les femmes.
Je pense aussi à la voix plus contemporaine du docteur Ghada Hatem-Gantzer, gynécologue obstétricienne, fondatrice de la Maison des femmes en Seine-Saint-Denis. Par son témoignage d'un exercice quotidien, elle met en lumière une réalité crue et difficile. L'IVG, pour une femme, n'est pas un acte anodin, de confort, mais un événement marquant ; il marquera la vie d'une Française sur trois.
C'est pour cela, et parce que la législation l'encadrant est empreinte d'une dimension extraordinaire que nous, législateurs, avons le devoir de poser son cadre avec sérénité.
Je regrette donc profondément que la majorité dans cet hémicycle ait choisi ce procédé législatif, que je qualifierai de brouillon. Ce débat autour de l'allongement du délai d'IVG, de l'extension du droit de pratiquer des avortements chirurgicaux aux sages-femmes et de la suppression de la clause spécifique de conscience ne devrait pas avoir lieu ce matin, lors d'une niche parlementaire.
La proposition de loi, après avoir été déposée à la fin de l'été, a été détricotée et retricotée ces derniers jours à la lumière partielle d'un rapport d'information de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre hommes et femmes. Ce n'est pas une façon sérieuse de légiférer, …
Exclamations sur les bancs des groupes SOC et EDS
… notamment sur un sujet aussi important et symbolique que le droit à l'avortement, et vous le savez pertinemment, comme le montre le flottement que l'on constate au sein de votre majorité, et le dépôt, en septembre, d'une proposition de loi visant à améliorer l'accès à l'interruption volontaire de grossesse par la présidente de la délégation aux droits des femmes, Marie-Pierre Rixain, ainsi que par les rapporteures de la mission d'information sur l'accès à l'intervention volontaire de grossesse. « Il y a un souci de méthode », pour reprendre les mots du Premier ministre.
Je suis opposée à l'allongement du délai de recours à l'avortement de douze à quatorze semaines. Le planning familial a pointé quatre types de difficultés, que vous avez rappelées, monsieur le ministre. Il faut trouver des informations adéquates et un interlocuteur compétent sur la question de l'IVG – la situation en la matière est très variable selon les régions. Il faut trouver des praticiens acceptant de réaliser les IVG ; or certains professionnels de santé opposés à l'IVG contribuent à retarder la prise en charge des femmes souhaitant y recourir. Certains centres hospitaliers sont engorgés. Enfin, certaines régions sont devenues des déserts médicaux.
Aucune de ces difficultés ne sera levée si notre assemblée vote en faveur d'un délai supplémentaire de deux semaines.
Si vous voulez vraiment travailler sérieusement et empêcher que l'avortement ne serve de mode de contraception, il faut instaurer de nouveaux dispositifs de prévention et d'information ou améliorer ceux existants, …
… et non pas accorder un délai supplémentaire.
C'est d'ailleurs exactement ce que rappelait la ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa, pas plus tard que ce matin.
La création du site internet ivg. gouv. fr constitue une avancée importante ; elle doit être suivie d'autres dispositifs innovants, qui n'excluent aucune femme, quels que soient son lieu de résidence et son milieu social.
J'ai la conviction profonde que le droit à l'IVG est un acquis fondamental pour les femmes. Pourtant, pour les raisons invoquées, je voterai contre ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Mme Agnès Thill et M. Joachim Son-Forget applaudissent également.
Je le précise d'emblée : les membres du groupe du Mouvement démocrate et démocrates apparentés seront, en leur âme et conscience, libres de leur vote sur la proposition de loi.
On peut lire différemment ce texte, selon ses opinions politiques, ses origines et ses croyances. Pour autant, le droit de la femme à choisir librement si elle veut donner ou non la vie est une constante dans notre pays depuis 1974, car, pour accueillir un enfant, il faut être prête psychologiquement, physiquement et socialement. La société doit l'entendre.
Le choix de recourir à l'IVG – car il s'agit d'un choix – doit être pesé. Pour cela, il faut pouvoir l'appliquer. Le droit des femmes à disposer de leurs corps est l'objet d'un combat ancien ; c'est une flamme qu'il faut entretenir, au moment où il régresse dans de nombreux pays à travers le monde. Ce droit n'est pas acquis et nous devons nous en souvenir.
Le texte apporte une réponse, notamment pour les territoires qui ne disposent pas de médecins pratiquant l'avortement. À cause de la démographie médicale ou des convenances personnelles des praticiens, des femmes se retrouvent chaque jour en difficulté. Dans mon département, la Nièvre, par exemple, un seul médecin pratique les avortements chirurgicaux.
Cette situation n'est pas admissible dans notre pays. C'est pourquoi l'ouverture de la faculté de réaliser ces actes aux sages-femmes me semble une disposition centrale du texte ; elle constituerait une avancée réelle, en matière de recours à l'IVG. Toutefois, la rédaction actuelle issue de la commission ne peut être satisfaisante, car nous manquons d'informations sur ses implications pour la profession en termes de charge de travail, de rémunération et de formation. Aussi présenterai-je au nom de mon groupe un amendement sur le sujet.
Par ailleurs, nous nous interrogeons sur cette initiative parlementaire, quelques jours seulement après la publication du rapport très complet de la délégation aux droits des femmes. En effet, au-delà de l'effet médiatique, il importe de ne pas faire naître de faux espoirs : le chemin législatif de cette proposition est encore long.
Nous nous félicitons néanmoins que le Comité consultatif national d'éthique, silencieux jusqu'à présent, se soit enfin emparé du sujet. Nous attendons ses conclusions, car un tel enjeu pour la société ne peut être circonscrit à une niche parlementaire. Il mérite un débat de société, qui confronte les opinions pour aboutir à un compromis.
Il s'agit non de banaliser l'avortement, mais d'offrir à toutes les femmes un véritable choix. Toutes celles qui ont eu recours un jour à l'avortement comprennent le sens des paroles prononcées ici même par Simone Veil : « C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame. »
En 2019, le taux d'IVG des plus pauvres a connu une forte augmentation. Notre politique de santé publique doit en tirer les conséquences en matière d'accès à l'information et à la contraception et de respect des droits du corps.
Cela dépasse largement la portée de cette proposition de loi. C'est pourquoi les députés du groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés voteront en conscience sur ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Le 26 novembre 1974, Simone Veil montait à cette tribune pour défendre son projet de loi visant à dépénaliser l'avortement. Elle ouvrait la voie à ce qui deviendra l'une des plus grandes avancées sociétales et sociales de notre pays.
Pourtant, quarante-cinq ans après, rien n'est véritablement acquis. L'IVG est certes tolérée, mais elle n'est toujours pas considérée comme un véritable droit. Avec Cécile Muschotti, nous avons conduit, dans le cadre de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les hommes et les femmes – je remercie ici sa présidente, Marie-Pierre Rixain, pour son engagement et sa confiance – , une mission d'information sur l'accès à l'IVG.
Après une année d'échanges et de rencontres avec le monde médical, les associations et le planning familial, complétés par des déplacements à l'étranger, le constat est alarmant. De fortes disparités territoriales persistent dans l'accès à ce droit. Les délais entre la première demande et la prise en charge varient quasiment du simple au quadruple selon les régions, à cause notamment du nombre insuffisant, dans de nombreux territoires, de professionnels de santé ou de service adaptés pratiquant cet acte.
Ces difficultés sont d'autant plus regrettables qu'elles touchent majoritairement les plus fragiles : ce sont les jeunes filles mineures, les femmes isolées en zones rurales, celles qui sont enceintes à la suite d'un viol ou ne disposent que de faibles ressources qui, le plus souvent, se voient fermer la porte de l'interruption volontaire de grossesse. Ces femmes, trop nombreuses encore, ne peuvent recourir à un droit qui a pourtant été arraché de haute lutte par nos prédécesseurs.
Peut-on encore tolérer, près d'un demi-siècle après l'adoption de la loi Veil, que le droit à l'IVG soit considéré comme un droit de seconde catégorie, dont l'application varie en fonction des territoires ou des praticiens ? Non. Aucun droit ne saurait souffrir d'une application à géométrie variable. Un droit est effectif ou il n'est pas !
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EDS et GDR.
Peut-on accepter que, chaque année, 3 000 à 5 000 femmes soient contraintes de se rendre à l'étranger pour pratiquer une IVG ? Elles y sont obligées, car le délai légal de recours chez nos voisins est bien plus long que chez nous. À cet égard, en aggravant les difficultés d'accès à l'IVG dans les délais requis, la crise sanitaire et le confinement ont confirmé que notre législation devait nécessairement évoluer.
Deux propositions de loi ambitionnent de lever ces freins. Celle qui nous occupe aujourd'hui tire un certain nombre de conséquences de notre rapport d'information.
Elle propose d'abord d'allonger le délai de recours à l'interruption volontaire de grossesse de douze à quatorze semaines de grossesse. Cette disposition contribuera – avec d'autres – à mettre fin à cette hypocrisie qui conduit un grand nombre de femmes à être hors délai, faute de praticiens, ou à devoir recourir à ce droit de l'autre côté de nos frontières.
Elle propose ensuite de supprimer la double clause de conscience dont bénéficient les praticiens. Celle-ci est spécifique à l'IVG et ne concerne aucun autre acte médical. De ce fait, non seulement l'IVG n'est pas encore pleinement un droit dans notre pays, mais elle demeure également un acte médical à part, différent de tous les autres. Cette double clause est donc profondément stigmatisante.
Elle n'a pourtant qu'une seule raison d'être : elle fut inscrite dans le marbre de la loi en guise d'accord politique, afin de faciliter l'adoption de la loi Veil. Elle n'a plus aucune justification aujourd'hui puisque l'IVG est désormais un droit.
La commission des affaires sociales a enrichi le texte, en se fondant notamment sur les travaux de la délégation aux droits des femmes. Le groupe Socialistes et apparentés y a contribué par le dépôt d'amendements visant à étendre la compétence des sages-femmes désormais habilitées à pratiquer l'IVG par voie chirurgicale.
Nous proposerons également d'allonger de deux semaines le délai légal pour les IVG médicamenteuses, comme cela a été fait pendant le confinement.
Confortons ces avancées. Rappelons-nous les mots de Simone Veil dans cet hémicycle : « Aucune femme ne recourt de gaieté de coeur à l'avortement. » Quarante-cinq après, j'aurais envie d'ajouter : encore faut-il qu'elles puissent y recourir !
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EDS.
Rappelons-nous également le combat de Gisèle Halimi. Le groupe Socialistes et apparentés prendra une fois encore toute sa part dans cet engagement en faveur des droits des femmes. Nous le ferons pour garantir l'effectivité du droit à l'avortement, toujours fragile et insuffisamment affirmé. C'est pourquoi nous voterons la proposition de loi et, monsieur, le ministre, nous comptons sur votre soutien !
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EDS, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Le 26 novembre 1974, ici même, Simone Veil concluait son discours par ces mots : « Je ne suis pas de ceux et de celles qui redoutent l'avenir. Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu'elles diffèrent de nous ; nous les avons nous-mêmes élevées de façon différente de celle dont nous l'avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d'enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême. »
Cette ode à la jeunesse montrait sa confiance dans notre capacité à nous adapter aux évolutions sociétales. Notre débat est une occasion de nous montrer digne de cette confiance. Elle nous oblige à une grande vigilance sur les évolutions qui pourraient être apportées à un texte historique. Aussi, c'est avec beaucoup d'humilité et de précaution que nous réviserons ce texte, qui a vu le jour dans un contexte historique particulier, qui explique une partie des mesures y figurant.
Avec précaution donc, mais aussi avec rigueur et calme : on ne bouleverse pas innocemment ce type de texte, voté dans la douleur, voire l'invective et la violence. Depuis, les esprits se sont heureusement apaisés, et la vie des femmes s'en est trouvée profondément améliorée.
De l'Antiquité grecque au XXe siècle, en passant par le Moyen-âge, les historiens trouvent à toutes les époques des traces de pratiques abortives. Chaque fois, elles sont décrites comme des histoires de femmes : femmes qui subissent, femmes qui souffrent, femmes qui pratiquent, femmes qui meurent…
Au-delà de la physiologie, c'est donc bien une histoire de femmes que celle de l'avortement, comme si le rapport sexuel qui avait entraîné la grossesse était ignoré, et comme si les hommes ne voulaient pas voir. Ce sont bien les femmes qui, de tout temps, ont subi la pression induite par la maîtrise de la fécondité, et font face aux conséquences de grossesses non désirées.
C'est un sujet qui a bien souvent été au coeur de débats brûlants dans lesquels l'on déchiffre sans peine la crainte des hommes de voir les femmes acquérir un droit immense sur la paternité et sur leur propre corps : l'histoire de l'IVG est donc indissociable de l'histoire des droits de la femme et de son statut, du rôle – consenti – que la société lui donne par rapport à l'homme, de la vision enfin qu'on a du corps de la femme.
« N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question », écrivait Simone de Beauvoir. Il nous faut donc être vigilants, hommes et femmes, pour que ce droit conquis de haute lutte soit préservé et trouve en France les conditions de son exercice, y compris dans un contexte de crise comme celui que nous connaissons actuellement. Il convient de réaffirmer sans ambages qu'il est intangible.
Pour qu'il s'agisse pleinement d'un droit, les conditions de son exercice doivent être claires et accessibles, et c'est sur elles que la proposition de loi tend à agir. Pour autant, les évolutions proposées ne font pas l'unanimité. C'est pourquoi je souhaite d'abord indiquer que sur ce sujet sensible qui interpelle les sentiments les plus personnels, notre groupe ne portera pas de position de vote ; chacun se prononcera suivant ses convictions.
La question de l'extension du délai d'accès à l'IVG a évidemment trouvé une nouvelle résonance avec l'épidémie de Covid et les difficultés d'accès aux soins qu'elle a entraînées. De trop nombreuses femmes n'ont pu bénéficier d'un accès à l'IVG dans les délais légaux, ce qui n'est pas acceptable.
L'allongement du délai légal d'accès à l'IVG à quatorze semaines constitue-t-elle pour autant la réponse la plus adaptée ? Ne risque-t-elle pas d'entraîner des débats sans fin ? Fixer et conserver une limite solide à ce délai me semblerait une bonne chose pour pacifier cette question. À titre personnel, je suis favorable à un statu quo, un allongement de la durée légale pouvant néanmoins être temporairement envisagé en cas d'état d'urgence sanitaire. Il s'agit, selon moi, d'une position équilibrée.
Si la clause de conscience s'applique aujourd'hui à tout acte médical, l'IVG, encore considérée comme un acte « à part », possède ses propres dispositions. Dans cette proposition de loi, il nous est demandé d'approuver l'abolition de la double clause de conscience médicale. Pour ma part, je n'y suis pas favorable. En effet, je pense que cette clause de conscience contribue au juste équilibre établi par la loi Veil.
La législation actuelle impose aux professionnels qui ne souhaitent pas pratiquer cet acte d'informer sans délai la femme et de lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention. Sans cette clause, la seule clause générale s'appliquerait, et il n'y aurait plus d'obligation pour le médecin d'orienter les patientes, qui devraient dès lors trouver elle-même un praticien.
Par ailleurs, la clause générale de refus de soins relève de la relation entre le médecin et patient, ce qui ne permet pas d'anticiper, au sein d'un établissement, si le professionnel va ou non accepter de pratiquer une IVG. La double clause est donc un gage de visibilité, qui réduit les risques de rupture du parcours de la femme.
Trop de disparités demeurent, selon l'âge des femmes ou leur lieu de résidence, et il faut y remédier afin que l'égal accès à l'IVG soit assuré pour toutes.
Or la proposition de loi, à mon avis trop limitée, ne comporte par exemple aucun engagement en ce qui concerne le moratoire sur la fermeture de CPEF – centres de planification et d'éducation familiale – , pas plus qu'elle ne prend en compte la nécessité de lancer des campagnes d'information et de prévention. Ce sont pourtant là des obstacles importants à l'accès à l'IVG.
La loi Veil fut une formidable avancée pour les femmes, mais aussi, plus largement, pour notre société. Elle marquait l'aboutissement d'une longue maturation, à laquelle avait pris part, parmi d'autres femmes, Gisèle Halimi. Ne galvaudons pas leur combat, soyons-en dignes, avec calme et détermination.
Face au sujet qui nous occupe aujourd'hui, l'interruption volontaire de grossesse, nous devons faire preuve d'humilité. Le droit à l'avortement, entériné par la loi Veil, fut le fruit d'un combat difficile, et nous devons rester vigilants sur son effectivité.
Depuis 1975, l'encadrement de l'interruption volontaire de grossesse a considérablement évolué. En 2001, la loi Aubry a allongé le délai de recours à l'IVG jusqu'à la fin de la douzième semaine de grossesse ; en 2013, l'IVG est devenue gratuite pour toutes les femmes ; en 2016 enfin, le délai minimal de réflexion d'une semaine a été supprimé.
Vous l'avez dit, monsieur le ministre, selon une étude de la DREES– direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques – publiée le mois dernier, 232 200 interruptions volontaires de grossesse ont été enregistrées en France, en 2019.
Plus du quart des IVG sont réalisées hors établissements hospitaliers, dans un cabinet libéral, un centre de santé ou un centre de planification et d'éducation familiale. Les recours à l'IVG varient selon les régions, parce que les territoires ne sont pas équipés de la même façon. Nous constatons ces variations en raison d'un manque de structures adaptées et d'une prévention encore défaillante.
L'article 1er du texte vise à allonger de douze à quatorze semaines la durée légale de recours à l'interruption volontaire de grossesse. Cet allongement est motivé par le fait que chaque année, 3 000 à 4 000 femmes se rendent dans les pays autorisant un avortement après douze semaines. Le groupe UDI et Indépendants y est défavorable ; il proposera un amendement de suppression de l'article, considérant que ce n'est pas en repoussant les barrières légales qu'il sera mis fin à la démarche de ces milliers de femmes. Nous devons leur permettre de surmonter les difficultés d'accès à l'IVG, en nous interrogeant sur les causes du dépassement du délai légal. Celles-ci tiennent avant tout à une prévention défaillante ou aux difficultés qu'ont les femmes à trouver un praticien près de leur domicile. Nous nous opposerons aussi à cette prolongation parce que, compte tenu du développement du foetus, une IVG tardive peut faire courir des risques plus importants à la femme enceinte.
Lors de l'examen en commission, une disposition permettant aux sages-femmes de pratiquer une IVG chirurgicale jusqu'à la dixième semaine a été adoptée. Nous partageons l'analyse de la délégation aux droits des femmes, selon laquelle « un plus grand nombre de praticiens habilités à pratiquer l'IVG ne peut avoir que des effets bénéfiques sur l'effectivité de l'accès à l'IVG. » Cependant, nous insistons sur la nécessité d'apporter une clarification quant au statut et à la formation des sages-femmes, avant de leur confier cette nouvelle compétence et cette nouvelle responsabilité. C'est pourquoi nous vous proposerons d'adopter un amendement visant à supprimer cette disposition ou au moins un amendement de repli tendant à ce que cet acte chirurgical soit pratiqué dans un établissement de santé public ou privé, afin de garantir à la patiente une prise en charge de qualité, en toute sécurité.
Vous souhaitez supprimer la clause de conscience légale spécifique à l'IVG. L'argument avancé consiste à dire qu'il existe déjà une clause réglementaire et que l'existence de cette clause légale est vécue comme une humiliation par les femmes qui recourent à l'IVG. Rappelons que le code de déontologie médicale prévoit qu'une clause de conscience est applicable à tous les médecins pour l'ensemble des actes médicaux. Les médecins sont soumis à ce code de déontologie qui a force de loi. De plus, la déclaration de Genève, aussi appelée serment du médecin, prévoit que le médecin « exerce [sa] profession avec conscience et dignité, dans le respect des bonnes pratiques médicales ». Dans un souci de cohérence, nous souhaitons conserver la rédaction actuelle de l'article L. 2212-8 du code de la santé publique. Le Conseil national de l'ordre des médecins définit la clause de conscience comme « le droit de refuser la réalisation d'un acte médical pourtant autorisé par la loi, mais que [le médecin] estimerait contraire à ses propres convictions personnelles, professionnelles ou éthiques. » L'IVG n'est ni un acte anodin ni un acte de soin ordinaire ; nous souhaitons conserver cette liberté pour le praticien.
Notre groupe partage votre volonté de rendre accessible de façon effective l'IVG, mais nous divergeons sur la méthode. Vous proposez des mesures de suppression pour fluidifier le parcours : à l'article 1er ter, vous supprimez le délai de réflexion de 48 heures. Mais cette disposition existe parce qu'elle est garante d'une procédure qui n'est pas anodine. Recourir à l'IVG n'est pas une décision facile à prendre ; c'est en cela qu'un délai de réflexion est nécessaire. Arrêtons de supprimer tous les délais qui garantissent une prise de décision réfléchie !
En conclusion, le groupe UDI et Indépendants considère que les outils présentés dans cette proposition de loi ne permettront pas d'améliorer l'accès à l'IVG. L'enjeu est celui d'une prévention effective et efficace. Nous vous proposerons un amendement en ce sens. Seules les politiques de santé publique en matière de prévention et d'information sur la contraception, ainsi que sur l'interruption volontaire de grossesse, permettront d'améliorer l'accessibilité à l'IVG.
Mme Agnès Thill applaudit.
Nous abordons un sujet grave, qui touche à l'intimité la plus profonde des femmes qui, aujourd'hui encore, ne sont pas pleinement reconnues par la République dans leur droit à disposer de leur corps. Le délai pour avorter est trop court, les déserts médicaux sont de plus en plus importants et de trop nombreux médecins refusent cette pratique.
L'épidémie de covid-19 a accentué les entraves à l'IVG et mis en évidence les carences de notre système de santé. Entre 3 000 et 5 000 femmes se rendent à l'étranger chaque année ; de nombreuses autres sont conduites à avorter clandestinement ou à subir une grossesse non désirée.
En évoquant ces drames, je pense à l'avocate Gisèle Halimi, signataire du manifeste dit des 343 salopes, qui joua un rôle indéniable dans le vote de la loi de 1974. À l'époque, cette avocate défendait des femmes coupables du délit d'avortement et avait reconnu avoir elle-même avorté lors d'une plaidoirie finale. Son courage nous oblige. À la fin de sa vie, il y a quelques mois seulement, elle déclarait : « Je suis encore surprise que les injustices faites aux femmes ne suscitent pas une révolte générale. » Qu'aurait-elle dit des débats indécents qui resurgissent sur la manière dont une femme peut ou non s'habiller ?
« N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » Voici ce qu'affirmait Simone de Beauvoir, défendant ardemment le choix libre d'une maternité heureuse. Dans de nombreux pays – en Espagne, en Pologne, aux États-Unis – , nous observons des reculs du droit à l'avortement et à la contraception, au point que le Conseil d'État s'en est inquiété dans un rapport de 2017.
C'est pourquoi le groupe La France insoumise soumettra un amendement demandant au Gouvernement d'étudier la possibilité d'ériger au rang constitutionnel le droit à l'interruption volontaire de grossesse. Un tel signal serait de nature à affirmer la liberté des femmes à disposer de leur corps. Il entérinerait clairement leur droit à consentir ou non à une grossesse. Sur le plan anthropologique, il consacrerait l'égalité hommes-femmes si chère à cette assemblée. Comme l'a longuement documenté et étudié feue l'anthropologue Françoise Héritier, la domination masculine tire pour une grande part son origine du souci que les hommes ont à gouverner la procréation.
Dans ce même esprit, nous voterons en faveur de l'allongement du délai légal de recours à l'IVG de douze à quatorze semaines. De nombreux pays l'ont autorisé, la Suède prévoyant même un délai de dix-huit semaines et le Royaume-Uni, de vingt-quatre.
Nous soutiendrons également la suppression de la clause de conscience spécifique à l'IVG. Cette possibilité, surannée et stigmatisante, qu'ont les médecins de refuser à une femme l'avortement sans justification, n'est pas digne de la République. Elle crée une rupture d'égalité, en plus d'une rupture dans la continuité des soins aux conséquences parfois dramatiques. Le corps médical n'a pas à contester la loi au nom de convictions personnelles.
Il y a quelques jours, à Atton dans ma circonscription, j'inaugurais la rue Simone Veil en hommage à la femme politique qui s'est battue avec acharnement pour la légalisation de l'interruption volontaire de grossesse. Près de cinquante ans après l'adoption de la loi qui porte son nom, il est temps de lever les obstacles qui perdurent et de passer des hommages et des belles paroles aux actes. Nous voterons donc tous les amendements offrant un meilleur accès aux soins pour les femmes, accès mis à mal par la désertification médicale. Nous soutiendrons la disposition adoptée en commission, que nous avions nous-mêmes proposée, visant à permettre aux sages-femmes de pratiquer des avortements chirurgicaux pendant les dix premières semaines de grossesse. Nous espérons vivement que cette mesure sera soutenue dans l'hémicycle, à la lumière du récent rapport parlementaire de Mmes Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti qui la préconise.
Le combat à mener pour l'égalité femmes-hommes est encore long. Celles-ci demeurent les premières victimes de viols, de violences conjugales et du monde du travail où elles représentent 80 % des travailleurs précaires. Elles sont encore largement rendues invisibles et représentent la grande majorité des aidants familiaux. Il y aurait beaucoup à dire sur le chemin qu'il nous reste à parcourir. Cette proposition de loi, dont j'étais cosignataire dès son premier dépôt, nous mène dans la bonne direction. Elle cible parfaitement les obstacles majeurs auxquels les femmes sont confrontées en matière d'avortement. Vous l'aurez compris, le groupe La France insoumise la soutiendra au nom du droit fondamental des femmes à disposer de leur corps.
En guise de conclusion, j'aimerais vous lire les trois derniers couplets du célèbre hymne des femmes : « Seules dans notre malheur, les femmes, l'une de l'autre ignorée. Ils nous ont divisées, les femmes, et de nos soeurs séparées. Le temps de la colère, les femmes, notre temps est arrivé. Connaissons notre force, les femmes, découvrons-nous des milliers ! Reconnaissons-nous, les femmes, parlons-nous, regardons-nous. Ensemble on nous opprime, les femmes, ensemble, révoltons-nous ! »
Applaudissements sur les bancs des groupes FI, GDR, SOC, EDS, et LT, ainsi que sur quelques bancs du groupe LaREM.
Quarante-cinq ans après l'adoption de la loi autorisant l'interruption volontaire de grossesse, force est de reconnaître que l'accès à l'avortement n'est toujours pas entièrement assuré, ce qui nous oblige à demeurer vigilants afin d'empêcher un recul des droits. Si le combat de Simone Veil pour le droit des femmes est entré dans l'histoire, il reste cependant d'actualité. Le confinement et la crise sanitaire nous ont brutalement rappelé ces parcours dans lesquelles les femmes se retrouvent bien souvent seules. Je salue l'initiative de la rapporteure Albane Gaillot, qui nous donne l'occasion d'oeuvrer en faveur d'un renforcement du droit à l'avortement.
MM. Matthieu Orphelin et Guillaume Chiche applaudissent.
Le débat ne vise pas à remettre en cause l'accès à l'IVG ; c'est désormais un droit acquis et je suis persuadée que tout le monde ici en est convaincu. Il a pour simple objectif d'améliorer les conditions d'accès à ce droit.
Je veux insister sur le remarquable travail effectué par la délégation aux droits des femmes, notamment par les rapporteures, Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti. Leurs constats et leurs recommandations sont de précieux outils et un appui important pour éclairer la représentation nationale au moment de légiférer. Ce travail transpartisan nous a d'ailleurs permis d'enrichir la proposition de loi initiale lors de nos débats en commission.
Celle-ci a adopté le texte ; j'espère une issue similaire en séance publique. Nous avons tous conscience des difficultés qui empêchent le plein exercice du droit à l'IVG. Elles sont le fait de ceux qui s'y opposent volontairement, au nom de convictions personnelles ou politiques, et qui remettent en cause régulièrement le droit des femmes à disposer de leur corps. Elles sont aussi le fait d'un manque de moyens qui entraîne des retards dans les interventions et dans la prise en charge des femmes. L'IVG est un acte médical peu considéré et peu valorisé, y compris économiquement, pour les établissements.
À cela s'ajoutent des inégalités territoriales importantes, qui se superposent aux inégalités générales d'accès aux soins. Ces inégalités territoriales ont des conséquences sur les conditions d'accès à l'IVG, sur les délais d'obtention des rendez-vous, mais aussi sur la liberté du choix de la méthode par les femmes. Elles touchent toujours les femmes les plus vulnérables, qui envisagent parfois des solutions très dangereuses pour leur propre vie. Certaines sont obligées de parcourir de grandes distances pour trouver un médecin, avec le risque de dépasser le délai légal. Rappelons que chaque année, 3 000 à 5 000 femmes partent avorter à l'étranger, parce que leur délai de recours à l'IVG est dépassé, démarche dont le coût financier n'est pas négligeable. Un allongement du délai de recours résoudrait le problème de ces femmes dont les raisons sont très différentes : prise de conscience tardive, déni de grossesse ou prise en charge compliquée.
Au-delà de cette question, il faut lever les freins qui empêchent l'accès effectif à l'IVG. La suppression de la double clause de conscience, spécifique à l'IVG, est une première étape. Si elle s'expliquait par le contexte entourant la loi de 1975, le dispositif a été sensiblement assoupli depuis et elle ne se justifie plus. La clause de conscience dite générale demeure en l'état et garantit à l'ensemble du personnel de santé la possibilité de refuser de pratiquer une IVG.
L'extension de la compétence des IVG chirurgicales aux sages-femmes, adoptée en commission, est une deuxième étape. Elle est nécessaire, mais doit s'accompagner d'une formation et d'une revalorisation du statut de ces dernières.
Enfin, il convient, conformément aux recommandations de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, de pérenniser l'allongement du délai de recours à l'IVG médicamenteuse en ville.
Tous ces constats doivent nous alerter sur le manque de moyens consacrés à la santé sexuelle des femmes. Les restrictions budgétaires et la logique de rentabilité financière ont entraîné la fermeture de nombreux centres pratiquant l'IVG ces dernières années.
L'avortement étant toujours un moment douloureux, il doit rester un dernier recours. Les campagnes de prévention et d'encouragement à la contraception doivent être plus nombreuses et mieux ciblées, aussi bien à l'égard des femmes que des hommes.
Dans plusieurs départements, le planning familial s'inquiète de la baisse des subventions qui lui sont allouées depuis quelques années, alors que les actions de prévention et d'accompagnement sont essentielles.
Chaque membre du groupe Libertés et territoires se prononcera individuellement sur ces questions qui relèvent de l'intime. Pour ma part, comme pour une majorité des députés du groupe, je voterai la proposition de loi et soutiendrai toutes les mesures renforçant le droit à l'avortement et améliorant le parcours des femmes, aujourd'hui encore difficile et douloureux.
Applaudissements sur les bancs des groupes LT, EDS, SOC, GDR et FI, ainsi que sur quelques bancs du groupe LaREM.
Quarante-cinq ans après la loi Veil, fruit de longues luttes féministes, des avancées ont été progressivement obtenues en matière d'IVG au Parlement pour assurer une plus grande effectivité au droit à l'avortement : remboursement par la sécurité sociale puis gratuité, allongement du délai de recours à douze semaines et suppression de la mention de détresse dans la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Pensons-nous pour autant que nous sommes au bout de ces avancées ? Telle est la question qui nous est posée aujourd'hui.
Non, pas pour nous, pas tant que plusieurs milliers de femmes sont chaque année contraintes d'avorter en dehors du service public de santé.
Non, car des entraves persistent et qu'on constate même des reculs dans l'accès à l'IVG, du fait de la détérioration du service public due à l'austérité.
Non, car connaissant la fragilité des droits acquis par les femmes, les députés de mon groupe et d'autres groupes ont demandé la constitutionnalisation du droit à l'IVG.
Non, car, pendant le confinement, nous avons réclamé à plusieurs reprises l'allongement du délai de recours, puisque les entraves à l'IVG étaient plus grandes pendant cette période. Pendant ces longs mois, vous avez eu tout le temps, monsieur le ministre, de consulter et de lever les éventuels doutes médicaux relatifs à l'allongement du délai.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI, SOC et EDS.
Non, car nous savons que, quelles que soient les circonstances ou l'avancée d'une grossesse, une femme avortera si elle l'a décidé. Feindre de l'ignorer, en se reposant sur la possibilité de pratiquer une IVG à l'étranger, ne constitue en rien une solution de repli. C'est une démarche compliquée, mais surtout inaccessible pour de nombreuses femmes en raison de son coût. Or nous le savons, les difficultés financières sont une contrainte supplémentaire poussant à l'IVG. « C'est toujours la même classe, celle des femmes pauvres, vulnérables économiquement et socialement, cette classe des sans-argent et des sans-relations qui est frappée », constatait Gisèle Halimi en 1972.
Mme Yolaine de Courson applaudit.
Ainsi, en l'état, la loi française ne laisse à certaines femmes aucune autre solution que le recours à l'avortement clandestin. Disons ce qu'il est : achat de pilules abortives sur internet, prise de médicaments, coups dans le ventre et pire encore.
Notre groupe soutient pleinement la proposition de loi, ainsi que les dispositions adoptées par amendement. À l'heure où de nombreux territoires subissent une pénurie de médecins et où de nombreux CPEF et centres d'orthogénie ont fermé à force de restrictions budgétaires, la suppression de la clause de conscience spécifique et le contrôle du délit d'entrave deviennent plus que jamais nécessaires.
De même, nous saluons la suppression du délai de réflexion de quarante-huit heures pour les femmes demandant un entretien psychosocial avant l'interruption, ainsi que l'ouverture du droit pour les sages-femmes de pratiquer des IVG chirurgicales jusqu'à dix semaines de grossesse. Ces propositions répondent en partie aux inégalités territoriales qui subsistent en matière d'IVG et qui constituent une contrainte supplémentaire par rapport aux délais légaux. Nous aurons d'autres occasions, lors de l'examen du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour répondre aux inégalités territoriales subsistant en matière d'accès à l'IVG.
Entre les contraintes du travail, de la famille, du couple ou de la mobilité, l'accès à l'IVG constitue souvent une course contre la montre. C'est pourquoi l'allongement du délai à quatorze semaines est si décisif pour mieux garantir à toutes le recours à l'IVG. Rappelons que le délai est calqué sur la technique utilisée : à douze ou à quatorze semaines de grossesse, il est encore possible de procéder à un avortement par aspiration. Il faut néanmoins entendre la proposition du planning familial de supprimer la notion de délai légal, afin que nous ne laissions plus jamais une femme recourir seule à un avortement.
Par ailleurs, nous devrons également continuer de nous battre pour promouvoir et défendre le travail des centres de planification et d'éducation familiale, qui assurent l'information essentielle des jeunes, filles et garçons, en matière de santé sexuelle et reproductive. C'est également à travers l'information et l'éducation que l'avortement cessera, une fois pour toutes, d'être un problème de femme ou une honte, pour devenir un sujet partagé par les hommes et les femmes.
Je tiens de nouveau à saluer le travail de notre collègue Albane Gaillot et à la remercier pour cette proposition de loi. Le combat pour l'IVG est central pour la dignité des femmes et pour effacer le désespoir provoqué par une grossesse non désirée et la honte d'un avortement clandestin. C'est un combat pour garantir la liberté des femmes vis-à-vis de l'État, de la société et de la famille. Un combat pour garantir la liberté de choisir d'être mère ou de ne pas l'être, selon ses convictions, ses conditions de vie et le contexte de l'époque. C'est un combat pour que les femmes disposent librement de leurs corps, condition première de leur émancipation.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI, SOC, EDS, ainsi que sur quelques bancs du groupe LaREM.
Pourquoi ce texte ? Deux mois après les discussions sur le projet de loi relatif à la bioéthique, …
… nous voici de nouveau réunis pour parler d'un sujet qui, non seulement me semble tout à fait éloigné des préoccupations majeures de nos concitoyens, mais qui va raviver des douleurs et qui va inutilement rouvrir des plaies.
Alors, pour être tout à fait clair, il n'est pas question, en ce qui nous concerne, de remettre en cause le droit à l'avortement, tel qu'il existe dans la loi en vigueur.
Mais ce droit est encadré et limité : il repose sur des dispositions qu'il serait raisonnable de ne pas bouleverser. Ce sujet touche à la vie et commande la plus grande prudence.
Parce que l'avortement, « c'est toujours un drame et cela restera toujours un drame » disait, à juste titre, Simone Veil dans son discours de 1974 à cette même tribune. Elle nous mettait déjà en garde : « l'interruption de grossesse ne peut être que précoce, parce que ses risques physiques et psychiques, qui ne sont jamais nuls, deviennent trop sérieux après la fin de la dixième semaine. »
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Depuis, c'est vrai, le délai légal a été porté à douze semaines. Vous voulez, par ce texte, l'allonger à quatorze semaines, mais de nombreux spécialistes vous le disent : plus l'avortement est tardif, plus il est un geste lourd et dangereux, sur le plan tant physique que psychique. Vraiment, je m'interroge : comment peut-on célébrer Simone Veil pour sa loi et, en même temps, trahir tout ce qui la sous-tend ?
Si votre argument consiste à dire que l'avortement est un véritable parcours du combattant, que les hôpitaux sont saturés et que les trop longs délais de prise en charge contraignent les femmes à se rendre à l'étranger, alors donnons les moyens nécessaires aux hôpitaux
Exclamations sur les bancs du groupe FI
pour que les femmes, qui ont pris la décision ferme et définitive d'un recours à l'IVG, puissent le faire dans de bonnes conditions et dans des délais conformes à la loi en vigueur. Mais la vérité, vous la connaissez comme moi chers collègues : ce texte est purement idéologique !
Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et FI.
Il vise à faire exploser le cadre juridique de l'IVG, comme l'amendement déposé en catimini, durant l'examen du projet de loi relatif à la bioéthique dans la torpeur estivale, autorisant l'avortement jusqu'au terme de la grossesse pour des motifs de détresse psychosociale. Voilà la vérité !
Et vous le savez bien, chers collègues. C'est d'ailleurs pour cette raison que le texte a été élaboré sans la moindre concertation préalable avec les sociétés savantes et compétentes, ni même avec les associations professionnelles de la discipline.
D'ailleurs, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français, qui n'a pas été consulté, a ouvertement exprimé son désaccord le 1er octobre, en affirmant que le texte, loin d'améliorer les droits des femmes, contribue à les détériorer. Convenez avec moi qu'il y a tout de même un paradoxe dans le fait à considérer qu'il faut allonger le délai de recours à quatorze semaines, puisque de nombreuses femmes ne parviennent pas à avorter dans le délai actuel, tout en sachant pertinemment qu'un plus grand nombre de médecins renonceraient à pratiquer l'acte si le délai était étendu. Autant dire que la mesure que vous défendez aurait un effet inverse à celui escompté.
C'est pour cela que vous proposez, à l'article 2, de supprimer la clause de conscience, qui obéit pourtant à un principe constitutionnel. C'est même ce que les médecins, sages-femmes et infirmières ont de plus beau. En France, les médecins ne sont pas aux ordres ! On ne les contraint pas à pratiquer un acte qui va à l'encontre de leurs convictions personnelles ou professionnelles.
Enfin, je m'inquiète de la manière dont vous traitez la liberté d'expression. Un article ajouté par la commission prévoit que le Gouvernement remettra au Parlement un rapport sur l'application de la législation relative au délit d'entrave. Très bien ! nous lisons pourtant, dans l'exposé des motifs des amendements visant à l'introduire, que « l'action des anti-IVG sur internet demeure importante. » Cette phrase nous interpelle !
Alors, pour que les choses soient claires, la liberté d'expression, qui est aussi un droit constitutionnel, doit permettre qu'une opinion anti-IVG puisse être exprimée…
… au même titre qu'une opinion favorable à l'IVG. Il ne peut en être autrement.
En 2019, plus de 232 000 avortements ont été recensés, selon un rapport de la DREES : c'est absolument considérable ! Alors, pour conclure, je crois qu'il y a avant tout une réflexion à mener d'urgence sur les politiques de prévention. On ne peut pas se réjouir de voir le nombre d'avortements augmenter constamment dans un pays où l'accès à la contraception ne devrait poser aucune difficulté particulière.
Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et EDS.
Applaudissements parmi les députés non inscrits.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
L'objectif de la proposition de loi est de réaffirmer le droit des femmes à l'avortement et de garantir son effectivité. Chaque année, 3 000 à 4 000 femmes sont conduites à sortir du cadre légal français en se rendant à l'étranger pour avoir recours à l'avortement.
Pourquoi peut-on être amenée à dépasser le délai de douze semaines ? Parce que l'on a mal interprété des saignements que l'on a pris pour des règles, parce que l'on prend un contraceptif et que l'on n'imagine pas être enceinte, parce que l'on vit dans un territoire où peu de praticiens réalisent des IVG et que l'on a été mal orientée lors d'un rendez-vous.
Pour certaines femmes qui ont dépassé le délai, il est très compliqué de se rendre à l'étranger, parce qu'elles sont mineures, qu'elles gardent seules leurs enfants, ou qu'elles n'en ont pas les moyens. Que se passe-t-il pour ces personnes seules et vulnérables, qui se retrouvent avec une grossesse non souhaitée ?
Vous parlez de considérations éthiques, mais, d'après l'OMS – Organisation mondiale de la santé – , la viabilité du foetus est établie à dix-neuf semaines de grossesse. Il n'y a donc pas de changement dans la nature de l'embryon entre douze et quatorze semaines.
Vous parlez de la difficulté d'effectuer certains gestes techniques, mais les gynécologues savent les pratiquer, car ils les réalisent fréquemment en cas de fausse couche intervenue dans les délais.
Je veux vous parler du droit fondamental des femmes à l'IVG : en 2020, nous nous devons de fluidifier et de sécuriser l'accès à l'IVG. Je veux vous parler d'accompagnement de la santé des femmes et de notre obligation de bienveillance à l'égard de celles, qui peuvent être nos soeurs, nos filles ou nos amies, qui se trouvent dans ces situations de détresse.
Pour toutes ces raisons, le groupe La République en marche votera l'article 1er.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et EDS, ainsi que sur quelques bancs du groupe FI.
Au moment d'examiner les articles, une question de méthode s'impose : pourquoi le sujet de l'avortement nous conduit-il à débattre avec tant de sérieux et de profondeur ? Il oblige à concilier deux principes : la liberté des femmes, reconnue par l'article 2 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, d'une part, et la protection de la vie à naître, également de valeur constitutionnelle, d'autre part. Sommes-nous d'accord sur ce point ?
Madame la rapporteure, monsieur le ministre, on voit bien que vous oubliez volontairement la deuxième dimension, la protection de la vie à naître. Pourtant, elle est au fondement de la définition des conditions encadrant la pratique de l'interruption volontaire de grossesse. Si on l'oublie, on adopte la position de la directrice du planning familial, qui veut supprimer toute mention de délai – j'ai entendu que certains collègues le revendiquent déjà. Pourquoi fixer des conditions à l'avortement ? Parce que la liberté de la femme n'est pas seule en cause ; la protection de la vie à naître est aussi un principe.
Je n'entre pas dans le débat pour savoir si l'embryon est ou non une personne : nous ne résoudrons pas une question qui travaille l'humanité depuis des siècles et qui continuera à se poser. Si la liberté de la femme et la protection de la vie à naître constituent bien les deux principes à concilier, nous devons tracer la ligne de crête avec le plus de justesse possible. Avant d'aller plus loin, je répète ma question : êtes-vous d'accord avec cette définition des termes du débat ? Il est important que nous partagions cette conception humaniste. Si ce n'est pas le cas, toutes les bornes sont franchies et l'avortement inconditionnel devient possible. Peut-être le voulez-vous, en tant que militants, mais ce n'est pas la voie dans laquelle le groupe Les Républicains veut s'engager.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Certaines initiatives politiques desservent les buts qu'elles entendent poursuivre.
Murmures sur les bancs des groupes EDS et FI.
D'où je parle ? Il faut le dire. À titre personnel, j'aime répéter que je n'ai pas de certitudes sur un tel sujet, mais, comme député, responsable public élu depuis vingt-cinq ans, je crois que mon devoir est de me battre, aux côtés de nombre d'entre vous, pour que l'IVG demeure un droit, que nous défendrons, notamment en protégeant l'accès de toutes les femmes à ce droit.
D'où parlons-nous ? Nous parlons en tant que législateurs. On voudrait qu'en tant que représentants de la souveraineté populaire, les députés trouvent une relation d'homothétie entre ce que veut la société et leurs décisions. En l'occurrence, ce n'est pas le cas. Il peut arriver que des majorités se dégagent dans un pays sans qu'elles trouvent une majorité parlementaire pour les exprimer ; il peut également arriver qu'une majorité se dégage au Parlement en faveur d'une position qui divise profondément le pays. C'est le cas avec ce texte.
Protestations sur quelques bancs du groupe LaREM.
La divergence ne s'explique pas par des raisons de fond. Nous pourrions nous rejoindre sur le travail qui a été remarquablement réalisé par la délégation aux droits des femmes. Elle concerne la forme avec laquelle nous abordons ce sujet si fondamental pour la société : une niche parlementaire, quelques heures de débat un jeudi matin, une centaine de députés dans l'hémicycle.
Exclamations sur les bancs des groupes EDS et LaREM.
J'entends d'ailleurs la division s'exprimer par des voix qui tentent de couvrir la mienne.
Mes chers collègues, laissons M. Mignola s'exprimer, il lui reste quelques secondes pour conclure.
Nous exprimer dans ces circonstances nous empêche d'évoquer aussi la dimension budgétaire de ce droit et l'organisation du cadre dans lequel la société l'a inscrit.
Mme la rapporteure proteste.
Que nous choisissions douze ou quatorze semaines, il faudra augmenter les moyens du planning familial et des assistantes sociales, or nous ne sommes pas en mesure aujourd'hui d'adopter des dispositions budgétaires. Dans ces conditions, précisément parce que toute ma vie je défendrai l'IVG, je ne souscris pas à l'adoption de l'article 1 er.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.
Mes chers collègues – je m'adresse en particulier à M. Guillaume Chiche, qui m'a l'air en pleine forme et très enthousiaste – ,
Sourires sur les bancs du groupe EDS
je signale que le temps pendant lequel vous interrompez les orateurs est évidemment décompté de leur prise de parole.
Exclamations sur les bancs des groupes Dem et EDS.
Je salue le travail de la délégation aux droits des femmes sur le sujet et remercie Albane Gaillot de défendre ce texte à ce moment précis. Je sais qu'il s'agit de l'aboutissement d'un engagement personnel, et non d'un calcul politique.
Sourires sur les bancs du groupe LR
de même qu'il n'existe jamais d'IVG de confort, il n'existera jamais de vote confortable sur l'IVG.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem. – Mme la rapporteure applaudit également.
Je sais à quel point le sujet est sensible.
Nous parlons d'un droit forgé dans le sang et dans les larmes des femmes, et grâce au courage politique d'une femme en particulier, soutenue par des hommes politiques de grand courage également.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Pour vous convaincre, je pourrais dire que, si Simone Veil siégeait dans cette assemblée, elle serait sans doute quelque part sur nos bancs, et vous proposer de mettre nos pas dans les siens.
Protestations sur les bancs du groupe LR.
Je n'utiliserai pas cet argument, au profit d'un argument de droit. Je m'adresse au législateur responsable que nous sommes : l'IVG est un droit. Pour exister, un droit ne doit pas seulement être voté au Parlement, il doit évoluer et être exercé de manière égale par tous les membres de la société.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Or, la délégation au droit des femmes l'a montré, l'égalité d'accès à l'IVG n'est pas assurée. L'article 1er ne tend pas à provoquer une révolution mais à procéder à un ajustement raisonnable.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Mme la rapporteure et M. Erwan Balanant applaudissent également.
Il tend à augmenter le délai de recours à l'IVG non de cinq semaines, en vue d'adopter le modèle de la Suède, ou de dix semaines, pour imiter celui des Pays-Bas, mais de seulement deux semaines, afin de nous caler sur la Belgique et l'Espagne. Agissons pour les droits et l'égalité – nous sommes garants de l'État de droit.
Applaudissements sur les bancs des groupes EDS et SOC, ainsi que sur quelques bancs du groupe LaREM.
Je rappelle que les interventions sur les articles sont limitées à deux minutes. La journée est consacrée à une niche parlementaire, et nous avons beaucoup de sujets à aborder. Nous ferons donc respecter scrupuleusement le règlement.
M. Matthieu Orphelin et Mme Delphine Bagarry applaudissent.
Je salue l'initiative d'Albane Gaillot et de toutes celles qui ont soutenu la proposition de loi. Son examen est une bonne nouvelle. Je constate que le travail de conviction a été fructueux puisque le groupe majoritaire semble adopter le principe d'un allongement du délai – …
Murmures sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem
… si j'ai bien entendu les propos d'une de ses représentantes. Je souhaite qu'il en soit ainsi, car nous devons sortir de ce débat par le haut. C'est une petite modification, mais une grande avancée pour de nombreuses femmes obligées de quitter la France et de payer cher pour faire vivre le droit à l'avortement. Chaque année, entre 3 000 et 5 000 femmes vont avorter à l'étranger.
Monsieur le ministre, vous avez allégué un problème de temps, affirmant manquer de recul pour adopter le texte qui vise à allonger le délai de recours à l'IVG.
Je n'ai pas dit ça !
Or, nous disposons d'un tel recul, puisque d'autres pays autorisent les femmes à avorter dans un délai bien supérieur à douze semaines, comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède et d'autres encore en Europe et ailleurs.
Ensuite, le débat public a eu le temps de se déployer. Voilà très longtemps que les féministes revendiquent l'extension du délai, souvent au-delà de quatorze semaines.
Nous devons discuter pour savoir à combien de semaines le porter, mais, pour adopter celui de quatorze semaines, il suffit d'observer la réalité et de constater que beaucoup de femmes recourent à l'IVG. Or il existe une inégalité entre les territoires : certaines habitent dans des déserts médicaux, où il est difficile de se rendre dans un planning familial ou de trouver un médecin qui pratique l'avortement.
Je conclurai en soulignant que nous devons voter pour des raisons politiques. La question ne relève pas seulement de la morale ou de la conscience personnelle ; elle est éminemment politique.
Applaudissements sur les bancs des groupes EDS et GDR, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Je ne sais pas pourquoi nous ne parvenons pas, dans notre pays, lorsque nous débattons de bioéthique, à comprendre ce qu'on ne voit pas.
M. Christian Hutin proteste.
En l'occurrence, que l'embryon devient foetus à une période charnière, douze semaines de grossesse. Ce palier n'a pas été déterminé par hasard. On peut se demander si l'embryon est déjà une vie humaine ; certains le pensent, d'autres non. La question devient plus compliquée quand le foetus mesure plus de dix centimètres et se meut si bien, qu'après quelques semaines, la mère ressent ses mouvements ; et que ce foetus a un crâne, qu'il faudra écraser pour l'extraire de l'utérus de la femme qui demande une IVG tardive.
Protestations sur les bancs du groupe EDS.
Sois gentille avec tes collègues : il était à la République en marche il y a six mois !
Ce sont des réalités biologiques que les Français doivent connaître ! Pour délibérer en leur âme et conscience, ils doivent savoir ce que seuls quelques médecins voient, en regardant à travers le corps de la femme. Il ne s'agit pas seulement du droit pour la femme de disposer de son corps ; il s'agit de l'union d'un homme et d'une femme, d'un acte coresponsable.
Protestations sur les bancs des groupes SOC, GDR, FI et EDS, et sur quelques bancs du groupe LaREM.
On ne saurait dresser des bilans comptables, d'apothicaire, issus de faux benchmarks dans des pays étrangers, qui acceptent l'inacceptable, quand nous revendiquons d'être le pays de l'éthique, de la science et de la médecine ! Il faut calmer notre tendance à adopter des modèles anglo-saxons pseudo-progressistes.
M. Xavier Breton applaudit.
L'ordre du jour voit se succéder une proposition de loi défigurant la nature humaine et un texte qui se préoccupe de la condition animale ! Sincèrement, où allons-nous ?
Protestations sur de nombreux bancs.
Nous sommes aujourd'hui pris en otage par cette proposition de loi, sortie de je ne sais quel campus américain, inspirée de je ne sais laquelle des thèses prétendument progressistes qui infestent notre débat parlementaire. Je suis contre l'allongement de la durée de recours à l'IVG.
Sourires.
Nous devons conserver le cadre actuel, suffisant et nécessaire – je soutiens son principe, mais tenons-nous en là.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
L'agitation dans l'hémicycle montre bien que cette proposition de loi pose problème.
Il serait bien, et démocratique – sauf si nous ne sommes plus en démocratie – , que chacun, qu'il soit d'accord avec le texte ou qu'il lui soit opposé, comme M. Son-Forget, puisse exprimer ce qu'il a à dire, comme il se doit dans un État de droit, sans être hué.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
Au-delà de l'IVG, je veux parler un peu de politique, parce que le lieu s'y prête aussi.
J'ai appris ce matin – Aurore Bergé l'a dit sur les plateaux télévisés – que le groupe La République en marche votera l'allongement du délai de recours à l'IVG.
Protestations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
C'est ce qui vient d'être dit ! Que ce soit clair : tous ceux qui ont voté pour Emmanuel Macron en 2017, athées, francs-maçons, religieux, se sont fait avoir !
Sourires sur les bancs de gauche. – Protestations sur de nombreux bancs du groupe LaREM.
Et on va nous parler de confiance ! Comment voulez-vous que les citoyens de ce pays aient confiance dans leurs représentants, alors qu'on ne leur vend pas dans le programme ce qui advient effectivement après les élections ? J'espère que là-haut, comme au château, mes propos seront entendus. J'appelle tous ceux qui ne veulent pas se tromper à observer ce qui se passe aujourd'hui !
Nous en venons à l'examen des amendements.
Je rappelle que seul un orateur de chaque groupe peut s'exprimer sur les articles depuis la réforme de notre règlement, que nous avons collectivement votée.
Sourires.
Il faut le dire et le redire, il n'est pas question ici de porter un quelconque jugement sur les femmes qui ont recours à l'avortement. Leur malheur, leur détresse, nous appellent à la plus grande des retenues.
Cette précision apportée, il me semble nécessaire de revenir à l'esprit du discours de Simone Veil en 1974. En effet, votre proposition de loi tend à banaliser un acte que Simone Veil souhaitait tout, sauf banal. Je me permets de la citer, puisque beaucoup ici se revendiquent de l'ancienne résistante : « l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue [… ] Aucune femme ne recourt de gaieté de coeur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes. C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame. »
Je vous propose de faire une chose, une seule : allez sur internet et regardez à quoi ressemble un foetus de quatorze semaines dans le ventre de sa mère.
Exclamations sur les bancs des groupes LaREM, Dem, Agir ens, EDS, SOC, GDR et FI
Mêmes mouvements.
Il y a un problème ? Oui, c'est un bébé. Il peut plier les doigts, serrer le poing, sucer son pouce.
Exclamations sur les bancs du groupe EDS.
Eh oui ! Et vous pensez vraiment qu'allonger le délai ne changera rien ?
Les arguments mis en avant aujourd'hui sont les mêmes que ceux que l'on entendait en 2001. Près de vingt ans plus tard, rien n'a changé, preuve que l'allongement des délais ne changera rien. Il faut travailler en amont.
Madame la rapporteure, vous proposez d'allonger les délais d'accès à l'IVG de deux semaines, en permettant que celui-ci intervienne à la fin non de la douzième mais de la quatorzième semaine, c'est-à-dire de la seizième semaine d'aménorrhée. C'est techniquement possible, mais est-ce humainement souhaitable ?
Il est regrettable que cette question sensible ne soit pas traitée dans le cadre de la révision des lois de bioéthique en cours.
Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir consenti à saisir le Conseil consultatif national d'éthique, car nous nous interrogeons non seulement sur la protection de la santé de la femme mais aussi sur la complexité des gestes techniques.
La proposition de loi n'aborde pas la question de la prévention, alors que nous devrions nous entendre pour éviter, autant que faire se peut, cet acte si compliqué pour celles qui sont contraintes d'y recourir, cet acte qui reste un drame, comme l'avait reconnu Simone Veil. Serait-ce que ni l'équilibre ni l'esprit de la loi de 1975, que beaucoup rappellent, ne serait plus respecté ?
Contrairement à ce qui est allégué dans l'exposé des motifs, des arguments médicaux et scientifiques peuvent être opposés sur le plan éthique à l'allongement du délai de recours à l'IVG. Permettez-moi de parler de cet être vivant en devenir et de poser des questions bioéthiques.
Douze ou quatorze semaines, est-ce la même chose ? Ces deux semaines semblent importantes, puisque c'est à ce moment que survient le passage de l'embryon au foetus. Il paraît donc difficile de comparer un embryon de douze semaines à un foetus de quatorze semaines, dont les principaux organes sont formés et dont on a 99 % de chances de pouvoir dépister le sexe.
De plus, après douze semaines, le geste médical n'est plus le même et le protocole de l'IVG doit être révisé, compte tenu des risques importants que court la femme. Selon certains praticiens, allonger le délai de recours de douze à quatorze semaines pose donc une difficulté technique.
Voilà pourquoi nous proposons la suppression de l'article 1er.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Ce n'est pas la bonne réponse à des questions légitimes sur les écarts territoriaux et générationnels. Il faut plus d'accompagnement et plus de prévention !
Mes chers collègues, je serai très clair : les prises de parole seront désormais strictement limitées à deux minutes. Si chacun dépasse son temps de vingt ou quarante secondes, c'est le groupe Écologie démocratie solidarité qui en pâtira à la fin de la journée, ce qui ne serait pas convenable. Nous devons respecter les droits des groupes dans les journées de niche parlementaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe EDS.
Je rejoins l'argumentation de M. Bazin. Mais je m'étonne du climat dans lequel se déroulent ces débats et des vociférations que nous avons pu entendre quand des collègues comme M. Son-Forget, Mme Thill ou Mme Ménard expriment, à leur manière, leur position.
Applaudissements parmi les députés non inscrits. – Mme Agnès Thill applaudit également.
C'est extraordinaire ! Mme Ménard demande si vous êtes allés voir sur internet à quoi ressemble un foetus de quatorze semaines, et il y a des cris ! Mais de quoi avez-vous peur ?
Mme Agnès Thill applaudit.
Voilà pourquoi vous voulez supprimer la clause de conscience et renforcer le délit d'entrave : vous ne supportez pas l'expression libre.
Mme Agnès Thill applaudit.
Je vous interroge à nouveau, madame la rapporteure, monsieur le ministre : l'avortement pour vous n'est-il qu'une question de liberté de la femme, liberté qu'il faut bien sûr prendre en considération complètement, ou bien y a-t-il là aussi une question de la protection de la vie à naître ?
Tant que vous n'arriverez pas à prononcer ces mots : « il y a une protection de la vie à naître », eh bien tout est ouvert ! Vous avez déjà voté l'extension de l'IMG – interruption médicale de grossesse – jusqu'à neuf mois en deuxième lecture de la loi de bioéthique, et bientôt nous verrons l'IVG sans délai, que certains défendent déjà sur ces bancs, et qui est défendue par le planning familial. Nous n'en voulons pas !
C'est votre calcul. Ne soyez pas hypocrites, assumez. Ayez la force, l'honnêteté de l'admettre, ou alors reconnaissez que la question de la protection de la vie à naître se pose et qu'il faut trouver un équilibre forcément difficile, douloureux, entre deux principes. Dans ce cas, parlons-en sereinement. Et surtout, ne vociférez pas quand nous nous exprimons.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Mme Agnès Thill applaudit également.
Parfois, il ne faut changer la loi que d'une main tremblante. Nous sommes à l'un de ces moments : pour prendre une décision aussi lourde que l'allongement de douze à quatorze semaines du délai de recours à l'avortement, nous devons être éclairés. Vous l'avez dit, monsieur le ministre : nous ne disposons pas encore de l'avis du Conseil consultatif national d'éthique. Le lire serait pourtant la première chose à faire. Nous ne sommes pas suffisamment éclairés.
Nous aurions aussi aimé que ce débat s'organise autour de la question de l'éthique. Aujourd'hui, au contraire, vous privilégiez l'une des dimensions de ce débat, oubliant que nous devons aussi nous préoccuper de l'enfant à naître.
Vous voulez franchir une nouvelle ligne rouge, et vous allez créer des clivages profonds. Nos concitoyens ne sont, et de très loin, pas favorables à la mesure que vous souhaitez prendre.
Interrogez aussi le professeur Israël Nisand, qui est rien de moins que le président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français. Il dit clairement ne pas vouloir aller dans ce sens, comme la quasi-totalité des professionnels. Il y a un changement de nature profond entre douze et quatorze semaines : à quatorze semaines, « la tête du foetus est ossifiée et il faut l'écraser. Le geste lui-même est donc terrible pour celui qui le fait et pour la patiente ».
« Au sein du Collège, j'ai soumis quatre fois au vote cette mesure d'allongement des délais de deux semaines, et elle a chaque fois été refusée à 100 % des votants. »
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Mme Emmanuelle Ménard applaudit également.
L'article 1er vise à allonger le délai légal pour recourir à une interruption volontaire de grossesse de douze à quatorze semaines afin d'apporter une solution aux 3 000 à 4 000 femmes qui se voient chaque année contraintes de se rendre à l'étranger pour y avorter. Cependant, si nous reprenons les débats de la loi de 2001 qui a allongé le délai légal de dix à douze semaines, il y était déjà question d'apporter une réponse aux 5 000 femmes qui se rendaient chaque année à l'étranger pour y avorter. Repousser les barrières légales ne mettra donc pas fin à la démarche de milliers de femmes qui partent à l'étranger.
De plus, d'un point de vue biologique, un foetus est bien plus développé à quatorze semaines qu'à douze, et l'IVG peut faire courir des risques bien plus importants à la femme enceinte. À la page 63 du rapport d'information remis le 16 septembre 2020 par la délégation aux droits de femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui porte sur l'accès à l'IVG, on apprend qu'à partir de douze semaines, l'acte médical change. Je lis.
« Un certain nombre de problèmes pratiques liés à la mise en oeuvre de l'allongement du délai légal ont d'ailleurs été soulevés lors des auditions de vos rapporteures. Le docteur Philippe Faucher, gynécologue obstétricien et président du réseau entre la ville et l'hôpital pour l'orthogénie – REVHO – , explique qu'à partir de douze semaines de grossesse, la méthode d'avortement instrumentale n'est plus la même : cela nécessite » un protocole différent.
Ne nous leurrons pas. La solution est non d'allonger le délai légal mais d'améliorer la prévention et de faciliter l'accès à l'IVG. Comme le souligne le rapport de la Cour des comptes sur les médecins et les personnels de santé scolaire d'avril 2020, nous devons renforcer la prévention, notamment grâce aux infirmières scolaires, dont la mission est de fournir aux élèves des éléments d'information, notamment sur l'éducation à la sexualité ou encore sur la contraception.
Le groupe UDI et indépendants reconnaît qu'il est nécessaire d'aider les femmes en détresse, mais nous sommes convaincus que la mesure proposée n'est pas adéquate. C'est pourquoi nous proposons de supprimer cet article.
J'ai également déposé un amendement de suppression. L'argument mis en avant pour justifier l'allongement du délai est que des femmes, ayant dépassé le délai légal, seraient contraintes d'aller avorter à l'étranger. Le chiffre avancé – 3 000 à 5 000 femmes chaque année – est toutefois identique à celui annoncé lors de l'allongement du délai de dix à douze semaines de grossesse, en 2001. Cette proposition repose également sur l'idée que des femmes auraient eu des difficultés pour accéder à l'avortement pendant le confinement ; mais aucune preuve n'est apportée.
En réalité, nous ne disposons d'aucune analyse fiable et scientifique, ni des chiffres, ni des raisons pour lesquelles un certain nombre de femmes iraient à l'étranger. Pourtant ces données pourraient nous éclairer sur les carences éventuelles des politiques publiques et des politiques de prévention à conduire.
Avorter tardivement, à plus de trois mois de grossesse, est très violent pour les femmes et, sur le plan médical, l'IVG est rendue plus complexe en raison de la plus grande taille du foetus. D'où vient la limite de quatorze semaines ? Pourquoi pas seize ou dix-neuf ? La réponse nous a été donnée par notre collègue Elsa Faucillon lors de notre dernier débat sur l'évaluation des politiques publiques en matière d'accès à l'IVG. D'après elle, « l'allongement de ce délai se cale sur la technique d'avortement utilisée ; à douze ou quatorze semaines de grossesse, il est encore possible de procéder à un avortement par aspiration ».
Mais qu'est-ce qu'un enfant à quatorze semaines ? Qu'est-ce qu'un avortement par aspiration ? Je sais bien que cela vous ennuie, mais je vous le demande à mon tour : de quoi avez-vous peur ? À quatorze semaines, le bébé mesure presque 14 centimètres pour près de 100 grammes. Les proportions de son corps s'harmonisent, le squelette se solidifie, l'ossature se forme. Il peut plier les doigts, serrer les poings ou sucer son pouce. Il commence également à donner quelques coups, trop faibles encore pour être ressentis. Quant à l'avortement par aspiration, c'est une opération intégralement réalisée sous anesthésie générale, qui consiste à écraser l'ossature, à déchiqueter le foetus et à aspirer les restes.
Souvent, la paroi de l'utérus est contrôlée avec une curette, c'est-à-dire un instrument en forme d'une petite cuillère, et d'éventuels résidus du foetus sont évacués.
Qu'on ne vienne pas nous dire alors…
La parole est à Mme Josiane Corneloup, pour soutenir l'amendement no 71 .
Contrairement à ce qui est allégué dans l'exposé des motifs, des arguments médicaux et scientifiques permettent de s'opposer à cet allongement. En effet, ces deux semaines sont importantes, puisque c'est le moment où se produit le passage de l'embryon au foetus. De rapides et importantes modifications physiologiques surviennent dès ce moment, et il est possible d'identifier nombre de caractéristiques de l'enfant en devenir. Les principaux organes sont formés. À douze semaines, on parle d'un embryon dont la distance crânio-caudale est de 6,5 centimètres, où l'on ne voit que le bourgeon germinal. À quatorze semaines, nous sommes face à un foetus, dont on a 99 % de chances de dépister le sexe. L'audition est développée, tout comme les connexions neuronales.
L'incidence de l'acte lui-même est également importante : pour une IVG pratiquée après douze semaines, le geste médical n'est plus le même et le protocole doit être révisé en raison des risques importants que court la femme.
Enfin, aucune étude ne montre que les avortements tardifs sont la conséquence des délais légaux d'accès à l'IVG. Il est indispensable de renforcer la prévention. L'avortement n'est pas un moyen de contraception, mais une situation particulièrement éprouvante pour les femmes.
Pour toutes ces raisons, il n'est pas opportun d'allonger le délai d'accès à l'IVG de deux semaines. Voilà pourquoi nous proposons la suppression de l'article.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Sur les amendements identiques nos 1 , 7 , 11 , 21 , 34 , 63 , 71 , 81 et 85 visant à supprimer l'article 1er, je suis saisi par le groupe Les Républicains d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Aude Bono-Vandorme, pour soutenir l'amendement no 81 .
En aucun cas il n'est question de revenir sur le droit à l'avortement. Une femme doit pouvoir décider si et quand elle souhaite devenir maman. Cependant, le sujet de l'avortement est nécessairement lié à des considérations médicales. En effet, à quatorze semaines de grossesse, le risque de complications est bien plus important qu'à douze semaines, ce qui est susceptible de mettre en danger la santé de la femme qui souhaite avorter.
À cet égard, la Haute Autorité de santé précise que « l'utilisation éventuelle de l'anesthésie locale demande une très bonne maîtrise de la technique de dilatation et évacuation ». Selon le médecin généraliste Cloé Guicheteau, qui exerce au Planning familial ainsi qu'au centre d'interruption volontaire de grossesse du CHU de Rennes, « jusqu'à douze semaines d'aménorrhée, l'IVG ne pose pas de problème technique, c'est un geste très facile et rapide. À sept, huit ou neuf semaines, [l'IVG nécessite] une à trois minutes d'aspiration. Après, la durée augmente un peu. Mais entre douze et quatorze semaines, une difficulté technique se fait ressentir. » C'est pourquoi, selon le professeur Nisand, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, cet allongement du délai à quatorze semaines « risque de raréfier davantage le nombre de praticiens qui réalisent des IVG ».
Pour toutes ces raisons fondamentales, que vous avez vous-même relevées, monsieur le ministre, il paraît préférable de donner les moyens aux hôpitaux de pouvoir gérer en temps voulu toutes les IVG, plutôt que d'allonger le délai à quatorze semaines. Il relève de notre responsabilité de prévenir, de communiquer et d'agir sur les raisons du recours à l'IVG ; c'est une obligation morale.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Il y a des lois, dans l'histoire de cette maison, qui sont des lois totémiques. La loi relative à l'interruption volontaire de grossesse en est une. Évidemment, chaque fois que l'on y touche, cela suscite énormément de commentaires. En la matière, j'estime qu'il nous faut faire preuve d'une très grande prudence.
Monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, il s'agit d'une question éminemment éthique. Je ne comprends donc pas pourquoi vous n'avez pas demandé l'avis du Comité consultatif national d'éthique.
Pourquoi n'avons-nous pas procédé, sur la question de l'allongement du délai pour recourir à l'IVG, à des auditions auxquelles les parlementaires intéressés auraient pu assister ? De cette manière, nous aurions été en mesure de prendre une décision éclairée car, comme cela a été dit par mes collègues, le passage de l'embryon au foetus constitue un sujet éminemment éthique. Or vous ne le traitez pas à la hauteur de l'importance qu'il revêt.
En conclusion, je souhaite aborder une question qui n'a rien à voir avec l'objet du texte que nous examinons ce matin. En effet, votre proposition de loi est rédigée en écriture inclusive. Je vous rappelle que le Premier ministre Édouard Philippe…
… avait diffusé une circulaire invitant à ce que l'on n'utilise pas l'écriture inclusive dans les textes officiels et en particulier dans les textes législatifs.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.
La loi doit être claire et intelligible ; l'écriture inclusive ne l'est pas. Il convient donc de ne pas céder à cette mode mortifère pour la langue française.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
J'essaierai d'être claire, précise et concise pour répondre à chacun des points qui ont été évoqués. Mais avant toute chose, je souhaite que dans nos propos, nous fassions attention à ne pas culpabiliser les femmes. Je vous remercie d'y prendre garde.
Pour ma part, j'estime qu'il ne s'agit pas d'un sujet éthique, mais d'effectivité du droit…
Je comprends que nos amis du groupe Les Républicains ont dû finir leur séminaire, étant donné qu'ils entrent nombreux dans notre hémicycle.
Protestations sur les bancs du groupe LR.
À ceux qui sont en train de prendre place, je demande de bien vouloir le faire dans le respect de l'orateur qui dispose de la parole, à savoir Mme la rapporteure Albane Gaillot. Je vous invite à l'écouter de la même manière que les autres députés vous écoutent.
Je reprends donc mon propos. Pourquoi allonger les délais ? Comme je l'ai dit lors de ma présentation du texte, entre 3 000 et 5 000 femmes se rendent chaque année à l'étranger pour avorter, car les délais légaux sont dépassés en France. Elles ne choisissent pas délibérément d'arriver en retard. Ce sont des femmes qui n'ont pas le choix, …
… qui ont vécu un déni de grossesse, qui sont victimes de violences conjugales, ou encore qui sont adolescentes.
Deuxièmement, non, l'allongement des délais n'est pas une course sans fin. Lorsque nous sommes passés de dix à douze semaines en 2001, les femmes n'ont pas changé de comportement pour autant. Elles ne sont pas entrées plus tardivement dans le parcours d'IVG. Ainsi, nous savons que ce sont entre 1 000 et 2 000 femmes qui pourraient bénéficier de cette mesure, que j'applaudis.
Qu'en est-il maintenant de l'enjeu technique ? Je ne vais pas hurler contre ce que j'ai entendu sur l'écrasement de la tête, et j'ai évidemment lu les propos de M. Nisand dans la presse. Que l'IVG soit réalisée à dix, onze, douze ou quatorze semaines de grossesse, sachez que c'est toujours la technique de l'aspiration qui est pratiquée et qu'elle suppose la dilacération et l'extraction des fragments. La canule utilisée est effectivement plus grosse, puisque le foetus est plus gros. Mais je le répète, la technique utilisée est la même.
Il est vrai que les praticiens eux-mêmes peuvent manifester leur opposition à cette disposition, car il existe un défaut dans la formation des gynécologues-obstétriciens : on forme mal à l'IVG instrumentale. Il conviendra donc de lever ce frein.
Je reconnais également que la proposition de loi ne répond pas à tous les enjeux. J'ai bien entendu les arguments relatifs à la prévention et à l'éducation à la sexualité : des amendements seront déposés en ce sens lors de l'examen du projet de loi de finances.
S'agissant des changements physiologiques au cours de la grossesse, rappelez-vous que le coeur commence à battre dès trois semaines, tandis que la forme humaine du foetus se dessine à huit semaines. Quant à l'identification du sexe de l'enfant, l'information ne peut être obtenue qu'après quinze semaines de grossesses.
Pour toutes ces raisons, et après consultation des associations, des acteurs de terrain et des professionnels de santé, je considère qu'il est opportun de porter le délai au cours duquel il est possible de recouvrir à une IVG de douze à quatorze semaines. J'estime qu'il s'agit d'un point d'équilibre entre les droits fondamentaux et les considérations éthiques. Mon avis personnel, ainsi que celui de la commission, est donc défavorable sur ces amendements.
Applaudissements sur les bancs du groupe EDS et sur quelques bancs du groupe LaREM.
La question du délai pour la réalisation d'un avortement n'est pas nouvelle, pas plus qu'elle n'est traitée de manière uniforme au sein de l'Union européenne.
Voyant la proposition de loi arriver et devant l'imminence des débats, et bien qu'ayant pris connaissance de l'excellent rapport parlementaire qui a été rédigé sur la question, j'ai interpellé un certain nombre de gynécologues dont je connais l'engagement en faveur du droit à l'avortement et qui, pour nombre d'entre eux, réalisent régulièrement des IVG. Je les ai interrogés sur les différents enjeux que soulève la proposition de loi. Sur certains sujets, l'on peut avoir ses convictions personnelles, desquelles peuvent découler des préjugés – et peu importe qu'ils soient plutôt naturalistes ou plutôt progressistes. C'est pourquoi j'ai souhaité questionner celles et ceux qui pratiquent et qui connaissent, ce qui est plutôt une bonne chose pour éclairer une décision à prendre.
Au-delà de la position très ferme du professeur Nisand, laquelle a été rappelée, c'est l'ensemble des membres du Collège national des gynécologues et obstétriciens français qui ont été interpellés à trois reprises par son président sur cette question de l'extension du délai. Or, bien que pratiquant l'IVG et défendant le droit à l'avortement, les membres de ce collège de professeurs de gynécologie-obstétrique ont répondu que, pour des raisons sur lesquelles je reviendrai dans un instant, ils y étaient défavorables.
J'ai entendu certains gynécologues me dire « super ! » : étendre de douze à quatorze semaines le délai au cours duquel il est possible de se faire avorter va éviter à 400 ou 500 femmes d'avoir à se rendre en Espagne ou aux Pays-Bas pour avoir accès à une IVG plus tardive. Le chiffre de 1 000 à 2 000 pour le nombre de femmes qui pourraient être concernées par la mesure m'apparaît très contestable.
Par définition, nous n'en avons pas la moindre idée. D'après ce qui m'est remonté des territoires, on parlerait ici plutôt de quelques centaines de femmes, même si l'enjeu est de taille quel que soit le nombre de femmes concernées.
Les gynécologues que j'ai interrogés m'ont également dit que pratiquer une IVG à quatorze semaines de grossesse est possible, mais que la technique est alors plus sensible, car la canule utilisée est plus grosse et le geste à réaliser plus compliqué.
D'autres gynécologues m'ont dit que s'ils réalisent actuellement des avortements jusqu'à douze semaines de grossesse, ils ne le feront pas à quatorze semaines. C'est leur droit, leur clause de conscience le leur permet.
Et des gynécologues m'ont expliqué que la difficulté qui existe aujourd'hui est de recruter des gynécologues-obstétriciens capables de réaliser des avortements par aspiration entre dix et douze semaines de grossesse. En allongeant le délai de douze à quatorze semaines, nous craignons de susciter une démotivation et qu'il soit plus difficile, demain, de faire en sorte que ces médecins continuent de pratiquer des IVG. Un certain nombre d'entre eux pourraient jeter l'éponge.
Protestations sur les bancs des groupes FI, GDR et SOC.
Madame Autain, pourrions-nous écouter l'avis du Gouvernement dans la sérénité ?
Madame Autain, veuillez cesser de nous interpeller en permanence dès que vous êtes en désaccord. Acceptez le débat démocratique, ou n'y participez pas !
Protestations sur les bancs des groupes FI et SOC. – Exclamations sur plusieurs bancs.
Vous aussi, monsieur Hutin, vous hurlez en permanence. Me voyez-vous hurler ? Je vous expose simplement des arguments pour et contre la mesure, tout en vous disant, comme je l'ai déjà expliqué, que le Gouvernement rendra un avis de sagesse sur cette question.
Monsieur Hutin, que cachent vos hurlements ?
Mes chers collègues, ayez conscience que nous abordons un sujet important et que des spectateurs nous regardent.
Ils souhaitent connaître notre appréciation, que nous ayons de la hauteur de vue, et que nos débats se déroulent dans la dignité.
Pour l'heure, seul M. le ministre a la parole, puis ceux qui souhaiteront s'exprimer auront l'occasion de le faire – et j'imagine qu'ils préféreront être écoutés avec respect et bienveillance.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et LR.
De fait, lorsque le délai a été allongé de dix à douze semaines, il a été constaté une difficulté pour recruter des gynécologues qui réaliseraient des IVG. La baisse de ces effectifs a ainsi pu atteindre les 30 %. À cet égard, j'entends qu'une des solutions proposées en retour est de permettre à des sages-femmes et à des maïeuticiens de réaliser des IVG instrumentales, alors qu'ils n'en ont aujourd'hui pas le droit. Or, comme le texte adopté en commission le dit bien, ces IVG instrumentales ne seront réalisables que jusqu'à dix semaines de grossesse. Le problème relatif aux IVG à réaliser entre la dixième et la douzième semaine et, à plus forte raison, entre la douzième et la quatorzième semaine, n'est donc pas résolu.
Si je ne peux véritablement faire preuve de neutralité, car sur un tel sujet, c'est impossible, je suis néanmoins porteur, au nom du Gouvernement, d'un avis de sagesse.
C'est pourquoi je me permets, non pas de tenir un débat avec moi-même, mais de présenter les difficultés que les uns et les autres peuvent me rapporter. Le mieux peut être l'ennemi du bien…
… et je ne sais pas si l'allongement du délai pour recourir à un avortement ne va pas emporter des conséquences sur l'accès réel à l'IVG.
Si j'ai saisi le Comité consultatif national d'éthique, ce qui n'avait jamais été fait sur cette question de l'allongement du délai de douze à quatorze semaines, …
… ce n'est pas sur la question du statut embryonnaire entre douze et quatorze semaines de grossesse – ne vous méprenez pas sur ce point. Je l'ai saisi en raison des risques sanitaires potentiels pour la femme qui avortera entre douze et quatorze semaines de grossesse, car cela emporte des conséquences potentielles en matière éthique et bioéthique. C'est à ce titre que j'ai saisi le CCNE, à qui j'ai demandé de me rendre ses conclusions courant novembre de manière à y voir plus clair.
En tant que parlementaires, vous êtes par définition totalement libres de voter dans le sens que vous voulez. J'appelle toutefois votre attention sur le fait qu'il s'agirait, à mon sens, d'un précédent que de voter sur un texte avant d'avoir le résultat de la saisine des autorités censées nous éclairer sur le sujet en question.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Dem, UDI-I, Agir ens et LR.
Je vous dis cela de manière d'autant plus embarrassée que c'est d'une question de calendrier dont il s'agit et que je n'exprime pas, sur le fond, une position défavorable à l'extension du délai.
Je le répète, je ne suis pas défavorable à l'extension. Seulement, en tant que ministre, j'ai besoin d'être éclairé par les autorités de santé.
J'ai besoin de cet avis éclairé pour connaître les risques inhérents pour la femme, pour savoir quelles seront les conséquences d'un allongement du délai sur l'accès réel à l'IVG et s'il faut s'attendre à un effondrement du nombre de gynécologues pratiquant l'avortement, afin de ne pas avoir à vous dire, dans un an, que le nombre d'avortements est en recul. Je ne dispose de garanties ni dans un sens ni dans l'autre.
Voilà l'ambivalence du choix que vous allez devoir faire dans quelques minutes. Et voilà pourquoi ces questions de forme – qui n'en demeurent pas moins importantes – conduisent le Gouvernement à rendre un avis de sagesse sur ces amendements.
Il ne s'agit pas, monsieur le ministre, de forcer les praticiens à pratiquer des IVG jusqu'à quatorze semaines. Certains y seront défavorables et se prévaudront de la clause de conscience,
M. Philippe Gosselin s'exclame
que nous souhaitons du reste générale, tandis que d'autres l'accepteront.
D'autre part, vous avez certes saisi le Comité consultatif national d'éthique il y a quelques jours, mais nous avons demandé l'allongement proposé pendant toute la durée du confinement, notamment par des courriers et par des interventions.
Peut-être aurait-il alors fallu saisir le Comité afin que nous disposions de ses conclusions pour nourrir le débat d'aujourd'hui. Je me félicite néanmoins de la saisine du Comité ; au reste, la navette parlementaire permettra de débattre sereinement en deuxième lecture.
Quoi qu'il en soit, il est essentiel que nous passions ce premier cap. Vous parlez de 400 à 800 femmes, monsieur le ministre : non ! Les chiffres que nous ont donnés nos interlocuteurs espagnols sont compris entre 800 et 1 000 !
Ils sont dans les mêmes proportions en Belgique et aux Pays-Bas. Les chiffres sont donc bien plus élevés que ceux que vous citez. Il est vrai que nous ne disposons pas de statistiques précises…
… mais les autorités espagnoles nous ont donné les leurs. C'est pourquoi nous souhaitons inscrire l'allongement des délais dans la loi afin que les femmes – fussent-elles seulement 400 – bénéficient du droit à l'IVG qui, aujourd'hui, n'en est pas un.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EDS, GDR, FI et sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.
Recadrons le débat. S'agissant de la méthode, la délégation aux droits des femmes a travaillé sur ce sujet durant dix-huit mois ; son rapport est celui dont l'élaboration a pris le plus de temps et s'est appuyé sur le plus grand nombre d'auditions. Je pourrais vous dresser la liste des personnes auditionnées – collèges, ordres, tous les acteurs ont été entendus. Certes, le professeur Nisand préside le Collège national des gynécologues et obstétriciens français, mais il se trouve en France d'autres professeurs de gynécologie qui, eux, sont favorables à l'allongement des délais et qui souhaitent que l'IVG soit un droit réel en France.
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LaREM, Dem, EDS, SOC, GDR et FI.
Je pourrais citer un propos du professeur Ville, de l'hôpital Necker, que la délégation aux droits des femmes reprend à son compte : aujourd'hui, l'IVG est un droit toléré mais non garanti.
Mêmes mouvements.
Disons-le : il se trouve des professeurs de gynécologie qui sont favorables aux droits des femmes et soucieux de leur respect.
J'en viens à l'éthique. Je note que le Gouvernement a en effet saisi le CCNE, mais je rappelle que la question éthique, chers collègues, a été tranchée en 1974. Aujourd'hui, l'IVG n'est plus une question éthique, mais une question relevant des droits des femmes !
Mêmes mouvements.
Il s'agit de faire en sorte que ce droit ne soit plus seulement un droit totémique, mais un droit réel, qui se concrétise dans la vie des femmes.
Il reste quinze secondes à Mme Rixain. Il se trouve, monsieur Cordier, qu'à la place où je suis, j'ai un avantage sur vous : le chronomètre est devant moi. Plutôt que de m'interpeller, faites donc confiance à ceux qui disposent des instruments de contrôle afin qu'ils organisent le débat comme il doit l'être.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et EDS.
Je conclus, donc : il est vrai que les délais ont été allongés au fil de l'histoire de l'IVG, mais jamais ces allongements n'ont suscité la moindre augmentation du nombre d'IVG.
Soyons raisonnables et recadrons le débat : il s'agit aujourd'hui de faire de l'IVG un droit accessible et réel pour toutes les femmes de notre pays !
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LaREM et Dem et sur les bancs des groupes EDS, SOC, GDR et FI.
Nous avons, de mon côté de l'hémicycle, exprimé avec calme et sérénité une position claire : il n'est pas question de revenir sur le droit fondamental des femmes à l'interruption volontaire de grossesse…
… ni sur aucune des nombreuses avancées votées depuis 1975 pour le garantir.
Aujourd'hui, nous ne pouvons pas accepter une proposition de loi allongeant de douze à quatorze semaines le délai de recours à l'IVG : c'est un texte mal préparé sur la forme et, pour tous ceux qui siègent de mon côté de l'hémicycle, dangereux sur le fond. Mes collègues l'ont bien dit : il est dangereux pour la femme, mais aussi au regard de l'histoire. Simone Veil a été abondamment évoquée, mais nul ne saurait la faire revenir dans cet hémicycle ! Personne ici n'est en mesure de dire ce qu'elle pensait exactement.
Elle l'a parfaitement dit à cette tribune en 1974. Aujourd'hui, nous pouvons respecter et admirer Simone Veil, mais nous ne pouvons pas nous exprimer à sa place !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur quelques bancs des groupes Agir ens, Dem et LaREM.
Je vous remercie tous pour ces échanges, chers collègues, et je remercie la délégation aux droits des femmes pour le long travail accompli. Je reste cependant réservée quant à l'extension du délai, même si je suis sensible aux inégalités territoriales – en commission, Mme Goulet a notamment cité la Nièvre, où un seul médecin pratique l'avortement. Je suis également consciente du fait que les femmes en situation de précarité avortent tardivement, que 5 000 femmes partent chaque année à l'étranger pour cette intervention et qu'il est nécessaire que les femmes puissent avorter dans des conditions sereines.
Selon moi, il se pose toutefois un problème éthique. Entre douze et quatorze semaines, le foetus grandit de cinq à dix centimètres. En 2001, le délai est passé de dix à douze semaines ; voilà qu'il est proposé de le porter de douze à quatorze semaines. Jusqu'où ira-t-on ? On peut se le demander.
Enfin, la corrélation entre le niveau de vie et le nombre d'avortements pratiqués m'interpelle. En 2020, en effet, selon une étude de la direction de la DREES, la probabilité d'avorter est de 38 % inférieure parmi les femmes appartenant au premier décile de revenu par rapport à celles qui perçoivent un revenu médian ; en revanche, elle est supérieure de 40 % chez les femmes du dernier décile de revenu. Interrogé sur l'allongement du délai en 2001, le CCNE a estimé que la question du délai doit « relancer les interrogations sur les circonstances et les facteurs qui conduisent plus de 200 000 femmes par an à vouloir interrompre leur grossesse ».
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM, LR et Agir ens, ainsi que sur quelques bancs du groupe LaREM.
Il est question aujourd'hui, en 2020, d'améliorer le texte proposé ici même par Simone Veil en 1974. C'est une amélioration que nous voulons apporter à des femmes en détresse, qui connaissent des problèmes familiaux et des difficultés à décider. Nous leur proposons de réfléchir pendant deux semaines supplémentaires. C'est fondamental pour ces femmes dont la détresse est incroyable.
D'autre part, 3 000 à 5 000 femmes se rendent chaque année à l'étranger pour avorter. Qui, dans cet hémicycle, peut se mettre à leur place ?
Applaudissements sur les bancs des groupes EDS, SOC, GDR, FI et sur de nombreux bancs des groupes LaREM et Dem. – MM. Maxime Minot et Stéphane Viry applaudissent également.
Je félicite donc nos collègues de la délégation aux droits des femmes, à laquelle je n'appartiens malheureusement pas, d'avoir eu le courage de proposer ce texte et, avec certains de mes collègues du groupe Les Républicains, je voterai en faveur de l'allongement du délai de douze à quatorze semaines !
Mêmes mouvements.
Le scrutin public permettra à chacun de s'exprimer en conscience sur ce texte. Comme l'ont bien montré les arguments exposés, nous voterons résolument contre ces amendements de suppression. Chacun doit se poser la question suivante : votera-t-on pour ou contre le renforcement des droits des femmes ? Voilà la question ! Votera-t-on pour ou contre le renforcement du droit d'accès à l'IVG ? Dans quelques instants, chacun pourra répondre en conscience à ces questions !
Le hasard fait que le président Orphelin a pris la parole avant moi mais j'observe qu'avant lui, tous les hommes qui se sont exprimés dans l'hémicycle sont défavorables à l'extension du droit à l'IVG.
« Non ! » sur divers bancs.
Il faut tout le temps qu'il se distingue, lui ! Ça n'apporte rien au débat !
J'en viens au fait. Aucune instance scientifique, chers collègues, ne pourra trancher ce qui est une question politique. Même quand Simone Veil prenait la parole ici, …
… des arguments parfaitement respectables étaient présentés pour s'opposer à ce geste très particulier qu'est l'IVG. Toutefois, pour des raisons politiques, c'est une grande décision qui a été prise en 1975.
Je respecte les collègues qui ont pris position contre ce texte et je respecte leurs convictions intimes, y compris spirituelles, mais je leur dis que l'existence de ce droit suscitera toujours une tension.
La question qui se pose est la suivante : quarante-cinq ans après que le législateur a voté ici même l'existence du droit à l'IVG – je dis bien l'existence du droit, et non de la chose elle-même – , nous constatons – je félicite à cet égard la délégation aux droits des femmes pour son travail – que pour des raisons pratiques, notamment la baisse du nombre de médecins gynécologues, …
… de nombreuses femmes ne peuvent pas bénéficier de ce droit. Cette question très sensible doit donc être réglée sur un plan politique. Il ne s'agit pas d'autoriser un droit exceptionnel mais de faire ce qui se fait dans d'autres pays – je pense à l'Espagne, où le poids des convictions spirituelles pourrait pourtant empêcher l'existence de ce droit – et de porter le délai à quatorze semaines. C'est pourquoi le groupe FI votera en faveur de ce texte et félicite celles et ceux qui ont pris part à son élaboration !
Applaudissements sur les bancs des groupes FI, EDS et GDR, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 183
Nombre de suffrages exprimés 169
Majorité absolue 85
Pour l'adoption 70
Contre 99
Applaudissements sur les bancs des groupes EDS, FI, GDR, SOC et sur de nombreux bancs des groupes LaREM et Dem.
Avant de passer à l'examen des amendements suivants, je demande à ceux de nos collègues qui souhaitent quitter l'hémicycle après ce scrutin, notamment au groupe Les Républicains, de le faire dans le calme.
Ça suffit ! C'est tout le temps nous que vous citez ! Arrêtez et revenez chez nous !
La présente proposition de loi entérine la suppression du critère de détresse, qui a disparu à la faveur de la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes du 4 août 2014. Or il me semble que la suppression de ce critère revient une nouvelle fois à banaliser l'avortement et à en faire un acte anodin dans l'esprit des Français, l'interruption volontaire de grossesse devenant l'issue évidente de toute grossesse imprévue ou difficile. J'ai eu l'occasion de travailler avec des femmes ayant eu recours à l'IVG. Ce qui revient le plus souvent dans leurs propos, c'est l'absence de choix : face à une grossesse imprévue, elles ont été guidées vers l'IVG, sans avoir à aucun moment l'impression de pouvoir faire un vrai choix.
Ce que je voudrais pour ma part, c'est redonner le choix aux femmes. Or le choix passe par l'information. Ignorer la détresse qui conduit les femmes à l'IVG revient à dédouaner la société de toute solidarité à leur égard. Pourtant, cela a été dit lors de la discussion générale, la dernière étude de la DREES relative aux statistiques concernant l'IVG en 2019, parue il y a quelques jours seulement, en septembre 2020, révèle que les femmes aux revenus les plus faibles y ont davantage recours. C'est la raison pour laquelle j'estime que le critère de détresse doit être réintégré à l'article 1er. La solidarité nationale commande non pas de nier la détresse, mais au contraire d'accompagner les femmes qui se trouvent dans cette situation.
« Si le législateur est appelé à modifier les textes en vigueur, c'est pour mettre fin aux avortements clandestins qui sont le plus souvent le fait de celles qui, pour des raisons sociales, économiques ou psychologiques, se sentent dans une telle situation de détresse qu'elles sont décidées à mettre fin à leur grossesse dans n'importe quelles conditions. » Avec cette phrase, prononcée lors de son discours du 26 novembre 1974, Simone Veil résumait totalement l'esprit et le but de la légalisation de l'avortement : répondre à la détresse de nombreuses femmes et leur éviter un avortement clandestin. En supprimant le critère de détresse, la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes du 4 août 2014 a trahi l'esprit même de la loi Veil. Le recours à l'IVG est une décision qui engage une vie et qui peut laisser des traces psychologiques, ainsi que le reconnaissent 92 % des Français selon le dernier sondage de l'IFOP – Institut français d'opinion publique – sur le sujet, contre 89 % en 2016.
De ce fait, le recours à l'IVG ne peut être négligé de cette façon. En effet, ce n'est rien d'autre que le souci de répondre à la détresse qui a conduit les législateurs de 1975 à faire de l'avortement, qui était jusqu'alors un crime, un droit. Masquer aux yeux de la société l'état de détresse qui pousse les femmes à recourir à l'avortement, c'est s'empêcher de leur apporter des réponses adaptées ; ne pas reconnaître cette détresse, c'est l'aggraver. Il paraît donc indispensable de rétablir dans la loi la notion de détresse. Tel est le sens de cet amendement.
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo, pour soutenir l'amendement no 97 .
Je ne comprends pas pourquoi mon amendement fait l'objet d'une discussion commune avec les deux précédents. Il propose que la possibilité d'une extension de douze à quatorze semaines du délai légal d'accès à l'IVG ne soit pas généralisée, mais prévue uniquement dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.
J'aimerais par ailleurs répondre à Mme Rixain, qui souligne que l'allongement du délai légal de dix à douze semaines n'avait pas conduit à une hausse du nombre d'IVG. Cet argument démontre que l'allongement du délai n'est pas la bonne solution…
… et que c'est bien à une politique d'information et de prévention que nous devons travailler, ainsi qu'à une égalité d'accès dans tous les territoires. Cet amendement propose donc que l'allongement du délai soit réservé au contexte de crise sanitaire.
Je serai brève, car de nombreux débats restent à venir. Les amendements identiques de Mme Ménard et de Mme Thill sont en réalité, selon moi, des amendements de suppression déguisés, qui reviennent sur un acquis essentiel du droit à l'avortement. Ce qui compte, c'est le droit pour la femme de choisir, de disposer de son corps et d'être maîtresse de son avenir. La suppression de la notion de détresse dans notre droit par la loi du 4 août 2014 a constitué une avancée majeure pour les droits des femmes, en mettant fin à leur infantilisation. Nul ne souhaiterait raisonnablement revenir sur ce droit acquis.
Quant à l'amendement de Mme Firmin Le Bodo, il vise à prévoir la possibilité d'une extension du délai légal d'accès à l'IVG de douze à quatorze semaines dans le cadre exclusif de l'état d'urgence sanitaire. La crise actuelle a en effet mis en exergue les difficultés des femmes. Mais en réalité, celles-ci existent aussi en dehors des périodes de crise, d'où cette proposition de loi qui vise à allonger les délais de façon pérenne. Avis défavorable sur les trois amendements.
Quant à l'amendement no 97 de Mme Firmin Le Bodo, qui propose d'allonger le délai d'accès à l'IVG dans le seul cadre de l'état d'urgence sanitaire, j'en demande le retrait. À défaut, j'émettrai un avis défavorable. L'intention est louable et, comme je l'ai rappelé lors de la discussion générale, nous avons mis en place des dispositions pour faciliter l'accès à l'IVG pendant la période d'état d'urgence sanitaire. Mais si l'on chamboule sans cesse les délais, plus personne n'y comprendra rien – ni les femmes qui accouchent ou avortent, ni les médecins, ni les centres du Planning familial. Une certaine stabilité est nécessaire et les délais doivent être fixés dans la durée.
J'aimerais comprendre en quoi la prise en compte de la détresse d'une femme revient à l'infantiliser. Expliquez-moi ! Ce n'est pas parce qu'elle est une femme qu'on l'infantilise. En quoi la prise en compte de la détresse d'un être humain, qu'il soit enfant, homme ou femme, peut-elle infantiliser cet individu ? Pardon, mais je ne comprends pas bien – à moins qu'il ne s'agisse vraiment de sexisme de bas étage.
Mais si ! Parce qu'il s'agit d'une femme, elle serait infantilisée ? Par ailleurs, madame la rapporteure, vous avez évoqué la notion de choix et de liberté dans le choix. Il s'agit justement de l'argument que j'ai utilisé.
Brouhaha sur les bancs des groupes SOC et FI.
… puisque vous défendez cette proposition de loi. Dans de nombreux cas – je n'ai pas de pourcentage précis à mettre en avant – , il ressort du témoignage des femmes ayant avorté qu'en réponse à leur sentiment de détresse, elles ont été guidées vers la solution de l'IVG sans avoir eu véritablement le choix. Lorsqu'une femme est confrontée à une grossesse non désirée et qu'elle consulte pour demander un conseil, on l'oriente vers l'IVG.
Protestations sur les bancs des groupes LaREM, SOC, FI et EDS, ainsi que sur le banc des commissions.
Vous dites que je ne sais pas de quoi je parle ? Au contraire, j'ai travaillé avec un groupe de femmes qui avaient subi une IVG.
Protestations sur les bancs des groupes LaREM, SOC, FI et EDS
Certaines l'ont très bien vécu – tant mieux pour elles – , mais d'autres ne l'ont pas bien vécu. Je ne vois pas en quoi nier la réalité rendrait les choses plus acceptables. Il faut arrêter de se voiler la face et de fermer les yeux ! Certaines le vivent très bien, tant mieux, mais d'autres le vivent mal. Et celles qui le vivent mal disent qu'elles ont été conduites vers un choix qui n'était pas celui qu'elles auraient souhaité faire.
Mêmes mouvements.
Madame Ménard, personne ici ne force les femmes à avorter ! Ce que nous défendons, c'est le droit des femmes à disposer de leur corps et la possibilité d'avorter.
M. Christian Hutin applaudit.
Je tiens à vous répondre : non seulement je parle avec des femmes qui ont avorté, mais j'ai moi-même avorté. Et le moment où j'ai ressenti de la détresse, c'est le jour où le gynécologue m'a expliqué qu'il n'y aurait pas de place pour que je puisse avorter dans les délais.
Voilà où se trouve aussi parfois la détresse ! C'est cela, la situation réelle des femmes !
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes FI, SOC, EDS, LaREM et Dem.
Pour que les femmes ne vivent pas l'avortement comme un drame, il faut non seulement que nous cessions de les culpabiliser, mais aussi que notre pays consacre les moyens nécessaires à ce qu'elles puissent le faire dans des conditions dignes et dans le respect d'une égalité sociale et territoriale.
Mêmes mouvements.
Vous voulez réintroduire la notion de détresse. Loin de l'infantiliser, nous considérons qu'une femme peut juger elle-même de sa propre situation de détresse. Laissons-lui son libre arbitre !
Mêmes mouvements.
Elle n'a pas besoin qu'un juge extérieur vienne en décider à sa place !
Mêmes mouvements.
C'est la raison pour laquelle il faut faire progresser le droit et les moyens consacrés à l'IVG : si elle est toujours un échec de la contraception, elle n'est pas toujours un drame et nous devons faire en sorte que ce soit de moins en moins le cas. Si vous commencez à évoquer un bébé mettant son doigt dans la bouche et à expliquer que l'IVG touche à la vie, alors on peut considérer que la vie existe dès la première minute d'existence du foetus. Assumez-le donc, vous êtes totalement opposée à l'avortement, en toutes situations !
Mêmes mouvements.
Car c'est une question de principes. Si le vôtre consiste à ne pas toucher à la vie, que la femme enceinte soit en situation de détresse ou pas, alors il conduit à refuser l'avortement !
Les principes que nous défendons quant à nous sont ceux du droit des femmes et d'une mise en oeuvre concrète de ce droit, pour des raisons – que nous étayons – de droit et de libertés.
Applaudissements sur les bancs des groupes FI, GDR, SOC et EDS, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Je suis née de parents féministes : ma mère l'est, mon père aussi. Ils m'ont tous deux élevée dans un esprit d'indépendance, de liberté, de joie et de responsabilité. Je suis stupéfaite de la nature des débats que nous avons encore en 2020 concernant l'interruption volontaire de grossesse, moi qui ai grandi en considérant qu'il était normal d'avoir cette possibilité, comme une évidence. Mais ça ne l'est pas. Pire : c'est le parcours du combattant. Pire encore : ce débat est toujours empreint de solennité et d'une forme de dramatisation. Qu'il l'ait été dans la bouche de Simone Veil en 1974, je peux le comprendre. Mais nous sommes quarante-cinq ans après. On entend parler dans cet hémicycle de « sujet grave », de « choix douloureux » ou de « détresse ». Eh bien, chère Simone, je laisserai votre esprit en paix, car quarante-cinq après, ces termes ne correspondent pas à ce que vivent les femmes que j'ai rencontrées et qui ont choisi d'avorter – comme ce fut aussi mon cas. Non pas qu'elles considèrent cet acte comme un système de contraception a posteriori : non, elles le font en conscience, en liberté et parfois coupables de ne pas se sentir dans une situation de drame. Arrêtons de culpabiliser les femmes qui avortent ! Nous avons ce droit : arrêtons de ne pas l'assumer librement !
Applaudissements sur les bancs des groupes FI, GDR et SOC, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LaREM, Dem et EDS.
Chers collègues, lorsque l'un d'entre nous exprime une opinion différente de la vôtre, vous n'êtes pas obligés de vociférer.
Emmanuelle Ménard a simplement exprimé ses convictions. Vous pouvez demander la parole, et nous débattrons ensemble.
Je trouve insupportable l'idéologie sous-jacente derrière vos propos, qui conduit à supprimer la clause de conscience spécifique et à renforcer le délit d'entrave à l'IVG. Vous êtes dans une logique militante, idéologique, à sens unique, qui est insupportable ! Ayons des débats sereins.
En parlant de débat, je suis très heureux que notre collègue Clémentine Autain pose la question de la protection de la vie à naître. Au moins, elle reconnaît que cette question se pose ! Or si la réponse à cette question peut être manichéenne dans la conviction intime de chacun, elle ne peut l'être ici. Nous nous trouvons dans le cadre d'un débat parlementaire et politique et devons concilier la liberté de la femme avec la protection de la vie à naître.
Vous dites – et vous l'assumez – que vous ne souhaitez pas protéger la vie à naître.
Et c'est ainsi que vous pousserez le délai de l'IVG jusqu'à neuf mois, comme le demande le Planning familial.
Protestations sur les bancs des groupes LaREM et EDS.
Mais si ! Vous n'êtes pas cohérents. Ceux qui disent « non » ont simplement un train de retard – un train dont vous êtes, madame Bergé, la conductrice !
Il existe plusieurs conceptions du débat, qui ont chacune leur cohérence. Nous mettons en avant la protection de la vie à naître, d'où l'encadrement par la notion de détresse – défendue en son temps par Simone Veil. On cite souvent ses propos aujourd'hui, mais revenons à son discours ! Pourquoi les délais, les critères existent-ils ? Ils n'ont pas été mis en place pour entraver la liberté de la femme, mais pour trouver la conciliation, difficile et douloureuse, entre cette liberté et la protection de la vie à naître.
Monsieur le ministre, madame la rapporteure, les questions dont nous traitons aujourd'hui ont-elles à voir avec la protection de la vie à naître, oui ou non ?
Monsieur Breton, vous avez appelé au début de votre intervention au respect des prises de parole, notamment lorsque Mme Ménard s'exprime. Je vous ai aussi entendu, à la fin de votre intervention, prendre à partie Mme Bergé. Je vous invite à faire preuve de cohérence !
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Monsieur le ministre, je ne retirerai pas mon amendement. S'il avait été débattu dans le cadre de la loi d'urgence du 23 mars 2020 pour faire face à l'épidémie de covid-19, nous ne serions sans doute pas en train de discuter de cette proposition de loi. J'avais déposé alors un amendement similaire, mais qui n'avait pu être débattu.
C'est parce que je suis favorable à la stabilité que je voterai contre cette proposition de loi : conserver le délai de douze semaines, c'est respecter cette stabilité. Notre rôle consiste bien à faire en sorte que le parcours du combattant qu'est le recours à l'IVG n'en soit plus un et que l'accès à cet acte soit facilité. Enfin, nous avons adopté de nombreuses mesures temporaires pendant la période de crise sanitaire. Ne serait-ce que pour cette raison, je maintiendrai mon amendement.
L'amendement no 97 n'est pas adopté.
Cet amendement vise à préciser que l'extension du délai de recours à l'IVG se fait par dérogation à l'article 2, alinéa 1er, de la convention européenne des droits de l'homme.
Monsieur le président, collègues, je suis assez âgé pour connaître d'expérience les situations de détresse que ma collègue Clémentine Autain a décrites à l'instant, d'une époque où il n'était pas possible d'avorter en France. Nous, les hommes qui aimions nos compagnes, étions pris dans ces situations de détresse. Le pire était ces caravanes faisant le tour de l'Europe pour leur permettre d'avorter dans des conditions décentes.
N'ayons donc pas peur d'aborder les enjeux philosophiques du débat. Madame Ménard, vous défendez le droit à la vie : je le comprends, je le respecte. Vous ne pouvez pas prouver davantage que vous avez raison que je ne pourrais prouver que c'est moi qui ai raison. Je pourrais dire pourquoi il est préférable de faire les choix que nous faisons sans jamais me réclamer d'une vérité qui s'imposerait à vous et à moi, sinon que de notre point de vue, celui de l'humanisme qui fait de l'être humain le créateur de lui-même. Je conçois que cela offense certaines convictions, mais c'est la nôtre.
Vous avez raison de dire que ce point de vue est idéologique, collègue, mais le vôtre l'est tout autant car quand on commence à refuser les délais, comme dirait l'autre, il n'y a plus de limites. Je pourrais citer un gouvernement que je désapprouve totalement, bien qu'il soit réputé être de mes amis : celui du Nicaragua, qui a finalement interdit l'avortement en général, même quand la vie des femmes est en danger.
Ce que nous confrontons, ce sont des points de vue philosophiques. Si vous dites que la vie est un droit sacré dès l'apparition du foetus, alors il faut interdire tout délai. Si vous dites que vous n'en savez rien, alors vous devez vous reposer sur la liberté de l'être humain de se créer lui-même, celle de la femme en l'occurrence, à laquelle il revient d'apprécier elle-même les limites de sa liberté. Le seul recours contre l'abus, c'est la liberté individuelle, celle de décider pour soi-même.
Applaudissements sur les bancs des groupes FI, GDR, SOC et EDS, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
L'amendement no 80 n'est pas adopté.
Il s'agit ici de faire obligation aux professionnels de santé de présenter aux femmes toutes les méthodes d'IVG afin que leur soit garanti le droit de choisir celle qui leur convient le mieux. Il s'agit non seulement de faire en sorte que cette étape que vivent un certain nombre de femmes soit vécue dans les conditions les plus favorables, mais surtout de rendre effectif le droit de choisir, qui est inscrit dans la loi – car je le répète, nous sommes ici pour faire en sorte que le droit à l'IVG soit effectif et pour que la loi soit respectée.
Sur l'article 1er, je suis saisi par les groupes Socialistes et apparentés et GDR d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel, pour soutenir l'amendement no 51 .
Il s'agit en effet de garantir que les diverses méthodes d'IVG seront systématiquement présentées aux femmes lors du premier rendez-vous. Nos nombreuses auditions nous ont appris que trop souvent, on ne leur proposait pas ce choix. Nous souhaitons que le texte leur reconnaisse explicitement le droit d'être précisément informées sur toutes les méthodes d'IVG.
Je voudrais également répondre à Mme Ménard – si vous me le permettez, monsieur le président – à propos de l'infantilisation et de la détresse des femmes, puisque j'avais demandé la parole sur ce point : nous sommes ici pour assurer l'effectivité d'un droit qui n'appartient qu'à la femme, et non pas pour soumettre son exercice à la décision d'une tierce personne.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR et SOC. – M. Guillaume Chiche applaudit aussi.
Je suis pour ma part plus que favorable à ces amendements : on sait que le défaut d'accès à l'information constitue une entrave à la liberté de choix.
Je vous inviterai plutôt à retirer ces amendements, parce qu'ils sont satisfaits depuis la loi du 26 janvier 2016. L'article L. 2212-3 du code de la santé publique dispose en effet que le médecin ou la sage-femme sollicité par une femme en vue de l'interruption de sa grossesse doit, dès la première visite, informer celle-ci des méthodes médicales et chirurgicales d'interruption de grossesse et des risques et des effets secondaires potentiels. Le devoir d'information est donc déjà dans la loi.
Nous ne sommes pas en train de débattre du droit à l'avortement : celui-ci est acquis et inscrit dans notre droit ; nous sommes simplement en train de débattre d'un certain nombre de modalités tendant à rendre ce droit effectif, ce qui n'est pas rien. Le travail remarquable qui a été mené par Albane Gaillot et un certain nombre de collègues, notamment au sein de la délégation aux droits des femmes, a montré que ce droit a besoin d'être légèrement adapté – car nous n'introduisons aujourd'hui que des modifications légères, nous ne sommes pas en train de révolutionner le droit à l'avortement – à la réalité de notre société et de la situation des femmes qui doivent, pour une raison ou une autre, recourir à ce droit.
Je veux redire ma conviction que nous devons avancer en ce domaine et que nous le ferons en votant ce texte. Ce ne sont que des ajustements : il ne s'agit pas d'appeler au grand soir du droit à l'avortement, mais de pérenniser un droit et de le rendre effectif. L'évolution des méthodes médicales demande une telle adaptation de notre droit au bénéfice de toutes les femmes de notre pays.
Je souhaiterais réagir aux propos du président Mélenchon, parce que je ne pense pas que ce débat se pose en 2020 dans les mêmes termes que dans les années 70. Il ne s'agit pas simplement d'un relativisme idéologique : il y a beaucoup d'excès dans ces propos. Il ne s'agit pas d'être pro life ou anti life, mais de tenir compte de ce que l'avancée de la science nous apprend. Il y a des étapes. Certains vont placer le début de la vie à l'apparition de la conscience, d'autres à l'apparition de l'organogenèse, d'autres encore à ce moment important ou l'embryon devient foetus. Avant cette étape s'applique la loi dite en médecine du tout ou rien, où la survenue d'un accident interdit la naissance de l'enfant ; après, l'enfant peut arriver à terme en dépit de cet accident, éventuellement avec un handicap. Là encore, il s'agit de choisir librement, de déterminer librement son projet familial.
Aujourd'hui, en 2020, on peut ne pas être dans l'excès – et la loi actuelle respecte cette possibilité. Ce délai de douze semaines n'a pas été fixé par hasard. Il a une histoire, il a fait l'objet de débats, parfois houleux, et il fallait peut-être à l'époque des progressistes pour pousser le bouchon suffisamment loin. Aujourd'hui, nous avons été réunis de manière impromptue sans que quiconque ait été consulté. Je crois même savoir que l'ordre des sages-femmes n'a pas consulté ses ouailles, qui ne l'ont été que par les obstétriciens il y a deux jours ! Je ne suis même pas sûr qu'elles aient envie de faire le vilain travail dont on souhaite les charger parce que ceux qui ont le statut médical qu'elles n'ont pas refusent de le faire !
Aujourd'hui, les acteurs n'ont pas été consultés. Il ne s'agit pas simplement d'un débat idéologique entre progressistes et conservateurs. Nous sommes là en train de jouer avec un curseur qui marque notre attachement à la vie, à des vies abouties, à des vies âgées, entre conservatisme, naturalisme et transhumanisme : c'est beaucoup plus grave qu'une question de quelques jours.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
On voit bien qu'une heure et demie de discussion générale ne suffit pas pour trancher ni pour éclairer les Français sur des débats, puisque ceux-ci reviennent à chaque amendement.
Pour l'avoir étudié, voire éprouvé il y a quelques années, je pense à titre personnel qu'on peut faire passer ce délai de douze à quatorze semaines. Au-delà de ce problème du délai, que vous proposez de traiter aujourd'hui, la difficulté d'un accès effectif au droit à l'avortement en France est due avant tout à la disparition d'un certain nombre de structures qui permettaient d'accueillir les femmes dans les territoires en tension.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, FI et GDR.
Ces amendements visent le problème de la capacité de choix entre les méthodes d'IVG. Le traumatisme, le drame, la tension qu'une femme, voire un couple, vit dans ce type de circonstances rendent nécessaire un choix éclairé. Vous avez demandé le retrait de ces amendements, monsieur le ministre, parce qu'ils seraient déjà satisfaits. Cependant, il arrive assez couramment que notre droit édicte la même règle dans des textes différents, pour bien préciser les choses et bien marquer l'intention du législateur. J'invite donc les auteures de ces amendements à ne pas les retirer, puisqu'ils permettent de marquer une volonté que je crois largement majoritaire, quelles que soient les opinions sur l'avortement en tant que tel.
Vous permettrez au président de la famille politique qui a permis cette avancée de notre droit de dire qu'il ne s'agit pas seulement de prolonger un délai de quelques jours. Je préférerais qu'au lieu de se contenter d'une position de sagesse, le Gouvernement nourrisse le débat public pour qu'on explique que c'est faisable – c'est mon point de vue – mais que ce n'est pas neutre, qu'il s'agit de tenir compte de nouvelles nécessités, tout comme Simone Veil et le président Giscard d'Estaing ont répondu, il y a de cela quelques décennies, aux nécessités d'alors. Aujourd'hui, des femmes sont toujours contraintes de se rendre à l'étranger pour se faire avorter, comme c'était le cas à l'époque. C'est pourquoi je suis, à titre personnel, favorable à l'article 1er et surtout à cet amendement, qui tend à permettre à chaque femme de connaître toutes les techniques d'avortement possibles, selon le stade de la grossesse où elles se trouvent.
Je voudrais simplement compléter ce que j'ai dit précédemment en réponse à notre collègue Thill, qui voit là une atteinte aux droits de l'homme. Ce point de vue, que je respecte, part de la prémisse que la vie humaine commencerait avec le foetus. J'y opposais la prémisse inverse, selon laquelle un être humain est un être humain lorsqu'il est voulu et lorsqu'il naît et qu'il entre dans les relations sociales. Je m'appuyais sur la définition humaniste de l'être humain créateur de lui-même.
Je voudrais prolonger cette discussion en disant à mon collègue Son-Forget qu'aussi savant soit-il dans son domaine médical, il se trompe lourdement : la science ne nous apprendra que nos limites physiques ou sensitives ; elle ne nous dira rien de l'être humain. Vous êtes dans l'illusion scientiste. Entre une banane et un être humain, la science nous apprend qu'il n'y a que 2 % de différence génétique ; selon moi, la différence est beaucoup plus importante. Par conséquent, nous serons toujours obligés de nous définir nous-mêmes : c'est la définition de la liberté telle qu'elle se déploie dans l'histoire. Vous n'aurez pas de réponse objective à la question de savoir qui est un être humain et à partir de quand. Vous n'avez qu'un recours, comme dans tous les autres domaines : la liberté de conscience.
Cette liberté, la femme en est dépositaire à cet instant. Si vous ne croyez pas à la liberté de conscience, alors vous ne croyez pas aux fondements de la morale, parce que même quand on croit en Dieu, c'est la liberté individuelle qui nous fait choisir entre le bien et le mal.
La liberté de conscience, c'est le sujet de ce texte. Si nous fixions d'une manière ou d'une autre une limite sans la fonder sur une raison objective, alors nous décréterions quelque chose qui atteindrait à la laïcité de l'État, c'est-à-dire que nous déciderions quand commence la vie, et cela n'est pas dans les moyens du législateur.
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR, ainsi que sur quelques bancs du groupe LaREM.
Revenons, plus prosaïquement, au cadre légistique dans lequel s'inscrivent ces amendements. La loi comporte deux paragraphes distincts : l'un s'intéresse à la femme, précisant qu'elle a le droit d'être informée des méthodes abortives et d'en choisir une librement ; l'autre s'intéresse au médecin, qui a le devoir d'informer les femmes qu'il reçoit en consultation et qui veulent avorter. Ce devoir d'information existe donc déjà dans la loi.
Vous voudriez transformer le droit pour la femme d'être informée – droit opposable, inscrit dans la loi – en un devoir d'information incombant au médecin – alors que celui-ci figure déjà dans la loi. En procédant ainsi, vous retireriez à la femme le droit opposable d'être informée !
Conformément à la logique qui sous-tend la position du Gouvernement, j'ai proposé que ces amendements soient retirés. Je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée, pour les raisons que j'ai déjà expliquées.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, FI, GDR et EDS.
On peut se demander à quoi servent les avis du Gouvernement, puisque des amendements auxquels il est défavorable sont adoptés allègrement ! Il y a là un vrai problème de méthode.
Par mon amendement, je propose que toute modification de la législation relative à l'interruption de grossesse donne lieu préalablement à un débat public. Je rejoins en cela les préoccupations de Jean-Christophe Lagarde : des sujets d'une telle importance ne peuvent pas être examinés à l'occasion d'une niche parlementaire, mais doivent faire l'objet d'un vrai débat.
Les 30 septembre et 1er octobre, l'institut de sondage IFOP a posé la question suivante à un panel de Français : « Il y a actuellement, chaque année en France, 232 000 avortements pratiqués pour 753 000 naissances. Selon vous, cette situation est-elle préoccupante, car avorter reste un acte que l'on préférerait éviter, ou cette situation est-elle normale, car avorter est un acte auquel les femmes peuvent être exposées au cours de leur vie ? » Les réponses sont équilibrées, à l'image de nos débats : 51 % des Français jugent la situation préoccupante, et 49 % la jugent normale.
À la question « pensez-vous qu'un avortement laisse des traces psychologiques difficiles à vivre pour les femmes ? », 92 % de nos compatriotes répondent positivement.
Enfin, à la question « pensez-vous que la société devrait davantage aider les femmes à éviter le recours à l'interruption volontaire de grossesse ? », 73 % de nos compatriotes donnent une réponse favorable, résultat en progression par rapport à 2016.
Ces réponses ont le mérite de recadrer le débat : il ne s'agit pas d'être pour ou contre l'avortement, ni de prôner un avortement inconditionnel, indépendamment de tout délai ou de tout critère, …
… il s'agit plutôt de développer la prévention pour éviter l'avortement, qui reste un drame pour les femmes. Le texte comporte-t-il des dispositions en ce sens ? Intégrez-vous la notion de protection de la vie à naître ?
M. Marc Le Fur applaudit.
Je présume que l'amendement fait allusion à la procédure de débat public prévue par l'article L. 1412-1-1 du code de la santé publique issu de l'article 46 de la loi bioéthique. Or le texte dont nous débattons ne relève pas de la bioéthique. Votre amendement n'a donc pas de sens. Par ailleurs, je ne répondrai pas à vos questions sur le fond, puisque j'ai déjà expliqué ma position lors de la discussion générale. Avis défavorable.
J'avais cru comprendre que nous ne rouvririons pas le débat sur l'IVG, mais je constate avec stupeur, à entendre certaines interventions, que c'est bien de cela qu'il est question. Vous venez de remettre en question le bien-fondé de l'accès des femmes à l'avortement, monsieur Breton !
Pas du tout ! Si vous êtes incapable de nuances, c'est de votre faute !
En France, une femme sur trois a eu recours à l'avortement ou y aura recours. Ici même, dans l'hémicycle, nous sommes un certain nombre de femmes à y avoir recouru, et nous n'attendons ni compassion, ni commisération ; nous attendons que les femmes vivent l'accès à l'avortement comme elles l'entendent, comme elles le souhaitent, sans entraves !
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM, Dem, EDS, SOC, GDR et FI.
Or les entraves persistent, et c'est bien ce dont nous parlons ce matin ! Vous semblez me trouver folle, madame Bonnivard, mais je suis navrée de vous le dire : dans notre pays, les femmes rencontrent des entraves à l'IVG. Nous les avons parfois nous-mêmes subies ; nous avons vu des délais s'allonger au risque de ne plus pouvoir avorter ; nous avons dû supporter des médecins qui nous obligeaient à écouter des battements de coeur. Nous l'avons vécu, et nous ne voulons pas que les femmes continuent à le vivre !
Mêmes mouvements. – Mme Valérie Bazin-Malgras et M. Maxime Minot applaudissent également.
Ce matin, nous apportons une réponse aux femmes, même si elle n'est peut-être pas idéale ni suffisante.
Mêmes mouvements. – Quelques députés des groupes LaREM et EDS, ainsi que Mme Valérie Bazin-Malgras, se lèvent et applaudissent.
Puisque j'ai été prise à partie à plusieurs reprises, et comme je l'ai dit dans ma toute première intervention, je réaffirme qu'il n'est absolument pas question de porter un quelconque jugement sur les femmes qui ont recours à l'avortement. Que les choses soient claires.
Cessez de donner des leçons de morale !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
Arrêtez avec le « radio ma vie » : « moi, j'ai avorté » ; « moi, j'ai eu des parents féministes » ; « moi, j'ai fait ci ou ça ». Il n'y a pas des députés meilleurs que d'autres ; il y a des députés qui ont des vies et des réalités différentes !
Mêmes mouvements. – M. Nicolas Dupont-Aignan applaudit aussi.
Chaque point de vue est digne d'être écouté, ne vous en déplaise !
J'ai entendu certains d'entre vous réfuter le sondage cité par Xavier Breton, au motif que les répondants n'avaient pas vécu l'avortement. Qu'en savez-vous ? Mme Bergé vient de le rappeler : une femme sur trois a eu ou aura recours à l'avortement. En toute hypothèse, ces femmes ont été interrogées dans le sondage ! Pour rependre votre mot préféré, arrêtons de stigmatiser, dans un sens ou dans un autre !
Que vous le vouliez ou non, le passage de douze à quatorze semaines de grossesse est marqué par une réalité physiologique – et ce n'est pas une question de religion, monsieur Mélenchon. Que cela vous plaise ou non – et je sais que cela en dérange certains – , un bébé de quatorze semaines suce son pouce. Je ne vois pas ce qu'il y aurait d'indécent à l'affirmer ! Respectons les opinions des uns et des autres, et travaillons tous ensemble en amont : renforçons l'information, remettons des infirmières dans les collèges et les lycées, et cessons de nous insulter à longueur de temps !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR. – Mme Marine Le Pen, M. Nicolas Meizonnet et Mme Agnès Thill applaudissent également.
Nous l'avons souligné à plusieurs reprises : rien de ceci n'est anodin, et personne, ici, ne remet en cause le droit à l'IVG. Toutefois, si une limite a été fixée à douze semaines de grossesse, c'est qu'il y a des raisons et que des spécialistes ont été consultés. Aujourd'hui, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français, présidé par le professeur Nisand, nous met en garde : en allongeant ce délai, nous allons franchir une ligne rouge. C'est pourquoi, à notre tour, nous tirons la sonnette d'alarme et relayons les propos des spécialistes : attention, nous allons franchir une ligne rouge ! Certains veulent peut-être la franchir pour des raisons politiques. Pour notre part, nous pensons que le sujet requiert une extrême prudence.
Vous ne pouvez le nier : en réalité, ce débat est de nature éthique. La moindre des choses serait de disposer, préalablement, de l'avis du Comité consultatif national d'éthique.
Mme Agnès Thill applaudit.
Or nous ne l'avons pas. Le simple fait de poursuivre les débats, sans connaître cet avis, prouve que nous sommes pris dans une course effrénée. Alors que notre pays est confronté à une urgence pandémique, pourquoi y aurait-il une telle urgence à examiner cette proposition de loi ? Si elle était uniquement de nature technique, il en irait autrement. En tant que membre de la commission des finances, je peux vous assurer que chaque fois que nous débattons du budget, nous recueillons, préalablement, l'avis du Haut Conseil des finances publiques. Lorsqu'on parle de la vie, comme aujourd'hui, ne serait-il pas utile de connaître l'avis du Comité consultatif national d'éthique ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR et sur quelques bancs du groupe LaREM. – Mme Agnès Thill, Mme Marine Le Pen et Mme Emmanuelle Ménard applaudissent également.
Deux points d'accord se dégagent des débats, et nous devrions nous en féliciter : tout d'abord, personne ne remet en cause le droit fondamental à l'IVG ; ensuite, personne ne remet en cause le constat selon lequel les femmes qui veulent procéder à une IVG suivent un vrai parcours du combattant et rencontrent parfois d'énormes difficultés. Une seule question devrait nous occuper : le passage de douze à quatorze semaines remédiera-t-il à ce parcours du combattant ?
Je ne le crois pas – affirmer le contraire est une facilité. La vraie question est celle de l'accueil hospitalier, de la suppression des postes à l'hôpital, de la suppression des lieux d'accueil, de la suppression des infirmières dans les lycées, du nombre dramatiquement insuffisant de gynécologues – en un mot, c'est la question de l'abandon des femmes dans notre société. On peut se faire plaisir en brandissant une idéologie et en défendant coûte que coûte l'allongement du délai d'avortement, mais cela ne résoudra pas le vrai problème des femmes.
Non, le passage de douze à quatorze semaines de grossesse n'est pas anodin. S'il est adopté, je peux vous assurer que de nombreux médecins refuseront de procéder à l'acte, ce qui mettra les femmes en difficulté. Le débat passionné de ce matin n'aborde pas les véritables enjeux, mais constitue une grave dérive. Je souscris donc à l'idée de saisir le Comité consultatif national d'éthique avant de voter sur cette proposition d'extension du délai légal d'avortement. Ce serait la moindre des choses.
Mme Agnès Thill applaudit.
Je rappelle que l'amendement dont il est ici question vise à ce que toute modification de la législation sur l'IVG donne lieu préalablement à un débat public – ce qui rendrait celui-ci nécessaire avant d'entamer la discussion sur la présente proposition de loi. Je veux dire à M. Hetzel que si nous ne pouvons examiner durant la période de pandémie que des textes en rapport direct avec cette pandémie, l'activité du Parlement risque de se trouver très rapidement à l'arrêt, et nous allons être obligés de revoir l'ordre du jour de notre assemblée ! Heureusement que nous continuons à légiférer sur toutes sortes de sujets !
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
C'est justement durant le confinement que la question d'un allongement de la durée légale d'accès à l'IVG est revenue sur le devant de la scène : il est en effet apparu que cet allongement était nécessaire pour les femmes qui se trouvaient empêchées d'aller consulter un gynécologue ou de faire pratiquer une IVG dans des conditions correctes.
Au demeurant, il est faux de dire qu'il n'y a pas de débat public sur l'IVG : au contraire, ce débat est quasi permanent. D'abord parce que les mouvements féministes le portent depuis très longtemps, en exigeant notamment une extension du délai légal. Ensuite parce qu'il existe, en particulier au sein des jeunes générations, une profonde vague de discussion portant sur les droits des femmes et leur parcours d'émancipation, dont la question de l'avortement constitue l'un des enjeux majeurs.
Les difficultés rencontrées par les femmes qui veulent avorter ont à voir avec les moyens mis à disposition par l'État pour leur permettre de le faire, ainsi qu'avec la logique de rentabilité qui s'est imposée en la matière : il arrive que des cliniques ou des hôpitaux refusent de pratiquer les IVG parce que cet acte n'est pas suffisamment rentable.
Nous devons nous efforcer d'améliorer la situation, et je ne peux entendre l'argument consistant à dire que les restrictions budgétaires qui nous sont imposées depuis des décennies nous en empêchent. Nous discutons des grands principes que nous souhaitons voir mis en application dans la loi, et c'est seulement ensuite que nous devons faire en sorte que les moyens suivent.
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.
L'amendement no 95 n'est pas adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 178
Nombre de suffrages exprimés 167
Majorité absolue 84
Pour l'adoption 102
Contre 65
L'article 1er, amendé, est adopté.
Applaudissements sur les bancs des groupes EDS, FI, GDR et SOC, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à douze heures vingt-cinq.
L'amendement n° 16 vise à réintroduire la notion de situation de détresse qui, lors des débats de 1974 sur l'interruption volontaire de grossesse, avait constitué la ligne de crête, admise à grand-peine, entre la liberté des femmes et la protection de la vie à naître. Depuis, il semble qu'une seule volonté se fasse entendre, celle consistant à supprimer le principe de protection de la vie à naître. L'introduction de la notion de détresse avait été une façon d'objectiver les choses, et sans doute aurait-il fallu trouver pour la désigner d'autres mots correspondant mieux à l'époque.
En tout état de cause, nous aurions dû conserver cette notion objective, car on ne peut faire dépendre la vie d'autrui de la seule volonté d'une personne. Affirmer, comme l'a fait tout à l'heure le président Mélenchon, que l'un des critères constitutifs de l'être humain est d'être voulu, c'est faire dépendre une personne de la volonté d'une autre, ce qui nous semble inadmissible. Nous considérons qu'une vie humaine est accueillie – de manière volontaire dans le meilleur des cas, mais pas systématiquement – et non que l'adulte exerce une toute-puissance sur le devenir des êtres humains que sont les enfants.
On retrouve en fait à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi les divergences qui se sont fait jour dans le cadre de la discussion sur le projet de loi relatif à la bioéthique. C'est une question éthique qui se pose, consistant à rechercher la difficile conciliation entre deux principes, et force est de constater que vous refusez désormais tout bonnement d'entendre parler de l'un de ces deux principes, celui de la protection de la vie à naître.
Nous souhaitons que l'on ne perde pas de vue la notion de détresse. Beaucoup ici dans cet hémicycle font référence à Simone Veil et si l'on reprend le discours qu'elle a prononcé à cette tribune en 1974, les choses paraissent claires. Je la cite : « Je le dis avec toute ma conviction : l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue. ». Elle poursuivait ainsi : « Aucune femme ne recourt de gaieté de coeur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes. C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame. ». Puis elle s'interrogeait : « Celles qui se trouvent dans cette situation de détresse, qui s'en préoccupe ? ». Elle insistait beaucoup sur la notion de détresse car pour elle, c'était sous cet angle qu'il fallait traiter la question.
J'ai l'impression que nous nous éloignons progressivement de cette idée qui, en réalité, est à l'origine même de la légalisation de l'avortement, laquelle entendait répondre à une situation de santé publique qui devenait intolérable. Ce faisant, nous nous exposons au risque d'une dérive démiurgique qui abolirait les limites. Pour ma part, j'estime que lorsqu'on traite de ces questions, il faut des limites éthiques. C'est la raison pour laquelle je ne comprends absolument pas que nous puissions nous passer d'un avis aussi important que celui du Comité consultatif national d'éthique. Ne pas avoir son éclairage met l'ensemble de la représentation nationale en difficulté.
La parole est à M. Joachim Son-Forget, pour soutenir le sous-amendement no 122 .
Mon sous-amendement vise à ajouter les termes : « santé physique et psychologique ». En effet, l'état de santé physique et psychologique à l'origine de la situation de détresse peut être transitoire. Il est important de prendre cet aspect en compte, s'agissant d'une décision aussi lourde.
Je suis volontairement dualiste en distinguant le physique du psychologique, qui sont forcément intriqués d'un point de vue philosophique. C'est une évidence dans ce genre de prise en charge. Cela me conduit à réagir aux propos du président Mélenchon, qui fait erreur quand il dit que la différence d'ADN entre une banane et un homme n'est que de 2 % : en réalité, c'est avec le chimpanzé que nous avons cet écart. Qu'il fasse attention car, de nos jours, ce genre de confusion peut prêter à conséquence.
Rires sur quelques bancs du groupe LR.
Lui-même, s'il ne se réfère pas à un substrat biologique dans la prise de décision, est fortement dualiste pour quelqu'un d'athée. Je le mets face à ses incohérences profondes…
Quel est l'avis de la commission sur les amendements identiques et le sous-amendement ?
… mais je prendrai quelques minutes pour répondre à M. Son-Forget. Vous avez interpellé l'ensemble de la représentation nationale en nous reprochant de ne pas avoir consulté les personnes compétentes, en particulier les sages-femmes. C'est faux ! Vous auriez pu vous en apercevoir en assistant aux travaux de la commission des affaires sociales et en consultant mon rapport.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et FI.
Les sages-femmes ont bel et bien été prises en compte puisque nous avons auditionné un de leurs représentants. Elles ont émis un avis aujourd'hui, que je vous invite à lire, tout comme je vous invite à lire celui de gynécologues-obstétriciens publié dans Le Nouvel Observateur hier qui contredit les propos de M. Nisand.
Quant au sous-amendement et aux amendements, j'y suis défavorable. La référence à la situation de détresse limite les droits des femmes, ce qui va à l'encontre de l'objectif de ma proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR, ainsi que sur quelques bancs du groupe LaREM.
J'ai un profond respect pour le travail de Simone Veil, qui a souvent été citée ici. Pour tout vous dire, quand elle a fait adopter la loi autorisant l'IVG, je n'étais pas né – j'étais même assez loin d'être né. Plonger dans les archives et les grimoires – sans faire honte à la mémoire de quiconque – permet de se remettre dans le contexte de l'époque, ce qui nous ramène à la question de la double clause de conscience.
L'IVG était une pratique courante, extrêmement dangereuse, pénalisée, criminalisée, qui entraînait la mort de nombreuses femmes – pensons à la méthode du cintre. Sa légalisation avait mobilisé très largement la représentation nationale dans l'hémicycle et les concepteurs du projet de loi avaient prévu, non pas des garde-fous, mais des mesures destinées à apaiser ceux qui pouvaient l'être et à rassurer ceux qui avaient besoin de l'être.
Deux notions ont été ainsi introduites.
Il s'agit tout d'abord de la double clause de conscience, sur laquelle vous aurez un débat cet après-midi, qui n'est que le rappel de la clause de conscience générale qui s'applique de toute façon pour tout acte médical, avortement ou pas – à l'instar du devoir d'information que vous avez adopté tout à l'heure, obligation éthique pour tout médecin qui existe déjà dans le droit.
Il s'agit ensuite de la notion de détresse, aujourd'hui totalement anachronique par rapport à la situation qui prévaut en France, en Europe et dans la plupart des pays du monde ayant légalisé l'avortement. Ne réintroduisez donc pas dans le droit cette notion déjà désuète il y a quarante-cinq ans. Cela n'a aucun sens. Cela ne correspond pas à la réalité pratique que vivent les femmes.
Je préférerais que vous vous battiez contre ce phénomène qu'a très bien décrit Aurore Bergé, cette espèce de pression psychologique qu'exercent certains médecins en allant jusqu'à faire écouter le coeur du foetus pour dissuader les femmes d'avorter. La nature de l'information compte, à cet égard, presque plus que le devoir d'information. C'est un véritable parcours du combattant que doivent suivre les femmes qui avortent. Elles ne prennent pas cette décision parce qu'elles en ont envie ou parce que l'idée leur en est venue comme ça. Elles le font par nécessité, une nécessité qui leur appartient et qu'elles n'ont pas besoin de justifier devant un praticien, fut-il en blouse blanche.
Faisons en sorte que ce parcours soit le moins douloureux et le plus fluide possible. C'est là-dessus qu'il faut vous battre, mesdames et messieurs les députés. Il ne s'agit certainement pas de réintroduire des freins faisant peser une pression sociale ou psychologique, quelle qu'en soit la nature.
Avis très fortement défavorable.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.
Monsieur le ministre, je reviendrai sur vos propos dans quelques instants.
Madame la rapporteure, lorsque nous défendons des amendements avec lesquels vous n'êtes pas d'accord, vous dites : « Je ne vais pas rouvrir le débat ». Eh bien si, rouvrons-le : nous avons besoin de débattre. Notre assemblée est l'instance du débat. Par respect pour la représentation nationale, argumentez donc, s'il vous plaît ! Expliquez-nous pourquoi vous êtes défavorable à nos propositions !
Monsieur le ministre, vous nous invitez à nous battre pour ce qui en vaut la peine. Mais ce à quoi il faut faire extrêmement attention, c'est la banalisation de l'IVG. Or c'est le chemin que vous prenez. C'est cela que vous avez du mal à comprendre.
Cela rejoint la question de la clause de conscience qui s'impose aux professionnels de santé pour certains actes très spécifiques, dont l'IVG fait partie. C'est essentiel et je pense que nos citoyens attendent de nous que nous ne rentrions pas dans un processus de banalisation d'un acte comme celui-ci.
Il n'a rien de banal !
Il y a un équilibre légitime à trouver entre les droits des femmes et la préservation de la vie.
Mme Agnès Thill applaudit.
Je veux vous interpeller, chers collègues du groupe Les Républicains, sur la notion de détresse. Qui va en juger ? Sur quels éléments objectifs peut-on se fonder ? Est-ce que parce qu'elle vient de trouver un job alors qu'elle était au chômage ? Est-ce parce que son conjoint vient de la quitter ? Est-ce parce qu'elle a déjà un enfant de cinq mois et qu'elle est retombée enceinte à son retour de couches ? Qui va décider pour elle ? Vos amendements sont très dangereux, car la notion de détresse est très subjective.
M. Jean-Jacques Bridey applaudit.
La situation de détresse est bien prise en compte pour l'interruption médicale de grossesse !
Vous parlez du droit à la vie, mais vous êtes-vous un seul instant posé la question de savoir comment vivait une femme qui, pendant neuf mois, sent grandir dans son ventre un être dont elle ne veut pas ? Comment va-t-elle l'accueillir une fois qu'elle aura accouché ? Moi qui suis très proactive en matière de lutte contre les violences faites aux enfants, je vous le demande : pensez-vous qu'il est opportun de dire à une femme n'ayant pas voulu d'un enfant, quand elle sort de la maternité : « Tenez, madame, c'est votre bébé, vous avez de la chance, votre mari travaille, alors démerdez-vous »?
Une femme a le droit de choisir, en pensant à elle mais aussi en pensant à l'enfant et à sa vie future.
Un enfant n'est pas un jouet, on l'a pour toute la vie. Si vous avez des enfants, vous savez comme moi qu'il faut être sacrément costaud pour assumer leur éducation, surtout dans le monde actuel. Ces amendements contre-productifs vont à l'encontre des droits des femmes.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI, ainsi que sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.
Le sous-amendement no 122 n'est pas adopté.
Si l'information sur le droit à l'IVG et sur ses modalités est très accessible, celle sur les choix alternatifs, les aides aux femmes enceintes ou aux jeunes mères en détresse ne l'est que trop peu. Cet amendement vise donc à rétablir un droit égal dans l'accès à l'information, qu'elle concerne les possibilités de pratiquer un avortement ou celles de garder son enfant.
Monsieur le ministre, vous avez donné un avis défavorable mais ne disiez-vous pas tout à l'heure qu'il fallait plus d'information ? En réalité, l'information en question est à sens unique. La liberté, c'est d'avorter ou de ne pas avorter.
Il serait intéressant d'avoir votre avis à ce sujet, madame la rapporteure. Seriez-vous d'accord pour dire qu'il faut tout faire pour que cette liberté de choix soit respectée ?
Aujourd'hui, l'information est à sens unique, je le répète.
Le délit d'entrave a d'ailleurs été établi pour empêcher la liberté d'expression. Heureusement, des associations effectuent tout un travail pour accompagner les femmes qui hésitent et qui sont parfois victimes de pressions pour avorter.
Protestations sur quelques bancs du groupe LaREM.
Vous avez raison d'évoquer les pressions qui sont exercées pour que les femmes n'avortent pas, mais il faut aussi parler de celles qu'elles subissent pour avorter. Que fait-on pour elles ?
Allez voir les associations qui font un travail d'écoute, et vous verrez qu'elles recueillent beaucoup de témoignages en ce sens !
Encore une fois, vous avez pris un parti, celui de la liberté de la femme, et vous ne voulez pas prendre en compte la protection de la vie. Vous êtes du côté de la toute-puissance des adultes, vous ne vous souciez pas de la fragilité de la vie à naître. C'est votre choix et il est cohérent. Simplement, il empêche que des femmes qui s'interrogent, qui doutent, puissent réellement avoir le choix, en toute connaissance de cause. Si elles souhaitent avorter, elles peuvent le faire dans telles ou telles conditions ; si elles souhaitent garder leur enfant, elles doivent savoir qu'elles ne seront pas seules et que des associations seront prêtes à les aider d'un point de vue matériel et psychologique.
Ce que nous vous proposons, c'est un droit à l'information qui ne soit pas univoque, et je crois que nous pouvons nous retrouver là-dessus.
Mme Agnès Thill applaudit.
L'amendement no 78 n'est pas adopté.
Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 86 , 37 rectifié , 45 , 91 , 13 et 23 , pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 37 rectifié , 45 et 91 sont identiques ; les amendements nos 13 et 23 le sont également.
La parole est à M. Fabien Di Filippo, pour soutenir l'amendement no 86 , qui fait l'objet d'un sous-amendement no 123 .
Nous pouvons semble t-il tous nous accorder sur un point : pour le couple ou la femme qui y est confronté, l'avortement est un traumatisme.
Toutes les opinions peuvent s'exprimer dans cet hémicycle, chères collègues : laissons M. Di Filippo poursuivre.
Ce n'est pas qu'un problème de femmes : on peut aussi être concerné en tant que père. Tout le monde peut se retrouver aux prises avec des choix difficiles. Pour que la décision puisse être prise, il est nécessaire que l'information soit la meilleure possible. Se retrouver enceinte, c'est faire face à un précipice : c'est une autre vie qui s'ouvre, une vie qu'il faudra assumer – ce qui est autrement plus compliqué que de s'assumer soi-même. Il faut aider les femmes, leur dire qu'il existe des aides pour les futures mères, les futurs parents, mais aussi des possibilités d'adoption – cela peut ouvrir des perspectives à certaines d'entre elles. Pour que leur liberté soit totale, donnons-leur au moins cette possibilité, ouvrons-leur au moins ces perspectives !
M. Xavier Breton applaudit.
La parole est à M. Joachim Son-Forget, pour soutenir le sous-amendement no 123 .
En vue d'un choix libre et éclairé, il est important que l'information soit en quelque sorte bilatérale. Dans ce domaine, les associations de soutien jouent un rôle considérable.
On ne peut que constater aujourd'hui une espèce de parti pris : il faudrait systématiquement être en faveur de l'avortement, même évitable. J'entends les témoignages, les signaux de détresse ; je sais aussi qu'il existe des états transitoires, des situations susceptibles de s'améliorer, des enfants à naître qui n'étaient pas les bienvenus et qui pourtant, même abandonnés, sont devenus des personnes au lieu d'être – excusez-moi du terme – supprimés.
Exclamations sur quelques bancs.
Ce droit à la vie prend toute son importance dans le contexte d'un débat public permanent où l'on nous parle de transhumanisme, de dépassement des limites de notre condition humaine, de marchandisation de la vie, voire de la mort. Parce que l'avortement est interdit en France après douze semaines de grossesse – que vous voulez porter à quatorze – , des filières se sont organisées pour faire massivement avorter à l'étranger les femmes qui ont dépassé ce délai. Vous qui militez pour une Europe éthique et intégratrice, comment pouvez-vous accepter de telles différences ? Cécile Muschotti citait Ricoeur au sujet de la liberté individuelle. Elle a fait une grave erreur : pour Ricoeur, il y a la personne, le rapport à l'autre et le rapport de société. C'est une bondieuserie trinitaire ! Voilà pourquoi une décision collective est essentielle, d'où ma proposition relative aux associations de soutien.
Les amendements nos 37 rectifié , 45 et 91 font l'objet d'un sous-amendement no 124 . La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 37 rectifié .
En guise d'introduction, je voulais remercier M. Di Filippo d'avoir introduit dans cette discussion la figure du père. En règle générale, pour concevoir un bébé, il faut un père et une mère ; il arrive même que la mère ne soit pas seule face au choix de l'avortement. Comme vous l'avez si bien dit, c'est parfois une décision de couple.
Cet amendement concerne le dossier guide que l'on remet à une femme lorsqu'elle consulte en vue d'une éventuelle IVG, et qui contient entre autres la liste des organisations pratiquant cet acte. Je souhaiterais qu'y soient également énumérés les droits, aides et avantages garantis par la loi aux familles, aux mères, célibataires ou non, à leurs enfants, ainsi que les possibilités d'adoption d'un enfant à naître. Cette simple mesure de bon sens, encore que le bon sens soit souvent une énormité pour vous, pourrait contribuer à résoudre un grand nombre de drames personnels en présentant aux femmes des perspectives autres que l'avortement.
Même si un sondage n'a pas force de loi, je voudrais revenir sur celui qu'a cité M. Breton : 84 % des Français sont favorables à la réintégration du détail des aides aux femmes enceintes dans le livret officiel d'information des consultations pour IVG. Elles y ont d'ailleurs figuré jusqu'en 2001. Depuis, ce livret ne porte plus que sur les démarches en vue d'un avortement, bien qu'une proposition ait été faite pour le modifier dans le sens que j'indique et bien que 84 % de nos concitoyens, je le répète, soient favorables à une telle modification.
La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l'amendement identique no 45 .
Notre objectif à ce stade est que l'information circule et qu'elle soit équilibrée, raison pour laquelle cet amendement vise à compléter le deuxième alinéa de l'article L. 2212-3 du code de la santé publique par la phrase suivante : « Ce dossier guide contient également l'énumération des droits, aides et avantages garantis par la loi aux familles, aux mères, célibataires ou non, et à leurs enfants, ainsi que des possibilités offertes par l'adoption d'un enfant à naître. »
Nous discutions tout à l'heure de la notion de « détresse » : il faut s'assurer que toutes les possibilités ouvertes dans ce cas soient connues, par exemple l'accouchement sous X,
Exclamations sur les bancs du groupe FI
qu'il ne convient pas d'écarter complètement. Ne nous enfermons pas dans une vision unilatérale des choses !
La parole est à M. Thibault Bazin, pour soutenir l'amendement identique no 91 .
Monsieur le ministre, dans votre projet de loi visant à la révision des lois de bioéthique se trouve un beau titre : « Permettre aux personnes d'exercer un choix éclairé en matière de procréation dans un cadre maîtrisé ». C'est précisément ce que nous recherchons. J'ai apprécié, lors de la discussion générale, votre présentation des enjeux, qui faisait ressortir leur complexité et la nécessité de disposer de tous les éléments.
Madame la rapporteure, votre proposition vise justement à modifier le cadre du droit en vigueur. D'une certaine manière, la question du délai de réflexion peut se poser à nouveau, mais l'information nuirait-elle à l'effectivité du droit ? En d'autres termes, la réflexion dissuaderait-elle forcément les femmes d'avorter ? Je ne le crois pas ; dans certains cas, il serait même possible qu'elle les conforte dans leur résolution.
Puisque nous visons, collectivement, à ce que les femmes soient libres, nous pouvons bien leur permettre d'être pleinement au fait de toutes les possibilités existantes. L'information ne doit être biaisée ni dans un sens, ni dans l'autre. Il ne doit y avoir de pressions, même insidieuses, ni dans un sens, ni dans l'autre. C'est pourquoi l'information doit être exhaustive, ce qui est la finalité de cet amendement.
La parole est à M. Joachim Son-Forget, pour soutenir le sous-amendement no 124 .
Avant toute chose, je voudrais qu'il soit parfaitement clair que je ne suis en aucune manière hostile au droit à l'avortement. J'ai fait campagne contre une députée sortante qui avait voté en faveur d'amendements visant à dérembourser l'IVG ; je me suis fermement opposé à son corpus idéologique.
Pour autant, la discussion ne se situe pas au bon niveau. Au sujet de la PMA, la procréation médicalement assistée, et de la GPA, la gestation pour autrui, nous nous sommes enlisés dans un débat autour du projet parental au lieu de nous concentrer sur l'enfant. Aujourd'hui, nous parlons des droits et des libertés de la femme : je suis partisan de l'égalité entre les sexes – pour moi, la question ne se pose même pas – , mais il est dommage que nous n'en profitions pas pour aller au fond de la question, là où se mêlent les dimensions médicale, scientifique, éthique, sociologique.
Monsieur le ministre, je regrette que vous n'ayez pas sollicité le Comité consultatif national d'éthique, le CCNE, au sujet du statut de l'embryon. Ce rapport à la vie est au centre de débats sociologiques qui occupent le monde entier : cela vaudrait le coup d'essayer de crever l'abcès. Il s'agit là de sujets graves, fondamentalement complexes, qui méritent d'être discutés ouvertement.
Depuis le début de la matinée, nous paraphrasons tous, pour la plupart avec force, les propos de Simone Veil : l'avortement, « c'est toujours un drame et cela restera toujours un drame », non un acte banal. Comme le constate Nathalie Lancelin-Huin, psychologue spécialisée en périnatalité, un avortement tardif, en tant qu'il touche au processus de vie, constitue un traumatisme : il est difficile d'évaluer les conséquences qu'il aura pour la mère.
En ce sens, nous devons tout faire pour éviter que le délai légal soit une nouvelle fois prolongé. Après quatorze semaines, pourquoi ne pas le porter à seize, voire à vingt-deux semaines comme en Angleterre ? Parce qu'il existe en France de nombreux leviers, parce que le manque d'accès à l'information est une entrave au libre choix, il serait légitime que le livret remis aux femmes qui consultent en vue d'une IVG leur permette également de prendre connaissance du détail des aides proposées aux femmes enceintes et aux jeunes mères, afin qu'elles fassent en effet un choix éclairé dans un cadre maîtrisé.
Je ne reviendrai pas sur les arguments excellemment développés par Nathalie Bassire. En revanche, j'ajouterai que la rédaction de ce texte révèle une vision des choses très unilatérale. Vouloir asseoir les droits des femmes est tout à fait légitime, mais cette volonté conduit en l'occurrence à négliger l'équilibre nécessaire, qui existe pourtant dans nos textes fondamentaux, y compris constitutionnels, en faveur de la vie.
Repousser de plus en plus la fin du délai durant lequel l'IVG est autorisée a des incidences sur les femmes, sur leurs enfants éventuellement à naître, mais aussi sur les professionnels. Ce sont des détresses qu'il faut que nous entendions. Monsieur le ministre, je vous ai prêté la plus grande attention lorsque vous disiez que certains professionnels craignent que l'extension de ce délai ne freine le recrutement dans leur profession. On dirait que tout cela ne vous incite pas à vous interroger ! Pourtant, vous allez probablement obtenir l'effet inverse de celui que vous recherchez, à savoir la préservation des droits des femmes.
La parole est à M. Joachim Son-Forget, pour soutenir le sous-amendement no 125 .
Le droit à l'IVG existe ; il est encadré, comme tous les droits. Personne ne procède de gaieté de coeur à une IVG tardive, ni le praticien, ni la patiente. La vie est faite de règles : nous faisons la loi, qui peut être si contraignante qu'elle entame la liberté. Ce n'est pas le cas de la législation en matière d'avortement, plutôt permissive, et assurant en tout cas le respect du droit des femmes à disposer de leur corps. Peut-être suis-je trop exigeant dans le cadre de cette discussion, mais les contours actuels de ce texte n'en feront pas un nouveau jalon sur la voie des libertés et des droits de la femme. En dépit de nos bonnes intentions, nous nous acheminons tout simplement vers quelque chose qui portera atteinte à la vie humaine et à sa dignité.
Quel est l'avis de la commission sur l'ensemble des amendements et sous-amendements en discussion commune ?
Il est indispensable d'informer, d'éclairer : je vous rejoins sur ce point. En revanche, encore une fois, il faut aussi arrêter de culpabiliser les femmes, de les infantiliser ! Croyez-vous qu'une femme avorte parce qu'elle connaît mal le statut de la mère et de l'enfant ?
Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.
Oui, la femme qui veut avorter a besoin d'informations claires : c'est pourquoi nous avons adopté un amendement portant sur son droit à l'information au sujet des diverses méthodes instrumentales et médicamenteuses. Mais les informations que vous citez sont évoquées au cours de l'entretien psychosocial qui est systématiquement proposé aux femmes majeures. Avis défavorable.
Je ne comprends pas à quel moment le sujet du débat a pu passer du contenu d'un guide pratique remis à une femme qui consulte en vue d'avorter au respect de la dignité humaine. Il faut faire un peu attention à ce dont nous parlons ! Il ne s'agit pas ici de traiter des grands principes éthiques. Si je me mets un instant à la place d'une femme qui souhaite avorter, j'imagine que si je vais consulter un médecin ou le Planning familial en vue de savoir comment se passe un avortement, j'attends qu'en retour, on m'explique simplement quels sont les risques et les procédures d'un avortement et comment cela peut se dérouler en pratique. Si je fais la démarche de franchir la porte d'un gynécologue pour lui dire que je suis enceinte et que j'ai fait le choix de ne pas mener cette grossesse à terme, je n'attends pas de la personne qui est en face de moi qu'elle me demande si je sais qu'il existe de formidables mécanismes d'adoption. Il y a d'autres façons de s'informer là-dessus.
Applaudissements sur les bancs des groupes EDS, SOC et FI, ainsi que sur quelques bancs du groupe LaREM.
Si on considère une femme comme un être humain à part entière, doté de capacités cognitives au même titre que n'importe quel être humain – ce qui est tout à fait ma conviction – , on peut penser que si cette femme a franchi la porte, c'est qu'elle a déjà mené sa réflexion. D'ailleurs, franchir la porte du gynécologue ne signifie pas qu'elle ira au bout de la démarche : elle peut changer d'avis pour diverses raisons. Si vous posez une question, il est normal que la réponse qu'on vous donne soit en relation avec la question, sans quoi vous allez ailleurs.
Du reste, cet ailleurs existe : le site ivg. gouv. fr est très bien fait et un numéro vert national sur la sexualité, la contraception et l'IVG, très bien fait également, a été mis en place par le Planning familial avec le soutien de l'État et traite chaque année 24 000 appels. Ces ressources permettent surtout de fournir de la bonne information. En effet, parmi les militants de la cause consistant à expliquer aux femmes qu'elles peuvent faire adopter leur enfant ou que, même si elles ont peur d'avoir un enfant parce qu'elles sont seules, ça se passera très bien – je ne dis pas que c'est votre cas – , il y a aussi des gens qui tiennent des sites internet ou des officines qui pratiquent la désinformation pure et simple à propos de l'IVG. C'est la raison pour laquelle je suis très heureux d'avoir voté, sous le mandat précédent, la loi qui pénalise la désinformation et la mise en danger des femmes qui en découle.
Applaudissements sur les bancs du groupe EDS et sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Ce n'est pas, je le répète, le sujet du débat, qui ne porte pas sur la dignité humaine, mais ne vise qu'à prendre les gens pour ce qu'ils sont : des gens dotés de capacités de réflexion en autonomie. Avis défavorable.
Mêmes mouvements.
Monsieur le ministre, j'éprouve une assez grande gêne devant la nature des réponses et de la dénégation que vous opposez à ces propositions d'amendements, même si on peut sans doute les contester ou les améliorer. Contrairement à ce qu'ont dit mes collègues qui soutiennent ces amendements, il ne s'agit pas ici d'un choix qui opposerait le droit à la liberté des femmes et la procréation, mais de créer des conditions d'égalité dans l'information dont disposent les femmes.
Toute personne qui a été confrontée directement ou indirectement dans sa famille au dilemme qui se pose à une femme placée devant la question de savoir si elle va ou non avorter, sait que l'exigence d'information sur les différents parcours et sur les possibilités dont elle dispose est un élément essentiel de sa prise de décision.
Vous avez raison de dire, monsieur le ministre, qu'il existe des officines qui ont manipulé l'information, mais votre position de principe consiste à dire qu'il ne doit pas y avoir égalité d'information entre les deux choix qui s'offrent aux femmes. C'est très gênant, car cela semble impliquer une préférence pour la solution de l'avortement.
Les femmes ne connaissent pas tous leurs droits et ne savent pas les possibilités qui leur sont offertes.
Il y a un besoin clair d'information et je ne comprends pas que le Gouvernement ne fasse pas droit à l'inspiration de ces amendements.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Nous assistons à un glissement progressif du débat. Au début, on se disait favorable à l'avortement, mais avec des réticences quant à l'allongement du délai. Or, mesdames et messieurs les Républicains, le débat commence tout doucement à remettre en cause les fondamentaux d'une question qui a été traitée et réglée en 1974 par Simone Veil.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Vous citez sans arrêt Simone Veil, en disant qu'il faut prendre en compte la détresse des femmes.
Oui, c'est ce qu'elle disait, mais regardez pourquoi elle le disait ! À l'époque, la détresse des femmes tenait à ce qu'elles n'avaient pas ce choix et vivaient dans la culpabilité et dans la honte, avec des menaces pour leur santé. Voilà ce que disait Mme Simone Veil lorsqu'elle parlait de la détresse des femmes.
Aujourd'hui, la détresse des femmes, c'est, pour un certain nombre d'entre elles, de ne pas avoir le temps d'avorter parce que les délais sont trop courts et que ce droit n'est pas effectif. Il faut replacer ce débat, qui a été tranché en 1974. Les femmes ont le droit de disposer de leur corps. Nous traitons ici de dispositions visant à rendre ce droit effectif, et de rien d'autre.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et LaREM.
J'entends dans cet hémicycle les termes de « détresse », de « précipice » et de « drame ». Ce dont nous parlons, c'est une face cachée de l'iceberg : il est question de l'IVG, de la sexualité et de l'échec de la contraception mais, finalement, ce dont il est question ici, ce sont les droits des femmes, et le droit fondamental d'avoir une sexualité sans reproduction.
Vous infantilisez les femmes, comme si elles ne pouvaient pas avoir la pleine maîtrise de leur corps. Vous nous parlez de couple, mais la décision est celle d'une femme. Les femmes savent précisément ce qu'il advient lorsqu'il y a une grossesse, ce qu'elles souhaitent pour leur vie, quel équilibre elles veulent avoir dans leur vie. Nous sommes ici réunis non pour revenir sur le principe même de l'IVG, mais pour faire en sorte que ce droit soit effectif pour toutes les femmes sur l'ensemble de notre territoire.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM, Dem et EDS.
Je ne pense pas qu'il soit ici question du droit à la sexualité, à l'IVG ou à quoi que ce soit d'autre : ces amendements ont pour seul objet le droit à l'information, et à l'information dans les deux sens.
Monsieur le ministre, j'admire vos certitudes. Vous dites que lorsqu'une femme entre dans le cabinet d'un gynécologue pour demander des précisions sur l'IVG, elle sait déjà qu'elle veut en pratiquer une. Eh bien non, pas toujours. Parfois, lorsqu'une femme – ou un couple, ne vous en déplaise – entre dans le cabinet d'un gynécologue, la femme dit qu'elle est enceinte, que ça ne tombe pas bien, qu'elle se pose des questions et qu'elle aimerait avoir des informations.
Non. Elle sait ce qu'elle vient chercher.
Ceux qui ont déposé ces amendements, et je pense que de nombreux collègues nous soutiendront sur ce point, c'est que l'information soit donnée dans tous les cas – sur l'accès à l'IVG, mais aussi sur les autres solutions qui existent lorsqu'une personne arrive dans un cabinet de médecin et ne sait pas ce qu'elle doit faire. Il ne s'agit que de cela, pas de certitudes. Beaucoup de gens n'ont pas vos certitudes dans la vie et disent qu'ils ne savent pas quoi faire, qu'ils se posent des questions et qu'ils souhaiteraient en discuter avec leur médecin pour avoir des informations sur toutes les possibilités offertes. Tout ce que nous demandons, c'est le droit à l'information. Cela ne me semble pas très sorcier.
Le sous-amendement no 123 n'est pas adopté.
L'amendement no 86 n'est pas adopté.
Le sous-amendement no 124 n'est pas adopté.
Les amendements identiques nos 37 rectifié , 45 et 91 ne sont pas adoptés.
Le sous-amendement no 125 n'est pas adopté.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Suite de l'examen de la proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement ;
Examen de la proposition de loi relative à des premières mesures d'interdiction de certaines pratiques génératrices de souffrances chez les animaux et d'amélioration des conditions de vie de ces derniers ;
Examen de la proposition de loi visant à créer un congé de parenté égalitaire et effectif ;
Examen de la proposition de loi relative au parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides et les personnes protégées.
La séance est levée.
La séance est levée à treize heures dix.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra