Vendredi 7 février 2020
La séance est ouverte à quinze heures cinq.
La commission poursuit l'examen du projet de loi instituant un système universel de retraite (n° 2623 rectifié) (M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général, MM. Nicolas Turquois, Jacques Maire, Mmes Corinne Vignon, Carole Grandjean et M. Paul Christophe, rapporteurs).
Mes chers collègues, nous avons examiné jusqu'à présent 2 333 amendements ; il nous en reste 17 782 à examiner.
Article 8 (suite) : Modalités de calcul et d'acquisition du point, unité de mesure d'un système juste et transparent
La commission est saisie des amendements identiques n° 4856 de Mme Clémentine Autain et n° 4861 de M. Bastien Lachaud.
Je poursuis notre débat de ce matin sur le taux de cotisation unique – il est vrai très haché par votre limitation du temps de parole à une minute. Certes, monsieur le rapporteur, les mécanismes ne sont pas exactement les mêmes pour le privé et pour l'État, mais la logique est la même. Avec votre contre-réforme, l'État va se priver de marges de manoeuvre : ainsi, l'exonération de cotisations sociales, qui dure déjà depuis un moment, représente d'ores et déjà un manque à gagner en cumulé de l'ordre de 50 à 60 milliards d'euros par an ; de même avec la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en allégement de charges sociales. C'est autant de manque à gagner pour nos caisses de retraite. Comment allez-vous faire avec tous ces trous que vous créez vous-mêmes ?
Je rappelle que la règle limitant à une minute le temps de parole des députés défendant un amendement identique a été fixée par le bureau de la commission en raison du grand nombre d'amendements, afin que chacun puisse s'exprimer,
L'alinéa 8 illustre à merveille la logique d'individualisation que nous dénonçons depuis plusieurs mois : il vous permet d'ajouter des points – on ne sait comment, on ne sait combien – pour compenser les différentes périodes pouvant marquer le parcours professionnel ou de vie de l'assuré : périodes de chômage, de maladie, de réduction ou d'interruption d'activité consacrées à l'éducation des enfants. Cette individualisation absolue du mode de calcul est à l'opposé de l'universalité que vous prônez et des principes de redistribution et de solidarité nationale.
Nous avons déjà évoqué ces points à de nombreuses reprises. En dénonçant les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires mises en place par ce gouvernement et ceux qui l'ont précédé, comme la transformation du CICE en allégement de charges, vous raisonnez à périmètre constant, en oubliant que l'augmentation du produit intérieur brut (PIB) de 1,3 % en 2019 a dégagé 30 milliards d'euros supplémentaires. Une partie importante de la richesse ainsi créée peut, par le biais de la redistribution, être affectée aux politiques publiques, notamment dans le domaine social. Avis défavorable.
Ce débat « en kit » montre la difficulté de discuter d'une réforme dont on ne connaît pas le financement : c'est la grande différence avec les réformes antérieures.
Par curiosité, je me suis intéressé à celle de 2010. Le chapitre III de son étude d'impact détaillait, sous forme de tableau, les mesures proposées par le Gouvernement en vue d'un retour à l'équilibre à dix ans, qui s'appuyaient à l'époque sur des données du Conseil d'orientation des retraites (COR) de 2008. Je vous en donne les grandes lignes : solde avant réforme, moins 45 milliards d'euros ; impact annuel des mesures d'âge, 1 milliard d'euros de recettes ; effort net de l'État, 15,6 milliards d'euros, qui correspondent à son taux de contribution pour la retraite des fonctionnaires ; basculement des cotisations de l'UNEDIC, 1,4 milliard d'euros ; différentes mesures de recettes, 4,6 milliards d'euros ; différentes mesures de compensation, moins 1,6 milliard d'euros ; mesures de convergence public-privé, 4,9 milliards d'euros. Ce qui aboutissait à un solde équilibré qui s'est avéré assez exact, puisque ces résultats ont été atteints un peu plus tôt que prévu.
Monsieur le secrétaire d'État, quand serez-vous en mesure de nous fournir ces chiffres à dix ans pour votre réforme, ce qui permettrait à nos débats de franchir un grand pas ?
Votre objectif caché, nous l'avons dit ce matin, c'est de faire travailler la population plus longtemps. Pour ce faire, vous avez martelé l'idée selon laquelle ce projet de loi était absolument nécessaire afin de combler le déficit. Mais vous refusez de débattre des ressources permettant de continuer à financer les retraites, alors que ce déficit est la conséquence de vos choix politiques, comme votre décision de supprimer des postes de fonctionnaires : c'est ce que souligne le dernier rapport du COR – vous ne citez d'ailleurs que très rarement cette partie, car elle n'est pas à votre avantage. Pour la population, c'est une double, sinon une triple peine : non seulement ce sont des emplois supprimés, des services publics en moins, mais elle doit travailler plus longtemps avec des pensions en baisse.
Les prévisions de l'étude d'impact sont fondées sur l'hypothèse d'un taux croissance constant de 1,3 % du PIB, alors que l'on n'en sait strictement rien. On pourrait même se demander ce qui serait souhaitable : quel type de croissance, quel type de richesses ? Face au réchauffement climatique et aux défis environnementaux, est-il bien raisonnable de façonner un système de retraite avec des projections tablant sur une croissance linéaire de 1,3 % ? Certaines prévisions du Gouvernement nous ont déjà fait déchanter ; et même sur le plan démographique, les choses ne se sont pas toujours passées comme on s'y attendait. On navigue donc vraiment à vue.
Monsieur Brun, je vous renvoie au graphique n° 63 de la page 180 de l'étude d'impact, qui présente le solde du système de retraite avant et après réforme, et au tableau n° 40 qui détaille l'impact financier de la réforme sur les administrations publiques en points de PIB à horizon 2050. Nous en avions déjà parlé avec le président Woerth.
Votre question est intéressante en ce qu'elle fait écho au mandat donné à la conférence sur l'équilibre et le financement de notre système de retraite. Le tableau n° 63 qui prévoient un retour – en pointillés – à l'équilibre en 2027, puisque telle est la feuille de route des partenaires sociaux : il leur reste à proposer la façon de rétablir l'équilibre afin que le nouveau système puisse démarrer sur des bases saines. C'est tout simplement une mesure de bonne gestion. Il ne s'agit évidemment pas de combler le déficit accumulé au fil des ans dans le système actuel ; plusieurs réformes menées par le passé, on l'a dit, ont permis de le contenir dans des limites relativement tolérables – même s'il continue à se creuser.
La commission rejette les amendements.
Puis elle est saisie de l'amendement n° 22123 de M. Pierre Dharréville.
Cet amendement, certes récurrent, vise à obtenir des réponses de la part du rapporteur et du secrétaire d'État, qui persistent à entretenir le flou autour de leur véritable objectif : faire travailler les gens davantage et individualiser les parcours, au point de se retrouver dans une impasse totale. À vous entendre parler sans cesse d'universalité, de solidarité, ou encore du principe des grands gagnants, autre vaste blague, je me souviens à chaque fois de cette citation de Platon : « La perversion de la cité commence par la fraude des mots. » Ce qui est typiquement le cas ici...
Nous soutenons évidemment l'amendement de nos collègues communistes. L'allongement de la durée de vie, qui justifierait que l'on travaille plus longtemps, cache des disparités sociales insupportables et dont vous ne parlez pas. Ainsi, les youtubeurs Osons causer viennent de mettre en ligne une vidéo relative aux chiffres de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), que personne ne contestera : une personne pauvre sur quatre située dans le premier décile meurt avant 62 ans, c'est-à-dire au moment de partir à la retraite ; et un smicard sur cinq meurt avant cette même échéance. En revanche, 95 % des plus riches, contre 76 % des plus pauvres, sont encore en vie à ce moment-là.
Une profession notamment le dit fortement dans la rue : les égoutiers, dont l'espérance de vie est de 62 ans et qui pouvaient jusqu'à présent partir à 52 ans. Le nouveau système les conduira à partir à 62 ans, c'est-à-dire à la fin de leur espérance de vie ! L'un d'entre eux témoigne : « Je n'aurais jamais pataugé dans la merde sans la promesse de l'insalubrité. Avec ces conneries, nous nous faisons avoir. Nous sommes bons pour passer nos retraites six pieds sous terre. » Tel est le monde que vous préparez, où ils passeront directement du travail au cimetière !
La commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'article 8 sans modification.
Article 9 : Modalités de calcul et d'acquisition du point, unité de mesure d'un système juste et transparent
La commission est saisie des amendements identiques n° 5119 de Mme Clémentine Autain, n° 5137 Mme Mathilde Panot, n° 12864 de M. Pierre Dharréville et n° 21092 de M. Boris Vallaud.
L'article 9, que nous proposons de supprimer, revêt une grande importance quant à votre nouveau régime de retraite, que nous refusons : il s'agit en effet de savoir comment sera calculée la valeur du point. Je vous ai déjà interrogé ce matin sur les mécanismes de calcul de cette valeur, mais sans guère obtenir de réponses précises. Le rapporteur nous a expliqué que la valeur d'acquisition et la valeur d'usage suivraient une dynamique équivalente, ce que nous contestons, et que le coefficient d'équilibre ne serait déterminé qu'en fonction de l'espérance de vie, ce qui est littéralement faux. Et quand bien même cela serait le cas, que ferez-vous de l'écart entre les ouvriers et les cadres, ou entre les femmes et les hommes ?
Nous nous opposons, dans le droit fil de ce que vient de dire ma collègue Clémentine Autain, à la retraite tombola. Cette expression exaspère certains de nos collègues...
Elle dit pourtant bien ce qu'elle veut dire, puisque nous ne savons absolument rien sur ce qui garantira la valeur du point.
La future Caisse nationale de retraite universelle (CNRU), dont on ne connaît pas la composition, pourra décider des paramètres essentiels, ce qui va à notre sens totalement à l'encontre de l'esprit initial de la sécurité sociale et de l'héritage du Conseil national de la Résistance. C'est pourquoi nous demandons la suppression de l'article 9.
L'article 9 est vraiment celui de toutes les embrouilles et de tous les mensonges, qui réduit à néant toutes les assertions définitives sur l'augmentation de la valeur du point au même rythme que les salaires et autres.
Il n'apporte en effet aucune garantie sur le niveau des pensions relativement à celui des salaires : autrement dit, l'ajustement devra se faire sur les pensions et non sur les ressources. Il ne reprend pas pour 2022 le taux de rendement de 5,5 % qui figurait dans le rapport Delevoye ; celui-ci pourra baisser sans aucune garantie pendant vingt-trois ans, jusqu'en 2045, et même ultérieurement.
Pour ce qui est des règles d'indexation elles-mêmes, il y a un avant et un après 2045. En toute hypothèse, le Gouvernement aura la main sur l'évolution du taux : les partenaires sociaux pourront certes émettre un avis, mais l'équilibre du système sera la seule règle d'or qui prévaudra.
Monsieur Vallaud, toutes vos interventions témoignent d'une indignation permanente. Si le système actuel était si formidable, on ne rencontrerait pas de problèmes de pauvreté chez nos anciens et chez les pensionnés, ni de problèmes liés aux trous de certaines carrières professionnelles. Vous avez exercé des responsabilités : sachons faire preuve de modestie et essayons de trouver les bonnes solutions.
Madame Panot, vous avez parlé de retraite tombola, qui renvoie à l'idée d'un trésor caché : nous quant à nous restons fidèles à la valeur travail, qui demande de s'investir. Le labeur est parfois pénible, parfois épanouissant, et doit en tout état de cause être récompensé, en l'occurrence par des points.
Venons-en au fond de cet article. Les valeurs d'acquisition et de service évolueront de la même façon et seront indexées sur l'évolution du revenu moyen par tête. C'est la règle de base, qui pourra être corrigée par le conseil d'administration de la CNRU.
Encore faut-il prévoir une transition pour éviter les à-coups trop violents : c'est pourquoi nous prévoyons un délai d'intégration qui permettra, d'ici à 2045, de passer en fuseau du système actuel, où la revalorisation calculée sur la base de l'inflation, au nouveau système, où elle est calculée sur celle du revenu moyen par tête.
Je suis donc défavorable à la suppression de cet article.
Les choses ne sont pas si simples... Il y a deux délais, selon qu'on est avant 2045 ou après, et deux taux d'évolution, le taux d'achat et le taux de service, ce qui fait à chaque fois deux possibilités au moins. Au final, on se retrouve avec un truc assez compliqué. Il faudrait faire très attention à lier ces deux taux. Or vous les déliez totalement jusqu'en 2045, puis vous les liez ensuite, mais en prévoyant toute une série de dérogations. On ne sait donc pas très bien ce que cela peut donner, et notamment comment évoluera le taux d'acquisition, c'est-à-dire le prix auquel vous achetez vos points, ni le taux de service, c'est-à-dire votre retraite. Et si vous voulez parvenir au taux d'équilibre en 2027, puis plus tard, en déliant les deux, faire évoluer plus fortement le prix du point que le taux de service, vous appauvrirez les retraités et vous ferez baisser les pensions, probablement de 7 % à 10 %. Les assurés seront donc perdants. Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
Monsieur le rapporteur, il serait bon que vos réponses soient précises. Vous avez évoqué le nombre de retraités pauvres, qui serait dû à notre système actuel de retraite. Qu'en est-il dans les autres États membres de l'Union européenne ? En Allemagne, l'âge de la retraite est fixé à 67 ans – vous poursuivez, avec votre âge pivot, un objectif similaire – et le nombre de retraités pauvres a doublé : ils sont 19 %, et on en comptera 21 % dans quelques années. En Suède, le nombre de retraités pauvres a doublé depuis l'adoption du système par points.
Enfin, taux du point ne sera pas calculé en fonction de l'évolution des salaires, mais sur l'évolution des revenus. Ce n'est pas du tout la même chose. Pire que tout, l'article 9 précise que le conseil d'administration de la CNRU pourra en décider autrement ! Ce projet de loi n'offre donc aucune garantie quant à l'indexation de la valeur point sur les salaires.
Dans le prolongement des propos de M. Woerth, aucune retraite ne sera versée sur la base du nouveau régime avant 2037. La part des retraites versées sur cette base n'augmentera que très lentement : elle ne représentera en effet qu'un tiers du total en 2050. La valeur du point en 2022 n'aura donc que très peu d'influence sur l'équilibre cumulé 2022-2061, ce qui fait que le Gouvernement pourra la fixer de façon très aléatoire. Du coup, la part des pensions dans le PIB ne sera pas stabilisée, sauf en 2022. La meilleure preuve est que le décalage de l'entrée en vigueur de la mesure permettra de réaliser, à l'horizon de 2050, une économie de 0,6 % de PIB, ce qui n'est pas rien.
Chers collègues de La France insoumise, fixer la valeur du point en fonction des salaires, et non en fonction de l'inflation, sera à l'évidence beaucoup plus bénéfique pour les futurs retraités. Il ne faut pas se mentir : on l'a dit, et on le fera. La valeur du point sera inscrite dans la loi. Où est donc le problème ?
La commission rejette les amendements.
Puis elle examine les amendements identiques n° 5196 de Mme Clémentine Autain, n° 5201 de M. Bastien Lachaud et n° 5203 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous nous proposez de jouer notre retraite au loto : on sait ce que l'on cotise, mais on ne sait pas ce que l'on touchera... Vous laissez entendre qu'au fond, valeur d'acquisition et valeur d'usage, c'est pareil. Or il est impossible de les comparer : la cotisation intervient à un instant T, qui se caractérisera par une certaine conjoncture économique et par un âge d'équilibre donné, et la retraite est liquidée à un autre moment, avec une conjoncture peut-être totalement différente et un âge d'équilibre qui aura pu entre-temps être modifié par décret. Autrement dit, cela ne marche pas du tout, votre affaire : on ne peut pas savoir, au moment où l'on cotise, les droits auxquels on aura accès. Votre logique est parfaitement aléatoire : si les cotisations sont fixes, les prestations ne le sont pas. Qui plus est, les garanties ne sont pas inscrites dans la loi et peuvent être modifiées par décret, c'est-à-dire en dehors de tout débat démocratique ! C'est inacceptable.
Comment peut-on aujourd'hui s'engager dans cette réforme des retraites alors qu'il sera totalement impossible aux Français de calculer la retraite avec laquelle ils vont partir ? La méthode de calcul leur est indifférente : ils veulent seulement savoir combien d'euros ils toucheront, le moment venu, à la fin de chaque mois. Jusqu'à présent, ils disposent d'une méthode simple de calcul, et ils le savent...
Dans le privé, on le sait aussi dès que l'on connaît ses vingt-cinq meilleures années. Avec votre système la valeur du point de service pourra toujours être modifiée par décret, il n'y aura plus aucune certitude. Jusqu'au jour de sa retraite, il sera impossible pour un Français de se projeter dans cette nouvelle phase de la vie. Il est totalement aberrant de nous demander de voter un tel texte.
Faisons un peu de philosophie politique. Pourquoi la fixation de la valeur du point en fonction du revenu moyen plutôt que des salaires nous pose-t-elle problème ?
Le revenu moyen est un paramètre abstrait sur lequel aucun d'entre nous ne peut avoir prise : on prend la somme des revenus, ceux des multimilliardaires comme ceux des clochards, et on la divise par le nombre d'individus.
Le revenu médian est constitué pour l'essentiel – à 90 % – de salaires. Sur celui-ci, nous avons prise, dans la mesure où il varie selon le niveau des cotisations et celui des salaires, ces derniers étant déterminés par le partage de la richesse produite entre capital et travail. Or cette répartition, pour résumer sous forme de boutade, n'est autre que le fruit de ce qu'on appelle la lutte des classes... C'est bien la dispute pour la répartition de la richesse entre capital et travail qui fixe la valeur de la retraite, puisqu'elle détermine celle des cotisations et des trimestres. Voilà pourquoi nous sommes attachés à ce que les salaires constituent le repère pour définir la valeur du point.
Monsieur le rapporteur, lorsqu'on vous parle de retraite tombola, vous nous répondez que le système actuel fait beaucoup de retraités pauvres. C'est vrai, les gens partent trop tard et trop pauvres.
Dans votre monde, il n'existe qu'une seule solution pour garantir un pseudo-équilibre financier : faire travailler les gens plus longtemps en leur versant moins de pensions. Or il est parfaitement possible d'augmenter les cotisations et les salaires : c'est la démarche que nous défendons. Nous ne sommes pas pour le statu quo : nous avons élaboré un contre-projet, je vous le rappelle, qui propose notamment la retraite à taux plein à 60 ans.
Vous dites vouloir récompenser la valeur travail. Mais les égoutiers, par exemple, ne font-ils pas un travail extrêmement difficile, plein de dangers, particulièrement pénible et cependant essentiel pour la salubrité publique ? Or votre projet conduira à les mettre à la retraite à l'âge de 62 ans, ce qui correspond précisément à la fin de leur espérance de vie, autrement à celui où ils vont mourir !
Monsieur Vallaud, vous avez affirmé que l'on ne mesurerait la pleine application de la réforme qu'au terme d'une carrière complète effectuée sous le nouveau régime, c'est-à-dire en 2075, et qu'elle aurait pour conséquence une baisse considérable du montant des pensions. J'en conclus que votre formation politique n'envisage manifestement pas de regagner des élections d'ici là...
Vous faites donc la même analyse que nous.
Chers collègues Lachaud et Mélenchon, j'ai bien parlé revenu moyen par tête, non de salaire moyen par tête. Cet indicateur n'existe pas actuellement, et il reviendra à l'INSEE de le créer. Pourquoi a-t-on choisi le revenu et non le salaire ? Parce que nous allons intégrer dans le périmètre de la réforme d'autres catégories que les salariés, les professions libérales notamment, qui perçoivent un revenu et non un salaire. Le futur indicateur mesurera le revenu moyen d'activité ; autrement dit, il n'intégrera pas les revenus financiers qui sont pris en compte dans la division abstraite dont vous avez fait état.
Monsieur Lachaud, je ne peux pas vous laisser dire qu'un système par points conduirait à ne connaître la valeur de sa pension qu'à la veille de son départ en retraite. Les valeurs de service et d'achat du point évolueront chaque année suivant la même grille, à moins que le conseil d'administration de la CNRU n'en décide autrement. Mais à dix ans du départ à la retraite, en fonction du métier que l'on exerce et du nombre de points que l'on aura accumulés chaque année, et sur la base de ce que vaudra l'euro à ce moment-là, il sera parfaitement possible de faire une évaluation de sa pension, beaucoup plus facilement qu'à partir d'un nombre de trimestres ou d'un salaire moyen sur vingt-cinq ans, lui-même revalorisé sur la base de critères que l'on ne connaît pas.
Avis défavorable.
Cet article est un des points névralgiques de ce projet de loi, puisqu'il détermine les paramètres de calcul des retraites. Contrairement à ce que vous assénez, nous n'avons aucune garantie et les Français ne peuvent avoir aucune certitude sur le montant de leur retraite. Vous allez ouvrir une période de transition dans laquelle vous vous autorisez toute une série d'aléas. Les valeurs d'acquisition et de service du point pourront diverger, voire baisser, ce qui induira une perte pour les retraités, afin de maintenir l'équilibre financier du système. Qui plus est, seul le pouvoir exécutif aura, au cours de cette période, la main sur cette mécanique : elle échappera donc à tout contrôle. Vous nous demandez en fait de vous signer un chèque en blanc : ce n'est pas possible.
M. Mélenchon a transformé ma question en sujet de philosophie politique : j'attends toujours qu'il me démontre en quoi il serait plus pertinent d'indexer la valeur du point sur l'inflation que sur les salaires.
Monsieur le rapporteur, l'invective ne peut vous tenir lieu de réponse.
Je vous ai posé au fond les mêmes questions que celle de notre collègue Stéphane Viry. Pendant la période de transition, la valeur du point n'aura que peu d'impacts sur l'équilibre global, compte tenu de la montée en charge progressive du nouveau système, ce qui rend tous les aléas possibles, et notamment le risque de la voir baisser. On ne peut pas vous signer un chèque en blanc. Plutôt que de me répondre des bêtises, répondez sur le fond !
Nos collègues soutiennent que le système actuel permet de connaître ses droits. Si c'est certainement vrai pour ce qui concerne les fonctionnaires, cela ne l'est pas en tout cas pour l'ensemble des Français. Le système unique aura l'avantage d'éviter à chacun de devoir aller chercher, à droite et à gauche, au sein de différents régimes, ce qu'il pourra toucher.
Monsieur Lachaud, selon vous, rien ne garantit que le point verra sa valeur augmenter. Je vous invite à cet égard à relire les alinéas 3 et 7 : « La valeur d'acquisition et la valeur de service du point applicables au titre de l'année 2022 sont fixées, avant le 30 juin 2021 [...] ». Je vous laisse prendre connaissance de la suite, car tout figure dans l'article.
Cher collègue Jean-François Mbaye, pardonnez-moi d'avoir mal compris vos propos : je pensais que vous étiez opposé au calcul de la valeur du point sur la base des salaires réellement perçus. Puisque nous sommes d'accord, je n'irai pas vous chercher querelle. Mais comment sera calculée la valeur du point ? Le rapporteur vient de nous indiquer ce serait sur la base non pas du salaire, mais du revenu moyen d'activité. À combien s'élève-t-il aujourd'hui ? Nous connaissons en effet le salaire brut moyen, du toubib à celui du fonctionnaire de catégorie C : il est de 3 000 euros. Nous connaissons le revenu d'activité moyen, qui ne s'applique qu'aux indépendants : 3 440 euros ; le salaire net moyen : 2 442 euros, et enfin le revenu moyen, c'est-à-dire le résultat de la division dont je parlais tout à l'heure : 2 238 euros.
Si vous avez un peu d'expérience politique, vous n'êtes pas sans savoir que les paramètres de l'actuel système de retraite – notamment les taux de cotisation – sont déjà tous déterminés par décret. J'entends les critiques de fond, mais parler de problème démocratique... Évitons de sombrer dans la mauvaise foi !
Vous nous interrogez sur la notion de revenu moyen. Le rapporteur a expliqué de façon intelligible et simple que l'indicateur doit être créé. Vous avez raison, il n'existe pas. Pourquoi est-ce intéressant – et juste – de créer un nouvel indicateur ? Car les salariés ne seront pas seuls concernés par la dynamique de revalorisation. L'indicateur inclura donc les revenus de l'ensemble des Français – indépendants, fonctionnaires, salariés.
Vous pourriez contester le fait que cette réforme concerne les professions indépendantes ; il y aurait une forme de logique intellectuelle. Mais vous ne pouvez contester le fait que nous souhaitions construire un indicateur cohérent, qui prendra en compte l'évolution de tous les revenus : ceux des salariés, des fonctionnaires et de l'ensemble des professions indépendantes. Peut-être fallait-il vous fournir des explications ? Je le fais bien volontiers.
Nathalie Elimas nous a renvoyés aux alinéas que vous souhaitez supprimer : c'est particulièrement pertinent. Le débat gagnerait en intérêt si nous lisions tous le projet de loi pour ensuite en discuter. Mais comme le débat consiste plutôt à supprimer chaque ligne et chaque mois, il perd en puissance... L'alinéa 3 indique clairement les conditions dans lesquelles les valeurs d'acquisition et de service vont évoluer. Évidemment, cette décision du conseil d'administration de la CNRU sera approuvée par décret, au même titre que les taux de cotisation actuellement. Pourquoi faire semblant de s'en étonner, puisque c'est exactement ainsi que cela fonctionne le système actuel ? Ce sera même encore mieux demain, puisque le décret sera pris sur proposition du conseil d'administration de la CNRU ! Je n'ai aucun problème à débattre d'éléments qui tiennent politiquement la route et à confronter la position du Gouvernement et de la majorité présidentielle avec d'autres. Mais quand on s'acharne sur des mots, des virgules et des alinéas, le débat y perd en cohérence intellectuelle...
La commission rejette les amendements.
Elle en vient aux amendements identiques n° 4924 de Mme Clémentine Autain, n° 4929 de M. Bastien Lachaud, n° 4931 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 4933 de Mme Mathilde Panot.
Je suis stupéfaite ! Nous découvrons un nouveau lièvre toutes les heures ! Vous nous répondez à chaque fois que vous ne savez pas. Hier, vous nous avez répondu que ce serait effectivement bien de savoir ce qui va se passer pour les pensions de réversion et, aujourd'hui, nous débattons du revenu moyen et vous êtes toujours à la recherche de l'indicateur qui permettra de le calculer ! Vous rendez-vous compte du niveau d'impréparation du Gouvernement ? Vous nous demandez de voter un projet de loi au sein duquel l'essentiel va être décidé par ordonnance, tout en répondant constamment que vous ne savez pas ! On atteint des sommets !
C'est effectivement stupéfiant... On comprend mieux pourquoi il n'y a pas de simulateur de la réforme : l'indicateur d'évolution du point n'existe pas ! Et qu'en est-il des autres termes de l'équation ?
Deux ans et demi de concertation n'auront servi à rien : ce projet n'est ni fait, ni à faire. Vous m'avez répondu que j'avais tort de dire que les gens ne sauraient pas, mais il suffira d'une crise économique majeure pour que le point vacille. Les Français n'auront pas la moindre idée de la valeur de leurs points, d'autant que l'indicateur qui permettrait de la calculer n'existe toujours pas !
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez tort de dire qu'on embrouille. C'est l'inverse, on débrouille ! Nous cherchons à savoir comment est calculée la valeur du point. Ce n'est pas rien ! Les Français ne savent déjà pas combien ils vont percevoir. Qu'ils sachent au moins ce que le point vaudra !
Le rapporteur est catégorique : la valeur du point sera assise sur le revenu moyen d'activité puisque le système ne concernera pas que des salariés, mais aussi des indépendants. Dont acte. À ceci près que le revenu moyen d'activité, dans la nomenclature actuelle, cela n'existe pas ! La valeur du point doit être ancrée dans la création de richesse, et c'est pour cela que nous sommes particulièrement attachés à ce que les pensions de retraite soient calculées sur les salaires : les salaires sont évalués là où la richesse est produite, la répartition capital-travail se fait dans l'entreprise. Reconnaissez notre cohérence idéologique, monsieur le secrétaire d'État. Vous, vous voudriez qu'elle se fasse dans la société.
Monsieur le rapporteur, je n'ai pas eu de réponse à ma question sur la fameuse récompense et le mérite de la valeur travail. Je vais donc revenir à la situation des égoutiers : « Nous travaillons là où toutes les eaux usées se déversent, de vos toilettes, de vos douches, de vos machines à laver, des toits et des chaussées. Nous marchons littéralement dans la merde, au milieu des rats et des cafards. Nous travaillons parfois debout, parfois accroupis et le dos souvent plié en deux. Le danger peut venir de partout : nous pouvons chuter et nous noyer ; nous respirons aussi des produits chimiques comme ceux balancés par des photographes ou des pressings ; parfois, des poches de gaz explosent près de nos pieds. » Je vous le redemande : trouvez-vous normal qu'avec votre réforme, les égoutiers partent désormais en retraite à 62 ans – c'est leur espérance de vie – et non plus à 52 ans ?
Il faudrait quand même qu'on examine les articles un par un... La valeur du point est clairement décrite à l'article 55 : son alinéa 24 dispose qu'elle ne peut pas baisser. Et l'alinéa 22 prévoit que les pensions ne peuvent pas non plus baisser. L'article 9 ne fait que créer le point et asseoir son évolution sur le revenu moyen par tête. Il dispose que l'INSEE sera responsable du calcul de ce revenu moyen. L'indicateur sera quant à lui déterminé par décret.
Monsieur Mélenchon, vous estimez que l'indice doit être assis sur les salaires car c'est le lieu de création de la richesse. Les architectes, les agriculteurs, les infirmières libérales, les avocats seront ravis d'apprendre qu'ils ne produisent pas de richesse ! Soyons sérieux ! Tous les travailleurs en produisent, qu'ils soient salariés, indépendants, libéraux, chef d'entreprise ; ils y contribuent tous. Il faut donc en tenir compte dans de justes proportions, grâce à un indicateur représentatif, d'où le rôle de l'INSEE.
Je suis défavorable à vos amendements.
Pour ce qui est des égoutiers, madame Panot, peut-être n'étiez-vous pas présente hier lorsque nous avons énuméré de nombreux métiers dangereux, difficiles ou comportant des sujétions particulières : militaires, bûcherons, etc. Bien sûr, il faut en tenir compte et veiller à améliorer leurs conditions de travail. N'oublions pas non plus les gardiens de prison, qui travaillent sous forte pression sociale et psychologique. Il ne s'agit pas de viser telle ou telle catégorie, mais d'en tenir compte pour tous, avec dignité.
Peut-être suis-je un législateur un peu besogneux, mais je note que le II de l'article 9 dispose que la valeur d'acquisition et la valeur de service du point applicables au titre de l'année 2022 sont fixées avant le 30 juin 2021. Le I du même article vise quant à lui la période transitoire et l'alinéa 2 dispose que la revalorisation intervient au 1er janvier de chaque année. La méthode est donc claire, contrairement à ce que laissaient penser vos railleries ce matin : on fixe la valeur du point – en 2022 – et on prévoit les modalités d'évolution durant la période transitoire, jusqu'au 31 décembre 2044.
La discussion ligne à ligne du projet de loi est extrêmement instructive. Depuis lundi, nous sommes dans un brouillard épais. Petit à petit, le brouillard se dissipe, non pas pour les Français, mais sur vos approximations... Je pourrai prendre une autre comparaison : nous sommes dans des sables mouvants et, plus le temps passe, plus vous vous enfoncez. Comme on dit chez moi, à Saint-Étienne, votre projet n'est ni fait ni à faire et les Français peuvent désormais le constater.
Bastien Lachaud a évoqué le simulateur. Le Parisien a fait le test et le résultat se révèle décevant : dans la plupart des cas, c'est après l'adoption définitive de votre projet de loi que les Français sauront à quelle sauce ils seront mangés ! En maths, on connaît les équations avec plusieurs inconnues. Mais votre projet de loi, c'est une équation qui n'a que des inconnues !
Notre collègue Mattei parle de méthode. Certains de nos concitoyens suivent cette commission. Faisons donc un point méthodologique : l'indexation sur les salaires, nous dites-vous, sera effective en 2045. Durant la période transitoire, entre 2022 et 2045, le point sera revalorisé sur la base d'un taux situé entre l'inflation et le revenu moyen, sauf délibération contraire de la CNRU validée par un décret, à l'initiative du Gouvernement. C'est déjà moins clair, mais tenons le cap et soyons besogneux, comme nous y invite M. Mattei.
Cherchons ensuite à comprendre comment sera calculé le revenu moyen et selon quels paramètres : et voilà que vous nous expliquez que vous ne les connaissez pas ! Vous rendez-vous compte que toute personne normale repartirait avec son texte sous le bras ?
En réalité, le Gouvernement garde la main avant 2045 – et même après. Tout le reste relève d'un raisonnement assez théorique.
La question centrale n'est pas de savoir s'il est préférable de revaloriser en se basant sur les revenus ou sur l'inflation : une revalorisation sur les revenus, c'est mieux, à condition qu'ils augmentent plus vite que l'inflation. Dans le cas contraire, mieux vaut s'en tenir à l'inflation... Le projet de loi n'est pas clair sur ce point. Globalement, se caler sur le revenu est plutôt une bonne idée, à ceci près que vous ne prévoyez aucune garantie. Votre graphique n° 64, page 180, dessine un « coup de rein » permettant au système de retrouver l'équilibre en 2027, mais personne ne sait ce qu'il y a dans ce coup de rein ! Si votre objectif est de revenir à l'équilibre en cinq ans, vous avez tout intérêt à indexer sur la moins bonne valeur pour les assurés – et donc probablement l'inflation.
L'indice sera élaboré par l'INSEE, dont personne ne doute du sérieux. Certes, nous ne le connaissons pas encore, mais il suffit d'analyser séparément l'évolution des salaires et celle des revenus des non-salariés. Que constate-t-on entre 2016 et 2017 ? L'évolution des revenus des non-salariés – + 3 ou 4 % selon que l'on inclut ou non les micro-entreprises – est meilleure que celle des salariés – + 1,9 %. En conséquence, la moyenne des deux sera bien plus favorable aux pensions que la seule évolution des salaires.
C'est tout ce même bien compliqué... S'agira-t-il du revenu moyen ou du revenu moyen d'activité ? Tout cela témoigne d'une confusion extrême. Le revenu de solidarité active (RSA) entrera-t-il dans le calcul ? On pourrait aussi discuter de l'activité des Français au RSA, ou des retraités d'ailleurs, et de leur rôle dans la production de richesses. Et vous semblez exclure les revenus du capital ; que se passe-t-il en cas de détérioration du rapport capital-travail, qui ne cesse de s'accélérer depuis plusieurs décennies. Cela ne pourra que nous tirer vers le bas. En conséquence, rien n'indique que la valeur du point ne va pas baisser. Sans parler des décotes liées à d'éventuelles hausses de l'âge d'équilibre. Bref, vous racontez n'importe quoi ! (Exclamations sur certains bancs.)
La commission rejette les amendements.
Elle examine ensuite les amendements identiques n° 4941 de Mme Clémentine Autain, n° 4946 de M. Bastien Lachaud, n° 4948 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 4955 de Mme Sabine Rubin.
On évoque souvent les similitudes du nouveau système avec la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO qui, même si cela n'en est pas vraiment un, ressemble à un régime par points : une logique de bonus-malus, des paramètres liés à l'équilibre financier, un taux de remplacement qui n'est pas fixé à l'avance. Nous avons désormais un peu de recul sur la façon dont fonctionne ce système complémentaire. Qu'observe-t-on ? Entre 1990 et 2009, le taux de remplacement a baissé de plus de 30 % !
Autre exemple : l'Allemagne a mis en place un système par points, qui est une machine à fabriquer de la pauvreté. Au sein de la première puissance économique européenne, la pension moyenne atteint 750 euros et, en 2018, 19 % des Allemands de plus de 65 ans étaient en risque de pauvreté, soit trois points de plus qu'en 2009. Encore une preuve, s'il en fallait une de plus, que cette réforme n'apporte absolument aucune garantie dès lors son objectif majeur est l'austérité budgétaire.
Mme Autain vient de donner des exemples des conséquences dramatiques de choix politiques que vous voulez nous imposer en France. Mais il existe des contre-exemples. Ainsi l'Espagne vient-elle de voter une nouvelle taxe sur les banques, destinée à financer les retraites. En outre, le nouveau gouvernement espagnol a revalorisé ces dernières, au bénéfice de plus de 11 millions de retraités. Pour vous, il n'y a qu'une solution : faire travailler les Français jusqu'à la mort et diminuer le niveau des pensions. C'est faux, des alternatives existent, c'est ce que proposons dans notre contre-projet ; l'Espagne les met en oeuvre.
Monsieur le rapporteur, vous avez argumenté en rappelant que les architectes, ou les paysans, dégagent aussi des revenus. Je ne vous ai jamais dit le contraire : j'ai simplement rappelé que le salaire est issu d'un partage avec le capital au sein de l'entreprise. Même si la base reste la même – la valeur produite –, le revenu agricole, par exemple, comprend bien d'autres composantes.
Vous m'avez répondu que le point serait calculé non sur le salaire moyen, mais sur les revenus d'activité. Le problème, c'est que cette catégorie n'existe pas. On va la créer, comme l'a dit le secrétaire d'État. Mais sachez que nous allons en discuter âprement, car ce n'est pas seulement un sujet technique !
Monsieur Mélenchon, même si je vous crois sincère dans votre volonté de comprendre, il serait vraiment préférable que nous examinions ces sujets article par article, car toutes les réponses à vos questions s'y trouvent.
En l'état actuel du droit, l'indexation est fondée sur l'inflation. Nous souhaitons à terme qu'elle soit assise sur l'évolution annuelle du revenu moyen par tête. Cet indice n'existe pas encore, nous l'avons indiqué, mais comme M. Da Silva l'a souligné, on peut supposer que l'INSEE va le construire en reprenant l'évolution des salaires et celle des revenus. Or, au cours des dernières années, l'évolution des revenus a toujours été supérieure à celle des salaires.
En outre, si l'on compare l'évolution des salaires et celle des prix – donc l'inflation – en partant d'une base 100 en 1993, les prix sont désormais à 140 et les salaires à 170. Autrement dit, les salaires ont progressé 30 % plus rapidement sur les vingt-cinq dernières années que les prix. À moins de penser qu'ils vont s'écrouler, on peut estimer qu'ils constituent une base de calcul plus intéressante.
Enfin, pour vous rassurer encore davantage, je vous invite à prendre le projet de loi page 137 : l'alinéa 24 dispose que les taux de revalorisation des valeurs d'acquisition et de service mentionnés aux 4° de l'article L. 19-11-2 doivent être supérieurs à zéro et ne peuvent être inférieurs à l'évolution annuelle des prix hors tabac constatée l'année précédente. L'évolution de l'inflation constitue donc un plancher et vous êtes assurés d'une ceinture de rappel. On ne vous floue pas ! Nos discussions sont passionnantes, mais je suis en train de capter tous les débats sur lesquels mes corapporteurs sont compétents. Ils vont finir par m'en vouloir !
On va m'accuser de cumuler. (Sourires.) Même Boris Vallaud est cité dans cet article puisqu'on parle du taux de valorisation... Pardonnez-moi ce jeu de mot facile !
Je souhaite revenir sur la notion de revenu moyen par tête : tant qu'il y a de la croissance, effectivement, le revenu évolue mieux que l'inflation. Le rapporteur nous a précisé que cela permettait d'intégrer les indépendants. Or, depuis la mise en place du prélèvement forfaitaire unique, beaucoup d'indépendants se servent désormais en dividendes plutôt qu'en salaire.
Pour faire plaisir à M. Mélenchon, le décret qui encadrera l'indice devrait intégrer ces dividendes. Nos collègues Insoumis nous ont expliqué que les dividendes explosent : ce devrait donc être très favorable et c'est une manière de réconcilier capital et travail !
Monsieur le rapporteur, vos bons mots sont plus enthousiasmants que votre projet de loi : vous fondez le nouveau système de retraite sur un indicateur qui n'existe pas. Comment savez-vous alors qu'il sera meilleur ? Vous attendez peut-être que l'INSEE vous l'explique ? Quel amateurisme ! Quelle impréparation coupable !
Vous n'avez pas répondu concernant la période de transition, durant laquelle la valeur du point n'aura à peu près aucun impact sur l'équilibre financier, compte tenu de la montée en charge progressive du dispositif. Sa détermination pourra donc être l'objet de tous les arbitraires et de tous les aléas – cela ne se verra pas. Or c'est la période durant laquelle la règle d'indexation est la plus lâche ! Le seul moment de stabilité garantie, c'est 2022. Le risque est grand que la part des retraites dans le PIB ne s'émousse au fil des ans...
Il est difficile d'y voir clair. Pourtant, ce n'est pas faute de vous interpeller ! Pourriez-vous nous expliquer clairement ce qui se passe après 2022 ? S'agira-t-il d'un no man's land ? Ce dont nous sommes certains, c'est que vous déciderez bien ce que vous voudrez, tout comme les gouvernements qui vous succéderont. Mais vous êtes devant la représentation nationale ! Beaucoup de députés de La République en Marche l'ont reconnu : certaines conclusions sont contre-intuitives... Mais on ne travaille pas à l'intuition ou au doigt mouillé ! Essayons de le faire sérieusement : quand on vous demande ce qu'est ce revenu, vous nous répondez « revenu d'activité ». S'agit-il de l'ensemble des revenus ? Des salaires ? Met-on le capital à contribution ?
Ce débat devient très intéressant. Je suis d'accord avec Gilles Carrez : il faut intégrer les revenus liés à la distribution de dividendes, voire les revenus fonciers. J'ai déposé des amendements – je ne sais pas si on les étudiera un jour... – sur l'augmentation de la flat tax. Je l'assume.
Mais l'article 9 ne parle que de revalorisation. En français, revalorisation ne signifie pas déflation ou dévalorisation ! C'est donc parfaitement clair.
Je remercie nos collègues Carrez et Mélenchon d'ouvrir le passionnant débat du périmètre du régime par répartition.
Monsieur Mélenchon, vous ne pouvez pas considérer qu'élargir ce périmètre aux revenus – et non plus aux seuls salaires – est un problème. Ce serait contradictoire avec votre souhait de développer le système par répartition. Au-delà des modalités techniques, nous devrions donc être d'accord.
Monsieur Carrez, si certains indépendants privilégient aujourd'hui la sortie en dividendes, demain, ils sacrifieront leur retraite. Ce dispositif va donc les inciter à conserver des revenus qui pourront être fléchés sur leur retraite.
En conséquence, ces deux mécanismes sont de nature à conforter la répartition par rapport à la capitalisation.
La commission rejette les amendements.
Elle passe à l'amendement n° 22124 de M. Pierre Dharréville.
Monsieur Maire, pour nous c'est parfaitement clair : le périmètre de la répartition doit englober tous les partages de richesse. Mais nous soutenons également que, si vous verrouillez le dispositif à 14 % de la richesse du pays, avec un nombre plus important de retraités, vous allez en contraindre à sortir du cadre et à basculer dans une retraite par capitalisation.
M. Carrez nous a donné une très importante indication. Dans la théorie classique – je suis désolée, c'est la seule que je connais –, la richesse produite est partagée entre capital et travail. C'était la base sur laquelle reposaient les régimes par répartition. Le débat actuel ne tombe pas du ciel : quand on a élargi l'assiette de financement de la sécurité sociale au-delà des seuls revenus du travail lors de la création de la contribution sociale généralisée, la discussion avec le mouvement syndical français a été houleuse.
Prendre en compte tous les revenus, y compris ceux du capital, ne me dérange pas outre mesure : après tout, cela fera monter la valeur du point. Mais il faudra le payer par l'impôt... La richesse ne surgit pas de nulle part : si personne ne la produit, elle n'existe pas !
La commission rejette l'amendement, puis, suivant l'avis du rapporteur, l'amendement n° 21273 de M. Boris Vallaud.
Elle examine ensuite l'amendement n° 21560 de M. Pierre Dharréville.
L'amendement n° 21560 est retiré.
Puis la commission est saisie, en discussion commune, de l'amendement n° 16131 de M. Éric Woerth, des amendements identiques n° 30 de M. Fabrice Brun, n° 397 de M. Éric Woerth et n° 577 de M. Thibault Bazin, ainsi que des amendements identiques n° 4958 de Mme Clémentine Autain, n° 4963 de M. Bastien Lachaud, n° 4965 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 4972 de Mme Sabine Rubin.
Il ne suffit pas de dire que la valeur d'acquisition du point et celle des pensions ne baisseront pas, monsieur le secrétaire d'État : il faut préciser comment évolueront les deux valeurs. Si je comprends bien, de 2027 à 2045, vous avez l'intention d'indexer les deux valeurs sur l'inflation, et non sur le revenu : pour moi, c'est le moyen que vous allez utiliser pour tenter d'équilibrer le système à partir de 2027. Mais ce serait bien que vous nous le confirmiez...
J'ai deux questions précises à vous poser sur ce point. Quelle garantie les assurés ont-ils que la revalorisation de la valeur de service ne sera pas inférieure à celle de la valeur d'achat, ce dont je doute ? Quel serait l'impact moyen à la baisse sur la pension d'un retraité si les deux valeurs étaient défavorablement différentes ? L'amendement n° 16131 vise à ce que ces valeurs soient les mêmes.
C'est avec une certaine défiance à votre égard que nous abordons le débat sur l'évolution du point, qui conditionne l'évolution du montant des pensions, puisque vous avez désindexé les retraites du coût de la vie au cours de la bataille que vous avez menée contre le pouvoir d'achat des retraités.
Il me semble important de rétablir la vérité sur certains points donnant actuellement lieu à des approximations. Non, la valeur du point n'est pas indexée sur les salaires ou les revenus de l'activité, en tout cas, elle ne le sera pas avant 2045 : votre texte prévoit bien que, pendant vingt-trois ans, la valeur du point sera indexée sur l'inflation.
Notre rôle en tant que députés consiste à défendre le montant des pensions de retraite des Français, de faire en sorte qu'ils perçoivent la meilleure pension possible. C'est pourquoi nous proposons avec l'amendement n° 30 de supprimer la phase transitoire, en indexant d'emblée sur l'évolution annuelle du revenu moyen par tête. C'est un moyen de lever toute ambiguïté, de mettre un peu de miel dans votre potion amère : on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre...
Personne n'a oublié ces paroles du Premier ministre en novembre 2019 : « L'indexation des points de retraite sur le niveau des salaires pour éviter tout risque de décrochage. [...] Nous le savons, nos concitoyens veulent être rassurés au sujet de la valeur du point, ils auront cette garantie. » Pourtant, l'article 9 du présent projet de loi, censé rassurer les Français, prévoit que jusqu'en 2044, c'est-à-dire pendant vingt-quatre ans, les valeurs d'acquisition et de service du point ne seront pas indexées sur le niveau des salaires, mais fixées par le conseil d'administration de la CNRU et approuvées par décret. Les valeurs seront indexées selon un taux compris entre l'évolution des prix et l'évolution des salaires.
Les promesses n'engagent que ceux les écoutent, et cet adage s'applique parfaitement au mensonge proféré il y a quelques semaines par le Premier ministre : pendant vingt-deux ans, les Français cotiseront et ne bénéficieront pas de la pleine valeur de leurs cotisations durant toute leur carrière. Pour toutes ces raisons, et pour confronter le Gouvernement à ses propres promesses et ses propres responsabilités, les députés du groupe Les Républicains souhaitent la suppression de cette période transitoire, qui constitue un risque pour les Français, en laissant toutefois la possibilité au conseil d'administration de la CNRU de prendre ses responsabilités en modifiant ces taux. Tel est l'objet de l'amendement n° 397.
Les retraités français ont souffert de la sous-revalorisation des pensions que votre majorité leur a imposée. La question de la revalorisation suscite des inquiétudes légitimes pour les prochaines années. Demain, les pensions pourraient être davantage fiscalisées, c'est pourquoi ce qui compte, c'est la revalorisation réelle des retraites. Or, les alinéas 3 et 4 de l'article 9 prévoient une période transitoire si longue – vingt-cinq ans ! – qu'il est permis de douter de la crédibilité de la réforme.
Surtout, l'illisibilité du taux se traduit par une totale absence de clarté en ce qui concerne les futures pensions. Ce que vous nous promettez en fait, c'est du brouillard pendant vingt-quatre ans, alors que pour restaurer la confiance, il faudrait au contraire une grande visibilité sur l'évolution des pensions. D'où mon amendement n° 577, qui vise à supprimer la période transitoire.
Je rappelle que dans le rapport Delevoye, page 7, il était écrit très clairement : « Ces droits acquis par le travail seront revalorisés comme les salaires : cette règle favorable permettra de préserver leur valeur jusqu'au moment du départ en retraite. »
Oui, je l'ai lu. Je suis blonde, mais je sais lire, figurez-vous ! Ce genre d'interruption est insupportable, madame la présidente !
Vous avez la parole et je demande à tout le monde de vous écouter sans vous interrompre, madame Autain.
J'insiste sur le fait que la variable ne réside pas que dans la valeur du point. Elle est liée à l'âge d'équilibre puisque, dès lors que celui-ci augmente, par exemple à 66 ou 67 ans, une décote de 5 % par an s'applique. Le niveau des pensions n'est donc pas lié simplement à l'idée selon laquelle la valeur du point serait fixe : il y a d'une part l'âge d'équilibre, d'autre part un coefficient qui vient complexifier les choses.
Il est bien dit à l'article 10 que l'âge d'équilibre sera fixé, à l'entrée en vigueur du système universel, sur proposition du conseil d'administration de la CNRU. Ce n'est donc pas le conseil d'administration de la CNRU qui va prendre la décision, mais le Gouvernement, au moyen d'un décret pris sur proposition du conseil d'administration de la CNRU.
Pendant que nous sommes en train de découvrir, au sein de cette commission, que ce projet est encore pire que ce que nous craignions, les Français continuent de se mobiliser. Dans ma circonscription, il y avait ce matin un rassemblement devant le garage des camions-poubelles. Les éboueurs en grève ont été rejoints par des chercheurs et des étudiants du Centre national de la recherche scientifique du campus Condorcet, ce qui a déclenché une violente intervention des forces de l'ordre. Deux personnes, dont un délégué CGT, sont en garde à vue, et je demande solennellement leur libération et l'ouverture d'une enquête sur les violences policières qui ont eu lieu ce matin à Aubervilliers. (Exclamations sur les bancs du groupe La République en Marche.)
Je vais me rendre impopulaire... Toute la commission est maintenant d'accord pour dire que le repère n'est plus constitué par les salaires, mais par le revenu moyen d'activité par tête – indicateur qui n'existe pas, mais que l'INSEE va créer à la demande du Gouvernement, et dont le contenu sera défini ultérieurement. J'espère en tout cas que nous allons en discuter, car c'est important : faut-il notamment y intégrer les revenus du capital ou non ?
Vous m'avez dit tout à l'heure, monsieur le rapporteur, que je ne regardais pas au bon endroit, et qu'il fallait en fait se référer à la page 137 du projet de loi, où l'alinéa 24 de l'article 55 est ainsi rédigé : « 3° Les taux de revalorisation des valeurs d'acquisition et de service mentionnés au 4° de l'article L. 19-11-2 doivent être supérieurs à zéro et ne peuvent pas être inférieurs à l'évolution annuelle des prix hors tabac constatée l'année précédente. »
Déjà, ce n'est pas le sujet, mais il y a autre chose qui me gêne dans cette phrase, à savoir la précision « constatée l'année précédente » : dans ces conditions, que fait-on des années antérieures ? M. Woerth a répondu partiellement à cette question en soulignant que le fait de se caler sur une seule année pouvait être un moyen de faire baisser le niveau des pensions.
J'ai bien du mal à comprendre votre raisonnement mais, si je ne me trompe pas, vous préférez la notion de revenu, sans doute parce qu'il y aura de moins en moins de vrais salaires. Cette réforme va globalement dans le sens de la flexibilité du travail, de manière que, dès qu'on gagne 2 ou 3 euros, on engrange un petit point.
J'ai également compris qu'il était difficile de lire le texte alinéa par alinéa, puisque l'ensemble des dispositions dépendent des conditions de l'équilibre financier qu'il conviendra de garantir sans diminuer la part des retraites dans le produit intérieur brut – qui serait actuellement d'environ 14 %, mais on ne sait pas exactement – et qui sera apprécié selon des modalités fixées par décret en Conseil d'État. Bref tout cela est très flou, ce qui ouvre la voie au libre arbitre des institutions. C'est pourquoi nous proposons, au moyen de l'amendement n° 4972, de supprimer l'alinéa 3 de l'article 9.
Vous étiez un peu en avance, madame Rubin, car votre argumentation portait en fait sur l'alinéa 7...
Vous préféreriez, monsieur Woerth, que le point n'ait qu'une seule valeur, et non une valeur d'acquisition et une valeur de liquidation. C'était le principe de l'AGIRC-ARRCO, qui a placé un taux d'appel entre les deux : afin de parvenir à l'équilibre, il faut que le point soit acheté plus cher pour qu'il puisse servir le moment venu. Pour notre part, nous avons fait le choix de mettre à disposition de la CNRU le plus de manettes possible, afin que le système puisse être piloté finement. Ainsi, en fonction de l'activité économique, la Caisse va pouvoir jouer sur ces différentes variables que sont la valeur d'acquisition, la valeur de service ou de liquidation, mais aussi l'âge d'équilibre.
Mme Autain s'est étonnée du fait que la décision revienne finalement à l'État. En fait, il ne faut pas perdre de vue que le Gouvernement délègue une partie de son pouvoir réglementaire à la Caisse, et valide ensuite par décret les décisions qu'elle prend. La seule exception à ce mécanisme est un dispositif résultant de la règle d'or sur cinq ans, par lequel le Gouvernement doit s'assurer que l'ensemble constitué par les décisions de la CNRU est conforme à la trajectoire qu'elle aura retenue : cela s'appelle du pilotage, pour garantir l'équilibre du système. Je peux légitimement supposer qu'en 2027, nos successeurs ne manqueraient pas de s'exprimer s'ils trouvaient les coups de volant trop brutaux.
J'en reviens à l'amendement que vous avez présenté, mesdames et messieurs les députés du groupe Les Républicains, consistant à caler le point sur le revenu moyen par tête dès 2022 – ce que vous jugez plus favorable...
C'est la réalité : l'évolution du revenu moyen est plus favorable que l'évolution des salaires. Ce que prévoit le projet de loi, c'est une évolution en douceur de 2022 à 2045, afin de concilier d'une part l'objectif ambitieux de la revalorisation, d'autre part un retour progressif à l'équilibre. Si l'un de vos prédécesseurs, en l'occurrence, M. Balladur, a désindexé le critère, c'est parce que c'était plus favorable pour les finances. En ce qui nous concerne, nous souhaitons le réindexer, mais de façon progressive, en suivant une trajectoire compatible avec l'équilibre des finances publiques : c'est un objectif tout à la fois ambitieux – nous visons une revalorisation supérieure à l'inflation – et raisonnable – parce qu'on se donne du temps pour le faire.
Je conclurai en regrettant, monsieur Woerth, que vous persistiez à vouloir mélanger cette réforme avec le retour à l'équilibre du système actuel. Je sais bien que tout est lié, mais j'insiste sur le fait que c'est la conférence de financement qui est chargée de définir les pistes de retour à l'équilibre du système.
J'émets donc un avis défavorable à ces amendements.
Monsieur le rapporteur, pourquoi deux périodes distinctes ? On aurait très bien pu imaginer d'indexer, dès 2022, l'évolution de la valeur des points sur le revenu moyen, sauf décision différente de la CNRU approuvée par décret. Si vous instaurez cette période transitoire, particulièrement inquiétante, où il est même envisagé une indexation nulle, c'est parce que, ce faisant, vous essayez de traiter le problème du retour à l'équilibre. Or, ce qui est très frustrant, c'est que votre texte ne contient aucun élément financier de retour à l'équilibre. Pour comprendre pourquoi il y a deux périodes, il faudrait demander à la conférence de financement, qui se réunit quelque part dans Paris cet après-midi, de venir nous présenter ses perspectives financières. J'estime pour ma part qu'on ne peut pas travailler correctement dans les conditions actuelles : en tout cas, il y a aucune raison logique à prévoir deux périodes distinctes.
Le projet prévoit des dates pour la transition, mais les points de convergence ne seront pas les mêmes d'un régime à l'autre, ni d'un métier à l'autre. Si, de notre côté, nous nous référons aux revenus, c'est en raison du fait qu'il s'agit d'un système se voulant universel, qui doit donc concerner l'ensemble des actifs. Dans ce contexte, le mot « revenus » est celui qui reflète le mieux l'aspect universel du système.
Tout à l'heure, on a cité Platon. Si je me souviens bien, dans le dialogue Ménon, il est dit à un moment qu'entre Socrate et la vérité, Platon préfère la vérité. Il me semble qu'entre le dogme, la doxa et la raison pratique, c'est la dernière que nous devons préférer.
Monsieur le rapporteur, il faut être un peu sérieux et se dire les choses franchement : à partir du moment où le projet de loi prévoit des éléments de cadrage aussi stricts, notamment en ce qui concerne les cotisations, la Caisse va jouer le rôle d'une chambre d'enregistrement, et les décrets correspondront exactement aux décisions du Gouvernement. C'est la même chose actuellement avec les rapports du COR, censés être validés par les partenaires sociaux alors que, de l'aveu même de ces derniers, ils n'ont pas leur mot à dire dans ce qui reste une commande publique. Ne nous leurrons pas : le débat censé être public, qui devrait être assuré par le législatif, ne le sera pas, alors qu'il s'agit là d'enjeux extrêmement importants pour l'avenir de nos retraites.
Il est faux d'affirmer, comme le fait M. Woerth, que le pilotage se fera uniquement par la baisse des pensions. Ce qui est proposé, c'est de pouvoir jouer à la fois sur la valeur d'achat du point, donc sur le montant de la cotisation, et sur la valeur de service, ceci afin de doter la CNRU d'un maximum d'outils.
Par ailleurs, si 2045 joue le rôle d'une année charnière, c'est en raison du coût de la transition que chacun appelle de ses voeux, mais qui doit donner lieu à un pilotage extrêmement fin afin de préserver l'équilibre du régime. Si nous prenions l'engagement dès maintenant, c'est-à-dire durant la période de transition, d'indexer le point sur les revenus, nous prendrions le risque de mettre en péril l'équilibre du régime, ce que nous ne souhaitons évidemment pas.
En relisant l'amendement de M. Woerth et de ses collègues du groupe Les Républicains, je ne peux m'empêcher de penser qu'il n'est peut-être pas tout à fait exempt d'une certaine malice. Si je dis cela, au demeurant avec la plus grande bienveillance, c'est que les interventions de ce groupe et de son président, dont on connaît la grande expérience, ont plutôt consisté jusqu'à présent à m'interroger sur les moyens d'équilibrer le futur dispositif de retraite, et me paraissaient inspirées d'un souci de responsabilité : je ne peux donc m'empêcher de penser, non sans malice, que son amendement n° 16131 n'est pas inspiré par des intentions aussi constructives...
Sur le fond, nous aurons un taux de rendement proche de celui de l'AGIRC-ARRCO, aux alentours de 5 % – le rapport Delevoye le situe à 5,7 % bruts. L'AGIRC-ARCCO indexe ses points en fonction de l'inflation, et on ne peut pas avoir une dynamique sur les salaires appliquée immédiatement et de façon mécanique, comme l'a rappelé Jacques Maire : il est nécessaire de mettre en place une phase de transition afin d'assurer le pilotage financier du dispositif. Le taux de rendement proposé par le Gouvernement me paraît de nature à rassurer l'ensemble de nos concitoyens. J'entends votre remarque comme un appel à la vigilance sur les équilibres financiers plus que comme un amendement visant à instaurer une mesure couperet, qui supprimerait ce qu'en son temps Édouard Balladur avait perçu comme une bonne idée pour permettre au système de survivre – et, qui disons-le, contribue de façon significative à l'équilibre financier actuel.
La commission rejette successivement l'amendement n° 16131, puis les amendements identiques n° 30, n° 397 et n° 577, et enfin les amendements identiques n° 4958, n° 4963, n° 4965 et n° 4972.
Elle examine ensuite l'amendement n° 21109 de M. Boris Vallaud.
J'ai observé comment le rapporteur et le secrétaire d'État s'enfonçaient lentement dans les sables mouvants en parlant des valeurs d'acquisition et de service du point, et de l'âge d'équilibre, tout en évoquant la possibilité d'un pilotage fin... J'espère pour eux qu'il n'y aura pas trop de verglas, de coups de volant trop brusques, et de sorties de route !
Ce que veulent les Français, c'est qu'on leur garantisse clairement que leur pouvoir d'achat sera préservé et revalorisé dans le temps. Or les explications que vous leur donnez ne paraissent pas de nature à les rassurer : c'est pourquoi nous souhaitons préciser, à l'alinéa 3 de l'article 9, que les décrets qui seront pris le seront en Conseil d'État : compte tenu des nombreuses erreurs, lacunes et imprécisions que le Conseil d'État a pu relever lors de l'examen préalable de ce projet, il apparaît essentiel que le Gouvernement puisse être mieux accompagné et assisté par cette haute juridiction administrative au moment de la préparation des décrets, en particulier de ceux qui porteront sur la revalorisation des pensions.
Tel est le sens de notre amendement n° 21109.
Puisque beaucoup sont attentifs à ce que pense le Conseil d'État, autant aller à la source. Je vous invite donc à vous reporter à la page 327 du guide de légistique élaboré par le Conseil en collaboration avec le secrétariat général du Gouvernement, où l'on peut lire la préconisation suivante : « Le recours au décret en Conseil d'État entraîne cependant une certaine rigidité. […] Il convient donc d'éviter les renvois non justifiés ainsi que les renvois trop généraux au décret en Conseil d'État dans les dispositions finales d'un texte ou d'une subdivision d'un code. […] Ne justifient en général pas la consultation du Conseil d'État les réglementations techniques et soumises à des changements fréquents ou les dispositions fixant des montants, des seuils et des valeurs. »
Le Conseil d'État – qui, je le rappelle, est le conseil juridique du Gouvernement – indique lui-même qu'il n'est pas recommandé de le solliciter sur ce genre d'éléments : on ne saurait être plus clair.
Je suis donc défavorable à cet amendement.
Pardon, monsieur le secrétaire d'État, mais force est de constater qu'il y a ce qu'il faut bien appeler une entourloupe dans votre façon de présenter les choses. Vous avez dit aux Français que le point de pension augmenterait en fonction du revenu – c'est du moins ce que les gens ont cru comprendre de vos explications –, alors que ce n'est pas le cas. Mais dans ce cas, pourquoi faire deux valeurs ? C'est donc bien qu'il doit se passer quelque chose en 2045...
Par ailleurs, vous nous dites que ce que nous proposons coûte cher et n'est pas financé, ce qui est un comble : si vous n'avancez aucune mesure de financement de votre projet, nous assumons pour notre part d'augmenter l'âge de départ en retraite, ce qui représente une dizaine de milliards d'euros pour un an de plus. À terme, l'augmentation serait de trois ans étalée sur une douzaine d'années, ce qui procurerait une trentaine de milliards pouvant être injectés dans le système : comme vous le voyez, nous nous donnons les moyens de changer les paramètres du système.
Enfin, vous prétendez que le pilotage sera confié aux partenaires sociaux, tout en répétant sans cesse que les deux taux de revalorisation sont fixés par une délibération de la CNRU ou à défaut par décret : en réalité, le poids de l'État dans ce dispositif est tout à fait considérable. Il y a donc bel et bien une entourloupe, à la fois sur la valeur du point et sur le pilotage.
Cette période de transition ouvre effectivement la porte à toutes les escroqueries, à toutes les mauvaises manières. Dans un premier temps, la valeur du point sera indolore sur l'équilibre financier, puisque vous ne verserez que peu de pensions – un tiers à partir de 2050 – et, durant cette période, tout sera possible, avec des conséquences – érosion du rendement, baisse de la part des retraites dans le PIB, etc. – qui ne se révéleront que lorsque le dispositif jouera à plein. Dans ces conditions, et compte tenu du peu de confiance que nous avons en vous, il ne paraît pas abusif de solliciter l'avis du Conseil d'État.
Quand vous m'avez renvoyé à l'alinéa 24 de la page 137 du projet de loi au motif de m'éclairer, c'était plutôt pour me perdre, car ce qu'on y trouve est beaucoup moins clair que ce qui est écrit page 65, à l'alinéa 3 de l'article 9 : « [...] l'évolution annuelle du revenu moyen par tête, constatée par l'Institut national de la statistique et des études économiques selon des modalités de calcul déterminées par décret en Conseil d'État ». En France, c'est donc le Conseil d'État qui décide des modalités de répartition entre capital et travail, comment la richesse produite se répartit entre les actifs et les inactifs... C'est pourtant bien à la représentation nationale de s'occuper de cela, et non à une autorité administrative !
Par ailleurs, M. le rapporteur a lu un extrait du guide de légistique du Conseil d'État où celui-ci préconise de ne pas l'interroger sur des sujets aussi précis, qui ne relèvent pas de sa compétence. Or, que penser de la formule figurant également à l'alinéa 3 : « Chacun de ces taux doit être supérieur à zéro et compris entre l'évolution annuelle des prix hors tabac et l'évolution annuelle du revenu moyen par tête. » ? Supérieur à zéro, cela va de zéro à l'infini ! Vous qui plaidiez pour la précision, monsieur le rapporteur, convenez-en : c'est totalement confus.
Si le fait que les taux de cotisation soient fixés par décret constitue une telle atteinte aux prérogatives du Parlement, on peut s'étonner, monsieur Vallaud, que la majorité de l'époque, dont vous faisiez partie, n'ait pas jugé bon y remédier au cours de la législature précédente...
.. et la même remarque vaut pour le fait de soumettre les décrets au Conseil d'État, ce que vous et vos amis n'avez pas fait non plus.
Monsieur le président Woerth, j'ai bien noté que nous n'avions pas la même vision de ce que doit être la transformation de notre système de retraite. Vous êtes le défenseur d'une mesure d'âge s'appliquant de façon uniforme à l'ensemble des Français, qui faisait d'ailleurs l'objet d'une proposition de votre candidat à l'élection présidentielle. Il ne vous aura pas échappé que, de mon côté, je défends un autre projet, consistant plutôt en une transformation du système de retraite afin de l'adapter aux évolutions de notre société et du marché du travail. Je ne nie pas l'intérêt que votre proposition aurait pu avoir en termes d'équilibre financier, je dis simplement que cette proposition n'était pas suffisamment ambitieuse pour notre société et ne répondait pas aux attentes des Français – qu'il convient cependant, je le reconnais, d'inciter à travailler un peu plus longtemps, tout en leur permettant de partir à l'âge légal de 62 ans s'ils le souhaitent.
La commission rejette l'amendement.
Elle est ensuite saisie de l'amendement n° 21110 de M. Boris Vallaud.
J'entendais tout à l'heure le rapporteur nous citer le guide de légistique pour justifier le fait qu'on ne soumette pas au Conseil d'État le décret visé à l'alinéa 3 de l'article 9. La « rigidité » évoquée à ce propos me rappelle un peu certains débats que nous avons dans l'hémicycle, notamment lorsque nous parlons du droit du travail. Or le texte dont nous débattons aujourd'hui n'est pas un petit texte technique de simplification, mais un projet qui touche fondamentalement à la vie quotidienne, présente et future, de l'ensemble des Français. Plutôt que de rigidité, j'ai donc plutôt envie de parler de protections fondamentales, de garanties élémentaires des droits collectifs : ce dont il est question, c'est tout de même de notre système de retraite solidaire ! J'estime donc que, par exception à la règle préconisée par le Conseil d'État, nous devrions avoir en la matière un décret en Conseil d'État, qui serait beaucoup plus sécurisant pour les droits des Français.
Je conçois tout à fait, monsieur Juanico, qu'il soit essentiel de sécuriser : cette sécurisation doit porter sur la pension versée à nos concitoyens, mais aussi sur l'équilibre budgétaire, afin d'être en mesure de garantir que les générations suivantes pourront aussi en bénéficier. À titre de comparaison, il faut savoir que le budget actuel des pensions versées s'élève à 325 milliards d'euros par an, et le budget de l'État, net de la part redonnée à l'Union européenne et aux collectivités, à 338 milliards : nous sommes dans le même ordre de grandeur. Il est tout simplement dans la logique des choses que l'État soit très attentif à la gestion d'une somme aussi considérable, alimentée par les cotisations de millions de gens et qui sert également à verser une pension à des millions de gens.
Dans ces conditions, vous comprendrez que nous soyons attachés à maintenir un équilibre entre une démocratie sociale représentée au sein de la CNRU et une démocratie parlementaire soutenant le Gouvernement. C'est précisément le fait que plusieurs acteurs aient un rôle à jouer dans ce domaine qui va donner une excellente visibilité aux décisions prises par l'organisme unique qu'est la CNRU. Pour moi, c'est l'expression typique d'un équilibre démocratique des pouvoirs : les décisions pourront être prises en considération des exigences des uns et des contraintes des autres. J'émets donc un avis défavorable à cet amendement.
Nous sommes peut-être malicieux, comme vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'État, mais nous ne sommes pas dupes, et je relève des différences fondamentales entre nous. Le projet que vous avez défendu en 2017 devant les Français a été source de confusion du fait du mode de financement du dispositif. Nous avons le mérite de la clarté : nous souhaitons préserver le pouvoir d'achat des Français – c'est notre leitmotiv. Or sans équilibre, il n'y a pas de revalorisation. Les Français veulent savoir quel sera l'avenir de leur pension. Pour ceux nés avant 1975, vous ne changez rien de ce qui est prévu depuis le dispositif Balladur, c'est-à-dire l'indexation sur l'inflation. Pour les Français nés après 2004, l'indexation se fera sur l'évolution des revenus ; il faudra simplement s'assurer des modalités de calcul. En revanche, pour les personnes nées entre 1975 et 2004 ? S'agira-t-il d'une génération sacrifiée ?
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement n° 21111 de M. Boris Vallaud.
M. le rapporteur a indiqué que le recours au Conseil d'État ne serait pas justifié pour le décret visant à fixer les valeurs d'acquisition et de service du point. Vous n'avez pas conscience du contexte extrêmement aléatoire et flou dans lequel nous évoluons. Vous dites vous-même que les éléments paramétriques que craignait tellement M. Berger se retrouvent au coeur du débat, par la construction de la valeur du point. À ce titre, le rapport du Conseil d'État avait fustigé les orientations prises dans le cadre de la réforme des retraites. Il semble donc capital de sécuriser les systèmes, de donner la possibilité de sortir du dogme que vous avez établi, lequel consiste à répéter à plusieurs reprises dans le texte le besoin de soutenabilité et d'équilibre financier, qui s'établira en défaveur des populations, notamment les plus défavorisées. C'est pourquoi nous proposons de recourir au Conseil d'État pour rédiger le décret.
Vos lectures des avis du Conseil d'État sont à géométrie variable... Lorsqu'il critique le projet de loi, vous le suivez. Dans le cas considéré, où le Conseil d'État indique qu'il ne souhaite pas être embolisé par de telles décisions, vous souhaitez tout de même le solliciter ! Il faut faire preuve de cohérence. Le Conseil d'État, conseil juridique du Gouvernement, ne nous invite pas à le solliciter sur l'évolution des paramètres du système. Nous suivons son avis.
Vous avez raison de dire que le Conseil d'État ne doit pas être enseveli sous des décrets. Son vice-président le disait hier dans Le Monde : « Il convient peut-être de faire moins, mais mieux, en se montrant plus sélectif sur les réformes qui nécessitent un travail d'évaluation vraiment approfondi. C'est évidemment le cas pour la construction d'un système universel de retraites : il faut y consacrer du temps, de l'expertise, afin d'accompagner ce pari de long terme. » Si vous voulez écouter l'avis du Conseil d'État, retirez votre texte et revenez devant nous avec une autre réforme.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement n° 22655 du rapporteur général.
Dans le droit fil de ce que nous avons dit précédemment, l'amendement vise à corriger l'article pour faire apparaître l'expression « revenu d'activité moyen par tête ». C'est une précision dans la rédaction, en lien avec les discussions que nous avons eues. (Exclamations.)
Afin que la commission soit éclairée et puisse voter en conscience, peut-on savoir ce qu'inclut l'expression « revenu d'activité moyen par tête » ?
Elle a fait l'objet d'un long échange, où le président Mélenchon et le président Woerth se sont exprimés. Le rapporteur souhaite préciser que l'indicateur renvoie à l'activité. Nous avons vu, y compris dans les échanges hors micro entre Gilles Carrez et le président Mélenchon, que ce sujet pouvait faire l'objet d'une réflexion.
En page 319 de l'étude d'impact, un graphique montre la dynamique des salaires par rapport à l'inflation. Tout le monde, y compris les précédents législateurs, reconnaît le dynamisme de cet indicateur de l'INSEE. C'est pour cette raison qu'il a été sorti de l'indexation des salaires portés au compte, et désormais indexés sur l'inflation. Voilà donc ce qui a été constaté depuis 1993 en matière d'équilibre budgétaire sur les retraites.
Nous proposons de revenir à la notion d'indexation sur les salaires, en allant plus loin car, on l'a dit, le système universel compte non seulement des salariés, mais aussi des fonctionnaires et des professions libérales. Nous devons donc disposer d'un nouvel indicateur, composite, qui parle aux revenus de l'ensemble de ces populations – 70 % de salariés, 20 % de fonctionnaires et 10 % d'indépendants. La dynamique des salaires qui composerait 70 % de l'indicateur global pèsera le plus dans ce revenu moyen d'activité par tête que propose M. le rapporteur et auquel je donne un avis favorable.
Vous êtes plusieurs à m'avoir demandé la parole. Pour respecter les règles que nous nous sommes fixées, je vais mettre aux voix l'amendement. Comme je l'ai proposé, nous suspendrons ensuite la séance. Compte tenu du nombre d'amendements, nous pourrons naturellement reprendre nos débats après la suspension.
La commission adopte l'amendement.
La réunion, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures trente.
La commission examine les amendements identiques n° 4975 de Mme Clémentine Autain, n° 4980 de M. Bastien Lachaud, n° 4982 de Jean-Luc Mélenchon et n° 4989 de Mme Sabine Rubin.
Vous avez fait adopter sans débat l'amendement n° 22655. Son numéro, et le détail n'est pas tout à fait mineur, signifie qu'il a été parmi les derniers à être déposé, il y a quelques jours seulement. Or il ne porte pas sur un sujet anecdotique, mais sur le coeur de notre projet puisque vous passez d'un mode de calcul du point à partir du revenu moyen par tête, à un calcul à partir du revenu d'activité moyen par tête. Non seulement vous n'avez pas été capable de définir le revenu d'activité, quand nous l'avons demandé, mais il n'existe même pas parmi les indicateurs de l'INSEE, au contraire du salaire moyen par tête.
Le rapporteur l'a dit, on peut supposer que l'INSEE en donnera une définition, mais il est ahurissant et totalement antidémocratique de nous demander d'adopter un tel amendement, sans débat. Nous aurons donc une base de calcul du point sans connaître ce qu'est le revenu d'activité moyen par tête.
Tout comme vous, je regrette le déroulé de nos débats. Si nous avions choisi nos combats et déposé un peu moins d'amendements, nous aurions peut-être pu discuter de chacun un peu plus longtemps. (Exclamations.) Nous avons eu un long débat sur le revenu d'activité moyen par tête lors de la discussion sur les amendements précédents. Je considère que le débat a eu lieu. J'ai fait respecter les règles qui ont été définies par le bureau. À ce stade, je considère donc que nous devons poursuivre l'examen des amendements. Plusieurs de vos collègues ayant déposé un amendement de suppression de l'alinéa 4, je donne la parole à M. Lachaud pour défendre l'amendement n° 4980.
Si le débat avait réellement eu lieu, nous saurions aujourd'hui ce qu'est le revenu d'activité moyen. Or force est de constater que nous ne le savons toujours pas. Ce revenu intègre-t-il les revenus du capital, les revenus du travail, la rente, la prime d'activité ? Nous n'en avons aucune idée. On ne peut pas considérer que le débat a eu lieu quand la plus simple des questions n'a pas reçu de réponse. Quel est ce revenu d'activité que vous venez d'adopter ? Que comprend-t-il ? Devrons-nous attendre quarante ans pour que l'INSEE tombe d'accord sur un indice ? Saurons-nous ce que comprendra la loi lorsque nous la voterons ? Pour l'instant, nous ne le savons pas.
La procédure voulait que nous puissions intervenir après les interventions du rapporteur et du secrétaire d'État. On ne peut pas dire que les règles aient été appliquées, à moins d'avoir été modifiées. Nous avons l'impression que vous êtes embarrassés. Pour ce qui me concerne, je m'en réjouis car un parlementaire peut passer des heures à discuter sans toucher du doigt l'efficacité de son discours.
J'ai posé au rapporteur une question sur le revenu d'activité. Il semble l'avoir oubliée. Ses premières explications montraient qu'il n'avait pas idée de ce que représentait cet indicateur lequel, en effet, n'existe pas et doit être créé. Le secrétaire d'État, après plusieurs interventions d'autres orateurs, a fini par concéder qu'il ne sait pas ce qu'est le revenu d'activité – et pour cause, puisque, d'après l'alinéa 3, son évolution doit être constatée par l'INSEE.
Le secrétaire d'État supposait que l'INSEE nous donnerait un bon indice. Je l'invite à relire son texte : cette tâche revient au Conseil d'État. Il est extraordinaire que des législateurs confient à une autorité administrative la question de savoir si les revenus du capital et ceux du travail sont égaux, au moment d'évaluer la valeur d'un point. Si l'on y inclut les revenus du capital, vous verrez le bond en avant que fera la valeur du point et vous devrez vous demander comment réaliser l'équilibre.
L'amendement n° 4989 vise à supprimer l'alinéa 4, qui n'est plus valable puisqu'il y est question de « l'évolution annuelle du revenu moyen par tête », et non du revenu d'activité moyen par tête. C'est un brouillon de texte que nous étudions.
Sur la forme, un rapporteur a le droit de déposer un amendement à tout moment. Par ailleurs, l'amendement n° 22655 a été déposé dimanche dernier. Je veux bien entendre que nous n'avons pas eu le débat, finissons-en avec les polémiques : nous discutons de ce revenu d'activité depuis une heure et demie.
Par ailleurs, madame Rubin, le texte n'est pas écrit n'importe comment : le II de mon amendement dispose : « En conséquence, procéder à la même insertion à l'alinéa 4. » La notion d'activité est plus large que la simple notion de salaire : au cours de sa vie, un Français peut avoir des périodes où il travaille comme libéral, salarié ou fonctionnaire. Il nous semblait intéressant d'intégrer cette réalité. L'INSEE, comme à son habitude, créera un indicateur agrégé, en utilisant des indicateurs qu'il connaît, comme le prix et le revenu, et en proposant une répartition au vu des années passées. C'est ainsi qu'un indice se construit, et il en existe bien d'autres – l'indice des prix à la construction par exemple. Et personne n'a remis en cause l'objectivité de l'INSEE.
Depuis plus de trois quarts d'heure, nous vous interrogeons sur le terme de revenu moyen par tête, par opposition à celui de salaire moyen, qui est plus facile à appréhender, grâce à l'inflation. À droite, comme à gauche, les orateurs demandent si cet indicateur inclut les revenus du capital. À ce stade de la discussion, personne ne mentionne le souhait d'ajouter le terme « d'activité ». Non seulement vous ne répondez pas, mais avec votre amendement n° 22655, vous changez les règles et vous le faites voter avant tout débat !
Cela montre à quel point vous êtes gênés aux entournures : il y a quelque chose sur lequel vous ne souhaitez pas nous répondre. De vos précisions sur le « revenu d'activité », je comprends que vous ne voulez surtout pas y inclure les revenus du capital et du patrimoine, qui feraient considérablement monter le taux, ce qui aboutirait à des retraites élevées. En dehors de cela, vous ne savez pas ce que comprendra ce taux. Comment voulez-vous que la représentation nationale puisse être éclairée si vous-même, qui rédigez les textes, n'en savez rien ?
Je suis extrêmement étonné de la méthode, qui crée de la suspicion. M. le rapporteur dépose un amendement, et c'est tout à fait son droit, lequel est voté avant même qu'un débat n'ait lieu. Convenez qu'il y a là un vrai problème, d'autant que vous avez refusé à plusieurs reprises notre proposition de demander au Conseil d'État de traduire techniquement ces paramètres, ce qui pourrait nous sécuriser. Or vous modifiez le terme de revenu par tête en y ajoutant « d'activité ». C'est un enjeu majeur, qu'il ne faut pas négliger.
Une fois que le rapporteur a donné son avis, j'ouvre les débats. Chaque groupe peut faire intervenir un orateur, pendant une minute. C'est ce qui s'est produit tout à l'heure. Puis, le secrétaire d'État a la possibilité de répondre, avant que nous ne passions au vote. C'est ainsi que nous avons procédé jusqu'à présent, et que nous continuerons de procéder, sauf si le bureau en décide autrement lors de sa réunion prochaine.
Si cela peut rassurer le groupe La France insoumise, comme nous n'irons pas au bout de l'examen des amendements, la modification ne sera pas prise en compte dans le texte final et nous étudierons en séance le texte du Gouvernement. Si l'amendement n'était que rédactionnel, cela n'aurait pas grande importance. S'il introduisait une précision essentielle, cela ne serait pas grave non plus car ce que nous votons ne sert à rien...
Il nous aura fallu attendre cinq jours pour examiner trois amendements du rapporteur. L'ensemble des rapporteurs a déposé moins de vingt amendements sur un texte de soixante-cinq articles. Soit le projet de loi était parfait, mais il ne l'est pas du tout, soit les rapporteurs avaient anticipé que la commission n'irait pas au bout – on peut alors douter de la sincérité de nos travaux –, soit ils ont manqué de temps pour effectuer un travail sérieux. Mais lorsque l'on envisage de toucher aux 325 milliards d'euros du système de retraite de l'ensemble des Français, on devrait prendre le temps nécessaire pour faire un travail sérieux.
Nous parlons non seulement de 330 milliards, mais de la vie de millions de gens, qui, au moment de la retraite, seront rémunérés par des points, calculés d'après plusieurs critères. À ce stade, il est question d'une série de changements, qui ont de l'importance mais dont nous ne comprenons pas les motifs.
Premièrement, le salaire moyen, indiqué par le rapport Delevoye, devient revenu d'activité. Je vous interroge sur ce point, et vous me dites que cela va de soi. Je ne partage pas cette opinion : il y a déjà un premier changement.
Deuxièmement, le revenu d'activité, cela n'existe pas. Vous indiquez qu'il revient à agglomérer les salaires et les revenus des gens qui n'ont pas de salaire. Je vous répète que le revenu d'activité n'existe pas, en statistique. Vous-même finissez par en convenir.
Pour finir, le secrétaire d'État dit que l'on peut supposer que l'INSEE fabriquera un bon indice, ce à quoi je réponds que cette tâche revient au Conseil d'État. Sur ce point, je n'ai pas reçu de réponse.
Je continue à me demander comment tout cela a été mis au point et quelles sont vos intentions réelles. J'en profite pour interroger le Conseil d'État, qui a rédigé un très long avis – je l'ai interrogé selon la procédure républicaine : cela ne signifie pas que nous soyons tenus de le suivre –, mais où il omet de calculer le revenu moyen d'activité en France. Cette attribution, qui revient à trancher entre capital et travail, n'est pourtant pas négligeable ; il n'en dit pourtant pas un mot.
Je rappelle au président Mélenchon que le revenu d'activité est défini par l'article L. 136-1-1 du code de la sécurité sociale comme « toutes les sommes, ainsi que les avantages et accessoires en nature ou en argent qui y sont associés, dus en contrepartie ou à l'occasion d'un travail, d'une activité ou de l'exercice d'un mandat ou d'une fonction élective, quelles qu'en soient la dénomination ainsi que la qualité de celui qui les attribue, que cette attribution soit directe ou indirecte ».
A contrario, « ne constituent pas un revenu d'activité les remboursements effectués au titre de frais professionnels ». Il est intéressant de se plonger dans cette définition. Ne dites donc pas que le revenu d'activité n'existe pas.
Nous avons tout intérêt à bien lire le texte, et particulièrement l'alinéa 7 de l'article 9 : le décret en Conseil d'État fixera les modalités du revenu d'activité, tel que l'amendement du rapporteur général et du rapporteur l'a précisé. Jean-Paul Mattei a rappelé certaines dispositions légales en la matière : sur le fond, il n'y a pas de polémique. Tout le monde connaît le salaire moyen par tête (SMPT), utilisé jusqu'en 1993 pour faire évoluer les salaires portés au compte. Il n'y a donc pas de révélation en la matière, ce que j'ai expliqué reste valable : les salariés et les fonctionnaires ont chacun un SMPT propre. Nous devrons également prendre en compte les revenus des professions libérales et des indépendants. Nous aurons alors un indicateur aggloméré, qui sera précisé et validé par le Conseil d'État, et c'est bien l'INSEE, organisme indépendant, qui le produira tous les ans. Par conséquent, ce revenu moyen d'activité par tête sera construit de façon aussi indépendante et professionnelle que l'actuel SMPT pour les fonctionnaires et les salariés. Finissons-en avec la polémique et avançons sur d'autres sujets. Il s'agit d'un revenu d'activité qui, M. Mattei l'a précisé, est détaillé dans d'autres dispositions légales.
La commission rejette les amendements.
Puis elle examine les amendements identiques n° 4992 de Mme Clémentine Autain, n° 4997 de M. Bastien Lachaud, n° 4999 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 5005 de Mme Sabine Rubin.
Alors que nous continuons de proposer la suppression des alinéas de l'article 9, je reviens sur le revenu d'activité moyen par tête, qui n'est pas très connu. Vous nous dites tout à la fois qu'il est déjà défini dans les textes, que l'INSEE l'élaborera, voire que le Conseil d'État en décidera... Et lorsque nous vous posons une question précise, par exemple si les personnes qui touchent la prime d'activité entrent dans le calcul, vous n'êtes pas capables de nous répondre. La catégorie est donc suffisamment inconnue pour que, introduite au dernier moment dans le texte, elle ne soit pas de nature à éclairer le législateur !
Tout repose en effet sur la définition du revenu d'activité moyen par tête. Des sites internet affirment que chaque année, le salaire moyen par tête est calculé en France, afin de connaître l'évolution du revenu moyen des Français. Le revenu d'activité ne serait-il donc pas le revenu du salaire ? (Exclamations.) Il faudrait savoir ! Personne n'est d'accord sur une définition du revenu d'activité. Il n'est pas neutre de changer l'indice sur lequel la valeur du point et son évolution seront calculées. La question est simple : quels revenus seront comptabilisés dans le revenu d'activité ? La prime d'activité sera-t-elle prise en compte ?
J'ai bien compris ce qu'ont dit M. le secrétaire d'État et M. Mattei. Pourtant, l'alinéa 3 de l'article 9 prévoit que l'évolution du revenu moyen par tête sera « constatée par l'Institut national de la statistique et des études économiques selon des modalités de calcul déterminées par décret en Conseil d'État ». C'est donc bien qu'elles n'existent pas !
L'INSEE utilisera les décisions du décret en Conseil d'État non pour fixer l'indice mais pour réaliser son appréciation. Nous savons bien ce qu'est le revenu médian ou le revenu moyen : ces mots ont un sens bien défini. Mais nous ne pouvons pas improviser le revenu d'activité en cours de route, en disant qu'il va de soi. Il existera, sans doute, mais pourquoi faut-il 2 heures pour que nous parvenions à nous mettre d'accord là-dessus ?
Si le revenu d'activité est déjà défini, pourquoi ne pas préciser dans l'alinéa « tel que précisé dans le code de la sécurité sociale » ? Du reste, à supposer qu'il existe, il reste à calculer le calcul du revenu d'activité moyen par tête, qui n'a rien à voir avec un revenu agrégé. C'est la raison pour laquelle nous demandons des précisions.
M. Letchimy s'est plaint qu'il y ait eu un vote avant débat, mais cela fait une heure et demie que nous discutons sur la nécessité de prendre en compte les revenus d'activité, qui plus est en balayant à plusieurs reprises l'intégralité des sujets qu'abordent les soixante-cinq articles du projet de loi. Nous faisons et refaisons les débats.
Monsieur Letchimy, la règle veut que nous nous répondions, l'un après l'autre. Vous venez d'arriver : respectez au moins le travail posé, équilibré, respectueux et pourtant responsable que nous avons mené.
Il y a eu des débats, des explications. J'entends que l'indice du revenu d'activité moyen par tête, que vous évoquez comme étant moins favorable, doit être précisé. Cela dit, comme il touche à la fois à la valeur d'acquisition et à la valeur de service, cela joue dans les deux sens : s'il s'applique sur une base très dynamique, la valeur d'acquisition le sera aussi, ce qui aura également une incidence pour les Français, qui doit être évaluée. L'indice sera indubitablement présenté et validé, notamment par le conseil d'administration de la CNRU.
Je confirme que nos débats doivent être menés dans le respect et l'écoute des uns et des autres, même s'ils ne portent pas sur l'alinéa que nous devrions examiner. Notre commission et les personnes qui nous regardent sont toutefois conscientes que nous conduisons un débat approfondi sur de nombreux thèmes.
Veuillez m'excuser de prolonger la discussion car ces choix ne sont pas neutres. Je ne disconviens pas que l'on puisse réfléchir à un nouvel agrégat. On nous a dit que le revenu d'activité moyen par tête serait l'agrégation de l'évolution des revenus d'activité des non-salariés, qui est très dynamique. J'ignore si c'était le cas juste après la crise de 2008 ou si ce dynamisme perdurera.
De la même manière, on additionne les revenus d'activité des fonctionnaires, alors que l'on connaît les efforts qu'ils ont consentis depuis plus d'une dizaine d'années. Vous fondez un élément central de votre dispositif sur un agrégat dont vous-même êtes en train de dire qu'il est en constitution et dont vous ignorez si l'évolution favorisera les salaires. Vous ne pouvez tout de même pas introduire une telle hypothèque. Il serait extrêmement inquiétant que vous fassiez tout au pif...
M. Mélenchon a estimé scandaleux que le revenu d'activité moyen soit fixé par le Conseil d'État, en vertu de l'alinéa 3. Si j'ai bien lu le texte, il y aura deux périodes pour les taux : l'une, à partir de 2045 ; l'autre, jusqu'au 31 décembre 2044. Je suggère qu'un amendement rédactionnel rectifie légèrement la rédaction de l'alinéa car l'expression « selon des modalités de calcul déterminées par décret en Conseil d'État » concerne non pas le revenu d'activité moyen par tête, mais les taux.
Une virgule semble manquer entre « économiques » et « selon » puisque, au paragraphe suivant, il est dit que les « deux taux sont égaux à l'évolution annuelle du revenu moyen par tête ». C'est bien pour la période d'avant 2045 qu'il faut fixer un taux, calculé par le Conseil d'État, dont nous proposons qu'il soit entre zéro et le revenu moyen d'activité par tête. Avec cette virgule, sans doute auriez-vous compris autrement.
La commission rejette les amendements.
Puis elle est saisie de l'amendement n° 21112 de M. Boris Vallaud.
L'amendement est défendu. Je suis attaché au débat, monsieur le rapporteur ; je note seulement que nous sommes passés d'un revenu moyen par tête, constaté par l'INSEE, à un revenu moyen d'activité. Votre amendement de précision rédactionnelle est bel est bien un amendement de fond !
Les deux taux prévus devront se rejoindre et on tiendra compte, pour cela, de l'évolution annuelle du revenu moyen par tête – le revoilà ! Cet indicateur n'existe pas aujourd'hui – il ne devrait pas être si difficile de le reconnaître. Et ses modalités de calcul ne seront pas déterminées par l'INSEE mais par un décret en Conseil d'État. C'est une question très politique. Bien que le Conseil d'État ait déjà vu passer ce texte, on ne sait toujours pas comment l'indicateur sera constitué – les evenus du capital seront-ils inclus ? Ce n'est un insoumis qui l'a suggéré tout à l'heure mais un membre du groupe Les Républicains. Nous allons vers une clarté toujours plus grande...
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite les amendements identiques n° 5009 de Mme Clémentine Autain, n° 5014 de M. Bastien Lachaud, n° 5016 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 5023 de Mme Sabine Rubin.
J'ai essayé de voir où serait la virgule censée nous éclairer. Peut-être n'avez-vous pas vu que « constatée » est au féminin dans le texte : il est question de l'évolution annuelle et non des taux.
Le 1° concerne la période transitoire, tandis que le 2° s'applique à compter du 1er janvier 2045. Si on lit bien, c'est la même chose qui est prévue : dans les deux cas, il y aura une délibération du conseil d'administration de la CNRU ou un décret. Je ne vois absolument pas la différence.
À partir du moment où l'on est obligé de se demander, pour comprendre la loi, de se demander si une virgule a été oubliée ou de regarder l'accord d'un participe passé, c'est qu'il y a un problème, et pas seulement de rédaction. Sinon, nous ne discuterions pas depuis 2 heures de la définition du revenu d'activité : vous nous auriez dit de quoi il est composé. Cela vous aurait permis de répondre à ma question : la prime d'activité est-elle intégrée ou non ? Je pense qu'il faudrait réécrire l'article 9 dans son ensemble ou, comme nous l'avons proposé, de le supprimer.
J'appelle votre attention sur l'ampleur du saut dans l'inconnu : vous avez décidé que le revenu lié au point serait inconnu, bien qu'on s'appuie sur un revenu moyen par tête – tout aussi inconnu –, et que l'on appliquerait des décotes différentes, ce qui fait que, quel que soit le résultat, celui-ci ne s'appliquera pas à tout le monde. Mais il y a encore une autre inconnue dans l'affaire : le système fonctionnera, sauf cas contraire. Ainsi, l'alinéa 4 s'appliquera sauf si une délibération du conseil d'administration de la CNRU approuvée par décret détermine des taux différents selon les modalités et dans les limites prévues aux articles machin, truc et bidule ! Autrement dit, tout est vrai, sauf si ce n'est pas vrai : le conseil d'administration pourra décider un autre taux. Vous avez donc empilé quatre inconnues, on ne sait rien du revenu lié à la retraite.
L'amendement n° 5023 tend à supprimer l'alinéa 6, qui mérite à tout le moins une explication de texte : « À compter du 1er janvier 2045, ces deux taux sont égaux à l'évolution annuelle du revenu moyen par tête mentionnée au 1° précédent, sauf si [...] en l'absence d'une délibération mentionnée au a ou en l'absence d'approbation de celle-ci, un décret détermine des taux différents selon les modalités et dans les limites prévues aux articles L. 19-11-3, L. 19-11-4 et L. 19-11-7. Dans le dernier cas, le décret énonce les motifs pour lesquels la délibération ne peut être approuvée. » Pouvez-vous nous dire, en français, ce que cela signifie ? Cela permettrait à tous ceux qui suivent nos débats de comprendre dans quels cas l'évolution ne se fera pas en fonction du revenu d'activité moyen ?
Ce passage ne tombe pas nécessairement sous le sens, comme c'est souvent le cas pour les textes juridiques.
À compter du 1er janvier 2045, les deux taux seront égaux à l'évolution annuelle du revenu d'activité moyen par tête. Deux exceptions sont possibles : premièrement, si le conseil d'administration en décide autrement – des limites sont évoquées plus loin, dans le titre IV, en lien avec le pilotage économique ; deuxièmement, si le conseil d'administration ne prend pas de décision ou si la trajectoire prévue n'est pas adaptée à la règle d'or, auquel cas le Gouvernement peut alors reprendre la main.
Il est prévu depuis le début que ce serait validé par décret. Il s'agit d'une affaire à 325 milliards d'euros : un contrôle démocratique pourra avoir lieu à tout instant. Imaginons que le conseil d'administration prenne des décisions conduisant à des difficultés insondables : il faudra garder de la cohérence.
J'émets donc un avis défavorable sur ces amendements.
L'alinéa 3 définit la période transitoire. À compter du 1er janvier 2045, le conseil d'administration de la Caisse nationale prendra la main et il faudra un décret pour appliquer sa décision ; à défaut, si la délibération du conseil d'administration ne peut pas être approuvée, les motifs seront précisés par le décret. Il y aura une explication précise, une information, et une discussion pourra avoir lieu. Une totale transparence prévaudra. C'est ainsi que je comprends le texte à ce moment de son examen.
Je voudrais saluer cette éclaircie dans une commission où tout est parfois très embrouillé. Vous avez été d'une clarté limpide à propos de la règle d'or. Vous venez de valider ce que nous disons depuis plusieurs jours : cette règle est supérieure à toute autre considération. Vous laissez au conseil d'administration de la Caisse la latitude de fixer la valeur du point, mais dans un cadre totalement corseté par votre obsession de la règle d'or.
La commission rejette les amendements.
Elle est ensuite saisie, en présentation commune, des amendements n° 21113, n° 21114 et n° 21272 de M. Boris Vallaud.
Je voudrais revenir sur ce que Mme Autain a dit : il y a une règle d'or, très précise, et vous avez le courage de l'annoncer. Le but principal est de limiter les dépenses de retraite en figeant la part du PIB qui leur est consacrée – elle ne doit pas dépasser 14 %. La principale conséquence est que vous allez briser les solidarités construites depuis 1945. Sans oublier le risque, grave, d'une baisse généralisée des pensions. Il faut clarifier ce qui se trouve derrière les mots figurant dans le texte.
La gouvernance repose sur le paritarisme mais aussi sur le principe, assumé, de la responsabilité financière. Pour qu'on puisse faire confiance au système, il faut que les contributeurs d'aujourd'hui, les actifs actuels, aient la certitude de pouvoir bénéficier, demain, d'une pension. Toutes les enquêtes d'opinion, y compris auprès des plus jeunes – mais peut-être est-ce lié au développement de l'individualisme dans notre société – montrent qu'on n'y croit pas. Si l'on veut garantir des pensions pour les retraités, il faut aussi garantir l'équilibre du système. Si les actifs doivent non seulement payer les pensions mais aussi les dettes accumulées, un poids considérable pèsera sur leurs épaules.
Comme pour toute agence, il reviendra à l'État de définir des objectifs, de donner un certain nombre de pouvoirs au directeur ou au conseil d'administration, mais aussi de vérifier au fil de l'eau que les objectifs ne sont pas perdus de vue. Cela s'appelle une gouvernance normale : un conseil d'administration disposant d'une large autonomie, une surveillance exercée par le Gouvernement et, derrière lui, par la représentation nationale. C'est la base du fonctionnement démocratique de nos institutions.
Par conséquent, avis défavorable.
Tout devra passer sous la toise de la règle d'or : on ne dépassera pas les 13 % du PIB consacrés aux pensions alors que le nombre de retraités va augmenter.
Vous évoquez un contrôle démocratique. Or c'est d'un décret qu'il est question : le Parlement n'aura absolument pas voix au chapitre. La gestion des retraites de millions de Français dépendra uniquement d'une décision du Gouvernement, sans aucun contrôle du Parlement. C'est très éclairant : vous ne lui laissez aucune place.
Vous nous proposez une réforme au doigt mouillé. Pensez-vous que les Français qui suivent nos débats, et qui s'inquiètent de l'évolution du montant des pensions, des conditions de départ à la retraite, de la valeur d'acquisition du point et de sa valeur de service – je ne parle même pas de l'âge d'équilibre, qui est l'aspect le plus injuste de votre réforme – y comprennent quoi que ce soit ? Vous construisez un nouvel indicateur – le revenu moyen d'activité – en cours de route. C'est dire le degré d'impréparation de cette réforme. Quand on entend des parlementaires nous dire : « voilà ce que je comprends à ce moment de nos débats », il y a franchement de quoi être très inquiet.
La commission rejette successivement les amendements.
Puis la commission, suivant l'avis défavorable du rapporteur, rejette l'amendement n° 17783 de M. Matthieu Orphelin.
Elle examine ensuite les amendements identiques n° 5556 de Mme Clémentine Autain, n° 5563 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 5570 de Mme Sabine Rubin.
Je vous propose de supprimer les alinéas 7 et 8, qui nous font entrer dans la logique posée par l'article 55 ; nous ne l'étudierons malheureusement pas au sein de cette commission alors qu'il s'agit d'une des dispositions les plus importantes du projet de loi – c'est l'article qui établit la règle d'or.
Je voudrais aussi évoquer la question des projections de la situation financière sur lesquelles reposeront la décision du conseil d'administration de la future Caisse nationale et le décret d'approbation. Ces projections seront établies par un comité d'expertise « indépendant » qui supplantera le COR. Il n'est qu'à voir sa composition : un président nommé par le Président de la République, deux magistrats de la Cour des comptes, deux membres nommés par le président de l'Assemblée nationale et par celui du Sénat, un membre nommé par le président du Conseil économique, social et environnemental et le directeur général de l'INSEE... On est au bord du fou rire !
Récapitulons : les gens achèteront, à un prix qui n'est pas connu, des points qui leur seront restitués à un niveau qui n'est pas connu, selon une évaluation réalisée en fonction d'un revenu moyen d'activité par tête lui aussi inconnu, à moins qu'une délibération du conseil d'administration de la Caisse nationale ne vienne tout modifier, pour des motifs inconnus, ou bien que, si le conseil d'administration n'a pas délibéré, le Gouvernement adopte, en tenant compte de raisons inconnues, un décret fixant le niveau – inconnu – des retraites... La seule chose que l'on sait, c'est que le système doit être à l'équilibre et qu'il ne faut ni réduire la part des retraites dans le PIB – vous êtes trop bons – ni l'augmenter, ce qui signifie que, comme il y aura plus de monde, le point vaudra moins ! Ce qui est également connu, c'est qu'on dira aux gens de se responsabiliser, d'acheter des bons proposés par des fonds de pension pour garantir leur revenu, car le système ne dit pas quelle sera la valeur de remplacement par rapport au revenu d'activité moyen par tête – toujours inconnu !
Les alinéas 7 et 8 précisent comment les valeurs d'acquisition et de service du point seront fixées entre 2022 et 2062. L'objectif est surtout de garantir l'équilibre du système de retraite. Vous dites que celui-ci n'est pas soutenable à moyen terme, mais ce n'est pas vrai : le rapport du COR a montré que le besoin de financement variera entre 0,3 et 0,7 % du PIB, selon les scénarios et les conventions que l'on retient, ce qui correspond à un montant compris entre 8 et 17 milliards d'euros.
Mais admettons qu'il ne le soit pas. Quelle est la cause de ce déficit que vous agitez comme un chiffon rouge ? La baisse des ressources, et non la hausse incontrôlée des dépenses. Les ressources diminuent à cause des exonérations de cotisations sociales et de l'austérité salariale dans la fonction publique. Quand on ne comprend pas les causes, il est difficile de trouver les bonnes solutions.
Il est quand même très surprenant que vous regrettiez, madame Autain, qu'on ne puisse pas examiner l'article 55 : c'est en raison de la démarche adoptée par votre groupe, qui conduit à une embolie des débats. Vous embourbez l'examen du texte – si je peux utiliser une expression agricole.
Je vais vous faire une confidence : j'ai particulièrement travaillé sur le titre Ier, dont je suis le rapporteur. J'ai naturellement regardé les autres dispositions, mais je n'ai pas la même expertise, à leur propos, que les autres rapporteurs. Vous demandez une exégèse de dispositions prévues plus loin dans le texte : pourrait-on travailler comme des parlementaires normaux, en examinant le texte au fur et à mesure ? Votre travail est tout, sauf sérieux. Examinons les éléments techniques, mais au moment où il faudra en débattent. Or nous ne pourrons pas les examiner à cause de votre obstruction parlementaire.
Avis défavorable.
Nous sommes victimes toute à la fois d'une embolie et d'un évitement...
S'il existe beaucoup d'inconnues dans ce projet, il y a une donnée incontournable : cela fait cinq jours que nous examinons ce texte, ce qui signifie que nous sommes à la moitié du temps – contraint – que vous aviez prévu. Sachant que nous avons examiné moins de 20 % des amendements, il est tout à fait certain que nous ne pourrons pas débattre en commission de l'ensemble du texte. De deux choses l'une : ou bien vous décalez l'examen en séance publique afin de nous permettre d'étudier avec sérieux les 22 000 amendements qui ont été déposés – il est tout de même question de plus de 300 milliards d'euros et des retraites de générations entières –, ou bien il nous faudra nous satisfaire du projet du Gouvernement sans bénéficier du travail des rapporteurs, qui a déjà permis de modifier quelques lignes du texte. Ce serait, pour le Parlement, un renoncement à jouer pleinement son rôle. En tout état de cause, il ne rime à rien de faire semblant de travailler ce week-end. Nous pourrions battre en retraite – sinon, ce ne serait pas sérieux et pas responsable.
Nous allons faire notre travail de parlementaires, et vous pourrez faire le vôtre, en tant que secrétaire de cette commission spéciale, lors de la réunion du bureau qui aura lieu tout à l'heure – nous reviendrons sur l'état d'avancement du débat.
Notre méthode, monsieur le rapporteur, est tout à fait légale : nous ne cherchons pas à être des parlementaires normaux, nous défendons les idées au nom desquelles nous avons été élus, en utilisant au maximum les possibilités dont nous disposons pour ne pas vous rendre la tâche facile. Mais surtout, sans la procédure accélérée, il n'y aurait aucun problème : nous pourrions aller jusqu'au bout du texte. C'est parce que vous avez fait le choix de cette procédure que nous n'arriverons pas à l'article 55.
Enfin, on doit étudier les textes en prenant en compte leurs échos internes et leur cohérence. On ne peut pas tout saucissonner comme s'il n'y avait pas de lien entre un article inséré au titre Ier et d'autres articles figurant plus loin. Si vous essayez de tout tronçonner, c'est précisément pour qu'on n'y voie plus rien : on avance par petits bouts sans voir la cohérence de l'ensemble, et c'est bien elle que nous contestons, alinéa par alinéa.
La commission rejette les amendements.
Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 5026 de Mme Clémentine Autain, n° 5033 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 5040 de Mme Sabine Rubin.
Nous demandons, à nouveau, la suppression de l'alinéa 7 – cette fois séparément de l'alinéa 8.
J'en profite pour vous alerter sur un point assez important : que se passerait-il en cas de krach ? On va raisonner – c'est prévu à l'article 55, une fois de plus – sur cinq années glissantes. En cas de crise économique, il faudra immédiatement redresser les comptes. Heureusement que les gouvernements qui se sont succédé entre 2008 et 2012, lors de la dernière crise, n'ont pas été contraints d'équilibrer le système et de traiter le déficit accumulé précédemment. Sinon, il aurait fallu trouver 5 milliards d'euros de plus. La règle que vous prévoyez obligera à régler en même temps et rapidement le déficit hérité et celui causé par une éventuelle crise. Cela voudrait dire que les retraités paieraient immédiatement les conséquences des crises financières.
Vous avez le droit de ne pas être d'accord avec nous, monsieur le rapporteur, mais de là à nous accuser de n'être pas sérieux... Ce n'est pas ce qui ressort de notre travail. Nous avons éclairci plusieurs points du texte – on a compris, en fait, qu'il n'était pas clair du tout.
Tous ces alinéas renvoient à des articles ultérieurs du projet de loi, en particulier l'article 55, situé à la page 135 du texte. Ne venez pas nous accuser de vouloir débattre trop tôt de dispositions qui viendraient plus tard : c'est vous qui les avez mises là, et nous en discutons quand elles se présentent.
Rappelez-vous qu'il y avait une crise financière tous les vingt ans au XXe siècle ; il y en a maintenant une tous les dix ans. Si vous imposez un équilibre immédiat, vous pousserez d'emblée le système à la faillite et vous vous priverez d'un des plus importants amortisseurs contracycliques qui soient.
Vous invoquez le déséquilibre financier, mais il résulte de vos choix et vous ne répondez pas quand on vous interroge sur ses causes : j'ai évoqué les exonérations de cotisations sociales non compensées et l'austérité salariale dans la fonction publique, mais on pourrait aussi parler de la réduction des recrutements dans les années à venir.
Il ne s'agira en aucun cas de remettre le système à l'équilibre immédiatement. Les règles prévues portent sur cinq années glissantes. Il faudra définir une trajectoire pour revenir à l'équilibre d'ici là. J'avoue que mes idées ne sont pas définitivement arrêtées en la matière : la référence à cinq ans est liée, bien sûr, à la durée d'un quinquennat. Un cycle économique dure plutôt huit ou dix ans. On peut discuter de la durée comme de la question de la constitution de réserves. : nous aurons l'occasion d'en parler avec le secrétaire d'État. Il faut construire un système aussi résilient que possible.
On voit bien que de nombreux équilibres peuvent être remis en cause chaque année lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ou du projet de loi de finances (PLF). Il est heureux qu'on ne remette pas les taux de cotisations en discussion tous les ans, sous peine de créer une insécurité majeure pour les employeurs. Certains éléments de la trajectoire exigent d'être programmés dans le temps pour garantir une certaine stabilité. Une partie des questions seront explicitées par ce projet de loi, d'autres relèvent du PLFSS, et d'autres encore du décret.
Pour ce qui est des exonérations de cotisations sociales, notre logique est de favoriser la résorption du chômage. Même si nous avons encore un niveau de chômage trop élevé, des progrès ont été réalisés. La trajectoire est intéressante : des gens éloignés de l'emploi reviennent sur le marché du travail. Il faut continuer, d'autant que c'est la meilleure façon d'avoir, en fin de compte, des cotisations sociales.
Par conséquent, j'émets un avis défavorable sur ces amendements.
La commission rejette les amendements.
Elle en vient à l'amendement n° 22125 de M. Sébastien Jumel.
Nos échanges montrent à quel point les interrogations s'accumulent, auxquelles nous n'avons pas de réponse. Il y a beaucoup trop d'inconnues, comme notre collègue Jean-Luc Mélenchon le fait remarquer systématiquement. Nous nous demandons notamment comment on pourrait croire à l'objectivité des membres de ce comité dit indépendant.
J'ai entendu quelque chose d'extrêmement important dans la bouche du rapporteur : à l'entendre, le débat, au fond, est ouvert en ce qui concerne la manière d'équilibrer les comptes ; on ne raisonnera pas sur une seule année.
Il faut dire la vérité : nous avons connu une crise financière tous les dix ans depuis 2000, sinon plus : l'explosion de la bulle internet cette année-là, la crise en Argentine en 2001, celle des subprimes en 2008, celle de l'euro en 2010... Pourquoi ces chocs sont-ils aussi violents ? Parce que l'économie financière surplombe l'économie réelle dans des proportions jamais observées jusque-là. En 2016, le volume des opérations de change était de 5 000 milliards de dollars par jour, ce qui représentait 115 fois le montant annuel commerce international !
La commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l'amendement n° 21561 de M. Pierre Dharréville.
Puis elle examine les amendements identiques n° 5043 de Mme Clémentine Autain, n° 5050 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 5057 de Mme Sabine Rubin.
En cohérence avec nos amendements précédents, nous demandons la suppression de l'alinéa 8.
Cet alinéa introduit un élément de confusion supplémentaire : après le point d'une valeur inconnue, le rendement inconnu, déterminé en fonction d'un revenu inconnu, l'absence de décret qui pourrait rendre l'issue inconnue et la décision, prise pour des motifs inconnus, du conseil d'administration, voici qu'un « décret approuve cette délibération ou énonce les motifs pour lesquelles elle ne peut être approuvée ». On arrive à un degré extrême de confusion.
À entendre le rapporteur, il s'agit seulement de permettre que les comptes soient à l'équilibre ; il a finalement reconnu, en réponse à une intervention précédente, qu'ils peuvent ne pas l'être, car des crises financières surviennent, et qu'on aura alors cinq ans pour lisser. Cela veut dire qu'une nouvelle inconnue s'ajoute, pendant une période de cinq ans, à toutes celles que j'ai déjà citées à propos de la valeur finale du point.
N'ayant pas le code de la sécurité sociale sur moi, auquel l'alinéa 8 se réfère à de nombreuses reprises, je préfère demander sa suppression...
Monsieur Mélenchon, lisez correctement le texte ! Il ne s'agit pas de la valeur du point à la fin de la transition, en 2045, mais de sa valeur appliquée au titre de l'année 2022, évoquée à l'alinéa 7, juste au-dessus. Si le conseil d'administration de la CNRU ne la définit pas, alors le Gouvernement le fera ; sinon, on ne commence rien du tout. Il faut bien définir une valeur initiale d'acquisition et de service du point, auxquelles s'appliqueront ensuite les évolutions, que ce soit suivant le taux de revalorisation du revenu moyen ou suivant les décisions du conseil d'administration de la CNRU. C'est en quelque sorte le taux « T 0 » du système, qui est indispensable pour qu'il y ait ensuite un taux « T 1 ».
Avis défavorable.
La question de la valeur dite de service du point a été posée de manière récurrente par le groupe Les Républicains, et encore par M. le président Woerth tout à l'heure. On ne peut pas dire que vos éléments de réponse nous aient pleinement rassurés, monsieur le rapporteur. Une grande partie des angoisses et des craintes qu'expriment nos compatriotes à l'égard de ce système se cristallise sur l'inconnue totale quant au différentiel qui pourrait apparaître entre la valeur d'acquisition et la valeur de liquidation du point. Ces questions nous sont très souvent posées dans nos circonscriptions ; nous aimerions pouvoir apporter à nos concitoyens des réponses plus précises et plus rassurantes.
J'écoutais avec intérêt les débats sur ces articles, et j'entends les questions qui sont posées par les groupes d'opposition ; il y a en effet un besoin d'explication sur la façon dont tout cela va fonctionner. Lorsque l'on s'interroge brique par brique, il peut être difficile de voir les choses dans leur globalité. Je vous suggère de vous référer au tableau récapitulatif qui se trouve à la page 923 de l'étude d'impact : il explique ce fonctionnement global, qu'il faut d'abord comprendre avant de pouvoir en débattre au point de vue politique – et de l'approuver ou pas. À force d'en extraire des petits morceaux, on finit par ne pas comprendre comment il fonctionne.
Ce tableau nous dit à la fois ce qui va se passer, et qui fait quoi. Au moment de la mise en place du système, c'est d'abord le comité d'expertise indépendant des retraites (CEIR) – dont on peut certes contester la nomination, j'entends le débat politique qui peut avoir lieu à ce propos – qui énoncera des prévisions et des projections démographiques et macroéconomiques à quarante ans. Ensuite, le conseil d'administration de la CNRU délibèrera sur le contexte et sur les contraintes pesant sur le système, et formulera des propositions d'évolution sur l'ensemble de ses paramètres. Puis le CEIR émettra un avis public sur cette délibération, entre le 30 juin et le 31 juillet, avant que le fonctionnement classique annuel se mette en place. Chaque année, les hypothèses macroéconomiques émises au démarrage seront actualisées, et le Parlement interviendra en loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour vérifier que les éléments transmis par la CNRU sont cohérents, avant que l'ensemble soit validé par décret. On voit bien à la fois le rôle de la CNRU et de son conseil d'administration, celui du parlementaire, et celui du Gouvernement. Il faut bien avoir en tête le fonctionnement global du système ; c'est à cette condition qu'il est possible de le contester politiquement, de s'en inquiéter, ou bien d'être rassuré par les nombreuses garanties qu'il apporte. Encore faut-il être en mesure de le comprendre...
La commission rejette les amendements.
Elle examine ensuite l'amendement n° 21115 de M. Boris Vallaud.
J'aimerais être pleinement rassuré par l'explication donnée par M. le secrétaire d'État et par le tableau récapitulatif fourni à la fin de l'étude d'impact... Tout cela ressemble tout de même à une immense usine à gaz, entre le Mikado et le Docteur Maboul ! Vous essayez de nous rassurer en disant que le système est très clair, construit brique par brique, et que tous ses acteurs sont en place ; pourtant, au bout de votre explication, on finit par ne plus rien comprendre. C'est le principe du jeu de bonneteau : on soulève les gobelets, et on se rend compte qu'il n'y a plus rien dessous. Nous préférons nous en remettre au Conseil d'État, dont il nous apparaît essentiel qu'il accompagne le Gouvernement au moment de la préparation des décrets qui viendront compléter la loi. C'est le sens de cet amendement à l'alinéa 8 de l'article 9, qui doit permettre de rassurer pleinement les Français ; il en va de la sécurité juridique des assurés.
Monsieur le secrétaire d'État, il est en effet normal que la réforme soit complexe : notre système actuel est complexe, et parce que le système futur le sera nécessairement ; il devra s'adapter à un certain nombre de réalités. À ce sujet, deux interrogations principales subsistent.
Pour nous, le plus important, c'est que le pouvoir d'achat des retraités ne diminue pas à l'avenir. Le tableau nous fournit une explication sur le comment de la réforme, mais sans nous donner de garantie sur sa finalité. Il y a un flou, notamment lorsqu'il explique que la validation du système se fera soit par LFSS, soit par décret. Le décret est bien mentionné dans le projet de loi, mais on ne voit pas bien ce qu'il en est des LFSS, dont on sait qu'elles pourraient introduire une rupture par rapport à ce qui a été prévu. Quels sont les cas dans lesquels une LFSS pourrait intervenir ?
Un autre paramètre essentiel n'apparaît pas : la contribution de l'État pour ses propres agents. Celui-ci sera amené à jouer un rôle d'arbitre essentiel, sur des montants très importants, quant à l'équilibre global du système. Rien ne garantit que valeur de pension réelle ne diminuera pas alors qu'elle aura augmenté en valeur absolue. Vous devez nous rassurer à ce sujet.
La commission rejette l'amendement.
Elle est ensuite saisie de l'amendement n° 21116 de M. Boris Vallaud.
Nous ne sommes toujours pas rassurés ni convaincus par les explications qui viennent d'être données. Il faudrait peut-être prendre le temps de présenter un schéma explicatif qui permette de récapituler clairement ce qui ne l'est pas assez dans le tableau récapitulatif de l'étude d'impact, afin que nous soyons suffisamment éclairés.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'article 9 modifié.
Article 10 : Instauration d'un coefficient d'ajustement, associé à un âge d'équilibre
La commission examine les amendements identiques n° 881 de Mme Clémentine Autain, n° 888 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 895 de Mme Sabine Rubin, n° 12863 de M. Pierre Dharréville et n° 21093 de M. Boris Vallaud.
Il est ici question d'un point majeur de votre projet, pudiquement et joliment appelé « coefficient d'ajustement ». En fait, cela signifie tout simplement qu'une décote et une surcote s'appliqueront par rapport à l'âge d'équilibre. Vous avez eu du mal à trouver les mots justes : il avait été question d'un âge pivot, mais l'impopularité de ce terme vous a obligé à lui substituer celui d'âge d'équilibre, qui sera calculé à l'aide du coefficient d'ajustement. Il sera toujours possible de partir à l'âge légal de départ en retraite, fixé à 62 ans ; mais si l'âge d'équilibre est à 65 ans, une décote de trois années s'appliquera, à 5 % par an, ce qui fait un total de 15 % de décote. C'est la réalité de ce qui est prévu à l'article 10. Il y a bien une décote tout à fait importante, qui va pénaliser celles et ceux qui ne peuvent pas, parce que leur travail est trop pénible, travailler jusqu'à l'âge d'équilibre.
Les Insoumis pensent qu'il est possible de mettre en place une retraite à 60 ans pour quarante annuités cotisées, alors que le système actuel, du fait d'un certain nombre de gens présents dans cette salle, l'a fixée à 62 ans et quarante-trois annuités. Le nouveau système, bien qu'il s'en défende, introduit l'idée que la retraite ne sera plus prise à 62 ans, mais à l'âge pivot de 64, 65, 66 ou 67 ans : à mesure que les gens auront le mauvais goût de continuer à vivre plus longtemps – ce qui n'est pas certain dans la mesure où l'espérance de vie a commencé à stagner –, la décote augmentera. Ne partiront à 62 ans que ceux pour qui la retraite est un revenu d'appoint ; tous les autres, c'est-à-dire ceux qui seront trop fatigués, trop malades ou trop pauvres, ne pourront pas partir et seront condamnés à mort au travail.
On pouvait jusqu'à présent prendre sa retraite une fois qu'on avait cotisé un nombre de trimestres suffisant. Désormais, même si l'on a accumulé de nombreux points de retraite, même si l'on a travaillé assez de trimestres, et même si l'on a atteint l'âge légal du départ en retraite, on pourra ne pas partir à taux plein. S'il est une forme de solidarité dans votre loi, c'est celle qui consiste à être solidaires pour faire respecter l'équilibre branlant et incertain du nouveau système ; d'où ce coquet nom d'« âge d'équilibre ». L'âge d'équilibre étant nécessairement amené à reculer au cours du temps, les Français seront amenés à travailler tous plus longtemps, quel que soit le nombre de points acquis ; sinon, leur pension subira une décote.
Il faut dire aux Françaises et aux Français ce qui se passe exactement. Ces discussions autour d'exemples concrets sont l'occasion de rappeler que vous avez bidonné vos cas types, en fixant un âge d'équilibre à 65 ans à partir de la génération 1975 et quelle que soit ensuite la génération, sans tenir compte du fait qu'il sera progressivement décalé. Prenons le cas de Sylvie, née en 1990 et agent territorial spécialisé des écoles maternelles pendant toute sa carrière – j'ai déjà évoqué cet exemple dans l'hémicycle. Dans votre étude de cas, vous prétendez que si Sylvie part à la retraite à 62 ans, sa pension sera identique à celle du régime actuel, et même qu'elle sera augmentée de 9 % si elle part à 67 ans. C'est faux, car vous avez bidonné l'âge pivot : pour Sylvie, il ne sera pas fixé à 65 ans, mais à 66,2 ans ; si elle part à 62 ans, elle perdra 7 % de sa pension de retraite, et ce n'est qu'à 66 ans qu'elle pourra conserver la situation qui aurait été la sienne dans le régime actuel.
Je vous invite à vous reporter à la page 43 de l'avant-projet de rapport que j'ai cosigné sur le projet de loi : un schéma y explique la règle de décision, suivant que le conseil d'administration de la CNRU délibère ou pas pour fixer les valeurs d'acquisition et de service du point.
Madame Autain, vous dites à propos de chaque article qu'il s'agit d'un enjeu majeur. Nous avons bien conscience du fait que la retraite est un enjeu majeur ; par conséquent, le texte de loi qui l'organise, composé d'une somme d'articles majeurs, ne peut être que majeur... Je vous remercie de cette précision !
Monsieur Mélenchon et madame Rubin, à vous entendre présenter les choses, de deux choses l'une : ou bien vous n'avez pas compris le système actuel, ce qui nous conforterait dans l'idée qu'il est complexe ; ou bien vous vous adonnez à un jeu politique, ce qui est somme toute normal.
Vous dites que la réforme sonnerait la fin de la retraite à 62 ans, mais de nombreuses personnes ne prennent pas leur retraite à cet âge ! 20 % des femmes travaillent même jusqu'à 67 ans, et l'âge moyen de départ en retraite pour les personnes au régime général non soumises à des départs anticipés s'élève à 63,4 ans. C'est la réalité ; on a parfois envie de continuer à travailler, mais parfois aussi, convenons-en, on peut vouloir se constituer une meilleure retraite qu'en partant à 62 ans. Nous ne nions pas cette réalité, et nous n'affirmons pas davantage que notre système garantira des retraites magiques ; mais tout système doit s'équilibrer. Dans le rapport Delevoye, l'âge d'équilibre avait été arrêté à 64 ans, et la pension servie pour un départ à cet âge était calculée selon un taux plein fixé à 5,5 % de rendement par an : autrement dit, une valeur de service du point arrêtée à 55 centimes d'euro, multipliée par dix-huit ans, permettait d'arriver à 100 %. La pension de quelqu'un qui part plus tôt sera servie plus longtemps, ce qui fait que les conditions d'équilibre ne seront pas remplies ; c'est donc possible, mais moyennant une décote – ou un malus, si vous préférez l'appeler ainsi. Celui qui veut partir plus tard bénéficiera au contraire d'une surcote – un bonus ; c'est la base même d'un système équilibré.
Je suis donc défavorable à vos amendements.
On touche là au coeur du texte. À mon sens, cette mesure d'âge d'équilibre est injuste et cynique. Je suis choqué que s'agissant des retraites, on puisse évoquer des termes tels que bonus et malus. Le malus, c'est ce que je subis si je suis un mauvais conducteur ; si je suis un bon conducteur, on m'applique un bonus. Mais si je suis contraint de travailler plus longtemps, ce n'est pas parce que j'ai été un mauvais citoyen ou un mauvais travailleur. Pourquoi vous embarrassez-vous avec un âge d'équilibre ? Ce que vous proposez, c'est une carotte pour ceux qui partent plus tard et un bâton pour ceux qui partent plus tôt. Trimez, gens modestes, si votre revenu est faible ; partez plus tôt, veinards privilégiés, si vous avez d'autres revenus et que votre retraite est accessoire. Pourquoi n'avez-vous pas simplement assumé le recul de l'âge légal de départ à la retraite ? En réalité, même si vous n'osez pas le faire, c'est bien à cela que revient cette mesure !
À vous entendre, ce système permettra de gagner en justice. Ce n'est absolument pas ce qui va se passer. Je voudrais redonner un exemple auquel vous n'avez jamais répondu. Un ouvrier qui commencerait à travailler à 20 ans – alors que dans votre étude d'impact, tout le monde commence à travailler à 22 ans, ce qui ne correspond pas à la réalité – et cotiserait quarante-trois ans devrait partir à la retraite à 63 ans ; compte tenu de l'âge d'équilibre, il subit deux ans de décote, et perd donc 10 % de sa pension. En revanche, le cadre qui a cotisé aussi longtemps, quarante-trois ans, mais qui a commencé à travailler plus tard, à 24 ans, parce qu'il a fait des études, partira à la retraite à 67 ans et se verra donc appliquer une surcote de 10 % ! Quand on sait qu'il y a six à sept ans d'écart en matière d'espérance de vie entre les ouvriers et les cadres, je trouve cela, pardonnez-moi l'expression, parfaitement dégueulasse !
Je vais me faire le porte-parole de ceux qui ont des carrières incomplètes, hachées, et des 20 % de femmes qui sont contraintes de travailler jusqu'à 67 ans. J'ai moi-même commencé à travailler à 22 ans ; j'ai d'abord effectué des petits boulots, des vacations à moins de 50 heures par mois – deux ans et demi de travail pour rien –, avant d'élever mes enfants pendant neuf ans. J'ai ensuite travaillé à temps partiel subi car mon travail – je suis professeure de danse – est pénible, même s'il n'est pas reconnu comme tel. J'ai récemment reçu la notification de mes droits : pour partir à taux plein, il faudrait que je cotise encore soixante-dix trimestres ; ayant 56 ans, cela me sera difficile. Dans le système actuel, je devrai donc travailler jusqu'à 67 ans, pour obtenir une retraite mensuelle de 898 euros – si je partais à 62 ans, j'aurais 436 euros. Je suis désolée, mais je suis très contente de cet âge d'équilibre grâce auquel tous ceux qui sont dans mon cas partiront à 64 ans au lieu de 67 ans, avec au minimum 85 % du SMIC.
Les Républicains ont présenté les grandes lignes de notre contre-projet visant à pérenniser le système français de retraite par répartition. Nous assumons pleinement de proposer à nos compatriotes, avec clarté et courage, ce qui nous paraît être la bonne mesure pour y parvenir, à l'instar de ce qui s'est fait dans tous les pays européens : repousser l'âge légal du départ à la retraite. Avec l'âge d'équilibre et le mécanisme de bonus-malus, un zeste d'hypocrisie s'est glissé dans votre réforme : on voit bien que le Gouvernement et la majorité parlementaire sont pieds et poings liés par ce qui fut l'une des promesses du candidat Macron au cours de la campagne présidentielle, et sur laquelle il ne vous est pas possible de revenir : vous ne pouvez pas toucher à l'âge légal de départ à la retraite. Vous en êtes réduits à inventer un système tout à la fois inefficace et hypocrite qui, au bout du compte, fait courir à nombre de nos compatriotes le risque de voir leur niveau de pension baisser, en raison de l'application de la décote.
Je voudrais remercier notre collègue Christine Cloarec-Le Nabour d'avoir si parfaitement résumé les injustices de notre système actuel.
Arrêtons, monsieur Saulignac, de faire croire que c'est le système universel de retraite qui va introduire un dispositif de bonus-malus ; il existe déjà aujourd'hui dans le système AGIRC-ARRCO. Par ailleurs, le système actuel comporte lui-même un mécanisme de double malus avec la double condition du nombre d'annuités requises et de l'âge légal de départ. C'est profondément injuste, car cela pousse celles et ceux qui ont les carrières les plus difficiles et hachées à partir tard pour une petite pension, alors que celles et ceux qui ont eu une belle carrière, linéaire et ascendante, peuvent partir tôt avec une pension élevée. C'est à ces injustices que nous répondons.
Enfin, je voudrais tout de même remercier nos collègues du groupe Les Républicains d'assumer aussi clairement le fait qu'ils souhaitent rehausser à 65 ans l'âge légal de départ à la retraite.
Je voudrais terminer l'échange que j'ai entamé avec Thibault Bazin, qui regardait avec attention le tableau récapitulatif – page 923 de l'étude d'impact – permettant de bien comprendre le rôle du législateur dans cette nouvelle organisation. Dans cette infographie, il est indiqué que le système sera validé chaque année par loi de financement de la sécurité sociale ou par décret ; M. Bazin me demandait ce qui relève du domaine du décret. Je ne peux que le renvoyer aux articles 34 et 37 de la Constitution : certains éléments seront fixés par décret, comme les taux de cotisation ; d'autres le seront par la LFSS.
Madame Clémentine Autain, l'exemple que vous essayez de mettre en avant pour faire accroire que le nouveau système serait très favorable aux cadres supérieurs, et très défavorable aux employés et aux ouvriers n'est pas des plus heureux. Pour commencer, il consiste à opposer les Français les uns aux autres ; ensuite, il méconnaît la dynamique d'ascenseur social qui, heureusement, existe dans notre pays et que nous voulons développer ; il méconnaît enfin la réalité de ceux qui n'ont pas la chance de faire des études et qui mettent beaucoup de temps à entrer sur le marché de l'emploi, mais aussi de ceux qui doivent travailler jusqu'à 67 ans, comme l'a très bien expliqué Mme la députée Christine Cloarec-Le Nabour. Il ne s'agit pas de cadres supérieurs qui veulent se faire du bonus, mais plutôt de tous ces gens qui ont eu des carrières hachées et coupées, qui doivent continuer à travailler pour ne pas être touchés par la décote ; ce sont les plus petits revenus, les futurs retraités les plus modestes, ceux dont notre futur système universel prendra bien mieux soin – nous proposons que pour tous ceux-là, y compris ceux travaillant à temps partiel, une pension minimale de 1 000 euros nets par mois soit garantie dès 2022 pour une carrière complète au SMIC, avant d'être augmentée en 2025 à 85 % du SMIC. Votre exemple est donc assez éloigné de ce que vivent nos concitoyens.
La commission rejette les amendements.
Elle en vient à l'examen de l'amendement n° 400 de M. Éric Woerth.
Il y a une réalité qui attend les Français – pour une fois, ce n'est pas une inconnue : notre système de retraite va être en déséquilibre. Si on ne fait rien, le déficit pourrait atteindre jusqu'à 17,2 milliards d'euros en 2025, sans compter les mesures de justice sociale qui ont été prises, avec lesquelles on ne peut qu'être d'accord. Il nous faut donc rétablir l'équilibre pour éviter que les pensions de retraite baissent.
Ne soyons pas hypocrites : vous prévoyez un âge pivot que certains considèrent comme un âge pipeau, car le système de décote va entraîner une baisse de pension pour ceux qui partiront avant 64 ans. Nous souhaitons plus de clarté et de lisibilité, et surtout que les retraites ne baissent pas. Il faut donc réformer avec sérieux, humanité et responsabilité. Pour cela, nous portons une proposition crédible : augmenter de manière progressive et linéaire l'âge légal de départ à la retraite. Pour les assurés dont l'âge légal est actuellement fixé à 62 ans, il sera repoussé en douze ans, soit un trimestre par an en moyenne, pour arriver à 63 ans en 2025, 64 ans en 2029, puis 65 ans en 2033 ; pour ceux dont l'âge légal est actuellement inférieur à 62 ans, il sera repoussé de manière encore plus progressive. C'est le sens de cet amendement très concret, qui prévoit aussi une prise en compte du handicap, des carrières longues, de la pénibilité qu'il faut objectiver, et des droits familiaux qu'il faut préserver. Notre projet, ainsi équilibré financièrement, permettra de préserver les retraites de demain.
Merci, monsieur Bazin, de présenter un amendement aussi construit, même s'il comprend des éléments sur lesquels je ne partage pas votre position. Quoi qu'il en soit, la réalité de l'engagement du groupe Les Républicains mérite d'être soulignée.
Je voudrais revenir sur l'exemple évoqué tout à l'heure par Mme Autain et commenté par M. le secrétaire d'État, à propos du salarié qui aurait commencé à travailler à 20 ans, opposé à l'étudiant qui entrerait plus tard sur le marché du travail. Je trouve presque un peu injuste que celui qui cherche à faire des études pour essayer de prendre l'ascenseur social se retrouve pénalisé par une date de retraite tardive. Souvent, les étudiants doivent bosser un peu à côté de leurs études, parfois sans valider de trimestres – il est compliqué pour eux de faire autre chose que des petits boulots à temps partiel. Comme l'a dit M. le secrétaire d'État, il ne faut pas opposer les uns aux autres : les histoires de vie sont souvent plus complexes qu'il n'y paraît.
Notre pays et nos entreprises pourraient d'ailleurs avoir tout intérêt à ce qu'un certain nombre de nos étudiants, à l'issue de leurs études, aient l'occasion d'aller travailler quelques années à l'étranger, pour accumuler une expérience qui pourrait ensuite être profitable à nos entreprises. Dans le système actuel, s'ils profitent de leurs belles années pour aller à l'étranger avant de revenir à 28 ou 30 ans en France, ils se retrouvent d'emblée condamnés à travailler jusqu'à 67 ans ; en effet, ils n'auront jamais le nombre de trimestres nécessaires pour partir à la retraite à taux plein. Le système par points permet de mieux prendre en compte la diversité des parcours professionnels ; il permet aussi à chacun de décider, en fonction des points accumulés et de sa situation personnelle, s'il souhaite partir plus tôt ou pas. C'est donc un système plus souple. Essayons de nous adapter aux réalités du marché du travail et des modes de vie contemporains plutôt que d'opposer les uns aux autres.
Enfin, monsieur Bazin, nous savons que nous devons avoir une réflexion autour de l'âge, et l'âge d'équilibre est une mesure qui doit permettre d'inciter certaines personnes à travailler plus longtemps. Cependant, nous voulons laisser la possibilité à chacun de faire son choix personnel, plutôt que d'arrêter un âge fixe qui soit le même pour tous.
Avis défavorable.
Je trouve intéressant de confronter nos projets, et je remercie à mon tour M. Bazin d'avoir présenté le sien. En fait de zeste d'hypocrisie, je parlerais plutôt d'un vent de liberté. Nous partageons le même attachement à l'équilibre financier du système – nous avons cette responsabilité vis-à-vis de nos enfants – mais, à la différence de ce que vous proposez, cher collègue, il nous semble juste et important d'apporter une certaine souplesse et de laisser les gens choisir à quel âge ils partiront à la retraite en arbitrant selon leur préférence – un peu plus de temps ou un peu plus de pension. C'est une manière de donner davantage de liberté à chaque Français et de ne rien imposer à personne ; ce supplément de liberté, neutre financièrement grâce au bonus-malus, nous semble être tout l'intérêt du système par points.
On peut parfois sourire un peu – nous passons 12 heures par jour en commission ! – mais le sujet est sérieux. Nous avons eu du brouillard sur la lisibilité des taux à l'article 9 ; on parle de vent à l'article 10 ; il ne manque plus que la pluie pour que les prévisions météorologiques soient définitivement mauvaises concernant les retraites de demain...
Personne ici n'a dit que le système actuel était parfait. Chacun connaît la situation d'un certain nombre de femmes obligées de partir à 67 ans. Mais il est possible de supprimer cette décote sans déclencher le grand Big Bang que vous êtes en train d'organiser et qui finira par vous dépasser. On peut le faire et le financer, c'est assez simple, il suffit que nous le décidions. Cependant, vous avez préféré à la réparation individuelle la punition collective : globalement, le nouveau système sera moins favorable que le système actuel. Votre malice, c'est que vous comparez la génération 1950 avec la génération 1980, alors qu'elles n'ont rigoureusement rien à voir du point de vue des déroulements de carrière et des conditions de départ à la retraite.
Vous évoquez le choix personnel que chacun serait libre de faire, celui de partir à la retraite un peu plus tôt, avec un peu moins de pension, ou un peu plus tard. Mais votre projet est tellement incomplet – il ne prend pas suffisamment en compte les carrières longues ou la pénibilité – qu'il n'est pas juste. Quel choix ont les travailleurs pauvres ? Ceux qui n'auront pas les moyens de vivre dignement parce que le taux de remplacement des pensions aura baissé seront bien obligés de partir plus tard.
Je voulais rebondir sur l'exemple de ma collègue Christine Cloarec-Le Nabour et de son parcours haché. Nous n'avons jamais dit que le système actuel était idéal, et de nombreuses situations doivent être effectivement améliorées. Mais je pense que vous préparez un système pour des emplois et des parcours qui seront de plus en plus heurtés, à l'image du monde que vous voulez, avec toute cette flexibilité, ce chômage, ces incertitudes et ces temps partiels ! C'est bien une retraite adaptée à un monde de demain, un monde dont nous ne voulons pas.
Vous parlez de liberté. Mais a-t-on vraiment la liberté de partir à 63 ans quand on gagne 500 euros par mois ? De quelle liberté parlez-vous ? C'est bien un raisonnement hors-sol, comme on dit... Et s'agissant du problème du chômage des seniors, qu'allez-vous faire ? Les cadres aussi se retrouvent au chômage quand ils sont âgés. Tout cela est du bla-bla, très loin de la réalité.
Monsieur Bazin, je comprends bien le projet que vous défendez. Il y a en effet une différence fondamentale entre nous, comme l'a bien expliqué Mme Catherine Fabre, et je pense qu'il ne faut pas s'en cacher.
Votre lecture consiste à dire – je l'ai dit tout à l'heure sans malice à M. le président Woerth – qu'il faut déterminer un âge fixe, qui doit s'appliquer pour tout le monde, certes en tenant compte de certaines spécificités ; c'est une vision plus contraignante que celle que nous incarnons. Pour notre part, nous pensons qu'il est possible de s'adresser à chacun, de lui faire confiance et de lui donner les outils nécessaires pour qu'il ait la capacité de décider. C'est tout le sens du débat que nous avons eu pendant de longues heures sur la manière de rendre les choses plus lisibles ; c'est aussi pour cela que selon nous, le point est un outil qui permet à chacun de se projeter plus facilement dans sa retraite – personne ici ne sait quelles seront les vingt-cinq meilleures années de sa carrière, sauf celui qui serait arrivé la veille du jour de sa retraite. Ces éléments doivent nous permettre de choisir individuellement si nous voulons travailler jusqu'à l'âge d'équilibre, un petit peu au-delà ou un petit peu en deçà, tout en respectant des spécificités individuelles liées à la pénibilité – je crois que cette préoccupation est partagée par une autre partie de la salle. Nous avons confiance en la liberté éclairée de choix qui doit guider chaque Français au moment de prendre sa retraite ; c'est pour cela que nous construisons un système plus simple et par points. Vous persistez à penser qu'il faut mettre en place une mesure d'âge collective – tout en cherchant vous aussi des solutions, je ne le nie pas. C'est toute la différence entre nous.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite les amendements identiques n° 830 de Mme Clémentine Autain, n° 837 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 844 de Mme Sabine Rubin.
Monsieur le secrétaire d'État, en creusant les inégalités avec votre projet, c'est vous qui opposez les Français les uns aux autres. Vous niez la réalité sociale, les différences de pénibilité, les écarts d'espérance de vie, qui sont en rapport direct avec le métier exercé et la catégorie sociale à laquelle on appartient. Vous reproduisez et vous amplifiez les inégalités sociales par votre contre-réforme.
Le rapporteur général nous renvoie à la décote et à la surcote déjà existantes : pourquoi alors légiférer ? Nous ne proposons pas d'en rester au système actuel : à aucun moment nous n'en avons fait un paradis. Nous sommes favorables à la suppression de la décote existante. Vous la remplacez par ce qui ressemble à une arnaque : on nous parle de liberté de choix, mais quelle liberté ? Celle de partir à la retraite avec une pension de misère ou celle de continuer à travailler au risque quasiment de mourir au travail ? Est-ce cela, la liberté ?
Il n'y a pas de liberté de choix, ce n'est pas vrai. Quelles que soient les conditions de vie des gens, quels que soient leurs parcours professionnels heurtés, ils n'ont aucune garantie de revenu. Votre système ne les éclaire pas du tout sur l'âge auquel ils pourraient partir avec la meilleure pension possible. Certes, cet alinéa précise qu'il y a bien un âge d'équilibre applicable à sa génération. Cela confirme ce que nous vous disions : ce n'est pas un système universel, mais une addition de systèmes particuliers avec un régime spécifique par génération.
Tantôt on majore, tantôt on minore le revenu, pour aider à la décision, dites-vous ; en réalité cette décision est contrainte. Les minorations sont-elles maintenues une fois le choix arrêté ou ne durent-elles que jusqu'à l'âge d'équilibre ?
L'âge d'équilibre, fixé par décret, sera réactualisé en fonction du fameux équilibre général du système : nous serons tous solidaires de cet objectif d'équilibre... Autrement dit, tous punis ! C'est bel et bien une solidarité à l'envers, une solidarité dans la gestion de la précarité.
Je commencerai par revenir sur des propos tenus par M. Jean-Luc Mélenchon un peu plus tôt et par Mme Clémentine Autain à l'instant. Vous parlez de mourir au travail ; pour vous, le travail est une punition et la punition ultime, c'est la mort au travail. Je ne me retrouve pas du tout dans cette conception : le travail peut être pénible, dur, mais il est aussi un lieu d'épanouissement. Je constate une différence dans le rapport au travail : est-il permis de le présenter comme quelque chose de positif ? Notre rôle de législateur consiste à réduire autant que possible la pénibilité, qui est réelle, notamment dans certains métiers. Mais arrêtons de présenter le travail comme une punition.
Pour répondre à votre question, monsieur Mélenchon, le calcul de la minoration ou de la majoration s'applique à la durée intégrale de la retraite : 5 %, dans un sens ou dans l'autre, multiplié par vingt ans – qui correspond à l'espérance de vie en retraite – égale 100 %. La correction se fait une fois pour toutes.
Avis défavorable.
L'âge moyen de départ à la retraite est de 63,4 ans pour le régime général des salariés du privé. Si l'on ajoute le secteur public, en particulier les catégories actives, il est plus proche de 62 ans. Le malus est au coeur de l'injustice du système d'âge d'équilibre. L'enjeu consiste à partir à la retraite en bonne santé. Or l'espérance de vie en bonne santé dans notre pays, qui est inférieure à la moyenne européenne, avoisine 64 ans, soit un an avant votre âge d'équilibre en 2037.
Vous appelez à ne pas opposer les différentes catégories les unes aux autres. Mais la différence entre un cadre et un ouvrier en matière l'espérance de vie en bonne santé est de dix ans pour les hommes. Vous parlez d'un supplément de liberté, il faut plutôt parler d'une double peine : soit on partira à la retraite financièrement pénalisé avec le système de décote, soit on partira avec une santé encore plus dégradée.
Vos intentions sont bonnes, monsieur le rapporteur, mais il faut y aller doucement : lorsque je m'occupais d'enseignement professionnel, j'ai tenu moi aussi ces discours... Bien sûr, chacun met dans son travail un peu de sa liberté et de son identité ; en général, les gens aiment leur travail, même s'il n'est pas toujours très gratifiant. Nous n'avons jamais dit que le travail était une malédiction : historiquement, nous sommes le parti des travailleurs. Reste que beaucoup de gens meurent au travail.
Soixante-trois années de vie en bonne santé, c'est une moyenne. L'écart est considérable suivant les populations ; pourtant, les mêmes règles s'appliqueront. Il n'y aura aucune liberté pour quelqu'un, déjà malade à 55 ans, de tirer jusqu'à 62 ans. Allez voir la tête des égoutiers – ce sont les derniers que j'ai rencontrés – quand on leur parle de ce sujet. Ils meurent en moyenne à 60 ans ; ils partaient à la retraite à 52 ans ; avec votre projet, ils partiront à 63 ans. Vous devez tenir compte de cela.
L'espérance de vie stagne dans notre pays et recule dans les pays qui ont adopté des systèmes voisins du vôtre : voyez les États-Unis d'Amérique.
Mme Michèle Delaunay, ancienne ministre chargée des personnes âgées et de l'autonomie, disait dans une récente interview au Monde : « Je n'ai trouvé nulle part une définition précise du calcul de l'espérance de vie en bonne santé. Celui-ci prend en compte les difficultés ou déficits impactant la vie quotidienne depuis six mois, mais cela me paraît discutable. » Elle rappelait : « Prenons une personne très gênée par des douleurs de hanche, son handicap disparaît avec la pose d'une prothèse. De même, on ne vit pas bien avec une cataracte, alors qu'il suffit d'une heure pour la réparer. » Elle rappelait surtout : « Les progrès médicaux, qui ont permis à l'espérance de vie de doubler en un siècle, ont aussi considérablement amélioré l'état de santé des personnes âgées. Nos parents ont vécu à partir de la soixantaine dans la souffrance de mal voir et de mal entendre, avec des douleurs articulaires quasi quotidiennes. Aujourd'hui, nous devenons de plus en plus réparables : [les] prothèses [...], aides auditives [...]. Les boomers ont devant eux encore un tiers de leur vie, et celle-ci peut être active, parce qu'ils sont moins freinés dans leur quotidien. » C'est d'ailleurs pour cela que nous avons instauré le reste à charge zéro pour toutes les prothèses auditives, les lunettes et les prothèses dentaires.
La commission rejette les amendements.
Elle examine ensuite l'amendement n° 21117 de M. Boris Vallaud.
L'espérance de vie en bonne santé et la durée de vie sans incapacité dans les gestes du quotidien sont deux concepts différents. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : l'espérance de vie en bonne santé est de 64 ans, c'est un fait.
Demandez à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques ! Demandez aux services statistiques qui travaillent sur ces sujets ! Françoise Sivignon et Alfred Spira, médecins, l'ont écrit dans Le Monde : « Une retraite tardive, c'est un corps qui s'abîme » ; vous ne pouvez le nier. Plus vous retarderez le départ à la retraite, plus il y aura de gens que partiront avec une santé dégradée. Or une santé dégradée représente un coût exponentiel pour les finances publiques, en particulier du fait de la dépendance. Les propos de Mme Michèle Delaunay n'ont aucun sens. Avec votre réforme, des millions d'euros supplémentaires seront dépensés parce que les gens seront plus dépendants au moment de leur retraite.
L'espérance de vie en bonne santé est mesurée par une enquête déclarative, avec toute la subjectivité que cela suppose. Si nous tenions compte de l'espérance de vie par catégories, les femmes seraient perdantes dans la mesure où, statistiquement, leur espérance de vie est plus élevée que celle des hommes... On voit les limites du raisonnement. Quoi qu'il en soit, le calcul du nombre d'années pendant lequel on va verser les pensions repose sur l'espérance de vie.
M. Mélenchon a évoqué l'espérance de vie qui stagne aux États-Unis.
En effet. Mais je ne pense pas que l'on puisse comparer notre système avec celui des États-Unis. Le modèle que nous défendons est très différent du leur. Des études ont montré que de nombreux Américains dépendent de systèmes de retraite liés aux États ou aux villes, dont certains sont notoirement sous-capitalisés. Ces études s'inquiètent des conséquences d'un krach, qui risqueraient de plonger des millions d'Américains âgés dans des situations très défavorables.
Nous voulons élargir la base du système par répartition jusqu'à trois plafonds annuels de la sécurité sociale ; cela est nettement plus large pour plusieurs professions. Les agriculteurs qui le peuvent pourront ainsi cotiser pour avoir des droits plus élevés. Notre système est plus résilient que le système actuel.
Avis défavorable.
« Le travail, c'est la santé », c'était avant... Les plus passionnés par leur travail – les infirmiers, les enseignants, etc. – sont épuisés avant l'âge, notamment par une forme de management qui exerce sur eux une terrible pression. On peut compter le nombre de burn out ! Au premier semestre 2019, 469 victimes d'accidents graves ou mortels ont été recensées, dont 172 décès. Chaque année, près de 1 200 travailleurs décèdent sur leur lieu de travail. Trois personnes meurent chaque jour en France d'un accident ou d'une maladie liés à leurs conditions de travail, majoritairement des ouvriers. Vous dites vous soucier des évolutions de notre société : tenez compte de celle-ci.
Nous sommes au coeur du débat entre démocratie sociale et démocratie parlementaire. Les deux ne sont pas antinomiques, mais le Gouvernement a choisi de faire confiance aux partenaires sociaux, qui après s'être mis d'accord, font valider ce choix par décret. L'autre option consistait à avoir un débat parlementaire, pourquoi pas annuel, mais en aurons-nous le temps ? Il est important de faire confiance aux partenaires sociaux et de les accompagner. Plus souvent qu'à son tour, la gauche a créé des dispositions en s'appuyant sur la démocratie sociale.
Un mot sur l'espérance de vie. Jusqu'aux années 1980, l'âge de départ à la retraite était de 65 ans. Lorsque M. Jean-Luc Mélenchon était ministre délégué à l'enseignement professionnel, en 2000, l'âge de départ à la retraite était certes de 60 ans, mais l'espérance de vie atteignait 79 ans ; en cas de départ tardif, à 67 ans, cela ne laissait que douze ans de vie. Aujourd'hui, l'âge de la retraite est de 62 ans, mais pour une espérance de vie de 83 ans. Le temps de retraite en bonne santé a déjà augmenté de deux ans par rapport aux années 2000 : nous n'étions pas aux commandes du pays.
Quand vous avez supprimé les quatre critères de pénibilité, ce n'était pas au terme d'une concertation avec les partenaires sociaux, à part peut-être avec le MEDEF ! Vous n'avez pas cherché à améliorer les choses, arrêtez d'enfumer les gens ! Depuis cette suppression, vous avez exclu du bénéfice du compte professionnel de prévention l'ensemble des travailleurs du BTP, les travailleurs de l'industrie exposés aux produits chimiques, les caissières, les égoutiers, etc. Vous pouvez faire l'apologie du dialogue social, mais la réalité est objectivement bien éloignée de vos bons sentiments. Vous avez toujours les bons mots, mais vous avez aussi les mauvaises manières.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine les amendements identiques n° 847 de Mme Clémentine Autain, n° 854 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 21564 de M. Pierre Dharréville.
Vous faites toute confiance en l'INSEE puisque vous comptez sur lui pour préciser ce qu'est le revenu d'activité. J'ai donc consulté les chiffres de l'INSEE en matière d'espérance de vie : un cadre peut espérer vivre jusqu'à 84 ans, alors qu'un ouvrier peut espérer vivre jusqu'à 76,5 ans. Cet écart, objectivable, est lié à la réalité de leur vie quotidienne. Vous ne le contestez pas, mais vous n'en corrigez aucun des effets, et vous ne prévoyez rien pour l'intégrer.
Une hôtesse de caisse ou un professeur des écoles, à 65 ou 66 ans, auront le choix entre travailler plus longtemps ou partir à la retraite avec une pension qui ne leur permettra pas de vivre dignement. Tel est le choix cornélien devant lequel vous mettez aujourd'hui les salariés les plus en difficulté.
Le rapporteur se trompe lorsqu'il dit que l'espérance de vie en bonne santé n'a pas de valeur parce qu'elle est déclarative : elle en a une, il suffit de regarder les statistiques pour le savoir. Certes, le travail n'est pas une punition ; néanmoins, chaque année 565 personnes meurent à leur poste de travail et 1 200 à cause d'accidents de travail ou de maladies professionnelles. Avez-vous l'impression que cela va s'arranger ?
Une espérance de vie en bonne santé à 63,5 ans, c'est une valeur déclarative dites-vous. Mais la situation s'aggrave : 30 % des gens ne se soignent pas faute de moyens. Tel n'était pas le cas en l'an 2000 ; tous les indicateurs se sont dégradés depuis. Si j'ai cité les États-Unis, ce n'est certainement pas pour en faire un modèle, mais pour montrer que ce qui détruit la société nord-américaine, c'est le régime généralisé d'égoïsme social. En espérant que M. Bernie Sanders les en tirera bientôt...
Non seulement vous ne faites rien pour corriger l'écart entre les ouvriers et les cadres en matière d'espérance de vie, mais votre système va l'aggraver. Un cadre pourra supporter une décote et partir plus tôt, alors qu'un ouvrier sera obligé de travailler jusqu'à toucher la surcote, pour avoir une pension suffisante. L'écart sera ainsi aggravé. Votre système est mortifère, notamment pour les plus pauvres.
Madame Rubin, les carrières non linéaires ne permettent pas, dans le système actuel, d'avoir le nombre de trimestres nécessaires pour partir à la retraite à 62 ans sans décote. Si vous n'avez pas tous vos trimestres, du fait d'une période de chômage notamment, que faites-vous ? Outre la proratisation, vous subirez une décote de 5 % par année manquante ! Certes, notre système ne transformera pas par magie les petites pensions, mais il apportera des améliorations : pour cette catégorie, la redistribution pourrait être de 25 % à 30 %. Cela permettra au moins de corriger les choses.
Pour ce qui est de l'espérance de vie, monsieur Mélenchon, outre le travail, bien d'autres critères entrent en ligne de compte, à commencer par les habitudes de vie et même des éléments régionaux : ainsi, l'espérance de vie dans les Hauts-de-France est statistiquement bien inférieure à celle de l'Île-de-France. Je vous sais gré de votre idée, qui correspond à une aspiration sociale, mais trop de critères différents entrent en ligne de compte, sans parler des carrières des polypensionnés. En l'état actuel, elle est inapplicable.
Enfin, madame Autain, pénibilité et incapacité sont bien prises en compte. Je vous invite à consulter la page 55 du rapport sur le titre Ier : en cas de carrière longue, on peut partir à la retraite deux ans en avance ; en cas de handicap, on peut partir à l'âge de départ de l'assuré sans malus.
Avis défavorable.
Les articles 28, 29 et 30 y font référence. Le tableau dont je parle récapitule ce qui est indiqué dans la loi.
Je viens d'une culture politique où la valeur travail est très importante. Nous la défendons aujourd'hui face à la valeur du capital, que nous contestons. Entre l'aliénation et l'émancipation, le débat est presque philosophique ; le rapport au travail est très complexe. Je songe au gardien de mon immeuble : il est passionné par son métier, il aime rendre service, distribuer le courrier, mais il a plus de 60 ans et physiquement, il n'en peut plus ; pousser les poubelles, il n'y arrive plus, cela lui fait mal. On ne peut pas opposer l'épanouissement et la pénibilité, d'autant que celle-ci varie selon les uns et les autres. Vous le savez, 30 % des aides-soignantes partent à la retraite en étant malades. Vous devez voir cette réalité sociale. Je sais que le Président de la République n'aime pas le mot pénibilité, mais la réalité est là : il y a des métiers qui sont plus pénibles que d'autres.
La commission rejette les amendements.
La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.
Membres présents ou excusés
Réunion du vendredi 7 février 2020 à 15 heures
Présents. – Mme Clémentine Autain, M. Thibault Bazin, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Thierry Benoit, M. Jean-Jacques Bridey, M. Fabrice Brun, Mme Céline Calvez, M. Gilles Carrez, M. Lionel Causse, M. Jean-René Cazeneuve, M. Gérard Cherpion, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, M. Olivier Damaisin, M. Yves Daniel, M. Dominique Da Silva, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Albane Gaillot, M. Éric Girardin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Fabien Gouttefarde, M. Brahim Hammouche, M. Régis Juanico, Mme Célia de Lavergne, Mme Marie Lebec, M. Didier Le Gac, Mme Constance Le Grip, Mme Monique Limon, M. Jacques Maire, M. Jacques Marilossian, M. Jean-Paul Mattei, M. Jean François Mbaye, M. Thierry Michels, Mme Cendra Motin, Mme Valérie Rabault, M. Hervé Saulignac, M. Vincent Thiébaut, M. Nicolas Turquois, M. Boris Vallaud, M. Olivier Véran, Mme Corinne Vignon, M. Stéphane Viry, M. Éric Woerth
Excusé. – M. Patrick Mignola
Assistaient également à la réunion. - Mme Elsa Faucillon, M. Bastien Lachaud, M. Guillaume Larrivé, M. Serge Letchimy, Mme Mathilde Panot, Mme Sabine Rubin, M. Gabriel Serville