Mercredi 8 novembre 2017
La séance est ouverte à seize heures vingt.
(Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente)
La commission des affaires sociales poursuit l'examen des articles sur le projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 237) (M. Laurent Pietraszewski, rapporteur)
Chers collègues, nous reprenons l'examen de l'article du projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social.
Nous en venons aux amendements portant sur l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales.
Je vous rappelle que l'amendement AS238 du rapporteur, autorisant la ratification de cette deuxième ordonnance, est réservé jusqu'à la fin des amendements visant à la modifier.
La Commission est saisie des amendements identiques AS49 de M. Pierre Dharréville, et AS133 de M. Boris Vallaud.
L'article 1er de l'ordonnance relative à l'organisation du dialogue social fusionne au sein d'une instance unique, le comité social et économique (CSE) les délégués du personnel, le comité d'entreprise, et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
Alors que le Gouvernement prône le renforcement du dialogue social, les premiers décrets pris en application de ces dispositions démontrent l'affaiblissement de la représentation du personnel dans les entreprises, puisque les élus seront moins nombreux et disposeront de moins d'heures de délégation.
Notre amendement AS49 propose en conséquence la suppression des dispositions issues de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 et le rétablissement des dispositions antérieures.
Par notre amendement AS133, nous souhaitons également revenir à l'organisation antérieure du dialogue social dans l'entreprise.
En 2015, une réforme structurelle, dite « loi Rebsamen », a procédé, après un dialogue social intense entre les partenaires sociaux, à des modifications importantes que le Parlement n'a pas encore pris le temps d'évaluer.
Vous proposez la fusion des institutions au sein d'une même instance : le comité social et économique. Mis en place dans les entreprises d'au moins onze salariés, il dispose d'attributions différentes en fonction de la taille de l'entreprise – de onze à quarante-neuf salariés et au-delà de quarante-neuf salariés.
Les syndicats de salariés ont rappelé qu'ils n'étaient pas demandeurs de cette fusion qui va au-delà de celle prévue par accord majoritaire dans la loi de 2015. De plus l'intégration des délégués du personnel au sein du CSE risque d'éloigner les représentants du terrain et de freiner encore plus les vocations syndicales.
Avis défavorable. Ces deux amendements, les premiers d'une assez longue série, visent à s'opposer à la création du CSE et à maintenir les instances de représentation antérieures.
Les attributions respectives de ces différentes instances n'ont pas disparu, elles ont été simplement transférées à la nouvelle instance. De nombreux articles définissant les attributions et les modalités de fonctionnement du CSE se contentent de reprendre mot pour mot les anciennes attributions soit des délégués du personnel, soit du comité d'entreprise, soit du CHSCT.
Le fait de réunir ces compétences dans une instance unique, entre les mains des mêmes représentants, permettra de gagner en efficacité. Cette fusion sera bénéfique pour les salariés dont les revendications centralisées seront à la fois plus audibles, mieux comprises et mieux intégrées par l'employeur. Elle sera également bénéfique pour les représentants du personnel qui disposeront d'une vision exhaustive des enjeux de l'entreprise.
Pour avoir personnellement animé une bonne centaine de fois des réunions de ce type d'institution, je maintiens qu'avec la réforme, les employeurs y trouveront leur compte, mais que ce sera aussi le cas des représentants du personnel. Ils pourront avoir des échanges de fond sur les sujets transverses, mais également aller dans le détail lorsque cela sera nécessaire, notamment en matière d'hygiène et de sécurité.
Le fait que les attributions du CSE diffèrent selon la taille de l'entreprise ne constitue pas en soi une innovation : le comité d'entreprise et le CHSCT n'ont par exemple été mis en place que dans les entreprises de moins de cinquante salariés.
Je vous informe que le décret relatif aux moyens du CSE, qui a déjà été soumis aux partenaires sociaux, est en cours d'examen par le Conseil d'État.
Il définit le nombre minimal de représentants au CSE. Ce nombre sera inférieur au nombre minimal cumulé de représentants dans les trois instances fusionnées – pour des raisons évidentes, puisque nous constations des doublons. En revanche, nous avons maintenu la totalité du nombre d'heures de délégation : autrement dit, il y aura davantage d'heures par représentant. Nous avons par ailleurs prévu la possibilité de mutualiser et d'annualiser ces heures, sachant qu'aujourd'hui 25 % du temps prévu n'est pas utilisé. Au total, même si le nombre d'heures reste formellement identique, les représentants pourront consacrer davantage d'heures aux travaux du CSE. Je rappelle aussi qu'il s'agit d'un plancher ; de nombreuses entreprises prévoient des dispositions plus favorables. Nombre d'entre elles nous ont déjà fait savoir qu'elles iraient au-delà du minimum légal.
La Commission rejette les amendements identiques.
Elle examine l'amendement AS144 de M. Boris Vallaud.
Cet amendement vise à mettre en place un comité social économique dans les entreprises d'au moins cinq salariés. Les très petites entreprises sont les grandes perdantes de votre réforme : vous privez les salariés qui y travaillent de toute forme de représentation syndicale. De plus, vous avez supprimé les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) qui constituaient les prémices d'une représentation dans les TPE.
Monsieur Vallaud, je vous assure que les CPRI ne sont pas supprimées. Vous l'avez déjà dit, et vous le répétez, mais je vous assure que ce n'est pas le cas.
Je ne suis pas favorable à votre amendement. Vous faites preuve de créativité en imposant la création d'un CSE dans les entreprises de cinq salariés, mais le seuil de onze salariés est aujourd'hui bien intégré par les entreprises ; le modifier risquerait de bouleverser considérablement leurs pratiques de dialogue social informel. Cela imposerait aussi aux chefs d'entreprise des très petites structures des contraintes de gestion relativement disproportionnées par rapport aux effectifs concernés, en particulier au regard de l'obligation d'organisation d'élections professionnelles, alors même que nous efforçons de reconstruire un dialogue simple et direct.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement AS134 du même auteur.
Le calcul du seuil d'effectif de salariés pour la mise en place des instances représentatives du personnel au sein d'une entreprise est modifié par vos ordonnances. Ce seuil d'au moins onze salariés doit être atteint sur douze mois consécutifs alors qu'antérieurement ce délai était de douze mois, consécutifs ou non, sur les trente-six derniers mois. De plus, le CSE disparaît automatiquement dès que le seuil d'effectif des cinquante salariés n'est pas atteint pendant douze mois : ce qui n'était auparavant qu'une simple possibilité offerte à l'employeur au bout de vingt-quatre mois consécutifs ou non devient une suppression impérative.
Nous proposons de revenir sur cette rédaction en lui préférant les dispositions législatives antérieures. Comme nous le verrons, le CSE, bien qu'il garde la même dénomination partout, n'a pas les mêmes attributions selon le nombre de salariés. Vous rendez difficile l'accès à la représentation, ce qui est contradictoire avec le titre même de cette ordonnance « favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales ». Après avoir répondu à la problématique de l'absence de représentation dans les TPE en supprimant purement et simplement la présence syndicale, ces dispositions sont un très mauvais signal envoyé aux représentants syndicaux.
Avis défavorable. Cet amendement éminemment technique, sous couvert de modifier les modalités de prise en compte de l'effectif de onze salariés pour la mise en place du comité social et économique, rétablirait de fait les délégués du personnel que nous souhaitons fusionner.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement AS131 de M. Boris Vallaud.
Cet amendement un peu long traite d'un sujet majeur : les atteintes aux droits des personnes. Alors que, jour après jour, l'actualité nous rapporte de terribles échos de faits de harcèlement moral ou sexuel, vous n'ouvrez le droit d'alerte au CSE en cas de danger grave et imminent qu'aux seules entreprises de plus de cinquante salariés. Considérez-vous qu'il n'est pas nécessaire de permettre un droit d'alerte en cas d'atteinte au droit des personnes dans les entreprises de moins de cinquante salariés ? De tels agissements seraient-ils inexistants dans ces entreprises ? Il est important que nous levions cette ambiguïté et que le CSE ait le même droit d'alerte dans toutes les entreprises, qu'elles aient plus ou moins de cinquante salariés.
Avis défavorable. Le droit d'alerte, qui s'applique dans des cas très divers, est essentiellement utilisé dans les entreprises composées de grosses structures, avec des services nombreux et éclatés.
Votre amendement va beaucoup plus loin que le droit antérieur en permettant à tous les membres des comités sociaux et économiques des entreprises de moins de cinquante salariés d'exercer l'ensemble des droits d'alerte jusqu'alors réservés aux entreprises d'au moins cinquante salariés : le droit d'alerte en cas d'atteinte grave aux droits des personnes, le droit d'alerte en cas de danger grave et imminent, le droit d'alerte en cas d'utilisation non conforme du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), le droit d'alerte économique et le droit d'alerte sociale.
Tout cela me paraît excéder assez clairement le champ des compétences de la délégation du personnel dans les entreprises de moins de cinquante salariés puisque ces élus n'ont pas d'attributions en matière économique et sociale.
Il me semble que nous passons un peu vite sur un sujet grave. Vous noyez dans votre réponse tous les droits d'alerte ; mais vous ne pouvez pas soutenir qu'il n'y a pas lieu d'exercer un droit d'alerte en matière de harcèlement moral ou sexuel dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Si vous trouvez l'amendement trop technique, ou que son champ vous paraît trop large, vous pouvez le sous-amender, mais, dans le contexte actuel, vous ne devriez pas balayer le sujet ainsi. Sur un tel problème, nous devrions pouvoir trouver un consensus et ne pas fonctionner exclusivement sur la confiance.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine un amendement AS33 de Mme Caroline Fiat.
Cet amendement vise à rétablir le CHSCT dans toutes les entreprises de plus de cinquante salariés. Vous proposez de le remplacer par un comité social et économique qui serait également chargé des missions des délégués du personnel et du comité d'entreprise. Pourtant les missions du CHSCT sont bien différentes de celles des hautes instances qui représentent le personnel : il dispose d'une autonomie juridique afin de pouvoir enquêter sur les conditions de travail des salariés, il se fait force de proposition et ses conclusions engagent l'employeur. Conquête importante du mouvement ouvrier, le CHSCT a permis aux salariés d'accéder à une souveraineté sur la prévention des risques qu'ils encourent au travail, qu'ils soient physiques ou psychosociaux.
À une époque où les nouvelles méthodes de management engendrent de nouveaux risques, comme le syndrome d'épuisement professionnel, le fameux burn-out, il nous semble essentiel de maintenir cette instance dans ses pleines prérogatives et de garantir son autonomie par rapport aux questions de gestion financière auxquelles le CSE l'associerait. La santé et la sécurité doivent être totalement détachées des considérations économiques et budgétaires. Nous connaissons tous le résultat de la course au moins-disant en matière de conditions de travail : faut-il vous rappeler les 1 115 victimes du Rana Plaza en 2013, les 1 099 victimes de la catastrophe de Courrières, en 1906, ou les 2 000 victimes d'accidents du travail que compte la France chaque année. Enfin, dans un contexte, on vient de le rappeler, où les situations de harcèlement sexuel sont trop nombreuses, il nous semble plus que jamais vital de disposer d'une instance autonome et protectrice.
Avis défavorable. La question n'est pas tant de désigner l'instance que de savoir si l'on s'occupe de l'hygiène, de la sécurité et des conditions de travail aujourd'hui et demain dans les entreprises. La réponse est oui, oui et oui… Je vous l'ai déjà dit : les ordonnances ont repris mot pour mot les dispositions du code du travail relatives au CHSCT pour les réintroduire parmi les compétences du CSE. Disons-le clairement : les missions sont maintenues, même si elles ne sont plus remplies par les mêmes instances.
S'agissant précisément des instances elles-mêmes, vous avez compris que nous souhaitons une fusion, mais, dans l'ensemble des entreprises, l'hygiène, la sécurité et les conditions de travail seront partout au menu des discussions du CSE – une commission spécifique est toutefois mise en place dans certains cas, en particulier dans les établissements d'au moins trois cents salariés.
Depuis 1906, monsieur Quatennens, la réalité a tout de même évolué. Cela ne nous empêche pas d'être protecteurs et attentifs à la santé des salariés au travail, bien au contraire. Nous devons nous adapter, tout en conservant les prérogatives du CHSCT que nous transférons au CSE.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement AS129 de M. Boris Vallaud.
Le Gouvernement a décidé de faire disparaître le droit d'alerte des délégués du personnel avec ces délégués eux-mêmes. Le droit d'alerte n'existera donc plus que dans les entreprises de plus de cinquante salariés.
Il est important de lever l'ambiguïté pour que ce droit majeur et protecteur ne soit pas contesté aux représentants du personnel des entreprises de moins de cinquante salariés.
Avis défavorable. Vous voyez bien, monsieur Vallaud, que la question du droit d'alerte n'est pas balayée. Il est bon que nous y revenions, mais votre amendement va plus loin que le droit antérieur : il rétablirait la possibilité pour les élus des entreprises de onze à cinquante salariés d'exercer un droit d'alerte en cas d'atteinte aux personnes, mais il leur permettrait également de l'exercer en cas de danger grave et imminent, alors que les délégués du personnel ne disposaient pas de ce droit.
Le sujet n'est pas aussi simple que l'on pourrait le croire : l'existence d'un droit d'alerte ne garantit pas que l'on protège mieux les salariés au travail. Ce qui compte, c'est la réalité de l'exercice du droit en question, et le respect de leurs obligations par les employeurs comme par les salariés.
Je suis assez dubitatif sur la possibilité d'étendre les droits d'alerte aux entreprises de moins de cinquante salariés. La pratique a montré qu'ils étaient très peu, voire jamais, utilisés dans les très petites entreprises. Dans une entreprise de deux ou trois personnes, tout le monde travaille ensemble, et les dangers ou les comportements déviants se voient immédiatement : il n'y a pas besoin de les signaler à l'employeur car lui aussi est présent sur le terrain.
Par ailleurs, l'existence de ce droit peut aussi être mal comprise par les employeurs des petites entreprises qui n'ont pas les moyens de diligenter des enquêtes. Lorsqu'une entreprise dispose de services de ressources humaines, de managers, ou d'un médecin du travail à demeure, il est possible de déclencher des enquêtes qui permettent de faire vivre la réalité du droit d'alerte. Mais introduire le droit d'alerte dans les petites structures revient à mettre en place un dispositif qui n'a ni sens ni utilité. C'est typique de la mesure inefficace qui procure à ses initiateurs une certaine satisfaction : si l'on nous demande si nous sommes favorables à la protection des salariés au travail, nous serons tous d'accord. Mais la question n'est pas là : ce qui compte, c'est de savoir si nous mettons à leur disposition un outil dont ils peuvent vraiment se servir. Tout cela me fait penser à la cinquième ordonnance : tout le monde était d'accord sur l'idée du compte personnel de prévention de pénibilité (C3P) mais, dans les faits, l'outil n'était pas opérationnel et il a fallu trouver une solution.
Il faut que le salarié bénéficie d'une protection réelle. Il y a un décalage entre la gravité des faits qui pourront être signalés par le droit d'alerte et les moyens donnés aux employeurs pour y répondre dans les très petites entreprises.
Je rappelle également qu'un autre outil permet aux élus des entreprises de moins de cinquante salariés de dénoncer le harcèlement : la saisine de l'inspection du travail. Dans une petite entreprise, cela me paraît un instrument beaucoup plus pertinent que le droit d'alerte pour répondre aux problèmes d'atteintes aux droits des personnes. Lorsque l'inspecteur ou le contrôleur du travail se déplace pour rencontrer l'employeur, les conséquences sont fortes et immédiates.
Vos propos démontrent en creux que les syndicats sont bien utiles dans les TPE, car ils disposent d'une expertise, d'une assise et d'une indépendance précieuses.
Vous décidez de supprimer le droit d'alerte au motif qu'il ne serait pas suffisamment effectif, mais son maintien n'aurait rien enlevé aux protections que vous évoquez. Ça ne marche pas, alors on supprime ! Ce choix ne me semble pas constituer une réponse à la hauteur des enjeux. Demandez à la déontologue de l'Assemblée nationale quelles difficultés elle rencontre pour traiter des questions de harcèlement en l'absence d'un droit d'alerte !
Je suis extrêmement sensible aux questions que pose M. Boris Vallaud aussi bien qu'aux arguments du rapporteur.
Depuis hier, se tient à Strasbourg le congrès-salon Préventica consacré à la santé et à la sécurité au travail, qui rassemble des professionnels de santé, des employeurs et des salariés. Ils s'interrogent évidemment sur la fusion des instances représentatives du personnel et sur le droit d'alerte. L'une de mes attachées parlementaires, qui exerce par ailleurs le métier de préventeur en risques psychosociaux, assiste à ce congrès. Elle m'a rapporté que les échanges étaient très paisibles et les participants confiants dans l'avenir : ils restent attentifs aux évolutions en cours et souhaitent pouvoir utiliser la nouvelle instance au mieux, sans manifester aucune inquiétude à ce sujet.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement AS207 de Mme Caroline Fiat.
Le comité social et économique ne sera à même de contribuer à la valorisation des responsabilités syndicales et à une nouvelle organisation du dialogue social que si ses moyens sont renforcés par rapport à ceux des anciennes instances dont il est issu.
C'est la raison pour laquelle notre amendement AS207 élargit l'obligation de consultation du comité social et économique à des décisions qui en sont dispensées par l'ordonnance, comme une offre publique d'acquisition ou des projets d'accords collectifs. Nous ne comprenons pas pourquoi de tels projets, qui concernent directement les salariés, ne seraient pas soumis à une consultation préalable du comité social ou économique, sauf s'il s'agit de créer un effet de surprise, qui n'a pas grand-chose à voir avec la philosophie du dialogue social.
J'ose espérer que vous n'entendez pas autoriser l'usage de ces méthodes. Certains employeurs auraient peu de scrupules à profiter de la surprise pour imposer leurs vues. Je suis certain que vous serez favorable à une mesure qui permet de se prémunir d'une telle dérive.
Notre amendement donne également au comité social économique un droit de veto suspensif sur toutes les décisions sur lesquelles il est consulté, car nous voulons vraiment renforcer la démocratie sociale. Je ne doute donc pas que vous voterez cet amendement,
Je ne voudrais pas vous décevoir, monsieur Ratenon, mais mon avis est défavorable.
Le comité social et économique est déjà obligatoirement consulté sur les décisions ayant un impact sur les conditions de travail ou le maintien dans l'emploi des salariés, dans le cadre des consultations récurrentes ou ponctuelles du comité. Les prérogatives des instances fusionnées sont donc maintenues. Cependant votre amendement va beaucoup plus loin : en imposant un droit de veto suspensif du comité social et économique sur toutes les décisions ayant une incidence sur les conditions de travail ou le maintien dans l'emploi des salariés, il va à l'encontre du pouvoir de gestion de l'employeur, et de la liberté d'entreprendre. Ce n'est pas ma conception du dialogue social.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement AS206 de M. Adrien Quatennens.
Nous avions cité le grand Jaurès dans l'hémicycle lors de l'examen du projet de loi d'habilitation : « La grande Révolution a rendu les Français rois dans la cité et les a laissés serfs dans l'entreprise. »
La démocratie en entreprise est l'étape supplémentaire pour un État de droit moderne, et la condition de l'établissement de négociations collectives qui tendent vers l'équité entre les deux parties. Le dialogue social ne peut exister que si les parties peuvent s'exprimer. Il ne peut avoir lieu si les salariés n'ont pas de possibilité d'exprimer leur défiance par référendum dans des conditions décidées par leur représentant.
Le référendum n'a pas à être à la seule disposition du chef d'entreprise ; il est indispensable que les salariés puissent en prendre l'initiative. Cela permettrait d'instaurer un dialogue qui n'irait pas dans un seul sens.
Je ne vous surprendrai pas en me déclarant défavorable à cet amendement très politique qui ne correspond ni à ma pensée ni à celle de la majorité présidentielle, et pas davantage, à mon sens, à celle du plus grand nombre.
Je suis très fermement opposé à votre proposition qui consiste à donner aux représentants du personnel dans l'entreprise la possibilité de voter en faveur ou en défaveur des dirigeants de l'entreprise, voire de leur employeur. Cela me semble en effet incompatible avec la liberté de gestion dont dispose ce dernier dans son entreprise, même si cette liberté doit bien sûr s'exercer dans le respect des dispositions légales.
D'autres outils permettent déjà aux représentants des salariés de s'exprimer sur la stratégie de l'entreprise ou les projets de l'employeur. Je pense, par exemple, à la consultation obligatoire du CSE avant toute décision de ce dernier, ou à la participation des salariés aux conseils d'administration et de surveillance. J'ai bien compris que vous vouliez aller plus loin, mais ces outils permettent de prendre en compte les revendications des salariés et de leurs représentants tout en respectant le pouvoir de gestion et la liberté d'entreprendre de l'employeur.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement AS188 de Mme Caroline Fiat.
Nous nous opposons à ce qu'un accord d'entreprise puisse déterminer la fréquence des négociations ainsi que les informations nécessaires aux consultations à mettre à disposition des représentants du personnel.
En outre, les députés du groupe La France insoumise s'opposent fermement à ce que des accords d'entreprise puissent être conclus en l'absence de délégué syndical. Les représentants du personnel ne sont pas les meilleurs négociateurs pour les salariés car, contrairement aux délégués syndicaux, ils sont liés à une seule entreprise et n'ont donc pas de rattachement national et international susceptible de les aider à entretenir un rapport de force nécessaire à un véritable dialogue social.
De plus, la possibilité de négocier sans délégués syndicaux présente un risque d'inconstitutionnalité au regard de l'alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946 : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. » La possibilité de négocier sans délégués syndicaux nous paraît de nature à déroger à cette disposition qui appartient au bloc constitutionnel.
Votre amendement vise à réduire la marge de négociation des délégués syndicaux ou des représentants du personnel dans l'entreprise. J'y suis défavorable sur le principe, puisque la philosophie du texte est d'encourager le dialogue social pour négocier au plus près du terrain les modalités applicables dans l'entreprise. Il n'est donc pas anormal de permettre aux délégués syndicaux de l'entreprise ou aux représentants du personnel de s'accorder sur le contenu ou la périodicité des consultations récurrentes du CSE ou sur le contenu de la base de données économiques et sociales. Je crois qu'il est indispensable de laisser les acteurs qui connaissent la réalité de l'entreprise adapter ces modalités aux enjeux qui les concernent.
Par ailleurs, il n'est pas question de contourner les organisations syndicales : la négociation entre l'employeur et les représentants du personnel ne peut intervenir qu'à défaut de délégué syndical dans l'entreprise. Si le délégué syndical est présent, il joue bien sûr tout son rôle.
La commission rejette cet amendement.
Elle examine ensuite l'amendement AS23 de M. Jean-Charles Taugourdeau.
Cet amendement vise à rappeler que les compétences du comité d'entreprise sont limitatives et à donner une base légale positive à ce principe. Certains comités ont parfois une conception extensive de leurs prérogatives, notamment en finançant des actions politiques ou revendicatives totalement étrangères à leur mission.
Cet amendement est satisfait par le droit : c'est comme si vous me demandiez si le CSE doit respecter la loi. La réponse est oui… Avis défavorable.
La commission rejette cet amendement.
Elle se saisit ensuite de l'amendement AS22 de M. Jean-Charles Taugourdeau.
Cet amendement prévoit l'obligation pour le CSE de recourir à la certification d'un commissaire aux comptes, comme c'est le cas pour les organisations syndicales. Il est spécifié que le commissaire aux comptes exercera l'ensemble des prérogatives attachées à sa mission, notamment le droit d'alerte s'il constate un risque pour la « continuité de l'exploitation », autrement dit une situation de quasi-faillite.
Je suppose que vous vouliez me tester et vérifier que j'avais bien lu toutes les ordonnances… Cette obligation, qui vous est chère, de recourir à un commissaire aux comptes, et qui pesait déjà sur le comité d'entreprise n'a en rien disparu. Votre amendement est satisfait par les articles L. 2315-73 et L. 2315-74 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1386.
L'amendement est retiré.
La commission examine ensuite l'amendement AS154 de M. Boris Vallaud.
Le projet d'ordonnance ne permet plus au suppléant d'assister aux réunions en présence du titulaire. Cela va à l'encontre de la qualité du dialogue social, notamment parce que le jour où le suppléant devra remplacer le titulaire, il ne connaîtra pas le dossier en cours. Par cet amendement, nous proposons de rétablir cette possibilité.
Votre amendement se heurte à une autre logique : est-il possible de conduire de bonnes réunions à quarante personnes, dont la moitié serait des suppléants ? Nos échanges ici sont très policés mais je sais, pour en avoir animé quelques-unes, que, même si le président a la police des débats, les séances en IRP ne sont pas aussi simples que ce que nous vivons à l'Assemblée nationale où de surcroît il n'est pas question de négociation.
Le choix qui a été fait de ne plus autoriser la présence du suppléant aux réunions du comité répond une nouvelle fois à l'objectif d'efficacité poursuivi par la fusion des instances de représentation du personnel. Dans les grandes entreprises, par exemple, la présence des titulaires et des suppléants aux réunions du comité d'entreprise pouvait conduire dans certains cas à se retrouver très nombreux autour de la table ; or on n'a pas le même échange à vingt représentants qu'à quarante. Je souhaite donc maintenir la rédaction de l'ordonnance, qui rappelle que la vocation première du suppléant est de siéger en l'absence du titulaire.
La commission rejette cet amendement.
Elle examine ensuite l'amendement AS120 rectifié de M. Boris Vallaud.
Les organisations syndicales sont invitées par l'employeur à négocier le protocole d'accord préélectoral pour l'organisation des élections des membres du CSE, mais, pour les petites entreprises, c'est-à-dire les entreprises entre onze et vingt salariés, vous conditionnez cette invitation au fait qu'au moins un salarié se soit porté candidat aux élections dans un délai de trente jours. Le rapporteur a d'ailleurs eu l'honnêteté de le dire dans son rapport, mais c'est une nouveauté discrète sur laquelle nous n'avons pas beaucoup échangé. Par cette disposition, vous rendez en réalité plus difficile l'implantation syndicale dans les petites entreprises. Je mettrai d'ailleurs en parallèle cette discussion et celle que nous avons déjà eue à l'article 8 de la première ordonnance.
L'entrée des organisations syndicales dans les PME se faisait traditionnellement à l'occasion de la négociation des protocoles préélectoraux. Avec ce nouveau texte, les organisations syndicales n'auront plus à être averties de l'organisation d'élections, sauf dans le cas improbable où un salarié se serait porté candidat avant toute négociation d'un protocole, avec les risques que cela comporte. C'est pourquoi nous proposons la suppression de cet alinéa.
L'article L. 2314-5 prévoit que, dans les entreprises de onze à vingt salariés, l'employeur n'est tenu d'inviter les organisations syndicales à négocier le protocole d'accord préélectoral que si au moins un salarié s'est porté candidat aux élections dans un délai de trente jours à compter de l'information des élections par l'employeur – et cette information est encore plus facile dans une petite entreprise. Inviter des délégués syndicaux à négocier un protocole d'accord électoral alors qu'il n'y a pas de candidat est un peu kafkaïen. Il ne s'agit pas d'éviter qu'il y ait des candidats, mais ce n'est pas la négociation par des délégués syndicaux d'un protocole d'élection qui va générer des candidats lorsqu'il n'y en a pas… Avis défavorable.
La commission rejette cet amendement.
La commission est saisie de l'amendement AS115 de M. Boris Vallaud.
Cet amendement traite de la possibilité pour les salariés mis à disposition de voter pour l'élection du comité social et économique. Le texte proposé prévoit une condition de présence dans l'entreprise utilisatrice de douze mois continus pour y être électeur. Cette condition paraît excessive. C'est pourquoi nous proposons de réduire ce délai en prévoyant une condition de présence continue ou discontinue pendant les douze derniers mois.
L'article L. 2314-23 prévoit que les salariés mis à disposition doivent justifier de douze mois de présence continue dans l'entreprise pour pouvoir voter à l'élection des membres du CSE. Cette condition d'éligibilité que vous jugez excessive et manipulable n'a pas changé par rapport à celle qui prévalait pour les délégués du personnel et le comité d'entreprise. Je vous renvoie aux articles L. 2314-18-1 et L. 2324-17-1 dans leur rédaction antérieure à la publication de l'ordonnance, qui prévoyaient déjà une condition de douze mois de présence en continu dans l'entreprise. Cette condition est également requise pour les autres salariés de l'entreprise : il n'y a donc pas de raison de prévoir une dérogation. Avis défavorable.
Il n'est pas interdit de ne pas rester attaché à l'ordre ancien… Ce n'est d'ailleurs pas non plus votre appétence naturelle !
La commission rejette cet amendement.
Elle examine ensuite l'amendement AS18 de M. Jean-Charles Taugourdeau.
Cet amendement prévoit la possibilité d'une candidature libre pour un salarié au premier tour d'élections professionnelles ; mais après en avoir discuté entre-temps avec des experts, qui m'ont indiqué que cela pourrait être utilisé à mauvais escient et donner lieu à des candidatures masquées plutôt que sans étiquette, je le retire.
Cet amendement est retiré.
La commission examine l'amendement AS233 du rapporteur.
Il s'agit d'un amendement de clarification. La loi d'habilitation permettait au Gouvernement de limiter à trois mandats consécutifs le nombre de mandats maximal des membres du CSE, pour encourager le renouvellement des élus du personnel. L'ordonnance a prévu cette limite, qui s'applique à tous les CSE des entreprises de plus de cinquante salariés, mais elle ne l'a pas écrit clairement pour les membres du comité social et économique central et les membres du comité social et économique d'établissement. Par coordination, cet amendement vise donc à le préciser.
La commission adopte cet amendement.
Elle examine ensuite l'amendement AS191 de Mme Caroline Fiat.
Le regroupement des trois instances représentatives du personnel en une seule donne à la nouvelle instance de larges prérogatives, notamment celles des anciens CHSCT. Or cette instance disposait d'une autonomie financière qui lui permettait de mener les expertises qui s'imposaient. En faisant contribuer le nouveau CSE à hauteur de 20 % du recours à nombre d'expertises, cette ordonnance le place dès sa création en situation d'asphyxie financière et risque de le contraindre à renoncer à certaines expertises pour des raisons budgétaires. Cet amendement vise à donner davantage de moyens au CSE pour accomplir les nombreuses tâches qui lui sont dévolues, en doublant le pourcentage de la masse salariale brute qui doit lui être versé par l'employeur pour subvenir à ses besoins en fonctionnement.
Je partage sans doute avec M. Quatennens le souhait que ces entités disposent des moyens nécessaires pour fonctionner, mais il va un peu loin en proposant de doubler le budget de fonctionnement, ce qui asphyxierait, pour le coup, les employeurs. Le montant de la subvention de fonctionnement a déjà été augmenté par l'ordonnance de 0,02 % dans les grandes entreprises. En outre, pour toutes les entreprises qui mettent en place un conseil d'entreprise, le budget intègre l'intéressement et la participation, qui représentent en moyenne un mois de salaire en France. Ce sont des évolutions très significatives. Avis défavorable.
La commission rejette cet amendement.
La commission est saisie de l'amendement AS117 de M. Boris Vallaud.
Le CSE peut délibérer pour consacrer une partie de son budget de fonctionnement à la formation des délégués syndicaux. Je rappelle qu'auparavant cette possibilité était aussi ouverte aux délégués du personnel. Nous proposons de transférer cette possibilité aux représentants de proximité du CSE. Cela renforcerait ces élus et permettrait de former des représentants qui sont là pour compenser les effets d'éloignement du terrain inhérents à une instance unique de représentation concentrant toutes les missions.
Avis favorable. C'est une bonne idée de permettre au CSE de financer s'il le souhaite la formation des représentants de proximité.
La commission adopte cet amendement.
La commission examine ensuite l'amendement AS116 de M. Boris Vallaud.
La volonté d'assouplissement dans le cadre du nouveau comité s'exprime aussi sur la question du transfert d'éventuels reliquats, en fin d'exercice, de la subvention reçue au titre des activités sociales et culturelles ou de la subvention de fonctionnement : ceux-ci peuvent être transférés, par délibération du comité, du budget fonctionnement vers le budget ASC. Cette porosité des deux budgets est dangereuse car elle peut être source de dérives ; lors des auditions que nous avons menées, plusieurs syndicats nous l'ont signalé.
Mais je voudrais ici revenir sur un point précis. Le texte que vous proposez est ambigu et fait écho à des contentieux à répétition, la Cour de cassation ayant décidé qu'il y avait lieu de se référer au compte 641 et non à la déclaration annuelle des données sociales. Votre formulation pourrait signifier qu'on ne prend en compte que les rémunérations plafonnées, ce qui entraînerait une baisse drastique de la subvention. C'est pourquoi nous vous proposons cet amendement de clarification, qui précise que, « pour l'application des dispositions du présent article, la masse salariale brute est constituée par l'ensemble des gains et rémunérations soumis à cotisations considérés comme rémunérations par les dispositions de l'article L. 242‑1 du code de la sécurité sociale », pour signifier que l'on ne prend en considération que les rémunérations plafonnées. Je reconnais une erreur de rédaction puisque nous parlons de « cotisations », mais je ne doute pas, monsieur le rapporteur, que vous pouvez la corriger.
Avis défavorable, mais nous visons en fait le même objectif : la rédaction de l'ordonnance vise justement à sécuriser les modalités de calcul de la masse salariale, alors que la base de calcul antérieure était le compte 641, auquel la jurisprudence avait ajouté ou dont elle avait retiré certains frais, ce qui prêtait à confusion, en renvoyant aux cotisations sociales mentionnées à l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale. La définition de l'ordonnance a le mérite d'être claire, puisque l'article énumère de manière limitative les cotisations sociales concernées. Dans la plupart des cas, le niveau de la subvention de fonctionnement devra augmenter pour les raisons que j'ai invoquées tout à l'heure.
Je ne suis pas entièrement convaincu par la réponse, mais un peu déconcerté tout de même… Je retire donc l'amendement pour le retravailler d'ici à la séance.
L'amendement est retiré.
La commission examine l'amendement AS118 de M. Boris Vallaud.
L'article L. 2315‑79 du code du travail, tel qu'il résulte de l'ordonnance, prévoit qu'un accord peut déterminer le nombre d'expertises dans le cadre des consultations sur les orientations stratégiques de l'entreprise, sur la situation économique et financière, et sur la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi. Nous demandons la suppression de cet article qui suppose que les partenaires sociaux prévoient l'avenir et puissent savoir à l'avance le nombre d'expertises nécessaires.
Avis défavorable, mais le sujet mérite explication. Vous souhaitez supprimer la possibilité de définir par accord le nombre d'expertises, sur une ou plusieurs années, pouvant porter sur les consultations récurrentes. Il s'agit bien d'un accord : accord d'entreprise ou, à défaut, entre l'employeur et le CSE. S'il n'y a pas d'accord, le nombre d'expertises continuera d'être fixé au cas par cas, en fonction des besoins. Comme cette disposition ne s'applique qu'aux consultations récurrentes du comité, assez facilement prévisibles, je ne vois pas ce qu'il y a d'anormal à permettre à un accord de recourir chaque année à un expert-comptable dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière, par exemple. Cela peut permettre aux financeurs, soit l'employeur seul, soit l'employeur et le CSE, de mieux planifier les coûts engendrés par ces expertises récurrentes.
Considérez-vous qu'il y a parfois trop de recours à des expertises ? Les ordonnances entendent-elles en limiter le nombre ? Si oui, pourquoi ?
Je ne lis pas cela dans les ordonnances. Certaines expertises ont du sens. Il est bon que les représentants des salariés et les instances dans lesquelles ils siègent puissent s'accorder sur ce qu'est une expertise prioritaire. Le coût est très largement partagé, puisqu'il est supporté à hauteur de 80 % par l'employeur et de 20 % par l'instance. Je pense que c'est une mesure responsabilisante. En outre, l'ordonnance tendant à professionnaliser les membres de ces instances, ceux-ci seront conduits à donner des éclairages au CSE sans passer par des expertises externes.
Pierre Dharréville a bien exprimé les doutes qui sont les nôtres et votre réponse en témoigne également. Je retire l'amendement, mais les doutes demeurent…
L'amendement est retiré.
La commission est saisie de l'amendement AS119 de M. Boris Vallaud.
Cet amendement revient sur l'obligation pour l'expert de communiquer le coût prévisionnel de l'expertise. Or le Conseil constitutionnel a décidé le 13 octobre 2017 que l'obligation de fixer le coût prévisionnel est inutile : « En vertu de l'article L. 4614‑13‑1 du code du travail, l'employeur peut contester le coût final de l'expertise décidée par le CHSCT devant le juge judiciaire, dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle il a été informé de ce coût. Dès lors, à la supposer établie, l'impossibilité pour l'employeur de contester le coût prévisionnel de cette expertise ne constitue pas une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif ». Nous proposons donc de supprimer cette mention qui crée une obligation inutile.
Je n'ai pas la même lecture de la décision du Conseil constitutionnel. Le Conseil s'est seulement penché sur la possibilité de contester le coût prévisionnel pour l'employeur, et il a d'ailleurs estimé que « l'impossibilité pour l'employeur de contester le coût prévisionnel de l'expertise ne constituait pas une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif ». Mais il ne s'est absolument pas prononcé sur l'utilité de ce coût prévisionnel, contrairement à ce que dit votre exposé sommaire. Or il me semble tout à fait normal, pour des raisons de trésorerie notamment, que l'employeur, lorsqu'il finance une expertise, puisse disposer d'une estimation de son coût. C'est même de saine gestion : nous ne faisons pas autrement dans nos propres maisons.
La commission rejette cet amendement.
Elle examine ensuite l'amendement AS121 de M. Boris Vallaud.
Pour l'expertise, dans le cas de la consultation sur les orientations stratégiques de l'entreprise, vous prévoyez que l'expert-comptable ait accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes de l'entreprise. Or aucune mention de même nature ne figure pour les autres expertises. Ces textes nous paraissent trop restrictifs par rapport aux documents nécessaires et à la pratique antérieure. Lors des auditions que nous avons menées, les organisations syndicales et les experts sociaux ont été unanimes : le droit à l'expertise est mis à mal dans ce texte. Nous proposons donc que l'expert ait accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes de l'entreprise, qu'il s'agisse de l'expertise dans le cadre des consultations récurrentes ou d'une consultation ponctuelle.
Votre amendement propose de compléter l'article L. 2315-83 pour permettre à l'expert d'avoir accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes et à tous les documents dont il a besoin.
À mon sens, l'accès de l'expert « à tous les documents dont il a besoin » est déjà satisfait par la rédaction du même article L. 2315-83, qui dispose que « l'employeur fournit à l'expert les informations nécessaires à l'exercice de sa mission ».
Qui plus est, l'accès aux documents est renforcé si nécessaire pour certains types d'expertise : ainsi, l'article L. 2315-93 précise que, lorsqu'il est saisi dans le cadre d'une opération de concentration, l'expert a accès aux documents de toutes les sociétés intéressées par l'opération.
Quant à l'accès de l'expert aux mêmes documents que le commissaire aux comptes, il peut se justifier pour certains types d'expertise, mais pas pour toutes. Or l'ordonnance prévoit déjà cet accès pour deux types d'expertise : l'expertise dans le cadre de la consultation récurrente sur la situation économique et financière, et toute expertise comptable ponctuelle.
Je préfère l'option retenue par l'ordonnance qui autorise l'accès de l'expert aux documents dont il a besoin lorsque ces documents ont un rapport avec sa mission, plutôt que d'ouvrir un accès généralisé à tous les documents de l'entreprise.
Qui apprécie le bien-fondé de la demande de documents par l'expert ? Si c'est à la seule main de l'employeur, c'est une limite.
Je vous réponds d'autant plus volontiers que c'est un sujet qui me passionne également. L'expert viendra en CSE présenter son rapport. Si l'expert commence sa présentation en disant : « Je n'ai pas eu accès aux documents dont j'avais besoin. », l'employeur est plutôt mal parti… Je parle d'expérience : ce n'est pas une question de confiance, c'est la vérité vraie de ce qu'on vit dans un comité d'entreprise. L'ordonnance contient tous les éléments nécessaires pour que les experts soient alimentés. Votre attente est légitime, mais elle est satisfaite.
La commission rejette cet amendement.
La commission examine ensuite l'amendement AS126 de M. Boris Vallaud.
L'article L. 2315‑85 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l'article 1er de l'ordonnance, prévoit qu'un décret en Conseil d'État détermine pour chaque catégorie d'expertise le délai maximal dans lequel l'expert remet son rapport. Pourquoi les délais ne pourraient-ils être négociés ? Nous proposons de réintroduire cette possibilité.
Dans la rédaction antérieure aux ordonnances, le délai maximal dans lequel l'expert remet son rapport pouvait être défini par accord entre l'employeur et le comité ou, à défaut, par décret. L'article L. 2315-85 prévoit désormais de fixer par décret en Conseil d'État pour chaque catégorie d'expertise le délai maximal dans lequel l'expert remet son rapport. Cette disposition vise seulement à sécuriser l'expertise : les délais impartis à l'expert pour rendre son rapport doivent nécessairement s'intégrer dans les délais de consultation du CSE, et il existe en la matière des dispositions très contraignantes. Avis défavorable.
La commission rejette cet amendement.
Elle examine ensuite l'amendement AS127 de M. Boris Vallaud.
Il s'agit ici du délai de remise du rapport par l'expert. L'article L. 2315‑85 prévoit qu'un décret en Conseil d'État détermine pour chaque catégorie d'expertise le délai maximal. Pourquoi ne pas prévoir la possibilité de déterminer les délais par voie de négociation ? Nous proposons de rétablir cette possibilité en précisant que le décret ne fixe pas le délai maximal dans lequel l'expert remet son rapport, mais seulement les conditions dans lesquelles le délai est fixé. Vous dites faire confiance au dialogue social et à la négociation, mais vous la limitez en fonction du sujet : elle est totale quand il s'agit de contourner les syndicats dans les TPE, mais sélective sitôt qu'il s'agit de la qualité du dialogue social…
Je sens que vous me taquinez… En cas de recours à l'expertise, on est sur des éléments contraints, figés par la loi. On ne saurait déroger aux procédures et délais prévus. La plupart du temps, les expertises entrent dans des dispositifs eux-mêmes très normés.
La commission rejette cet amendement.
La commission examine l'amendement AS128 de M. Boris Vallaud.
L'article L. 2315-86 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance, prévoit que la saisine du juge suspend l'exécution de la décision du comité social et économique jusqu'à la notification du jugement.
Cette disposition générale s'applique à toutes les expertises, y compris celles visées à l'article L. 2315-96, qui concernent le recours à un expert habilité, notamment lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel, est constaté dans l'établissement.
Il est tout de même paradoxal de prévoir un recours suspensif pour l'expertise « risque grave » qui suppose un danger imminent.
J'ai bien compris que vous ne vouliez pas tester ma mémoire, monsieur Aviragnet, mais je voudrais tout de même partager avec vous la manière dont j'ai vécu ce type de difficultés dans une entreprise, comme d'autres peut-être, du côté des employeurs, des salariés ou des représentants syndicaux. L'employeur a une obligation de sécurité à l'égard des salariés : les ordonnances laissent tout cela en l'état et c'est tant mieux. C'est un élément de base. Ne jouons pas à nous faire peur : rien n'a changé.
Lorsque j'étais sollicité en tant que représentant de l'employeur dans le cas d'un risque grave, je ne commençais pas par répondre que j'allais diligenter une expertise : je me déplaçais moi-même immédiatement – ou j'envoyais quelqu'un du métier si besoin était. Car c'est ainsi que cela doit fonctionner, un employeur ne peut pas faire autrement : c'est sa responsabilité de protéger ses salariés. C'est dans l'esprit de tous, que l'on soit dans une grande ou une petite entreprise. C'est un élément de droit commun indiscutable et rien n'a que changé en la matière avec les ordonnances.
Imaginons maintenant que l'on ait affaire à un employeur peu sérieux, en tout cas inconscient et en marge de la loi : comment le contraindre ? Le délai dans lequel le juge doit statuer, en la forme des référés, est déjà très court, puisqu'il est de dix jours en premier et dernier ressort à compter de la saisine. En cas de risque grave, identifié et actuel, on peut parier qu'il statuera dans un délai encore plus restreint si le danger est imminent.
Souvent, l'expertise arrive un peu plus tard, en effet, car elle permet surtout de corriger, par exemple lorsque l'on a constaté que le poste de travail ne convient pas. Mais quand une protection manque sur une scie, on n'attend pas une expertise ni un spécialiste éminent de l'hygiène et de la sécurité : on réagit immédiatement, c'est juste du comportement de bon sens.
Voilà pourquoi je suis défavorable à cet amendement.
On peut être d'accord avec vous sur ce que devrait être la réaction d'un bon responsable dans une entreprise, mais je ne vois pas la contradiction entre votre expérience et la proposition que nous formulons : l'un n'empêche pas l'autre, on peut réagir et autoriser néanmoins l'expertise.
La commission rejette l'amendement.
Elle est ensuite saisie de l'amendement AS123 de M. Boris Vallaud.
Dans le cadre de l'expertise sur la situation économique et financière, l'ordonnance fait d'abord référence au recours à un « expert » puis évoque une mission et des documents « d'expert-comptable ». Nous vous proposons d'harmoniser les articles relatifs à l'expertise en retenant la notion d'« expert », utilisée à l'article L. 2315-88. Ainsi, le champ ne sera pas restreint aux seuls éléments comptables, mais permettra des expertises juridiques ou techniques en fonction des sujets.
Nous avons déjà évoqué tout à l'heure le rôle des experts-comptables. Votre amendement vise à une harmonisation des rédactions dans le cadre de la consultation sur les orientations stratégiques.
Le fait de confier à un expert-comptable l'expertise réalisée dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière de l'entreprise n'a rien de nouveau : c'était déjà le cas dans la rédaction antérieure du code du travail. Nous sommes donc à droit constant et il n'y a pas de difficulté de lecture.
Il semble logique de recourir à un expert-comptable : l'expertise doit avant tout permettre d'éclairer les membres du CSE, comme auparavant ceux du CE, sur les comptes et la situation de l'entreprise. Il y a bel et bien une valeur ajoutée compte tenu de la technicité comptable, qui n'est pas nécessairement accessible à tous : l'expert vulgarise et permet une lecture indépendante des comptes.
Pour ce qui est de l'harmonisation rédactionnelle, ce sera l'objet de l'ordonnance de cohérence légistique évoquée lors de l'audition de la ministre ; mais, dans le cas présent, il s'agit bien d'un expert-comptable. Je suis donc défavorable à votre amendement.
La commission rejette l'amendement.
La commission en vient à l'amendement AS124 de M. Boris Vallaud.
Dans la continuité du précédent, cet amendement tend, de la même manière, à retenir le terme général d'expert.
Même réponse : il s'agit toujours d'un expert-comptable et nous sommes à droit constant. Je vous invite à retirer cet amendement.
L'amendement est retiré.
La commission examine ensuite l'amendement AS122 de M. Boris Vallaud.
Nous sommes toujours dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière : il n'est pas précisé que l'expert a accès à tous les documents nécessaires à l'exercice de sa mission. L'articulation entre les différentes dispositions que vous nous proposez ne nous semble pas satisfaisante. Il s'agit certes d'éléments relativement techniques, mais un dialogue social de qualité ne peut se tenir que si les acteurs disposent d'expertises fiables et indépendantes, permettant d'éviter au maximum l'insécurité juridique. Nous proposons de préciser et de mieux coordonner ce droit essentiel.
Nous aspirons également à un dialogue social de qualité, mais votre amendement me paraît satisfait par l'article L. 2315-83, aux termes duquel « l'employeur fournit à l'expert les informations nécessaires à l'exercice de sa mission ». Cette rédaction, large, permet d'avoir recours à tout ce qui est nécessaire. C'est pourquoi je suis défavorable à votre amendement, que vous pourriez peut-être retirer.
La commission rejette l'amendement.
Elle est ensuite saisie de l'amendement AS125 de M. Boris Vallaud.
Il s'agit cette fois de la consultation sur la politique sociale de l'entreprise, notamment les conditions de travail : l'ordonnance continue à faire référence à un « expert-comptable » ; cette rédaction mérite d'être améliorée.
Je ne voudrais pas lancer un débat sur ce que sont les experts – ceux de la cour d'appel ou d'autres… Il s'agit bien ici d'un expert-comptable. On pourrait se demander s'il a une véritable valeur ajoutée en la matière, mais l'ordonnance n'a fait que reprendre une disposition du code du travail. Vous allez peut-être nous dire que rien n'empêche de faire encore mieux, mais je vous propose de rester à droit constant. Avis défavorable.
Je reprends votre remarque à mon compte, monsieur le rapporteur : nous venons d'apporter bien des modifications au code du travail. Si nous pouvions y introduire quelques améliorations, ce ne serait pas un mal… L'expertise dont les entreprises et les salariés ont besoin ne se limite pas à des questions de comptabilité : le champ peut être beaucoup plus large. Votre intention n'est probablement pas de le réduire et il serait bénéfique d'éclaircir un peu la question.
Je suis en partie d'accord : certains sujets exigent d'autres niveaux d'expertise. En cas de projet important, ayant un impact sur les conditions de santé et de sécurité ou sur les conditions de travail des salariés, c'est bien à un expert, et pas nécessairement à un expert-comptable, que le CSE peut faire appel. Je crois que cela répond à votre question.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement AS168 de M. Aurélien Taché.
Cet amendement, déposé par le groupe La République en marche, vise à renforcer les compétences du conseil d'entreprise. Pour les entreprises d'une certaine taille ayant conclu un accord en la matière, les ordonnances permettent d'aller au-delà de l'instance unique de représentation qu'est le comité social et économique (CSE), en le fusionnant avec les délégués syndicaux. Le conseil d'entreprise ainsi créé disposera à la fois d'une capacité de représenter les salariés et de négocier. Alors qu'il doit devenir une véritable instance de codécision au sein de l'entreprise, les ordonnances ne lui reconnaissent qu'un nombre limité de compétences. Nous souhaitons, par cet amendement, que le champ de compétence ne soit plus limitatif : cette instance doit pouvoir connaître de tous les sujets concernant la vie de l'entreprise. Nous espérons qu'un maximum d'entreprises se saisiront de la possibilité qui leur sera offerte.
Votre amendement vise à permettre au conseil d'entreprise de négocier l'ensemble des accords d'entreprise prévus par le code du travail, alors que l'ordonnance prévoit certaines exceptions, telles que l'accord relatif au plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) et le protocole d'accord préélectoral. Vous proposez donc de supprimer ces exceptions : je partage pleinement cette intention et j'espère que nous serons nombreux à la soutenir. Il me semble important d'encourager les organisations syndicales et les représentants du personnel à se regrouper au sein de cette nouvelle entité qu'est le conseil d'entreprise, en leur mettant tous les cartes en main pour négocier les accords d'entreprise. C'est l'esprit du texte et celui de la loi d'habilitation. Avis très favorable.
Dans les entreprises de plus de cinquante salariés, il sera donc possible d'aller au-delà de la fusion entre les délégués du personnel, le comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et le comité d'entreprise, en intégrant au nouveau comité social et économique, par accord majoritaire, les délégués syndicaux, l'instance s'appelant alors « conseil d'entreprise ». Cependant, il est prévu que dans certains cas, sur le contenu d'un PSE ou la négociation d'un accord préélectoral, les modalités de droit commun s'appliquent, à savoir une négociation avec les délégués syndicaux.
Or vous allez un peu plus loin en prévoyant que dans tous les cas, y compris le PSE et le droit électoral, le conseil d'entreprise sera compétent pour négocier et conclure un accord, au détriment de la négociation de droit commun qui fait appel aux délégués syndicaux. Cet amendement élargit donc la remise en cause du monopole syndical en matière de négociation : les grandes entreprises auront tout intérêt à fusionner les instances, y compris les délégués syndicaux, pour réduire le nombre d'élus, au risque de créer des négociateurs « maison », éloignés du terrain : ce n'est plus avec une ou plusieurs organisations syndicales que l'employeur négociera, d'égal à égal, mais avec de simples membres de la nouvelle instance. On remet ainsi en cause les quelques garanties qui permettent une véritable négociation sur des sujets aussi graves qu'un PSE.
Quant à la codécision dont parlait notre collègue Aurélien Taché, j'imagine qu'elle s'applique dans le respect de la liberté de gestion, soulignée tout à l'heure par le rapporteur ; mais cela mériterait un débat un peu plus approfondi.
Pour faire passer la pilule, l'amendement AS169, qui viendra ensuite en discussion, prévoit une contrepartie, une sorte de carotte pour ceux qui iraient dans cette direction, mais nous ne partageons pas l'état d'esprit de ces amendements.
Le conseil d'entreprise, qui fait partie des innovations importantes de ces ordonnances, ne pourra être créé que par un accord majoritaire, si les entreprises et les organisations syndicales le souhaitent. On pourra ainsi donner au CSE la compétence de négocier des accords, ce qui est une première en France : dans certains domaines, que les acteurs détermineront eux-mêmes, il y aura la possibilité d'une codécision. Le conseil d'entreprise sera une forme d'instance plus aboutie et plus ambitieuse pour le dialogue social. Afin de bien marquer la différence, l'ordonnance a prévu qu'au moins deux domaines seraient concernés : l'égalité hommes-femmes et la formation professionnelle. Votre amendement propose de ne pas limiter les compétences du conseil d'entreprise ; j'y suis favorable car cela me paraît positif, plus logique et plus cohérent en matière de dialogue social. Afin de donner de la visibilité aux entreprises qui souhaitent négocier vite sur le sujet, je vous propose même de l'intégrer à l'ordonnance de cohérence légistique, ce qui permettra une application plus rapide.
C'était une demande que nous avions faite à l'époque, mais que vous n'aviez pas acceptée. Elle revient et nous la soutenons.
Cette disposition a-t-elle été examinée dans la grande concertation dont vous nous avez vanté les mérites cet été ? Vous l'introduisez par amendement, alors que les ordonnances ont été publiées et ont fait l'objet de discussions… Je ne suis pas certain qu'une telle mesure soit de nature à apaiser le dialogue social que vous appelez de vos voeux. Vous aviez annoncé, me semble-t-il, que vous n'iriez pas jusque-là et les organisations syndicales en avaient pris acte, d'un air plutôt rassuré. Elles estimaient que ce serait aller vraiment beaucoup trop loin.
C'est plutôt le contraire. Nous n'avons pas probablement pas été assez précis dans la concertation : les organisations syndicales avaient plutôt compris qu'il n'y aurait pas de restriction. Elles ont donc été assez déçues, en particulier celles qui veulent s'engager dans cette démarche.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle est saisie de l'amendement AS169 de M. Aurélien Taché.
Je retire mon amendement, même si les moyens du conseil d'entreprise continuent à faire l'objet d'une préoccupation de notre part. Nous aurons l'occasion de faire d'autres propositions.
L'amendement est retiré.
La commission en vient à l'amendement AS50 de M. Pierre Dharréville.
Les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), créés par les lois Auroux il y a trente-cinq ans, continuent de nous sembler indispensables pour la prévention des risques de santé au travail. Je viens de prendre connaissance d'une enquête assez approfondie sur les risques industriels qui confirme l'utilité de ces comités sur le terrain et demande même l'extension de leurs prérogatives. Il arrive que des CHSCT de différentes entreprises travaillent ensemble sur des sujets communs, pour essayer de faire avancer la cause de la santé au travail. Les dispositions que vous proposez vont mettre un coup d'arrêt aux démarches de ce type. Afin de garantir la santé des salariés, notre amendement vise à rétablir les CHSCT, qui sont supprimés par l'ordonnance relative à l'organisation du dialogue social dans l'entreprise. C'est une grande avancée sociale dont il faut, au contraire, pousser les feux encore un peu plus loin.
La ministre a quasiment répondu sur le même sujet tout à l'heure, lors des questions au Gouvernement. Pour ma part, je ne suis évidemment pas hostile aux CHSCT : je suis favorable à ce qu'on travaille dans les entreprises sur l'ensemble des problématiques d'hygiène, de sécurité et de conditions de travail. C'est ce que prévoient les ordonnances. La question est de savoir dans quelles conditions le faire. Deux lectures s'affrontent : la vôtre, que vous venez de présenter, et celle que je partage avec le Gouvernement et un certain nombre de collègues.
Pour nous, c'est une chance de créer une instance où tout pourra être mis sur la table, y compris la santé des salariés – dont a rappelé tout à l'heure qu'il s'agit d'une responsabilité importante pour l'employeur. Au lieu de réfléchir classiquement à un changement d'horaires au sein du comité d'entreprise, puis d'avoir à traiter le sujet un trimestre plus tard dans le cadre du CHSCT, parce que cela conduit à faire travailler des salariés la nuit, on pourra le faire en même temps grâce au regroupement des instances.
Ce n'est pas seulement plus efficace, mais aussi plus pertinent pour les salariés : celui qui devient un travailleur de nuit en raison d'un changement d'horaires aura tout de suite droit à une visite chez le médecin du travail, ce qui peut conduire à une autre approche de sa situation ; de leur côté, les délégués du personnel pourront faire valoir que tel un salarié a des difficultés pour faire garder son enfant la nuit… Au lieu de découper en trois les questions qui se posent, on pourra les traiter globalement. Sur le fond, je pense que c'est ce que nous souhaitons tous et je voudrais vous rassurer : les prérogatives du CHSCT, qui sont importantes pour protéger la santé des salariés au travail, ne seront pas abandonnées avec le regroupement des instances.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement AS195 de Mme Caroline Fiat.
La loi Sapin 2 définit le lanceur d'alerte comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation, une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. »
Malgré cette disposition, Antoine Deltour et Raphaël Halet ont été condamnés à de la prison avec sursis et à de fortes amendes alors qu'ils avaient permis de révéler l'énorme scandale des « LuxLeaks », qui ont précédé les révélations de cette semaine. Quelles sont les garanties pour les salariés qui ont permis de faire éclater le scandale récent des « Paradise Papers » en livrant certaines informations aux journalistes d'investigation ? En rédigeant cet amendement, nous avons également pensé à Céline Boussié, qui a dénoncé la violence systématique au sein d'un établissement médical : licenciée, elle a plongé dans la plus grande précarité, le droit du travail n'offrant aucune protection aux lanceurs d'alerte.
Nous proposons de renforcer leur statut en nous inscrivant dans la jurisprudence de la Cour de cassation : est atteint de nullité le licenciement d'un salarié au motif que celui-ci a relaté des faits de nature à caractériser des infractions pénales.
Votre amendement assimile les lanceurs d'alerte aux salariés protégés. Je n'y suis pas favorable car le droit en vigueur les protège déjà, même s'ils sont différents des salariés mentionnés à l'article L. 2411-1 du code du travail, protégés au titre du mandat dont ils sont investis. Ce sont deux catégories différentes.
Les lanceurs d'alerte sont protégés contre le licenciement et toute mesure discriminatoire résultant de l'alerte lancée, en application de l'article L. 1132-3-3 du code du travail : « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte […], pour avoir relaté ou témoigné, de bonnes fois, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ». Le droit en vigueur apporte déjà une réponse à votre demande : même si leur cas n'est pas traité dans le même alinéa du code du travail, le salarié protégé comme le lanceur d'alerte ont droit à une protection, ce qui est au fond votre objectif.
J'ajoute, car j'ai l'ambition de vous convaincre, qu'en cas de nullité du licenciement d'un lanceur d'alerte, le barème prud'homal ne s'applique pas : l'indemnité due au salarié doit donc être au moins égale à six mois de salaire.
Si vous ne retirez pas votre amendement, je serai amené à donner un avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement AS72 de M. Boris Vallaud.
Nous abordons un sujet majeur : les administrateurs salariés dans les grandes entreprises. Leur présence dans les conseils d'administration est un atout en matière sociale, mais aussi stratégique.
Sans revenir sur la loi du 14 juin 2013, ni sur celle relative au dialogue social de 2015, je rappelle que le seuil à partir duquel des administrateurs représentant les salariés doivent intégrer le conseil d'administration a été ramené de 5 000 à 1 000 salariés en France et de 10 000 à 5 000 dans le monde.
Deux ans après l'adoption de la loi relative au dialogue social, nous devons aller plus loin dans l'extension de la présence des administrateurs salariés, afin d'accroître la diversité des profils au sein des conseils d'administration, d'instaurer non plus « un modèle qui consacre la suprématie de l'actionnaire dans la gestion de l'entreprise mais bien un modèle au sein duquel la gouvernance d'entreprise favorise l'investissement à long terme », comme le soulignait Jean-Louis Beffa, ancien PDG de Saint-Gobain, dans une tribune en 2015, et de diversifier les compétences et les expériences des administrateurs, facteur déterminant pour la performance des entreprises.
Nous proposons d'abaisser à 500 le seuil à partir duquel la présence d'administrateurs salariés est requise, tant pour les sociétés et les filiales dont le siège social est fixé sur le territoire national que pour celles où il est à l'étranger. Il nous paraît judicieux de développer davantage une forme de représentation et de participation des salariés qui favorise le dialogue social et donc la performance des entreprises.
Nous en avons débattu à l'occasion du projet de loi d'habilitation, qui a autorisé le Gouvernement à réviser les mesures relatives à la présence d'administrateurs salariés dans les conseils d'administration ou de surveillance des entreprises. D'après mes échanges avec le Gouvernement, aucune mesure législative véritablement pertinente n'a été identifiée sur ce sujet – mais je laisserai la ministre compléter si elle le souhaite.
Par ailleurs, j'ai eu des retours assez contrastés sur la question des administrateurs salariés lors des auditions. Ces derniers sont soumis à un devoir de réserve, au même titre que les autres membres du conseil d'administration ou de surveillance, ce qui peut leur donner le sentiment d'être un peu coupés de leurs mandants : ils peuvent se faire l'expression de leurs questions, mais ils ne peuvent partager avec eux les réponses, ce qui est susceptible d'entraîner des frustrations. Par ailleurs, l'assemblée générale a aussi beaucoup de poids dans les décisions en France : or on n'y débat plus avec les administrateurs salariés, mais entre actionnaires.
En fait, même si ce n'est pas le terme que vous avez employé, vous me demandez si les administrateurs salariés ne seraient pas un bon outil pour développer la co-construction que nous appelons de nos voeux. Je suis un peu plus réservé depuis les auditions et je n'ai pas de réponse toute faite, mais je ne pense pas que ce soit nécessairement vers les administrateurs salariés qu'il faille se tourner. Il faut garder en tête l'objectif, qui est de mieux associer les salariés à la co-construction du bien commun qu'est l'entreprise, mais je ne crois pas que la modification du seuil soit la bonne solution. Par conséquent, avis défavorable.
La loi du 14 juin 2013 a créé le cadre juridique qui vise à permettre la représentation des salariés au sein des conseils d'administration ou de surveillance des grandes sociétés – ce qui était extrêmement rare auparavant. Il convient de souligner que les salariés qui deviennent membres du conseil d'administration ont les mêmes pouvoirs, les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres administrateurs, à la différence des représentants du CE qui peuvent également siéger au sein des conseils d'administration.
Le nombre d'administrateurs représentant les salariés est de deux au moins dans les sociétés dont le nombre d'administrateurs est supérieur à douze, et d'un au moins dans les sociétés dont le nombre d'administrateurs est inférieur ou égal à douze. Afin de renforcer la présence des salariés dans les organes délibérants, la loi du 17 août 2015 a permis d'abaisser les seuils de mise en place des administrateurs salariés dans les sociétés employant au moins 1 000 salariés permanents – le seuil était auparavant de 5 000 salariés – dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins 5 000 permanents dans la société et ses filiales dans le cas inverse.
Où en est-on ? En ce qui concerne les entreprises de moins de 5 000 salariés, les nouvelles dispositions sont en train de se mettre en place. Pour les entreprises employant entre 1 000 et 5 000 salariés, les conditions prévues dans la loi du 17 août 2015 font que la mise en oeuvre ne pourra intervenir qu'en 2018.
Compte tenu des avis contrastés des organisations syndicales et patronales et du fait que les dispositions de la loi de 2015 ne seront mises en oeuvre qu'à la mi-2018, il ne nous a pas paru opportun d'envisager d'aller plus loin dans la mise en application de dispositions dont on ne peut pas encore mesurer toutes les conséquences, et sur lesquelles les organisations syndicales ne portent pas un jugement unanime.
Tout cela doit encore mûrir mais, pour ma part, j'estime que c'est lorsque l'entreprise et les organisations syndicales décideront d'aller jusqu'au conseil d'entreprise que les choses iront le plus vite : nous aurons alors affaire à une entreprise acceptant volontairement une part de codécision plus importante.
La loi de 2015 est en train de se mettre en oeuvre, un peu lentement peut-être mais sûrement, par étapes, ce qui est sans doute le meilleur gage de réussite. Nous devons veiller à ne pas déstabiliser ce processus en cherchant à précipiter les choses : contentons-nous d'observer sa progression et ses effets.
Ayant moi-même vécu l'introduction des administrateurs salariés dans les grands groupes, je peux témoigner que cela a été fait avec ordre et méthode, ce qui permet aujourd'hui de considérer que les choses se sont bien passées, et que cette nouvelle présence apporte une valeur ajoutée. J'espère qu'il en sera de même dans les entreprises de taille plus modeste, et pour cela je n'estime pas opportun de procéder à une extension des dispositions évoquées en abaissant dès maintenant leur seuil d'application.
J'entends vos réserves, madame la ministre, mais elles sont fondées sur des arguments que nous avons déjà entendus il y a une dizaine d'années – et que nous entendrons malheureusement sans doute encore dans dix ans. Si tout le monde s'accorde à considérer que la présence des administrateurs est positive et que nous ne devons pas perdre de vue cet objectif, à un moment donné, il va bien falloir passer à l'acte !
La commission rejette l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement AS73 de M. Boris Vallaud.
Cet amendement vient compléter le précédent en proposant qu'il y ait au moins deux administrateurs salariés dans les entreprises de 500 à 1 000 salariés, et que dans les entreprises de plus de 1 000 salariés, ce nombre soit au moins égal au tiers sans pouvoir être inférieur à deux.
Dans la mesure où cet amendement ne diffère du précédent que par les seuils retenus, j'émets à nouveau un avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement AS218 de Mme Caroline Fiat.
Contrairement à ce que vous voulez nous faire croire, madame la ministre, en nous dressant un tableau angélique du marché du travail, la discrimination à l'embauche est une réalité en France, et contraire aux principes fondamentaux de notre République. En mars 2017, l'association ISM Corum a procédé à une opération de testing à la demande du ministère du travail. Pour cela, 1 500 paires de CV, soit 3 000 candidatures, ont été envoyées en réponse aux offres d'emploi de 43 grandes entreprises françaises de plus de 1 000 salariés, représentant neuf secteurs d'activité et réparties sur la France entière. Sur chaque paire de CV, seuls les noms et prénoms différaient : ils étaient à consonance « hexagonale » sur l'un des CV et à consonance maghrébine sur l'autre.
Sur 843 réponses positives reçues à ces 3 000 candidatures à des postes d'employés et de managers, 36 % favorisaient le candidat dit « hexagonal » et 16 % le candidat dit « maghrébin », ce qui fait apparaître un écart de 20 points, alors même que la formation, l'expérience, l'âge, le diplôme et l'adresse étaient équivalents – et la nationalité française, elle figurait explicitement sur chaque CV, en particulier sur ceux aux patronymes à consonance maghrébine.
Comme le souligne l'Observatoire des inégalités, la discrimination n'est pas seulement ethnique, mais aussi sociale, comme l'ont déjà montré de nombreuses études précédentes. C'est pourquoi nous souhaitons augmenter la fréquence de formation aux discriminations à l'embauche, afin de déconstruire les préjugés et les méconnaissances autour de cette question, et surtout afin d'étendre cette formation à l'ensemble des entreprises. Nous ne comprenons pas pourquoi les structures de moins de 300 salariés, qui constituent l'écrasante majorité des entreprises françaises, ne devraient pas prendre cette question au sérieux et tenter d'y répondre le plus justement possible.
Je connais bien le sujet dont il est ici question et je comprends l'intention de votre amendement, que je trouve très intéressant.
La qualité du recrutement peut être très variable d'une entreprise à une autre et, en tout état de cause, personne ne peut s'improviser recruteur : c'est un vrai métier. Pour autant, je ne suis pas persuadé qu'il soit opportun de contraindre les entreprises, à partir d'un certain seuil, à suivre des formations à caractère récurrent.
Des progrès notables en la matière ont déjà été effectués avec la loi Égalité et citoyenneté du 27 janvier 2017, qui oblige les employeurs chargés de missions de recrutement à suivre, au moins une fois tous les cinq ans, une formation à la non-discrimination à l'embauche. La plupart des grandes entreprises sont d'ores et déjà très sensibles à la problématique de la discrimination et s'attachent à ne pas être prises en défaut par ce genre de testing en faisant en sorte que le recrutement de leurs salariés soit conforme à la réalité de notre société. Laissons la loi du 27 janvier 2017 produire ses effets et amener à de nouveaux progrès en la matière.
Par ailleurs, la périodicité de deux ans que vous proposez ne constitue en rien un gage d'efficacité : ce qui compte, je le sais par expérience, c'est avant tout que le recrutement soit effectué par une personne rompue à cet exercice et disposant d'un accompagnement régulier – même après avoir suivi une formation de six mois, on peut être amené à agir de façon critiquable, faute d'avoir un regard suffisamment ouvert.
Je crois beaucoup à une pratique qui commence à se répandre, et qu'encourage Marlène Schiappa, qui consiste à désigner nommément les entreprises persistant dans un comportement qui ne saurait être qualifié de citoyen. En revanche, je ne suis pas convaincu de la nécessité de revenir sur le dispositif récemment entré en application ; votre amendement mériterait d'être retravaillé en dehors du cadre des ordonnances. En attendant, laissons à la loi « Égalité et citoyenneté » une chance de produire ses effets.
La discrimination à l'embauche est une réalité, nous en avons des preuves. Qu'elle soit de genre, d'origine ou relative au lieu d'habitation – ces deux critères étant souvent cumulatifs –, elle est évidemment condamnée par la loi. La question que nous devons nous poser est celle des moyens à mettre en oeuvre pour combattre cette pratique : faut-il rajouter de la loi, ou existe-t-il d'autres moyens plus efficaces ?
Pour ce qui est de la formation, qui fait l'objet de cet amendement, la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté a prévu une obligation de formation tous les cinq ans pour les salariés chargés d'une mission de recrutement au sein d'une entreprise d'au moins 300 salariés ; cette obligation vaut également pour toutes les entreprises spécialisées dans le recrutement, quel que soit leur effectif.
La vraie question n'est pas tant celle de la fréquence des formations que celle des comportements des entreprises, mais aussi des candidats à l'embauche. Si les entreprises pratiquant sciemment la discrimination doivent être condamnées, il existe une autre forme de discrimination, inconsciente cette fois : liée aux codes sociaux, elle pénalise certains candidats qui en ont une connaissance imparfaite, ce qui les empêche de franchir le cap des entretiens de recrutement, alors même qu'ils possèdent les qualifications requises. Dans ce dernier cas, les dispositions législatives, qui viennent d'être modifiées afin de renforcer la prise de conscience des recruteurs et d'améliorer leurs pratiques, ne régleront pas tous les problèmes. Il convient également de mener une action d'un autre type, plus large, et dans laquelle j'ai l'intention de m'investir. Pour ce faire, j'ai déjà reçu plusieurs associations, qui effectuent un travail d'accompagnement très efficace dans un domaine qu'elles connaissent très bien – ce qui est également mon cas, car je dispose d'une certaine expérience en la matière.
Nous devons donc, d'une part, appliquer rapidement la loi de janvier 2017 – ce qui reste à faire – et, d'autre part, mener des plans d'action à caractère plus large. Comme on a pu le voir en matière de harcèlement sexuel au cours de ces dernières semaines, la prise de conscience sur ces sujets est fondamentale : pas seulement celle des recruteurs, mais aussi celle de l'encadrement, qui va valider tel ou tel poste, et même celle des candidats, qui doivent être en mesure de connaître et de décoder les critères de recrutement. L'action collective à mener en la matière concerne les organisations patronales et syndicales, les services de l'État, Pôle emploi, les missions locales, etc. Bref, la mobilisation doit être générale sur ce sujet, et vous pouvez compter sur moi pour soutenir les actions qui seront menées.
La commission rejette l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement AS217 de Mme Caroline Fiat.
L'ordonnance relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales supprime les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui avaient, entre autres vertus, la possibilité de prévenir les violences faites aux femmes et les cas de harcèlement ou de discrimination.
Leur disparition tombe particulièrement mal, en une période où la parole se libère sur le sexisme ordinaire, dont le lieu privilégié est le travail. Une femme sur cinq a déjà été confrontée à une situation de harcèlement sexuel sur son lieu de travail. Ce sont les femmes qui subissent les décisions les plus contraignantes, comme le temps partiel imposé, et les inégalités de salaires sont toujours immenses – en moyenne de l'ordre de 27 %.
Selon le Défenseur des droits, 39 % des personnes homosexuelles déclarent souffrir de commentaires et d'attitudes négatives au travail.
Dans Orientation sexuelle et écart de salaire sur le marché du travail français : une identification indirecte, un article publié par l'INSEE en 2013, les économistes Thierry Laurent et Ferhat Mihoubi constatent que les hommes homosexuels gagneraient en moyenne 6,3 % de moins que les hommes hétérosexuels dans le secteur privé, et 5,6 % de moins dans le secteur public. D'après la même étude, ces écarts de salaires s'accroissent lorsque l'employeur perçoit l'homosexualité du salarié avec certitude.
Enfin, selon le dernier rapport de SOS Homophobie, 17 % de cas supplémentaires de discriminations liés à la transsexualité ou à l'homosexualité lui ont été signalés d'une année à l'autre. Cette situation n'est pas suffisamment prise en compte au sein des entreprises. Le rapport nous révèle ainsi que « lorsque la victime a le courage de dénoncer une agression, l'appui des supérieurs est loin d'être toujours assuré, comme le raconte Flavien qui a reçu un accueil mitigé de ses supérieurs, qui ne veulent "pas faire de vagues" : sa supérieure directe lui demande de prendre les choses avec plus de légèreté après qu'il a entendu des propos homophobes sous la forme de "blagues" au cours d'une réunion de cadres de son entreprise. Malgré les textes légaux, les LGBTphobies ne sont pas encore suffisamment reconnues et combattues dans le contexte professionnel ».
Maintenant que la parole s'est libérée, le législateur doit prendre le relais et faire en sorte que le droit protège les femmes, les homosexuels et toute personne victime de discriminations basées sur l'âge, l'apparence ou l'origine sociale.
Cet amendement propose la création de comités de prévention du sexisme, de l'homophobie et des discriminations dans les entreprises d'au moins 50 salariés. Or il existe déjà un véritable arsenal de dispositions destinées à lutter contre les fléaux dont il est ici question.
Premièrement, le salarié s'estimant victime d'une discrimination professionnelle peut saisir directement, c'est-à-dire sans aucun intermédiaire, le conseil des prud'hommes – et dans la procédure qui va s'engager, c'est sur l'employeur que va peser l'essentiel de la charge de la preuve : comme on le voit, il s'agit d'un dispositif très favorable au salarié.
Deuxièmement, l'inspection du travail a elle aussi vocation à défendre les salariés victimes de discriminations. J'ai déjà eu l'occasion de côtoyer des inspecteurs et des contrôleurs du travail, mais aussi d'accompagner des salariés dans le cadre de rendez-vous avec des fonctionnaires de l'inspection du travail ; je sais à quel point ils sont attentifs aux plaintes pour discriminations. Par ailleurs, leur position extérieure au monde de l'entreprise est la garantie d'un regard neutre porté sur l'affaire qui leur est soumise, mais aussi d'un certain recul.
Troisièmement, pour les entreprises de plus de 50 salariés, le droit d'alerte permet aux représentants du personnel, en cas d'atteinte aux droits des personnes, de saisir l'employeur s'ils constatent une atteinte résultant de faits de harcèlement sexuel ou moral, ainsi que toute mesure discriminatoire dans l'entreprise.
Quatrièmement, le comité social et économique peut également « susciter toute initiative qu'il estime utile et proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral, du harcèlement sexuel et des agissements sexistes », conformément à l'article L. 2312-9 du code du travail.
Cinquièmement enfin, chacun peut saisir, directement et individuellement, le Défenseur des droits, dont les services, que je connais, sont extrêmement sérieux.
Comme vous le voyez, il existe déjà un grand nombre d'interlocuteurs susceptibles d'intervenir pour accompagner une personne s'estimant victime de discrimination. Ils sont tous compétents, investis et capables de déclencher des actions visant à protéger le salarié. S'il n'existait que des dispositifs inopérants, je pourrais penser que votre proposition est utile, mas ce n'est pas le cas : tout salarié estimant faire l'objet d'une discrimination a à sa disposition un arsenal de dispositifs extrêmement efficaces. J'émets donc un avis défavorable à votre amendement, quand bien même le sujet me paraît excellent.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine les amendements AS20 et AS19 de M. Jean-Charles Taugourdeau.
Ces deux amendements, que je défends ensemble dans un souci d'efficacité, ont trait à la problématique des seuils, qui peuvent limiter la croissance et le recrutement : on compte vingt-quatre fois plus d'entreprises de quarante-neuf salariés que d'entreprises de cinquante salariés. Il est vrai que cette question ne figure pas dans le champ d'habilitation de l'ordonnance.
L'amendement AS20 a pour objet de doubler la valeur numérique de tous les seuils sociaux dans les articles du code de travail et du code de la sécurité sociale qui en comportent.
Quant à l'amendement AS19, il vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement, au 1er janvier 2018, un rapport répertoriant l'ensemble des seuils sociaux et menant une réflexion sur les externalités négatives engendrées par les seuils, afin d'envisager la suppression de ceux-ci. Compte tenu du fait que nous sommes en pleine période budgétaire, je précise que nous serions disposés à reporter de quelques mois du délai de remise du rapport, afin de laisser au Gouvernement le temps d'y travailler.
Sans doute ces amendements ont-ils été rédigés avec le concours de M. Lurton, qui évoque régulièrement la problématique des seuils.
La remise en cause les seuils ne me paraît pas constituer pas la meilleure approche pour fluidifier le marché du travail. Ce n'est en tout cas pas celle qui a été retenue dans les ordonnances, même si celles-ci visent à simplifier les choses et à donner plus de souplesse aux dispositifs, notamment afin de faciliter le dialogue social.
La définition arbitraire de nouveaux seuils risque, à mon avis, de créer de nouvelles rigidités, ou du moins de déplacer celles qui existaient précédemment. Au demeurant, les seuils sont souvent protecteurs des salariés ; pour ma part, je suis très attaché à la présence de représentants du personnel dans les entreprises dès 11 salariés, ainsi qu'au maintien dans toutes les entreprises d'au moins 50 salariés de compétences élargies pour les représentants du personnel – j'ai d'ailleurs dépensé beaucoup de temps et d'énergie cet après-midi à expliquer à plusieurs d'entre vous, inquiets à la perspective de voir certaines prérogatives disparaître, que ce ne serait pas le cas.
Monsieur le rapporteur, je peux comprendre votre argumentation sur le fond et votre avis défavorable à l'amendement AS20 – d'autant qu'il porte sur un sujet situé en dehors du champ d'habilitation de l'ordonnance ; mais pourquoi repousser l'amendement AS19, qui propose de mener une réflexion sur le sujet ?
Les deux amendements proposés portent sur la question des seuils, le rapport demandé par l'amendement AS19 ayant pour but d'engager un débat sur leur bien-fondé. En d'autres circonstances, je ne serais pas fermé à ce débat, mais force est de constater que les seuils ont aussi un rôle protecteur. En l'occurrence, nous sommes en présence d'ordonnances visant à simplifier les choses, et je ne pense pas que nous ayons à entrer dans un débat sur les seuils à l'occasion de l'examen du projet de loi visant à ratifier ces ordonnances, qui ont pour objet de créer les conditions d'un dialogue social rénové, simplifié et fluide, afin de donner de l'agilité à nos entreprises dans un contexte qui évolue, de favoriser l'initiative et l'emploi, et d'encourager ceux qui oeuvrent pour l'intérêt général en acceptant la responsabilité consistant à représenter les salariés.
Nous avons déjà largement débattu de cette question des seuils dont nous ne méconnaissons pas l'importance. J'entends la réponse de M. le rapporteur, qui correspond à la position adoptée par le groupe La République en marche au terme d'une discussion en interne : on peut effectivement penser qu'en augmentant les seuils, on ne fait que déplacer les problèmes qu'ils peuvent créer. Cela dit, je me souviens également des propos de Mme la ministre, qui a indirectement ouvert la discussion sur ce point en disant que nous devions chercher par quels moyens nous pourrions favoriser la création d'emplois. Sur ce point, comment ne pas s'interroger sur le fait qu'il y a vingt-quatre fois plus d'entreprises de quarante-neuf salariés que d'entreprises de cinquante salariés ? Je ne sais pas si un rapport est nécessaire, mais il ne paraîtrait pas superflu d'engager au moins une réflexion, ne serait-ce que pour vérifier qu'il n'y a pas là un gisement d'emplois.
Il existe une multitude de seuils : ceux à dix, vingt ou cinquante salariés, mais aussi d'autres moins connus, par exemple celui de vingt-cinq salariés, à partir duquel la présence d'une cantine dans l'établissement devient obligatoire… Sans doute conviendrait-il de faire un peu de nettoyage parmi les différents seuils afin de permettre aux entreprises de gagner en visibilité, et surtout pour éviter que certaines d'entre elles n'aient tendance à éviter d'embaucher du personnel, de craindre de franchir l'un de ces seuils.
Comme l'a expliqué M. le rapporteur, on peut toujours avoir l'impression d'avoir fait un progrès au moment où on déplace un seuil, mais en réalité on ne fait que déplacer le problème. Et supprimer tous les seuils reviendrait à imposer aux plus petites entreprises toutes les obligations des grandes, ce qui, tout le monde en conviendra, ne manquerait pas d'avoir un effet catastrophique en termes d'emploi.
En dehors des seuils à caractère fiscal et social, les ordonnances abordent surtout la question des seuils sous l'angle de la représentation et des modes de dialogue social dans les entreprises, différenciés en fonction du nombre de salariés – moins de cinquante, moins de vingt, moins de onze. Si l'idée selon laquelle les formes du dialogue social doivent conserver une certaine souplesse a été prise en compte, la fusion des trois IRP en une instance unique pour toutes les entreprises d'au moins onze salariés a déjà considérablement simplifié les choses ; il est permis de penser que, de ce point de vue, les ordonnances vont avoir un effet de lissage non négligeable, et sans doute inciter les petites et moyennes entreprises à progresser vers la taille supérieure, en les accompagnant dans cette démarche.
Laissons à ces évolutions très attendues le temps de produire leurs effets ; en l'état actuel, je ne vois pas l'urgence qu'il y aurait à établir un nouveau rapport sur la question des seuils.
La commission rejette successivement les amendements AS20 et AS19.
Nous en avons fini avec les amendements portant articles additionnels visant à modifier l'ordonnance n° 2017-1386, et nous en revenons à l'amendement AS238 précédemment réservé.
La commission examine l'amendement AS238 du rapporteur.
Cet amendement vise à ratifier l'ordonnance n° 2017-1386, relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales.
Je ne reviendrai pas sur les échanges, au demeurant très intéressants, que nous avons eus au sujet de cette ordonnance, et m'attarderai plutôt sur trois autres dispositions de cette deuxième ordonnance, dont nous avons peu parlé ici mais qui sont pourtant tout aussi importantes, puisqu'elles visent à favoriser et à valoriser l'exercice des responsabilités syndicales et de représentation : le renforcement de l'entretien de fin de mandat pour les titulaires de mandats syndicaux ; le renforcement de l'obligation de formation de l'employeur pour les salariés mis à disposition des organisations syndicales de salariés ; le maintien enfin, à la charge de l'employeur, de la rémunération intégrale des salariés bénéficiant d'un congé de formation économique, sociale et syndicale – nous avons peu parlé de ces dispositions, alors que ce congé concerne près de 50 000 salariés chaque année, auxquels il apporte beaucoup.
Il me paraissait important de souligner ces dispositions de l'ordonnance qui apportent des réponses concrètes aux défis posés par l'exercice d'un mandat syndical ou de représentation.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à adopter cet amendement de ratification de l'ordonnance n° 2017-1386.
Je rappelle que les amendements identiques AS3 de M. Vallaud, AS173 de M. Dharréville et AS186 de Mme Fiat, tombés avec la rédaction globale de l'article 1er, visaient à modifier cette ordonnance. Si leurs auteurs souhaitent prendre la parole sur l'amendement du rapporteur, ils peuvent le faire.
La fusion des IRP était souhaitée et défendue depuis longtemps par notre groupe, qui se félicite de la création du comité social et économique. Nous serons attentifs à la manière dont les entreprises se saisiront ou pas du dispositif du conseil d'entreprise ; si nous souhaitions initialement l'intégration de la compétence de négociation dans l'instance fusionnée, nous considérons qu'un pas dans la bonne direction a été fait avec l'adoption d'un amendement visant à permettre une possibilité de négociation.
Par ailleurs, la valorisation des parcours syndicaux est une condition nécessaire au développement de la culture de dialogue social que portent les ordonnances. Notre groupe est donc favorable à la ratification de cette ordonnance.
Pour ma part, je suis défavorable à la ratification de cette ordonnance, ce qui ne surprendra personne, et je me contenterai de poser deux questions.
Premièrement, madame la ministre, j'ai toujours autant de mal à saisir ce qui vous a conduite à la conclusion que les CHSCT devaient fusionner au sein d'une instance unique : vous êtes-vous référée à des études, à des expertises, des avis particuliers ? Le cas échéant pouvez-vous nous indiquer lesquels ? Le bilan dressé par nombre d'organisations sur les IRP est éloquent : leur utilité et la qualité du travail qu'elles effectuent sont reconnues. Du coup, je reste un peu sur ma faim.
Deuxièmement, je me demande pourquoi le contenu de l'amendement adopté par notre commission, qui étend encore la possibilité de fusionner les instances, n'était initialement pas inscrit dans les ordonnances ; mais peut-être aurons-nous l'occasion d'en reparler.
La commission adopte l'amendement.
La séance, suspendue à 19 heures 40, est reprise à 19 heures 55.
Nous en venons aux amendements portant sur l'ordonnance n° 2017-1387.
Je vous rappelle que l'examen de l'amendement AS237 du rapporteur, autorisant la ratification de cette troisième ordonnance, est réservé jusqu'à la fin des amendements visant à la modifier.
La commission est saisie de l'amendement AS76 de M. Boris Vallaud.
L'accès au droit est un enjeu fondamental, notamment pour les petites entreprises qui n'ont ni DRH ni service juridique. C'est un marqueur d'inégalités entre la grande et la petite entreprise. La question est d'autant plus cruciale que vous avez décidé de renforcer les normes décentralisées, et tout particulièrement la négociation d'entreprise.
Vous proposez, dans un premier temps, la mise en place avant 2020 d'une version numérique du code du travail et, dans un second temps, la création d'un rescrit social. Instaurer un rescrit social n'est pas chose facile. La loi d'août 2016, en son article 61, prévoit déjà que tout employeur de moins de 300 salariés a le droit d'obtenir une information précise et délivrée dans un délai raisonnable. À propos, où en est la mise en oeuvre du service public territorial de l'accès aux droits, prévu à ce même article 61 ?
Ce chapitre, au mieux, répète des dispositions législatives déjà adoptées qui n'attendent que d'être appliquées, ou, au pire, constitue un affichage politique sur un sujet qui mériterait une attention de bien plus grande. Il paraît essentiel de réaliser au préalable un diagnostic de l'existant.
Nous proposons la suppression de cet article et l'installation d'un groupe de travail spécifique qui traiterait la question de l'accès au droit en matière sociale.
Vous proposez de supprimer la création, à l'horizon de 2020, d'un code du travail numérique, arguant qu'un tel service est déjà prévu par la loi du 8 août 2016. Ce qui n'est pas faux : un service régional d'accès au droit du travail doit effectivement être déployé, selon le même principe que celui qui sous-tend l'article 1er de cette ordonnance.
Mais loin de se faire concurrence, ces deux dispositifs sont plutôt complémentaires. Celui que vous évoquez repose sur une logique territoriale et un pilotage de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), alors que le code du travail numérique représente son volet national. Dans la mesure où ils se complètent utilement sans se faire concurrence, je ne vois pas l'intérêt d'en supprimer un pour privilégier l'autre. Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement AS12 de M. Stéphane Viry.
La création de code numérique ne peut que faciliter la recherche d'information de chacune des parties ; c'est donc une bonne chose. Toutefois, nous nous interrogeons sur l'articulation entre les deux textes que vient d'évoquer le rapporteur en les jugeant complémentaires.
Comment le code numérique va-t-il s'articuler avec le dispositif d'appui aux entreprises de moins de 300 salariés, adopté en août 2016 ? Comment va-t-il s'articuler avec la base de données nationale qui doit assurer la publicité des accords d'entreprise depuis septembre 2017 ? Le code numérique tiendra-t-il lieu de rescrit ? Celui qui viendra chercher des informations sur le code numérique aura-t-il un droit de réponse ? Il s'agit, vous l'aurez compris, d'un amendement d'appel.
Votre amendement est satisfait car la notion de dispositions conventionnelles regroupe les accords collectifs conclus à tous les niveaux, celui de la branche, de l'entreprise ou de l'établissement. Vous avez aussi des interrogations plus précises concernant le fonctionnement de cette base de données. Nous pourrons élargir le débat avec Mme la ministre en séance ; à ce stade, je n'ai pas compris s'il s'agissait d'un outil « 2.0 ». Il me semble qu'il s'agit de base de données qui regroupe toutes les informations en les rendant faciles à consulter. Je demande le retrait de votre amendement pour ne pas avoir à émettre un avis défavorable.
L'amendement est retiré.
La commission examine, en discussion commune, l'amendement AS51 de M. Pierre Dharréville et l'amendement AS192 de M. Adrien Quatennens.
L'article 2 de l'ordonnance relative à la sécurisation des relations de travail instaure le plafonnement des indemnités prud'homales à la charge de l'employeur lorsqu'il licencie sans cause réelle et sérieuse. Loin de sécuriser les salariés, il s'agit de reconnaître un permis de licencier abusivement, l'employeur connaissant à l'avance le prix de sa faute.
Pour ces raisons, nous demandons la suppression de ces mesures et le rétablissement des dispositions antérieures.
Mes arguments rejoignant ceux de mon collègue Dharréville, je considère que mon amendement est défendu.
Nous avons débattu de ce sujet à diverses reprises, notamment lors de la préparation du projet de loi d'habilitation.
Il y a un vrai sujet lié aux indemnités de dommages et intérêts accordés par le juge prud'homal en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec des pratiques très différentes d'un conseil de prud'hommes à l'autre. Le montant des dommages et intérêts peut varier du simple au triple, voire au quadruple, pour un même niveau d'ancienneté. Cela pose avant tout un problème d'équité pour les salariés. Pour les entreprises, et en particulier pour les très petites entreprises, cette situation est également source d'insécurité.
La définition d'un référentiel obligatoire, proposée par l'ordonnance, va permettre d'homogénéiser les pratiques actuelles et d'assurer une meilleure équité entre les salariés, tout en laissant une latitude souhaitable au juge.
L'ordonnance prévoit que certains types de licenciement nuls, notamment ceux qui font suite à des faits discriminatoires ou de harcèlement, ne sont pas couverts par le barème.
Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à ces amendements visant à supprimer ce référentiel obligatoire que j'appelle de mes voeux.
La commission rejette successivement les amendements AS51 et AS192.
Puis elle en vient à l'amendement AS75 de M. Boris Vallaud.
Cet amendement concerne aussi le barème obligatoire aux prud'hommes dont nous avons beaucoup débattu lors de nos derniers travaux. Pour nous, ce référentiel impératif s'apparente à un droit au licenciement abusif, le barème ayant pour effet de faire converger la jurisprudence. Nous devrions plutôt nous interroger sur l'éventuelle augmentation des indemnités légales de licenciement, comme le préconisent les centrales syndicales que nous avons entendues.
Mon argumentaire n'a pas changé depuis tout à l'heure. Mme Bareigts évoque l'augmentation des indemnités légales de licenciement que les organisations syndicales, notamment la CFDT, considèrent comme une avancée. Les indemnités légales de licenciement augmentent bel et bien de 25 % ; c'est une réalité. Quant au barème, il vise à donner un cadre tout en laissant une marge d'appréciation significative au juge. Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement AS79 de M. Boris Vallaud.
Madame la ministre, cet amendement, qui porte sur les barèmes obligatoires, nous éclairera vraiment sur vos intentions. Si votre objectif est bien de donner une plus grande visibilité aux employeurs, et non d'aboutir à une justice incapable de réparer correctement les abus commis à l'encontre d'un salarié, vous n'aurez aucun mal à émettre un avis favorable à cet amendement.
Nous vous proposons d'adopter un barème précisément établi en fonction des montants octroyés par le juge dans des situations de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Ces données sont issues d'une note établie en 2015 par les services de la chancellerie, à partir de l'étude de 400 arrêts rendus en 2014. On s'aperçoit que, dans près de deux tiers des arrêts, les juges ont fixé des indemnités correspondant à une valeur comprise entre six mois et dix-huit mois de salaire, autrement dit deux ou trois fois le seuil légal.
Notre amendement propose de retenir les moyennes constatées. Je vous rappelle, mes chers collègues, qu'il s'agit de licenciements abusifs et que la réparation de ces préjudices ne saurait se concevoir au rabais.
Votre amendement vise à relever à la fois les planchers et les plafonds, dans la ligne de ce que défendait précédemment notre collègue Boris Vallaud en appelant à améliorer les choses, alors que je lui indiquais que nous travaillons à droit constant.
Votre barème relève à six mois de salaire minimum l'indemnité accordée à un salarié ayant moins de deux ans d'ancienneté, allant même jusqu'à accorder six mois de salaire minimum à un salarié n'ayant aucune année d'ancienneté. Autrement dit, vous allez beaucoup plus loin que le droit antérieur qui ne prévoyait pas de plancher pour les salariés ayant moins de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise.
Vous relevez également très significativement les montants plancher des indemnités accordées aux salariés, allant jusqu'à quinze mois de salaire minimum à partir de vingt ans d'ancienneté. Ce montant se situe très au-delà des six mois obligatoires prévus auparavant par le code du travail. Comme vous avez été un peu taquine, je le serai aussi en vous faisant observer que votre majorité n'a pas modifié ces seuils au cours des cinq ans durant lesquels elle était au pouvoir. Je peux comprendre que ce n'était pas la préoccupation de la mandature précédente…
Enfin, vous doublez tous les plafonds, ce qui a le mérite d'être clair : on multiplie tout par deux jusqu'à quarante mois de salaire brut pour un salarié ayant trente ans d'ancienneté ou plus. Cela me paraît assez éloigné de l'objectif d'homogénéisation des pratiques des conseils de prud'hommes, quoi qu'en dise votre exposé sommaire. Avis défavorable.
Monsieur le rapporteur, ces données ne résultent pas d'un travail personnel : elles sont tirées d'une note établie en 2015 par les services de la chancellerie, à partir de l'analyse de 400 arrêts rendus en 2014. C'est au regard de la pratique jurisprudentielle que nous proposons ces barèmes.
Tout en restant très opposé à l'établissement d'un barème, je trouve cet amendement avec sa nouvelle grille plutôt sympathique… À la lumière des explications d'Éricka Bareigts, nous comprenons que votre barème aura inévitablement une incidence sur la jurisprudence. Il permettra sans doute d'homogénéiser les pratiques, mais peut-être aussi d'abaisser le niveau des dommages et intérêts versés. Il serait de bonne politique de s'inspirer de la jurisprudence, du travail sérieux effectué par la justice. Si l'on doit légiférer en ce sens, il faudrait peut-être établir un barème plus proche du réel.
Je tenais à insister sur un fait : nous n'avons pas décidé, de façon unilatérale, que ces barèmes étaient les bons ; ils résultent de l'analyse précise de 400 arrêts rendus en 2014, et vous pourriez demander à la chancellerie de communiquer cette étude. Nous ne remettons pas en cause vos objectifs : sécuriser les relations, rendre les décisions plus prévisibles et homogènes. Notre proposition pourrait même contribuer à prévenir des contentieux futurs, en permettant de mieux assurer une réparation intégrale du préjudice, ce qui ne serait pas le cas avec des barèmes très éloignés de la jurisprudence antérieure.
Je suis un peu étonné. Au cours de la dernière législature, les membres de la majorité n'ont jamais songé à relever les barèmes des prud'hommes dans les conditions légales. Et maintenant, ils viennent maintenant nous expliquer qu'il faut augmenter ces barèmes dans des conditions spéciales… Qui plus est, le décalage était important entre les pratiques françaises et celles d'autres pays européens. Faisons preuve d'un peu d'humilité et reconnaissons que ce qui nous est proposé est plutôt juste.
Au vu des explications données par nos collègues du groupe Nouvelle Gauche, et étant donné que tout le monde a droit à une seconde chance dans la vie, nous voterons pour leur amendement.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement AS83 de M. Boris Vallaud.
Vous prévoyez des indemnités particulièrement réduites pour les salariés des TPE. Au-delà du fait que vous considérez qu'un salarié d'une TPE doit être moins bien traité qu'un salarié d'une grande entreprise ou d'une entreprise de taille intermédiaire (ETI), vous faites fi de la censure de Conseil constitutionnel intervenue récemment. Les sages considèrent, en effet, que la distinction en fonction de la taille de l'entreprise est contraire à la Constitution.
Parce que nous sommes contre les montants appliqués, à savoir deux mois et demi de salaire pour dix ans d'ancienneté, et parce que nous considérons que le risque constitutionnel n'est pas levé, nous proposons la suppression de cet alinéa et de ce barème.
Vous vous inquiétez, ma chère collègue, de la recevabilité de ces dispositions.
Le barème dérogatoire que vous souhaitez supprimer, applicable aux entreprises de moins de onze salariés, ne comporte que des planchers dérogatoires ; les plafonds d'indemnités applicables dans ces entreprises sont les mêmes que pour les entreprises d'au moins onze salariés.
Jusqu'à la publication des ordonnances, aucun plancher n'était applicable lorsque le salarié licencié avait moins de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise ou lorsque le licenciement était intervenu dans une entreprise de moins de onze salariés. La réparation était déterminée par le juge en fonction du préjudice subi.
Cette absence de plancher, et donc cette différence de traitement selon la taille de l'entreprise, avait été validée par le Conseil constitutionnel. Le 13 octobre 2016, celui-ci avait jugé en l'espèce que, « dans la mesure où les dispositions contestées ne restreignaient pas le droit à réparation des salariés, le législateur pouvait limiter le champ d'application de cette indemnité minimale en retenant le critère des effectifs de l'entreprise. »
Comme je suis d'accord avec le principe selon lequel il vaut mieux éviter de faire peser une charge trop lourde sur les petites entreprises, qui sont économiquement les plus fragiles, je suis défavorable à votre amendement.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement AS80 de M. Boris Vallaud.
La saisine du juge prud'homal est par nature protéiforme. Si elle tend le plus souvent, pour le salarié, à voir condamner une rupture du contrat de travail à durée indéterminée, son objectif ne se limite pas à la seule réparation du licenciement dépourvu de motif. Sont ainsi en jeu, à titre accessoire, le versement de salaires impayés ou d'heures supplémentaires, le paiement d'indemnités légales ou conventionnelles de licenciement, les congés payés afférents, le préavis.
C'est donc la totalisation des condamnations se rapportant à l'ensemble de ces demandes qui constitue ce qui peut être qualifié de « coût juridictionnel de la rupture », notion parfois confondue avec l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, stricto sensu.
Votre alinéa propose de laisser la possibilité au juge de tenir compte des autres indemnités versées. En fait, vous proposez d'ouvrir la possibilité d'établir un barème non plus pour les seules indemnités liées au licenciement abusif mais bien pour l'ensemble des indemnités, en permettant au juge d'élargir le périmètre d'appréciation de celles qui pourraient être versées dans le cadre des montants maximums prévus par le barème obligatoire.
Vous le reconnaissez vous-même, Monsieur le rapporteur, car en page 7 de votre projet de rapport, vous écrivez : « Toutefois, l'éventuel cumul des indemnités doit impérativement respecter le montant maximum prévu par le barème obligatoire. »
Rappelons que nous avons augmenté l'indemnité légale de 25 %, ce qui permet de rattraper un retard que nous avions enregistré par rapport à nos voisins européens.
Nous voulons aussi sécuriser les employeurs, leur permettre de sortir de leur frilosité : ils renoncent parfois à embaucher par peur d'avoir à gérer un licenciement compliqué. Plusieurs d'entre nous ont connu ces situations qui peuvent arriver à tout le monde. Qu'il y ait erreur ou faute – appelons cela comme on veut –, il faut que le salarié en soit dédommagé. En même temps, il ne faut pas que l'entreprise soit mise en péril et que l'employeur soit dissuadé d'embaucher par la suite.
Voilà notre objectif. Nous avons trouvé un équilibre par rapport à la situation antérieure. M. le rapporteur l'a parfaitement expliqué ; nous resterons sur cette position.
Je voudrais vous remercier, cher collègue Boris Vallaud, d'avoir lu mon projet de rapport avec intérêt, au moins jusqu'à la page 7 (Sourires.) Comme vous avez eu la gentillesse de le citer, vous ne serez pas surpris qu'un de vos collègues, qui a dû le lire aussi, ait déposé un amendement qui devrait répondre en partie à vos inquiétudes : je veux parler de l'amendement AS164 d'Aurélien Taché.
La référence à l'article L. 1235-3, selon laquelle le juge peut tenir compte des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, vise à rappeler que le montant de l'indemnité peut être pris en compte par le juge dans l'appréciation de la situation financière du salarié et donc pour déterminer le montant de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L'amendement d'Aurélien Taché répond au moins en partie à votre inquiétude, en précisant que le juge ne peut, en aucun cas, tenir compte de l'indemnité légale de licenciement pour fixer le montant de l'indemnité accordée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. À mon sens, il s'agit d'ailleurs plus d'une précision que d'autre chose, mais autant qu'elle soit apportée.
Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle en vient à l'amendement AS164 de M. Aurélien Taché.
Mon amendement vise en effet à préciser que le juge ne peut, en aucun cas, tenir compte de l'indemnité légale pour déterminer le montant de l'indemnité accordée au salarié en cas de licenciement abusif. Les deux indemnités sont bien distinctes.
Cet amendement, je viens de le dire, va dans le bon sens : l'indemnité légale de licenciement, revalorisée par décret cet été, je le rappelle, doit être versée au salarié dans tous les cas, quelle que soit la cause du licenciement. Il ne serait pas juste que le montant de cette indemnité puisse être pris en compte pour permettre au juge de moduler l'indemnité versée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Avis favorable.
Je voterai aussi pour cet amendement, même s'il ne répond pas à toutes les questions soulevées dans celui que j'avais moi-même proposé : le versement de salaires impayés, le versement d'heures supplémentaires, les congés payés afférents, le préavis. Il aurait été juste de tout prendre en considération.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle examine l'amendement AS81 de M. Boris Vallaud.
Le dernier alinéa de l'article L. 1235‑3 du code du travail, tel qu'il résulte de l'ordonnance, propose de plafonner la somme des indemnités liées au licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'autres indemnités qui n'ont absolument rien à voir et qui sont liées au licenciement économique : les indemnités versées en cas de non-respect par l'employeur des procédures de consultation des représentants du personnel ou d'information de l'autorité administrative ; celles versées en cas de non-respect de la priorité de réembauche ; celles versées en cas de licenciement économique dans une entreprise qui n'aurait pas de comité d'entreprise ou de délégué du personnel alors qu'elle y est légalement tenue.
Par cet alinéa, vous faites la démonstration que votre barème obligatoire va bien au-delà de la simple prévisibilité pour les entreprises. Il vise à réduire autant que possible les indemnités auxquelles le salarié licencié irrégulièrement aurait droit. Nous demandons la suppression de cet alinéa que l'augmentation de 25 % de l'indemnité légale ne saurait compenser.
Une partie de ma réponse est liée à l'amendement que nous venons d'adopter.
L'intérêt du barème obligatoire est d'améliorer la prévisibilité pour les entreprises et pour les salariés. Le juge peut tenir compte des autres indemnités – mais non pas des indemnités légales – pour fixer le montant de l'indemnité allouée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Comme pour tous les autres éléments objectifs qui interviennent dans l'appréciation du juge, la prise en compte d'autres indemnités ne peut conduire à déroger ni aux planchers, ni aux plafonds fixés par le barème ; sinon ce dernier n'aurait plus d'objet et ne répondrait plus à l'objectif de prévisibilité qui lui a été assigné. Avis défavorable.
À mon sens, le barème ne va pas conduire à donner un minimum d'indemnités au salarié licencié irrégulièrement, mais il va faciliter la conciliation et éviter un passage aux prud'hommes. Connaissant le plafond auquel il a droit, le salarié aura beaucoup plus de facilité à négocier directement. S'il obtient un montant égal ou supérieur au plafond, il renoncera au procès.
Cette négociation directe permettra à des salariés licenciés irrégulièrement d'obtenir les indemnités dues, alors qu'ils n'auraient pas forcément assigné leurs employeurs aux prud'hommes, ce qui réclame du temps et de l'énergie. Avec le nouveau dispositif, il leur sera plus facile de faire valoir leurs droits. Contrairement à certains collègues, je soutiens que davantage de salariés obtiendront réparation des dommages subis.
Cette logique me semble discutable. Je ne sais pas s'il est juste de vouloir dissuader les gens d'user de leur droit d'aller devant le juge pour obtenir réparation ; à supposer que nous entrions dans cette logique, nous devrions adopter un barème un peu plus dissuasif.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement AS74 de M. Boris Vallaud.
Les licenciements entachés par une faute de l'employeur d'une exceptionnelle gravité, notamment par des actes de harcèlement ou de discrimination, sont exclus du barème obligatoire.
Toutefois, vous avez supprimé les dispositions qui rappellent que cette indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire lorsque celui-ci est dû pendant la période couverte par la nullité, le cas échéant de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle, ce qui ne nous paraît pas tout à fait acceptable.
J'étais un peu perplexe à la lecture de votre amendement : ainsi rédigé, il réduit le champ des licenciements nuls qui sont exclus de l'application du barème obligatoire… Je ne crois pas que ce soit l'objectif poursuivi par son auteur.
Autrement dit, si la commission adoptait cet amendement, les licenciements déclarés nuls par le juge en raison de la dénonciation de crimes et délits, du non-respect des règles applicables au licenciement des salariés protégés, ou les licenciements survenant à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, seraient désormais soumis au barème obligatoire. Les salariés concernés perdraient le bénéfice de l'indemnité minimale de six mois de salaire.
Je ne pense pas, mon cher collègue, que ce soit l'intention de votre amendement mais, en l'état, je ne peux qu'y donner un avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle en vient à l'amendement AS78 de M. Boris Vallaud.
Nous en arrivons à un autre sujet majeur.
Pour les licenciements nuls, et notamment ceux intervenus en violation des dispositions relatives au harcèlement sexuel, la loi ne prévoyait rien avant 2016. La Cour de cassation avait toutefois pallié ce manque en décidant, dans une jurisprudence constante, que le préjudice découlant d'un licenciement déclaré nul lorsque le salarié ne réintégrait pas l'entreprise devait être indemnisé par une somme qui ne pouvait être inférieure aux salaires des six derniers mois, et ce quels que soient le nombre de salariés dans l'entreprise et leur ancienneté. La Cour de cassation avait donc institué une protection plus importante pour les salariés victimes d'un licenciement discriminatoire, et en toute logique, puisque ce sont les licenciements considérés comme les plus graves et les plus attentatoires à l'ordre public.
L'article 123 de la loi travail d'août 2016 a codifié cette jurisprudence, dans la continuité des travaux de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale.
Le présent amendement vise à porter à douze mois l'indemnité minimale pour plusieurs raisons. Pour commencer, il reprend des dispositions qui avaient déjà été adoptées par le Parlement en 2014 dans le cadre de la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes ; ensuite, le minimum actuel de six mois ne contraint pas les employeurs à mettre en place la prévention du harcèlement sexuel, alors qu'il s'agit d'une obligation légale ; enfin, comme l'a souligné l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, ce minimum de six mois ne répare pas le cataclysme que les violences sexuelles au travail ont provoqué dans la vie des victimes, c'est-à-dire les atteintes à la santé, la dislocation de la vie de famille, ou encore la perte de chance de retrouver un emploi équivalent.
Lorsque l'on est face à ce type de préjudice, la question n'est pas de savoir si six, huit ou douze mois de salaire sauront le réparer. C'est d'ailleurs ce que je crois comprendre de votre dernière phrase, mais elle me paraît un peu déconnectée du reste de votre argumentaire.
Vous souhaitez relever à douze mois l'indemnité minimale de six mois accordée aux salariés dont le licenciement a été annulé, notamment en raison de la violation d'une liberté fondamentale, de faits discriminatoires ou de harcèlement.
Il est évident que nos décisions ne doivent pas conduire à moins bien protéger les victimes de harcèlement et de discriminations, et je crois que tel est votre objectif. C'est pour cette raison qu'aucune indemnité plafond n'a été instaurée pour ces cas de nullité et que le plancher d'indemnisation, fixé à six mois de salaire, a été fait à droit constant.
Cela dit, je ne veux pas éluder ce problème en répondant que cela a été fait à droit constant, car vous et moi savons très bien que sur le fond ce n'est pas qu'une question de nombre de mois de salaire, même si cela constitue une forme de réparation.
Je ne suis pas convaincu de la nécessité de relever à douze mois ce plancher. Partons du postulat que le droit précédent était insuffisant et qu'on relève le plancher. Pour toutes les situations, il est important de laisser une marge d'appréciation au juge. Si celui-ci estime que la cause du licenciement le justifie, il pourra bien sûr accorder une indemnité supérieure à six mois, voire supérieure à douze mois. On sait très bien que le juge a une exigence en fonction de la situation qui lui est soumise.
Par ailleurs, la lutte contre le harcèlement et les discriminations doit se situer également en amont et pas seulement au stade de la réparation devant le juge prud'homal, l'arsenal législatif qui interdit ces pratiques étant déjà assez fourni. Comme l'a dit la ministre tout à l'heure, des efforts peuvent encore être réalisés dans les entreprises pour lutter et dénoncer ces pratiques illégales, mais cela doit se faire en amont et pas seulement à l'issue d'un licenciement illégal. Je crois avoir rappelé tout à l'heure, en réponse à un amendement de M. Ratenon, qu'il existait au moins quatre possibilités de saisine directe d'un salarié qui s'estimerait victime de types de comportement, notamment en matière de harcèlement. Autrement dit, nous disposons déjà d'outils efficaces et exigeants.
Voilà pourquoi je suis défavorable à cet amendement.
Monsieur le rapporteur, sur un sujet comme celui-là, nous essayons de trouver la meilleure solution et de contribuer à la réflexion. Il ne s'agissait évidemment pas pour nous de résumer le combat contre ce problème majeur à plus ou moins quelques mois. Nous avons entendu toute l'argumentation de Mme la ministre ce matin sur ce sujet ; je peux vous garantir que nous sommes aussi dans la vie réelle et que nous connaissons quelques cas. Bien sûr, il faut traiter les choses en amont, mais en demandant le relèvement du plancher à douze mois, nous voulons montrer aux entreprises que ce sujet est majeur et qu'une indemnité minimale de six mois est insuffisante. C'est un sujet de société profond qui méritera encore quelques réflexions et propositions.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement AS70 de M. Boris Vallaud.
Aux côtés des modes de rupture du CDI expressément prévus par la loi que sont le licenciement, la démission et la rupture conventionnelle, la jurisprudence avait admis la possibilité pour le salarié de prendre acte de la rupture du contrat de travail en raison de manquements de l'employeur à ses obligations. Cette possibilité a été codifiée en 2014. La prise d'acte produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire dans certains cas d'un licenciement nul, si bien sûr les faits invoqués la justifient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.
Par cette disposition, vous soumettez à votre barème prud'homal obligatoire la procédure devant le conseil de prud'hommes en cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, et le montant de l'indemnité octroyée est déterminé conformément à ce barème.
Faut-il comprendre que la prise d'acte du contrat de travail ou la résiliation judiciaire de celui-ci, en raison par exemple d'agissements de harcèlement moral qui, selon la jurisprudence, a les effets d'un licenciement nul, resterait soumise à ce barème ou si un licenciement prononcé pour un motif de cette nature qui entraînerait sa nullité ne le serait pas ? Il faut s'accrocher, mais je suis sûr que vous avez vu cela à tête reposée, monsieur le rapporteur…
J'avais pointé du doigt ce sujet déjà évoqué par Mme Bareigts et sur lequel le défenseur des droits m'avait sollicité.
Il peut paraître normal que les cas de prise d'acte faisant suite à des faits de harcèlement ou de discrimination soient soumis au barème, alors que les licenciements jugés abusifs pour les mêmes raisons ne le sont pas. Mon amendement AS240, que nous allons examiner dans quelques instants, exclut de l'application du barème les ruptures consécutives à une résiliation judiciaire ou prise d'acte entachée de faits portant atteinte à une liberté fondamentale, dans les mêmes conditions que pour les licenciements nuls. Je sais que vous voterez avec plaisir cet amendement si vous estimez qu'il va dans le sens que vous souhaitez. Je vous propose donc de retirer votre amendement au bénéfice de mon amendement AS240. À défaut, j'émets un avis défavorable.
L'amendement est retiré.
La Commission examine l'amendement AS240 du rapporteur.
Cet amendement a le même objet que le précédent : il vise le cas des prises d'actes qui peuvent être assimilés à des licenciements nuls, auquel cas les indemnités décidées par le juge se retrouvent soumises au barème obligatoire. Or ces modes de rupture du contrat de travail sont fréquemment utilisés par les victimes de discriminations, de harcèlement discriminatoire ou de harcèlement sexuel, puisqu'ils permettent de mettre fin immédiatement à une relation de travail entachée de manquements graves de l'employeur.
Afin que les salariés recourant à de telles procédures soient traités de la même façon que les autres victimes de harcèlement et de discrimination, je propose donc de modifier l'article L. 1235-3-2, afin de préciser que le barème obligatoire n'est pas applicable dans les cas où la rupture produit les effets d'un licenciement nul, c'est-à-dire dans les cas limitativement énumérés à l'article L. 1235-3-1 – violation d'une liberté fondamentale, harcèlement moral ou sexuel, licenciement discriminatoire ou consécutif à une action en justice.
La commission adopte l'amendement.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l'amendement AS84 de M. Boris Vallaud.
La commission est saisie, en discussion commune de l'amendement AS216 de M. Adrien Quatennens, et de l'amendement AS77 de M. Boris Vallaud.
Le licenciement est une souffrance pour ceux qui en sont victimes. Il plonge dans l'incertitude des familles entières qui se demandent si elles pourront payer leur loyer le mois prochain alors que le montant de leur aide personnalisée au logement (APL) va diminuer, et si elles pourront continuer à se soigner alors que la sécurité sociale subit une cure d'austérité. Cette souffrance est encore accentuée quand il s'agit d'un licenciement abusif, sans cause réelle et sérieuse. Le Gouvernement facilite pourtant allègrement ces licenciements par ses ordonnances. Nous avons déjà dénoncé à plusieurs reprises la barémisation des dommages et intérêts. Avec le peu de prérogatives que vous leur laissez, les juges ne peuvent décider de la réintégration du salarié dans l'entreprise quand la nullité du licenciement est établie. Le retour à l'emploi correctement rémunéré est alors la meilleure chose qui puisse arriver. Toutefois, cette réintégration peut être jugée impossible pour plusieurs raisons, par exemple les pressions que subirait le salarié.
Lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, nous proposons donc que le plancher soit réajusté de six à dix-huit mois.
Par ailleurs, nous souhaitons que le salarié licencié pour motif économique puisse bénéficier d'une priorité de réembauche durant un délai d'un an et que le plancher, en cas de non-respect de la priorité de réembauche, soit relevé d'un à quatre mois. Il s'agit, à chaque fois, de tenir compte de la difficulté de retrouver un emploi en raison d'un marché du travail atomisé par les politiques de libéralisation, de dérèglement et d'austérité.
Notre amendement AS216 tend à préserver la possibilité d'une libre décision des salariés.
Vous divisez par deux le plafond de l'indemnité due au salarié dont le licenciement est nul et pour lequel la réintégration ou la poursuite de son contrat de travail est impossible. Ainsi, le plancher serait de six mois de salaire, contre douze auparavant.
Certes, au-delà de ce minimum légal, la fixation du montant de l'indemnité relève du pouvoir souverain d'appréciation du juge du fond, mais vous risquez de faire du plancher un plafond et de porter ainsi une atteinte grave au régime de sanction de la nullité. C'est la raison pour laquelle nous proposons, dans l'amendement AS77, de rétablir le plancher de douze mois.
Monsieur Ratenon, votre amendement vise à relever de façon extrêmement significative, puisque vous proposez de passer de six à vingt-quatre mois, l'indemnité accordée en cas de nullité du licenciement collectif – le droit applicable avant l'ordonnance était de douze mois –, et d'un à quatre mois celle accordée en cas de non-respect de la priorité de réembauche – le droit applicable avant l'ordonnance était de deux mois. Vous proposez d'aller beaucoup trop loin, beaucoup plus loin même que le droit antérieur aux ordonnances sans que cela soit justifié par une situation particulière. Vous comprendrez donc que je sois défavorable à cet amendement.
Je répondrai à M. Vallaud qu'il s'agit là d'une question de cohérence puisque les autres cas de nullité sont sanctionnés par une indemnité de six mois. Mais six mois, c'est seulement un plancher ; la liberté d'appréciation du juge est totale. Il aura donc toute liberté, à partir de ce plancher-là, de fixer l'indemnité, par exemple à quinze mois, dix-huit mois ou plus.
La commission rejette successivement les amendements.
Elle en vient ensuite à l'amendement AS85 de M. Boris Vallaud.
Vous avez réduit le plancher de l'indemnité versée en cas de non-respect de la priorité de réembauche de deux mois à un mois. Nous n'y sommes pas favorables. En réduisant les sanctions des obligations auxquelles sont tenus les employeurs, vous en favorisez la non-application.
Les amendements que nous venons de défendre permettent de mettre en lumière la régression discrète contenue çà et là dans votre texte. Nous demandons donc le rétablissement du plancher à deux mois.
Le texte n'avait pas pour objectif d'être discret… C'est d'ailleurs tant mieux, la représentation nationale s'en saisit et en discute.
Je vous parlais à l'instant de cohérence. Ce n'est pas une sanction, mais un plancher en dessous duquel on ne peut pas descendre. Et ce n'est pas parce que l'employeur n'a pas réembauché une personne qu'il aura une amende. Par contre, si la personne qui n'a pas été réembauchée se présente devant le juge, celui-ci apprécie la situation et fixe une indemnité qui ne peut être inférieure au plancher.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle est saisie de l'amendement AS87 de M. Boris Vallaud.
Il s'agit là de la nullité des licenciements discriminatoires ou contraires aux dispositions relatives à l'égalité entre les hommes et les femmes. Une fois encore, vous prévoyez un plancher d'indemnités au rabais – six mois – résultant d'agissements d'une particulière gravité et qui rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Nous vous proposons donc, conformément à l'amendement dont nous avons discuté précédemment, de porter à douze mois de salaire le plancher d'indemnités versées aux victimes de discrimination et d'agissements graves. Il est vrai que nous ne perdrions pas cette cohérence si nous fixions tous les planchers à douze mois.
Je m'attendais à cette proposition… Mais retenez que c'est parce qu'il s'agissait d'un plan de sauvegarde de l'emploi que les conditions étaient un peu spécifiques.
Là aussi, il ne s'agit pas de priver quelqu'un du bénéfice d'une réparation puisque le juge aura tout loisir d'aller au-delà de ce plancher. J'ai bien compris qu'en fixant un plancher de douze mois, vous voulez être certain que je juge ne pourra pas décider une indemnité inférieure à ce plancher. Pour ma part, je pense que le juge doit avoir une latitude d'appréciation. Cela dit, je suis favorable au principe d'un plancher. J'en veux pour preuve que je défends l'existence d'un plancher cohérent pour tous à six mois en matière de licenciements nuls.
Je rappelle que ces licenciements ne sont pas soumis au barème des dommages et intérêts et que nous venons de préciser les choses grâce à l'amendement AS164 que vous auriez presque pu codéfendre avec Aurélien Taché.
Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Elle étudie ensuite l'amendement AS88 de M. Boris Vallaud.
Nous proposons d'alourdir les sanctions applicables aux employeurs qui ne respectent pas leurs obligations relatives à la protection de la grossesse et de la maternité.
Une fois de plus, nous n'avons pas tout à fait la même lecture : il s'agit pour nous d'une réparation et non d'une amende. Nous sommes bien dans le cas d'une indemnité qui pourra être supérieure au plancher.
Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement AS34 de M. Adrien Quatennens.
L'article 4 de l'ordonnance n° 2017‑1387 instaure un droit à l'erreur pour les employeurs lorsque les conditions de licenciement n'ont pas respecté les formes légales et en vigueur. Vous voulez sécuriser les employeurs, mais vous plongez dans l'insécurité les salariés qui seront licenciés au mépris des formes élémentaires de la procédure et même du droit commun.
Pour l'employeur comme pour le salarié, le respect des formes de la lettre de licenciement est un atout qui permet d'éviter des litiges ou des erreurs. Vous mettez bel et bien fin ici aux vices de forme dans le domaine du travail sous prétexte qu'un patron qui licencie serait forcément de bonne foi. Et même s'il peut l'être, la question n'est pas là : on navigue encore dans ce discours qui nie les relations de subordination entre employeur et employé, qui sont à la base du droit social dans ce pays. On ne comprend donc pas quel est l'intérêt de cet article qui ne contribue finalement qu'à banaliser l'acte de licenciement.
Quand il s'agit de défendre les chefs d'entreprise, vous savez faire la distinction entre la fraude et l'erreur : Ainsi, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous alourdissez les amendes contre les présumés fraudeurs et contre les agents des caisses de la sécurité sociale qui ne transmettent pas les documents permettant la traque. Ici, vous établissez un droit à l'erreur a priori pour les employeurs… Ils n'en attendaient pas tant de votre part ! Votre logique du deux poids et deux mesures accentue encore le déséquilibre du rapport de force entre employeur et employé. L'absence ou la présence erronée de mention et d'éléments sur un acte de licenciement peuvent affecter considérablement le sens de l'acte. Pour prévenir la banalisation de ce type d'erreur fatale pour une véritable transparence et un rapport d'égalité de l'employé et de l'employeur devant le droit, et contre la banalisation d'un acte de licenciement, nous demandons donc la suppression de ce dispositif.
Avis défavorable. Vous proposez en fait de revenir au droit antérieur s'agissant des règles de procédure et de motivation du licenciement ; or l'article 4 de l'ordonnance n° 2017-1387 a introduit plusieurs innovations importantes qui sont, à mon sens, facteur de progrès et de sécurisation.
Premièrement, la mise en place de modèles de lettres de licenciement ne peut être qu'à l'avantage de l'employeur comme du salarié, car cela permet de bien avoir présent à l'esprit ce qui s'impose à chacune des parties.
L'employeur doit aussi justifier pourquoi il envisage de licencier son salarié et le préciser. Il sait aussi qu'il doit respecter des délais, qu'il doit organiser un entretien préalable qui lui permet de se forger une opinion par rapport aux faits qu'il pense avoir à reprocher au salarié. Cette procédure est inchangée. L'existence de ce document permettra à cette procédure de prendre corps là où elle n'était peut-être pas utilisée complètement. Cette procédure sera aussi bien à l'avantage du salarié qu'à celui de l'employeur.
Deuxièmement, la possibilité est donnée à l'employeur de préciser – j'ai bien dit préciser et non compléter : l'employeur ne refait pas le courrier de licenciement, il peut préciser les éléments qu'il a indiqués mais pas en invoquer de nouveaux – son ou ses motifs de licenciement en aval de l'envoi de la lettre de licenciement. Il est également précisé que si l'insuffisance de motivation représente bien une irrégularité de forme, elle n'est pas en soi constitutive d'une absence de cause réelle et sérieuse. Trop souvent, le juge assimile l'insuffisance de motivation à son absence ; or ce n'est pas parce que l'on motive mal qu'il n'y a pas de motif.
Troisièmement, l'ordonnance prend en compte le traitement de la pluralité des motifs de licenciement, et notamment le cas où l'un des motifs présente un risque de nullité du licenciement.
Enfin, un CDD ou un contrat de mission ne peut plus être mécaniquement requalifié en CDI au seul motif que le contrat n'a pas été transmis dans les délais. Là encore, il s'agit plus d'un non-respect formel, et la sanction de requalification automatique en CDI paraît totalement disproportionnée.
Sur tous ces points donc, il me semble que la rédaction proposée par l'ordonnance est de nature à renforcer la sécurité juridique des deux parties et à faire en sorte que la procédure de licenciement soit moins vécue comme une sorte de loterie, en tout cas lorsqu'elle est contestée, ce qui est, avouons-le, assez souvent le cas aujourd'hui. Comme nous l'avons dit tout à l'heure, les études dont nous ont fait part les uns et les autres ont montré que les dommages et intérêts varient d'un à quatre. Le salarié qui aura touché quatre se gardera bien d'aller voir comment se débrouille celui qui aura touché un… Il est donc bon qu'il y ait une cohérence d'ensemble.
Madame Fiat, je vais tenter de vous convaincre, même si je sais que ce sera difficile, car j'ai trouvé vos propos un peu déplacés.
Nous connaissons tous des gens qui ont été licenciés, et vous avez parfaitement décrit la douleur que cela peut représenter. À cela s'ajoute l'attente de la décision prud'homale qui peut prendre un ou deux ans. On discute sur le préjudice, la valeur du préjudice, l'indemnisation. Nous voulons un barème pour donner une plus grande lisibilité à l'employeur et à l'employé afin de faciliter des règlements transactionnels, comme cela existe dans la totalité des pays européens, et ainsi de limiter le recours aux prud'hommes. Il faut que le salarié sache très rapidement ce à quoi il a droit et que l'employeur puisse payer le plus rapidement possible pour que l'employé licencié puisse reconstruire sa vie dans une autre entreprise, dans un autre contexte.
Dans la vie réelle, l'employeur aura tout intérêt à transiger rapidement parce que s'il va aux prud'hommes, la sanction sera soumise à cotisations patronales ; autrement dit, cela lui coûtera plus cher qu'une transaction. L'intérêt de l'employeur est de toute façon de transiger avant. Avec un barème, le salarié pourra plus rapidement avoir la juste rémunération ou la juste transaction, ce qui lui permettra de reconstruire sa vie plus rapidement.
Je comprends un certain nombre de ces arguments : les délais sont fortement liés aux moyens que l'on accorde à la justice prud'homale, et ils sont extrêmement variables d'un tribunal à l'autre. Certains tribunaux sont totalement engorgés.
Si l'on constate des écarts considérables d'un tribunal à l'autre et alors que l'ancienneté est la même dans une entreprise, c'est parce que la réparation du préjudice n'est pas seulement fonction de l'ancienneté mais aussi de l'appréciation de la nature individuelle du préjudice. Si vous avez deux ans d'ancienneté, le préjudice ne sera pas le même si vous êtes un jeune célibataire de vingt-cinq ans sans enfant ou si vous êtes une femme et que vous avez des enfants en bas âge. C'est pour cela que le principe est celui de la réparation intégrale du préjudice. Tout à l'heure, vous avez proposé un barème pragmatique qui permettait cette prévisibilité, mais il était fondé sur des appréciations connues. Nous ne sommes pas d'accord avec le principe du barème, mais nous essayons de colmater la brèche.
Il faut aussi regarder les choses sous ce point de vue. Je ne dis pas que le vôtre est totalement faux, mais je ne crois pas que le nôtre soit totalement inexact non plus.
Monsieur Maillard, vous n'avez pas réussi à me convaincre… Quand vous dites que la conciliation pourrait être plus rapide et que le salarié pourrait toucher plus rapidement son argent, vous êtes dans le monde parfait où l'employeur admet qu'il a fait une erreur. Or lorsqu'on va devant les prud'hommes, c'est le plus souvent que soit l'employeur, soit l'employé refuse d'admettre qu'une erreur a été commise. On se retrouve alors devant une instance paritaire composée d'employés et d'employeurs et ce sont eux qui décident. Et si les délais sont trop longs, il suffit d'ouvrir plus de chambres prud'homales, comme nous l'avons déjà proposé.
La commission rejette l'amendement.
La séance est levée à vingt heures.
Information relative à la Commission
La Commission a poursuivi (1) la désignation de référents auprès des organismes suivants :
– Mme Caroline Fiat, auprès de la Haute autorité de santé ;
– M. Pierre Dharéville, auprès de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail ;
– M. Brahim Hammouche, auprès du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.
Présences en réunion
Réunion du mercredi 8 novembre 2017 à 16 heures 15
Présents. – M. Joël Aviragnet, Mme Delphine Bagarry, Mme Ericka Bareigts, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, M. Gérard Cherpion, M. Guillaume Chiche, Mme Christine Cloarec, M. Dominique Da Silva, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, Mme Audrey Dufeu Schubert, Mme Catherine Fabre, Mme Caroline Fiat, Mme Albane Gaillot, Mme Patricia Gallerneau, Mme Florence Granjus, Mme Caroline Janvier, Mme Fadila Khattabi, M. Mustapha Laabid, M. Gilles Lurton, M. Sylvain Maillard, M. Thomas Mesnier, M. Thierry Michels, M. Bernard Perrut, Mme Valérie Petit, Mme Michèle Peyron, M. Laurent Pietraszewski, Mme Claire Pitollat, M. Adrien Quatennens, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Mireille Robert, Mme Laëtitia Romeiro Dias, M. Aurélien Taché, M. Adrien Taquet, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, M. Boris Vallaud, Mme Michèle de Vaucouleurs, M. Olivier Véran, M. Francis Vercamer, Mme Annie Vidal, M. Stéphane Viry, Mme Martine Wonner
Excusés. - Mme Justine Benin, Mme Claire Guion-Firmin, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Nicole Sanquer
Assistaient également à la réunion. - M. Thibault Bazin, Mme Véronique Louwagie
1 () Processus complété après transmission des dernières candidatures par les groupes lors de la réunion du jeudi 9 novembre 2017.