La réunion

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La commission spéciale procède à l'audition de Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique.

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Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin, dans le cadre de nos travaux préparatoires sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Ce projet de loi est particulièrement vaste, du fait de la diversité des thématiques dont il traite. C'est bien normal, car la transition écologique est, par nature, une question transversale, qui touche à tous les secteurs, comme l'a bien compris la Convention citoyenne pour le climat. Son objectif, comme chacun sait, est de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 40 % à l'horizon 2030 et d'atteindre la neutralité climatique en 2050.

Nous ne partons pas de rien, puisque ce projet de loi arrive après la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (EGALIM), la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), la loi Énergie et climat, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) ainsi que la loi d'orientation des mobilités (LOM), sans oublier les mesures adoptées dans le cadre des lois de finances et celles figurant dans le plan de relance, avec des investissements bas-carbone à hauteur de 30 milliards d'euros.

Ce texte doit nous permettre de franchir une nouvelle étape dans notre trajectoire vers la neutralité climatique. Il nous a semblé important d'interroger les ministres responsables des secteurs principalement concernés, qui sont nombreux, et au premier rang desquels vous figurez, madame la ministre. Le bureau de notre commission spéciale a validé le principe des questions cribles, qui ne se substitueront évidemment pas à la discussion générale, laquelle aura lieu lundi 8 mars, à seize heures. Après une brève intervention du rapporteur général, vous aurez à répondre, madame la ministre, aux questions posées successivement par les rapporteurs thématiques, puis par un orateur par groupe – si le temps nous le permet, nous donnerons également la parole à un député non-inscrit. Le temps de parole sera de deux minutes pour les questions et de trois minutes pour les réponses.

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Votre audition, madame la ministre, intervient après deux semaines de travaux de notre commission spéciale et après des dizaines de réunions que les rapporteurs thématiques et moi-même avons tenues avec les représentants d'organisations concernées par la transition écologique.

Nous avons identifié plusieurs lignes de force.

Premièrement, aucun acteur politique, économique ou social ne conteste la nécessité de légiférer pour donner une impulsion supplémentaire à la transition écologique. Cette adhésion de l'ensemble de la société me semble constituer un fait politique qui n'aurait pas été possible il y a encore quelques années.

Deuxièmement, ce projet de loi poursuit le travail de fond accompli par la présente majorité en matière environnementale avec les lois sur l'alimentation, le logement, les transports, l'énergie, l'économie circulaire, ainsi que dans le plan de relance. Analyser ce texte sans prendre en compte ceux qui l'ont précédé, c'est prendre le risque de dire des contre‑vérités.

Troisièmement, une grande partie des débats que nous avons eus avec nos différents interlocuteurs ont porté sur l'effectivité des mesures prévues et leur acceptabilité par la société française. C'est l'une de nos préoccupations majeures, en tant que parlementaires : nous voulons une loi qui non seulement entraîne la diminution la plus forte possible des émissions de gaz à effet de serre et préserve la biodiversité, mais qui rencontre également une large adhésion dans la société française.

Nous avons entendu de nombreuses critiques sur le réalisme de certaines mesures, leur calendrier, leur complexité, la difficulté à les faire comprendre, ainsi que sur l'opportunité de légiférer dans des domaines qui, comme l'alimentation, font actuellement l'objet d'expérimentations. Une concertation approfondie est engagée entre vos services, les rapporteurs et les députés afin d'améliorer le projet de loi.

À ce stade, je souhaiterais savoir si le Gouvernement a défini une méthodologie au sujet de l'application du projet de loi, une fois qu'il aura été voté. J'imagine que les décrets mentionnés dans l'étude d'impact seront publiés aussi tôt que possible, mais j'aimerais savoir si l'application de la loi nécessitera le vote de crédits supplémentaires, par exemple pour aider les ménages les plus modestes à rénover leur logement. Si tel est le cas, seront-ils inscrits dans le projet de loi de finances pour 2022, ou bien feront-ils l'objet d'un collectif budgétaire ? D'une manière plus générale, comment envisagez-vous le suivi de l'application de cette loi ?

Ma dernière question porte sur le financement de la politique de transition écologique. Elle nécessite des investissements considérables sur plusieurs années, bien au-delà du plan de relance. Même si beaucoup reconnaissent que celui-ci est à la hauteur des enjeux, il s'arrête en 2022. Ne pensez-vous pas qu'une loi de programmation sur l'environnement s'impose, qui définirait une trajectoire prévisible et réaliste pour nos finances publiques ? Ne serait-ce pas un signal politique fort ?

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Barbara Pompili, ministre de la transition écologique

Monsieur le rapporteur général, vous m'interrogez sur l'application et le suivi de la loi, avant même qu'elle soit votée : cela prouve que vous avez une vision prospective !

Ce projet de loi comporte de nombreuses mesures qui engagent les collectivités, les citoyens et le secteur privé dans la voie de la transition écologique, sans pour autant nécessiter de crédits de l'État : je songe par exemple à l'introduction du délit d'écocide, à la déclinaison de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) au niveau régional ou à la division par deux du rythme d'artificialisation. L'État sera évidemment au rendez-vous pour soutenir les collectivités à travers ses dotations budgétaires, qui seront votées chaque année par le Parlement dans le cadre de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » du projet de loi de finances. Le projet de loi se déclinera aussi dans différentes lois de finances qui vont nous accompagner jusqu'à 2030 : je pense notamment aux crédits nécessaires pour financer les mesures d'accompagnement, par exemple pour aider les Français à acquérir des véhicules plus propres ou à rénover leur logement. L'idée d'introduire une loi de programmation pour l'environnement, à l'image de celles qui existent dans le domaine militaire ou pour la justice, paraît bonne, puisque ce serait une manière de sanctuariser une trajectoire budgétaire sur le moyen et le long terme. Mais déterminer une stratégie ou fixer une orientation ne pourrait se faire qu'en début de quinquennat.

Nous avons défini une vision et des moyens. La transition écologique est un moteur de la relance en France. Elle représente 30 % du plan de relance, soit 30 milliards ; aucun pays européen n'en a fait autant. Nous avons une relation soutenue avec les collectivités territoriales : nous avons organisé plusieurs réunions avec Jacqueline Gourault, bien en amont de ce texte et encore dernièrement. Nous avons aussi organisé des concertations thématiques avec tous les acteurs pertinents ; nous essayons vraiment d'associer tout le monde. Enfin, s'agissant de la trajectoire budgétaire, nous cherchons à nous projeter sur plusieurs années.

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Madame la ministre, le rapporteur général vous a interrogée au sujet des décrets d'application qui seront pris, une fois ce projet de loi voté. Pour ma part, j'aimerais vous interroger sur les décrets relatifs à des lois déjà votées, qui n'ont pas encore été publiés : cela complexifie notre travail, notamment sur le titre dont je suis rapporteure. Je pense à la création de l'agence pour le réemploi, qui aurait dû voir le jour le 1er janvier, mais aussi au décret d'application qui devait préciser ce qui serait interdit à la vente en vrac. Pourriez-vous nous apporter quelques précisions sur la date à laquelle ces décrets seront publiés et, éventuellement, sur leurs orientations ?

Sur la question du vrac, seriez-vous d'accord pour élargir les critères retenus à l'article 11 en retenant celui du volume de référence, qui paraît à la fois plus souple, plus réaliste et mieux contrôlable que la seule surface de vente ? Ce serait une avancée.

S'agissant de la consigne du verre, comment favoriser le réemploi, sans l'opposer au recyclage ? Il ne faudrait pas envoyer des signaux contradictoires.

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Barbara Pompili, ministre

Vous m'interrogez sur l'application de la loi AGEC. En 2020, quatorze décrets d'application ont été publiés, concernant les sujets suivants : création d'un indice de réparabilité au 1er janvier 2021 pour guider les Français dans l'achat de produits plus facilement réparables, c'est-à-dire à la durée de vie plus longue ; interdiction, à compter du 1er janvier 2021, de la mise sur le marché de nouveaux objets en plastique à usage unique – couvercles de boissons, pailles, tiges de ballons, boîtes à kebab en polystyrène expansé, etc. – ; amende pour les dépôts sauvages – pour les masques jetés sur la voie publique, l'amende est passée de 68 à 135 euros – ; renforcement de la lutte contre le gaspillage alimentaire ; extension de l'obligation de don des invendus aux commerces de gros dont le chiffre d'affaires est supérieur à 50 millions d'euros ; interdiction de la destruction des invendus non alimentaires ; utilisation obligatoire de vaisselle réutilisable ; réforme des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP). J'ajoute que nous avons créé une filière REP sur les mégots de cigarettes et que nous avons renforcé, depuis le 1er janvier 2021, le bonus à l'incorporation de plastiques recyclés. Enfin, le décret relatif aux objectifs de réduction, de réemploi et de réutilisation, et de recyclage des emballages en plastique, ou décret « 3R », que je viens de signer, fixe un objectif de diminution de 20 % des emballages en plastique à usage unique d'ici 2025.

S'agissant du vrac, nous ne sommes pas opposés à une mesure générale mais nous ne voulons surtout pas que les incitations au développement du vrac, qui sont très importantes, posent des problèmes pour certains produits. Il faut lutter contre le suremballage – nous consommons 1,2 million de tonnes d'emballages ménagers en plastique par an – mais nous voulons aussi que certains secteurs en difficulté, comme celui des spiritueux, ne se sentent pas visés. Il faut agir avec pragmatisme, là où l'utilisation du vrac a du sens et est bonne pour l'environnement. Travaillons ensemble pour trouver une bonne rédaction.

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Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur deux des articles du titre dont j'ai l'honneur d'être rapporteure. L'article 19, d'abord, réaffirme notre attachement aux écosystèmes aquatiques, qui font partie intégrante du grand cycle de l'eau et qui permettent de répondre à un certain nombre des problématiques liées au dérèglement climatique. J'aimerais avoir votre éclairage sur les conséquences de cette formulation de l'article 19 pour les différents usages et les différents usagers de l'eau – je pense notamment au monde agricole, qui s'inquiète de cette nouvelle disposition.

L'article 24 prévoit quant à lui d'abaisser un seuil que nous avons fixé en 2019 pour obliger certains entrepôts à mettre des panneaux voltaïques ou à végétaliser leur toit. Pourquoi les immeubles de bureaux ne sont-ils pas concernés ? Seriez-vous favorable à une troisième option, qui permettrait d'introduire un peu plus de souplesse dans les choix des énergies renouvelables que les professionnels pourraient installer sur les toits de leurs bâtiments ?

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Barbara Pompili, ministre

L'article L. 210-1 du code de l'environnement dispose que « l'eau fait partie du patrimoine commun de la nation » et qu'elle constitue une ressource à laquelle chacune et chacun peut accéder. L'article 19 complète le code de l'environnement en affirmant le principe selon lequel il y a un lien explicite entre la ressource en eau et les écosystèmes aquatiques préservés et fonctionnels, lesquels sont indispensables pour préserver la biodiversité et lutter contre le changement climatique et ses effets. Ce principe du grand cycle de l'eau est reconnu par la loi pour répondre aux défis croissants posés par la préservation de la biodiversité et le changement climatique. Cet article pourra ensuite se décliner dans la jurisprudence : nous aurons ainsi une base légale pour prendre des mesures administratives, voire judiciaires, pour que les collectivités locales, l'État et les entreprises préservent l'ensemble du cycle de l'eau. Il n'y a pas lieu de s'inquiéter de cet article : il donnera une visibilité plus grande à l'intérêt de préserver ces écosystèmes. On peut aussi imaginer de renforcer les aides en direction de ceux qui préservent ces écosystèmes, précisément parce que c'est important. Il faut le voir plutôt comme une chance.

L'article 24 étend l'obligation d'installer des systèmes de production d'énergies renouvelables ou des toitures végétalisées sur les surfaces commerciales et les entrepôts. Jusqu'ici, cette obligation concernait les constructions de plus de 1 000 mètres carrés ; désormais, elle s'appliquera également à celles de 500 mètres carrés. On pourrait étendre cette obligation lors de rénovations lourdes d'entrepôts et de surfaces commerciales répondant à la même condition de surface, mais je ne suis pas sûre qu'il faille étendre cette obligation aux bureaux : avec le décret tertiaire, il y aurait peut-être une difficulté juridique. À l'impossible, nul n'est tenu : il faudra regarder cela de près.

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Madame la ministre, le titre III, « Se déplacer », soulève une question qui fait couler beaucoup d'encre : c'est celle du non-remboursement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui cristallise la colère du secteur routier. Si nous partageons la volonté du Gouvernement d'introduire le non-remboursement de la TICPE, il nous semble toutefois important de prévoir un accompagnement des filières du secteur routier. Beaucoup a déjà été fait, notamment dans le plan de relance, mais il semble important de savoir ce que vous envisagez pour accompagner les filières du secteur routier et pour travailler avec les constructeurs de poids lourds. Beaucoup nous disent que la technologie n'est pas encore mature. Le contrat de transition écologique ou énergétique en cours de discussion verra-t-il le jour ? La définition d'une trajectoire, d'une ambition doit se faire en travaillant main dans la main avec les différentes filières du secteur routier : où en sont les discussions ?

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Barbara Pompili, ministre

L'article 30 du projet de loi fixe une cible de suppression progressive, à l'horizon 2030, de l'avantage fiscal sur la TICPE dont bénéficie le gazole consommé par les poids lourds du transport routier de marchandises. Afin de faciliter la transition vers un parc de poids lourds émettant moins de polluants et moins de gaz à effet de serre, nous prévoyons des mesures d'accompagnement pour les entreprises.

Nous soutenons déjà massivement le secteur, puisqu'il bénéficie d'un suramortissement de 40 % pour ses investissements dans les véhicules propres. En outre, une prime à la conversion des poids lourds a été créée en début d'année, dans le cadre du plan de relance ; elle est dotée de 100 millions d'euros. Nous sommes donc parvenus à un équilibre entre des mesures d'accompagnement particulièrement nécessaires, d'une part, et la suppression d'un avantage fiscal, d'autre part. Il est très important de prévoir les deux en même temps, pour montrer que nous faisons la transition écologique avec tout le monde.

Enfin, je suis tout à fait disponible pour travailler à un renforcement des mesures d'accompagnement dans les prochains projets de loi de finances (PLF) si cela s'avère nécessaire.

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Les membres de la Convention citoyenne pour le climat se sont montrés particulièrement sévères avec le titre IV « Se loger » du projet de loi. De leur côté, les citoyens dans nos circonscriptions sont très inquiets des mesures préconisées par la Convention citoyenne. Comment appréhendez-vous la question de la réduction des émissions gaz à effet de serre de 40 % d'ici 2030, notamment pour le secteur du logement et de la rénovation énergétique ?

La rénovation énergétique fait l'objet de propositions tant par les membres de la Convention citoyenne que par les ONG. Les premiers préconisent une obligation pure et simple de rénovation de toutes les passoires, qu'elles soient la propriété de leurs occupants ou de bailleurs, tandis que les secondes souhaitent une obligation sous conditions, en fonction des financements et de la capacité des professionnels du bâtiment à concrétiser les projets de rénovation. Comment envisagez-vous l'application de ces mesures jugées insuffisantes par les uns et trop ambitieuses par les autres ?

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Barbara Pompili, ministre

Vous touchez à un sujet très important de ce texte, qui a suscité une forte attente chez les membres de la Convention citoyenne et dans la société. Le bâtiment en général – pas seulement les logements – représente un quart de nos émissions de gaz à effet de serre. Il est donc indispensable d'avancer sur ce point.

Chacun a son opinion sur ce qu'il conviendrait de faire. Certains veulent imposer des interdictions ou des obligations. Je ne suis pas la dernière à le vouloir mais je me rends compte que cela ne servirait à rien si l'on ne met pas les gens en capacité de les respecter. Le texte que nous vous soumettons fixe une obligation de rénovation des passoires thermiques mises en location à partir de 2028, ce qui représente près de 2 millions de logements. Sans un accompagnement digne de ce nom, on n'y parviendra pas. Une personne désireuse de rénover son logement doit pouvoir s'adresser à un interlocuteur qui analysera ses besoins, l'orientera vers les professionnels compétents, établira le plan de financement, déterminera les aides auxquelles elle a droit et fera en sorte que le reste à charge soit le plus bas possible, voire nul. Cela est plus utile et plus efficace que toutes les interdictions et toutes les obligations que l'on pourrait décider. C'est pourquoi nous avons lancé une mission, qui devra rendre ses conclusions avant le passage du texte en séance, afin de trouver les voies et moyens permettant d'assurer un véritable accompagnement, ce qu'on appelle de l'assistance à maîtrise d'ouvrage. Une telle prise en charge permettra d'augmenter considérablement le nombre de rénovations, en particulier de rénovations complètes. Voilà ma conviction profonde ; j'espère que nous pourrons aboutir lors de l'examen de ce projet de loi.

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La question du climat pose de manière cruciale celle de la lutte contre la déforestation importée, dont on sait qu'elle a détruit deux fois la superficie de la France entre 1990 et 2015, mettant ainsi à mal notre capacité à capter le carbone et à protéger la biodiversité – 75 % de la biodiversité mondiale se trouvent dans nos forêts.

Chacun prend sa part, en France, et je salue à cet égard la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI) lancée sous ce quinquennat. De notre côté, nous avions travaillé à une suppression des exonérations fiscales concernant par exemple l'huile de palme. Le projet de loi prévoit quant à lui un dispositif d'alerte pour les entreprises, actionné grâce à un partage de données douanières avec votre administration, madame la ministre. Ces données agrégées pourraient-elles être rendues publiques en open data afin d'améliorer l'information du consommateur final et de lui permettre de consommer de manière plus responsable ?

Par ailleurs, nous savons que l'État et ses différentes administrations, notamment les acheteurs, peuvent progresser en matière d'exemplarité. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce point ?

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Barbara Pompili, ministre

Concernant l'ouverture de données, certaines ne peuvent pas être publiées parce qu'elles sont privées et parfois confidentielles. En revanche, il est possible de publier des résultats généraux ou d'analyse ; c'est ce que nous envisageons de faire. Le dispositif qui doit être mis en place prévoit que les données douanières seront croisées avec des données satellitaires de suivi du couvert forestier dans les pays producteurs, afin d'identifier les importations à risque arrivant dans les ports français et les acteurs associés.

Cela suppose de développer une chaîne de traitement. Il est d'abord prévu de développer un pilote portant sur certains pays afin d'expérimenter le dispositif avant d'envisager sa généralisation. Le croisement des données douanières avec des données satellitaires devrait permettre d'adresser un message aux importateurs leur signalant que leur chargement est susceptible de provenir d'exploitations situées dans les territoires soumis à la déforestation et les encourageant à modifier leur chaîne d'approvisionnement pour s'orienter vers des sources d'approvisionnement durables. Ces informations ne seront transmises qu'à l'entreprise concernée et volontaire, et ne pourront en aucun cas être rendues publiques. Le message envoyé aux entreprises n'aura qu'une valeur informative et pédagogique sur le risque de déforestation lié à leurs importations. Il n'entraînera pas de conséquences en matière de sanctions.

L'agrégation de ces données permettra d'établir des statistiques et des bilans concernant l'évolution des pratiques au fil des années. Ces éléments pourront être publiés sur la plateforme internet de la SNDI, et auront vocation à informer le public et les entreprises pour que ces dernières réorganisent leur chaîne d'approvisionnement. Cela correspond à une demande formulée par les entreprises lors du comité de suivi de la SNDI, en novembre dernier, et dans le manifeste des acteurs français pour un soja sans déforestation, publié par des entreprises et des ONG. Ce système est en cours de développement.

S'agissant de l'exemplarité de l'État, le ministère de la transition écologique a publié, le 18 novembre dernier, un guide d'achat public fixant un objectif « zéro déforestation » à l'échéance 2022. Il vise à informer et à sensibiliser les 130 000 acheteurs publics, dont le volume d'achats représente près de 10 % du PIB annuel, ce qui n'est pas rien. Cet ouvrage est organisé autour de cinq segments d'achat : la restauration collective, l'alimentaire hors restauration collective, la mobilité, les bâtiments et mobiliers, et les fournitures diverses. Il propose des recommandations pratiques pour chacun de ces segments, afin que les acheteurs repensent leur chaîne d'approvisionnement. C'est un jalon qui permet aux acheteurs publics de s'engager dans une démarche d'achat public durable.

De plus, une circulaire du 25 février 2020 détaillant les engagements de l'État pour des services publics écoresponsables prévoit qu'à compter de janvier 2021, des dispositions permettant de prendre en compte le risque de déforestation sont intégrées dans les marchés publics lors de leur lancement ou de leur renouvellement. Le suivi des mesures du plan « services publics écoresponsables » est assuré par un comité coprésidé par moi-même et par la ministre de la transformation et de la fonction publiques. Il associe les secrétaires généraux des ministères et les préfets de région, ainsi que les directeurs interministériels concernés. Ce sont les premières démarches que nous avons lancées mais l'exemplarité de l'État se manifeste aussi dans le plan protéines élaboré par le ministère de l'agriculture, dans le travail sur la prise en compte des enjeux de déforestation dans les rapports extra-financiers des entreprises, dans le travail que nous faisons au niveau de la Commission européenne. L'État ne se contente pas d'être exemplaire, il impulse également.

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J'ai noté la déception des citoyens concernant le titre VI et la notion d'écocide. Nous aurons le temps, durant les débats, de les rassurer et de leur démontrer que nous avançons sur ce sujet. Toutefois, quasiment tous les intervenants que nous avons auditionnés la semaine dernière nous ont affirmé que le crime d'écocide n'était pas la solution. Nous avons déjà réalisé des avancées, par exemple avec le pôle judiciaire spécialisé dans l'environnement. Nous faisons le constat unanime que le droit de l'environnement est extrêmement compliqué, imbriqué dans le droit administratif, le droit pénal et le droit civil. Madame la ministre, ne pensez-vous pas que nous devrons mener ce chantier et travailler sur la prévention, les sanctions si nécessaire et la réparation ?

Nous avons particulièrement besoin d'outils pour évaluer les lois que nous votons. Seriez-vous favorable à ce que nous lancions également le chantier de l'évaluation climatique des lois et des normes ?

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Barbara Pompili, ministre

J'ai noté en effet une certaine insatisfaction concernant les questions liées au droit de l'environnement, mais j'ai également relevé des points de satisfaction. Le projet de loi climat et résilience ne comprend qu'une partie de la réforme du droit de l'environnement que nous menons. La loi relative au parquet européen a permis la création d'un juge de l'environnement et d'une police judiciaire de l'environnement, qui faisaient défaut jusque-là. Nous donnons à la justice de l'environnement les moyens pour qu'elle s'exerce dans toute sa plénitude.

Nous avons pensé que la création d'un crime d'écocide, comme le demandaient les membres de la Convention citoyenne, n'était pas faisable au niveau national et aurait créé une insécurité juridique trop forte. C'est une bataille qui doit se mener au niveau international. Dans cette attente, nous avons durci le droit pénal de l'environnement afin que les pollueurs payent. Le principe du droit à l'erreur n'est absolument pas contradictoire avec ce que nous proposons. Le délit de mise en danger de l'environnement n'est applicable que lorsque l'exploitant ne respecte pas une mise en demeure, assortie d'un délai de mise en conformité, prononcée par une autorité administrative. Le délit général de pollution de l'environnement est conditionné au non-respect manifestement délibéré d'une règle de sécurité, tandis que le principe du droit à l'erreur, repose sur la bonne foi de l'administré.

L'évaluation de nos politiques climatiques est bien évidemment nécessaire. C'est la raison d'être du Haut Conseil pour le climat. Celui-ci doit nous remettre d'ici l'été une évaluation générale des mesures que nous adoptons pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique. La récente publication du Haut Conseil ne constituait qu'une évaluation du projet de loi et non une analyse de l'action générale du Gouvernement. Elle ne permet donc pas de rendre compte de tout ce qui est fait ni de l'efficacité de mesures imbriquées les unes dans les autres. De plus, les parlementaires ont également un rôle à jouer en la matière. Il est préférable de disposer d'informations provenant de sources différentes : c'est aussi cela, la démocratie.

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Je souhaite, au nom du groupe La République en marche, vous interroger sur l'affichage environnemental. À ce stade, l'article 1er prévoit des expérimentations d'une durée de cinq ans, alors que certains secteurs n'en ont plus besoin. Peut-on envisager une application plus rapide de ces dispositions dans les secteurs qui sont déjà prêts ?

Je souhaite par ailleurs relayer une question de ma collègue Stéphanie Kerbarh sur la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC), dont nous étions toutes deux rapporteures. Le taux d'application de cette loi est de 32 %. Comptez-vous accélérer sa mise en œuvre ?

Par ailleurs, elle s'interroge sur un rapport de l'Agence de la transition écologique, l'Ademe, sur les impacts technico-économiques, budgétaires et environnementaux d'un dispositif de consigne pour réemploi et recyclage, alors que nous allons à nouveau légiférer sur la consigne. Quand disposerons-nous de ce rapport ?

Enfin, sur la question du code minier, seriez-vous favorable à l'interdiction de l'utilisation du cyanure, alors même qu'il n'existe qu'une seule entreprise en Guyane qui en utilise ? Après l'interdiction du mercure en 2006, nous pourrions accélérer l'instauration de pratiques plus vertueuses dans l'exploitation minière.

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Barbara Pompili, ministre

La loi AGEC prévoit effectivement l'expérimentation de dispositifs d'affichage environnemental ou social et environnemental dans les dix-huit mois suivant sa promulgation. Une expérimentation, pilotée par l'Ademe avec tous les acteurs concernés, a déjà lieu dans le secteur alimentaire. Des interrogations existent concernant l'impact de certaines méthodologies sur les notes de quelques produits, notamment de la viande ou du bio. S'il y a un lien entre la loi AGEC et l'article 1er du projet de loi, ce dernier n'aura pas d'effet sur le type de méthodologies expérimentées. Il ne précise pas non plus les secteurs dans lesquels les expérimentations devront être développées et encore moins ceux dans lesquels l'affichage pourrait être généralisé. Dans tous les cas, à l'issue de l'expérimentation, un bilan sera transmis au Parlement, comprenant une étude de faisabilité et une évaluation socio-économique.

Des décrets viendront ensuite préciser la méthodologie et les modalités de l'affichage environnemental et le Parlement sera amené à se prononcer sur la meilleure méthodologie à généraliser, si généralisation il y avait. Nous devons absolument attendre le retour des expérimentations, sans quoi les méthodologies iront dans tous les sens et l'affichage n'aura pas la même signification partout. Il faut également que cette méthodologie prenne bien en compte tous les impacts positifs d'une agriculture moins intensive et respectueuse de l'environnement.

Le rapport sur la consigne sortira bientôt.

Le cyanure est utilisé afin de prévenir les effets dramatiques du mercure – formidable, n'est-ce pas –, parce qu'il ne persiste pas dans l'environnement et qu'il ne s'accumule pas dans les chaînes alimentaires, comme les métaux lourds. Néanmoins, il s'agit d'un produit extrêmement toxique, ce qui impose d'indispensables précautions. Certaines techniques permettant de prévenir les risques liés au cyanure, l'Union européenne a décidé de ne pas interdire son utilisation mais de l'encadrer.

À l'été 2018, le Gouvernement a demandé à Ineris et au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) de faire une revue des bonnes pratiques relatives à l'utilisation du cyanure, ainsi que des technologies de substitution. Les résultats de ces travaux ont été rendus en décembre 2018. La réglementation européenne définira des limites plus strictes au niveau mondial, imposant une décyanurisation des résidus avant stockage, afin de limiter les risques en cas de déversement dans le milieu naturel. Par ailleurs, le BRGM a rappelé que l'utilisation du cyanure était la technique d'extraction aurifère la plus utilisée à travers le monde et que si des alternatives existaient, aucune n'avait atteint le niveau de maturité ni la robustesse des procédés au cyanure. Je suis bien sûr favorable à la recherche d'une technique alternative, mais il faudra s'assurer qu'elle ne présente pas d'autres risques.

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Avant toute chose, nous estimons nécessaire de rappeler que les citoyens tirés au sort ne représentent pas les Français. Seuls les députés, élus au suffrage universel, peuvent y prétendre. Ils doivent donc avoir le dernier mot. L'exposé des motifs et l'étude d'impact ne permettent pas de déterminer la quantité des émissions de gaz à effet de serre que pourrait éviter ce projet de loi. Enfin, le volet « résilience » du texte est extrêmement limité, avec seulement une ordonnance liée au recul du trait de côte dans les communes littorales. Or les conséquences du changement climatique seront bien plus nombreuses et variées. Le Conseil d'État note aussi que l'étude d'impact est trop souvent superficielle. Si au premier abord ce texte peut sembler porteur de changements, la réalité est beaucoup plus nuancée, avec des articles d'appel, des objectifs non contraignants et de nombreuses dérogations.

Concernant l'évolution du code minier, pourquoi passer par une ordonnance, alors qu'un projet de loi de douze articles circule depuis plusieurs mois ? L'engagement du Président de la République était de reprendre « sans filtre » les propositions de la Convention citoyenne. Or de nombreuses mesures ont été amoindries, allégées, voire transformées en simples objectifs non contraignants. Pourquoi ce choix ? Je pense notamment à la fin de l'exonération de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) à l'article 30, au prix du carbone du transport aérien à l'article 35 ou à l'interdiction de vols intérieurs à l'article 36 – la Convention citoyenne fixait une alternative en train à quatre heures…

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Excusez-moi, je n'ai pas compris la nouvelle formule…

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Barbara Pompili, ministre

Nous avons des institutions qui fonctionnent et qui doivent bien fonctionner. L'exercice démocratique de la Convention citoyenne était passionnant et il va falloir, à mon avis, le faire vivre, en en tirant les conclusions. Mais nous avons un parlement avec des représentants élus, dont je fus moi-même membre à une époque, et c'est d'ailleurs pour cela que nous sommes en train de discuter.

La résilience, cela veut dire s'adapter aux changements climatiques et faire en sorte d'être plus forts face à ce changement. Il n'y a pas que les mesures sur le trait de côte qui concernent la résilience : lutter contre l'artificialisation des sols va permettre d'éviter des inondations ; de la même manière, les mesures de rénovation permettront d'avoir des logements plus adaptés aux fortes chaleurs ou au froid.

Monsieur Bricout, vous avez dit que les membres de la Convention citoyenne ne représentaient pas le peuple et que, par conséquent, c'était au Parlement de faire son travail, ce avec quoi je suis complètement d'accord. Puis vous vous êtes étonné que nous n'ayons pas repris intégralement ce qui avait été proposé par la Convention citoyenne… Nous n'avons pas tout repris, parce que nous avons acté que plusieurs points nécessitaient soit une adaptation, soit un travail avec les acteurs concernés, pour que cela soit mieux accepté. Nous avons repris l'esprit de ce que voulaient les membres de la Convention citoyenne. En matière de méthode, il y a parfois eu des adaptations, notamment dans le secteur aérien, parce qu'il est très sinistré et parce que certaines mesures nous paraissaient plus adaptées à notre territoire. Nous en reparlerons article par article. S'il y a eu des bougés par rapport aux propositions de la Convention citoyenne, ce n'est certainement pas pour en changer l'esprit mais pour faire en sorte que l'on puisse les mettre en œuvre le plus efficacement possible.

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Comme cela a été dit par bon nombre d'entre nous, nous ne partons pas d'une feuille blanche. Plusieurs textes en témoignent : la fin de la production d'énergies fossiles sur notre sol, la loi Énergie et climat, la loi d'orientation des mobilités ou encore la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire. Avec la loi climat et résilience, nous allons plus loin sur certains points et nous innovons sur d'autres. Au groupe MoDem et Démocrates apparentés, nous avons à cœur de défendre une écologie pragmatique, en faisant confiance aux collectivités, pour qu'elle soit une chance pour nos entreprises et nos concitoyens, notamment les plus précaires. Dans cette optique, nous avons des interrogations sur la publicité. Pourquoi une interdiction relative aux seules énergies fossiles ? Nous pensons que nous pouvons aller plus loin sur les produits les plus polluants comme les véhicules les moins vertueux. En adéquation avec notre objectif de 95 % de ventes de véhicules émettant moins de 95 grammes de CO2 par kilomètre à l'horizon 2030, fixé à l'article 25 du projet de loi, nous pourrions interdire leur publicité à horizon 2025.

Sur la formation de nos enfants aux enjeux du développement durable, pourquoi ne pas l'étendre à la formation tout au long de la vie ? Pour le verdissement de la commande publique, prenons davantage en compte des solutions de réemploi ou de réparabilité, par exemple. Concernant la lutte contre l'artificialisation, renforçons le contrôle de la construction d'entrepôts d'e-commerce ou la protection de notre patrimoine arboré jusque dans nos villes.

Pour terminer, je pense aux ménages les plus précaires, qui n'ont pas les moyens de s'engager autant qu'ils le voudraient dans la transition écologique, alors que celle-ci ouvre de nouveaux horizons en matière d'emplois et d'économies. Il semble nécessaire de renforcer les mesures de soutien pour que le plus grand nombre d'entre nous puisse en bénéficier.

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Barbara Pompili, ministre

Votre intervention étant très large, madame la députée, je ne pourrai pas répondre en quelques minutes à toutes vos questions, qui montrent que le groupe MoDem a plein d'idées que je serais ravie d'examiner avec vous. En effet, nous ne partons pas d'une feuille blanche. Cette loi est un peu le dernier kilomètre de tout ce qui a été fait pendant le quinquennat.

S'agissant de la publicité, le choix qui a été fait, et qui est incomplet, est de demander au secteur de prendre des engagements volontaires ambitieux de sorte que les produits les plus dangereux pour l'environnement ne fassent plus l'objet de publicité. Nous en attendons encore les retours. Une mission a été lancée sous l'égide d'Arnaud Leroy et d'Agathe Bousquet. Si les engagements ne sont pas suffisants, il faudra inscrire des mesures de contrôle et de sanction dans la loi. Je ne suis pas une ayatollah des interdictions.

La question de la formation tout au long de la vie est très importante. Il faut regarder si l'on peut y intégrer l'éducation à l'environnement. Je serai ouverte à toutes les propositions faites dans ce sens.

On reparlera des consignes et de l'artificialisation.

Enfin, nous sommes extrêmement attentifs aux mesures de soutien aux ménages précaires. C'est pour cela qu'il existe pour eux des mesures très avantageuses pour la prime à la conversion ou les bonus automobile. C'est aussi pour cela que nous avons créé la mission Sichel sur la rénovation des logements, parce que nous ne voulons pas que les ménages précaires se retrouvent dans l'impossibilité de rénover. Ils pourront bénéficier d'une aide très forte voire d'une prise en charge complète. Parmi toutes les mesures prises par le Gouvernement, l'accompagnement des plus fragiles est l'une de nos préoccupations absolues. Comme je l'ai dit, on ne laissera personne sans solution, et encore moins les plus précaires.

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Madame la ministre, dans votre interview sur reporterre.net, vous disiez que vous n'accepteriez « aucune baisse d'ambition dans l'examen parlementaire ». Heureusement ! Votre formule est paradoxale, en réalité, puisque vous inversez partiellement les rôles. Ce texte est de fait bien loin du compte pour atteindre nos objectifs climatiques, et vous le savez. L'enjeu de la discussion parlementaire sera d'aller plus loin que votre texte. Ces dernières semaines, les différents organismes indépendants ont tous publié des avis convergents : trop peu d'ambition, des mesures proposées qui ne permettront pas d'atteindre la baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. Trop timide pour le Conseil économique, social et environnemental, le texte définit des périmètres trop restreints et des délais de mise en place trop longs pour le Haut Conseil pour le climat (HCC). Enfin, la Convention citoyenne, réunie une dernière fois ce week-end, l'a noté très sévèrement, au regard du mandat qui lui avait été confié, en lui attribuant une note de 3 sur 10. Le compte n'y est pas !

La question n'était d'ailleurs pas, à mon sens, de reprendre mot pour mot les propositions de la Convention citoyenne, mais le Président de la République s'y était engagé – « sans filtre », avait-il dit. Il existe plusieurs chemins pour atteindre les objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre et de préservation de notre environnement. Mais tous ces chemins consistent à rehausser l'ambition du texte, qu'il s'agisse de l'affichage environnemental, de la publicité ou de la mobilité.

Nous sommes également très déçus, parce que l'accompagnement social est oublié. Je pense à l'obligation de rénovation globale des logements, aux prêts à taux zéro pour les véhicules peu émetteurs, à la TVA réduite sur les produits locaux ou encore à la taxation des produits ultratransformés. Nous attendions également une taxe sur les dividendes.

Le groupe Socialistes et apparentés proposera sur chaque thématique et sur chaque article, autant que faire se peut, de concilier de manière ambitieuse ambition écologique et accompagnement social. En somme, nous souhaitons plus de justice et moins de carbone. Madame la ministre, allez-vous permettre à ce texte d'évoluer ? Êtes-vous d'ores et déjà bloquée par Bercy ? Quelles mesures sociales concrètes envisagez-vous pour faciliter la transition énergétique et écologique ? Enfin, avez-vous réellement l'ambition de créer un vrai crime d'écocide ?

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Barbara Pompili, ministre

Concernant le crime d'écocide, j'ai déjà répondu.

J'ai bien dit que je n'accepterais aucune baisse d'ambition dans ce texte. On peut atteindre les objectifs de baisse de 40 % des émissions de gaz de serre en 2030, comme cela a été mentionné dans une étude que nous avons commandée, si toutes les mesures qui ont été prises durant ce quinquennat sont mises en œuvre. Encore une fois, il est absurde de ne regarder que ce projet de loi, puisqu'il fait référence à d'autres textes. Il y a eu une loi sur les mobilités, qui favorise les transports en commun et le vélo. Nous avons un plan de relance de 30 milliards d'euros grâce auquel nous investissons comme jamais dans la transition écologique. Il y a des mesures dans la loi sur l'économie circulaire sur les déchets. La fermeture des centrales à charbon a également été prévue et elle aura évidemment des conséquences sur nos émissions de gaz à effet de serre. Il est donc totalement absurde de ne regarder que ce texte de loi, qui est une brique, une pièce du puzzle, centrale certes, mais une pièce seulement.

Je n'accepterai aucune baisse d'ambition parce que les différents rapports montrent que nous ne pourrons atteindre les objectifs que si nous appliquons avec ambition et volontarisme les textes. Je ne peux donc pas accepter des reculs dans celui-ci. Je vous assure, monsieur le député, que des reculs et des demandes de recul, il va y en avoir beaucoup. Contrairement à ce que laisse entendre une petite musique, ce texte est très ambitieux et certains le trouvent d'ailleurs trop ambitieux, parce qu'il voudrait aller trop vite et trop loin. J'attends avec impatience d'avoir ces débats dans l'hémicycle pour que l'on cesse enfin de dire qu'il n'est pas assez ambitieux. Si le Parlement est souverain et votera ce qu'il veut, pour ma part, je serai défavorable à toutes les mesures rabaissant son ambition.

Enfin, les mesures d'accompagnement social relèvent des lois de finances. Le texte, je le répète, n'est qu'une pièce du puzzle. Beaucoup de mesures d'accompagnement se trouvent ailleurs. L'accompagnement social est partout. En revanche, il manque un point très important : l'accompagnement pour la rénovation des logements. La mission Sichel doit nous apporter des réponses à ce sujet. C'est un point essentiel auquel je serai extrêmement attentive.

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Madame la ministre, le groupe Agir ensemble vous apporte tout son soutien et défendra ce projet de loi, qui relève en effet d'une politique ambitieuse et même historique.

Très attachée à l'amélioration de l'évaluation de la loi, j'estime que cette dernière doit, surtout si elle prône une adaptation au changement climatique, se caractériser par une grande adaptabilité afin que puissent être prises en compte les conséquences qu'elle pourrait avoir en matière environnementale ainsi qu'au plan social et économique, voire sur les droits et libertés. En somme, je suis attentive non seulement à l'évaluation climatique des lois mais aussi à l'évaluation des lois climatiques.

Certaines dispositions présenteront, nous le savons, des contradictions entre les différents objectifs visés : sociaux, environnementaux, économiques. Aussi seriez-vous prête à envisager d'inclure dans certains articles – je pense notamment aux articles 11, 12, 25, 35 et, surtout, aux articles 62 et 63, relatifs aux engrais – une clause de revoyure qui permette au Parlement de tirer les conséquences de l'évaluation de ces dispositions et de décider, le cas échéant, d'accélérer leur mise en œuvre, de les adapter aux territoires ou de procéder à des ajustements pour remédier, par exemple, à des conséquences sociales qui auraient été sous-estimées ?

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Barbara Pompili, ministre

Merci pour votre soutien.

J'ai toujours été moi-même très attachée à l'évaluation de la loi, en particulier par les parlementaires ; j'espère du reste – et cela n'engage que moi – que les députés disposeront à l'avenir de davantage de moyens pour l'exercice de cette mission, qui est un aspect très important du renforcement du rôle du Parlement. Cela étant dit, l'application de chaque loi, je le rappelle, fait d'ores et déjà l'objet d'une évaluation, six mois puis trois ans après son entrée en vigueur. Nous pourrions néanmoins fixer d'autres rendez-vous concernant certains aspects du texte ; cela me paraîtrait de bonne méthode. Il pourrait s'agir de clauses, inscrites dans le texte, prévoyant un rapport ou, tout simplement, d'auditions régulières. En tout cas, je suis à votre entière disposition pour contribuer à toute évaluation qui vous paraîtra nécessaire pour vérifier l'application de la loi et, le cas échéant, rectifier le tir.

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Certains l'ont rappelé, nous ne partons pas de rien : je pense notamment à la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte – votée, notamment, par vous, madame la ministre, en 2015 – et à la loi portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports de 2013.

On s'attache surtout, notamment dans le projet de loi, à mettre en œuvre une stratégie technologique – consistant, par exemple, à substituer l'électrique au thermique – sans chercher à limiter la mobilité subie, qu'elle concerne les personnes ou les marchandises. On pourrait pourtant s'inspirer des travaux de la chaire Entreprenariat territoire innovation (ETI) de la Sorbonne, popularisés par Carlos Moreno sous le concept de « ville du quart d'heure », afin de réfléchir à la meilleure manière d'organiser la société pour éviter les déplacements inutiles. En matière de logistique, la France se classe au seizième rang mondial et au huitième rang européen ; dans ce domaine, les pertes économiques sont comprises entre 20 et 60 milliards d'euros. De fait, nous n'avons pas de stratégie logistique permettant d'améliorer la performance du transport de marchandises.

Que pensez-vous du recours à la biomasse bois pour produire de l'électricité ? Certains méga projets de ce type sont soutenus financièrement alors qu'ils n'ont pas lieu d'être.

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Barbara Pompili, ministre

La question de la logistique est fondamentale, tant les conséquences du développement du e-commerce sur le transport de marchandises sont importantes. Les études auxquelles vous faites référence apportent une contribution très intéressante au débat public. En effet, on s'est peu interrogé sur ce changement d'ère, alors même que l'on prend par ailleurs des mesures pour préserver les commerces de centre-ville ou développer les circuits courts. Cependant, à l'automne dernier, nous avons confié aux inspections une mission qui porte précisément sur la question de la logistique ; leur rapport devrait être disponible rapidement. Nous discutons également avec les acteurs du secteur pour qu'ils réfléchissent à l'amélioration de leur performance écologique et énergétique. Cette question essentielle fera certainement l'objet de débats lors de l'examen du projet de loi, qui permet d'ores et déjà d'apporter des réponses.

Quant au bois énergie, il doit être utilisé dans des conditions telles que son analyse environnementale globale soit satisfaisante. Un foyer ouvert de cheminée, par exemple, a une très mauvaise empreinte écologique, car il pollue et a une faible efficacité énergétique. En ce qui concerne les grosses centrales, tout l'enjeu réside dans la gestion durable du bois. Un délégué ministériel a été nommé pour s'occuper de l'ensemble de la filière bois, dont le bois énergie n'est qu'une composante. Nous avons, en France, du bois de bonne qualité, qui doit être également utilisé pour la construction et la fabrication de meubles.

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Madame la ministre, vous n'accepterez aucune baisse d'ambition, avez-vous dit. Encore heureux ! Car votre projet de loi des petits pas est déjà très insuffisant au regard des enjeux. La petite musique sur le manque d'ambition du texte que vous avez évoquée émane, non pas de La France insoumise, mais d'une centaine d'organisations issues de la société civile, ainsi que du Haut Conseil pour le climat, du Conseil économique, social et environnemental, du Conseil national de protection de la nature et des membres de la Convention citoyenne pour le climat eux-mêmes !

Il est absurde, selon vous, de ne prendre en considération que le projet de loi. Soit ! On hésite à regarder du côté des accords de libre-échange, que vous adorez – notamment le CETA, Comprehensive Economic and Trade Agreement –, de la ré-autorisation des néonicotinoïdes, du refus d'interdire le glyphosate, de la poursuite de l'ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire ou de la baisse drastique des effectifs dans votre ministère et ses agences…

Quoi qu'il en soit, la Convention citoyenne pour le climat a émis de nombreuses recommandations concernant la forêt, notamment l'encadrement des coupes rases et le renforcement des moyens de l'Office national des forêts (ONF). Or ces propositions sont étonnamment absentes du projet de loi. Vous vous en tenez donc au démantèlement de l'ONF, à la suppression d'une centaine de postes à la demande de Bercy, aux 200 millions que le plan de relance alloue aux forêts sans aucune conditionnalité écologique et qui financeront donc abondamment des coupes rases. Quelle belle ambition ! Je vous invite à rencontrer les forestiers qui manifestent actuellement sur l'esplanade des Invalides. Comment expliquez-vous que la question des forêts, pourtant essentielles pour faire face au dérèglement climatique, ne soit pas traitée dans le projet de loi ?

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Barbara Pompili, ministre

Tout d'abord, aucune des propositions que la Convention citoyenne pour le climat a faites concernant la forêt ne relève du domaine législatif. Mais je suis ouverte aux suggestions que vous pourriez me faire en la matière : n'hésitez donc pas !

Pour le reste, on peut ne voir que ce qui ne va pas mais, ces dernières années, qu'elles soient symboliques ou effectives, des avancées sans précédent ont été réalisées dans le domaine de l'environnement. Je suis la première à vouloir que les ambitions soient plus élevées et que les choses aillent plus vite, mais on ne peut pas dénoncer un recul. Plusieurs projets emblématiques ont été abandonnés, qu'il s'agisse de Notre-Dame-des-Landes, d'EuropaCity, du terminal 4 de l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle ou de la Montagne d'or en Guyane. Par ailleurs, nous sommes en train de réformer le code minier pour qu'il prenne enfin en compte l'environnement ; nous allons supprimer les passoires thermiques et en finir avec la construction d'entrepôts au milieu des champs ; des investissements massifs ont été décidés pour privilégier les transports en commun et favoriser le fret ferroviaire ; les ventes de véhicules électriques ont triplé l'an dernier…

Autant d'avancées qui traduisent une ambition inédite. Certes, nous pouvons aller plus vite et plus fort, et je serai la première à soutenir les propositions allant en ce sens, dans la mesure du possible. Mais n'oublions pas que lorsqu'on se fixe de grands objectifs sans se donner les moyens de les atteindre, notamment en faisant l'impasse sur l'accompagnement social, on voit les gilets jaunes descendre dans la rue, et on finit par ne plus rien faire. Je préfère – c'est une question de méthode – des mesures costaudes, durables et qui font l'objet d'un accompagnement adéquat. En tout cas, l'ambition est la même pour tous. J'espère donc que nous avancerons bien ensemble et que l'ambition du texte ne sera pas révisée à la baisse – c'est un risque que certains d'entre vous sous-estiment.

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. On parle de transition écologique et solidaire mais, dans le projet de loi, l'emploi nous paraît faire l'objet d'un traitement particulièrement indigent, notamment sous l'aspect de la mutation des métiers. Or c'est un enjeu majeur de l'acceptabilité de cette transition.

Dans l'étude d'impact des articles 16 et 18, il est indiqué que l'instauration d'une taxe supplémentaire réservée aux seules actions de formation des salariés ou d'accompagnement des entreprises confrontées à des enjeux de transition écologique n'a pas été retenue. Pourtant, elle représenterait 1,2 % à 1,7 % de la masse salariale, soit 10 milliards d'euros par an qui permettraient de financer 100 000 formations professionnelles par an. Ne conviendrait-il pas de réexaminer, sinon dans ce projet de loi, du moins dans le prochain projet de loi de finances, la création d'une telle taxe ? Il s'agit de se donner les moyens d'assurer la transition professionnelle, condition indispensable de l'acceptabilité de la transition écologique.

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Barbara Pompili, ministre

J'y insiste : tout ne se trouve pas dans le projet de loi. Les mesures d'accompagnement social de la transition, par exemple, figurent dans les textes budgétaires et le plan de relance, qui consacre 15 milliards à la formation, l'accent étant mis sur la transition écologique et sur le développement des métiers et des filières de demain. De même, un mécanisme complet d'accompagnement de la fermeture des centrales à charbon a été élaboré pour que les salariés concernés puissent être formés et protégés. Nous veillons donc, dans le projet de loi, à ne laisser personne sans solution.

Si des améliorations peuvent être apportées, nous les examinerons. Mais, encore une fois, la préoccupation essentielle du Gouvernement est d'emmener tout le monde : la transition écologique implique par définition des ajustements et des adaptations, mais nous croyons profondément qu'elle favorisera la création de nombreux emplois et filières et que l'avenir économique sera ainsi beaucoup plus joyeux pour tous les travailleurs. C'est en tout cas le projet que je défends, et je sais que vous m'aiderez à le réaliser.

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Il y aurait beaucoup à dire – je ne crois pas, par exemple, que l'on puisse affirmer que l'avis du Haut Conseil pour le climat est parcellaire.

Pouvez-vous nous indiquer le coût de l'étude commandée par le Gouvernement au Boston consulting group et nous préciser son imputation budgétaire ? Cette commande a-t-elle fait l'objet d'un marché public et d'une mise en concurrence ? Pourquoi le choix a-t-il été fait de s'adresser à un cabinet privé plutôt qu'aux institutions publiques, qu'il s'agisse du Haut Conseil pour le climat, de l'Ademe ou des services de la direction générale de l'énergie et du climat ?

Deuxièmement, le Gouvernement a-t-il l'intention de recourir, pour l'examen du projet de loi, à la procédure du temps législatif programmé, qui raccourcirait considérablement les débats ?

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Barbara Pompili, ministre

Il est parfaitement normal et sain de croiser les expertises d'organismes différents ; je suis très attachée à cette méthode. De mémoire – mais je m'engage à vous adresser une réponse écrite sur ce point –, pour ce type d'études, un marché public est passé au niveau du Gouvernement, et non du seul ministère, qui permet de désigner quelques lauréats ; nous pouvons ensuite, je crois, puiser dans un fonds pour commander des expertises. S'il s'agit de créer une polémique, cela me paraît un peu léger.

Quant au recours au temps programmé, c'est une prérogative, non pas du Gouvernement, mais de la Conférence des présidents ; je n'ai donc pas à m'exprimer sur ce sujet.

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Estimez-vous, dans le cadre du renforcement de l'affichage environnemental, prévu à l'article 1er, que la définition d'un score carbone européen pourrait être défendue par la France lors de sa présidence du Conseil européen ?

Par ailleurs, qu'avez-vous à répondre au Haut Conseil pour le climat, qui déplore que les articles 41 et 42 ne s'appliquent pas aux propriétaires occupants ?

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Barbara Pompili, ministre

L'affichage environnemental, dont le score carbone n'est qu'une composante, doit être harmonisé le plus vite possible au niveau européen, afin que la réglementation soit lisible pour les consommateurs. Nous y travaillons, mais il me paraît ambitieux d'envisager l'achèvement de ces travaux d'ici à la présidence française, qui débutera dans un an. Néanmoins, c'est une mesure que nous allons défendre vigoureusement ; plus vite nous aboutirons, mieux ce sera.

S'agissant de l'avis du Haut Conseil pour le climat, l'important est que nous nous donnions les moyens de permettre à tout un chacun de réaliser la rénovation énergétique de son logement. Nous devons donc faire en sorte que le dispositif soit simple, pratique et accessible : s'il est facile de réaliser les travaux d'isolation, alors les gens les feront car ils donneront de la valeur à leur bien. Je n'ai rien contre les interdictions, pourvu qu'elles n'enferment pas les personnes concernées dans une impasse.