La séance est ouverte.
La séance est ouverte à neuf heures trente.
Hier soir, l'Assemblée a poursuivi l'examen des articles, s'arrêtant à l'amendement no 1026 rectifié à l'article 6.
Rappel au règlement
Monsieur le président, je veux alerter notre assemblée sur le fait que notre collègue Éric Coquerel a été entarté hier soir en se rendant à une initiative. Cet acte brutal a été revendiqué par l'Action française, qui a immédiatement mis la vidéo sur les réseaux sociaux. Je profite de la présence du ministre de l'intérieur pour exprimer notre vive inquiétude à l'égard des violences sans cesse répétées, et des menaces de morts dont ont fait l'objet M. Castaner et notre président, M. Mélenchon.
Nous aimerions que cette assemblée et le Gouvernement prennent en considération la violence extrême et les menaces que ne cessent de préférer des milices et des groupes d'extrême droite. Nous avons le sentiment profond que l'État ne prend pas ces menaces en considération et n'organise pas la protection des représentants du peuple et de la nation française.
Même si nous sommes en effet un peu éloignés de notre sujet, je tiens à dire, madame la députée, que, comme tous les députés de tous les bancs, je condamne tous les actes de violence, a fortiori lorsqu'ils visent des représentants de la nation. Je m'associe à vos propos et à M. Coquerel. Je crois pouvoir me faire le porte-parole de tous les députés en condamnant cet entartage.
Je suis saisi de deux amendements, nos 1026 rectifié et 479 , pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Pacôme Rupin, pour soutenir l'amendement no 1026 rectifié .
Nous poursuivons les débats sur la réduction du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile – CNDA – , l'un des objectifs de projet de loi étant de réduire les délais de la procédure de demande d'asile. Le groupe La République en marche partage cet objectif de réduction des délais, à condition que celle-ci n'entrave pas la possibilité matérielle de faire un recours, qui est un droit fondamental. Le groupe La République en marche propose donc d'inscrire dans le marbre de la loi une pratique courante de la CNDA : accepter une saisine sommaire, avec la possibilité de compléter le recours avant la clôture de l'instruction.
Nous avons débattu de ce sujet en commission. Je tiens à préciser que cet amendement est protecteur, puisque la CNDA ne pourra plus rejeter un recours par ordonnance avant la clôture de l'instruction, alors qu'elle peut le faire aujourd'hui. En résumé, cet amendement permet de simplifier la saisine initiale du recours et de réduire les délais, tout en donnant au requérant plus de temps qu'aujourd'hui pour compléter le dossier avant la clôture de l'instruction.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
La parole est à Mme Élise Fajgeles, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour soutenir l'amendement n° 479 .
Cet amendement est quasiment identique au précédent, à une petite différence de rédaction près. Je demande donc à M. Rupin de bien vouloir retirer son amendement, car le mien s'inscrit dans la même logique : tout étranger débouté du droit d'asile pourra déposer, dans les quinze jours, un recours simplifié, donc le plus sommaire possible. Il aura ainsi quinze jours pour écrire une lettre à la CNDA et demander l'annulation de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides – OFPRA. Ensuite, nous précisons dans la loi qu'il sera possible de déployer tous les moyens de droit jusqu'à la clôture de l'instruction, sans risquer une ordonnance de rejet pendant ce délai.
Aujourd'hui, c'est une pratique courante et, à la suite des auditions et du travail mené en commission, nous avons souhaité inscrire ce dispositif dans la loi. Il s'agit à la fois de réduire les délais et d'assurer les droits des requérants et l'effectivité du recours pendant cette procédure. Je vous encourage donc à voter cet amendement.
La parole est à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, pour donner l'avis du Gouvernement sur ces deux amendements.
Le Gouvernement est favorable à l'amendement de Mme la rapporteure. Je demande donc le retrait de l'amendement no 1026 rectifié .
Merci, madame la rapporteure, monsieur le ministre, pour ces précisions. Je pense, en effet, que la rédaction de l'amendement de Mme Fajgeles permet de dissiper tous les doutes. Je retire donc l'amendement no 1026 rectifié .
L'amendement no 1026 rectifié est retiré.
Nous avons voulu, par ces amendements, apporter des garanties très fortes aux requérants. Ainsi, comme l'a dit M. Rupin, il n'y aura plus d'ordonnance de rejet avant la clôture du délai d'instruction. Dans les quinze jours du délai de recours devant la CNDA, la saisine pourra être sommaire, extrêmement simplifiée et, jusqu'à la fin de l'instruction, il sera possible d'apporter des éléments complémentaires. C'est protecteur et, en même temps, cela respecte la volonté du Gouvernement de raccourcir les délais du traitement de la demande d'asile. J'invite nos collègues à soutenir cet équilibre entre la version initiale et notre proposition de complément.
J'avais appelé l'attention du cabinet de M. le ministre d'État sur les risques de contrariété, au cours de cette procédure, entre l'ordonnance d'irrecevabilité que pourrait rendre le président de la CNDA et la possibilité pour le requérant de déposer des pièces complémentaires jusqu'à la fin du délai d'instruction. Il me semble que cet amendement résoudra cette difficulté en permettant d'éviter ces risques de conflits. En ce sens, il satisfait les attentes du groupe MODEM, même si je ne suis pas sûre que cette disposition puisse, en définitive, répondre à l'objectif de célérité. Sur le plan de la procédure, en tout cas, il est certain que le dispositif proposé est beaucoup plus cohérent. Le groupe MODEM votera donc cet amendement.
Je voudrais faire un rapide petit retour en arrière. Dans son avis, le Conseil d'État a rappelé la nécessité de garantir l'effectivité concrète du droit au recours contre les décisions de l'OFPRA. Il a notamment relevé qu'un délai court pourrait constituer un risque pour une personne assignée à résidence ou placée en rétention – c'est un problème potentiel.
On nous a dit hier que la demande d'asile serait un moyen indirect de rallonger les délais, au moins pour 85 % des personnes susceptibles de faire un recours. Il est curieux de faire dépendre un délai d'une autre procédure, et en tout cas cela ne réglera pas tout. On nous a dit aussi que cela ne changerait rien, parce que le déroulé d'une procédure devant la CNDA avait toutes les caractéristiques procédurales de celles du droit commun : oralité des débats, dépôts de pièces, etc. Et l'on nous dit maintenant que la procédure de droit commun n'est peut-être pas aussi protectrice que l'on voudrait, et que le dispositif proposé sera plus protecteur.
Je ne comprends pas cette logique. Surtout, je ne suis pas certain que nous respections le principe d'intelligibilité de la loi. Nous sommes en train d'introduire un nouveau principe, celui de l'élasticité, alors qu'il faudrait, au contraire, que la loi soit intelligible.
Je terminerai en citant Albert Schweitzer : « L'idéal est pour nous ce qu'est une étoile pour le marin. Il ne peut être atteint mais il demeure un guide. » Cette excellente citation rappelle que le législateur doit légiférer de manière intelligible. En l'espèce, ce n'est pas ce que nous faisons, comme en témoignera la lecture de nos débats. Je vous renvoie à l'excellente thèse sur ce sujet d'un juriste qui travaille dans cette maison. Nous aurions beaucoup à y apprendre.
L'amendement no 479 est adopté.
Monsieur le ministre d'État, j'ai bien entendu vos chiffres sur l'aide juridictionnelle. Toutefois, à défaut de synchronisation des procédures de recours et de demande d'aide juridictionnelle, je demande ici un gage de respect des droits fondamentaux du demandeur. Votre majorité cherche à faire plaisir à tout le monde, sauf au principal groupe de l'opposition dans cette assemblée, puisque vous ne répondez toujours pas à nos questions, que vous avez certainement en mémoire. J'aurais bien aimé obtenir des réponses. Je vous serais donc reconnaissant de nous faire plaisir et de conforter, dans cet article, le demandeur d'asile dans ses droits à l'aide juridictionnelle.
Votre amendement n'est pas totalement normatif et n'ajoute pas grand-chose au droit existant, qui précise bien que l'aide juridictionnelle doit être sollicitée dans un délai de quinze jours suivant la notification de la décision. Je vous demande donc de retirer votre amendement. À défaut, j'émettrai un avis défavorable.
Même avis que Mme la rapporteure.
L'amendement no 93 n'est pas adopté.
La parole est à M. Alexis Corbière, pour soutenir l'amendement no 910 .
Cet amendement tend à mettre fin au délai de cinq mois imposé à la CNDA pour juger des demandes qui lui sont soumises, afin de laisser à la Cour le soin de déterminer « le délai qu'elle estime nécessaire pour traiter avec sérieux et qualité le recours qui lui est soumis ».
Nous avons rappelé à plusieurs reprises hier que l'OFPRA et la CNDA étaient des instances indépendantes, auxquelles nous n'avions pas à imposer de délai pour rendre leurs décisions. Il est possible que l'examen d'un dossier réclame parfois plus de temps que la moyenne, et nous ne devons pas empêcher ces instances de réaliser un travail de qualité, qui garantisse pleinement les droits des requérants.
Nous l'avons dit hier : près de 47 814 décisions ont été rendues en 2017 par la CNDA, dans un délai moyen de cinq mois et six jours. Cette juridiction administrative est l'une des plus rapides en France. Il serait bien évidemment dans l'intérêt des requérants de raccourcir encore les délais, mais augmentez alors les effectifs. C'est d'ailleurs l'une des revendications de ceux qui travaillent pour la CNDA et l'OFPRA. Mais imposer un délai pour rendre les décisions ne ferait que dégrader leur qualité.
Nous avons prévu, dans le budget 2018, d'accorder cinquante-et-un agents supplémentaires à la CNDA, ce qui permet d'ouvrir deux nouvelles chambres. Nous avons donc largement pris en compte les moyens dont cette cour avait besoin pour rendre une justice de qualité.
Respectueuse de l'indépendance de la CNDA, je ne me permettrai pas de juger de la qualité de ses décisions. Nous avons entendu les syndicats et les responsables de cette instance.
Avis défavorable à l'amendement, car les moyens supplémentaires accordés me paraissent suffisants pour assurer la qualité du travail de la CNDA.
L'amendement no 910 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour soutenir l'amendement no 441 .
Le projet de loi vise à accélérer l'examen des demandes d'asile, et le groupe Les Républicains souscrit à cet objectif. Comme on l'a vu hier soir, le délai de recours passera d'un mois à quinze jours. Nous souhaiterions que les demandeurs d'asile ne soient pas les seuls à consentir des efforts et que l'administration en prenne sa part. Notre amendement tend ainsi à réduire le délai de recours contre les décisions de l'OFPRA non pas de moitié, mais d'un mois seulement, en le faisant passer de cinq à quatre mois.
Vous allez sans doute me répondre que la CNDA n'a pas les moyens de se prononcer dans un tel délai, mais il appartient à l'État de les lui accorder. Le nombre de recours explose et il n'est que temps de revoir les moyens et les ressources humaines de la CNDA.
Nous venons justement d'ouvrir deux nouvelles chambres grâce à des effectifs supplémentaires et nous avons réduit les délais de recours. Il est important d'envisager le fonctionnement de cette instance dans sa globalité et le délai de cinq mois me paraît raisonnable.
Avis défavorable.
Monsieur le député, nous vous avons donné des chiffres et vous avons montré qu'au cours des derniers mois la CNDA avait amélioré ses capacités de traitement des dossiers. Nous allons continuer dans cette voie.
L'amendement no 441 n'est pas adopté.
Cet amendement tend à supprimer l'alinéa 4 de l'article 6, qui élargit le champ des dossiers examinés en procédure accélérée.
Actuellement, les dossiers de cessation de protection pour un motif de menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique, la sûreté de l'État ou pour un motif d'exclusion sont jugés en « procédure normale » à la CNDA, par une formation collégiale composée de trois juges.
Le projet de loi prévoit désormais que ces dossiers seront traités en « procédure accélérée », en cinq semaines, et qu'ils seront examinés par un juge unique. Or, ces dossiers comptent parmi les plus complexes que la Cour ait à traiter du fait de leur sensibilité et de leur technicité accrue. Le risque est alors grand qu'ils soient réorientés systématiquement en procédure normale, par le juge unique, afin qu'ils soient jugés par une formation collégiale.
Nous proposons, par cet amendement, d'en rester à la procédure normale.
Nous avons voté, hier, l'article 4 qui permet d'étendre les motifs de refus ou de retrait des protections par l'OFPRA pour des cas de menace grave à l'ordre public. Nous avons soumis les recours contre ces décisions à la procédure accélérée « à cinq semaines » pour rendre effective la mesure votée à l'article 4, hier.
Par cohérence, avis défavorable.
L'amendement no 147 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Clémentine Autain, pour soutenir l'amendement no 907 .
Par cet amendement, nous proposons d'éviter que le Gouvernement marque un recul majeur en ce qui concerne les droits procéduraux des demandeurs d'asile devant la Cour nationale du droit d'asile.
Le Gouvernement souhaite rendre systématique le recours à des « télé-audiences » pour éviter de devoir convoquer physiquement et matériellement les demandeurs d'asile en bonne et due forme dans la salle d'audience d'une juridiction.
Concrètement, voici les conditions dans lesquelles la justice française pourrait être rendue : le demandeur d'asile qui sollicite une protection internationale contre des persécutions pourra se retrouver seul dans une pièce isolée face à un écran. Désormais, il ne pourra plus s'opposer à ce format « Skype » de la justice.
Le recours systématique à la télé-audience, sans que le requérant puisse s'y opposer, constitue non seulement une régression manifeste, mais aussi une méconnaissance des normes constitutionnelles et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales – respect du caractère contradictoire de la procédure, publicité des débats, liaison de qualité garantissant la confidentialité des échanges, présence personnelle de l'avocat auprès de l'intéressé.
Vous proposez tout bonnement de supprimer une phrase de l'article L733-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « Le requérant qui, séjournant en France métropolitaine, refuse d'être entendu par un moyen de communication audiovisuelle est convoqué, à sa demande, dans les locaux de la cour ».
Nous sommes profondément opposés à cette justice, qui porte fort mal son nom.
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et NG.
Le recours à la vidéo-audience a soulevé, en effet, de nombreux doutes, notamment de la part de notre collègue Laurence Vichnievsky. J'ai moi-même, au cours de la préparation de ce texte, pu assister à la fois à des vidéo-audiences devant la CNDA et à des audiences en direct, ce qui m'a permis de comparer. Le requérant n'est pas forcément plus à l'aise face à une juridiction de jugement, sans écran : le recours à la vidéo-audience ne le met pas toujours dans une situation plus compliquée, d'autant plus que la manière dont la séance est filmée par le secrétaire de séance préserve la qualité du rapport entre le requérant et la formation de jugement.
Cela étant, pour encadrer le recours à la vidéo-audience, nous avons voté en commission différents amendements visant à garantir la qualité de la transmission, la confidentialité de l'audience, et à assurer la présence de l'interprète auprès du requérant, sauf dans les cas exceptionnels de langue étrangère très rare. Nous avons donc pris nos dispositions pour que le recours à ce procédé se déroule dans les meilleures conditions possible, sachant que l'avocat est toujours présent auprès du requérant.
Suivant l'avis du Conseil d'État, le recours à la vidéo-audience permet une bonne administration de la justice, dans le respect de la dignité des demandeurs. En outre, les déplacements en masse, sous escorte, ne tournent pas toujours à l'avantage du requérant en raison de la fatigue qui en découle, sans parler du fait qu'éviter de mobiliser de nombreux effectifs de policiers ira dans le sens du bon usage des deniers publics rappelé par le Conseil d'État.
Avis défavorable.
Même avis. Organiser les escortes est en effet un problème. Non seulement l'effet est négatif sur le requérant, mais les équipes ainsi mobilisées pendant trois jours ne participent pas à la police de sécurité du quotidien qu'attendent les Français.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Je constate, une fois de plus, que la justice n'entre pas dans vos obsessions budgétaires. La situation, au regard du droit d'asile et de la dignité de l'accueil que nous devons réserver aux migrants dans notre pays, vue depuis la Seine-Saint-Denis, où je suis élue, est particulièrement dramatique. Même le préfet est obligé de constater que, faute de moyens concrets, il ne peut pas assurer le droit sur le sol français. C'est grave.
Quant au fond, vous nous dîtes, madame la rapporteure, qu'il est parfois plus simple pour un requérant de s'exprimer devant une caméra que devant une juridiction. Mais qui décide ? Ce n'est pas le requérant ; c'est vous ! Ce n'est pas à nous de décider où il sera le plus à l'aise, sauf à remettre en cause sa dignité et son droit à s'exprimer.
De toute manière, vous l'avez reconnu, c'est d'abord parce que vous cherchez à faire des économies que vous prenez ce type de mesure, quitte à vous asseoir sur les conventions internationales et le minimum des droits humains.
Depuis maintenant trois articles, tout passe avant le droit ! On nous oppose maintenant l'argument budgétaire. Après nous avoir expliqué qu'il valait mieux placer les enfants en centre de rétention pour les protéger des filières de passeurs, on cherche à nous convaincre que la vidéo-audience est préférable pour le requérant !
Entre la novlangue et l'art de l'oxymore, vous remettez en cause un principe fondamental du droit : le requérant doit être physiquement et personnellement présent. Et l'on sait que ce droit est particulièrement important pour les personnes les plus vulnérables.
Vous décidez de généraliser le recours à la vidéo-audience en remettant en cause le principe d'un accord du requérant. Je ne conteste pas que l'on utilise ce procédé de manière exceptionnelle, mais pas à tout va, comme vous l'entendez. Peut-être avez-vous eu la chance, madame la rapporteure, d'assister à une vidéo-audience qui se passait bien, mais tous ceux qui la pratiquent au quotidien n'en finissent pas de nous en énumérer les inconvénients. Nous-mêmes, pour assister parfois à des réunions dans ces conditions, nous savons à quel point ce procédé doit demeurer exceptionnel. La présence physique change les rapports, vous ne pouvez pas le nier. C'est une question d'humanité.
S'agissant des améliorations apportées en commission des lois, je m'interroge sur la portée juridique de la notion de qualité des équipements. Et je ne parle pas de mes expériences personnelles ! En effet, ce sera peut-être mieux dans le nouveau, mais au Palais de justice de Paris cela ne fonctionnait jamais !
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Je referme la parenthèse pour rappeler à M. le ministre d'État une décision du Conseil constitutionnel de 2003. J'ai déposé un amendement sur la vidéo-audience, qui n'est pas vraiment identique à celui en discussion puisque je prévois des cas où le président de la CNDA pourra passer outre le consentement de l'intéressé, lorsqu'une escorte serait nécessaire, par exemple.
En 2003, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la constitutionnalité des audiences tenues par visioconférence. Monsieur le ministre d'État, vous connaissez certainement cette décision puisque vous étiez l'un des auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel, ayant considéré à l'époque, à juste titre à mon sens, que le recours à la visioconférence était contraire à la Constitution.
Après avoir relevé que le déroulement des audiences était subordonné au consentement de l'étranger, le Haut conseil a décidé que « dans ces conditions le dispositif mis en place garantissait la tenue d'un procès juste et équitable ».
Lorsque le Conseil constitutionnel dit que la visioconférence est conforme à la Constitution à condition qu'elle soit subordonnée au consentement de l'étranger, cela signifie bien qu'elle ne l'est pas si elle est imposée à l'étranger malgré son absence de consentement.
Applaudissements sur les bancs des groupes NG, FI et GDR, ainsi que sur quelques bancs du groupe LaREM.
Il ne faut pas tomber ici dans la peur fantasmagorique des nouvelles technologies.
Exclamations sur les bancs du groupe FI.
La vidéo-audience permet de réduire les difficultés relatives au transport : son coût, sa fatigue, son délai et la mobilisation des forces de police qu'il nécessite.
Elle permet également une plus grande souplesse et une plus grande rapidité dans la procédure, fil d'Ariane du projet de loi. Son emploi doit être toutefois entouré de garanties : la présence d'un interprète aux côtés du demandeur et de son avocat, la qualité technique et la stabilité du réseau, le respect de la procédure contradictoire. Si, et seulement si, ces garanties sont apportées sur le terrain, alors les droits des demandeurs d'asile seront inchangés. Vos remarques sont donc infondées.
En outre, ce n'est pas une surprise que la réforme judiciaire prévoit le déploiement de ce dispositif pour tous les Français. Il est d'ailleurs déjà mis en oeuvre dans certaines situations spécifiques sans vraiment poser de difficultés. Il s'agit de faire entrer la justice dans le XXIe siècle, n'en déplaise aux conservateurs.
Exclamations sur les bancs des groupes FI et GDR.
Sur l'amendement no 907 , je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Mathilde Panot.
Hier, monsieur Cabaré, vous m'avez dit que de telles audiences ne s'étaient jamais tenues à Cornebarrieu, à côté de Toulouse, où se trouve un centre de rétention administrative. Or, selon la presse, quatre audiences illégales s'y sont déroulées en visioconférence : les avocats étant de dos, le requérant ne pouvait pas leur parler et des bruits de papier dans le micro empêchaient une bonne écoute. Et dire que, comme vous l'avez souligné, les vidéo-audiences seront étendues à tous les Français ! Surtout, les CRA ne sont pas des lieux de justice.
J'ai pu remarquer, lors des audiences auxquelles j'ai assisté, la présence d'un public associatif grâce auquel les sept personnes qui étaient en audience ce jour-là ont eu droit à un formulaire de recours. Or cet article remet en cause le caractère public des audiences, lequel, en assurant un regard de vigilance citoyenne, garantit la transparence démocratique.
Madame Panot, j'ai également visité le CRA de Cornebarrieu, avec mon collègue Jean Terlier, ici présent. Ces audiences, qui avaient été retransmises par visioconférence nous ont nous aussi alertés, mais elles se sont tenues au sein du CRA non pas devant la CNDA, mais devant la cour d'appel de Bastia. Si elles ont été dénoncées à juste titre, c'est pour une seule et bonne raison – je l'ai souligné lorsque j'ai rendu compte de nos visites dans les CRA : la salle d'audience est située dans l'enceinte même du CRA de Cornebarrieu. Nous avons d'ailleurs appris que, lorsque ce CRA a été construit, il avait été initialement prévu de délocaliser la salle d'audience sur le terrain voisin pour éviter un mélange des genres que je condamne tout comme vous.
En tant qu'avocat, par principe, je suis contre la vidéo-audience. Soyons clairs. Je suis député, …
… et j'ai, en tant que tel, des responsabilités. Il convient de se montrer pragmatique pour trouver un point d'équilibre entre, d'un côté, l'efficience et l'économie de moyens, qu'il faut également prendre en compte, et, de l'autre, le respect des droits de la défense. Or les droits de la défense sont garantis lorsqu'on évite ce mélange des genres, que je viens de dénoncer, à savoir la présence d'un lieu de justice dans l'enceinte d'un CRA ou d'une maison d'arrêt. L'avocat doit également être à proximité du requérant : un avocat, vous le savez, aime bien sentir le souffle de son client sur la nuque quand il est devant lui. Autre garantie importante : l'interprète doit être à proximité de la personne auditionnée.
Ces garanties importantes étant aujourd'hui apportées, l'avocat que je suis et qui pourrait adopter des postures de principe se range au point d'équilibre trouvé à l'article 6 entre l'efficience et la garantie des droits de la défense.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Si tout cela était si magnifique, si génial, si efficace, monsieur le ministre d'État, pourquoi venir ici physiquement en déplaçant une escorte ? C'est vrai ! Des gens sont payés à seule fin de vous accompagner jusqu'à l'Assemblée nationale, alors que vous avez certainement, en tant que ministre de l'intérieur, un grand nombre de choses très importantes à faire. Vous l'avez vous-même souligné.
Vos fonctions impliquent de vraies responsabilités. Je pense que vous pourriez vous contenter d'être filmé, d'autant que la place ne manque pas dans l'hémicycle pour installer un grand écran. Vous pourriez suivre les travaux et nous pourrions discuter avec vous : cela serait plus souple, plus flexible, tout en garantissant votre droit à suivre les débats et à vous exprimer. Entrons dans la modernité ! Allez-y, monsieur le ministre d'État, montrez l'exemple !
Il est procédé au scrutin.
Nombre de votants | 67 |
Nombre de suffrages exprimés | 65 |
Majorité absolue | 33 |
Pour l'adoption | 19 |
contre | 46 |
L'amendement no 907 n'est pas adopté.
L'organisation des audiences par visioconférence est préjudiciable aux droits de la défense. Dans tous les cas, l'avocat perdra soit le bénéfice d'une présence à l'audience, soit celui d'être aux côtés du requérant. Dans tous les cas également, ces moyens de communication audiovisuelle présentent des défauts techniques peu compatibles avec l'exigence d'un procès équitable. Dans certains cas encore, les raisons qui motivent la demande d'asile sont délicates à exprimer, en particulier lorsqu'il est question de violence ou de sévices sexuels : la communication audiovisuelle peut alors naturellement avoir pour effet d'inhiber les requérants concernés.
Pour ces raisons, cet amendement prévoit de supprimer la possibilité d'organiser des audiences par un moyen de communication audiovisuelle.
Les amendements adoptés en commission précisent que toutes les garanties qu'ils prévoient doivent être apportées pour que l'audience puisse se tenir par communication audiovisuelle. Si les garanties en matière de qualité de la transmission – Mme Vichnievsky y a fait allusion – ou de confidentialité ne sont pas apportées, alors l'audience ne pourra pas se tenir par visioconférence. Avis défavorable.
Même avis que Mme la rapporteure.
L'amendement no 300 n'est pas adopté.
Je suis saisi de deux amendements, nos 241 et 677 rectifié , pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Brahim Hammouche, pour soutenir l'amendement no 241 .
Cet amendement vise à revenir à un principe fondamental de notre modernité, qui fut hier au coeur de nos révolutions : celui qui a fondé notre citoyenneté émancipatrice. Contre le sujet enchaîné, c'est le principe de la personne qui exprime son autonomie, c'est-à-dire cette liberté à laquelle nous sommes si attachés au sein de notre convivencia démocratique.
Ce principe, irrigué de liberté et d'autonomie, s'appelle, mes chers collègues, le consentement, qui est la liberté de pouvoir dire oui et, plus difficilement, de répondre non, notamment à se voir imposer une vidéo-audience qui peut être vécue comme persécutoire et intrusive, alors que, dans un parcours d'exil, on ose espérer une rencontre humaine, le face à face de deux consciences et de deux histoires de vie, et ce dans le cadre d'un accueil bienveillant – dois-je rappeler que la bienveillance fut au coeur de notre campagne ?– , afin de ne pas réduire l'épaisseur humaine du témoignage.
Fuir là où la vie nous attend : c'est toute l'histoire de l'humanité qui, aujourd'hui, se déroule de nouveau devant nos yeux. Consentir, c'est choisir. Est-ce justice que de ne pas laisser ce choix à ces demandeurs d'asile ? Ce refus traduit la logique qui sous-tend probablement ce projet, en tout cas cet article, non pas celle d'une vision, mais celle, exécrable et productiviste, d'une gestion de stocks et de flux, une logique comptable – les mots ont été prononcés sans honte ici même.
Voilà peut-être ce que vous appelé efficacité : eh bien, il s'agira non pas de choisir entre humanité et efficacité, mais bien de questionner notre engagement politique, qui ne se réduit pas à l'ambition d'un funambule cherchant l'équilibre au sein de systèmes mondiaux en déséquilibre. Il s'agira surtout d'être juste et solidaire. Je vous invite à sortir de ce jeu de funambulisme pour vous tourner vers la justice et la solidarité, dans lesquelles notre République prendra toute sa part et toute sa place, celle d'une République réellement universelle.
Applaudissements sur les bancs des groupes NG, FI et GDR, et sur quelques bancs du groupe LaREM.
La parole est à M. Sébastien Nadot, pour soutenir l'amendement no 677 rectifié .
J'abonde dans le sens du précédent orateur. Plus simplement, que penser de la situation de demandeurs d'asile, auxquels toute possibilité de rester sur le territoire français serait refusée, et qui ne conserveraient comme seule image de la France, si tant est qu'ils soient expulsés, qu'une justice rendue dans le cadre d'une vidéo-audience ? Quelle sera la place de l'avocat, s'il y en a un ? Sera-t-il aux côtés du juge – la relation entre le juge et l'avocat est importante ? Sera-t-il aux côtés de la personne qu'il défend ?
L'insuffisance des réponses actuellement apportées à ces questions n'autorise pas la systématisation de ce dispositif.
Il ne faut pas caricaturer le recours à la vidéo-audience : cette piste est largement évoquée pour moderniser l'ensemble de la justice, dans le cadre des chantiers de la justice menés par Mme la garde des sceaux.
La médecine aura elle aussi de plus en plus recours à la télémédecine pour alléger les procédures.
On a parlé d'humanité : pour les requérants, les déplacements sont extrêmement lourds. Quant à la bienveillance que vous avez évoquée, je vous rappelle que nous avons tous également fait campagne sur la maîtrise des dépenses publiques. Tel est l'équilibre que nous devons trouver pour permettre un bon fonctionnement de la justice.
Je vous remercie de votre aveu : vous confirmez que j'ai eu raison d'évoquer une logique comptable !
Pour rendre cette mesure efficace, il est important de donner un caractère général à l'application de ce dispositif. Avis défavorable aux deux amendements.
Le même que celui de Mme la rapporteure.
Il ne faut pas oublier que la vidéo-audience ne sera pas généralisée, puisqu'elle sera soumise à des conditions matérielles et à l'obligation de se tenir dans des lieux de justice.
Par ailleurs, comme la rapporteure l'a rappelé, lors des auditions auxquelles nous avons assisté, les magistrats de la Cour nous ont bien assurés que les droits des requérants sont parfaitement respectés dans le cadre des vidéo-audiences qui se tiennent déjà outre-mer devant la CNDA. La salle d'audience est visible dans son ensemble et le huis-clos est possible.
De plus, le groupe majoritaire a fait adopter en commission des amendements visant à renforcer les moyens matériels et à clarifier le dispositif s'agissant de la présence de l'interprète et de l'avocat aux côtés du requérant.
Je vous invite d'ailleurs, mes chers collègues, à vous rendre sur le site du GISTI – groupe d'information et de soutien des immigrés– ,…
... une association sérieuse, qui examine les droits des requérants. Elle a publié l'étude très fournie d'un chercheur sur la vidéo-audience, étude qui montre que le requérant ne rencontre pas de difficulté à faire son récit dans la sérénité. Elle insiste aussi sur la présence à ses côtés de l'avocat, parce que, parfois, le requérant peut se confier en oubliant la présence de la caméra.
Il est assez insultant pour le fonctionnement de la Cour de présenter la vidéo-audience comme un système qui ne fonctionnerait pas, qui ne serait pas satisfaisant matériellement – comme le fait Mme Autain en parlant de Skype – et qui fait penser à une justice au rabais.
Enfin, monsieur Bernalicis, vous suggérez à M. le ministre d'État de s'exprimer devant le Parlement par vidéoconférence, mais je crois que certains leaders politiques ont utilisé l'hologramme… Alors finalement, pourquoi pas ?
Rires et applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LaREM.
J'apprécie que les députés de la majorité favorables au texte citent des associations qui sont vent debout contre ce projet de loi. Je n'ai pas lu le rapport du GISTI, …
… mais j'imagine qu'il contient beaucoup d'éléments intéressants. En tout cas, il est défavorable au projet de loi. Allez comprendre…
Les arguments de la majorité sont un peu contradictoires. Alors que Mme Guévenoux nous assure qu'il ne s'agit pas de généraliser les vidéo-audiences, Mme la rapporteure a déclaré que ce système pourrait être généralisé. Il en est d'ailleurs question dans le cadre des « chantiers de la justice » – nos collègues de la commission des lois le savent certainement, d'autant que des magistrats et avocats ont exprimé leur opposition à ce projet de généralisation. Les avocats, notamment les spécialistes en droit des étrangers, considèrent que ce système pose problème car ils ne savent pas s'ils doivent se trouver aux côtés des requérants, ce qui serait une bonne chose, ou auprès du juge. On ne peut donc pas dire, madame Chalas, que les technologies modernes permettront de tout régler.
On ne peut pas dire non plus que notre opposition se heurte à des nécessités comptables, comme l'a dit Mme la rapporteure. Certes, on affirme qu'il faut trouver un équilibre entre l'austérité et la justice, mais on sait très bien que, finalement, c'est souvent l'austérité qui gagne. Assumez-le !
Ne prétendez pas que vous êtes favorables à la technologie parce que vous êtes modernes et que ceux qui sont contre seraient conservateurs. En matière de technologie, vous êtes en retard de pas mal de trains. Cela fait vingt ou trente ans que l'on sait que l'utilisation de la technologie ou d'internet ne résout rien et qu'elle peut même constituer, au bout d'un moment, un facteur d'aliénation encore plus grande.
Il existe donc des arguments sérieux, y compris venant des professionnels, contre la vidéo-audience.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Madame la rapporteure, j'ai fait campagne avec le Président de la République et j'ai entendu deux choses : …
… il faut oeuvrer non seulement pour une meilleure efficacité de la dépense publique et pour une réduction des dépenses publiques, mais également, dans le même temps, pour la protection des plus faibles et pour la justice. Je souhaiterais que l'on puisse aller dans un sens et dans l'autre. En l'occurrence, nous sommes bien évidemment pour la vidéo-audience, mais elle ne peut être utilisée que si le requérant en a fait la demande au préalable.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes MODEM, LaREM et FI.
Les amendements nos 241 et 677 rectifié , successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.
Ces amendements visent à améliorer le recours à la vidéo-audience. J'adhère à ce principe de pragmatisme et je souhaite qu'il soit clairement énoncé dans la loi – c'est l'objet de l'amendement no 654 . Je souhaite aussi que les procédures soient simplifiées et qu'en cas de vidéo-audience, il ne soit plus nécessaire d'établir parallèlement un procès-verbal. Ce principe est bon, monsieur le ministre d'État, et nous le soutenons.
Au-delà de ces trois amendements, nos débats me paraissent irréels. Même si je comprends et respecte les opinions exprimées par les uns et les autres, j'ai le sentiment que certains cherchent systématiquement à mettre un oeuvre des procédures qui retardent l'examen des dossiers, que ce soit devant l'OFPRA ou la CNDA.
Il faut mettre un terme à ce débat idéologique, qui conduit à mettre en place des procédures dilatoires qui détournent les lois de la République et retardent leur application.
Aujourd'hui, 27 % des demandes d'asile déposées à l'OFPRA reçoivent un avis favorable pour bénéficier du statut noble de réfugié. Ce taux monte à 36 % après les recours devant la CNDA : cela signifie que la CNDA donne un avis favorable aux demandes d'asile dans 12 à 13 % des cas qui lui sont soumis. Aussi, 87 % des dossiers examinés par la CNDA relèvent du dévoiement de procédure – nous le savons bien !
Revenons au fond de ce débat. Comme nous l'avons dit lors de la discussion générale, l'asile est aujourd'hui dévoyé : dans l'immense majorité des cas, c'est une forme légale pour l''immigration illégale.
Soyons pragmatiques et réalistes, monsieur le ministre d'État. Vous voulez améliorer les délais, bien sûr, mais vous avez en même temps des pudeurs de violette. Vous avez peur de vos audaces. Vous faites des petits pas puis vous revenez en arrière. Allez, faisons en sorte de simplifier les procédures !
Monsieur le ministre d'État, j'ai récemment visité le centre de rétention administrative – CRA – de Nice, dont la situation de vétusté est d'ailleurs totalement indigne. Les agents de la police aux frontières – PAF – m'ont raconté qu'ils devaient effectuer, quasiment chaque jour, des transferts du CRA de Nice vers celui de Marseille pour procéder à une vidéo-audience. Les policiers mobilisés – parfois au nombre de deux ou trois – perdent ainsi une journée. Est-ce bien raisonnable ?
Il faut généraliser la vidéo-audience, simplifier nos procédures et empêcher que des associations vivant sur des fonds publics aient pour mission de rallonger les procédures. N'incombe-t-il pas aux institutions de la République, à l'État auquel je fais toute confiance, de mettre en place ces procédures plutôt que de déléguer ces responsabilités à des associations politisées qui veulent détourner les procédures ou à tout le moins les ralentir ?
Soyons réalistes et pragmatiques : si vous voulez réellement régler le problème, monsieur le ministre d'État, n'y allez pas à tout petits pas ! Faites-le clairement et assumez votre action ! D'autres pays ont des procédures beaucoup plus rapides. J'ai recensé l'ensemble des étapes de la procédure d'asile en France : il y en a au moins douze. Si l'on tire la pelote jusqu'au bout, la procédure ne durera pas six mois, ni même un an, monsieur le ministre d'État, mais au moins cinq ans ! Ce n'est plus acceptable. Soyons réalistes et mettons un terme à ces dévoiements de procédure avec des mesures simples et pragmatiques.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Monsieur Ciotti, ce que vous appelez des petits pas ou des pudeurs de violette, c'est justement cette ligne de crête que nous essayons de tenir, cette ligne d'équilibre entre une exigence de pragmatisme, la nécessité de préserver la procédure du droit d'asile et un principe d'humanité qu'il faut toujours garder à l'esprit.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
C'est l'objet des amendements que nous avons adoptés et qui visent à garantir les droits du requérant. Il est vrai qu'il est difficile de concilier efficacité et humanité, mais nous y arrivons grâce aux nombreuses auditions que nous avons menées : nous avons écouté des magistrats ainsi que les associations.
Monsieur Ciotti, vos amendements s'éloignent beaucoup trop de cette ligne de crête et d'équilibre. Avis défavorable.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Monsieur Ciotti, comme vous avez pu le voir récemment, nous avons toujours des pudeurs de violette : nous faisons un pas en avant puis un pas en arrière. Non, je crois que ce texte est équilibré, contrairement à ce que vous défendez non pas ici, mais à l'extérieur de l'hémicycle. Je n'ai pas trouvé beaucoup de députés qui reprenaient intégralement les propositions que vous avez faites à Hyères en matière d'asile et d'immigration.
Peut-être, monsieur Ciotti… J'imagine que vous défendrez vos idées aujourd'hui, …
… mais elles ne rencontrent pas un très grand écho. Tout le monde pense que vous êtes en train de franchir le trait.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Le recours à la vidéo-surveillance est déjà prévu à l'article L. 733-1 du CESEDA.
Non, la vidéo-audience ! Attention, Sonia !
Sourires.
En effet, la vidéo-audience. Je vais faire très attention, monsieur le ministre d'État, cher ami.
« Oh ! » sur divers bancs.
Je ne comprends pas pourquoi on veut encore inscrire dans la loi des dispositions qui pourraient être mises en place par circulaire ou par décret. Seul le caractère contraignant de ces vidéo-audiences n'est pas prévu par la loi. Pourquoi voulez-vous toujours humilier – je pèse bien mes mots – des personnes coincées dans une chambre de moins de 9 mètres carrés et obligées de consentir à ces vidéo-audiences ? Quand on leur pose des questions précises sur leur parcours, pensez-vous que leurs hésitations et leurs émotions peuvent passer par l'intermédiaire d'un écran ? Pourrait-on, une fois en France, donner des moyens aux tribunaux avant de voter des lois ? Avez-vous les moyens d'assurer partout ces vidéo-surveillances convenablement ?
Je pense qu'aujourd'hui, la réponse est « non ». C'est pourquoi je voterai contre l'article 6.
Applaudissements sur les bancs des groupes NG, FI et GDR, ainsi que sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.
Nous voterons contre ces amendements, qui procèdent de la même logique que l'article 6, comme vient de le dire Mme Krimi. M. Ciotti ne fait qu'embrayer et poursuivre les petits pas commencés par la majorité. Encore une fois, nous pouvons saluer la cohérence des députés du groupe Les Républicains, qui ont trouvé la porte ouverte et souhaitent donc aller jusqu'au bout de la logique.
Ce qui m'interpelle, c'est que la majorité décide que son texte est équilibré alors que tout le monde voit bien qu'il ne l'est pas ! C'est notamment le cas s'agissant des vidéo-audiences : comme l'ont dit Mme Krimi et d'autres orateurs, la question du consentement est fondamentale. La matière dont il est question – le droit d'asile – et la nature des témoignages des requérants justifient que nous y consacrions plus de moyens.
N'en déplaise à M. Ciotti, engager une procédure, intenter un recours et bénéficier d'un certain nombre de garanties, ce n'est pas essayer de lanterner : c'est tout simplement la justice. Sinon, on expulserait les demandeurs d'asile sans autre forme de procès – j'utilise cette expression même si ces audiences ne sont pas des procès – , mais c'est peut-être là que vous voulez en venir…
Il faut consacrer davantage de moyens à la justice. Ce n'est pas ce que vous faites aujourd'hui en utilisant, pour des motifs technologiques et surtout budgétaires, des méthodes qui font fi des droits de la défense et des requérants.
Monsieur Ciotti, les députés du groupe La République en marche voteront contre ces amendements. Nous n'assistons pas à un dévoiement de la procédure ; néanmoins, nous constatons une thrombose de celle-ci car beaucoup trop de recours sont déposés devant la CNDA, avec un taux de réussite très faible puisque, comme je l'ai déjà dit lors de la discussion générale, 82 % de ces recours échouent. Nous ne pouvons pas laisser cette situation perdurer.
Certains collègues prétendent que nous nous inscrivons dans une logique comptable. Non, ce n'est pas une logique comptable : c'est une question d'économies.
La situation des finances publiques est en grande difficulté et je suis un peu étonné d'entendre certains de mes collègues du MODEM évoquer une logique comptable. À cet égard, je rappelle notamment que François Bayrou s'est toujours battu, depuis plus de dix ans, sur la question de la crise des finances publiques que nous connaissons depuis longtemps. Nous sommes donc obligés de mener des réformes comptables des finances publiques.
Madame Obono, contrairement à ce que vous dites, ce texte est équilibré – et ce n'est pas parce que nous sommes dans la majorité qu'il l'est. Dans la circonscription dont je suis élu, et qui est elle-même assez équilibrée en termes de représentation de nos concitoyens, je n'ai reçu aucune critique, mais plutôt des encouragements à mener cette réforme d'un droit d'asile qui ne fonctionne plus. Nous avons la responsabilité de mener à bien cette réforme avec M. le ministre d'État.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
La parole est à Mme Laurence Vichnievsky, pour soutenir l'amendement no 776 .
À entendre certains orateurs, je me demande si nous avons rencontré les mêmes professionnels et entendu les mêmes interlocuteurs, …
… … mais il est bon qu'il y ait de la diversité et que chacun exprime ce qu'il a ressenti sur le terrain.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.
Cet amendement concerne la présence de l'interprète en cas de vidéo-audience. L'interprète est un élément essentiel de l'instruction de la demande d'asile, tant à l'OFPRA qu'à l'audience devant la Cour nationale du droit d'asile, où il traduit au requérant le rapport du rapporteur et les questions de la Cour et traduit à la Cour les réponses et les observations du requérant.
J'insiste également sur le fait que l'interprète permet aussi au demandeur de s'entretenir avec son avocat qui, le plus souvent, ne connaît pas la langue d'usage de celui-ci. Les dispositions adoptées en commission des lois privilégient théoriquement la présence de l'interprète aux côtés de l'étranger, mais ne la rendent pas obligatoire : c'est sur ce point que nous nous battons.
Il sera en effet souvent plus facile de trouver un interprète à proximité de la Cour, dont le siège est à Montreuil, près de Paris, qu'à proximité des locaux aménagés pour la visioconférence d'où s'exprimera l'étranger, dans des zones moins centrales du territoire métropolitain. Il est donc à craindre que, progressivement, la présence de l'interprète ne soit plus assurée que dans la salle d'audience de la Cour, à Montreuil, et non plus aux côtés du demandeur d'asile, là où celui-ci se trouvera pour la visioconférence.
Les rapports entre l'étranger et son conseil ne pourront être confidentiels s'ils doivent s'exercer par le truchement d'un interprète qui se trouve loin d'eux et aux côtés du juge. C'est donc cette confidentialité des rapports entre l'avocat et son client, l'une des bases du procès équitable, qui est remise en cause.
Notre amendement a pour seul objet de garantir la présence effective de l'interprète aux côtés du demandeur d'asile. Si l'on ne trouve pas cet interprète en province, il faudra revenir, pour l'affaire en cause, à l'audience présentielle.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.
Je comprends l'objectif de cet amendement, mais nous poursuivons aussi celui de rendre la justice dans les meilleures conditions par le recours à la vidéo-audience et il faut être aussi opérationnels que possible. Soyons clairs : aujourd'hui, à la CNDA, certaines langues ne peuvent déjà pas être représentées par des interprètes et, dans ces cas, l'interprétariat est assuré par téléphone. Cette procédure est également utilisée régulièrement dans les préfectures. Certains services d'interprétariat sont très efficaces et très rapides, et peuvent être utilisés très couramment.
Avis défavorable donc, car il n'est pas possible d'assurer toujours cette présence.
Comme vient de l'expliquer Mme la rapporteure, compte tenu du nombre de langues concernées, qui sont parfois des langues très rares, il n'est pas possible d'avoir toujours un traducteur auprès du client, mais on s'efforce d'en avoir toujours à la cour de Montreuil, car c'est absolument nécessaire. Avoir partout des traducteurs serait impossible.
L'amendement no 776 n'est pas adopté.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix heures trente-cinq, est reprise à dix heures quarante-cinq.
La séance est reprise.
La parole est à Mme Sandrine Mörch, pour soutenir l'amendement no 1079 .
Je suis dubitative concernant la vidéo-audience, car les auditions ont montré des divergences d'approche. Pour les personnes enfermées ou éloignées géographiquement, cela peut être justifié, d'autant plus si l'on apporte des garanties sur la qualité, comme il a été décidé en commission sur proposition de notre groupe.
Toutefois, il ne faudrait pas négliger l'importance du contact humain. Il est parfois nécessaire de voir une personne, de la regarder dans les yeux, et non à travers un écran, pour ressentir sa vérité, ses non-dits fondamentaux, son angoisse éventuellement.
J'évoquerai juste une expérience : étant au Rwanda avec Médecins sans frontières, j'ai vu des parents arriver avec leur enfant mort dans les bras, sans aucune émotion sur le visage – rien. Ils étaient juste sidérés. Il y a des émotions que l'on ne peut pas exprimer et que l'on ne peut faire passer que par une relation de confiance – j'insiste sur ce mot – , d'homme à homme, de personne à personne. Il faudrait au moins la présence d'un interprète sur place pour qu'il y ait une figure rassurante et que l'audience ne se tienne pas si l'interprète n'est pas là. Je soutiendrai les amendements en ce sens.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Quoiqu'il arrive, il y aura toujours la présence de l'avocat auprès du requérant : c'est essentiel. Je comprends ce besoin d'une figure rassurante, auquel il sera répondu par la présence de l'avocat. Pour ce qui est de la présence permanente, systématique de l'interprète, je m'en suis déjà expliquée : c'est trop compliqué à mettre en place opérationnellement pour les langues extrêmement rares. Donc, avis défavorable.
L'amendement no 1079 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'alinéa 10, que l'amendement vise à supprimer, prévoit de supprimer la possibilité pour le requérant de refuser d'être entendu par un moyen de communication audiovisuelle. Or, il apparaît qu'une telle organisation des audiences peut être préjudiciable aux droits de la défense. Dans tous les cas, l'avocat perdra soit le bénéfice d'une présence à l'audience, soit celui d'être aux côtés du requérant. Dans tous les cas également, ces moyens de communication audiovisuelle présentent des défauts techniques peu compatibles avec l'exigence d'un procès équitable. Dans certains cas encore, les raisons qui motivent la demande d'asile sont délicates à exprimer, en particulier lorsqu'il est question de violence ou de sévices sexuels car la communication audiovisuelle peut naturellement avoir pour effet d'inhiber les requérants concernés. Pour toutes ces raisons, cet amendement vise à maintenir la possibilité pour le requérant de refuser une telle organisation de l'audience.
Brandissez le règlement, monsieur Bernalicis, si vous souhaitez faire un rappel au règlement !
Rappel au règlement
Je me réjouis de constater, monsieur Bernalicis, que vous comprenez enfin comment fonctionne le règlement de l'Assemblée nationale !
Vous avez la parole, pour un rappel au règlement.
J'ai tellement bien compris comment fonctionne le règlement que, selon l'article 64, lorsqu'il y a un doute…
L'article 64, qui prévoit qu'en cas de doute sur le résultat d'un vote, il peut être procédé au vote par assis et levé.
Le rappel au règlement se fonde sur l'article 58 et vous faites référence à l'article 64, n'est-ce pas ?
Le président de séance sait évaluer, de la place où il est, les résultats des scrutins.
Ainsi que cela a déjà été décidé et annoncé, l'amendement no 1079 a été rejeté.
Article 6
La parole est à Mme Laurence Vichnievsky, pour soutenir l'amendement no 777 .
Beaucoup a été dit sur la vidéo-audience, et je ne veux pas répéter inlassablement que le principe, dans notre ordonnancement juridique et procédural, est l'audience présentielle. Mais comme nous sommes pragmatiques, au MODEM, et que nous sommes sensibles à l'état des finances publiques, nous comprenons bien que, dans certains cas, il faut pouvoir passer outre le refus du consentement du requérant. Ce seront tous les cas où il faudra prévoir une escorte : c'est lourd, c'est cher et cela perturbe nos possibilités de répondre dans des délais raisonnables.
Au demeurant, c'est déjà le cas pour les Ultramarins. Je voudrais répondre amicalement à Mme la rapporteure qui, en commission des lois, m'avait dit que le fait de prévoir dans certains cas, limitativement énumérés, que le président pourrait passer outre le refus de consentement du requérant, porterait atteinte à l'égalité des justiciables devant la loi, que depuis longtemps cette égalité doit s'apprécier au regard de situations équivalentes. L'exemple des Ultramarins répond donc à cette argumentation.
Surtout, et ce sera ma dernière observation, cet article court un risque d'inconstitutionnalité. En effet, le Conseil constitutionnel a estimé, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, qu'il fallait le consentement du requérant pour pouvoir tenir une vidéo-audience. Je vous renvoie à cette décision de 2003, qui est assez claire.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes MODEM et LaREM.
Ma chère collègue, je ne veux pas répéter exactement le même argument, mais nous venons de décider que le recours à la vidéo-audience est une façon valable de rendre la justice. Si nous reconnaissons cela, alors il est bon de l'appliquer à toutes les personnes, qu'elles soient retenues ou non, quel que soit le requérant. Avis défavorable.
L'amendement no 777 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La logique reste la même : par cet article 6, vous souhaitez réduire le délai d'appel devant la Cour nationale du droit d'asile ; c'est un objectif que nous partageons. En même temps, vous avez concédé à votre majorité, en commission des lois, des dispositions qui faciliteront le recours…
De manière non cachée !
De façon non cachée, en effet. Cela me permet, puisque vous m'en offrez l'opportunité, monsieur le ministre d'État, de vous rappeler que nous attendons toujours vos réponses sur les pactes cachés !
Je répondrai à M. Di Filippo !
J'ai été le premier à vous le demander lors de la motion de renvoi en commission – j'y tiens !
Il faut actuellement plusieurs semaines, plusieurs mois d'une manière générale, pour obtenir une décision sur l'aide juridictionnelle : une fois de plus, ce moyen est utilisé par certaines filières qui savent pertinemment qu'elles envoient des migrants dans la filière d'asile alors que ces migrants ne peuvent bénéficier du statut de réfugié.
Il faut en avoir conscience et vous le savez bien, monsieur le ministre d'État. Il s'agit donc d'une étape ayant pour objectif de retarder la procédure, de la rallonger, de la faire durer des années. Or, au bout de plusieurs années, les déboutés se maintiendront sur le territoire national, vous le savez bien ! Selon la Cour des comptes, 96 % des déboutés se maintiennent sur le territoire national parce que la procédure est trop longue. Or, le délai de l'aide juridictionnelle participe de cette durée trop longue des procédures.
Par ces amendements, nous voulons donc raccourcir la procédure. Bien sûr, l'aide juridictionnelle doit pouvoir être mobilisée, mais elle ne doit pas être le prétexte à des manoeuvres de retardement dilatoires.
Le raccourcissement du délai de recours devant la CNDA à quinze jours répond tout à fait à cet objectif. Donc, avis défavorable.
Sur l'article 6, je suis saisi par le groupe Nouvelle Gauche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Florent Boudié, pour une explication de vote sur l'article.
Sur la question de la vidéo-audience, nous avons pris le parti de considérer qu'il ne fallait pas résister à un mouvement qui se généralisera. Déjà présent dans le contentieux pénal, il est appelé à se développer au travers des Chantiers de la justice. Nous avons donc préféré l'encadrer.
Je rappelle, pour confirmer notre volonté d'avancer sur cette question, que la vidéo-audience ne sera pas généralisée. La décision sera prise au cas par cas, en fonction de chaque situation : si chacune des conditions cumulatives que nous avons intégrées dans la loi n'est pas respectée, alors il n'y aura pas de vidéo-audience.
Considérant à la fois cette mesure de modernisation de la procédure et les garanties que nous avons apportées, il est évidemment indispensable de voter l'article 6.
Vous nous avez indiqué, madame la rapporteure, que le projet de loi de programmation pour la justice élargirait le recours à la vidéo-audience, mais cela ne légitime pas le fait que le présent projet de loi facilite le recours à ce procédé, au contraire : cela doit nous inciter à être d'autant plus vigilants.
Nous devons nous attacher au principe, même s'il est nécessaire d'aménager des exceptions pour les cas où les étrangers sont retenus ou détenus. Or le principe est celui de la présence du juge et l'évolution des technologies n'y change rien : la justice n'est pas la médecine. Ce qui fait la spécificité de notre système judiciaire c'est justement ce contact physique et direct entre celui qui comparaît et son juge.
Pour toutes ces raisons, le groupe du MODEM votera contre l'article 6.
Nous nous réjouissons de voir qu'à l'occasion du vote de cet article 6 on revient à de meilleurs sentiments et que l'on permet aux différents groupes qui composent l'Assemblée de s'expliquer, à l'inverse de ce qui s'est passé pour l'article 5, dont nous n'oublierons pas qu'il a été voté avec les voix du Front national.
S'agissant de la vidéo-audience, nous nous rangeons évidemment à l'avis extrêmement pertinent de Mme Vichnievsky. Il est clair que l'ère numérique est devant nous, mais il est tout aussi clair – et tout le monde le reconnaît – que les parties, en particulier la victime, doivent pouvoir opter pour le « présentiel ». Le contact physique est indispensable dans des procédures aussi complexes impliquant des publics fragilisés.
Nous considérons que la justice du XXIe siècle doit préserver le principe du consentement, élaboré au fil des ans. C'est pourquoi nous voterons contre cet article 6.
Nous voterons évidemment contre cet article qui va dans le même sens que le précédent, et qui sera à mon avis lui aussi soutenu par la partie opposée de cet hémicycle.
Nous assistons à un recul massif des droits et du principe même du droit, et on peut craindre, à entendre les échanges auxquels cet article a donné lieu, que ce recul, s'il ne vaut ici que pour quelques-uns, ne finisse à terme par frapper toutes et tous, et qu'au rejet de l'autre ne s'ajoute la justification par des raisons budgétaires.
« Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste ». Faute de pouvoir fortifier la justice, on finit par justifier la force : voilà ce que m'évoquent cet article et les échanges auxquels il a donné lieu ici.
Vous comprendrez que nous ne pouvons pas voter cet article, en raison notamment de ce qu'il prévoit en termes de recours à la vidéo-audience.
Je regrette simplement, monsieur le président, que le règlement ne me permette pas de céder mon tour de parole à ma collègue de La République en marche, Sonia Krimi, qui aurait voulu pouvoir expliquer son opposition à cet article.
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Mais nous ne désespérons pas de voir ce règlement évoluer pour permettre aux voix dissonantes de la majorité de se faire entendre.
À la collègue qui évoquait le rapport du GISTI, je voudrais répondre à mon tour par une citation : « La procédure de demande d'asile doit être équitable quelle que soit la situation géographique, économique ou sociale de la personne. À ce titre, l'usage de la visioconférence par l'OFPRA et la CNDA doit prendre fin. » Vous trouverez ces mots à la page neuf du rapport du GISTI. Vous voyez que même les associations que vous citez s'opposent aux articles que vous souhaitez nous faire voter et à l'inhumanité de ce procédé de la vidéo-audience en particulier.
Nous voterons contre avec beaucoup de conviction.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Monsieur le ministre d'État,nous aurions aimé pouvoir approuver cet article, qui constitue l'une des rares minuscules avancées procédurales dans un maquis tellement complexe qu'il favorisera le dévoiement de la loi et du droit d'asile. Hélas vous avez finalement totalement effacé ces avancées en acceptant des amendements défendus par votre majorité en commission des lois aux termes desquels la procédure reste quasiment inchangée.
Vous faites un tout petit pas en avant en réduisant le délai d'appel de quinze jours, mais « en même temps » – c'est votre ligne directrice, ligne de crête ou plutôt ligne d'impuissance – vous ajoutez des délais au titre de l'aide juridictionnelle qui permettront de rouvrir le délai de recours.
Finalement, cela ne change donc rien et c'est pourquoi nous ne pouvons pas approuver ce dispositif totalement inutile en l'état.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à onze heures cinq, est reprise à onze heures vingt.
La séance est reprise.
Je mets aux voix l'article 6, tel qu'il a été amendé.
Il est procédé au scrutin.
Nombre de votants | 108 |
Nombre de suffrages exprimés | 102 |
Majorité absolue | 52 |
Pour l'adoption | 62 |
contre | 40 |
L'article 6, amendé, est adopté.
Je suis saisi de deux amendements portant articles additionnels après l'article 6.
La parole est à M. Christophe Blanchet, pour soutenir l'amendement no 375 , qui fait l'objet d'un sous-amendement no 1163 rectifié .
Cet amendement, dont je suis cosignataire, a été déposé par mon collègue Joachim Son-Forget.
L'accroissement de l'activité de la CNDA pose de plus en plus un problème de ressources humaines, s'agissant en particulier de la qualité et du nombre des présidents de formation. Le recours à des vacataires constitue l'un des moyens de contourner la difficulté.
Toutefois, plusieurs présidents vacataires refusent de siéger en juge unique, alors que la loi no 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile a introduit l'obligation d'audiences à juge unique dans le cas de procédure accélérée. Ces audiences à juge unique représentent aujourd'hui environ le tiers des audiences.
De plus, nombre des présidents vacataires actuels n'ont qu'une compétence limitée en matière de droit d'asile et, dans une certaine mesure, méconnaissent la réalité géopolitique des pays d'origine des requérants.
Enfin, un élargissement du recrutement serait en tout état de cause opportun pour garantir une compréhension plus fine des situations souvent complexes qui doivent être examinées.
Ainsi, cet amendement vise à élargir les critères de recrutement des présidents de formation pour prévoir la nomination d'anciens magistrats administratifs ou judiciaires autres qu'honoraires, dès lors qu'ils disposent d'une réelle expertise en matière d'asile, à l'instar des anciens magistrats administratifs n'ayant pas l'honorariat, mais disposant d'une expérience géopolitique ou ayant servi comme assesseurs à la CNDA.
La parole est à Mme Élise Fajgeles, rapporteure, pour donner l'avis de la commission sur l'amendement no 375 et pour soutenir le sous-amendement no 1163 rectifié .
Je suis évidemment tout à fait favorable, sur le principe, à ce que des magistrats à la retraite puissent prêter main-forte à la CNDA. Sa présidente nous a d'ailleurs dit combien cela pouvait être utile au bon fonctionnement de la justice.
Avec ce sous-amendement, je souhaiterais seulement préciser que les magistrats susceptibles, une fois à la retraite, de participer aux audiences de la CNDA seront d'anciens membres du Conseil d'État ou du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. Sous réserve de l'adoption de ce sous-amendement, la commission est favorable à l'amendement no 375 .
Il est tout de même incroyable que l'on en arrive à proposer que les demandeuses et les demandeurs d'asile soient jugés par des magistrats à la retraite, au lieu de donner des moyens à la justice pour recruter et former des gens ! En nous contentant de ces bouts de ficelle, nous contribuons à la clochardisation de la justice. Nous ne voterons donc évidemment pas cet amendement.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Le sous-amendement no 1163 rectifié est adopté.
L'amendement no 375 , sous-amendé, est adopté.
Monsieur le ministre d'État, si vous voulez réellement raccourcir la durée des procédures, il faut que vous souteniez cet amendement, qui peut vous faire gagner au moins un an et demi.
Il est simple et vise à ce que, après que l'OFPRA – ou la CNDA, en cas d'appel – a refusé d'accorder le statut de réfugié, cette décision vaille obligation de quitter le territoire – OQTF – et que la procédure s'arrête là. Aujourd'hui, et vous le savez très bien, monsieur le ministre d'État, la procédure ne s'arrête pas là, d'abord parce qu'il faut plusieurs mois pour que l'OQTF soit effectivement mise en oeuvre et, ensuite, parce qu'il est possible de faire appel de cette OQTF devant les tribunaux administratifs. La décision du tribunal administratif peut elle-même faire l'objet d'un appel devant les cours administratives d'appel et, au terme de toute cette procédure, les choses recommencent, puisque les demandeurs déboutés peuvent refaire une demande auprès de l'OFPRA. On est dans le monde d'Ubu !
Ce qui est particulièrement choquant, c'est que les préfectures ne reçoivent même pas la notification de la décision de rejet de la CNDA. Il faut qu'elles aillent elles-mêmes chercher les décisions, ce qui retarde l'OQTF de deux ou trois mois.
Nous défendons cet amendement depuis des années. Nous comprenions que la précédente majorité s'y oppose, mais là, monsieur le ministre d'État, si vous voulez réellement accélérer les procédures, si vous voulez réellement mettre fin aux manoeuvres dilatoires de ceux qui ont pour unique objectif de retarder les décisions de la justice de notre pays, il faut que vous donniez un avis favorable à cet amendement.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
On ne peut pas, comme vous le faites, mélanger la décision de l'OFPRA sur la demande de protection et la délivrance d'une obligation de quitter le territoire, qui est une décision préfectorale. Ce serait porter atteinte au droit au recours effectif. Avis défavorable.
Monsieur Ciotti, la réforme comprend un certain nombre de mesures opérationnelles. Les préfets, désormais, sont systématiquement prévenus.
Sur l'amendement no 500 , je suis saisi par le groupe Les Républicains d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Éric Ciotti.
Monsieur le ministre d'État, je prends acte du fait que les préfectures seront désormais informées Ce n'est pas le cas aujourd'hui, et il est totalement ahurissant qu'un préfet doive lui-même aller chercher cette information. Tout cela ne contribue qu'à allonger les procédures.
Madame la rapporteure, je suis d'accord avec votre argumentation, s'agissant de l'OFPRA. En revanche, lorsque la Cour nationale du droit d'asile déboute un demandeur, il s'agit d'une décision juridictionnelle, qui a force de droit, qui est opposable. Pourquoi, dès lors, le demandeur a-t-il le droit d'entreprendre un nouveau parcours de contestation ? Son cas a déjà été examiné par quatre niveaux juridictionnels : l'OFPRA, la CNDA, le tribunal administratif et la cour administrative d'appel. C'est totalement ahurissant !
Tout cela ne fait qu'allonger les procédures. Or cet allongement bénéficie, le plus souvent, à des personnes qui n'ont aucun droit ni aucun ni titre pour demander le statut de réfugié et qui utilisent uniquement la procédure pour se maintenir en France. Et elles finissent hélas par s'y maintenir définitivement, puisque presque aucun des déboutés n'est éloigné vers son territoire d'origine. C'est cela, la réalité !
Monsieur le ministre d'État, si vous voulez réellement aller dans le sens de la simplification des procédures, il faut voter cet amendement décisif. Tout le reste, c'est du bla-bla, du baratin ! Quand on gagne un jour ou deux, vous les reprenez de l'autre côté. Avec cet amendement, on peut gagner des années dans la procédure. Allez-y ! Ayez ce courage ! Je ne vois pas ce qui peut s'opposer à une réduction du délai. Le demandeur bénéficie de toutes les garanties du droit, avec un niveau juridictionnel et un niveau d'appel. Les libertés individuelles sont également garanties. Nous voulons seulement simplifier la procédure et éviter les abus.
Le groupe Les Républicains soutient avec force l'amendement d'Éric Ciotti. Monsieur le ministre d'État, nous vous offrons une solution efficace pour expulser les demandeurs d'asile déboutés, après que leur demande a été rejetée par l'OFPRA et, le cas échéant, par la Cour nationale du droit d'asile, en appel. Refuser cet amendement, c'est poursuivre la politique actuelle, celle-là même qui voit 50 % des déboutés du droit d'asile ne pas recevoir d'obligation de quitter le territoire français et, pis encore, 96 % d'entre eux rester en France et devenir des clandestins. En refusant l'amendement du groupe Les Républicains, vous continuez d'alimenter les filières de travail clandestin et d'augmenter le nombre de sans-papiers présents en France, ce que nous ne pouvons pas tolérer.
Il est procédé au scrutin.
Nombre de votants | 93 |
Nombre de suffrages exprimés | 93 |
Majorité absolue | 47 |
Pour l'adoption | 16 |
contre | 77 |
L'amendement no 500 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Martine Wonner, première oratrice inscrite sur l'article 7.
La procédure administrative est complexe. Il est nécessaire de s'assurer qu'à tout moment le demandeur d'asile comprend parfaitement ce qui lui est demandé. Or on nous dit qu'à défaut d'interprète spécifique, on lui proposera une langue approchante. L'intéressé sera alors entendu dans une langue dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend. Mais est-ce bien raisonnable de ne pas garantir ce droit élémentaire et la plus parfaite compréhension ?
Avez-vous déjà été confrontés à la verbalisation de souffrances telles que les idées sont confuses et que le mot échappe, que l'histoire racontée ne peut que refouler le vécu ? La mémoire traumatique, trouble de la mémoire implicite émotionnelle, s'apparente à une bombe prête à se déclencher à tout moment, transformant la vie en un terrain miné, nécessitant une hypervigilance et la mise en place de stratégies d'évitement et de contrôles épuisants et handicapants. En voulant simplifier, on ajoute une complexité supplémentaire.
Les textes européens nous imposent de garantir aux demandeurs d'asile un accès effectif aux procédures, en leur donnant les moyens de coopérer et de communiquer de façon appropriée avec les autorités compétentes. Monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, cet article est-il bien raisonnable ?
Cet article est à double tranchant. En effet, il comprend une mesure posant pour principe que, lorsqu'une demande d'asile est présentée par un étranger qui se trouve en France avec son ou ses enfants mineurs, la demande d'asile est considérée comme déposée pour tous, ce qui est une bonne chose. En revanche – et c'est là le plus gros problème – , il contient également une mesure visant prétendument à faciliter la convocation par l'OFPRA, en rendant opposable la langue déclarée en préfecture. Un demandeur d'asile ne pourra donc plus demander à s'exprimer dans une autre langue lors de son entretien.
Cette mesure est problématique à plusieurs égards. Tout d'abord, c'est nier que le demandeur d'asile puisse avoir différentes langues pour s'exprimer. Prenons le cas concret d'un demandeur d'asile du Darfour : doit-il s'exprimer en anglais ou en arabe littéral, les langues officielles, en soudanais, la langue nationale, ou dans l'une des cent vingt-cinq langues minoritaires ? Cela revient également à nier les circonstances dans lesquelles un demandeur d'asile dépose son dossier. Entre un demandeur d'asile, un citoyen qui pourrait l'aider, comme c'est souvent le cas, et un agent de préfecture ou de l'OFII, c'est souvent la recherche du plus petit dénominateur commun qui prime en l'absence de traducteur spécialisé – soit l'anglais ou une autre langue plus commune, même si elle n'est pas parfaitement maîtrisée.
Mais c'est aussi faire primer le fonctionnement d'une administration, en l'occurrence l'OFPRA, sur les droits du demandeur d'asile, en simplifiant en façade le travail de classement des dossiers au détriment de leur bon examen. Plutôt que de bien examiner les demandes d'asile, votre logique se résume à traiter des dossiers le plus vite possible, comme cette mesure le prouve assez clairement. Même si cet article comprend une légère avancée, l'opposabilité de la langue est une ligne rouge qu'il nous est impossible de franchir.
Permettez-moi de vous faire part, à la lumière de cet article, de mes réflexions sur certaines zones, certes restreintes par rapport au territoire national, mais ô combien concernées par ce texte, particulièrement le Pas-de-Calais. J'ai pu y rencontrer avec mes collègues, Jean-Pierre Pont et Benoît Potterie, les différents acteurs de la chaîne migratoire. Deux constats s'imposent. Le démantèlement de la lande s'est fait sans heurt et dans la dignité. Nous pouvons féliciter l'ensemble des personnels de l'État mobilisés à cette occasion. Soulignons que, depuis lors, des sanitaires ont été installés, ainsi que des hébergements pendant la période hivernale et que les repas sont désormais pris en charge, suite à la demande du Président de la République en visite à Calais.
Pour autant, des difficultés persistent, et c'est bien l'objet de ce texte. Le nombre de places en centres de rétention administrative n'est pas suffisant. L'encadrement des mineurs, bien plus nombreux, du fait d'un changement des populations migrantes, est quelque peu lacunaire. Mais c'est surtout sur le point essentiel de l'hébergement que je souhaite vous alerter. Toutes les procédures peuvent être aussi efficaces que possible, elles seront inopérantes si nous n'arrivons pas à loger tous ceux qui sont en attente de la décision de leur vie. Cette situation est pénalisante pour les migrants et les réfugiés, mais aussi pour les riverains et les commerçants. Nous devrons fournir rapidement une solution.
Le coeur de cet article est la remise en cause du principe d'opposabilité de la langue tout au long de la procédure. Nous avons eu de longues discussions à ce sujet en commission, où l'on nous a expliqué que ce principe n'était pas remis en cause. Certes, au début de la procédure, tout est mis en oeuvre pour s'assurer que la personne parle bien la langue qui lui est proposée. Mais que faire dans le cas de deux langues complètement différentes ? Dans plusieurs pays, il existe des dialectes différents et, lorsque l'on a à se défendre ou à expliquer un traumatisme ou tout simplement des éléments médicaux, il y a intérêt à bien maîtriser la langue.
Peut-être vous est-il déjà arrivé de vous retrouver dans un hôpital, dans un pays européen dont vous comprenez à peu près la langue, et de devoir expliquer où vous avez mal, : vous savez que ce n'est pas aisé. La situation qui nous occupe est bien plus complexe : il s'agit de permettre à la personne concernée de répondre de façon précise et circonstanciée. Mais je pense également aux agents de l'OFPRA. Il est important d'avoir l'assurance qu'ils respectent bien le droit à l'information ; car ils veulent pouvoir bien remplir leur mission. Nos amendements ne devraient pas faire débat. Aussi, je ne comprends pas pourquoi les différents amendements proposés pour faire progresser l'article n'ont pas recueilli l'assentiment du plus grand nombre.
Cet article est malheureusement en parfaite cohérence avec le reste du texte. La diversité des langues d'origine des migrants est très grande, ce qui pose parfois des problèmes pour trouver des traducteurs. Cela peut se comprendre, mais ne pourrions-nous pas, tout de même, accorder des moyens supplémentaires ? Le problème fondamental est, en réalité, celui de la réduction des délais, même si, reconnaissons-le, il est impossible de trouver des traducteurs pour toutes les langues. Si l'on donnait le temps à la procédure de se dérouler, les récits pourraient s'affiner, étant donné que l'on ne serait pas pressé par les conditions définies dans ce texte. Il serait possible de passer d'une première langue à une autre et de trouver des traducteurs adéquats.
Cet article s'inscrit parfaitement dans la ligne des dispositifs contribuant à réduire les délais et à accélérer les procédures. On expliquera qu'aucun traducteur n'est disponible pour obtenir du demandeur d'asile le récit précis de son parcours – élément fondamental du dossier – , mais on ne se sera pas donné, au préalable, les moyens d'en trouver un. On ne se donnera pas plus les moyens de comprendre le demandeur en recourant à des traducteurs qui maîtriseraient des langues approchantes. C'est pourquoi nous sommes opposés à cet article comme aux autres. Sous des prétextes budgétaires, vous vous coupez l'herbe sous le pied, en rabotant les procédures.
La parole est à Mme Michèle Victory, pour soutenir l'amendement no 303 .
Nous parlons de récits, d'échanges, d'expliquer une vie, un parcours. Nous savons à quel point les mots sont alors importants, nous qui avons été confrontés à cette situation à des moments bien plus confortables que les demandeurs d'asile. On peut imaginer que, pour ces personnes en grande fragilité, qui ont à fournir des preuves – on leur en demande beaucoup – , les mots seront très importants. Si le délai importe bien sûr, ce qu'il faut, c'est donner les moyens à tous ceux qui assurent le contact entre ces personnes et leur avocat ou les agents de s'exprimer dans la langue qui est la plus proche de celle du demandeur d'asile, à défaut de la langue d'origine.
Votre amendement vise à supprimer les alinéas 1 et 2. Or, dans son alinéa 2, l'article 7 dispose que la CNDA annule une décision de l'OFPRA quand il est manifeste que le demandeur d'asile n'a pas pu être entendu dans une langue qui lui aurait permis d'être compris. Cette disposition recueillant plutôt l'unanimité, il me semble que votre amendement n'a pas été bien rédigé. Avis défavorable.
Même avis. Ce qui change, ce n'est pas le nombre de langues qui seront proposées – il y en a une centaine aujourd'hui – , mais la possibilité de trouver l'interprète pour une langue rare. Ce que nous voulons, c'est que la personne ne change pas de langue entre le moment où elle s'est enregistrée et le reste de la procédure. Cela semble la moindre des choses. Sans cela, rien ne peut plus fonctionner.
L'amendement no 303 n'est pas adopté.
La parole est à M. Brahim Hammouche, pour soutenir l'amendement no 240 .
Cet amendement, qui a déjà été présenté hier, propose d'ajouter au mot « langue » les mots « qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend ». Combien de fois avons-nous été confrontés à la difficulté de trouver des interprètes pour les langues dites rares ou à des situations où, devant son incompréhension de langues moins rares, le demandeur est – mal – orienté vers des bilans cognitifs ? Je citerai cette phase bien connue d'Albert Camus : « Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde. » Si nous pouvions diminuer la charge de ce malheur, nous ferions un petit pas pour nous, mais un grand pas pour les demandeurs d'asile.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Dans votre exposé des motifs, vous faites référence à la directive « procédures » qui prévoit bien que « [la] communication a lieu dans la langue pour laquelle le demandeur a manifesté une préférence sauf s'il existe une autre langue qu'il comprend et dans laquelle il est à même de communiquer clairement ». Notre rédaction est donc tout à fait conforme à la directive. En pratique, les agents de l'OFPRA – ils nous l'ont dit en audition – ne font pas l'entretien s'ils ne peuvent pas entendre le demandeur d'asile ; c'est leur métier et on peut leur faire confiance. C'est une question de responsabilité à toutes les étapes de la procédure que de faire en sorte que le récit du demandeur d'asile soit entendu. Avis défavorable. Les choix se feront de manière à gagner du temps tout en conservant la meilleure qualité possible de la procédure.
L'amendement no 240 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l'amendement no 301 .
Il s'agit d'ajouter à l'article 7 une disposition dont j'espère qu'elle est déjà satisfaite. L'amendement est inspiré par l'association France terre d'asile qui mène, depuis des années, un travail remarquable auprès des demandeurs. Il s'agit de préciser : « Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile est informé de son droit inconditionnel à bénéficier d'un hébergement d'urgence et d'un premier examen de santé et de la possibilité d'être assisté par une association pour préparer le dépôt de sa demande d'asile. » J'espère que, plutôt que de me donner un avis défavorable, vous allez me dire que l'amendement est satisfait.
Madame Untermaier, c'est probablement l'un des sujets sur lesquels j'ai le plus travaillé. L'association France terre d'asile gère, dans ma circonscription, boulevard de la Villette, une structure de pré-accueil dont on peut observer toutes les difficultés. Ayant entendu Coallia et France terre d'asile, ayant beaucoup parlé avec le directeur de celle-ci, Pierre Henry, j'ai proposé un amendement à l'article 9 qui inscrit dans la loi le fait que les CAES doivent être déployés sur le territoire et que l'information doit être fournie aux demandeurs. Cela se passe par voie de maraude : toutes les personnes qui souhaitent demander l'asile doivent être vite prises en charge, hébergées et inscrites le plus rapidement possible au guichet unique, avec le suivi sanitaire qui va avec. Votre préoccupation me semble donc bel et bien satisfaite et je vous suggère de retirer votre amendement.
L'amendement no 301 est retiré.
Cet amendement vise à introduire dans les codes les dispositions qui organisent le droit à l'hébergement au stade du premier accueil : hébergement d'urgence au sein duquel les intéressés bénéficient d'une information sur le droit d'asile, d'un premier examen de leur santé et d'une orientation vers l'autorité administrative compétente pour enregistrer la demande d'asile.
L'amendement no 150 de Mme Jeanine Dubié est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
Comme c'est le même amendement, je ferai la même réponse : il est satisfait par l'amendement à l'article 9 sur la généralisation des CAES. Je vous suggère donc également de le retirer ; à défaut, avis défavorable.
N'étant pas le premier signataire de cet amendement, je peux difficilement le retirer.
La parole est à M. Pierre-Henri Dumont, pour soutenir l'amendement no 129 .
Cet amendement vise à protéger les Français. On a déjà abordé ce débat hier ; je propose d'interdire à tout étranger inscrit au fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste, FSPRT, donc radicalisé et potentiellement terroriste, de déposer une demande d'asile. En effet, nous savons – ces chiffres nous ont été communiqués – que 15 % des fichés FSPRT sont étrangers, et il est inconcevable que la France accorde sa protection à un étranger qui n'adhère pas à ses valeurs. C'est l'objet de cet amendement que je vous invite, mes chers collègues, à soutenir afin de prouver à l'ensemble des Français que vous tenez à leur protection.
Vous ne pouvez pas dire sérieusement que nous ne tenons pas à la protection des Français. C'était l'objectif de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, comme de nombreuses mesures de ce texte. L'augmentation du nombre de retraits ou de refus de protection par la CNDA en cas de menace à l'ordre public ou d'atteinte à la sûreté de l'État prouve également notre préoccupation. Nous avons beaucoup débattu du FSPRT : c'est un fichier de signalement et non de sanction, et l'inscription à ce fichier ne peut justifier à elle seule l'interdiction de déposer une demande d'asile. Les dossiers de ces demandeurs seront instruits par l'OFPRA qui prendra soin de vérifier que la menace n'est pas caractérisée. Avis défavorable.
Je vais redonner à M. Dumont les chiffres que j'ai déjà mentionnés dix fois. Nous prenons des précautions extrêmes s'agissant des personnes fichées : depuis le début de l'année, nous avons expulsé 197 étrangers en situation irrégulière et 80 étrangers en situation régulière, inscrits au FSPRT, dont nous pensions qu'ils représentaient une menace pour l'ordre public.
Nos collègues Les Républicains sont obsédés par cette question ; j'ai l'impression qu'ils ne comprennent pas bien ce qu'est un fichier comme celui-là.
Ce sont des techniques de renseignement qui le nourrissent et le font évoluer, non des actes – sinon les personnes en question seraient visées par des poursuites judiciaires, à l'aide d'autres moyens. Nous en avons déjà débattu à l'occasion de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ; j'y étais suffisamment opposé pour ne pas y revenir. Il est vrai, cher collègue, que l'article 4 ouvre la voie à ce genre de propositions puisqu'on fonde de plus en plus souvent les décisions administratives sur les notions de soupçon et de dangerosité. Je le regrette. En revanche, par cohérence, vous auriez pu indiquer dans votre amendement que votre proposition s'applique aussi aux fichés L !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe FI.
Je vais rebondir sur les propos de M. Bernalicis. Ce que vous proposez, monsieur Dumont, est dangereux et contraire à tous les principes de notre droit. Le fichier S renvoie aux soupçons de radicalisation ; c'est un outil de contrôle et de prévention.
On n'enferme ni ne renvoie les gens sur la base d'une simple inscription dans un fichier ; de même, cela ne suffit pas pour les priver de la possibilité de déposer une demande d'asile. Ce serait contraire à la règle de droit la plus élémentaire de notre pays. Il est très dangereux que vous puissiez formuler de telles propositions. L'idée que de simples signalements feraient perdre des droits à des personnes renvoie à des pratiques qui rappellent les heures les plus sombres de notre histoire.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs du groupe LR et parmi les députés non inscrits.
Ces propos sont particulièrement indignes. Vous rappelez les heures les plus sombres de notre histoire, alors que beaucoup de familles dans notre pays, et notamment dans ma ville, ont récemment vécu des heures très sombres du fait d'une naïveté coupable. Aujourd'hui, on a le devoir de changer de cadre. Quand des personnes viennent solliciter notre pays pour bénéficier d'une protection et que nos services de renseignement, auxquels je rends hommage, les signalent comme dangereuses – M. le ministre d'État a toutes les informations – , il est responsable d'agir comme nous le proposons. C'est l'attitude inverse qui serait indigne par rapport à la protection qu'on doit à notre nation ; c'est vous qui faites preuve d'une irresponsabilité coupable. Ces personnes n'ont rien à faire dans notre pays ; elles présentent un risque et, même s'il n'y a qu'un doute, celui-ci doit bénéficier à la protection de la Nation, et non à ceux qui la menacent.
En cette matière, le principe de précaution doit valoir pour la Nation, non pour les terroristes potentiels.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et parmi les députés non inscrits.
L'amendement no 129 n'est pas adopté.
Aujourd'hui, la phase de premier accueil est saturée. Cette étape liminaire d'accès à la procédure d'asile et au dispositif national d'accueil représente une des principales carences du système d'asile en France, et ce projet de loi n'essaie pas de l'améliorer. Alors que les demandeurs d'asile rencontrent de grandes difficultés pour accéder à la procédure, on n'arrête pas d'invoquer la réduction des délais, mais rien n'est fait pour faire progresser le droit des demandeurs. Conformément aux dispositions de la directive « procédures » de 2013, l'enregistrement de la demande d'asile doit avoir lieu au plus tard trois jours après sa présentation, ce délai pouvant être porté à dix jours lorsqu'il y a un nombre élevé d'étrangers. Pourtant ces délais sont rarement respectés ; en pratique, ils varient entre un et quatre mois. Durant cette période, les demandeurs d'asile sont maintenus en situation irrégulière et exposés au risque d'être interpellés et éloignés vers des pays où ils craignent pour leur vie. Faute de pouvoir faire enregistrer leur demande, ces personnes ne peuvent pas accéder aux conditions matérielles d'accueil garanties par le droit européen. C'est pourquoi cet amendement prévoit : « En l'absence d'enregistrement dans le délai de dix jours ouvrés, le demandeur d'asile peut saisir directement l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. »
La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour soutenir l'amendement no 1120 .
Cet amendement va dans le même sens. Il s'agit d'ajouter une disposition à l'article L. 741-1 du CESEDA, suivant le constat fait sur le terrain. Aux termes de notre proposition, en l'absence d'enregistrement dans le délai de dix jours ouvrés, le demandeur d'asile pourrait saisir directement l'OFPRA. En effet, le délai fixé à l'article 6 de la directive, qui constitue l'une des principales mesures permettant de satisfaire l'objectif de raccourcissement des procédures, est rarement respecté. Il est nécessaire que son irrespect soit sanctionné, sous peine de permettre à certaines préfectures de développer des pratiques contra legem – observées sur le terrain – qui allongent les délais légaux dans des proportions parfois importantes.
La loi du 29 juillet 2015 prévoit l'intervention d'opérateurs en amont, mais cela ne facilite pas suffisamment, en réalité, l'enregistrement des demandes d'asile. Le dispositif reste engorgé en raison du manque de moyens. C'est pourquoi nous proposons que le demandeur d'asile puisse saisir directement l'OFPRA en l'absence d'enregistrement dans un délai de dix jours ouvrés : c'est une mesure de simplification qui permettrait de désengorger les services préfectoraux.
Nous avons tous bien compris que le pré-accueil ne fonctionne pas, comme je l'ai dit il y a quelques instants en répondant à Mme Untermaier. Toutefois, plusieurs PADA – notamment dans ma circonscription – se sont dotées d'une nouvelle organisation, avec une plate-forme téléphonique, afin d'éviter que des gens passent des nuits entières à attendre. La procédure sera ainsi plus rapide et plus humaine. Des personnels supplémentaires ont par ailleurs été affectés aux préfectures afin que les rendez-vous aient lieu plus rapidement.
En outre, l'amendement dont je vous ai déjà parlé permettra de prendre en charge les personnes qui souhaitent demander l'asile très tôt. Non seulement ils pourront s'inscrire rapidement à un guichet unique et bénéficier d'un hébergement, mais ils auront un suivi sanitaire et administratif très rapide, avant même l'enregistrement de leur demande d'asile. Or il n'est pas possible que l'OFPRA s'occupe de tout cela.
Au moment de l'inscription à un guichet unique, les conditions d'un accueil matériel sont évaluées par l'OFII. Celui-ci examine ainsi la vulnérabilité du demandeur d'asile, et lui propose éventuellement une place dans le dispositif national d'accueil, avec une répartition sur le territoire. On ne peut pas charger l'OFPRA de tout cela, car son travail est d'étudier les demandes, les récits personnels, les dossiers des demandeurs d'asile.
Ces deux amendements identiques ne feraient donc nullement avancer les choses pour les demandeurs d'asile. Surtout, ils plongeraient l'OFPRA dans de grandes difficultés. Avis défavorable.
Comme vient de l'indiquer Mme la rapporteure, adopter ces amendements reviendrait à déconstruire tout le système d'enregistrement des demandes d'asile. Avis défavorable.
J'ai demandé la parole tout à l'heure, monsieur le président, mais vous ne m'avez pas entendue : je voulais répondre à l'accusation indigne proférée par l'un des membres de la majorité, qui nous a renvoyés aux « heures les plus sombres de notre histoire ».
Mon cher collègue, nous avons revécu très récemment ces « heures les plus sombres », notamment à Marseille, lorsque deux jeunes filles ont été lâchement assassinées devant la gare Saint-Charles. Je me permets de vous rappeler que, par suite de cet assassinat qui nous a tous bouleversés, le préfet du Rhône a dû quitter ses fonctions – il a été en quelque sorte limogé – , notamment parce qu'il n'avait pas exécuté une OQTF qui datait de la veille.
Je vous demande donc, lorsque nous vous parlons du principe de précaution, lorsque nous vous demandons de mettre les Français à l'abri des personnes les plus dangereuses, de mesurer vos propos.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Je soutiens ces amendements. Comme l'ont expliqué nos collègues qui les ont défendus, il s'agit de mieux encadrer la procédure afin de répondre à une demande des professionnels.
Je voudrais réagir à ce qu'a dit Mme la rapporteure à propos de la PADA de La Villette. Il est vrai que cette plate-forme a institué de nouvelles modalités d'accueil, mais cela ne s'est fait que parce qu'il y a eu une mobilisation des riverains. Depuis des mois et des mois, en effet, des milliers de réfugiés, de demandeurs d'asile, dormaient dans la rue en attendant d'accéder à cette PADA. Cela a provoqué la mobilisation d'un collectif d'habitants qui a interpellé à plusieurs reprises le Gouvernement, conduisant au déménagement de la plate-forme dans une autre partie de l'arrondissement et à la mise en place d'un dispositif de prise de rendez-vous par téléphone.
Mais les difficultés que l'on avait constatées aux alentours de la PADA de La Villette réapparaissent. La mobilisation citoyenne de soutien aux migrants, pour que cesse l'indignité du « trottoir des 40 000 migrants » – comme il a été surnommé – , n'a donc permis qu'un répit de courte durée, puisque les problèmes ont été simplement déplacés en un autre endroit.
Nous saluons les habitants dont l'action a permis ce répit temporaire. Toutefois la solution dont vous vous targuez, madame la rapporteure, n'en est pas une : ce n'est qu'une manière de reporter le problème. Encore une fois, votre objectif purement administratif de raccourcissement des délais ne permettra pas de régler les problèmes de fond, contrairement à ces amendements, et à ceux que nous présenterons par la suite.
Par cet amendement, nous entendons garantir un droit procédural fondamental en matière de demande d'asile. Il s'agit de supprimer le caractère opposable du choix de la langue par le demandeur d'asile. Par les alinéas 6 et 7 de cet article, en effet, le Gouvernement entend imposer au demandeur d'asile de choisir une langue dès l'enregistrement de sa demande d'asile, langue qui sera employée pendant tout l'examen de sa demande par l'OFPRA.
Nous trouvons cela hypocrite, venant d'un Gouvernement qui a présenté au Parlement un projet de loi pour un État au service d'une société de confiance. Par ce dernier texte, vous consacrez – entre autres – un droit à l'erreur en matière fiscale pour les entreprises. Et, par ce projet de loi sur l'asile et l'immigration, vous refusez à un public vulnérable le droit à demander de changer la langue qu'ils ont donnée lors de l'enregistrement de leur demande d'asile !
Vous rendez-vous compte qu'en contraignant le demandeur d'asile à choisir une seule langue, qui lui sera désormais opposable par l'OFPRA – lequel pourra, au passage, faire de beaux tableaux Excel afin de déterminer quand il doit recourir à des interprètes – , vous niez son droit à s'exprimer dans une langue lui permettant d'exposer au mieux son récit ? C'est pourquoi nous demandons la suppression des dispositions rendant opposable le choix de la langue opéré au début de la procédure.
Dans un article paru dans le journal Libération en février, un agent de l'OFPRA racontait que, à la question « Comprenez-vous le français ? », certains demandeurs répondent vaguement « oui », car ils pensent que cela pourra les aider dans leurs démarches, alors même qu'ils n'en ont qu'une compréhension approximative. Or ce choix les suit tout au long de la procédure et complique l'exercice de leurs droits.
Nous avons déjà parlé un peu, hier, du choix d'une langue dès l'enregistrement en préfecture, mais il est important d'y revenir.
Comme je le disais il y a un instant, les officiers de protection de l'OFPRA n'ont aucun intérêt à ce que ce choix ne se passe pas bien : si le demandeur ne choisit pas une langue adaptée, ils ne peuvent pas procéder à l'entretien. Cela les empêche tout simplement de faire leur travail. Ils doivent alors convoquer à nouveau le demandeur d'asile, et tout le monde perd du temps. Or l'important est de gagner du temps. J'y insiste : lancer la procédure d'interprétariat près de deux mois après l'inscription en guichet unique, cela fait perdre énormément de temps.
Nous proposons une organisation totalement différente. Nous sommes plusieurs, ici, à être allés voir comment se passe l'enregistrement en guichet unique dans une préfecture. Les demandeurs ne peuvent pas correctement choisir la langue, car les agents de préfecture ne sont pas formés pour cela. En réalité, à l'heure actuelle, même si les agents de préfecture font choisir une langue aux demandeurs d'asile, ce n'est pas à ce moment que le choix se fait vraiment. Cela explique l'importante marge d'erreur entre la langue déclarée en préfecture et celle qui est vraiment employée le jour de l'entretien.
Avec la réforme que nous proposons, les agents de l'OFPRA – qui connaissent la géopolitique – et les associations qui aident à la préparation du récit de vie formeront les agents des préfectures afin qu'ils acquièrent une nouvelle compétence, de sorte qu'il n'y ait plus d'erreur au moment du choix de la langue en préfecture. Ainsi l'entretien ultérieur à l'OFPRA se passera-t-il dans de bonnes conditions.
Par ailleurs, la disposition aux termes de laquelle la CNDA peut annuler une décision de l'OFPRA lorsqu'il apparaît que l'entretien n'a pas été fait dans une langue permettant au demandeur d'asile de s'exprimer correctement existera toujours. En outre, l'OFPRA pourra toujours demander à changer de langue et convoquer le demandeur d'asile pour un nouvel entretien. Certes, les délais seront raccourcis, mais ces garanties seront maintenues afin que tous les demandeurs puissent être entendus.
Même avis que Mme la rapporteure.
Malgré vos explications, madame la rapporteure, nous ne voyons pas bien en quoi ces alinéas permettront de simplifier la procédure.
Vous avez raison de dire que les agents de l'OFPRA n'ont aucun intérêt à ce que l'entretien ne soit pas fait dans la langue la plus adaptée. Permettez-moi cependant de vous lire un extrait de l'article paru dans Libération le 19 février dernier, qu'Ugo Bernalicis a déjà cité, et qui reprend les propos d'un agent de l'OFPRA : « Une autre mesure concerne le choix de la langue en préfecture qui est opposable tout au long de la procédure : on vous demande au début si vous parlez français, et les gens comprennent vaguement et disent oui mais sans savoir qu'ils devront s'exprimer en français tout au long de la procédure… » C'est un agent de terrain qui le dit !
Vous dites : des recours seront possibles, on pourra changer de langue. Pourquoi ne pas changer les dispositions de sorte que ce soit vraiment plus facile, aussi bien pour les agents de l'OFPRA que pour les demandeurs d'asile ? Pour faire ressortir la véracité des récits de vie, il faut que les demandeurs puissent s'exprimer correctement ! Vous ne cherchez qu'à accélérer les procédures administratives : en fin de compte, dans ce cas comme dans beaucoup d'autres, ce sera contre-productif.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Il faut que les demandeurs d'asile aussi bien que les agents de l'OFPRA soient certains que la langue est bien comprise tout au long de la procédure. Par cet amendement de repli nous reprenons une proposition de l'association ELENA, un réseau d'avocats pour le droit d'asile. Il vise simplement à assurer aux demandeurs d'asile les garanties procédurales prévues par la directive du 26 juin 2013 dite « directive Procédures », qui pose les bases juridiques du droit d'asile au niveau européen.
C'est pourquoi il prévoit un droit à l'information du demandeur d'asile « dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprenne ». La formulation retenue par le projet de loi est en effet moins protectrice que la législation européenne en la matière.
Même si l'on accepte votre logique de suspicion – ce qui est loin d'être mon cas – il reste important que les demandeurs d'asile et leurs interlocuteurs se comprennent bien. Nous avons tous intérêt à ce que ce soit le cas tout au long de la procédure. Mes collègues Ugo Bernalicis et Mathilde Panot ont cité l'exemple de demandeurs qui disent comprendre le français en espérant qu'ils auront ainsi plus de chance d'obtenir l'asile. Au-delà de ces cas, il y a des demandeurs qui ont des rudiments de français, mais ne s'expriment correctement que dans tel ou tel dialecte. Or l'OFPRA dispose le plus souvent d'interprètes pratiquant ce dialecte ou un dialecte proche.
Il est important, je le répète, que les demandeurs puissent exercer leur droit à s'exprimer dans une langue qu'ils pratiquent bien.
L'amendement no 152 de Mme Jeanine Dubié est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
Avis défavorable, pour les raisons que j'ai déjà exposées. Je vous confirme qu'une erreur initiale pourra toujours être rectifiée au cours de la procédure.
Je voudrais, à mon tour, défendre ces amendements.
Madame la rapporteure, vous dites que vous êtes toujours très attentive à ce que disent les agents de l'OFPRA. Écoutez donc ce qu'écrivent les syndicats ASYL et CGT-OFPRA dans leur communiqué du 15 février : « les projets de loi et de décret sont inacceptables en ce qu'ils visent à dissuader les demandeurs d'asile en besoin de protection, réduire leurs droits, restreindre l'accès à la procédure d'asile et nuire à la qualité de l'instruction des demandes par l'OFPRA puis la CNDA, notamment [… ] l'opposabilité au demandeur de la langue sélectionnée au guichet unique tout au long de la procédure d'asile ». Voilà ce qu'écrivent les agents de l'OFPRA, voilà pourquoi ils ont été en grève !
Encore une fois, « les faits sont têtus », comme dirait l'autre. Vous dites que vous êtes attentive aux agents de l'OFPRA, vous dites que vous les écoutez, et vous faites pourtant tout le contraire de ce que recommandent ceux qui sont confrontés à la réalité. J'espère que j'arriverai à comprendre, d'ici à la fin de l'examen du texte, d'où viennent ces certitudes que vous opposez aux agents de l'OFPRA, qui ont été jusqu'à se mettre en grève pour protester contre ce projet de loi. Vous saluez leur travail, mais vous méprisez leurs propos !
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
À ce stade du débat, puisque vous ne voulez écouter ni les députés qui sont professionnels du droit ni les associations que nous avons tenu à saluer hier – même s'il est, hélas, impossible de les citer toutes, tant elles sont nombreuses à s'opposer à ce projet de loi – ,…
… je demanderais à la présidence, si j'en avais le pouvoir, de suspendre nos travaux pour une petite heure. Ceux qui ne l'ont pas fait auraient ainsi le temps de visionner le documentaire Je suis votre avocat, que je vous recommande vivement. La réalisatrice Valérie Denesle a suivi l'avocat Gilles Piquois, qui défend depuis près de trente ans des demandeurs d'asile. Ce documentaire est visible uniquement sur le site de Télérama, en libre accès jusqu'au 13 mai, car aucune chaîne n'a voulu le diffuser.
Allez le visionner, mes chers collègues, il dure cinquante minutes, et ce serait éclairant pour nos débats. Ce témoignage montre bien à quel point le processus de demande et de traitement de l'asile est fragile : un interprète qui traduit approximativement – cela peut arriver – , un agent de l'OFPRA qui ne comprend pas une situation personnelle complexe – cela peut arriver aussi – , les traumatismes d'un parcours qui ne permettent pas au demandeur de délivrer un récit chronologique précis, et c'est fichu pour la demande d'asile ! Je vous le demande de tout coeur : trouvez cinquante minutes pour le visionner avant de voter sur ce texte, car je pense que cela éclairera vraiment nos débats.
Applaudissements sur les bancs des groupes NG, FI et GDR.
Sur l'article 7, je suis saisi par le groupe Nouvelle Gauche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Sandrine Mörch, pour soutenir l'amendement no 699 .
Deux mille : c'est l'estimation du nombre de langues parlées en Afrique. Cela donne toute la mesure des difficultés rencontrées pour identifier la langue appropriée. Même pour les Africains qui viennent de pays francophones, il n'est pas toujours aisé de s'exprimer en français lorsqu'on ne peut comprendre que quelques phrases simples : pourtant, si on leur demande s'ils parlent le français, ils vont acquiescer.
Les travailleurs sociaux ont de grandes difficultés pour trouver les interprètes et sont souvent contraints de faire appel à des bénévoles plus ou moins qualifiés. Même si l'on doit s'efforcer de trouver la langue appropriée le plus tôt possible, comme le prévoit le texte, ce qui est bien en soi, il y aura forcément des erreurs malgré tout le travail que nous avons prévu d'engager pour une meilleure gestion de l'interprétariat. L'enjeu de la langue est grand, car il est terriblement difficile de s'exprimer sur des événements douloureux dans une langue qu'on ne maîtrise pas. Et que vont faire les officiers de protection de l'OFPRA si la personne ne comprend pas la langue utilisée ? Comment établir la vérité du récit ?
Je propose donc d'introduire la possibilité de faire valoir une erreur pouvant manifestement altérer la compréhension des procédures par le demandeur.
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LaREM et NG.
Votre amendement, ma chère collègue, est déjà satisfait, puisque l'erreur peut être rectifiée tout au long de la procédure, tant par les agents de l'OFPRA que par la disposition qui permet l'annulation par la CNDA de la décision de l'Office s'il est manifeste que le demandeur d'asile n'a pas pu être entendu dans la langue qu'il comprenait. À défaut de retrait, l'avis serait défavorable.
Même avis : retrait ou défavorable.
Serait-il possible de le sous-amender en remplaçant les mots : « ou faire valoir une erreur », par les mots : « ou faire valoir une fois une erreur » ?
Je confirme que l'OFPRA reconvoque s'il y a un problème linguistique, ce qui arrive assez régulièrement parce qu'il peut y avoir une différence entre ce qui s'est passé en préfecture et l'instruction du dossier. Mais comme, dorénavant, la question linguistique sera entièrement traitée en préfecture, on peut supposer qu'il y aura moins d'erreurs. Mais, de toute façon, je le redis, l'OFPRA procède systématiquement à une nouvelle convocation lorsque la langue n'est manifestement pas la bonne.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Je ne comprends pas bien l'argument de Mme la rapporteure quand elle dit que, de toute façon, si la langue choisie pendant la procédure n'est pas la bonne, la CNDA pourra revenir dessus : quelle perte de temps ! Et on nous parle de célérité alors qu'il faudra attendre d'arriver jusqu'à la CNDA pour se rendre compte que la langue n'était pas la bonne ! Vous qui aimez la souplesse, madame la rapporteure, devriez le comprendre. Alors soyons souples, soyons efficaces, permettons un droit à l'erreur en la matière, sachant que la personne peut se rendre compte au cours de l'examen de sa demande qu'elle est plus à l'aise dans une autre langue pour s'exprimer. Soyons souples et plus efficaces.
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.
Comme vous, madame la rapporteure, je pense que nombre de dispositions proposées n'ont pas à figurer dans la loi, et celle-ci peut, je vous l'accorde, paraître vraiment très opérationnelle, mais pourquoi ne pas prévoir la possibilité de faire valoir une fois une erreur, d'autant plus que cela irait dans le sens de la défense des personnes les plus fragiles ? Mettons-le dans la loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
L'amendement no 699 n'est pas adopté.
Plusieurs demandes d'explication de vote sur l'article 7 me parviennent.
La parole est à M. Hervé Saulignac, pour le groupe Nouvelle Gauche.
Nous avons bien compris l'esprit initial de cet article qui est d'éviter un certain nombre d'abus, et nous sommes prêts à reconnaître qu'il peut y avoir des manoeuvres dilatoires de la part de ceux qui déclarent une langue en préfecture, puis demandent à en changer en cours de route. Le ministre d'État a très clairement dit que cet article avait pour objectif que la personne ne change pas de langue entre le moment où elle s'est enregistrée et la fin de la procédure.
Pourtant, nous savons que, dans certaines circonstances, il est nécessaire de changer de langue : je pense au cas où la déclaration initiale n'est pas bonne, et sans que cela remette en cause la bonne foi du demandeur d'asile. Moralité : une nouvelle fois, l'objectif de réduction des délais l'emporte sur l'exercice des droits des demandeurs d'asile et, au bout du compte, l'OFPRA se retrouvera avec des demandeurs qui n'auront pas une bonne compréhension de la langue dans laquelle ils devront être entendus. À vouloir accélérer, l'État ira moins vite dans un certain nombre de cas litigieux – car il en demeurera.
Il y avait là une possibilité de souplesse : vous introduisez une contrainte de plus. C'est regrettable. Voilà pourquoi nous ne voterons pas cet article.
Applaudissements sur les bancs du groupe NG.
Nous aussi sommes opposés à cet article, qui est assez représentatif du problème de compréhension entre nous. Car il y a un problème de langue aujourd'hui dans cet hémicycle. Nous parlons tous français, les agents de l'OFPRA et les magistrats expriment leur opposition à cette mesure en français, et nous n'arrivons même pas à nous comprendre – en tout cas, Mme la rapporteure et M. le ministre d'État ont du mal à comprendre la langue que nous utilisons. Dès lors, on conçoit que le dialogue puisse être encore plus difficile lorsqu'il doit se tenir dans une langue qui n'est pas maîtrisée.
La rapporteure a expliqué qu'il sera toujours possible de régler ultérieurement les problèmes qui pourraient surgir, mais cela va tout de même un peu à l'encontre de l'objectif de célérité et d'efficacité qui est affiché. Si vous votez cet article, vous voterez du contentieux en plus et l'allongement des délais. Pour le coup, c'est incompréhensible dans n'importe quelle langue. Voilà pourquoi nous vous appelons à voter contre cet article.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
La parole est à M. Richard Ferrand, pour le groupe La République en marche.
« Ah ! » sur les bancs du groupe LR.
Il permet en effet d'éviter les manoeuvres dilatoires et introduit plus d'efficacité, l'administration pouvant ainsi répondre dans de meilleurs délais pour faire droit ou ne pas faire droit. En vérité, dès lors qu'il s'agit de faire simple, de faire efficace, …
… pour que le droit s'applique dans les meilleures conditions possible, c'est un article de bon sens. Il est vain d'user de langue de bois ou de polémique : reconnaissons simplement que, en l'espèce, le droit s'appliquera mieux. Par conséquent, tout le monde devrait voter cet article.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LaREM.
La parole est à Mme Isabelle Florennes, pour le groupe du Mouvement démocrate et apparentés.
Notre groupe est favorable à l'article 7. Nous faisons confiance aux dispositions prévues et au travail des agents de l'OFPRA.
Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur de nombreux bancs du groupe LaREM.
Il est procédé au scrutin.
Nombre de votants | 108 |
Nombre de suffrages exprimés | 99 |
Majorité absolue | 50 |
Pour l'adoption | 81 |
contre | 18 |
L'article 7 est adopté.
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article 7 bis.
La parole est à Mme Jacqueline Maquet.
Les débats sont intéressants, mais ils ne peuvent à mon sens se dérouler sans que nous nous interrogions sur l'efficience de nos accords internationaux, y compris européens ou bilatéraux, comme l'a montré Marielle de Sarnez lors de son intervention dans la discussion générale.
Je veux notamment parler des accords de Dublin : le Président de la République a récemment encore qualifié, à Strasbourg, le débat sur la répartition par quota – terme que je ne goûte que peu – , d'« empoisonné ». Force est de constater qu'il a entièrement raison, tant ce mécanisme est inefficace sur le plan national, et bafoué sur le plan européen, notamment par la Pologne et par la Hongrie.
Certains territoires doivent bénéficier d'un cadre européen favorable et solidaire. À cet égard, et pour ne citer que les accords du Touquet – sur lesquels je ne m'étendrai pas aujourd'hui, mais dont on ne peut réellement dire qu'ils aient démontré une parfaite solidarité franco-britannique et une totale efficacité – , ceux-ci n'apparaissent pas un outil d'une grande pertinence.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Cet article touche à un sujet assez compliqué, typique de la manière dont le Gouvernement force la majorité à adopter des dispositions sur lesquelles il revient.
Il faut rappeler les faits : en février dernier, le Gouvernement avait demandé à la majorité de ne pas déposer d'amendements ou de les retirer afin de faire adopter au plus vite la proposition de loi Warsmann, qui remettait en cause le régime d'asile européen. Par la suite, quand bien même le Sénat a durci le texte de manière inacceptable, le Gouvernement a fait preuve d'une étonnante conception de la séparation des pouvoirs et du travail du législateur, et surtout d'une certaine irresponsabilité, en faisant accepter par la majorité que, entre le 20 mars 2018 – date de promulgation de la proposition de loi Warsmann – et la date définitive d'adoption du projet de loi que nous examinons, de nombreuses personnes subissent concrètement les durcissements votés par le Sénat.
L'un de ces durcissements, que vous aviez alors cautionné, monsieur le ministre d'État, et sur lequel vous voulez revenir à présent, est traité dans cet article : il s'agit de réinstaurer un délai de recours de quinze jours pour le demandeur d'asile qui conteste la décision de transfert vers un autre État au titre du règlement « Dublin ». Vous aviez forcé nos collègues de la majorité à accepter un délai de recours de sept jours, délai bien trop court, vous-même en convenez. Combien de demandeurs d'asile n'ont ainsi pas pu exercer totalement leurs droits en raison de toutes ces tambouilles politiciennes, confuses et bien peu respectueuses du travail du Parlement ?
Il est vrai que les sénateurs avaient aggravé le texte adopté par l'Assemblée nationale sur le régime d'asile européen et qu'il est opportun de revenir sur ces aggravations.
Je tiens à rappeler que le groupe GDR est fondamentalement opposé à l'objectif poursuivi par la loi Warsmann, celui de garantir la pleine effectivité du règlement « Dublin », une loi que nous avons combattue car elle marque, selon le Défenseur des droits lui-même, un tournant sans précédent dans l'histoire de la rétention administrative des étrangers.
En effet, elle a créé une mesure inédite de rétention, indépendante de toute décision d'éloignement : une mesure de privation de liberté dite « de confort ». Jusqu'à présent, la rétention ne pouvait concerner que des personnes en situation irrégulière, n'intervenait que pour exécuter une décision d'éloignement et ne devait durer que le temps strictement nécessaire à organiser le départ de la personne concernée. Dorénavant, elle s'appliquera à un très grand nombre de personnes en procédure dite « Dublin », ce qui conduira à un enfermement massif et disproportionné.
L'objectif est clair : augmenter les taux de placement en rétention, donner à l'administration la possibilité d'enfermer un maximum de personnes, y compris en situation régulière, puis accélérer les transferts de personnes sous procédure « Dublin ». Cette loi témoigne de la dérive qui consiste à multiplier les obstacles et les contrôles pour entraver l'accès des étrangers à leurs droits fondamentaux.
Nous, à l'opposé de cette loi sur l'asile européen et de ce projet de loi, considérons que la France doit se montrer fidèle à sa tradition de terre d'asile. C'est une exigence morale ainsi qu'une exigence au regard de l'histoire et des valeurs de notre République, mais également une obligation juridique au regard du droit international.
Cela fait en effet un mois qu'a été publiée au Journal officiel la loi du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d'asile européen, plus connue sous le nom de proposition de loi Warsmann, que nous avons définitivement adoptée ici le 15 février 2018.
Je suis au regret de vous annoncer que nous ne célébrerons pas d'autre anniversaire de cette loi : par un de ces tours de passe-passe dont nos collègues de la majorité sont coutumiers, il va en effet être mis un terme à la carrière de cette loi qui a pourtant été adoptée tant par l'Assemblée nationale que par le Sénat.
Est-ce là une bonne façon de faire la loi ? Je ne le crois pas. Cette manière, qui crée un précédent, va cependant peut-être nous remettre en mémoire une question à propos d'une proposition de loi sur la rétention des mineurs qui a été déposée en fin d'année par le groupe majoritaire : je vous ai posé cette question hier et nous n'avons toujours pas obtenu de réponse.
Mes chers collègues, c'est vraiment étonnant : d'une part, nous votons des textes dont on s'aperçoit qu'ils ne sont pas assez complets, et, d'autre part, pour calmer une partie du groupe majoritaire à tendance frondeuse, on promet un groupe de travail qui débouchera sur une proposition de loi.
Nous ne connaissons que trop bien ce mécanisme. Or l'article 7 bis traite effectivement du règlement de Dublin, qui est effectivement un sujet de préoccupation, en premier lieu en raison de l'absence de volonté politique qui permettrait de l'appliquer.
Monsieur le ministre d'État, en 2017, la France a effectué, conformément à la procédure Dublin, 2 633 transferts – alors que nous avions obtenu 29 000 réponses positives de nos partenaires qui nous auraient permis de leur retransférer autant de « dublinés » – , soit un taux d'application de 9 %.
Cette absence de volonté politique saute donc aux yeux. Alors que notre taux d'application n'atteint pas 10 %, celui qui est constaté dans certains États membres de l'Union européenne – que l'on ne peut pas qualifier d'extrémistes : je pense en particulier à des pays nordiques comme la Suède ou à la Finlande – s'élève à 60 %, voire à 70 %.
Il vous appartient donc, monsieur le ministre d'État, de mener un travail de renégociation du règlement de Dublin, en prenant en compte la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne où ce même règlement cessera donc, à terme, de s'appliquer.
Aujourd'hui, dans le Calaisis, monsieur le ministre, vous avez sciemment choisi de ne pas appliquer ce règlement. Or cela conduit pourtant, localement, à ce que des centaines de demandeurs d'asile potentiels restent bloqués sur place et, en définitive, ne déposent pas de demande d'asile. En effet, ils ne veulent pas être accueillis par la France, car ce règlement leur fait peur.
Nous l'avions dit lors de l'examen de la proposition de loi Warsmann : nous sommes opposés aux dispositifs qu'elle a mis en place. Nous voterons donc, par cohérence, pour l'article 7 bis qui, de fait, revient sur cette proposition de loi.
Permettez-moi cependant d'interroger une fois encore la majorité sur son incohérence. Elle n'a de cesse de se plaindre du nombre de débats parlementaires – alors que nous trouvons, nous, qu'ils sont aussi importants qu'intéressants – , elle considère que tout prend trop de temps et qu'il faut aller vite, mais elle montre, en l'occurrence, qu'elle a tendance à confondre vitesse et précipitation. Or cette attitude entraîne, de fait, plus de problèmes qu'elle n'en résout. À intervalles réguliers, la majorité nous fournit des illustrations parfaites de l'incohérence de sa méthode.
Nous avons déjà eu ce débat, en première et en deuxième lectures, lors de l'examen de la proposition de loi Warsmann. Nous avions défendu des amendements correspondant à ce que la majorité propose à présent, mais elle les avait rejetés, privilégiant des stratégies qui, pour légitimes qu'elles lui paraissent, n'en ont pas moins pour conséquence de nous contraindre, aujourd'hui, à détricoter ce qui avait alors été voté.
Pour notre part, nous considérons que c'est une bonne chose, mais nous aurions gagné du temps, de l'énergie ainsi qu'un certain nombre de moyens budgétaires – ce qui n'est pas indifférent, car vous vous montrez très soucieux de ces questions – en adoptant les amendements que nous avions initialement déposés.
Nous avons donc là, véritablement, un parfait exemple de l'incohérence comme de l'inefficacité de la majorité, qui crée plus de problèmes qu'elle n'en règle. Chers collègues, réfléchissez, au moment de voter pour cet article, à tous les autres sur lesquels nous vous avons déjà alertés.
Je soutiens bien évidemment, par cohérence, l'article 7 bis. Nous avions constaté un vide juridique que nous avons comblé, dans l'urgence. Le Gouvernement revient aujourd'hui sur diverses dispositions qui, à l'époque, avaient été durcies par le Sénat, et je m'en félicite. Il ne s'agit pas de calmer la majorité, mais de trouver un juste équilibre afin de rétablir à quinze jours, au lieu de sept, le délai de contestation devant le juge administratif d'une décision de transfert. Madame Obono, reconnaissez qu'il existait un vide juridique. Je soutiens donc le ministre.
Il ne s'agit pas de nous calmer, bien au contraire. Vous avez parlé d'absence de volonté politique : cette volonté existe pourtant bien, comme en témoignera le nombre de personnes qui, cette année, seront reconduites à la frontière. Nous ferons les comptes à ce moment-là : je pense que la droite sera très satisfaite.
Nous en venons aux amendements à l'article 7 bis.
Je suis saisi de trois amendements de suppression de l'article, nos 365, 502 et 562.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 365 .
Je ne reviens pas sur l'historique de l'article 7 bis, plusieurs collègues l'ont déjà fait avant moi. Il vise à revenir sur une disposition introduite en première lecture par le Sénat au moment de l'examen de la proposition devenue la loi du 20 mars 2018, et dont vous aviez pourtant alors souligné l'urgence. Elle permet une bonne application du régime d'asile européen.
Il s'agissait en fait d'une urgence toute relative, puisque vous revenez, un mois plus tard, sur cette même disposition. Les sénateurs avaient jugé qu'un délai de sept jours était suffisant pour qu'un étranger faisant l'objet d'une décision de transfert puisse demander son annulation au juge administratif.
Je partage totalement leur point de vue. Je précise qu'il s'agit d'une décision de transfert vers un autre État membre de l'Union européenne s'appliquant à un étranger faisant l'objet de la procédure de Dublin.
Comme les sénateurs, je crois que des délais courts participent tant du désengorgement des tribunaux que de l'efficacité de l'administration, sans que cela ne remette aucunement en question le droit de recours.
Une telle disposition va d'ailleurs dans le sens de l'avis rendu par le Conseil d'État le 15 février 2018 sur le projet de loi dont nous discutons, et qui encourage la promptitude des décisions.
Pour cette raison, je demande la suppression de l'article 7 bis.
En définitive, monsieur le ministre d'État, cet article démontre que vous êtes un faux dur. En effet, vous revenez sur une disposition que vous aviez fait avancer en demandant courageusement à un groupe ami de la majorité de faire inscrire dans notre droit, au moyen de la proposition de loi de notre collègue Jean-Luc Warsmann, une disposition que vous ne vouliez pas assumer vous-même.
Sa proposition de loi était utile, puisqu'elle avait pour objectif de redonner un sens à l'application du règlement de Dublin. Aujourd'hui, 36 % des demandeurs d'asile relèvent de ce règlement. Ces mêmes demandeurs d'asile qui sont interpellés ou qui sont recensés en France, devraient voir la procédure d'examen de leur demande d'asile conduite dans le premier pays dans lequel ils ont été recensés. Par conséquent, la France devrait reconduire vers ces pays d'entrée les demandeurs d'asile qui relèvent de cette procédure.
Or, si l'on peut estimer qu'ils sont, dans notre pays, plusieurs dizaines de milliers d'étrangers à être dans ce cas, à peine 5 % d'entre eux sont reconduits vers l'État membre de l'Union européenne dans lequel ils ont d'abord fait leur entrée.
Un tel chiffre est ridicule : monsieur le ministre d'État, si vous régliez ce problème, ou tout du moins si vous le gériez mieux, un remède très efficace serait apporté aux difficultés et à l'embolie dont est aujourd'hui victime le système d'examen et de traitement des demandes d'asile.
Or, en l'espèce, vous revenez sur cette disposition, qui était positive, qui allait dans le bon sens et qui facilitait les choses. Une fois encore, vous avez eu peur, peut-être de vos audaces, même si, en l'occurrence, vous aviez délégué à d'autres le soin d'inscrire dans la loi la disposition dont nous débattons.
Vous cédez donc une nouvelle fois à l'aile gauche de votre majorité, par ce compromis visible et officiel. Je crains qu'il n'y en ait d'autres, notamment sur les régularisations. Cette méthode est détestable : nous la condamnons fortement en demandant la suppression de l'article 7 bis.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
N'y a-t-il pas là une tentative d'escroquerie à l'hospitalité ? Il s'agit en effet d'un étranger qui demande l'asile dans un pays d'Europe alors qu'on a déjà refusé de le lui accorder dans un autre. Il est incompréhensible qu'on puisse montrer de la complaisance pour un tel comportement, en allongeant le délai de recours. C'est pourquoi, par cet amendement, nous demandons la suppression de l'article 7bis.
Les accords de Dublin permettent de renvoyer les étrangers concernés dans l'État membre de l'Union européenne – il s'agit souvent de l'Italie ou de la Grèce – où ils ont été enregistrés pour la première fois. Si la procédure de reconduite n'était pas rapide, les demandeurs d'asile auraient le temps de faire le tour de toutes les administrations européennes, alors que l'on sait pertinemment que ce système, insuffisamment utilisé, évite les procédures dilatoires.
Monsieur le ministre d'État, je ne vous traiterai pas, moi, de « faux dur ». À mon sens, l'article 7 bis, dont nous demandons la suppression, fait éclater la vérité sur votre projet.
Applaudissements parmi les députés non inscrits.
Pour mémoire, l'Assemblée nationale avait voté la proposition de loi de Jean-Luc Warsmann qui fixait à quinze jours le délai au cours duquel un étranger peut user de son droit de recours à l'encontre une décision de transfert le concernant. Or, lorsque cette même proposition de loi est revenue du Sénat, le délai avait été réduit à sept jours. Plusieurs députés du groupe La République en marche avaient alors demandé un retour à la rédaction initiale votée par l'Assemblée nationale. Tel est l'objet de cet article.
Madame Le Pen, il s'agit ici de préserver, quelles que soient les procédures visées, l'effectivité du droit au recours.
Un tel souci nous est dicté par notre histoire, notre justice, notre Constitution : il me semble par conséquent tout à fait normal de pouvoir, quelles que soient les personnes visées et quelles que soient les procédures, préserver ce droit effectif au recours.
La commission est donc défavorable à ces trois amendements de suppression.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Je souhaite expliquer de nouveau l'ensemble du processus. La procédure Dublin est relativement complexe. Lorsque je suis arrivé au ministère, nous en usions assez peu. Puis nous avons donné des consignes aux préfets, ce qui nous a conduits à commencer d'éloigner diverses personnes qui avaient été déboutées du droit d'asile dans un autre État membre de l'Union européenne et qui redemandaient l'asile en France.
La Cour de cassation a ensuite rendu un arrêt qui faisait lui-même suite à un arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne à propos de la République tchèque. Tirant les conséquences de celui-ci, la Cour de cassation avait indiqué qu'il n'existait plus de moyens juridiques d'opérer certains transferts.
Par conséquent, si nous n'avions rien fait, il ne nous aurait plus du tout été possible d'éloigner les étrangers concernés. C'est pour cette raison que nous avons fait adopter la loi Warsmann, qui est entrée en vigueur le 20 mars 2018.
Depuis cette date, nous procédons donc à nouveau à des transferts. Comme vous l'a dit très justement Mme Sonia Krimi, la vérité de l'intention réside dans l'acte : nous verrons donc en fin d'année à combien de transferts nous avons procédé. Nous constatons d'ores et déjà qu'à compter du 20 mars les transferts ont repris.
Je ne sais donc pas si nous sommes des faux ou des vrais durs : ce que je sais, c'est que nous voulons être justes mais efficaces.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Monsieur le ministre d'État, la loi Warsmann du 20 mars 2018, nous l'avons votée. Éric Ciotti et moi étions montés à la tribune de l'Assemblée nationale pour apporter le soutien du groupe Les Républicains à cette correction technique nécessaire. Ce que nous vous reprochons, c'est qu'un mois seulement après l'entrée en vigueur de cette loi, publiée au Journal officiel de la République française, vous l'abrogiez, …
Nous l'abrogeons ? Allons, allons !
… partiellement, certes, mais s'agissant d'un dispositif essentiel. Quelle inconstance !
Et pourquoi cette inconstance ? Pour des raisons exclusivement politiques ! Nous avons bien vu que, depuis cinq jours, vous tentiez de ménager la chèvre et le chou. Vous avez essayé de conclure de petits arrangements entre les différentes sous-tendances de la très vaste majorité macroniste.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Sonia Krimi, courageusement, vous a souvent contesté ; elle vous rallie aujourd'hui sur cet amendement, car vous avez choisi de faire une concession qui va affaiblir l'efficacité de la procédure Dublin. Nous le regrettons, pour la France, pour les Français et aussi pour les demandeurs d'asile.
Exclamations sur les bancs du groupe FI.
Eh bien, nous verrons à la fin de l'année !
M'étant déjà exprimée sur le règlement Dublin, je ne serai pas longue. Nombreux sont ceux qui dénoncent des dysfonctionnements. Mais, monsieur Larrivé, je suis en total désaccord avec vous : le débat parlementaire consiste bien à trouver une voie de consensus ; c'est d'ailleurs ce qui nous honore, toutes et tous.
Je suis en profond désaccord aussi avec les amendements tendant à supprimer l'article.
J'ai bien entendu vos explications, monsieur le ministre d'État, et je vous en remercie. Je suis critique envers l'application à la lettre du règlement Dublin. J'ai bien conscience que ce règlement existe et qu'il est de droit. Néanmoins, dans les réadmissions que vous évoquez, je pense qu'il y a une distinction à faire entre, d'un côté, l'Allemagne et les pays du Nord de l'Europe et, de l'autre, l'Italie, l'Espagne et la Grèce, qui ne sont pas du tout confrontées aux mêmes réalités en matière de flux d'immigration. Je souhaiterais, si cela est possible, avoir un éclaircissement sur ce point, afin de vérifier qu'actuellement la France ne reconduit personne vers la Grèce, l'Italie ou l'Espagne.
Nous considérons quant à nous que le règlement Dublin ne fonctionne pas du tout, qu'il faudrait en suspendre l'application et le renégocier – nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls : c'est ce que l'on pense aussi dans d'autres pays européens, comme l'Italie ou la Grèce. Ce serait une décision de bon sens. Tout le monde se rend compte, même si chacun continue à faire semblant de l'appliquer partiellement ou à moitié, que, comme pour d'autres procédures, cela ne sert rien, voire cela complique un certain nombre de situations. Nous sommes donc bien évidemment opposés à ces amendements, qui visent à supprimer l'article.
Excusez-moi, chers collègues de la majorité, mais je vais devoir vous confronter de nouveau à votre incohérence, sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres. Durant l'examen en seconde lecture de la proposition de loi Warsmann, lors de la discussion générale, Mme la rapporteure avait appelé la majorité à adopter le texte conforme, tel qu'issu des travaux du Sénat, en ces termes : « Nous devons voter conforme le texte modifié par le Sénat » – ce qui inclut donc ce qui est aujourd'hui détricoté. « Il me semble essentiel de nous souvenir de la raison pour laquelle nous, députés, représentants de la nation, siégeons dans cet hémicycle. Nous sommes ici pour légiférer, ce qui ne consiste pas uniquement à échanger des points de vue, s'envoyer mutuellement des paroles et faire résonner des mots. Il s'agit de débattre en vue de fabriquer la loi, ce qui consiste à forger des outils juridiques permettant aux agents de police et aux fonctionnaires préfectoraux d'agir, en l'espèce d'appliquer un règlement européen qui nous engage. » Ce ne sont pas des paroles à prononcer à la légère ; or elles ont bien été dites, les vidéos le montrent. Et c'est la même personne qui nous appelle aujourd'hui, avec la même solennité, à détricoter ce qu'elle avait appuyé par tant de mots et tant d'efforts !
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Sur le fond, nous ne sommes pas convaincus, même si, en définitive, on aboutit à ce que nous proposions.
Monsieur le président, faites respecter le temps de parole !
Claquements de pupitres sur certains bancs des députés non inscrits.
Madame Obono, je vous remercie.
Je signale aux députés non inscrits siégeant sur ma droite que les claquements de pupitres n'ont aucun effet sur le chronomètre qui se trouve devant mes yeux.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Madame Ménard, l'urgence dans l'adoption du dispositif qui avait été inclus dans la proposition de loi portait, non pas sur les délais de recours, mais sur la caractérisation des risques non négligeables de fuite.
Le ministre d'État l'a d'ailleurs rappelé tout à l'heure. C'était une réponse à un appel du pied de la Cour de cassation. Je ne crois pas que le législateur doive rester sourd à ce type de recommandation. Nous avons donc répondu à cette urgence, et cela dès la première lecture du texte, en trouvant un équilibre. Or le Sénat a apporté des ajouts, lesquels, bien évidemment, avaient été minutieusement choisis pour porter atteinte à cet équilibre qui faisait une distinction entre le demandeur d'asile de bonne foi et celui qui avait une intention frauduleuse. Il nous a, volontairement, pour des raisons politiques, placés devant une difficulté : celle de donner aux services l'opérabilité que vous appelez régulièrement de vos voeux, tout en restant sur cette ligne de crête. Si nous avons choisi d'adopter le texte conforme, c'est que nous savions que le projet de loi sur l'asile venait derrière et que nous pourrions corriger les choses.
Exclamations sur les bancs des groupes LR, FI et parmi les députés non inscrits.
Cela avait été annoncé et assumé dès l'examen du texte en commission des lois.
Ne dénoncez donc pas des arrangements : c'est faux ! C'est l'inverse : nous avons contourné les arrangements que le Sénat cherchait à nous imposer – et nous tenons parole.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs du groupe FI.
S'agissant du délai de quinze jours, nous en avons déjà longuement discuté. Il apparaît que c'est un délai raisonnable ; un délai de sept jours nous paraît au contraire déraisonnable. Et il est parfaitement cohérent, monsieur Larrivé, de revenir sur ce délai, eu égard aux dispositions que nous sommes en train d'adopter dans les autres articles du texte.
Enfin, monsieur Ciotti, je ne pense pas que ce soit l'apanage d'un ministre que d'être dur ; il lui faut être juste et ferme, ce qu'est Gérard Collomb.
Exclamations sur les bancs des groupes LR et NG. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Sourires.
Quant à l'escroquerie à l'hospitalité, madame Le Pen, n'oubliez pas qu'il existe aussi une escroquerie aux idées diffusées auprès des Français. Ce que vous dites est faux. Nous ne céderons pas !
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
L'article 7 bis est adopté.
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article 8.
La parole est à Mme Valérie Boyer.
L'article 8 prévoit que le droit au maintien sur le territoire pendant l'examen de la demande d'asile cesse dès que la lecture en audience publique de la décision de la CNDA a eu lieu. Je rappelle que, avant 2015, le recours à la CNDA n'était pas suspensif et que c'est la majorité précédente, socialiste, qui a fait en sorte que ce soit le cas.
Résultat : certains étrangers demandent tardivement l'asile et font un recours devant la CNDA afin de pouvoir rester sur le territoire français et éviter l'expulsion.
Je rappelle aussi que 96 % des déboutés du droit d'asile restent en France et que le budget consacré aux expulsions a baissé de 7 %. Aujourd'hui, nous sommes une fois de plus confrontés à un allongement et à un encombrement des procédures. Ce que vous présentez comme un objectif de réduction des délais ne sera pas atteint, ou ne le sera que de façon très marginale.
L'article 8 participe de la diminution généralisée des droits procéduraux. Or, sans garanties procédurales, il n'y a pas de droits fondamentaux – cela relève malheureusement d'une logique implacable. Quelle est l'utilité d'intenter un recours contre une décision de rejet de demande d'asile si le requérant est déjà expulsé lorsque la CNDA lui donne raison ? Le Gouvernement veut déjà réduire coûte que coûte les délais de recours ; pourquoi en ôter de surcroît le caractère suspensif ?
On sait bien que, en réalité, votre objectif est de détruire le droit d'asile. Pour ce faire, vous vous attaquez à toutes les garanties procédurales possibles : vous rognez un délai par-ci, vous retirez un caractère suspensif par-là, vous détricotez les garanties juridictionnelles pour pouvoir dire à la fin que vous n'avez pas touché au droit d'asile sur le fond, alors que vous l'aurez vidé de toute substance.
Certes, la majorité va nous répéter qu'il est possible de faire un recours devant le tribunal administratif pour rétablir le caractère suspensif. En quinze jours, il faudrait donc que les demandeurs ou demandeuses d'asile, qui, souvent, maîtrisent encore mal la langue française, fassent, non pas un, mais deux recours, sous la menace d'une expulsion.
Il est par conséquent tout à fait ridicule de penser qu'il s'agit de rendre le droit d'asile effectif. On se rend bien compte que le titre donné au projet de loi ne procède que d'une communication cynique. Nous sommes résolument opposés aux modifications prévues par l'article.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
L'objectif de l'article 8 est double. Il s'agit d'abord de rendre plus efficaces les décisions de l'OFPRA et de la CNDA et d'élargir le champ des circonstances exceptionnelles dans lesquelles le maintien de l'étranger sur le territoire ne peut plus être autorisé. Actuellement, quand la CNDA rejette un recours par principe, le refus de séjour subséquent est notifié au demandeur débouté, lequel conserve le droit de se maintenir jusqu'à réception de la notification. La première avancée permise par l'article est de rendre effective la décision de la CNDA à la date de sa lecture en audience publique ou de sa notification, si elle est rendue par ordonnance. Aussi le droit du requérant débouté de se maintenir sur le territoire français cessera-t-il le jour où la CNDA statuera publiquement.
La deuxième avancée permise par cet article est d'étendre à trois nouvelles situations l'exception de recours non suspensif devant la CNDA en fonction de circonstances exceptionnelles, qui sont limitativement déterminées : premièrement, aux demandes émanant de ressortissants de pays sûrs ; deuxièmement, à ceux dont la demande de réexamen aurait été rejetée ; enfin, à ceux représentant une menace grave pour l'ordre public. La loi tend ainsi à synchroniser les interventions du juge de l'asile et du juge de l'éloignement, et entend poursuivre la lutte contre les procédures de demande d'asile dilatoires ou abusives, tout en apportant des garanties en matière de sûreté du territoire et de protection de la société.
Enfin, l'article 8 s'inscrit dans la volonté d'aboutir à un juste équilibre des dispositifs, la loi entourant ces mesures de sortie obligatoire de garanties pour le demandeur, en lui reconnaissant le droit de saisir le tribunal administratif pour requérir la suspension de l'effet exécutoire de la décision de l'OFPRA.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Décidément, votre souci d'efficacité dans l'expulsion vous fait oublier les règles les plus élémentaires de notre droit destinées à garantir un recours effectif ! À cet effet, le caractère systématiquement suspensif du recours devant la CNDA avait été établi par la loi de 2015, adoptée par la précédente majorité afin de nous mettre en conformité avec la décision de la Cour européenne des droits de l'homme, qui, dans son arrêt du 2 février 2012, avait condamné la France, jugeant que l'effectivité d'un recours « requiert également que les intéressés disposent d'un recours de plein droit suspensif ». L'article 8 contrevient donc à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme : comment peut-on garantir un droit de recours effectif quand la procédure mise en oeuvre permet l'expulsion avant même que soit prise la décision définitive ?
Monsieur le ministre d'État, je vous demande donc si vous avez prévu les modalités de retour ici, en France, des personnes dont la CNDA aura décidé qu'elles doivent avoir le statut de réfugié et qui auront été expulsées de France. Petite question, n'est-ce pas ?
Est-il utile de rappeler en outre les termes de l'avis du Conseil d'État, qui « recommande instamment de renoncer à ces dispositions contraires aux exigences d'une bonne administration de la justice » ?
Enfin, le Défenseur des droits demande lui aussi instamment le rétablissement du caractère suspensif du recours devant la CNDA, afin de garantir le droit au recours effectif de tous les demandeurs d'asile, auxquels Mme la rapporteure, lors de l'examen de l'article précédent, nous disait être particulièrement attachée. On est là en pleine contradiction. Nous ne pouvons nous résoudre à un tel recul, et nous demandons le retrait de cette disposition.
De nombreux collègues se sont exprimés sur le recours effectif : ce ne sera pas l'objet de mon intervention. Aujourd'hui, monsieur le ministre d'État, nous ne parvenons pas à reconduire à la frontière ceux qui n'ont pas de titre de séjour en France ; ces personnes restent sur notre territoire dans l'espoir de remplir un jour les conditions d'une régularisation. Le présent article répond à la volonté de mettre en oeuvre, le plus rapidement possible, les mesures d'éloignement et de cessation d'octroi des conditions matérielles d'accueil.
Je veux néanmoins revenir sur la rédaction du deuxième alinéa, qui à mon avis soulève une difficulté. La décision de la CNDA est en effet rendue trois semaines environ après l'audience. Or, une fois qu'il aura regagné son domicile, le demandeur d'asile ne pourra sans doute pas, compte tenu de sa précarité matérielle, se rendre une nouvelle fois en région parisienne, où se situe l'unique juridiction au niveau national. Cette personne ne pourra donc prendre connaissance de la décision qui la concerne, alors que, dès qu'elle est prononcée, celle-ci revêt un caractère exécutoire. Par ailleurs, la décision est seulement affichée dans le hall de la CNDA, de sorte que, même si le demandeur d'asile est présent, il ne pourra en connaître les motifs exacts.
Cette question, je le sais, a été maintes fois abordée ; mais, en cas de rejet, le demandeur se trouve dans l'incapacité de faire valoir ses arguments dans la requête en annulation qu'il sera amené à déposer. Il se trouvera alors en difficulté aussi pour contester la mesure d'éloignement prise dans la foulée par l'autorité préfectorale.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
L'article 8 prévoit que le droit au maintien sur le territoire cesse dès la lecture en audience publique de la décision de la CNDA, et non plus à la notification de la décision. Cette mesure, qui contrevient au droit à un recours effectif, permettrait d'expulser un demandeur alors même qu'il n'aurait eu connaissance ni du sens de la décision ni du contenu de sa motivation. Il serait dès lors dans l'impossibilité de former un pourvoi en cassation dans le délai de deux mois qui lui est imparti.
De plus, cet article prévoit d'élargir les cas où le recours devant la CNDA ne présentera plus de caractère automatiquement suspensif. Dans les trois hypothèses envisagées, le droit au maintien sur le territoire jusqu'à la décision de la CNDA sera supprimé. Le demandeur devra donc saisir le tribunal administratif pour demander la suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement prononcée à son encontre, ce qui obligera les juges administratifs à statuer sur le fond des demandes d'asile, compétence jusqu'alors réservée à la CNDA.
Le juge administratif devrait alors examiner les éléments sérieux de la demande d'asile de nature à justifier le maintien ou non du demandeur sur le territoire français. Un tel glissement du contentieux de l'asile vers le contentieux administratif apparaît illisible et, de surcroît, source de contentieux dans la mesure où il entraîne un examen parallèle des mêmes éléments par des juges distincts, avec le risque que les deux procédures débouchent sur des décisions contradictoires.
Enfin, soulignons que, dans une lettre adressée aux députés français, le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe s'est inquiété « de la suppression du caractère automatiquement suspensif des recours déposés devant la CNDA par certaines catégories de demandeurs d'asile ».
Comme les orateurs précédents, nous nous opposons bien entendu à cet article qui montre, une fois encore, combien les dispositions qui visent prétendument l'efficacité n'ont d'autre objectif que de faciliter l'expulsion des demandeurs d'asile. Je veux à cet égard relayer la question de notre collègue Laurence Dumont sur les moyens. Une étude d'impact a-t-elle été menée sur ce point, pour assurer le retour des personnes ayant fait l'objet d'une décision d'expulsion ?
Cet article met fin au recours suspensif de la CNDA, qui devient l'exception, alors qu'il empêchait, auparavant, toute mesure d'éloignement. Il permet en outre le placement en détention d'une personne le jour de la lecture de la décision de la CNDA. Comme l'ont souligné de nombreux magistrats eux-mêmes, cela porte atteinte aux droits fondamentaux, y compris quant à l'exécution pleine et entière des décisions de justice. C'est dire votre incohérence, lorsque vous affirmez que ces mesures faciliteront le travail des magistrats et des agents, et permettront de rendre le droit d'asile effectif.
C'est tout le contraire qui se produira ; aussi défendrons-nous des amendements visant à encadrer le dispositif, non sans avoir demandé, auparavant, la suppression de cet article contre-productif et inefficace.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe FI.
M'exprimant pour la première fois dans ce débat, monsieur le ministre d'État, je ne parviens pas à comprendre ce qui vous conduit aujourd'hui à nous soumettre des dispositions comme celles de l'article 8. Tout d'abord, vous entendez transformer l'OFPRA en une juridiction, ce qui ne correspond ni à sa fonction ni à sa mission. Cela me semble donc être une mauvaise idée de lui conférer, fût-ce de façon progressive, la responsabilité d'examiner des appels juridictionnels.
Vous souhaitez également supprimer le caractère suspensif des recours formés devant la CNDA. Or, les orateurs précédents l'ont dit, cette mesure est contraire, non seulement à une décision rendue en 2012 par la Cour européenne des droits de l'homme, mais aussi à la philosophie de la loi de 2015, que vous aviez votée en tant que sénateur, comme tous les élus progressistes de gauche de cette assemblée.
Enfin – et pour faire court, monsieur le président – , le député frontalier de l'Espagne que je suis ne peut s'empêcher de vous demander de penser au regard que nos voisins européens portent sur les choix politiques, moraux et culturels du Parlement français. Comme je l'ai encore vérifié cette semaine, le regard des Espagnols à l'égard de la France est très critique, s'agissant de l'exil et de l'accueil des réfugiés sur notre territoire.
Mes chers collègues, comme vous le savez sans doute, ce matin, pendant nos travaux, un drame s'est produit aux abords de l'Assemblée nationale. Une collaboratrice de notre collègue Jeanine Dubié est décédée dans un accident de vélo en se rendant ici, à l'Assemblée nationale, son lieu de travail.
Afin de permettre à tous ceux qui le souhaitent de se recueillir – députés évidemment, collaborateurs et fonctionnaires – , un rassemblement sera organisé dans la cour d'honneur de l'Assemblée nationale à quatorze heures quarante-cinq.
En la mémoire de cette personne, et par solidarité avec sa famille et ses proches, les députés observeront également une minute de silence dans l'hémicycle à la reprise de nos travaux.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Suite de la discussion du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.
La séance est levée.
La séance est levée à treize heures dix.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Catherine Joly