COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET DE LOI CONFORTANT LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE
Mardi 19 janvier 2021
La séance est ouverte à dix-sept heures trente.
La commission spéciale poursuit l'examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République (n° 3649 rect.) (M. Florent Boudié, rapporteur général et rapporteur pour le chapitre I du titre II, Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure pour le chapitre I du titre Ier, M. Éric Poulliat, rapporteur pour le chapitre II du titre Ier, Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure pour le chapitre III du titre Ier, Mme Laetitia Avia, rapporteure pour le chapitre IV du titre Ier, Mme Anne Brugnera, rapporteure pour le chapitre V du titre Ier, M. Sacha Houlié, rapporteur pour les chapitres II et III du titre II, et pour les titres III et IV).
Mes chers collègues, lors de la séance d'hier, nous avons examiné trente amendements, sur les 1 470 déposés. Je vous laisse calculer le nombre d'heures de séance qu'il nous faudra pour terminer l'examen du projet de loi si nous poursuivons à ce rythme.
Article 1er (suite) : Respect des principes d'égalité, de neutralité et de laïcité par les salariés participant à une mission de service public
La commission examine l'amendement CS1362 de M. Éric Pauget.
Il s'agit d'étendre le principe de laïcité et l'obligation de neutralité religieuse à tous les participants et acteurs d'une mission de service public.
L'amendement vise à répondre aux polémiques qui traversent parfois notre société ; je pense notamment à ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale en septembre dernier, où la présidente de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) était auditionnée – et donc invitée à participer à la mission de service public, celle de l'élaboration de la loi. Dans ce contexte, nous devrions pouvoir appliquer les principes de laïcité et de neutralité religieuse.
Vous visez probablement le port du voile par la présidente de l'UNEF lors de son audition. Seules les personnes qui participent à l'exercice ou aux travaux d'une mission de service public, à titre rémunéré ou bénévolement, sont tenues de respecter les exigences de neutralité religieuse. Mon avis sera donc défavorable.
Distinguez-vous l'accompagnateur et l'encadrant d'une sortie scolaire ? En effet, lorsqu'on encadre, on est acteur de la mission de service public.
En l'espèce, le Conseil d'État considère que ces personnes ne participent pas à une mission de service public.
La commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis de la rapporteure et du ministre, la commission rejette ensuite successivement les amendements CS419 de Mme Emmanuelle Ménard et CS377 de M. Jean-Baptiste Moreau.
Elle en vient aux amendements identiques CS125 de M. Jacques Marilossian et CS410 de M. Xavier Breton.
Il s'agit de rappeler que le projet de loi vise à lutter contre les séparatismes qu'ils soient religieux ou politiques.
Nous en avons débattu hier ; je propose donc de rectifier mon amendement en supprimant la mention du « notamment » à l'alinéa 2 et en remplaçant « et » par « ou » à l'alinéa 4.
Il s'agit effectivement de reprendre la rédaction sur laquelle nous nous sommes accordés hier soir.
S'agissant des opinions philosophiques, je vous rappelle qu'il y a quelques semaines, nous nous étions émus des décrets qui élargissaient le fichage aux opinions politiques, ainsi qu'aux convictions philosophiques et religieuses ou des appartenances syndicales.
La commission adopte les amendements rectifiés.
Elle examine ensuite l'amendement CS171 de M. Xavier Breton.
Ainsi que l'indique le Conseil d'État dans son avis, les dispositions relatives aux titulaires d'un contrat de la commande publique ne doivent pas avoir pour objet, et ne sauraient avoir pour effet, d'écarter un candidat à la passation d'un tel contrat au seul motif qu'il s'agirait d'un organisme se réclamant d'un courant de pensée ou d'inspiration confessionnelle. Il convient de le préciser dans la loi. C'est l'objet de l'amendement.
La rédaction de l'article 1er est suffisamment explicite pour qu'il ne soit pas nécessaire de l'ajouter. Il est évident que telle n'est pas notre intention.
La commission rejette l'amendement.
Elle passe à l'amendement CS426 de Mme Isabelle Florennes.
Il vise à imposer la communication à l'acheteur par le titulaire d'un contrat de commande publique aux fins de l'exécution d'un service public l'ensemble des contrats de sous-traitance qu'il signera pour l'exécution dudit service public.
La communication des contrats de sous-traitance permettra à l'acheteur de s'assurer que son cocontractant a bien fait figurer les clauses contractuelles comprenant les obligations relatives aux principes de laïcité et de neutralité, ainsi que les modalités de contrôle et les sanctions.
L'amendement est intéressant à double titre. Il met en lumière la problématique des sous-traitants mais, surtout, illustre la façon dont pourra être exercé le contrôle, laissé à la libre appréciation des cocontractants. En imposant la transmission des contrats au titulaire, puis à l'acheteur, nous facilitons la tâche des uns et des autres, plusieurs sous-traitants de rang différent pouvant être amenés à collaborer.
Sur le principe, j'y suis évidemment favorable : des sous-traitants agissant pour le compte d'une société qui elle-même exécute une mission de service public pour une collectivité doivent se voir appliquer le principe de neutralité. C'est évident, et la précision me semble superfétatoire. Mais si cela va mieux en le disant, disons-le.
La commission adopte l'amendement.
Elle passe à l'amendement CS427 de Mme Isabelle Florennes.
Il s'agit de s'assurer que chaque sous-traitant, direct ou indirect, qui contribuera à l'exécution du service public aura lui aussi l'obligation de veiller au respect des principes de neutralité et de laïcité.
Je suis plus réservée sur cet amendement, comme sur le suivant, le CS428. Ils me semblent satisfaits. L'obligation pour les sous-traitants de rang inférieur résulte d'une application en chaine d'obligations législatives déclinées dans la relation contractuelle.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CS428 de Mme Isabelle Florennes.
Il s'agit de dupliquer le dispositif prévu dans cet alinéa aux contrats avec les sous-traitants, quel que soit leur rang, afin que les obligations, les modalités de contrôle et les sanctions figurent dans les clauses contractuelles.
J'ai beau lire, cela ne me semble pas aussi évident que vous l'indiquez, madame la rapporteure. Hier déjà, on s'est beaucoup référé à la jurisprudence du Conseil d'État. C'est hasardeux. Les lois doivent être précises pour éviter que quelques-uns se servent d'éventuelles « trappes » dans leur intérêt. Je regrette d'ailleurs que nous ayons rejeté l'amendement précédent, mais nous y reviendrons en séance.
Madame la rapporteure, les délégataires de services publics font de plus en plus souvent appel à la sous-traitance et, parfois, cela peut aller jusqu'à une sous-traitance de cinquième rang. Il est essentiel que le délégataire, mais aussi tous ceux qui participent à la chaine de sous-traitance, soient soumis aux mêmes règles. Pour qu'ils respectent les termes de la loi, il convient que cette dernière soit précise, mais surtout effective, et c'est notre responsabilité, et notre exigence. Chez ces sous-traitants, serons-nous capables d'endiguer des pratiques qui ne respectent pas le principe de neutralité ? Nous ne pouvons uniquement nous référer aux avis du Conseil d'État.
Sans doute m'avez-vous mal comprise, mais la loi le prévoit déjà puisque la chaîne d'obligations législatives est déclinée dans la relation contractuelle. L'amendement est donc satisfait par la rédaction actuelle de l'article 1er.
La commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CS922 M. Charles de Courson.
Il n'est pas nécessaire d'exclure explicitement les sociétés anonymes d'habitations à loyers modérés (HLM) du champ de l'article 1er, car l'exclusion résulte de la rédaction même de l'article : les organismes privés, même désignés par la loi, qui sont soumis à une habilitation, un agrément ou toute autre forme de décision de l'autorité publique, ne sont pas concernés.
J'entends qu'ils ne sont pas concernés car ils sont agréés, mais je souhaiterais qu'ils le soient. S'ils ne le font pas toujours et à tout moment, les organismes de HLM participent malgré tout à l'exécution d'un service public.
Certes, il existe plusieurs types d'organismes : ceux qui dépendent des collectivités locales, les offices HLM, les sociétés HLM privées, etc. Certes, ces dernières font parfois aussi du développement économique. Mais tous ces organismes bénéficient d'avantages fiscaux – certains également de la participation des employeurs à l'effort de construction, également appelée « 1 % logement » – et sont concernés par les obligations imposées par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain, dite SRU. Enfin, ils sont aussi au cœur de la problématique du regroupement communautaire.
Pourquoi les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) seraient-elles concernées et pas les HLM ? Il ne faut pas distinguer les services gérés par le public de ceux gérés par le privé car tous sont bien, initialement, gestionnaires d'habitations à loyer modéré.
La rédaction de l'amendement ne me paraît pas satisfaisante, mais je souhaiterais que nous revenions sur ce point en séance.
Le ministre m'a ôté les mots de la bouche. Pour faire suite à l'adoption de la loi du 23 novembre 2018 relative à l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite ELAN, les organismes HLM avaient jusqu'au 31 décembre 2020 pour opérer des regroupements. Que se passe-il dans nos départements ? On constate qu'ils ont souvent choisi de se transformer en sociétés anonymes (SA). Quel message leur envoie-t-on si, dès les premiers jours de janvier, on leur indique qu'elles ne sont pas concernées ? J'invite la rapporteure à en évaluer les conséquences.
Entre l'examen en commission et la séance publique, début février, nous aurons le temps d'apporter cette précision. Je partage l'analyse du ministre et de M. Vigier. En outre, j'ai été maire d'une commune où opéraient vingt-sept bailleurs de logements sociaux, dont quatorze au sein d'un seul quartier, ultra-prioritaire, de la politique de la ville. Pas un seul n'était un office public.
Si, dans ce type de quartier, la gestion des patrimoines sociaux – incluant en l'espèce l'attribution des logements – n'entre pas dans le champ du présent texte, autant ne pas faire de loi…
J'entends parfaitement les arguments politiques de mes collègues, et les partage sur le fond. Mais je me plaçais ici uniquement sur le plan de la cohérence juridique, afin de ne pas vider l'article 1er de sa substance.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement CS550 de M. Éric Ciotti.
Nous avons évoqué hier les conditions de modification des contrats et délégations de service public afin d'intégrer les dispositions de l'article 1er par le biais d'avenants. Nous avons également souligné l'importance des sanctions si les services concernés ne se mettent pas en conformité avec la loi.
L'article 1er comporte une exception à cette obligation de mise en conformité, qui le vide d'une partie importante de sa substance, et que nous souhaitons donc supprimer : en l'état actuel de sa rédaction, l'obligation ne s'applique pas aux contrats dont le terme intervient dans les trente-six mois suivant la date de publication de la loi.
Mon avis sera défavorable car il faut laisser un peu de temps aux entreprises pour se conformer à ces obligations, qui ne sont pas si faciles à lire.
Monsieur Ciotti, vous trouvez que le délai de trente-six mois est trop long, mais vous ne proposez pas de le réduire – à vingt-quatre mois par exemple – puisque vous supprimez la période de transition. Cet article important va changer la vie de beaucoup d'entreprises et de leurs employés ; un certain équilibre doit donc être respecté. Je vous renvoie d'ailleurs à l'étude d'impact qui précise qu'avant de valider le dispositif juridique de l'article 1er, le Conseil d'État a vérifié que nous avions bien prévu une période de transition.
En outre, monsieur Ciotti, hier, vous avez pris la parole pour estimer que cet article ne changeait rien et visait simplement à inscrire la jurisprudence dans la loi. Aujourd'hui, à l'inverse, il serait fondamental et il faudrait l'appliquer sans tarder. Je vous remercie, par la défense de cet amendement, de mettre en avant l'importance de l'article 1er !
Il ne s'agit pas de supprimer toute transition mais de revenir sur l'exonération qui s'applique aux entreprises dont le terme du contrat intervient dans les trois ans à venir. Trois ans, c'est long !
Sur le fond, rassurez-vous, je reste sur ma position : cet article ne fait que reprendre la jurisprudence, et il n'y a aucune raison qu'il faille attendre trois ans !
La disposition que souhaite supprimer M. Ciotti fait-elle obstacle à l'application de la jurisprudence concernant le principe de neutralité ?
Monsieur Ciotti, je ne peux vous laisser dire que rien ne va se passer pendant trois ans et que le principe de neutralité sera évacué durant cette période. La disposition que vous voulez supprimer ne concerne que les clauses qui doivent rappeler l'obligation de neutralité dans les contrats. La jurisprudence, que nous consolidons – et donc le principe de neutralité – continueront bien sûr à s'appliquer.
Je ne vais pas répéter les arguments que j'ai déjà développés. Mais si vous estimez que le délai est trop long, je suis tout à faire ouvert à la discussion d'ici à la séance publique, en collaboration avec le rapporteur général et la rapporteure.
Monsieur le ministre, vous souhaitez polémiquer ; c'est votre nature et on ne vous changera pas… Ce n'est pas la période de transition qui est visée, mais les contrats qui arrivent à échéance dans les trente-six mois après la publication de la loi. La question de M. Vallaud est donc parfaitement pertinente. Nous avons débattu de la sanction hier soir, monsieur le rapporteur général, et vous nous avez expliqué que, si les termes de l'article 1er ne sont pas respectés et les clauses du contrat non modifiées, la collectivité pourra résilier le contrat ou la délégation de service public. Elle n'aura donc pas la possibilité de le faire dans les trente-six mois suivant la publication de la loi. Trois ans, c'est un temps long pour certains établissements et certaines associations que nous avons évoqués…
La commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CS662 de M. Charles de Courson.
Cet amendement vise à inscrire dans la loi un dispositif de sanction permettant de mettre fin au contrat d'exécution de service public des organismes qui n'assureraient pas l'égalité des usagers, le respect les principes de laïcité et de neutralité du service public. Aucune sanction n'est prévue dans la rédaction actuelle de l'article. Or cela doit être explicitement prévu, le rôle du législateur étant de définir les modalités des sanctions.
Ces dispositions sont de nature réglementaire ou relèvent du contrat. Bien entendu, le droit du contrat peut aller jusqu'à la résiliation.
La commission rejette l'amendement.
Elle en vient à la discussion commune des amendements CS290 de M. Julien Ravier et CS81 de Mme Annie Genevard.
Il s'agit d'exclure du champ d'application de l'article 1er les établissements d'enseignement privés sous contrat et les établissements de santé privés. Nous avons commencé à en débattre hier. Vous estimez que la demande est satisfaite par le biais d'autres dispositions légales.
Mais il est important d'envoyer des signaux forts. En effet, l'article 1er s'applique aux établissements exécutant un service public. Pourquoi donc ne pas préciser ceux qui n'entrent pas dans son champ d'application ?
Stricto sensu, l'association par contrat n'est ni une concession, ni une délégation, ni une prestation, ni même l'exécution d'une mission de service public. Le Conseil d'État a souligné dans son avis – vous avez précisé, monsieur le ministre, que la rectification a été opérée dans l'étude d'impact – que la volonté de renforcer l'obligation de neutralité ne s'étend pas à toute entité chargée d'un service public et qu'elle ne vise pas, notamment, à remettre en cause les dispositions du code de l'éducation relatives aux établissements d'enseignement privé.
Cela étant, sur un point aussi essentiel, qui a été tant débattu au cours de l'histoire, il convient d'être très prudent pour éviter toute insécurité juridique. L'association avec l'État est en effet très proche, à bien des égards, de ce qui est visé dans l'article 1er. Il est donc nécessaire d'être clair quant à l'étendue des organismes privés concernés.
L'article 1er, qui consacre l'application du principe de neutralité au délégataire du service public, est essentiel. Cette reconnaissance législative d'un principe jurisprudentiel constitue une avancée. On peut déduire de la rédaction du I de l'article 1er un certain nombre d'exclusions, qui concernent notamment les ESPIC et les établissements d'enseignement confessionnel. Je suis évidemment très favorable à l'extension du principe de neutralité – qui concerne par exemple les sociétés HLM et les services exploitant les lignes à grande vitesse (LGV). Cela conduit à limiter les restrictions prévues par le texte. Si on faisait sortir les établissements privés d'enseignement confessionnel sous contrat et les établissements de santé privés d'intérêt collectif (ESPIC) du champ des exclusions, on reviendrait, pour ce qui concerne ces derniers, à un principe très large. La précision que vous proposez ne me semble absolument pas nécessaire juridiquement, compte tenu de la rédaction actuelle.
Je redis à Mme Genevard que les ESPIC et les établissements d'enseignement privé sous contrat sont exclus du champ de l'article, par nature et par construction. Une difficulté vient du fait que les établissements privés sous contrat ne forment pas une catégorie homogène et ne sont pas tous associés au service public. Pour reprendre le raisonnement suivi hier par Mme Rossi lors de la présentation de son amendement CS1306, concernant les LGV, il faut commencer par définir le service public pour déterminer si le principe de neutralité s'applique. Il me semble que notre rédaction permet d'exclure les établissements d'enseignement privé sous contrat – lesquels concourent, dans certains cas, à l'exercice d'une mission de service public. Je vous propose de retirer vos amendements, afin que nous puissions en rediscuter avec Mme la rapporteure et, le cas échéant, après une analyse juridique, préparer un amendement pour la séance.
La question mérite d'être posée, et je vous remercie d'en prendre acte, monsieur le ministre. Il s'agit de sécuriser le caractère propre de certains établissements. Ce qui va sans dire va mieux en le disant, surtout sur des sujets aussi sensibles, qui ont donné lieu à des tentatives de remise en cause dans notre histoire récente. Je retire l'amendement afin qu'on y retravaille en vue de la séance.
Je voudrais moi aussi que l'on précise ce point. Il serait inconcevable d'interdire l'expression du fait religieux au sein d'une école privée confessionnelle, qui assume une mission de service public. Cela suscite l'inquiétude, notamment de la part de ces établissements. Même si le code de l'éducation le prévoit, il faut préciser à nouveau que ces établissements sont exclus du champ d'application de la loi.
Les amendements sont retirés.
La commission examine les amendements CS928 et CS948 de M. Charles de Courson.
L'amendement CS928 concerne les cantines scolaires non exploitées en régie. Si elles sont en régie, il s'agit d'un service public. Qu'en est-il lorsqu'elles sont gérées autrement ? Quelle est la portée du principe de neutralité pour les cantines gérées en régie ainsi que pour celles qui ne le sont pas, dans l'hypothèse où ces dernières entreraient dans le champ du texte ? A-t-on le droit de proposer des repas casher, hallal ou autres ?
L'amendement CS948 concerne les haltes-garderies de droit privé, auxquelles les communes, les intercommunalités laissent l'usage de bâtiments, souvent gratuitement, prennent en charge le coût du chauffage, parfois du nettoyage… La crèche est gérée par une association, qui a la liberté de fixer les tarifs – souvent calés sur ceux de la caisse d'allocations familiales (CAF) pour bénéficier des aides de cette dernière.
Ces deux activités entrent-elles dans le champ de l'article – ce qui justifierait, le cas échéant, le vote de mes amendements ? Surtout, quelle est la portée du principe de neutralité pour ce type de service public, si telle est l'interprétation que vous donnez du texte ?
S'agissant de l'amendement CS928, le Conseil d'État, dans une décision du 11 décembre 2020, a affirmé que les « principes de laïcité et de neutralité du service public ne font pas, par eux-mêmes, obstacle à ce que les usagers du service public facultatif de la restauration scolaire se voient offrir un choix leur permettant de bénéficier d'un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses. » Cet arrêt est de nature à vous éclairer sur la portée du principe de neutralité.
S'agissant de l'amendement CS948, les crèches et haltes-garderies de droit privé auxquelles aucune mission de service public n'a été confiée n'entrent pas dans le champ de l'article 1er. Les établissements privés qui se voient confier une mission de service public n'y entrent pas davantage, car l'article exclut les organismes privés, même désignés par la loi, lorsqu'ils sont soumis à une habilitation, un agrément ou toute autre forme de décision de l'autorité publique. Or, les établissements qui accueillent de jeunes enfants sont soumis à une autorisation délivrée par le président du conseil départemental après avis du maire de la commune d'implantation.
Le Gouvernement a un avis défavorable sur votre amendement CS948. Pour déterminer l'existence d'un service public, il faut se fonder sur certains critères, comme on l'a vu à propos des lignes ferroviaires, et non sur le domaine d'activité.
Le service de la cantine scolaire est facultatif mais, une fois qu'il est institué, les collectivités locales n'ont pas le droit de refuser des enfants, que ce soit pour des motifs tenant à l'origine de la famille ou au comportement. Il existe peu de dispositions législatives sur les cantines. La loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté prévoit que les enfants scolarisés sont inscrits de droit à la cantine lorsque le service existe. L'article L. 131-13 du code de l'éducation proscrit toute discrimination selon la situation des enfants.
La plupart des cantines offrent un choix, grâce au self-service ou à plusieurs menus ; les menus alternatifs ou de substitution permettent de respecter les prescriptions religieuses. Toutefois, des collectivités refusent les dérogations au menu commun, les enfants étant libres de ne manger que ce qu'ils souhaitent. Cette solution est acceptée lorsque la collectivité démontre que, compte tenu de sa situation budgétaire ou du nombre de repas servis, elle n'a pas les moyens ou la possibilité de proposer plusieurs menus. Dans les collectivités d'une certaine taille, le juge administratif relève un détournement de pouvoir lorsque la décision est prise, de manière implicite ou explicite, pour écarter les élèves pratiquant une certaine religion – notamment l'islam – des cantines scolaires. La jurisprudence est claire : la délibération municipale de Chalon-sur-Saône, qui avait supprimé les menus de substitution, a été annulée par la cour administrative d'appel de Lyon puis par le Conseil d'État. M. Person a déposé un amendement à ce sujet.
Une autre question est de savoir si on peut proposer des repas communautaires – et non de substitution. Au vu des analyses que nous avons menées, cela n'est pas explicitement interdit aux collectivités locales. Cependant, à la suite d'un pourvoi formé par un détenu du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, contestant le refus de servir des repas hallal aux détenus musulmans, le Conseil d'État a estimé que « l'administration pénitentiaire n'est pas tenue de garantir aux personnes détenues, en toutes circonstances, une alimentation respectant leurs convictions religieuses ». Toutefois, a-t-il précisé, « il lui appartient de permettre, dans toute la mesure du possible […] l'observance des prescriptions alimentaires résultant des croyances et pratiques religieuses. »
Ce qui n'est pas interdit étant autorisé, on peut penser que des repas communautaires – hallal ou casher – pourraient être servis dans les cantines scolaires. Comme ce n'est pas un service public obligatoire, il est à peu près certain qu'on doit proposer des repas différenciés si les moyens budgétaires le permettent. Selon le Conseil d'État, « le gestionnaire ne peut […] modifier les modalités d'organisation et de fonctionnement [du service public de la cantine] que pour des motifs en rapport avec les nécessités strictes du service. »
Avis défavorable, puisque les cantines scolaires disposent d'une certaine liberté.
Si une commune peut proposer du casher ou du hallal, en sens inverse, les familles ont-elles le droit d'exiger des élus ce type d'alimentation ? Autrement dit, les communes doivent-elles, au nom du principe de neutralité, offrir une diversité alimentaire en fonction de la composition ethnique ou religieuse des enfants ?
Comme l'a dit le ministre, une municipalité peut proposer des repas casher ou hallal. Si un enseignant demande à en bénéficier, il y a droit. De son côté, l'armée en propose.
Vous nous dites que la loi s'appliquera aux crèches, mais nombre d'entre elles sont confessionnelles, tout en étant financées par des fonds publics, un peu à l'image des écoles – même si elles n'obéissent pas au même statut. Si je comprends bien, sitôt la loi votée, le personnel devra respecter le principe de neutralité. Les conséquences ne seront donc pas anodines pour les employeurs.
Monsieur de Courson, je n'ai pas trouvé de jurisprudence faisant droit à cette exigence. Toutefois, en faisant le parallèle avec la décision du Conseil d'État concernant le centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, on peut considérer qu'il n'y a pas de droit à obtenir un repas communautaire. Si j'interprète correctement la jurisprudence, un parent ne peut donc l'exiger.
Monsieur Pupponi, il me semble que les crèches font déjà partie du service public. Ce n'est pas parce qu'elles sont confessionnelles que le personnel ne respecte pas le principe de neutralité. Aucune discrimination ne peut être faite entre les salariés. On peut être salarié d'un établissement confessionnel sans devoir faire état de ses opinions politiques et religieuses. L'affaire Baby-Loup concernait un établissement financé par des fonds privés, et non une crèche publique. Si les critères démontrent qu'une crèche constitue un service public, les agents sont soumis au principe de neutralité – le projet de loi ne fait que le réaffirmer. En revanche, dans un établissement privé, les agents peuvent porter des signes ostensibles si le règlement intérieur le permet.
Je retire l'amendement CS928. S'agissant des crèches et des haltes-garderies, la situation n'est pas si claire que cela. Vous n'avez pas tout à fait répondu à François Pupponi : au regard du texte, des crèches financées par des fonds publics pourront-elles recruter leur personnel sur des critères exclusivement religieux, philosophiques, ethniques ?
Les critères du service public sont cumulatifs. Par ailleurs, ce n'est pas parce que 10 % des ressources de l'établissement proviennent de la CAF que cette qualification sera retenue. À la suite d'un recours lié à l'application du principe de neutralité, le juge peut requalifier une halte-garderie en service public, si, par exemple, il constate que la subvention publique dépasse 50 % des ressources, que le bâtiment a été nommé par la mairie, que le maire siège au conseil d'administration… En revanche, une faible subvention publique ne suffira pas à établir cette qualification. Peut-être certains d'entre vous ont-ils, comme moi, accordé des fonds provenant de la réserve parlementaire pour la réalisation de travaux dans des maisons d'assistants maternels (MAM) privées ? L'attribution de ces crédits n'était pas liée au respect du principe de neutralité. Lorsque le service public est reconnu, sur le fondement de critères organiques, la neutralité s'applique ; dans le cas contraire, elle ne s'applique pas.
Je retire l'amendement CS948. Je regrette qu'on s'en remette toujours au juge administratif pour définir le service public. Nous n'avons pas défini les critères de la qualification, qui ne sont d'ailleurs pas cumulatifs : le juge utilise un faisceau d'indices. Il me paraît regrettable que nous ne les définissions pas dans la loi, au regard de notre compétence.
Les crèches peuvent être gérées dans le cadre d'une régie, d'une délégation de service public ou par une personne privée – association ou entreprise. Dans ce dernier cas, même si l'établissement bénéficie de subventions publiques, il a un caractère privé. L'article 1er fait référence à la délégation de service public et au contrat de service public. Soit une crèche entre dans cette catégorie, soit elle n'y entre pas : il n'existe pas trente-six statuts. L'accueil de la petite enfance n'obéit pas au même régime que l'école.
Les amendements CS928 et CS948 sont retirés.
La commission adopte l'article 1er modifié.
Après l'article 1er
La commission est saisie de la discussion commune des amendements CS28 de Mme Annie Genevard, CS94 de Mme Anne-Laure Blin et CS555 de M. Éric Ciotti.
L'amendement CS28 vise à modifier l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation, qui dispose que « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. » Je propose d'étendre cette disposition aux établissements publics d'enseignement supérieur. Autrement dit, il s'agit de traiter la question – qui sera certainement débattue – du voile à l'université.
La liberté religieuse n'est pas absolue ; elle doit s'exercer dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d'enseignement et de recherche, et qui ne troublent pas l'ordre public. Vous le savez, depuis quelques années, on assiste à un accroissement des revendications religieuses et communautaristes dans l'enseignement supérieur. Les alertes se multiplient. Beaucoup d'entre vous ont certainement lu la remarquable enquête d'un hebdomadaire sur ces « nouveaux fanatiques », pour reprendre son titre.
Dans le cadre de nos auditions, nous avons entendu, le 7 janvier dernier, Gilles Denis, fondateur et coordonnateur du collectif Vigilances Universités, qui a précisé que les associations traditionnelles d'élèves sont touchées les unes après les autres par les lignes indigénistes. Ces problématiques communautaires sont patentes et connues. Elles entravent manifestement le travail académique des enseignants, qui constatent toutes sortes de dérives. Dès lors qu'ils s'en émeuvent et les combattent, ils sont voués à la détestation, au lynchage sur les réseaux sociaux – ce que les Américains appellent la cancel culture, qui gagne progressivement notre pays.
Dans un arrêt Leyla Sahin contre Turquie du 10 novembre 2005, la Cour européenne des droits de l'homme, en se fondant sur la nécessité de respecter la liberté de conscience et les convictions de chacun, a considéré que la réglementation turque visant à interdire le port de signes religieux dans les établissements d'enseignement supérieur était justifiée et proportionnée au but recherché. Vous voyez que d'autres pays, que l'on n'aurait pas soupçonnés d'une telle rigueur, se sont prononcés très clairement en faveur de l'interdiction du port de signes religieux à l'université. Il faut ouvrir ce débat, qui me semble salutaire.
L'amendement CS94 vise à insérer, au premier alinéa de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation, après le mot « lycées » les mots « et les universités ». Il s'agit d'appliquer à l'université l'interdiction du port de tenues ou de signes religieux ostentatoires – sujet totalement passé sous silence par le projet de loi.
À l'image des fédérations sportives et des associations, les universités sont devenues progressivement la proie du prosélytisme religieux et du communautarisme. Le rapport sur la laïcité de 2003 ne préconisait pas l'interdiction du port du foulard islamique à l'université, mais la situation n'est plus la même. Le débat doit avoir lieu. Si la laïcité s'impose aux personnels des universités, il n'en est pas de même pour les usagers, c'est-à-dire les étudiants. Il s'agit, par cette proposition, de mettre sur un pied d'égalité les personnels universitaires et les étudiants, afin que l'on soit plus à même de vivre ensemble les principes de la République.
Nous arrivons à un moment important du débat. Je souhaite, comme mes collègues, interdire le port de signes religieux ostensibles à l'université – pour être clair, je veux parler du voile islamique – ou islamiste. Vous refusez de citer les maux. Pour notre part, nous estimons que nous avons le devoir et la responsabilité de les affirmer. Ce débat honorerait notre assemblée et marquerait une avancée considérable, dans la lignée des grands textes qui ont fondé et fait évoluer la laïcité.
Je voudrais rappeler le courage du président Jacques Chirac, qui a posé les fondements de la grande loi du 15 mars 2004, à laquelle certains ont opposé des arguments que, vraisemblablement, nous allons entendre à nouveau dans quelques instants. Le président Sarkozy a fait preuve du même courage pour interdire, dans la loi du 11 octobre 2010, la dissimulation du visage dans l'espace public, c'est-à-dire le port de la burqa. La circulaire Chatel de 2012 a traduit la même volonté. Nous devons avoir le même courage, car la situation est grave. Je ne saurais tolérer que l'université, temple des savoirs, de la raison, de la science, admette en son sein le port d'un vêtement qui est un instrument d'asservissement de la femme.
Je voudrais citer le propos tenu, lors de l'affaire de Creil, en 1989, par le recteur de la Grande mosquée de Paris. Il affirmait : « Le Coran est clair, il recommande à la femme musulmane de se couvrir pour éviter toute forme de séduction […]. Le voile a cette fonction : couvrir ce qui peut être attirant chez elle ». Comment tolérer cela dans notre République ? C'est ce débat qu'on doit ouvrir, sans tabou, avec courage, monsieur le ministre. Des députés de la majorité font preuve, sur d'autres sujets, d'un courage que je salue et qui leur vaut des menaces de mort.
Mes chers collègues, vous avez rappelé que les principes de neutralité et de laïcité ne s'appliquent pas aux usagers du service public. Vous avez également fait référence à la loi de 2004, qui interdit le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, les collèges et les lycées publics. Cela constitue une exception dans notre droit. Faut-il étendre l'interdiction qu'elle prévoit à l'université ou aux établissements d'enseignement supérieur ? Les étudiants ne sont pas des enfants en construction. En outre, l'université est un lieu d'échange d'idées et doit être ouverte sur le monde.
Lors des auditions que nous avons menées, le président de l'Association des maires de France (AMF) a rappelé les conditions d'élaboration de la loi de 2004 et notamment la commission Stasi. Je reprendrai l'une des phrases de conclusion de son rapport : « Il n'est pas question d'empêcher que les étudiants puissent y exprimer leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques. »
Le débat n'est pas tronqué : nous parlons en effet du voile depuis quasiment vingt-quatre heures. M. Pupponi a bien résumé la situation à son propos en évoquant une part de liberté et une autre de provocation ou d'entrisme – je ne l'ignore pas. C'est vrai aussi dans certains établissements universitaires.
En tout cas, le débat est plus compliqué que tel que vous l'avez présenté car, à la différence de la France, la Turquie n'a pas de Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dont l'article 10 dispose que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses […] ». À coup sûr également, nous nous adressons à des adultes, et non à des citoyens en construction, c'est-à-dire à des enfants, ce qui rend le parallèle avec l'interdiction des signes religieux ostentatoires à l'école hasardeux.
Sans entrer dans un autre débat visant à déterminer si le voile répond à une prescription religieuse, peut-on limiter la liberté d'expression et d'opinion des adultes, même religieuse, à l'université, pour des motifs soit d'ordre public, dont le législateur a usé pour interdire la burqa, soit pour d'autres, relevant de la lutte contre le séparatisme ? Le fait que ce soit à l'université constitue une « circonstance aggravante ». La liberté d'enseignement des professeurs d'université, comme la liberté d'expression des parlementaires, est d'ailleurs particulièrement consacrée par le droit constitutionnel. Le motif de troubles à l'ordre public tel que l'entend la jurisprudence administrative ne peut être invoqué. Mais la question reste ouverte s'agissant de la lutte contre le séparatisme.
À coup sûr cependant, une telle disposition ne relève pas de la loi ordinaire. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que l'article 1er de la Constitution, permettraient d'interdire à toute personne d'imposer le port d'un vêtement religieux quelque part, en raison de la liberté absolue en la matière, mais n'autoriseraient pas le retrait d'une expression, même religieuse, quand bien même celle-ci nous gênerait. Comme je l'ai dit hier, la gêne ne doit pas forcément inspirer la loi.
S'ils lancent un débat politique, de tels amendements encourent la censure du Conseil constitutionnel. Du reste, personne n'a jamais osé inscrire dans la loi les dispositions de la circulaire Chatel sur les mamans accompagnatrices de sorties scolaires dans l'enseignement public. Le ministre de l'éducation de l'époque avait indiqué qu'il faudrait sans doute modifier la Constitution pour le faire.
C'est donc pour des raisons tant de forme que de fond que le Gouvernement est défavorable aux amendements.
Je rappelle que le président de la commission est censé avoir jugé irrecevables tous les amendements relatifs au voile. Nous en avons la démonstration cet après-midi…
L'article L. 141-6 du code de l'éducation précise que : « Le service public de l'enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique […]. »
En outre, le principe de neutralité des agents publics reste intangible à l'université comme dans le reste de la fonction publique. Un étudiant ne peut en outre arguer d'une prescription religieuse pour récuser un examinateur ou être dispensé du suivi d'un cours.
L'enseignement supérieur français se caractérise par ailleurs par un équilibre entre d'une part la liberté de conscience et d'opinion des étudiants et d'autre part le respect de l'ordre public et de l'absence de tout prosélytisme.
Enfin, s'agissant de votre amendement qui porte sur l'article L. 141-5-1 du même code, la situation de l'enseignement supérieur n'est pas comparable à celles des écoles, collèges et lycées publics, en raison de l'âge des élèves. Sa mission est bien différente puisqu'elle s'adresse à des adultes. À cet égard, je n'apprécie pas du tout vos propos s'agissant de nos étudiants et plus particulièrement de nos étudiantes, que vous refusez en quelque sorte de traiter comme les adultes qu'elles sont. Je trouve cela extrêmement grave et irrespectueux.
Si je respecte votre opinion, madame, je ne la partage pas. Dans cette maison, aucun débat n'est interdit. Le législateur doit régler les problèmes de la société : s'il y reste sourd, à quoi sert-il ? Si la loi ne protège pas, à quoi sert-elle ?
Le ministre a évoqué la liberté religieuse. Or si elle est constitutionnelle, elle n'est pas sans frein ni sans limite. Elle n'autorise pas en particulier que l'on porte atteinte aux activités d'enseignement. Les enseignants et les chercheurs ne cessent d'alerter l'opinion publique sur le danger que courent certains établissements.
Notre débat est donc légitime. Le refuser, c'est méconnaître le rôle du parlementaire et du Parlement.
Comme les rapporteurs, je distinguerai l'enseignement secondaire de l'université, qui concerne des adultes et qui vise l'apprentissage d'une spécialité et d'un métier.
Si le voile est un signe religieux, il n'est pas nécessairement synonyme de prosélytisme d'un islam radical et politique. Cachez ce voile que je ne saurais voir… Devons-nous cloîtrer toutes ces femmes qui font le choix, assumé ou influencé, de le porter ?
C'est à l'université que j'ai vu pour la première fois une femme en porter un. Certes, c'était il y a vingt-six ans et les choses ont certainement changé depuis. En tout cas, cette vision ne m'a ni agressée ni agacée. J'ai au contraire ressenti une certaine fierté à voir qu'une telle différence était acceptée sans aucune polémique.
Combattre l'islamisme politique, ce n'est pas combattre le voile. Oui, c'est parfois un signe de communautarisme, de séparatisme mais ce n'est pas toujours cela. Quelles seraient les conséquences d'un tel amendement sur ces jeunes filles, qui ont fait le choix de porter un voile et d'aller à université ? Je crains qu'elles ne gardent leur voile et cessent d'aller à l'université.
Monsieur le président, de notre point de vue, vous avez censuré à tort des amendements puisque depuis hier on ne fait que discuter du voile !
Le critère de recevabilité n'a pas été le voile mais le lien avec l'un des articles du projet de loi.
Le débat a déjà eu lieu en 1905 : le député Charles Chabert voulait interdire le port de la soutane, la considérant comme un attribut catholique radical et ultramontain. Selon certains, il fallait libérer les prêtres de ce courant conservateur de l'église catholique. Aristide Briand s'y était opposé.
C'est un débat de fond. En disant que le port du voile n'était pas souhaitable en France, le ministre de l'éducation M. Blanquer n'a fait que remettre une pièce dans une machine infernale. Certains s'opposent ici non pas aux signes religieux mais à ceux d'une religion. Lorsque j'étais à l'université, nombre des membres de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) portaient la kippa sans que cela pose de problème. Et il en était de même pour le voile. Interdire ce signe religieux au motif que davantage d'étudiantes le portent traduirait une incompréhension de la laïcité, un athéisme d'État.
Nous devons cependant empêcher que le savoir y soit remis en cause.
Il est bon de parler de ce sujet de manière apaisée.
Auditionné au Sénat le 13 décembre 2019 M. Youssef Chieb, professeur associé à l'université Paris-XIII, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), indiquait : « En tant qu'universitaire à Paris XIII où j'enseigne tous les vendredis, je ne sais pas si je suis dans une université ou dans une mosquée. Les jeunes filles portent de manière ostentatoire non seulement le voile islamique mais carrément le hidjab et le niqab et personne ne peut changer cette réalité alors qu'elle devient de plus en plus visible. »
Ce débat est tranché depuis 1905 et la loi qui a défini notre conception d'une laïcité de l'État et non de la société. Les étudiants sont précisément des usagers du service public, et ce ne sont plus des enfants.
Les propositions ne sont pas exemptes de caricatures et d'amalgame, comme lorsque nos collègues du groupe Les Républicains ont proposé une mission d'information portant sur les dérives intellectuelles et idéologiques dans les milieux universitaires. Il est vrai que, sur cette question comme sur celle du voile, M. le ministre de l'éducation nationale n'avait pas manqué d'apporter sa touche personnelle.
Le président de la Conférence des présidents d'université (CPU) nous a fait savoir par courrier qu'il ne souhaitait pas nous voir remettre en cause la loi existante : « Y voir une menace relève d'une défiance à l'encontre des universitaires qui seraient jugés inaptes à former des esprits libres et à ouvrir de nouveaux champs de connaissance. C'est aussi mépriser les étudiants en les tenant pour incapables d'exercer leur esprit critique et de prendre distance avec leur croyance. Accueillant des élèves de nombreux pays, l'université ne souhaite pas renoncer à toute ouverture internationale profondément ancrée dans la tradition universitaire. La vraie menace réside dans le risque d'intrusion des religions et des idéologies diverses dans la science, le contenu des enseignements et les champs de recherche, au mépris de la liberté de chaque enseignant d'exprimer sa pensée et de la liberté des étudiantes et des étudiants inscrits d'assister aux enseignements dispensés. »
L'enseignement supérieur est un lieu de débat et de recherche entre adultes : chacun, enseignant ou étudiant, doit pouvoir y venir avec ce qu'il est. Un signe religieux n'y constitue pas systématiquement une agression. Laissons les professeurs faire leur travail. L'essentiel est que la science reste la science. N'aseptisons pas notre société ! N'aseptisons pas notre université ! Mais ne soyons pas naïfs pour autant : ce qui relève de la contrainte est déjà condamné par la loi.
Je suis de ceux qui pensent que ce débat n'a pas grand-chose à faire dans le cadre de l'examen de ce texte, sauf à assimiler islam politique et voile.
Les députés n'ont pas vocation à dire comment les religions doivent être pratiquées par les uns et les autres. Il revient aux Françaises de décider si elles souhaitent ou non porter le voile. Je n'y suis pas favorable, mais je défendrai celles qui veulent le faire et qui ne sont pas des agents infiltrés de l'islam politique.
Il faut respecter la tradition de liberté d'expression, de formation d'esprits libres au sein de l'Université. Empêcher des femmes voilées de la fréquenter serait à mon sens contre-productif. Il faut même tout faire pour qu'elles y aillent, afin de rencontrer l'autre et de former leur esprit. Elles décideront ensuite, en connaissance de cause, si elles continuent de se voiler à défaut, nous aurons des ghettos de femmes voilées, qui se formeront ailleurs.
Ce pays, et c'est l'une de ses richesses, nous permet de regarder dans la même direction avec nos cultures et nos religions différentes. L'Assemblée nationale n'a pas à perpétuer des clones ou une certaine idée de la France.
Il faut en effet que nous parvenions à établir un socle commun de valeurs républicaines en nous interrogeant sur le cadre que nous souhaitons pour notre République et pour nos établissements d'enseignement supérieur. Il ne s'agit pas de jeter la pierre à tel ou tel. La communauté universitaire est confrontée à des difficultés où le port de signes ostentatoires a créé des tensions palpables. Ne pas figer un cadre de valeurs reviendrait à laisser nos enseignants et nos personnels se débrouiller seuls. Vous écartez le problème au motif que ces étudiantes sont des adultes. Doit-on en déduire que des amendements jugés irrecevables auraient pu être votés puisqu'ils concernaient des enfants ?
Enfin, l'enseignement supérieur ne se résume à l'université : certains étudiants suivent leurs cours en classe de BTS ou en classe préparatoire. Or le port du voile est proscrit dans ces établissements.
La loi de 2004 avait trouvé un juste équilibre entre la liberté de conscience et les principes de la laïcité. Le niqab est totalement interdit parce qu'il cache le visage : il ne devrait donc pas être autorisé à l'université puisque cela va à l'encontre de la loi.
Nous devons en outre protéger la liberté de conscience et le respect des convictions des étudiants. Nous devons aussi garantir le respect de l'ordre public et l'absence de tout prosélytisme religieux par la parole et l'imposition de débat ou le refus de débattre. En cas de troubles à l'ordre public, la loi peut précisément intervenir. Ce n'est pas le vêtement qui est visé.
En cas de non-respect des règles, le président d'université peut user de son pouvoir de police. Il peut exclure, même définitivement, certains étudiants.
Certes, on peut s'interroger mais finirons-nous par exclure le port du boubou au motif qu'il n'est pas assez républicain ou pas assez français ? On peut combattre le prosélytisme religieux sans s'en prendre aux vêtements.
Estimons-nous que porter des signes ostentatoires constitue un risque de prosélytisme, notamment religieux ? L'envisager c'est faire peu de cas des personnes majeures qui fréquentent l'université.
Voter les amendements nous ferait courir le risque d'exclure celles qui refuseraient de les retirer. Qu'y aurons-nous gagné ? Rien. Nous aurons au contraire conforté le séparatisme. La sagesse serait donc de les rejeter.
Le port du voile à l'université, sujet très important, n'est cependant pas le point central de notre débat. Il importe de souligner que les établissements d'enseignement supérieur, les écoles sont également concernés. Il faut aussi rappeler que si l'on interdit le voile, il faut également interdire les autres signes ostentatoires religieux comme la kippa et la croix. En outre, tout ne se résume malheureusement pas au port du voile. Je veux parler des tendances indigénistes, de la censure ou du boycott de certains cours, des discussions provoquées ou interdites, des réunions racisées, du désaveu de certains professeurs, autant d'événements gravement perturbateurs de la vie de l'Université. Enfin certains enseignants, qui ne doivent pas porter le voile, portent en revanche des discours et des contre-discours.
Lorsque j'enseignais dans l'enseignement supérieur, certaines de mes étudiantes étaient voilées, mais à aucun moment elles n'ont perturbé mon cours. J'aurais réagi si elles l'avaient fait. Celles qui portent le voile à l'université ne sont pas significativement perturbatrices.
L'université est un lieu de débat, d'échanges et d'expression entre adultes. Il faut y conserver cette liberté de conscience et religieuse.
Si certaines étudiantes se cachent le visage, elles tombent sous le coup de la loi, si une religion ou une autre se livre à du prosélytisme, ou si des perturbateurs discutent de la liberté d'enseignement des professeurs, l'université doit faire cesser de tels comportements.
Tout cela est causé non pas par un vêtement, mais par la volonté de remettre en cause la liberté de pensée, de conscience et d'enseignement contre laquelle nous avons les moyens d'agir.
Effectivement, la laïcité implique la neutralité de l'État et le respect par celui-ci de la liberté de conscience. À l'université, de jeunes majeurs apprennent l'esprit critique en faisant leurs humanités. Or quoi de plus beau que d'apprendre l'autre, y compris dans sa différence ?
J'ai auditionné l'association Étudiants musulmans de France (EMF). Deux de leurs représentantes – étudiantes voilées, libres et épanouies – m'ont livré un message qui pourrait se résumer ainsi : merci, nous allons bien et sommes heureuses de mener des études qui nous permettront de nous intégrer professionnellement. Elles déploraient juste de ne pas être intégrées dans certaines associations universitaires sportives.
Par pitié, ne les mettons pas en difficulté ! Ne les amenons pas à rompre avec l'université !
La question du voile n'a rien de tabou. Il est même bon de la poser.
Les universités font partie du service public de l'éducation, mais concernent des personnes majeures. Elles sont ouvertes au monde et dépositaires d'une tradition médiévale d'accueil. Lieux de transmission du savoir, elles ont une forte dimension internationale et une pleine ouverture à la société. L'enseignement supérieur ne saurait donc se donner pour objet d'ordonner la vie privée et personnelle des étudiants. Les universitaires, qui se sont exprimés, réclament avant tout que le législateur n'intervienne pas. Imaginez donc quelle résonance aurait cette loi si elle comportait une interdiction du voile à l'université !
Je souscris aux propos de Mme Buffet. J'ajoute qu'il ne faudrait pas se tromper de combat. Comme l'a dit Mme Genevard, il y a une montée inquiétante d'une idéologie fondée sur le racialisme, le séparatisme racial, l'indigénisme, le décolonialisme, qui expose nos jeunes à un discours qui divise et qui met l'accent sur nos différences plutôt que sur ce qui nous rassemble. Il faut savoir mener ce combat, c'est vrai, sur le plan politique – les présidents d'université par exemple y ont un rôle : la paix sociale ne s'achète pas à n'importe quel prix dans nos universités – mais le lien avec la religion qu'opèrent les amendements me paraît hasardeux. Surtout, il ne faut pas prendre en exemple des cas qui tombent déjà sous le coup de la loi et qui montrent une nouvelle fois que celle-ci n'est parfois pas respectée comme elle le devrait dans nos universités. Cela soulève la question de la responsabilité de ceux qui sont chargés de la faire respecter.
Le groupe Agir ensemble votera contre ces amendements. D'abord, l'université est le lieu de la liberté. Y vont des hommes et des femmes majeurs, qui ont cheminé sur le plan politique, philosophique et religieux, ce qui est très différent des collèges ou des lycées. Voter ces amendements, ce serait considérer ces femmes dont on parle comme des mineures, pas comme des majeures dotées de leur liberté de vision et de pensée. Je suis d'accord avec un certain nombre d'arguments qui rappellent les dangers du prosélytisme, du boycott des cours, du voile intégral, mais tout cela est déjà sanctionné, car la loi est déjà intervenue dans ces domaines. Cette dérive de l'islamisme radical politique doit évidemment éveiller nos consciences et notre vigilance, mais interdire le voile à l'université ou dans l'enseignement supérieur, c'est dire que toutes les femmes qui portent le voile posent problème, et donc que l'islam pose problème. Or ce n'est pas l'islam, pas une religion qui pose problème dans la République : c'est quand on dévoie une religion, qu'on l'instrumentalise sur le plan politique, qu'on verse dans des dérives d'entrisme, de séparatisme, ce qui est le cas par exemple de l'islam radical. Ce ne sont pas les femmes qui ont décidé de porter le voile à l'université qu'il faut condamner, c'est le prosélytisme.
Ce que le législateur de 1905 a voulu, c'est une triple protection : une protection des individus, libres de choisir une religion, d'en changer, d'en sortir ou de ne pas en avoir ; une protection pour les groupes religieux, puisque la laïcité garantit l'exercice des cultes ; et une protection pour la société, car avec la neutralité des institutions publiques, la laïcité doit assurer l'égalité des droits de tous les citoyens, ni plus ni moins.
Dans ce débat essentiel, madame Brugnera, il n'y a pas d'attitude irrespectueuse, ou alors je pourrais retourner l'argument : l'irrespect, les étudiants qui ne portent pas de signe religieux ostensible et à qui sont imposées les marques d'une appartenance religieuse le subissent aussi. Le respect marche dans les deux sens.
Si j'entends la logique de M. Bournazel, c'est la République qui doit s'adapter à une règle religieuse, quelle qu'elle soit, et donc aux règles de l'islam – en admettant que ce dont nous parlons soit une de ses règles d'ailleurs, puisque le débat existe. Mais non ! C'est à la religion, quelle qu'elle soit, et notamment à l'islam, de s'adapter aux lois de la République. C'est cela l'idée qu'il faut défendre. Il faut le faire avec courage. Je sais que c'est difficile, que cela peut susciter des tensions, mais où en serons-nous dans dix ans si nous n'avons pas ce courage aujourd'hui ? Je pose la question en pensant à ceux qui l'ont eu en 2004.
Pour finir, je veux citer trois auteurs que je respecte et dont j'ai pu soutenir certaines positions, même si je ne partage pas leurs engagements actuels. D'abord, le ministre de l'éducation nationale, selon lequel le voile n'est pas souhaitable dans notre société. Ensuite, le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, disant hier que le voile peut signer l'asservissement et qu'il peut aussi signer un choix. Tolérer quelque chose qui signe un asservissement, cela me semble choquant. Et enfin vous-même, monsieur le ministre, écrivant dans Plaidoyer pour un islam français. Contribution pour la laïcité en 2016 « La multiplication des signes ostentatoires religieux à l'intérieur même des cours de l'enseignement public supérieur pose la question du prosélytisme. »
Ce débat a lieu entre nous parce qu'il a lieu dans la société. Il doit être apaisé, certes, mais pas simplifié : la simplification, c'est l'intempérance, monsieur Ciotti, et sur des sujets aussi complexes, rien n'est pire. Il m'a semblé que certains aspects de vos propos faisaient polémique. Nous voulons traiter ce sujet sans polémique, froidement, et très fermement.
Il a été question des majorités qui ont agi, en 2004 ou 2010 : ont-elles réglementé l'usage du voile dans l'enseignement supérieur ? Non. En effet, le rapport Stasi de 2003 est très clair sur ce sujet, et d'une certaine façon assez définitif. L'objet du débat, rappelle-t-il, ce sont des personnes majeures, comme nous, à l'Assemblée nationale, qui sont capables d'exercer leur savoir critique, et ce dans un lieu de liberté, comme le disait Pierre-Yves Bournazel – la liberté du savoir, du savoir critique. Pour reprendre la discussion d'hier soir, madame Genevard, le voile, en tant que tel, est-il un signe de repli communautaire ? De séparatisme ? D'appartenance à l'islam radical ou politique ? La réponse est non. En revanche, devons-nous lutter de toutes nos forces contre celles et ceux qui font acte de prosélytisme et considèrent que leurs valeurs doivent dominer les principes de la République, ces principes mêmes que nous voulons conforter avec ce projet de loi ? Oui. C'est notre objectif.
Sommes-nous dénués de moyens ? Non. Tous les exemples cités par Éric Diard sont prévus par la loi. Une étudiante qui porte le voile intégral à l'université, comme dans tout l'espace public d'ailleurs, tombe sous le coup de la loi de 2010. Des actes de prosélytisme qui portent atteinte au bon fonctionnement du service public sont condamnables, et seront sanctionnés. Le rapport Stasi recommandait que chaque université se dote d'un règlement intérieur, traitant notamment de ces questions : les universités en disposent maintenant, et cette police des universités, si j'ose dire, doit s'exercer. Bref, nous ne sommes pas dénués de moyens et la seule question qui vaille est donc celle qu'a posée Charles de Courson : faut-il légiférer sur cette question ? Nous en parlions hier soir à propos des collaborateurs occasionnels du service public. Je crois qu'il ne faut pas légiférer plus que ce qui a déjà été fait. Ce serait un acte de division, ce serait dénier à des êtres majeurs la liberté essentielle de faire part, à l'université, de leur opinion philosophique, politique ou religieuse. Car c'est cela aussi, le savoir critique et la confrontation des savoirs.
Il n'est donc pas question d'inaction, de laxisme. La majorité présidentielle ne regarde pas passer les difficultés sans vouloir agir : c'est l'objet même de ce texte. Mais acter l'interdiction d'un signe religieux à l'université, c'est simplement contrevenir aux règles de l'université et c'est je crois diviser profondément notre pays. Or nous, monsieur Ciotti, voulons au contraire le rassembler, autour des principes de la République.
Effectivement, monsieur Ciotti, les polémiques sont inutiles, surtout avec des éléments sortis de leur contexte. Oui, M. Blanquer dit que le voile n'est pas souhaitable. Nous pouvons être un certain nombre à penser que certaines choses nous gênent et ne sont pas souhaitables : l'abstention, par exemple, n'est pas souhaitable. Mais faut-il interdire la liberté d'aller, ou non, voter ? En tout cas, considérer que quelque chose n'est pas souhaitable ne signifie pas qu'on remplit le monde de la législation qu'on pense adéquate. D'ailleurs, encore faudrait-il choisir l'opinion qui serait supérieure à celle des autres.
Ensuite, des auteurs qui sont contre le port du voile à l'université, je peux en citer quelques-uns dans votre famille politique, comme Alain Juppé ou Marc Le Fur. Je respecte les philosophes culturellement proches de la droite qui pensent que la religion n'est pas l'ennemie de la République. C'est un débat très ancien. Qui pourrait penser d'ailleurs que l'imposition de la laïcité est plutôt à gauche qu'à droite ? Sauf à considérer que le sujet est l'islam et non les religions.
Je crois surtout qu'il y a quelque chose d'assez peu cohérent dans tout cela. Nous verrons bien ce que fera le Sénat, et notamment le président Larcher, qui travaille depuis longtemps à ces questions et qui je crois n'a pas les mêmes positions que le groupe LR à l'Assemblée nationale, si j'ai bien compris ce qu'il a dit dans un excellent entretien avec Marcel Gauchet. Bref, il y a plusieurs courants à droite, comme à gauche, ce qui est parfaitement normal. Il ne faut pas penser qu'une certaine droite, et elle seulement, serait capable de sauver la République. C'est plus compliqué, et c'est bien normal : la relation entre le temporel et le spirituel, entre les âmes et le citoyen, est compliquée.
Vous m'avez bien cité, monsieur Ciotti : la question du voile à l'université pose celle du prosélytisme. Beaucoup de choses posent question, il est normal de les aborder, cela ne veut pas dire qu'on doit les interdire. Quant à votre parallèle avec l'école, il n'est pas bon, puisqu'il s'agit d'adultes d'un côté et d'enfants de l'autre. Il y a d'ailleurs quelque chose qui ne va pas, si vous considérez que le fait qu'il y ait de plus en plus de signes ostensibles religieux, et singulièrement de voiles, montre que les textes ne permettent pas de lutter contre les formes de communautarisation, puisque c'est ce que vous dénoncez.
À ce propos, madame Genevard, défendre l'école et le collège confessionnels, comme vous l'avez fait à l'occasion d'amendements, c'est partir du principe qu'ils ne sont pas incompatibles avec la République, sauf à considérer que ce ne devraient être que des établissements catholiques, ce qui n'est pas votre cas. C'est aussi défendre le port du voile dans les écoles sous contrat. Le lycée Averroès de Lille, un autre près de Lyon, sont deux établissements sous contrat avec l'éducation nationale, et créés tous les deux sous Nicolas Sarkozy, pas sous un horrible gouvernement de gauche. Les défendre, c'est accepter que les jeunes filles portent des foulards au collège et au lycée de la République. Si vous ne proposez pas la fin de l'enseignement libre, ce qui serait un retournement de situation improbable, c'est qu'il n'y a pas d'incompatibilité de nature entre le fait de croire en quelque chose, même en-dessous de la majorité, et le fait de pouvoir être un bon citoyen.
La laïcité elle-même n'est pas l'imposition de la neutralité. Elle a toujours recouvert trois choses, les trois mêmes depuis 1905 : la neutralité des agents du service public, la liberté de culte, qui est garantie constitutionnellement, et la pluralité religieuse, autrement dit l'altérité. C'est là la victoire de Briand sur tous les autres : l'acceptation de la pluralité. La République ne reconnaît aucun culte et même la religion catholique, majoritaire en 1905, n'est pas reconnue juridiquement comme telle.
Vous allez un peu vite en besogne, monsieur Bournazel, en disant que ce n'est pas à nous de nous adapter aux lois de l'islam. Vous avez parfaitement raison, mais personne ne propose cela. Personne ne veut obliger toutes les jeunes filles de France à porter un voile à l'université – car ce serait cela, s'adapter à la loi de l'islam.
Bien sûr. La liberté ne permet pas à certains d'imposer ce qu'ils pensent à d'autres, mais à chacun d'exprimer ses opinions. Hier, nous avons complété le texte, notamment sur la proposition de M. Breton, pour ajouter le terme « politiques » à celui de « religieux ». Mme Genevard a alors fait remarquer que la neutralité n'était pas que religieuse, mais aussi politique, et cela pour tous les services publics. Comment alors penser interdire les opinions religieuses à l'université, qui est le lieu même de l'expression politique, celui où l'on crée des partis, où l'on défend des idées, où l'on organise des manifestations ? Si l'on veut la neutralité dans l'espace de l'enseignement supérieur, il faut y imposer aussi la neutralité politique.
Mais le plus important, c'est qu'avec vos amendements le texte à coup sûr serait censuré par le Conseil constitutionnel. Vous souhaitez définir une nouvelle conception de la laïcité. C'est un débat qui n'est pas médiocre, et je comprends qu'on le tienne. Je constate que personne ne propose d'amendement pour protéger une jeune fille de l'obligation qui lui serait faite de porter le voile. Ce serait peut-être cela, pour vous, la bonne façon d'aborder le sujet de la protection que doit accorder le texte…
On pourrait aussi condamner de ce point de vue le prosélytisme. Je suis d'accord avec M. de Courson, ce n'est pas parce que quelqu'un porte une croix, une kippa ou encore plus un foulard – qui à coup sûr est un signe ostensible, contrairement à la croix qui est un signe visible, mais c'est un autre sujet – que les autres vont changer de religion, ou alors c'est faire peu de cas du libre arbitre de chacun. On ne change pas de religion parce qu'on croise un foulard.
C'est donc un débat noble, qu'il ne faut pas sous-estimer. Il faut démontrer que votre proposition ne peut pas être un parallèle de la loi sur l'école, et qu'en revanche elle peut être un changement fondamental de la laïcité, qui a sa place dans un texte constitutionnel, pas dans une loi ordinaire. Vous vous demandez où nous en serons dans dix ans. Pour ma part – mais peut-être nous payons-nous de mots, peut-être que, comme vous le pensez, ce sera de pire en pire – j'espère que dans dix ans l'énorme travail fait par l'Education nationale, le texte que nous élaborons ici, les possibilités que nous créons de lutter contre l'islamisme politique auront abouti à une nette baisse d'intensité. On peut l'espérer. Quoi qu'il en soit, vous pouvez parfaitement choisir de modifier la Constitution, car c'est à ce niveau que se placent vos propositions.
La commission rejette successivement les amendements CS28, CS94 et CS555.
Chers collègues, nous arrêtons là pour cet après-midi. Nous reprendrons nos travaux à vingt et une heures.
La séance est levée à dix-neuf heures quarante.
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République
Réunion du mardi 19 janvier 2021 à 17 h 30
Présents. – Mme Caroline Abadie, M. Saïd Ahamada, Mme Stéphanie Atger, Mme Laetitia Avia, Mme Géraldine Bannier, M. Belkhir Belhaddad, M. Philippe Benassaya, M. Yves Blein, Mme Anne-Laure Blin, M. Florent Boudié, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Xavier Breton, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Anne Brugnera, Mme Émilie Chalas, M. Francis Chouat, M. Éric Ciotti, Mme Fabienne Colboc, M. Alexis Corbière, M. François Cormier-Bouligeon, M. Charles de Courson, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, M. Christophe Euzet, M. Olivier Falorni, Mme Isabelle Florennes, Mme Annie Genevard, Mme Perrine Goulet, Mme Florence Granjus, Mme Marie Guévenoux, M. David Habib, M. Yves Hemedinger, M. Pierre Henriet, M. Sacha Houlié, Mme Marietta Karamanli, Mme Anne-Christine Lang, M. Guillaume Larrivé, Mme Constance Le Grip, M. Jean-Paul Mattei, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Baptiste Moreau, Mme Valérie Oppelt, M. Frédéric Petit, M. Éric Poulliat, M. François Pupponi, M. Bruno Questel, M. Julien Ravier, M. Robin Reda, M. Thomas Rudigoz, M. François de Rugy, Mme Cécile Untermaier, M. Boris Vallaud, Mme Laurence Vichnievsky, M. Philippe Vigier, M. Guillaume Vuilletet
Assistaient également à la réunion. - M. Pascal Brindeau, Mme Jacqueline Dubois, Mme Marie-France Lorho, M. Jacques Marilossian, Mme Emmanuelle Ménard, Mme Monica Michel, M. Éric Pauget, Mme Stéphanie Rist