La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L'ordre du jour appelle la discussion, en application de l'article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de Mme Valérie Rabault pour relancer un État aujourd'hui en panne (no 2016).
Ni les vingt semaines, et plus, d'action et de revendications des gilets jaunes, ni les longues semaines du grand débat n'auront suffi à faire comprendre à ce gouvernement ses défaillances, qui ont été ressenties par les habitants des territoires les plus fragiles comme de véritables fractures sociales et territoriales et comme un manque total de considération.
J'ai peur que mes cinq minutes de semi-écoute ne réussissent guère à infléchir les politiques de ce gouvernement, qui sont injustes quand elles ne sont pas cyniques. Autant vous dire que je n'attends pas grand-chose de votre simulacre de démocratie. Malgré tout, cette proposition de résolution nous permet d'aborder différents domaines dont l'État se désengage. J'évoquerai la dématérialisation des services et la démographie médicale, sujets ô combien prégnants pour les territoires ruraux en décrochage.
Dans son rapport annuel d'activité de 2018, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, s'inquiète de l'équilibre de plus en plus fragile entre services publics et égal accès aux droits. Avec l'explosion des inégalités, de la pauvreté et de l'exclusion, depuis plus de deux ans maintenant, …
… en raison de la politique ultralibérale menée par ce gouvernement, nous assistons à plusieurs phénomènes qui entravent l'accès aux droits fondamentaux et concourent à créer un sentiment diffus de rupture entre les usagers et entre les territoires.
L'accès aux services faisait partie des principales préoccupations des gilets jaunes et reste, malgré les mesures annoncées par le Gouvernement à la fin de 2018 et à la suite du grand débat, une préoccupation majeure de nos concitoyens, notamment les plus fragiles. Obnubilés par les équilibres budgétaires, pour compenser les cadeaux que vous faites aux plus riches, vous ne jurez d'abord que par la numérisation et la dématérialisation pour réaliser des économies. Pourquoi pas, après tout ? Toute piste technologique est bonne à exploiter, à condition de ne pas avancer, comme vous le faites, sans se préoccuper des hommes ni des territoires.
Avez-vous réellement conscience des fractures que vous provoquez ? Elles sont d'abord territoriales, pour ceux qui ne disposent pas d'un réseau suffisamment développé. Rappelons que 7,5 millions de nos concitoyens sont privés d'internet. Elles sont ensuite sociales, pour les populations les plus modestes : vous mettez nos aînés, isolés dans nos territoires, éloignés de leurs familles, en véritable situation de fragilité.
En ce qui concerne la santé et l'accès aux soins, chacun d'entre nous a clôturé des cérémonies de voeux en souhaitant à nos concitoyens une bonne année et une bonne santé. Le dire, c'est bien ; rendre possible ce que l'on dit, c'est mieux. En matière d'accès aux soins, il convient de sonner l'alerte. Comme la proposition de résolution le rappelle, le nombre des passages aux urgences a triplé depuis vingt-cinq ans, pour atteindre 21 millions en 2016. Nous vous demandons une rallonge budgétaire de 500 à 600 millions d'euros pour débloquer la situation et prendre le temps de tout remettre à plat. Allez-vous entendre ?
S'agissant de la démographie médicale, voilà plus d'une décennie que le Gouvernement y va de ses propositions et mesures incitatives pour l'installation de médecins en zone carencée. Les élus locaux s'affairent, d'ailleurs, à mailler leur territoire pour y installer cet outil indispensable à l'exercice de cette profession qu'est la maison de santé pluriprofessionnelle, qui permet la réalisation d'un projet médical.
Vous avez boosté le numerus clausus : nous nous en félicitons. Pourtant, cela ne suffit pas, tant s'en faut. Vous n'avez pas compris que l'incitatif a trouvé ses limites, parce que nos territoires sont confrontés à un problème d'attractivité pour attirer de nouveaux médecins ou spécialistes, dont le choix d'implantation obéit à des enjeux non seulement professionnels mais aussi personnel et familial.
Pourtant, vous balayez d'un revers de main les propositions de notre collègue Guillaume Garot, comme toutes les mesures de régulation. On assiste à de véritables surenchères entre les territoires pour attirer de nouveaux médecins. Il en est de même entre les établissements hospitaliers. On frise l'indécence. Vous devriez vous attarder sur cette situation.
Dans ma circonscription, la Thiérache, territoire cohérent et solidaire, vous faites pire encore, puisque vous avez réussi, avec votre bras armé, l'agence régionale de santé, à semer la zizanie en déclassant un petit bout de territoire, le canton de La Capelle, des zones carencées. Vous avez créé une situation de concurrence déloyale.
Le Défenseur des droits a reçu des appels à l'aide d'usagers qui ne parviennent pas à trouver un nouveau médecin traitant, un spécialiste ou un infirmier à domicile. N'est-il pas temps de passer à des mesures de coercition, que je qualifierai de douces, seulement pour quelques années, au bénéfice de nos territoires, avec un accompagnement individualisé ? Ce sacrifice me paraît acceptable.
Monsieur le secrétaire d'État chargé du numérique, prenez le temps, grâce à cette proposition de résolution, d'examiner nos remarques. Faites de ce moment de démocratie un moment privilégié d'écoute : ce sont les Français qui vous le demandent.
Le groupe Socialistes et apparentés nous invite aujourd'hui, au travers d'une proposition de résolution, à étudier les pistes d'un retour de l'État, ainsi que les actions à mettre en oeuvre pour lui redonner présence et efficacité. Les problématiques soulevées par ce texte sont connues de tous dans cet hémicycle, car bon nombre de nos circonscriptions, dont les majorités successives ne se sont pas souciées, ont été touchées par l'abandon progressif de l'État.
Ainsi, dans mon département, les fermetures de bureaux de postes, de gendarmeries ou de trésoreries en milieu rural ont commencé avant 2017, avec un pic sous les présidences de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy : en effet, entre 2002 et 2012, la fonction publique d'État a perdu 25,18 % de ses effectifs dans le Cher, 18,2 % en région Centre et 14 % dans la France entière. Entre 2012 et 2017, François Hollande augmente les effectifs de l'éducation nationale de plus de 50 000 agents mais, dans le même temps, …
… réduit les budgets des collectivités territoriales, ce qui entraîne, de facto, la perte de 24 000 emplois à partir de 2014.
Dès lors, cette proposition de résolution aurait pu être un moyen utile de réfléchir, en commun, sur les actions à mener ensemble pour remédier à cette situation, si elle ne contenait pas un aspect cocasse, puisqu'elle est adressée à la majorité et au Gouvernement qui ont pris à bras-le-corps ce sujet, par ceux-là mêmes qui, il y a seulement deux ans, étaient au pouvoir et n'ont absolument rien fait pour résoudre le problème qu'ils dénoncent !
Cela pourrait être amusant, si la situation n'était pas aussi grave pour nos concitoyens, car voilà un travail magnifique d'autocritique auquel les socialistes ne nous avaient guère habitués jusque-là.
S'il n'était qu'une seule proposition à retenir, la première serait suffisante, qui « invite le Gouvernement à relancer un État aujourd'hui en panne ». Lorsqu'on a fait, comme vous, de l'inaction sa marque de fabrique et du rafistolage son code de conduite, ce qui a conduit à la plus grande déroute politique de la Ve République, il faut avoir l'humilité de ne pas faire la leçon à ceux qui ont entamé une action d'ampleur au bénéfice des territoires et des citoyens. Car oui, mes chers collègues, notre majorité depuis 2017 a fait progresser la France.
M. Macron veut supprimer 120 000 postes de fonctionnaires : c'était dans son programme !
Elle est, en 2018, le deuxième pays où l'on investit le plus et les taux d'investissement sont les plus importants depuis douze ans. En ouvrant les carcans administratifs et financiers, le retour de la croissance a permis de réduire le taux chômage, qui est à son plus bas niveau depuis dix ans.
L'action du Gouvernement a également permis de ramener le déficit à son plus bas niveau depuis une décennie. Ces indicateurs sont ceux d'une situation qui s'améliore et d'une politique qui portera ses fruits sur le long terme.
De même, la tenue sérieuse des comptes publics est la meilleure manière de préparer l'avenir. Car ce que ne dit pas votre proposition de résolution, c'est l'incurie avec laquelle, depuis trente-cinq ans, l'argent public a été géré.
Tous les gouvernements, quels qu'ils soient, n'ont eu de cesse de contribuer à endetter l'État, en menant des politiques qu'ils ne pouvaient pas financer, en traitant à la légère la question du déficit et en remettant toujours à demain les décisions qui auraient pu s'imposer et empêcher la dégradation continue de l'action publique.
Vous ne pouvez pas reprocher à cette majorité de vouloir réformer l'État pour le rendre plus efficace et le recentrer sur ses missions essentielles, quand vous-mêmes n'en avez pas été capables.
Il faudrait rappeler cette chose simple : la politique budgétaire est une politique sociale, car la dette, ce sont toujours les plus pauvres qui la payent. Pour le reste, l'action du Gouvernement en matière d'investissement de l'État est loin d'être insignifiante, comme vous le sous-entendez. Certes, le Gouvernement a dû faire des choix du fait d'une situation économique et sociale difficile. On ne saurait, toutefois, mettre en doute sa volonté de retisser le lien entre tous les territoires et tous les citoyens.
La demande de proximité des services publics a été entendue dès le départ et il ne faut pas laisser penser aux Français que, parce qu'on réorganise la présence des services publics, on cherche à les éloigner. C'est exactement le contraire qui se produit, avec la mise en place et l'amplification des 2 000 maisons France service, d'ici à 2022.
Elles auront un effet immédiat et visible sur nos concitoyens, qui trouveront dans ces lieux la présence humaine et concrète qu'ils attendent.
S'agissant des services publics, beaucoup, bien sûr, reste à faire et de nombreux chantiers sont ouverts. Vous invitez le Gouvernement à prendre des mesures immédiates pour les services d'urgence des hôpitaux. Cela tombe bien, le Gouvernement a débloqué 70 millions d'euros en guise de premières mesures de soutien aux personnels concernés. Bien sûr, cela ne constitue qu'un début. Nous savons que la santé a été l'un des thèmes majeurs du grand débat et nous mesurons l'effort qui devra être fourni pour réaliser l'ambition de la santé pour tous. Beaucoup a déjà été fait par la ministre Agnès Buzyn, dont il faut saluer la volonté, mais dont l'action porte sur un domaine bien plus vaste que la seule question des urgences.
Là encore, le groupe Socialistes et apparentés démontre un grand opportunisme et fait feu de tout bois en n'évoquant que ce sujet, quand la majorité présidentielle, elle, tente de remédier globalement à une situation complexe et multidimensionnelle. Qu'est-ce que le parti socialiste a à répondre aux agents grévistes des centres hospitaliers de Bourges et de Vierzon ? Leurs urgences ne fonctionnent plus, si bien que les uns aident les autres jusqu'à l'épuisement. Cette situation n'est pas nouvelle : elle vient de loin, car rien n'avait été fait. Nous, nous agissons, avec la mise en place d'une mission nationale pour améliorer le fonctionnement des urgences, confiée à Thomas Mesnier : elle fera prochainement des propositions concrètes qui devront être rapidement mises en oeuvre.
En matière d'éducation, aussi, le travail est immense. Mais celui que réalise le ministre Jean-Michel Blanquer est, de notre point de vue, exemplaire. Son approche et sa philosophie nous semblent correspondre exactement aux besoins de nos enfants. Là encore, les moyens sont mis à destination des publics et des territoires les plus défavorisés, avec les résultats remarquables du dédoublement des classes de CP et CE1 en réseau d'éducation prioritaire, REP et REP+. Les effets s'en feront sentir sur le long terme et je ne doute pas qu'ils pourront être spectaculaires. Il n'est qu'à voir d'ores et déjà les progrès des élèves de CP, qui ont parfois quatre à cinq mois d'avance sur les programmes habituels grâce au formidable travail réalisé par les enseignants.
Exclamations sur les bancs du groupe FI.
Le groupe Socialistes et apparentés demande, par ailleurs, l'abandon de la réforme de la fonction publique, sous prétexte qu'elle remettrait en cause les principes fondateurs de celle-ci. C'est bien là la démonstration au carré que, finalement, cette proposition de résolution ne s'adresse qu'à eux-mêmes, car ne pas réformer serait précisément le signe d'un État en panne. Or c'est avec celui-ci que le Président de la République et le Premier ministre ont voulu rompre. La fonction publique a besoin d'être modernisée pour s'adapter aux opportunités qu'offre notre siècle.
La question des contrats aidés a, elle, en revanche, bousculé beaucoup de monde. La réduction du nombre de ces contrats était, je crois, la condition pour que les acteurs puissent progressivement se réorganiser et construire leurs actions sur des bases plus solides. Car si, à court terme, l'effet sur l'emploi est important, nous savons aussi que ces contrats ne sont absolument pas la garantie d'une insertion durable dans le monde du travail. Seules 12 % des personnes aidées ont ainsi pu trouver un emploi stable. D'autres formes de soutien à l'action associative voient le jour, que le Mouvement démocrate soutient. Parmi elles, citons le service national universel, qui…
… sera un formidable lieu de sensibilisation à l'engagement associatif et citoyen des jeunes : il se déroule actuellement pour la première fois.
Dernier point que j'aborderai ici : l'ambition culturelle au service de tous. Le groupe Socialistes regrette que la place de la culture au sein de l'État se soit réduite au cours des années. Or c'est tout le contraire qui s'est produit : non seulement l'action de l'État a permis de solidifier l'existant, mais l'État développe en plus de nouvelles actions comme le Pass culture ou les Micro-folies, en vue de favoriser l'accès aux oeuvres pour l'ensemble des publics. Cette politique est soutenue budgétairement par une augmentation continue des crédits, portés pour l'année 2018 à 2,91 milliards d'euros, contre 2,55 milliards en 2014, lorsque le parti socialiste était au pouvoir.
Toutes ces actions et beaucoup d'autres en témoignent : la majorité présidentielle a parfaitement conscience des impératifs auxquels l'État doit s'attaquer. Son action, loin d'être négligeable, est au contraire dirigée vers les territoires et les secteurs qui en ont le plus besoin.
Ce mouvement, nous devons continuer de l'amplifier, car c'est la condition de la réussite de notre pays.
Le pire, dans ce moment, serait de suivre l'exemple des gouvernements précédents et de remettre toujours tout à plus tard.
Pour toutes ces raisons, le groupe Mouvement démocrate et apparentés ne soutiendra pas la proposition de résolution.
Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.
Induit par le dépôt d'une proposition de résolution du groupe Socialistes et apparentés, ce débat sur le recul de l'État vient à point nommé. La crise des gilets jaunes, qui a traversé le pays de l'automne au printemps, a mis au jour le besoin que ressent une grande partie de la population en matière d'action publique. Et cela concerne en premier lieu l'action de l'État.
Les collectivités territoriales et les élus locaux font preuve de volonté et d'abnégation pour exercer leurs prérogatives. Parfois même, ils pallient les lacunes de l'État, mais force est de constater qu'ils peuvent se sentir abandonnés. De ce fait, ils se chargent de missions que l'État assumait autrefois, à ceci près qu'ils n'en ont pas nécessairement les moyens.
On assiste aujourd'hui à un désengagement de l'État : dans nos territoires, les fermetures des trésoreries s'ajoutent à celles des bureaux de poste que l'on a connues auparavant, et participent de la dévitalisation des bourgs et de la perte de l'emploi salarié. On observe le même désengagement de l'État dans les politiques publiques culturelles, économiques ou sociales.
Les décentralisateurs que nous sommes pourraient s'en réjouir, en y voyant le signe que les collectivités territoriales vont pouvoir mettre en oeuvre de manière efficiente des compétences que les élus locaux sont le plus à même de pouvoir exercer. C'est sans compter sur ce penchant égoïste de l'État, qui se désengage sans pour autant compenser son absence auprès des collectivités.
En effet, l'État se sert de celles-ci pour réaliser des économies. Ce n'est pas la première fois. Cela s'est déjà produit sous la précédente majorité. Le gouvernement actuel fait la loi avec l'aide de sa majorité, puis il l'applique avec l'aide de son administration centrale ou déconcentrée, mais il n'accorde à aucun moment une autonomie fiscale ou une adaptation réglementaire aux collectivités territoriales. Encore une fois, on confond déconcentration et décentralisation.
Le groupe Libertés et territoires partage donc le constat alarmant formulé dans la proposition de résolution. À plusieurs reprises, lors de l'examen de différents textes, comme la réforme de la justice, le projet de loi de transformation de la fonction publique, la loi PACTE – plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises – ou la loi d'orientation des mobilités, il a fait part de ses inquiétudes sur l'affaiblissement de l'État et son désengagement des territoires.
Les différents amendements que nous avons déposés sur ces textes ont invité le Gouvernement à relancer la présence de la puissance publique, tant dans le cadre des compétences régaliennes qu'au sein des territoires, en accordant une plus grande confiance aux élus locaux.
La République doit faire preuve de plus de souplesse et permettre clairement la différenciation, l'expérimentation, l'autonomie réglementaire, voire l'autonomie législative pour les territoires à statut particulier, comme la Corse ou les outre-mer. En Bretagne, nous serions prêts à demander les mêmes prérogatives.
Selon notre groupe, l'État doit se recentrer sur ses missions régaliennes. Il doit être un État stratège qui s'assure que les collectivités exercent pleinement leurs compétences et met en place la péréquation entre les collectivités riches et les collectivités pauvres. À ceux qui penseraient qu'une telle politique ne peut mener qu'à davantage de libéralisme, je rappelle qu'en Écosse, l'enseignement supérieur est encore gratuit, alors qu'il est payant en Angleterre. C'est dire que les Écossais profitent de leur statut pour mener une politique plus sociale que les Anglais. On observe la même tendance au niveau du système de santé. Si, en Écosse comme au Pays de Galles, la situation est bien meilleure, c'est que l'investissement de ces collectivités est plus élevé que celui de l'Angleterre, où l'on mène depuis longtemps des politiques libérales.
On le voit : les choix des élus locaux ne sont pas forcément ceux de l'État, ce qui profite parfois à tous les citoyens. Cela me semble important. Il existe un pacte entre les électeurs et les gouvernants. Les difficultés de notre pays s'expliquent par le fait que les élus locaux voient chaque année le Parlement diminuer leur dotation et voter des lois – notamment sur la pauvreté – sans demander l'avis des départements, ignorant ainsi l'une de leurs principales prérogatives. De même, dans les territoires d'industrie, le Parlement n'a mené aucune concertation avec les régions.
Je rappelle que l'État doit être non seulement stratège, mais travailler en synergie avec les collectivités. À notre sens, il doit se recentrer sur les missions régaliennes, et laisser l'action publique locale aux élus locaux. Malheureusement, la proposition de résolution ne pose pas la question de la redistribution des compétences entre l'État et les collectivités territoriales, ni celle de la nécessité de repenser les relations entre l'État et les collectivités territoriales, préalable indispensable à toute relance efficace de l'État.
Le texte n'aborde pas non plus les problématiques corses, notamment les tentatives de mainmise de l'État sur les prérogatives de l'Assemblée de Corse. Une des dernières illustrations en est l'intervention de la sous-préfète de Sartène, qui a demandé à la communauté de communes Sud Corse de retirer sa candidature pour la démarche Territoire zéro chômeur de longue durée.
Il y a là un paradoxe. D'ailleurs, ce point mérite d'être éclairci, tant il incarne le problème auquel nous sommes actuellement confrontés avec l'État : l'association Territoires zéro chômeur de longue durée, ainsi qu'ATD Quart Monde manifestaient aujourd'hui à proximité de l'Assemblée nationale. Leur objectif est de voir adopter cette fameuse deuxième loi, qui permettrait de développer l'expérimentation visant à faire rentrer sur le marché du travail, dans un secteur non concurrentiel, des chômeurs de longue durée.
Cette démarche prouve que, dans les territoires, les élus et la société civile se mobilisent pour faire sortir certains de leurs concitoyens de la précarité. Ce sont les synergies développées à partir des territoires qui permettent de trouver des solutions au sein des bassins d'emploi ou de vie ; le rôle de l'État doit être d'accompagner les élus locaux dans cette démarche. Or, pour l'heure, le Gouvernement n'adopte pas de démarche volontariste sur ce sujet.
Mes chers collègues, pour rendre l'action publique plus efficace et donner à nos fonctionnaires les moyens d'accomplir leurs missions dans de bonnes conditions, la France doit changer de paradigme. Ce changement doit être précédé d'un moratoire sur la fermeture des services publics et d'un état des lieux pour permettre une déconcentration adaptée aux besoins des territoires. Notre groupe avait déposé des amendements en ce sens lors de l'examen du projet de loi de transformation de la fonction publique.
Nous regrettons que la proposition de résolution ne demande ni ce moratoire ni un état des lieux sur les services publics dans les territoires. La relance de l'État ne peut se dispenser de marcher sur deux jambes, en s'appuyant tant sur une déconcentration respectueuse des territoires que sur un choc de décentralisation, pour permettre aux territoires d'exprimer tout leur potentiel.
Notre groupe a fait part de sa vision et de ses propositions au Président de la République en répondant aux trente-deux questions que celui-ci a posées dans le cadre du grand débat national. Nous avons également dévoilé notre projet de relance de l'État dans un rapport dévoilant cinquante propositions que nous avons présentées en Corse en mai dernier.
Il est indispensable d'apporter un coup d'arrêt au processus de recentralisation qui s'opère depuis plusieurs mois et de donner aux territoires les moyens de vivre et d'agir aux plus près des attentes de nos concitoyens.
Cela signifie qu'il faut revoir le maillage des services publics dans les territoires. Si le numérique est un moyen de remettre l'État au coeur des territoires, il ne peut être l'alpha et l'oméga. En effet, il existe plusieurs fractures numériques, une fracture territoriale liée aux difficultés d'accès et une fracture des usages qui débouche sur une discrimination et une précarité numériques.
Depuis plusieurs mois, notre groupe appelle le Gouvernement à adopter un authentique « pacte girondin » qui confierait une large autonomie aux collectivités territoriales, appliquerait pleinement le principe de subsidiarité et leur donnerait plus de pouvoir réglementaire, allant jusqu'à confier une autonomie législative aux collectivités qui en font la demande.
Malheureusement, la promesse girondine du Président de la République est restée lettre morte depuis deux ans. Pourtant, notre pays est fort de ses diversités. Aussi, il paraît logique et responsable de permettre aux collectivités d'avancer au rythme adapté à leurs spécificités et dans la direction propice à leur épanouissement comme à leur développement. Il s'agit de laisser aux collectivités territoriales la possibilité de s'organiser comme le commandent leurs réalités territoriales, a fortiori dans les départements et territoires d'outre-mer.
Nous regrettons que la proposition de résolution n'aborde pas l'angle de la décentralisation et n'envisage pas la nécessité de redonner aux élus les moyens de s'engager et d'agir. La relance de l'État, et corrélativement des territoires, passe aussi par les élus locaux. On ne pourra se dispenser de leur redonner davantage de moyens d'action. Il faut arrêter de les enfermer dans des schémas coûteux et chronophages. Ils savent généralement s'adapter, parfois avec des moyens peu élevés, à condition que la réglementation leur permette de le faire, ce qui n'est pas toujours le cas.
Il faut faire confiance aux élus locaux, leur octroyer la maîtrise de bout en bout de leurs moyens d'actions, à savoir la définition de leur compétence et de leurs finances, et leur laisser ce fameux pouvoir réglementaire. Le Gouvernement doit comprendre que la relance de l'État est indissociable d'une relance des moyens d'action des élus locaux à travers le triptyque : décision, réalisation, financement.
Notre groupe s'abstiendra sur la proposition de résolution.
« Des actionnaires qui détruisent une entreprise, c'est comme un enfant qui casse son jouet, il faut les laisser faire. Ça s'appelle le libéralisme. » Cette maxime sort du ministère de l'économie. Elle pourrait résumer la politique industrielle du Gouvernement, qui est plutôt une non-politique.
Cette maxime, je l'ai entendue à Gerzat, près de Clermont-Ferrand, le 27 mars de cette année, dans l'entreprise Luxfer. Celle-ci fabriquait depuis 1939 des bonbonnes pouvant être mises sous haute pression, autant dire toutes les bouteilles contenant de l'oxygène qu'on voit dans les hôpitaux ou les camions de pompiers. Jusqu'alors, celles-ci étaient fabriquées en France.
L'entreprise étant désormais détenue par un fonds anglo-saxon, un manager de transition a décidé, face à une concurrence prétendue plus agressive, de tout fermer pour délocaliser la production dans des pays à bas coût. On nous parle de concurrence, mais, en 2018, Luxfer a réalisé 25 millions de dollars de bénéfice, soit une progression de 50 % par rapport à l'année précédente, quand le site de Gerzat enregistrait, lui, 9 % de rentabilité, 2 millions d'euros de profit, et que son carnet de commandes était plein. Un savoir-faire vieux de quatre-vingts ans et unique en Europe va disparaître, sacrifié sur l'autel des actionnaires.
Qu'importe ? Finance oblige, 136 salariés seraient laissés sur le carreau. Qu'ont-ils fait ? Ils ont proposé un contre-projet validé par les experts. Ils sont allés d'eux-mêmes chercher des repreneurs, notamment un repreneur chinois. Mais leur initiative a été balayée d'un revers de main par l'actionnaire, qui préfère la politique de la terre brûlée. Que rien ne repousse – surtout pas un concurrent !
Leur sort s'est réglé le jour où je suis passé. Les négociations se terminaient le matin même, avec 47 000 euros d'indemnités supra-légales et le paiement des quatre mois de grève. Mais, désormais, les pompiers et les hôpitaux français achèteront anglais ou américains ou se fourniront en Asie du Sud-Est.
Quel soutien les salariés ont-ils trouvé auprès du ministère de l'économie au cours de ce bras de fer ? Aucun. Au contraire, à Bercy, le délégué interministériel aux restructurations leur a exposé sa vision de l'économie avec franchise. Je répète : « Des actionnaires qui détruisent une entreprise, c'est comme un enfant qui casse son jouet, il faut les laisser faire. Ça s'appelle le libéralisme ».
Comme s'il suppléait le patronat et les forces de police, il a même mis en garde les salariés contre leur attitude : nous ne tolérerons, leur a-t-il dit, aucun débordement. Les débordements de la finance, eux, ont été amplement tolérés.
On pourrait citer Ford, Ascoval, General Electric, bref, tous les grands dossiers industriels, mais ils n'étaient pas sur ma route. Celle-ci s'est poursuivie jusqu'à Longvic, près de Dijon, où j'ai rencontré Imad, salarié de l'entreprise FranceEole. L'écologie, me déclarait-il, est dans l'air du temps, mais personne ne vient nous voir : nous sommes à l'abandon. Comme son nom l'indique, FranceEole oeuvre dans le secteur éolien, et fabrique des mâts d'éolienne en acier. Elle est la seule entreprise française à le faire.
L'entreprise, m'ont dit ses salariés et sa directrice, a subi trois redressements judiciaires et, pourtant, nous n'avons jamais vu personne bouger. Trois redressements judiciaires en cinq ans : lente agonie industrielle ponctuée, comme souvent, de sursauts d'espoir. En septembre 2017, l'usine est ainsi rachetée par Nimbus, fonds d'investissement néerlandais qui promet monts et merveilles : la totalité des emplois préservés et, surtout, des investissements. La fatalité semble alors s'enrayer : l'éolien français n'a pas dit son dernier mot ! En fait, seulement 300 000 euros seront investis dans l'entreprise, soit le prix d'un seul segment de mât, 1 % du chiffre d'affaires de 2016. « Cela nous a permis de tenir dix-huit mois », m'a confié la directrice.
Face à la concurrence espagnole et portugaise ou à celle de pays d'Asie du Sud-Est, qui parviennent à produire de 10 à 15 % moins cher, FranceEole prend en effet des marchés, mais le fait à perte. Résultat : les salariés sont au chômage technique et, en ce moment même – je sonne l'alerte à ce sujet – , l'usine est au bord de la fermeture. Pourtant, il me semble possible de mettre en place un protectionnisme des industries naissantes : un bébé abandonné sur un trottoir mourra de froid et de faim si l'on ne s'en occupe pas, et un lionceau abandonné dans la jungle s'y fera dévorer. Il en va de même pour une industrie naissante. Si, à l'instar de l'éolien français, elle n'est pas protégée, elle est condamnée à péricliter, à survivre à peine ou à crever.
Du haut même de cette tribune, le Premier ministre a plaidé pour un grand plan en faveur de l'éolien en France, et l'on a parlé d'un doublement – de 8 000 à 16 000 – du nombre d'installations en dix ans. Cela passe, je pense, par l'édification d'une industrie française du secteur : voilà ce que pourrait être une vraie politique industrielle. Ce protectionnisme des industries naissantes, la filière le réclame : il consisterait, pour un État stratège, à choisir quelques pans industriels, soit pour y investir massivement, soit pour permettre leur développement.
Je suis ensuite rentré chez moi, où, au lendemain des élections européennes, nous avons appris, de façon soudaine, le redressement judiciaire de WN, le repreneur de Whirlpool. Le Président de la République, on s'en souvient, s'était rendu sur le site de Whirlpool, à Amiens, où, devant à peu près tout ce que le pays compte de caméras, micros et stylos, et devant toutes les autorités, du président de région jusqu'au préfet, il avait vanté la reprise de cette usine et de ses 180 salariés par la société de M. Decayeux, dans un esprit « start-up ». Un esprit« start-up » pour une usine de 180 salariés, me direz-vous, cela paraissait un peu contradictoire ; mais le miracle était tel, pour Amiens et pour moi-même, que nous voulions y croire.
Le pari, toutefois, était incertain : on a d'abord évoqué la production de casiers réfrigérés, puis de boîtes à lettres électroniques, de moteurs pour voitures sans permis, bref, de choses qui appelaient une vigilance redoublée de la part du ministère concerné et de l'État. Pour ce projet, WN s'est vu confier 2,5 millions d'euros par l'État, lequel, en cette occasion, n'a pas joué son rôle d'actionnaire. Qu'aurait fait n'importe quel fonds actionnaire en pareil cas ? Il aurait revendiqué un siège au conseil d'administration ! Il aurait exigé des rapports d'activité mensuels pour analyser la situation des marchés et avoir connaissance des produits qui s'y développent ou non.
De tout cela, il n'y eut rien. Il y a six mois, nous avons pourtant lancé l'alerte avec les syndicats de Whirlpool : les salariés, disions-nous, ne font rien, ils « glandouillent », et c'est préoccupant. Nous n'avons reçu aucune réponse, ni de l'Élysée, ni du ministère du travail, ni de la préfecture. Pas même une réponse de courtoisie. Une nouvelle préfète, finalement, a pris le dossier à bras-le-corps : on a alors appuyé sur le frein, mais on était déjà rentré dans le mur.
Pourquoi ? Comment comprendre que l'État, qui avait mis de l'argent dans la boutique et, par là, se portait garant du projet auprès des salariés, n'ait pas joué son rôle ? La cause, je crois, est dans l'incompétence des services : ce n'est pas parce qu'un ministère compte des milliers de fonctionnaires surdiplômés que ceux-ci connaissent le terrain et qu'ils y viennent. Il y a de leur part, je pense, une espèce d'indifférence au sort des salariés concernés, une fois partis les caméras, les micros et les médias. Plus profondément, il y a chez eux l'idée qu'aucune ingérence ne doit être admise dans les affaires de l'entreprise : un seul maître à bord devrait y régner.
Pour moi, au contraire, l'entreprise est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls chefs d'entreprise. Ceux-ci n'en sont pas moins les capitaines du vaisseau, nous en sommes d'accord, mais ils ne doivent pas être les seuls maîtres à bord. En l'espèce, il était de la responsabilité de l'État de s'investir dans l'entreprise.
Un autre symbole de cette attitude nous est offert par l'entreprise New Look, dont 464 salariés sont en voie de licenciement. Le ministre de l'économie est venu leur dire : « Faites confiance à votre patron ! » Pourtant, celui-ci a liquidé la branche belge en un claquement de doigts lors d'un comité d'entreprise qui n'était pas prévu ; New Look a siphonné la branche française, pompé la trésorerie et fait remonter l'argent vers la société mère, domiciliée à Malte, tout cela dans l'opacité la plus totale, via une succession de holdings installées dans des paradis fiscaux. Malgré tout cela, donc, le message du ministère de l'économie aux salariés, c'est : « Faites confiance à votre patron ! »
L'État, à mes yeux, n'a pas joué son rôle, non seulement d'actionnaire, mais aussi de protecteur, de bouclier contre les coups portés par la finance mondialisée, par le capital contre les salariés – en l'occurrence, par un fonds sud-africain contre les salariés de New Look. Ces salariés, il les a laissés seuls, dans le désarroi et, comme ils le répètent tous, à l'abandon. Face à cela, une véritable politique industrielle est nécessaire.
Mme Valérie Rabault, M. Jean-Paul Dufrègne et M. Sébastien Jumel applaudissent.
Je sollicite votre indulgence, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, car je remplace Gabriel Serville au pied levé. Je vais donc m'efforcer d'improviser deux ou trois idées sur le thème qui nous occupe.
Ayant réfléchi quelques minutes, je me suis interrogé sur ses causes. Si l'État est en panne, n'est-ce pas en raison de son renoncement ? Pour l'État industriel, dont François Ruffin vient de parler, la chose est flagrante. L'État a renoncé à l'ensemble des outils stratégiques qui lui permettaient de se porter au chevet des industries, des PME, des PMI, de nos filières structurées. Il a renoncé aux instruments de souveraineté capitalistique dont il disposait. J'en prendrai quelques exemples.
Des fonds d'investissement prédateurs, de type LBO – leveraged buy-out – , entre autres, sont en train de prendre pied dans l'ensemble de nos fleurons. Le pôle verrier de la vallée de la Bresle, monsieur le secrétaire d'État, a été victime de cette prédation. Si l'on n'y prend garde, elle pourrait siphonner les savoir-faire et accélérer les délocalisations. La pêche, sujet de la mission parlementaire que je préside, est elle aussi victime d'une perte de souveraineté capitalistique. Les Néerlandais achètent les pêcheries et, si nous n'y prenons garde, la pêche suivra le modèle qui a fait si mal à l'agriculture et à l'environnement, le modèle qui a produit des exploitations mastodontes, hors de tout contrôle.
Face aux menaces qui pèsent sur ces fleurons qui font l'identité de nos territoires, les irriguent en emplois et sont la sève de leur aménagement par les activités économiques qu'ils y créent, l'État reste spectateur. On est passé du ministre du redressement productif, avec ses marinières et ses coups de menton, à un ministre du renoncement productif. Les dernières annonces en matière industrielle, malheureusement, en témoignent. Les mariages que l'on nous a présentés comme des avatars du modèle Airbus, Airbus naval, Airbus du train, Airbus de l'automobile, se sont soldés, au bout du compte, par l'application de la même logique, celle des actionnaires qui font main basse sur nos fleurons : on supprime d'abord les doublons, puis on délocalise les sites industriels car on trouve toujours de la main-d'oeuvre moins chère ailleurs. Face à cela, l'État n'est pas, à proprement parler, en panne : les ministres regardent passer les trains, ils regardent les territoires broyés et les vies abîmées.
Des élections ont eu lieu récemment, et il est de notre intérêt, je crois, de ne pas en appréhender les résultats en seulement vingt-quatre heures. Les territoires qui crient leur colère, hurlent leur désespérance, ne le font pas par plaisir ou parce que tous les fâchés sont devenus des fachos : ils le font sur le constat d'une réalité, celle d'un État qui a organisé le recul de la République partout et pour tous. La suppression des services publics de proximité, votre nouvelle approche des services publics qui ne fait qu'accélérer leur déménagement des territoires, le fait que, selon l'endroit où l'on habite, où l'on naît, on n'ait pas accès à la même formation, à la même école, à la même médecine, tout cela illustre aussi l'État en panne, l'État qui renonce, l'État qui n'a pas soin de faire briller le soleil pour tout le monde. J'veux du soleil, s'intitule un beau film que je vous recommande.
Sourires.
Avec Macron, le soleil ne brille pas de la même façon pour tout le monde : certains territoires sont plus à l'ombre que d'autres, et la pluie y tombe plus dru.
En matière industrielle, en matière d'activité économique, de pôles de compétitivité et d'innovation, bref, en tout ce qui structure l'économie résidentielle, que certains rêvent de voir se substituer à l'économie réelle, il y a un risque, sur lequel j'appelle votre attention, à concentrer toutes les réponses de l'État dans des métropoles attrape-tout, dans des territoires où les gens vont bien, tout en renonçant à vous préoccuper de ceux qui vont moins bien. Pourtant, ces gens-ci font la France, sa diversité et sa richesse.
Voilà en quelques mots, monsieur le secrétaire d'État ce que m'inspire ce titre d'un « État en panne ». En panne, l'État ne l'est pas pour des raisons techniques, ni parce qu'il serait en apesanteur : il l'est par l'absence de volonté politique, de la part des libéraux que vous êtes, de prendre en main la conduite du pays et d'assurer une redistribution des richesses, d'assurer une égalité sociale et une égalité territoriale qui guident les choix de l'État stratège, de façon que, au bout du compte, la République demeure une et indivisible, présente partout et pour tous. Ce serait le contraire de l'État en panne, de cet État que vous vous obstinez à ne pas réparer au profit de tous.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.
Avec la proposition de résolution du groupe Socialistes et apparentés, nous sommes invités à débattre du rôle de l'État et de la présence des services publics sur le territoire. À en croire ce texte, les politiques publiques menées depuis deux ans seraient contre-productives, l'État absent ; pire, « en panne ». Une relance serait donc nécessaire, et la proposition de résolution serait la solution.
Je dois vous avouer, mes chers collègues, qu'en lisant cette résolution, j'ai été quelque peu déconcerté. On nous décrit un État en panne, voire en marche arrière ; pourtant, les faits nous prouvent le contraire : le taux de chômage est le plus bas que nous ayons connu depuis dix ans ; l'investissement est au plus haut depuis douze ans…
Ce n'est pas le résultat de l'action de l'État, cela, mais de celles des entreprises !
… et nous avons connu un record d'attractivité de notre pays.
Je ne dis pas que tout est parfait, que les objectifs sont atteints et qu'il faut nous contenter de ces résultats.
Les dernières crises nous montrent au contraire toute l'étendue du travail qui nous attend encore pour relever les multiples défis qui sont face à nous.
M. le Premier ministre, dans son discours de politique générale, la semaine dernière, a d'ores et déjà apporté des éléments de réponse.
Puisque cette proposition de résolution évoque les services publics, je tiens à rappeler que, parmi les mesures annoncées par le Premier ministre, figure l'implantation d'une « maison France services » dans chaque canton d'ici à 2022. Non seulement ces maisons assureront une présence physique de proximité sur tout le territoire, mais elles constitueront également un guichet unique pour tout citoyen qui n'aura plus à se demander à quel service s'adresser.
Cet objectif de simplification n'est pas nouveau et fait même partie des priorités du Gouvernement et de la majorité.
La loi pour un État au service d'une société de confiance en est l'illustration parfaite. Avec ce texte, l'État et ses administrations ne sont plus là uniquement pour contrôler et sanctionner mais également et surtout pour accompagner et conseiller. Concrètement, cela se manifeste notamment par le droit à l'erreur : particuliers et entreprises sont réputés avoir agi de bonne foi en cas d'erreur. Il reviendra désormais à l'administration de prouver le contraire pour prononcer une sanction. Ce changement de culture se manifeste par le récent lancement du site oups. gouv. fr, grâce auquel l'administration accompagne les administrés en recensant les principales erreurs auxquelles ils peuvent être confrontés et apporte des informations pour les éviter et les corriger.
Le rôle de l'État et de ses administrations est donc repensé et simplifié pour assurer une meilleure performance des services rendus au public.
C'est certainement cette logique de performance et d'efficience qui nous différencie : là où, depuis 2012, vous avez fermé plus de 700 points de trésorerie sur tout le territoire, sans aucune concertation ni logique, nous avons, nous, opté pour une réforme concertée prenant en considération les réalités et les besoins des citoyens. Ainsi, d'ici à 2022, le nombre d'accueils de proximité des finances publiques augmentera de 30 % sur tout le territoire.
Cette transformation est le résultat d'une réflexion globale offrant une vision de long terme sur le réseau de la direction générale des finances publiques, la DGFIP : quelles missions, pour répondre à quels besoins, pour quelle efficacité et grâce à quelles améliorations ? C'est là tout le travail mené par le Gouvernement et la majorité dans le cadre du programme Action publique 2022. Nous voulons moderniser nos services publics pour répondre aux besoins de tous dans une logique d'efficacité et de proximité. L'objectif n'est pas de donner des coups de rabot à l'aveugle, dans une pure et unique logique fiscale, mais bien de repenser notre administration et nos services publics de demain. C'est une réflexion globale dont performance et rationalisation sont les maîtres mots.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, je ne partage pas du tout le constat formulé dans cette proposition de résolution. Notre État n'est pas en panne ; au contraire, il redémarre enfin ! Après des années d'immobilisme et de décisions prises à la hâte sans vision d'ensemble et sans courage, nous construisons enfin l'avenir et nous faisons entrer notre État, nos administrations et nos services publics dans le XXIe siècle.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Sourires.
Sourires.
Le groupe socialiste a fait le choix de déposer une résolution concernant les pannes de l'État et de proposer des pistes pour le remettre non pas en marche, si vous le permettez, mais en action. J'en remercie sa présidente.
Je partage, madame la présidente, un certain nombre de vos constats : les services publics reculent ; l'État se désengage de certains territoires ; la situation de notre système de santé et son maillage constituent de vrais sujets d'inquiétude.
En outre, les Français ont largement remis en question l'organisation et la performance de nos politiques publiques au cours des derniers mois ; certains d'entre eux ont manifesté une immense défiance vis-à-vis de nos institutions et de leur fonctionnement.
En ligne de mire de leurs critiques, le plus souvent, on trouve d'abord ce qui est perçu comme une fiscalité confiscatoire, qui prive celles et ceux qui travaillent dur pour boucler leurs fins de mois de la juste récompense de leurs efforts, mais aussi l'inégalité ressentie, selon que l'on vit dans une grande métropole ou dans un territoire moins densément peuplé, et donc délaissé, et enfin les inquiétudes grandissantes quant à nos solidarités et à la pérennité d'un système où les périodes de fragilité que traverse tout un chacun doivent être amorties par des dispositifs permettant de les affronter. Nos concitoyens ressentent aussi une angoisse de plus en plus forte face aux enjeux planétaires, climatiques, environnementaux ; ils ont besoin de réponses adaptées à leurs modes de vie autant qu'à la préservation de la planète.
Les réponses apportées, ou en cours d'élaboration, à l'expression de ces différentes craintes, sont souvent perçues comme « macro » ; il est par conséquent complexe pour nos concitoyens d'en discerner les possibles conséquences concrètes sur leur quotidien.
Depuis plusieurs mois, différents travaux sont en cours de réalisation à l'Assemblée nationale sur l'efficience des politiques publiques, le rôle et les missions de l'État, et son articulation avec les autres niveaux de responsabilité.
Notre discussion m'offre la possibilité de vous livrer quelques constats complémentaires, partagés par d'autres sur différents bancs de cette assemblée, notamment grâce aux travaux de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation dont je suis l'un des vice-présidents, mais aussi grâce à ceux de différentes missions d'information de la commission des lois, dont certains sont encore en cours d'élaboration.
Le premier de ces constats, c'est que l'État a depuis longtemps abandonné son rôle d'État stratège…
… notamment en matière d'aménagement du territoire, ce qui a engendré un fort sentiment d'abandon dans nombre de lieux qui se considèrent aujourd'hui comme des territoires de seconde zone – là où les axes de communication ne sont pas à la hauteur des attentes, là où le numérique se fait trop attendre, là où le mobile ne passe pas correctement, mais aussi là où les policiers et les gendarmes sont en nombre insuffisant et où l'insécurité gagne, là où l'hôpital se retire et où l'on a peur de l'accident de santé.
Le deuxième de ces constats, c'est que cette impuissance de l'État a aussi gangrené d'autres champs, comme celui du social, avec le sentiment tenace que le seul critère d'arbitrage est financier et budgétaire, et qu'on ne prend de décisions qu'en fonction de la sacro-sainte obsession de « réduire la dépense publique ». Ce que vivent les Français aujourd'hui confrontés aux indispensables réformes des retraites ou de l'indemnisation du chômage est tristement révélateur de cet état de fait.
Le troisième de ces constats, c'est que l'État est aussi perçu comme absent des grandes politiques d'envergure mondiale qu'il est pourtant le seul à pouvoir mener. Je parle ici du défi environnemental dont la mise en oeuvre a été abandonnée à des agences – agences régionales de santé, directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement, Agence française pour la biodiversité, agences de l'eau – que les Français relient difficilement à l'État puisqu'elles conduisent leurs propres politiques à leur propre rythme en fonction de leurs propres contraintes. Il n'y a plus de lisibilité.
Au-delà de ces constats, je souhaiterais esquisser ici quelques préconisations.
Tout d'abord, dans une période de profondes mutations de notre société, et aussi de notre République, il n'est pas question de militer pour le statu quo ou le retour en arrière. Ne cherchons pas à aller vers plus d'État ; cherchons à aller vers « mieux d'État ».
On pourrait imaginer un État qui s'inspirerait des réalités de terrain en ouvrant la voie à la prise en considération des particularités territoriales. Il y va de la capacité de la France à continuer d'aménager son territoire afin que des gens y vivent partout.
Ensuite, il faut doter les territoires des moyens correspondant aux projets qu'ils ont pour leurs habitants, plutôt que de contraindre le pays tout entier à entrer dans un moule unique.
Enfin, l'État pourrait proposer aux territoires un contrat de gré à gré, pour atteindre ces objectifs, en mettant autour de la table tous les acteurs. C'est là que pourrait se nicher une nouvelle étape de décentralisation.
Ce mouvement, qui pourrait commencer rapidement, doit s'accompagner d'un autre, de déconcentration. Pourquoi vouloir rapatrier à Paris ou dans les grandes métropoles régionales tous les centres de décision publique ? Pourquoi poursuivre le mouvement de déshabillage progressif des services de l'État déconcentré, en particulier dans les départements ? Nous proposons, à l'inverse, d'imaginer un État qui s'incarne au plus près des Français, grâce notamment à des préfets de département et des services aux pouvoirs renforcés. L'État deviendrait un État conseil plutôt qu'un État sanction.
Outre l'amélioration de l'efficacité des politiques publiques, je crois profondément que ces virages seraient de nature à redonner aux Français de la considération pour leurs institutions, et donc à lutter contre l'avènement de forces politiques extrêmes qui souhaitent, elles, l'affaiblissement de nos institutions et donc de notre démocratie.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Par cette proposition de résolution, nos collègues députés du groupe Socialistes entendent démontrer que la politique menée par le Gouvernement dans un grand nombre de domaines consiste en un recul inédit de l'État. L'exposé des motifs multiplie ainsi les exemples de réformes engagées, et leur adresse à toutes une même critique : celle d'un démantèlement des structures et des capacités d'intervention publique. De manière sous-entendue ou parfois explicite, reproche est fait à la politique gouvernementale de libéraliser et de privatiser tout ou partie des missions ou des services de l'État considérés comme devant demeurer dans le giron de l'intervention publique, notamment au nom des principes fondamentaux du service public que sont l'égalité, la continuité et l'adaptabilité.
Forts de cette conception très keynésienne de l'État, nos collègues du groupe Socialistes demandent au Gouvernement de revoir sa copie, par exemple en abandonnant la réforme de la fonction publique ou la privatisation du groupe Aéroports de Paris, en dégageant des crédits budgétaires supplémentaires en faveur des services d'urgences des hôpitaux ou en procédant à une augmentation du volume des contrats aidés. Ils appellent de leurs voeux un État fort, protecteur par l'exercice de ses missions régaliennes, redistributeur en matière sociale, stratège et interventionniste en matière économique, décentralisateur et garant des libertés locales enfin. Ce retour à l'État, ou plutôt ce retour de l'État, est justifié par les urgences écologiques, démocratiques, sociales et économiques que souligne la proposition de résolution.
En cela, nos collègues du groupe Socialistes font écho aux attentes exprimées par un grand nombre de nos concitoyens de services publics plus affirmés, plus proches et plus efficaces. Ces aspirations se sont fait jour à l'occasion de la crise des gilets jaunes, ainsi que dans le cadre du grand débat. Si elles ont été fortement exprimées, elles se sont parfois aussi révélées contradictoires : dans le même temps où les Français dans leur grande majorité demandent plus d'État, ils demandent moins d'impôts ; or les impôts sont la condition nécessaire et indispensable au financement du service public.
Plus globalement, le débat sur la place, le rôle, les missions ou encore le périmètre de l'État est en France un débat ancien et constant ; il structure notre vie démocratique.
Il est tout autant le fruit de l'histoire de notre pays, dans lequel l'État a précédé la nation, que des circonstances et des nécessités. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, quand le pays et notre économie étaient à reconstruire, l'interventionnisme de l'État faisait consensus, comme le montre notamment le programme du Conseil national de la Résistance. À d'autres périodes, au milieu des années 1980 par exemple, cet interventionnisme était majoritairement remis en question, à l'instar de ce qui se passait dans les principales autres démocraties occidentales, une aspiration plus importante à l'individualisme et une certaine méfiance envers l'efficacité de l'intervention publique s'imposant. Un vent de liberté soufflait, qui fit tomber le mur qui séparait démocratie libérale et collectivisme érigé en religion d'État. À la fin des années 1990, un gouvernement socialiste conduit par Lionel Jospin, peu soupçonnable d'accointances idéologiques avec la droite, procéda au nombre le plus important de privatisations connu jusqu'alors sous la Ve République.
Ce débat sur la place de l'État en France ne peut cependant être réduit à une caricature entre étatistes et libéraux, entre collectivistes et individualistes, entre les tenants de la relance et ceux du laisser-faire, entre gauche et droite.
La séparation entre les uns et les autres et les nuances nombreuses qui s'y développent traversent depuis longtemps les différents courants de pensées.
Pour les députés du groupe UDI et Indépendants, la question qui se pose, et surtout les réponses que nous devons donner à nos concitoyens, ce n'est pas plus ou moins d'État, mais c'est « mieux d'État ». Le principe fondamental d'adaptabilité du service public exclut en effet que celui-ci soit figé dans sa conception, ses missions, son action ou ses organisations, l'objectif étant la satisfaction collective des besoins de nos concitoyens, le progrès et la cohésion nationale.
Ainsi, pour ne prendre que cet exemple de la fonction publique, nous divergeons sur plusieurs points avec l'analyse développée par nos collègues socialistes. En effet, nous ne partageons pas l'idée que le recours au contrat serait « l'antithèse de la fonction publique de carrière et de la logique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ». Tout au contraire, nous considérons qu'il est des métiers, au sein des trois fonctions publiques, qui devraient être dispensés du statut pour permettre aux employeurs publics de mieux recruter, de mieux rémunérer et d'offrir de meilleures perspectives de parcours professionnel que ce qu'impose aujourd'hui le cadre statutaire.
Par « mieux d'État », nous entendons également traiter la question du financement du service public, lequel provient d'une charge fiscale si lourde que nos concitoyens, nous le voyons bien, la supportent de moins en moins. En même temps qu'ils nous demandent plus de proximité et d'efficacité du service public, ils nous demandent que ce service public coûte moins cher.
En cela, nos concitoyens nous rappellent une autre urgence que l'urgence écologique, qui domine à raison nos débats : celle de la dette. Si nous devons léguer à nos enfants une planète vivable, nous devons aussi leur léguer des finances publiques viables. Proposer un plan d'aide de 500 à 600 millions d'euros pour les urgences est parfaitement louable dès lors que ces moyens financiers se traduisent par des moyens humains indispensables pour pallier la suractivité des services d'urgences face à la pénurie des médecins de ville.
Reste que cet effort financier ne saurait consister en un seul accroissement du déficit public et donc de la dette. Or, de cette exigence pour l'avenir, le texte ne dit mot, texte qui pèche par deux excès : d'une part le systématisme de la critique du Gouvernement quant aux orientations supposées de ses réformes qui conduiraient à toujours moins d'État et, d'autre part, une propension inquiétante à l'alourdissement du déficit et de la dette publique que sous-tendent les propositions avancées.
Pour ces raisons, les députés du groupe UDI et Indépendants ne voteront pas la présente proposition de résolution.
Mme Lise Magnier applaudit.
À l'occasion du deuxième « Printemps de l'évaluation », les députés du groupe Socialistes et apparentés ont choisi d'aborder la question de la place et du rôle de l'État au sein des politiques publiques – en particulier celles que la majorité a mises en oeuvre depuis deux ans.
Placer cette question au coeur de notre débat ne relève pas d'une démarche idéologique qui opposerait la sphère de la puissance publique à la sphère privée. Soyons bien clairs : les deux sont nécessaires. Placer cette question au coeur de notre débat répond à de nombreuses interrogations soulevées lors du grand débat ainsi qu'à la nécessité de disposer d'une architecture solide pour assurer la cohésion de notre pays, c'est-à-dire d'un État fort. Un État fort est un État protecteur qui exerce pleinement ses missions régaliennes. Un État fort est un État solidaire qui assure la redistribution entre tous ses citoyens et entre tous ses territoires. Un État fort est un État stratège qui se donne les moyens de répondre aux défis du présent et qui anticipe les mutations à venir. Enfin un État fort est un État décentralisé qui garantit les expressions démocratiques et les initiatives locales.
Or, monsieur le secrétaire d'État chargé du numérique, nous considérons que les politiques menées depuis deux ans sont en train de fragiliser cet État fort. Pour illustrer cette analyse, je citerai quelques exemples.
Un État fort a le souci de tous ses territoires et, à y regarder de plus près, les projets de loi que vous avez présentés depuis deux ans ont tendance à oublier les territoires d'outre-mer. Nous le dénonçons, et vous allez peut-être estimer que c'est une démarche partisane, mais la Cour des comptes, qui a plutôt pour habitude de demander des réductions de dépenses publiques, s'en inquiète elle aussi, ce qui devrait vous alerter. Ainsi, en 2018, votre gouvernement a réduit de 177 millions d'euros les crédits affectés aux territoires d'outre-mer, par rapport à ce qui a été voté : la Cour des comptes qualifie cette sous-consommation budgétaire « d'inédite ». La suppression des aides personnalisées au logement – APL – accession a contribué au « brutal coup d'arrêt », pour citer la Cour, toujours, de la production de logements en outre-mer, qui est passée de 476 logements en 2017 à 94 en 2018.
La suppression de cette aide a également conduit à un effondrement des aides à l'amélioration de l'habitat privé en Guadeloupe et à La Réunion.
Deuxième exemple : un État fort est un État capable de défendre ses intérêts – François Ruffin vient de le souligner – car ce sont ceux de tous les Français. Or, là aussi, l'année 2018 a été marquée par un recul. Faute d'une expertise juridique suffisante en matière d'impôt sur les sociétés, l'État a dû laisser filer – pardonnez l'expression – 2,5 milliards d'euros en 2018, ce qui représente tout de même le tiers du budget du ministère de la justice. Ici aussi, l'évocation de ce montant en commission des finances a suscité un certain émoi chez nos collègues, ceux de la majorité y compris.
Un État fort, troisième exemple, est celui qui a une ambition pour la culture. Je citerai François Mitterrand qui affirmait, lors de l'inauguration de la pyramide du Louvre : « Je suis de ceux qui croient profondément [… ] qu'une politique culturelle est à la base de toute autre politique, qu'il faut que les Français se retrouvent dans leur histoire, dans leur art, leur passé, pour qu'ils sachent mieux avoir l'ambition de leur avenir. » « Mieux avoir l'ambition de son avenir »… là aussi, nous pouvons établir plusieurs constats sur l'année 2018 à partir des documents budgétaires que vous nous avez remis. Les musées, notamment ceux qui sont gérés par l'État, ont-ils un taux d'ouverture suffisant ? En 2018, selon l'indicateur 2. 1 du programme 175, il continue de baisser. Pour le spectacle vivant, qui se produit dans des lieux subventionnés par l'État, on a compté 500 000 spectateurs de moins qu'en 2017 et 500 000 de moins que l'objectif fixé en loi de finances. Dernier constat : pour les arts plastiques, la part des crédits d'acquisition et de commandes versés directement à des artistes dans les budgets des fonds régionaux d'art contemporain – FRAC – et du centre national des arts plastiques – CNAP – , a baissé par rapport à 2016 et 2017. Elle était de 6 % en 2018 contre 9 % en 2012.
Quatrième exemple : un État fort est celui qui ne laisse personne au bord de la route, s'agissant de l'emploi, que la personne ait une qualification ou non. Je sais que nous avons une divergence avec vous sur les emplois aidés. Le nombre de créations d'emplois aidés est passé de 460 000 en 2016 à 128 000 parcours emploi compétences – PEC – en 2018 et 100 000 prévus en 2019. Vous conviendrez tout de même que cette baisse est vertigineuse. De plus, les emplois aidés nouvelle mouture, les PEC, supposés révolutionner les emplois aidés, n'ont rien révolutionné du tout puisque vous aviez fixé, pour 2018, un objectif de 200 000 créations ; or ce chiffre n'a été que de 128 000, tout simplement parce que le dispositif est trop compliqué. En supprimant ces contrats aidés au prétexte qu'ils seraient de faux emplois, le Gouvernement a fait de vrais chômeurs.
Cinquième et dernier exemple : un État qui reste trop spectateur face à la situation des urgences. J'ai bien entendu certains de nos collègues dire que ces difficultés ne sont pas nouvelles – personne ne le niera. En vingt-cinq ans, le nombre de passages aux urgences a triplé, passant de 7 millions en 1990 à 21 millions en 2016, selon les derniers chiffres de la Cour des comptes communiqués dans le tome II de son rapport public de 2019. Nous serons tous d'accord pour reconnaître que cette évolution ne peut s'expliquer par la seule augmentation de la population française, qui a progressé de 15 % sur la même période, pas plus que par son vieillissement. D'autres phénomènes interviennent, « trop peu analysés » comme le relevait la Cour des comptes dans un rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.
Si la Cour relève qu'un effort certain a été fait au cours du dernier quinquennat pour mieux analyser les raisons qui ont conduit à une explosion du nombre de passages, et que des efforts ont été entrepris pour avoir une meilleure organisation, alors qu'elle préconise une baisse des dépenses publiques, elle écrit qu'il faudrait augmenter de 20 % en équivalents temps plein le nombre de médecins urgentistes. Ce type de préconisation est suffisamment rare : elle devrait être suivie immédiatement. Ce phénomène est nouveau et devrait être très sérieusement pris en considération par le Gouvernement, ce qui, quand on le traduit en euros sonnants et trébuchants, conduit à une augmentation de 500 millions d'euros des crédits accordés aux urgences.
J'évoquerai enfin cet État contraint de revoir à la baisse les missions de ses administrations et je prendrai un exemple qui me tient à coeur, celui des douanes, auxquelles, il y a deux mois, j'ai rendu visite à Saint-Malo – qui ne se situe pas dans ma circonscription. Les douanes comptent quelque 17 000 agents qui exercent de très nombreuses missions, plus de 400 aujourd'hui, dans des domaines variés comme le soutien à la compétitivité économique des entreprises, la protection et la lutte contre la fraude ou encore la perception de taxes douanières. Ce sont des missions essentielles. Plus qu'aucune autre administration, la douane française et ses douaniers doivent et savent s'adapter à la conjoncture : en cas de risques terroristes, de bouleversements dans les échanges commerciaux, de crise sanitaire ou encore à l'occasion du Brexit qui s'annonce.
Les résultats montrent que la douane française a su se moderniser. En 2004, dans le cadre du dédouanement, si le délai moyen d'immobilisation des marchandises était de treize minutes, il est aujourd'hui d'un peu plus de deux minutes. Le taux de satisfaction des usagers est de 85 %. Enfin, pour 100 euros de taxes douanières collectées, le coût de perception n'est que de 39 centimes – l'un des plus faibles du monde. Selon le rapport annuel de performance pour 2018, l'administration de la douane a atteint et dépassé huit de ses douze objectifs. Certaines missions de la douane sont pourtant régulièrement remises en cause, soit parce que les moyens qui lui sont affectés sont revus à la baisse, soit parce qu'elles sont externalisées. Dans certaines régions, les missions relatives aux points de passage de la frontière ont pris le pas sur les autres missions qui forment le coeur du métier de douanier, faute d'effectifs suffisants.
Ces restrictions de moyens, combinés à la concurrence entre les douanes, finissent par menacer la compétitivité de nos entreprises.
Je ne reviens pas sur le Brexit qui fait l'objet de création de postes mais en nombre inférieur, par exemple, à celui envisagé par les Pays-Bas.
Lors de sa seconde déclaration de politique générale, le Premier ministre a déclaré que « l'État qui devrait raisonner en stratège pour le long terme s'est trop souvent englué dans le court terme ». Sur ce point, monsieur le secrétaire d'État, je suis d'accord avec lui ; mais cela suppose à mes yeux de corriger la politique que vous menez depuis deux ans.
Sur l'ensemble de la proposition de résolution, je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Marie-Ange Magne.
Si l'on en croit le titre de la proposition de résolution, l'État serait « en panne ». La politique menée par le Gouvernement et par la majorité démontre pourtant le contraire : l'État avance, avec pour moteur la nécessité de répondre aux attentes et aux besoins réels de nos concitoyens. Il s'agit de relever les grands défis d'aujourd'hui et, en même temps, de préparer demain.
Cet État, qui avance, nous le voulons agile, concentré sur les grands enjeux de notre époque, lesquels dictent en partie les priorités du pays ; un État qui s'adapte à nos besoins et à nos modes de vie qui évoluent à grande vitesse.
L'État fort, c'est celui qui permet de mieux vivre de son travail, qui libère le travail et l'esprit d'entreprise, qui invente un nouveau modèle de croissance. L'État fort, c'est celui qui, dans le même temps, garantit de nouvelles protections à ceux qui en ont besoin, qui donne les mêmes chances à tous nos enfants, qui a à coeur de rendre accessible la diversité de notre culture.
En la matière, nous avons d'abord l'ambition de moderniser nos services publics tout en renforçant le lien de proximité avec leurs usagers. Assurer cette présence et cette proximité de nos services publics sur tout le territoire est notre préoccupation la plus vive.
D'une part, d'ici au 1er janvier 2020, trois cents maisons France service seront déployées sur tout le territoire. Il y en aura une par canton d'ici à la fin du quinquennat afin de structurer nos services publics au plus près du terrain.
Ces maisons France service regrouperont au moins dix services publics différents. Elles permettront de lutter contre un sentiment d'abandon que nos concitoyens peuvent ressentir dans les zones rurales ou dans les quartiers prioritaires de la ville.
Dans le même temps, une réorganisation des services de la DGFIP vient d'être lancée, en concertation avec les élus locaux dans le but de renforcer le nombre des lieux d'accueil de proximité de 30 % d'ici à 2022.
D'autre part, la modernisation de nos services publics doit permettre de s'adapter aux nouveaux usages. Il ne s'agit pas de restrictions budgétaires, mais, au contraire, d'investir dans des plans de transformation numérique. L'engagement de l'État d'une couverture mobile de qualité généralisée dès 2020, grâce au plan France très haut débit, doit permettre de rendre nos services publics plus accessibles sur des territoires jusqu'alors inégalement desservis.
Notre but est ainsi d'agir largement en vue d'un numérique inclusif, et de lutter contre l'« illectronisme ». La création d'un Pass numérique, la mise en place de « Hubs France Connectée » ou encore le plan de formation pour les aidants numériques vont dans ce sens.
Nous voulons aussi accompagner les fonctionnaires dans les transformations de l'action publique. Profondément attachés aux valeurs de service public, les agents publics se mobilisent au quotidien pour la sécurité et la cohésion de notre pays. Face à l'évolution rapide de leur métier, le sens de leur mission et de leur engagement doit aujourd'hui être conforté. De nouvelles attentes se font jour pour aller vers une fonction publique plus attractive et plus réactive, vers des parcours professionnels plus diversifiés et une plus grande prise en considération de la qualité de vie au travail.
La nécessaire transformation de l'action publique ne peut être menée à bien sans redonner sens et confiance aux 5,5 millions d'agents qui font tous les jours vivre le service public. Il importe aujourd'hui de renforcer le lien entre nos agents publics et le service de leur pays, et de mettre en oeuvre pour ce faire une transformation ambitieuse de notre fonction publique.
Le projet de loi de transformation de la fonction publique contribue à renforcer l'action de l'État. Il promet un dialogue social plus stratégique, dans le respect des garanties des agents publics. Il développe les leviers managériaux pour une action publique plus réactive et plus efficace. Il simplifie et garantit la transparence et l'équité du cadre de gestion des agents publics. Il favorise la mobilité et accompagne les transitions professionnelles des agents publics entre la fonction publique et le secteur privé. Il renforce l'égalité professionnelle dans la fonction publique.
Notre volonté est enfin d'accompagner les Français dans les mutations de l'économie et la transformation de notre pays. L'année 2017 a enregistré la meilleure performance depuis dix ans, avec une croissance de 2,3 %, 350 000 créations d'emplois, et un investissement dynamique. L'année 2018 a été celle de la hausse du pouvoir d'achat, avec la suppression d'une partie de la taxe d'habitation et la baisse des cotisations. Le taux de chômage est à son plus bas niveau depuis dix ans.
Cette année, 10 milliards d'euros de mesures économiques, fiscales et sociales se traduiront par un net gain de pouvoir d'achat pour les classes moyennes. Si l'on considère l'évolution de l'emploi, des salaires soutenus par la prime défiscalisée, des revenus du capital, ainsi que le ralentissement de l'inflation, la hausse moyenne sera de 850 euros par ménage, soit la plus forte hausse depuis 2007.
La baisse de la taxe d'habitation, la baisse des cotisations sociales, la prime d'activité et la défiscalisation des heures supplémentaires vont donner du pouvoir d'achat aux salariés du privé de la classe moyenne.
De plus, les entreprises disposent aujourd'hui de capacités financières avec un niveau d'épargne historiquement élevé, auxquelles s'ajoute la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE – en allégements de charges à hauteur de 20 milliards d'euros.
Plus que jamais le Gouvernement et notre majorité agissent…
… pour renforcer l'action de l'État, avec l'ambition d'accompagner l'ensemble des Français dans leur parcours de vie et de créer les conditions d'un dynamisme économique porteur de croissance et d'emploi. Loin d'être en panne, l'État est bien en marche.
Vifs applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Levez-vous, tant que vous y êtes ! Levez-vous !
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du numérique.
Vous me permettrez de répondre tout d'abord à M. Jean-Louis Bricout, car il a commencé son intervention en évoquant la dématérialisation. Ce sujet qui me tient à coeur est assez symptomatique des transformations auxquelles l'État doit faire face, de son insuffisance en la matière et, en conséquence, des lacunes qu'il nous reste à combler.
Monsieur le député, vous avez cité le rapport du Défenseur des droits relatif à la dématérialisation et aux inégalités d'accès aux services publics. Dans ce rapport, le Défenseur des droits dit, grosso modo, que cette dématérialisation a été menée trop rapidement, sans tenir compte des usagers.
Il a totalement raison. La dématérialisation des services publics et la numérisation des démarches ont été menées de façon assez constante par les divers gouvernements et administrations qui s'y sont attelés, en ayant insuffisamment en tête le parcours des usagers et la qualité des services publics.
On vous annonce que l'on va progressivement retirer les services publics de vos territoires : la Caisse nationale d'assurance vieillesse s'en va, La Poste ferme…
Elle aussi ! On vous précise qu'il suffit d'aller sur internet pour accéder à ces services, mais que se passe-t-il si vous n'avez pas internet, que vous ne savez pas vous en servir, ou même que le site sur lequel on vous a renvoyé ne fonctionne pas ?
Il faut se rendre à la préfecture, à 100 kilomètres de chez soi, et elle n'ouvre que de huit à quinze heures.
Dans ces conditions, il est normal que les Français considèrent que le compte n'y est pas.
Je ne vais pas décrire toute la politique de réduction de la fracture numérique que mène le Gouvernement, mais l'enjeu consiste à permettre aux Français de se connecter, à former à internet les 6 millions d'entre eux qui doivent l'être, et à faire en sorte que les sites de dématérialisation de démarches administratives soient conçus à partir de l'utilisateur, de tous les utilisateurs – je pense en particulier aux 20 % de Français en situation de handicap.
Comme Mme Valérie Rabault l'a laissé entendre, qu'il s'agisse de la santé, des territoires, ou des douanes, l'organisation territoriale, administrative et institutionnelle de notre pays, héritage de plusieurs siècles d'administration, en particulier de l'après-guerre, est percutée par de grands mouvements de populations, tels que ceux que l'on observe dans la ruralité, mais aussi par des usages.
Le fait est qu'il y a de plus en plus de déclarations de revenus en ligne, que le volume du courrier baisse chaque année de 5 à 10 %, que les Français vont de plus en plus aux urgences, et que la désertification rurale amène à conserver des services de santé parfois sous-utilisés, donc sous-critiques, ce qui pose des problèmes sanitaires.
Ces phénomènes, qui ne sont ni le résultat de l'action du Gouvernement ni celui d'une quelconque malédiction, constituent bien de grandes tendances de société auxquelles l'administration et l'État se sont insuffisamment adaptés jusqu'à maintenant. Au fond, Mme Valérie Rabault pose le problème de la transition.
En effet, il faut à la fois résoudre ces problèmes, sachant que la solution ne passe pas par la dépense publique, mais qu'il faut prendre les choses à la racine et donner des réponses en termes d'organisation, tout en accompagnant la transition.
Il est vrai que l'accompagnement de la transition ne se fait pas exactement de la même manière selon que vous avez 50 ou 100 % de dette publique. Sur ce sujet du rapport à la dette publique, madame la députée, nous n'avons peut-être pas la même approche – si je me souviens bien de discussions que nous avons eues par le passé, cela ne date pas d'hier. Cela dit, à l'aune des critiques qui sont aujourd'hui les vôtres, je remarque que le quinquennat de François Hollande n'a pas toujours été exemplaire sur ce plan.
Le fait est que la contrainte budgétaire est bien réelle, tout le monde le reconnaît, et qu'elle n'est pas l'héritage de l'action de ce Gouvernement, si je puis me permettre cette remarque. Elle vient d'un peu plus loin dans le temps. Elle n'est pas due au fait que le Gouvernement resterait les bras ballants, car nous avons annoncé des mesures extrêmement fortes en faveur des territoires.
En matière de santé, je pense à la fin du numerus clausus, au développement des maisons de santé pluriprofessionnelles, au gel de la fermeture des hôpitaux de proximité ou au déploiement accéléré des communautés professionnelles territoriales de santé pour recréer un service de santé au plus près des Français.
S'agissant de l'école, je pense aux efforts en matière d'encadrement des élèves : il est en hausse dans tous les départements, en particulier dans les cinquante départements les plus ruraux avec le dédoublement de 4 700 classes de CP et de CE1 à la rentrée 2018 dans les réseaux d'éducation prioritaire, y compris dans les zones rurales fragiles. Je pense aussi à l'engagement du Président de la République de ne fermer aucune école sans l'accord du maire de la commune d'ici à la fin du quinquennat.
Des mesures concernent aussi les villes moyennes, avec 5 milliards d'euros que l'État, la Caisse des dépôts et consignations, l'ANAH – Agence nationale de l'habitat – et Action logement consacreront sur cinq ans à la revitalisation des centres-villes des petites villes et des villes moyennes.
Il faut enfin citer la création des maisons France service, et la stratégie nationale pour les « tiers-lieux » mise en oeuvre par Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, et Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement. Cet élément, cité par de nombreux députés, répond à une logique basique mais indispensable : offrir des services publics à chacun, près de chez soi, de manière simple.
M. Ruffin et M. Jumel ont évoqué la politique industrielle. À titre personnel, je connais assez bien le sujet puisque, dans une autre vie, j'ai été, pendant un an et demi, chargé de l'usine du futur chez Safran, mais, également, plus simplement, agent de maîtrise pendant un an et demi, également chez Safran, dans l'usine de Gennevilliers, lieu historique de formation des cadres de Lutte ouvrière. J'ai donc pu côtoyer le sujet d'assez près.
La question de la politique industrielle est essentiellement une question d'emploi et de souveraineté.
Prenons l'exemple d'une technologie qui sera amenée à prendre une assez grande importance dans l'industrie des années à venir : l'intelligence artificielle.
Ce terme assez ésotérique recouvre ni plus ni moins que la capacité de nos industries traditionnelles, notre industrie automobile, notre industrie aéronautique…
… à intégrer une technologie pour pouvoir se battre à armes égales avec ses concurrents américains ou chinois. Si l'on regarde les chiffres qui sont sévères, voire assez cruels, on constate que les montants investis dans l'intelligence artificielle par les GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon – représentent 30 à 40 milliards d'euros par an, et que le même montant est investi par les Chinois, alors que l'investissement des Européens, tous réunis, se monte, en 2016, à 4 à 5 milliards d'euros.
Mais à quoi ont donc pu servir le CICE et le crédit d'impôt recherche ?
Derrière cette différence d'investissement, il y a tout simplement nos emplois et notre souveraineté de demain. Or aucun État, aucune puissance publique ne peut investir, même si elle est en excédent budgétaire, des montants de 30 à 40 milliards d'euros par an. Il ne s'agit donc pas de faire à la place des entreprises, mais, si nous voulons conserver nos emplois et en créer, si nous voulons ne pas sortir de l'histoire – car je crois que, sur le plan économique et technologique, l'enjeu est bien celui-là – , alors il faut créer les conditions pour que les investisseurs privés français et internationaux choisissent la France – les 30 à 40 milliards d'euros investis en Chine et aux États-Unis sont d'abord de l'investissement privé.
C'est ce que nous faisons en créant des conditions favorables, notamment grâce à la fiscalité sur le capital, à l'impôt sur la fortune immobilière… Cela commence à marcher. Cela a été dit : cette année, pour la première fois depuis dix ans, la France est la première destination des investissements étrangers en Europe – je remarque que le numérique est le premier secteur d'investissement. Par ailleurs, comme le soulignait M. Roseren, l'investissement est au plus haut depuis douze ans.
Mais il ne s'agit pas que d'investissement pour l'investissement, puisque, cela a été noté également, l'emploi industriel est en hausse en France pour la première fois depuis dix ans. Il faut voir ce qu'il y a derrière les investissements technologiques : quand on regarde les chiffres aux États-Unis, on constate qu'en dépend un tiers à la moitié des créations nettes d'emplois de ces trois ou quatre dernières années. Cela montre bien l'importance de ce débat.
Je ne veux pas être trop long, mais je termine par une anecdote personnelle.
« Ah ! » sur les bancs du groupe LR.
La première fois que j'ai voté, en 2002, c'était pour Jean-Pierre Chevènement.
M. Mounir Mahjoubi applaudit.
J'ai fait ce choix parce que j'avais, comme on dit, « une certaine idée de la France », et une certaine idée de ce que doivent être sa souveraineté et le rôle de l'État.
Un peu moins de vingt ans plus tard, pour exactement les mêmes raisons, je me sens tout à fait à l'aise avec la politique menée par ce Gouvernement, et je serai donc défavorable à la proposition de résolution que nous examinons.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 56
Nombre de suffrages exprimés 49
Majorité absolue 25
Pour l'adoption 8
Contre 41
La proposition de résolution n'est pas adoptée.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à vingt-trois heures, est reprise à vingt-trois heures cinq.
L'ordre du jour appelle la discussion, en application de l'article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de Mme Cendra Motin pour le renforcement du pilotage et de l'évaluation des effectifs et de la masse salariale de l'État (no 2013).
La parole est à Mme Cendra Motin, rapporteure spéciale de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire.
L'exigence des Français pour une bonne utilisation de l'argent public ne cesse de croître et, avec elle, celle de la représentation nationale. Par bonne utilisation de l'argent public, il ne faut pas seulement entendre continuité ou accessibilité des services publics ; il est aussi et surtout question de leur efficacité, pour ne pas dire de leur efficience. Nous voulons des services publics qui s'intègrent mieux dans nos vies et dans nos villages, mais nous ne les voulons pas à n'importe quel prix. En somme, nous, citoyens français, voulons « mieux de services publics » et moins d'impôts !
Le défi est grand, mais pas insurmontable : il exige d'abord une très grande transparence dans l'utilisation des ressources publiques pour que les citoyens puissent savoir pourquoi et comment sont utilisés leurs impôts ; il exige, ensuite, un suivi et une évaluation complète, détaillée, des politiques publiques, de leur conception à leur mise en oeuvre, afin de savoir si celles-ci atteignent bien leur objectif. Un des éléments essentiels à la satisfaction de cette double exigence est la connaissance, le pilotage et l'évaluation non seulement des effectifs mais aussi de la masse salariale de l'État. Car le service public n'existe que si des hommes et des femmes le rendent tous les jours par leur travail.
La masse salariale de l'État, pensions de retraites comprises, s'établissait en 2018 à 129,6 milliards d'euros, soit 39 % du budget général de l'État. Elle rémunérait environ 35 % de l'emploi public à travers quelque 1 500 éléments de paye différents. Depuis 2009, les dépenses réalisées en matière de salaires ont toujours été supérieures aux crédits votés en loi de finances initiale ; c'est régulièrement le cas dans les ministères de la défense et de l'éducation nationale, mais pas seulement. De 2009 à 2018, les dépenses de personnel de l'État ont progressé de 10,4 milliards alors même qu'entre ces deux exercices le nombre d'agents publics rémunérés – hors budgets annexes – a diminué de 38 328 équivalents temps plein et que le temps de travail rémunéré a été réduit de 176 526 équivalents temps plein travaillé – nonobstant certains changements de périmètre. Et quand la masse des salaires tend à diminuer, elle est aussitôt rattrapée par une hausse des dépenses au titre des pensions de retraite : ainsi, de 2007 à 2013, les dépenses de salaires ont bien diminué de 5,7 milliards d'euros mais, dans le même temps, les dépenses du compte d'affectation spéciale « Pensions » progressaient, elles, de 8,8 milliards d'euros.
Par son ampleur et par son dynamisme, par ses impacts à court comme à long terme, la masse salariale de l'État constitue ainsi un élément clef des finances publiques. Son suivi est essentiel pour atteindre les objectifs de sincérité budgétaire et d'équilibre des comptes publics. Or, aujourd'hui, force est de constater, comme l'a fait le ministre de l'action et des comptes publics lors de son audition par notre commission dans le cadre du « Printemps de l'évaluation », qu'il existe une dérive de la masse salariale « mal calculée, mal organisée [... ] qui est payée, à la fin, par le budget général ».
Ce constat est lié aux difficultés de pilotage et de suivi qui sont multiples et relèvent principalement de facteurs anciens et structurels. À titre d'exemple, je citerai le rapport d'évaluation d'Amélie de Montchalin, en juin 2018, concernant les opérateurs de la recherche : il décrit parfaitement les mécanismes de sous-exécution des plafonds d'emplois qui permettaient de garantir la couverture effective des mesures d'évolution de la masse salariale qui s'imposaient à eux. Dans ce contexte, la représentation nationale et les ministères eux-mêmes ne disposent que de peu d'informations leur permettant de connaître et d'agir sur la masse salariale de l'État.
La proposition de résolution que je vous présente, mes chers collègues, ne vise pas seulement à dresser un constat ; elle propose des solutions concrètes afin de renforcer rapidement le pilotage et l'évaluation des effectifs et de la masse salariale de l'État, autour de quatre préconisations : premièrement, créer un document unique permettant un suivi global et précis de l'évolution de la masse salariale de l'État et de ses opérateurs chaque année ; deuxièmement, mieux évaluer dans les études d'impact les effets des mesures prises sur la masse salariale et sur les effectifs, car, derrière toute politique publique, il y a des agents ; troisièmement, informer la représentation nationale sur les évolutions importantes des effectifs et de la masse salariale en cours d'exercice ; enfin, diffuser et favoriser l'émergence d'une véritable culture du pilotage et de l'analyse d'indicateurs ressources humaines, car, comme le rapport sur l'absentéisme que j'ai réalisé avec ma collègue Valérie Petit le met en évidence, il existe de réelles difficultés en matière de remontée de données et de suivi d'indicateurs pertinents.
Cette proposition est une proposition de solutions. Elle prolonge la démarche de sincérisation des comptes publics et d'amélioration de la transparence budgétaire entamée depuis deux ans. Elle répond à la demande des citoyens français en matière de transparence et de suivi de l'utilisation des deniers publics.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – M. Joël Giraud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, applaudit également.
La parole est à M. le président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire.
Cette proposition de résolution contient certains éléments avec lesquels je suis évidemment d'accord, car il faut pouvoir mieux mesurer pour décider ce qui doit l'être concernant la masse salariale et plus généralement les effectifs de l'État. On voit bien que l'État n'a pas de politique centralisée en matière de ressources humaines. Il a, en la matière, une politique par ministère. La DGAFP – la direction générale de l'administration et de la fonction publique – n'est pas une direction des ressources humaines au sens où on l'entend dans l'entreprise : elle est en quelque sorte gardienne du statut, mais ne gère pas les effectifs. Le travail réalisé par Mme Motin et sa collègue Valérie Petit montre très bien tout cela.
À partir de là, il faut en tirer des enseignements parce que suivre l'évolution des chiffres est une chose, mais pour en faire quoi ? Je ne suis pas sûr que Mme Motin et moi ayons alors les mêmes idées. Mais, quoi qu'il en soit, mieux suivre veut dire aussi harmoniser les conditions d'emploi pour mieux assurer ce suivi collectif, peut-être avec une DGAFP ressources humaines. Cela veut dire également mieux travailler sur le rapport entre le statut et le contrat, qui n'est pas encore optimisé, même après la loi sur la transformation de la fonction publique. C'est aussi recréer des systèmes d'information, qui ont été jusqu'à présent plutôt des échecs. Il doit s'agir de systèmes d'information qui permettent réellement de gérer l'ensemble des effectifs, des carrières et des rémunérations. Et puis c'est aussi réduire les effectifs de la fonction publique. Bien que le Gouvernement s'y soit engagé, il ne le fait pas. L'État a plutôt tendance à augmenter les effectifs. Une gestion centralisée des ressources humaines permettrait de mieux le comprendre avec des chiffres plus éclairants et en toute transparence.
Dernier point : je vais proposer au bureau de la commission des finances demain, dans le cadre des droits de tirage sur les travaux d'enquête de la Cour des comptes, que celle-ci travaille de façon très active sur les heures supplémentaires dans la fonction publique. C'est un élément extrêmement opaque, sachant que l'opacité ne sert ni les agents ni évidemment l'État lui-même.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La parole est à M. Joël Giraud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire.
Cette proposition de résolution s'inscrit totalement dans la logique du « Printemps de l'évaluation », sachant qu'en plus elle traite de la première dépense de l'État par son volume. Comme vous le soulignez, madame la rapporteure spéciale, le pilotage des effectifs de l'État au sens large et la maîtrise de la masse salariale sont perfectibles, plusieurs travaux d'évaluation, dont les vôtres, l'ont déjà montré.
Je souscris donc pleinement à votre proposition d'annexer au projet de loi de finances un document qui présente un suivi détaillé de la masse salariale de l'État et de ses opérateurs. Il faudra se demander si ce document doit être explicitement prévu par la loi organique relative aux lois de finances ou s'il peut être réalisé par une modification relevant de la loi ordinaire ou même à droit constant. Rappelons que le jaune sur l'état de la fonction publique et sur les rémunérations présente déjà de nombreuses informations sur la masse salariale de l'État. À court terme, il pourrait être envisagé, comme vous le souhaitez, de l'enrichir en suivant les préconisations de votre résolution.
Je suis également d'accord avec vous sur l'utilité pour les commissions des finances des deux assemblées de disposer d'informations plus complètes sur l'évolution des crédits de personnel en cours d'exercice. Là encore, nous pourrions faire évoluer la pratique pour nous intéresser davantage à ces dépenses ; c'est en particulier le rôle des rapporteurs spéciaux et le débat d'aujourd'hui prouve qu'ils prennent pleinement la mesure de leurs fonctions.
Quant à la recommandation de présenter dans les études d'impact les conséquences des articles des projets de loi sur les effectifs et la masse salariale de l'État, il y a sans doute là une pratique à faire évoluer, vous avez raison. Il est déjà prévu au niveau organique que les études d'impact présentent les conséquences des dispositions des projets de loi sur l'emploi public et sur les finances publiques ; peut-être faudrait-il préciser ces dispositions pour qu'elles prennent en compte les dépenses de personnel de l'État.
Pour résumer, je soutiens pleinement cette proposition de résolution. Il est crucial que les informations dont nous disposons sur les dépenses de personnel de l'État soient exhaustives et claires pour que le Parlement et l'exécutif puissent faire des choix, comme l'a rappelé le président de la commission des finances, en pleine connaissance de cause et quels que soient ces choix… même s'ils sont divergents.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Je propose un éclairage complémentaire à l'intervention tonique de ma collègue Cendra Motin en m'appuyant sur l'étude de cas de la gestion de la masse salariale par les grands opérateurs que sont les universités.
Le transfert de la gestion des personnels a en effet été identifié par les universités comme le défi le plus redoutable du passage à l'autonomie.
Les dépenses de personnel ont régulièrement augmenté et représentaient en 2018 près de 85 % de leur budget, soit 11,1 milliards d'euros de masse salariale en loi de finances pour 158 000 équivalents temps plein travaillé – ETPT.
En guise de comparaison, ces ETPT ont progressé de 3,6 % entre 2011 et 2017 alors que, dans le même temps, ceux des missions « Sécurités », « Défense » et « Justice » baissaient de 4,2 % et que les autres missions, hors éducation, en perdaient 13,7 %.
Depuis la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi LRU, l'université est passée d'une logique d'emplois budgétaires ouverts au titre de la loi de finances à une logique de plafond d'emplois global exprimée en ETPT, ce qui signifie qu'un agent est comptabilisé au prorata de ses horaires et de sa durée de travail dans l'année.
En outre, cette loi LRU a ouvert aux présidents d'université des marges de manoeuvre nouvelles en matière de recrutement de contractuels : ceux-ci représentent désormais près de 30 % des effectifs de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Cela étant, en dépit de ces souplesses, de nombreuses universités connaissent ou ont connu des difficultés financières liées à la gestion de leur masse salariale.
Cet état de fait peut s'expliquer par plusieurs facteurs. En premier lieu, une partie des dépenses générales de masse salariale – mesures salariales, point d'indice, glissement vieillissement technicité, promotions – échappe de facto au pouvoir de décision des universités, car elles sont contraintes par des décisions nationales.
Ces dépenses ne reposent pas toujours sur des modèles d'allocation de moyens efficients, d'autant plus que les universités elles-mêmes ne sont pas toujours dotées d'outils adaptés pour conduire une évaluation fine de l'évolution de leurs emplois et de leur masse salariale.
J'ai pu en particulier, lors d'auditions menées dans le cadre de ce printemps de l'évaluation auprès de quelques opérateurs, mesurer leur très grande difficulté à chiffrer, même à courte échéance, le glissement vieillesse technicité.
D'autre part, les universités ne se saisissent pas toujours des marges de manoeuvre dont elles disposent. Elles peinent, faute de comptabilité analytique, à appréhender les coûts complets d'un projet de formation avant son ouverture effective, ce qui insécurise ou freine leur développement et la recherche de nouvelles ressources propres.
Les conditions de gestion de la masse salariale par les universités peuvent par conséquent être améliorées.
Aujourd'hui, deux plafonds de dépenses de rémunération cohabitent et ne font pas l'objet d'une gestion claire et intégrée : d'une part un plafond d'emplois rémunérés par l'établissement, et d'autre part un plafond d'emplois autorisés et financés par l'État.
Concrètement, une université ne peut donc recruter plus de fonctionnaires titulaires que ce qu'autorise le budget de l'État.
Il apparaît urgent de développer des outils de gestion pluriannuelle d'emplois et de compétences performants dans tous les établissements et de mieux intégrer la masse salariale sous plafond État et sous plafond établissement dans une gestion des ressources humaines commune.
Trop souvent, l'augmentation du plafond d'emplois ne se traduit donc pas par des créations effectives de postes : elle compense l'impact budgétaire des mesures salariales telles que le GVT.
Ainsi, le plan de création de 5 000 postes décidé, souvenez-vous, au cours de la précédente législature est apparu – et nous apparaît aujourd'hui – très artificiel, puisque plus d'un quart des crédits dégagés pour ces créations ont servi à tout autre chose qu'à financer ces dernières, ce qui pose un vrai problème de transparence et de suivi des crédits votés.
Afin d'améliorer la visibilité et la clarté des engagements quantitatifs pris par l'exécutif, il apparaît sans doute nécessaire d'inclure le coût du GVT et des autres mesures de masse salariale décidées par l'État dans le calcul de la subvention allouée aux opérateurs, en en prenant en charge une partie du coût, et dans une perspective – c'est très important – pluriannuelle.
La priorité, conforme à l'esprit de la résolution présentée ce soir, est ainsi d'améliorer significativement les outils de gestion pluriannuelle de la masse salariale qui sont aujourd'hui insuffisants.
Dans ce contexte, le dialogue stratégique et de gestion, expérimenté pour la première fois en 2018, doit être approfondi afin de permettre au ministère et aux établissements d'échanger de manière plus fine et plus fiable sur leur trajectoire de masse salariale.
Cette illustration s'inscrit donc pleinement dans le cadre général de la résolution et montre l'importance d'un chantier certes difficile, mais qui ne nous semble pas hors de portée.
En politique, comme en musique, la résolution soutenue par notre collègue Motin trouvera, du moins je l'espère, l'accord parfait.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Ce projet de résolution me paraît nécessaire, car la première des choses pour un décideur, quelle que soit sa situation, est de pouvoir mesurer les effets de ses décisions en termes de ressources humaines.
Il faut l'avouer, la situation est aujourd'hui totalement anormale : l'État pris dans son ensemble, mais aussi plusieurs ministères – je pense en particulier à celui de l'éducation nationale – ne connaissent pas leurs effectifs, parfois à des milliers de postes près.
L'information que cette résolution se propose de nous communiquer à intervalles réguliers constitue donc une avancée. Cela étant, nous ne disposerons si elle trouve à s'appliquer que de données générales ; or nous le savons, les moyennes cachent souvent des situations individuelles parfois très différentes.
Je prendrai deux exemples. Le premier secteur dans lequel chacun s'accorde désormais à reconnaître qu'il existe un évident manque de personnel, c'est l'hôpital public.
Actuellement, 115 services d'urgences sont en grève : ce niveau de mobilisation est inédit et doit alerter celles et ceux qui sont en responsabilité au plus haut niveau ministériel.
Dans tous les établissements, le service des urgences est celui qui doit assumer les tensions, les saturations et les sous-effectifs des autres services. Par ailleurs, les services des urgences sont confrontés à une explosion de leur fréquentation liée tant à l'évolution de la population qu'au rétrécissement de l'offre en matière de médecine de ville.
Un indicateur spécifique sur les métiers de l'hôpital me paraît donc plus que nécessaire.
Mon second exemple a trait à un tout autre registre. La réorganisation des services de l'État rend aujourd'hui certains métiers moins indispensables. Je pense par exemple aux agents en poste dans les délégations territoriales de nos directions départementales des territoires.
Les missions des DDT ont en effet été profondément revues ces dernières années, et un certain nombre des tâches qu'exerçaient autrefois les agents de ces délégations locales ont été confiées au secteur concurrentiel, si bien qu'aujourd'hui certains d'entre eux sont régulièrement sous-employés, ce qui n'est satisfaisant ni pour eux-mêmes, ni pour la bonne utilisation de l'argent public.
Ces deux exemples nous amènent donc à considérer que disposer d'éléments chiffrés globaux sur les effectifs et sur la masse salariale de l'État constituerait un progrès, mais que le besoin va au-delà : il nous faut disposer de chiffres relatifs à des métiers très spécifiques. C'est en effet dans le détail que se trouvent les enjeux.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
Cette proposition de résolution, déposée par notre collègue Cendra Motin pour le groupe La République en marche, vise à améliorer certains outils de contrôle parlementaire.
En effet, aucun document ne permet actuellement d'appréhender l'impact des dispositions législatives sur l'évolution des effectifs de l'État, des trois fonctions publiques et de leurs opérateurs.
Or le dynamisme de cette masse salariale grève les finances publiques et doit être maîtrisé : cet objectif de longue date en matière de bonne gestion des finances publiques n'a jusqu'à présent pas pu être parfaitement atteint.
Les difficultés de pilotage et de suivi de la masse salariale de l'État sont dues à des facteurs anciens et structurels tels que l'actualité et la précision des données disponibles, la complexité et la diversité des structures de rémunération des agents et, dans certains ministères, l'imprévisibilité des évolutions.
Si nous avons, en tant que parlementaires et en vertu des pouvoirs que nous confère la Constitution, la mission de contrôler l'action du Gouvernement, comment contrôler une action dont le bilan n'est pas accessible ?
Quels outils nous permettraient de disposer d'une vision globale des impacts des politiques publiques qui sont la traduction des lois que nous adoptons dans cette assemblée ?
Telle est la réflexion qui a été menée au cours de ce printemps de l'évaluation par notre collègue Cendra Motin, qui connaît bien ces sujets puisqu'elle est, avec Valérie Petit, rapporteure spéciale des crédits de la fonction publique.
Leur précédent rapport pointait les difficultés à appréhender concrètement les effets de la réintroduction du jour de carence sur les arrêts maladie dans la fonction publique opérée par l'article 115 de la loi de finances pour 2018, dont le Gouvernement espérait tirer une économie de 270 millions d'euros sur l'année 2018.
Ce document a permis de constater que les administrations avaient des difficultés à faire remonter les impacts de cette politique, qui s'est en effet traduite par des résultats chiffrés lors de sa précédente application en 2012, avec une réduction des arrêts maladie de courte durée.
La difficulté tient également à ce qu'avant que la disposition ait atteint une période d'application assez longue pour tirer des conclusions quant à son impact, une autre mesure législative, prévue par le projet de loi de transformation de la fonction publique et concernant les arrêts maladie des femmes enceintes, est venue en modifier le périmètre.
Cet exemple peut se décliner dans de nombreux champs de notre intervention en tant que parlementaires. Il importe donc de mieux connaître les impacts sur la masse salariale de l'État des dispositions qui sont votées dans cet hémicycle.
En 2018, la masse salariale de l'État s'établissait à 129,6 milliards d'euros, en progression de 2 % après une hausse de 3,4 % en 2017.
D'après les rapports annexés aux lois de finances, elle aurait augmenté d'un peu plus de 10 milliards d'euros entre 2009 et 2017. Depuis 2009, son exécution est systématiquement supérieure aux crédits votés en loi de finances.
Dans un contexte de pilotage plus restreint des finances publiques, également marqué par la volonté du Gouvernement de moderniser la fonction publique, cette proposition de résolution vise donc à renforcer le pilotage et l'évaluation des effectifs et de la masse salariale de l'État.
Son objectif est d'inviter le Gouvernement à prévoir, dans le cadre de la révision de la loi organique relative aux lois de finances, la publication d'un document budgétaire unique annexé aux lois de finances permettant le suivi détaillé de la masse salariale de l'État et de l'ensemble de ses composantes.
Elle vise également à rénover les modalités de suivi en exécution des effectifs et de la masse salariale de l'État, notamment en donnant aux commissions des finances des deux assemblées une meilleure visibilité sur les documents prévisionnels de gestion des emplois et des crédits de personnel des ministères, ainsi que sur leur évolution en cours d'exercice.
Elle tend enfin à intégrer systématiquement dans chaque étude d'impact accompagnant un projet de loi une évaluation des effets des articles dudit projet sur les effectifs ainsi que sur la masse salariale de l'État.
En demandant le renforcement de la transparence et du pilotage de la masse salariale de l'État, cette proposition de résolution conforte les objectifs de transparence et de bonne gestion des finances publiques poursuivis par notre majorité.
C'est pourquoi le groupe du Mouvement démocrate et apparentés la soutiendra.
Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.
Pour ce deuxième printemps de l'évaluation, la majorité La République en marche a choisi de faire déposer par la commission des finances une proposition de résolution portant sur le renforcement du pilotage des effectifs de la fonction publique d'État et de la masse salariale de l'État.
Si nous, députés Socialistes et apparentés, partageons les propositions figurant dans cette proposition de résolution, que nous soutiendrons, nous sommes en revanche en désaccord avec un certain nombre d'arguments avancés par ses auteurs.
Permettez-moi de revenir sur les quatre objectifs de la proposition de résolution que nous allons soutenir. Le premier consiste à disposer d'un suivi détaillé de la masse salariale de l'État et de ses composantes.
Je pense qu'il est de bon sens : cette donnée est demandée depuis bien longtemps par tous les rapporteurs généraux du budget, sans guère de succès.
Ce suivi, qui permet de distinguer ce qui relève de la progression salariale normale de ce qui relève des avancements, est essentiel pour apprécier la politique salariale de l'État.
Lorsque la droite a mis en oeuvre la fameuse révision générale des politiques publiques, elle a utilisé une contrepartie consistant à revaloriser certaines catégories A, et ce uniquement dans certains ministères.
Pour se faire communiquer cette donnée, il avait fallu sous le précédent quinquennat que la rapporteure spéciale menace d'opérer une saisie sur pièces et sur place à Bercy, comme l'y autorise l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances.
Dans son rapport spécial, elle avait ainsi écrit : « les constats illustrent bien les insuffisances du pilotage des réformes, tant dans leur mise en oeuvre que dans l'évaluation de leurs résultats, et notamment des économies qu'elles permettraient de réaliser. »
Elle écrivait également : « il apparaît clairement que le suivi budgétaire de chacun des projets de la RGPP était pour le moins insuffisant. ».
La conclusion de son rapport était la suivante : « Au vu des données disponibles, il apparaît que le dispositif a été véritablement dévoyé dans son application. Certains des ministères qui ont consenti le plus d'efforts dans la réduction d'effectifs ne sont pas ceux, loin s'en faut, qui bénéficient le plus de ce retour catégoriel. »
Nous soutenons donc pleinement cet objectif consistant à améliorer la lisibilité de l'évolution de la masse salariale et de ses composantes.
Le deuxième objectif consiste à donner aux commissions des finances de nos deux assemblées une meilleure visibilité en matière de prévision. Là aussi, chaque année, au moment de la loi de règlement, nous découvrons que les effectifs réels exprimés en ETPT sont inférieurs aux effectifs plafond votés en loi de finances initiale.
C'est ainsi qu'à la fin de 2018, le nombre d'emplois en équivalents temps plein était inférieur de 26 000 au plafond. Avoir cette visibilité permettrait d'ajuster au mieux.
Quand, sous le précédent quinquennat, la majorité à laquelle j'ai appartenu a décidé de récréer 10 000 postes dans la gendarmerie et la police nationale, le Gouvernement a été suspecté par l'opposition de l'époque de ne pas avoir créé ces postes. Il a fallu que le ministre de l'intérieur de l'époque, Bernard Cazeneuve, mandate en urgence l'Inspection générale des finances pour faire le comptage et confirmer la création de ces postes. Si l'objectif est rempli, il n'y aura plus besoin de mandater en urgence l'Inspection générale des finances !
Le troisième objectif consiste à disposer des études d'impact qui évaluent les conséquences des effets votés sur les effectifs et la masse salariale. Là aussi, nous sommes complètement d'accord, puisque nous ne cessons de réclamer des études d'impact.
Le quatrième objectif consiste à renforcer l'émergence d'une culture du suivi des indicateurs pertinents en matière de ressources humaines et de dépenses de personnel. Je vous avoue ne pas avoir bien compris ce en quoi pourrait consister concrètement cet objectif. S'il s'agit d'avoir un tableau de bord précis par administration, cela me paraît extrêmement pertinent. Si cela doit conduire à se contenter d'une approche strictement budgétaire, sans réflexion stratégique sur les missions, cela pose problème. Il serait intéressant que les auteurs de la proposition de résolution précisent ce point.
Vous l'aurez compris, nous voterons cette proposition de résolution. Cependant, permettez-moi de dire quelques mots sur les arguments que vous avez utilisés pour la justifier. Vous dites que la masse salariale a augmenté d'un peu plus de 10 milliards d'euros entre 2009 et 2017. Ce montant est certes important, mais sur la période 2012-2017, il reste inférieur à la progression de la croissance économique, ce qui n'était pas le cas pendant tous les quinquennats. La création de richesses a été supérieure à leur consommation.
En outre, vous indiquez que la masse salariale représente « une part considérable du budget de l'État », presque comme si cela était choquant. Je considère qu'il n'est pas choquant que l'État soit aussi conçu pour assurer des services pour nos concitoyens et que cela ait un impact sur ses dépenses. En 2016, nous avons réalisé un exercice, qui a été publié et réitéré par le rapporteur général actuel, visant à décomposer les dépenses publiques – État, Sécurité sociale et collectivités locales – par nature de dépenses : fonctionnement, investissement, dépenses sociales et charge de la dette. La partie « fonctionnement » n'a pas varié depuis 2000 : elle représente toujours 18 % du PIB.
Je conclus mon propos en indiquant que nous voterons cette proposition de résolution.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
La séquence du printemps de l'évaluation qui vient de se dérouler a permis de mettre en exergue les faiblesses de certains de nos dispositifs en matière de contrôle budgétaire, et plus particulièrement en matière de suivi de la masse salariale de l'État. En effet, en 2018, l'exécution des dépenses a été largement conforme au budget voté. Toutefois, les dépenses continuent de progresser, bien qu'à un rythme ralenti, notamment en ce qui concerne la masse salariale, qui augmente de près de 2 milliards d'euros et qui représente à elle seule près de 39 % du budget, soit un peu plus de 129 milliards d'euros.
Cette dérive est difficilement acceptable au regard de la nécessité impérieuse de maîtriser la masse salariale de l'État pour atteindre l'équilibre des comptes publics de la France, conformément à ses engagements européens. Par ailleurs, comment justifier que l'État ne soit pas vertueux, alors qu'il impose aux collectivités locales, dans le cadre d'une contractualisation, une rigueur absolue dans la maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement, et notamment de leur masse salariale, désormais encadrées ?
Pour répondre aux attentes des Français, qui appellent à une meilleure maîtrise et transparence de la dépense publique, il convient de porter une attention rigoureuse à la situation de la masse salariale et des effectifs de l'État. Cependant, cette analyse n'est évidemment possible que si les parlementaires, qui ont pour mission de contrôler le budget, ont accès à des données pertinentes, lisibles et complètes. Or, comme l'indique clairement dans l'exposé des motifs l'auteure de cette proposition de résolution, ce n'est actuellement pas le cas. Les données relatives aux effectifs et à la masse salariale de l'État sont éparpillées dans un trop grand nombre de documents budgétaires. Cette dispersion de l'information ne facilite pas le travail d'analyse et de compréhension des problèmes qui sous-tendent la masse salariale de l'État et, par voie de conséquence, l'identification des solutions à mettre en oeuvre pour y remédier.
La démarche de sincérité budgétaire implique nécessairement d'avoir des données précises et constantes dans le temps. La présente résolution vise donc à corriger ces lacunes, en proposant d'abord que soit prévue, lors de la révision de la loi organique relative aux lois de finances, la publication d'un document budgétaire unique permettant le suivi détaillé de la masse salariale de l'État et de l'ensemble de ses composantes. Je souscris tout à fait à cette proposition, qui permettra à la représentation nationale d'exercer efficacement ses missions de contrôle et de suivi de l'exécution budgétaire. Cette mesure devrait également être complétée par la règle selon laquelle les référentiels utilisés pour mesurer et chiffrer la masse salariale, les effectifs de l'État et leurs impacts ne changent pas en cours d'année, ni même en cours de mandat, si je puis faire une suggestion, afin d'apporter de la stabilité et de la pertinence à l'analyse.
Par ailleurs, la résolution suggère que les parlementaires, et en particulier les membres de la commission des finances, disposent d'une meilleure visibilité sur les documents prévisionnels de gestion des emplois et crédits de personnel des ministères, et que ces informations leur soient communiquées en cours d'exercice. Nous souscrivons bien sûr à cette proposition, qui permettra d'agir plus en amont en cas de dérapage.
Enfin, les études d'impact menées dans le cadre des propositions de loi sont le plus souvent totalement dépourvues d'une analyse de leurs conséquences sur les effectifs et la masse salariale de l'État, ce qui, vous en conviendrez, est une aberration. Notre groupe souscrit donc totalement à l'idée de systématiser ces rapports, avec une étude d'impact ad hoc.
Dernier constat, nos systèmes informatiques de données et d'analyse sont, à n'en pas douter pour beaucoup d'entre eux, obsolètes et peu adaptés à l'ampleur de la tâche. Il est donc primordial de les actualiser, voire de les remplacer, et de les décliner dans l'ensemble des ministères, par souci de cohérence. La résolution présentée par notre collègue Cendra Motin semble donc aller dans le bon sens, en appelant à plus de lisibilité, de pragmatisme et de logique en matière de données sur la masse salariale et les effectifs de l'État – nous en avons cruellement besoin. C'est pourquoi, au nom du groupe UDI et indépendants, et en tant que députés Agir, nous voterons en faveur de cette proposition de résolution frappée au coin du bon sens.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-I et sur quelques bancs du groupe LaREM.
Chacun connaît le nombre de fonctionnaires des trois fonctions publiques, et les débats sur la modernisation de notre fonction publique : il y a eu la RGPP, puis la modernisation de l'action publique – MAP – , et nous cherchons maintenant une nouvelle appellation. Aborder cette question sous le seul angle du nombre de fonctionnaires, c'est faire fausse route. À cet égard, les candidats à la dernière élection présidentielle se sont livrés à une course à l'échalote : c'était à qui allait supprimer le plus de fonctionnaires. Les vraies questions sont les suivantes : a-t-on besoin de plus ou de moins de fonctionnaires ? L'efficacité est-elle au rendez-vous ? Ces questions prennent une importance particulière au lendemain de la crise des gilets jaunes, et après l'abandon par le Président de la République de son objectif de réduction de 120 000 postes de fonctionnaires. Il ne vous a d'ailleurs pas échappé que si, sur ces 120 000 fonctionnaires, l'État pouvait décider d'en supprimer 50 000, il était un peu singulier de décider à la place des collectivités territoriales, sachant que le principe de libre administration des collectivités territoriales est gravé dans le marbre.
C'est la raison pour laquelle on ne peut pas s'interroger sur l'évolution des fonctions publiques sans réfléchir à une nouvelle vague de décentralisation et à la répartition des compétences. On sait très bien que les doublons existent. Ne pas le reconnaître, c'est ne pas vouloir regarder la vérité en face. Les doublons sont des lenteurs, et les lenteurs coûtent de l'argent et attisent le ressentiment de nos concitoyens.
Nos dépenses publiques ont augmenté de 2,6 milliards d'euros en 2018, dont 2 milliards pour les seules dépenses de personnel. L'ensemble des dépenses de personnel – compte d'affectation spéciale « Pensions » compris – s'élèvent à 130 milliards d'euros en 2018. Même si la croissance de la masse salariale a légèrement ralenti par rapport à 2017, puisqu'elle est de 2 % en 2018 contre 3,4 % en 2017, elle demeure supérieure à la moyenne de l'évolution constatée entre 2008 et 2017. En clair, les dépenses de personnel représentent désormais près de 39 % des dépenses du budget général. Record battu en Europe ! Pour autant, les services publics assurés dans d'autres pays de l'Union européenne sont-ils moins bons ? Je vous laisse libres de votre jugement, mais force est de reconnaître que certaines réformes conduites dans des pays voisins n'ont pas conduit à une dégradation du service public, même s'il y a moins de fonctionnaires. À cet égard, l'ancien ministre qui est intervenu avant moi a dit qu'il fallait rompre avec notre tendance à vouloir résoudre tous les problèmes par l'accroissement des dépenses publiques.
En outre, se pose la question du suivi de la masse salariale de l'État et de ses opérateurs. Comme on a voulu geler les dépenses de la fonction publique, on a créé des opérateurs, et on y a transféré 400 000 fonctionnaires. Pas vus, pas pris ! Mais un simple calcul prouve que ceux qui ne font plus partie des effectifs des trois fonctions publiques ont été transférés chez les opérateurs. Certes, un certain nombre de documents et d'index nous permettent de vérifier si ce qui avait été prévu en loi de finances initiale est bien appliqué, mais, là encore, nous sommes loin du compte.
L'État, comme une entreprise ou n'importe quelle collectivité, doit avoir des outils de pilotage, notamment le ressenti des concitoyens auxquels il rend des services publics. L'un des orateurs précédents évoquait la difficulté d'évaluer précisément le nombre de fonctionnaires de l'éducation nationale. Certains périmètres ministériels sont flous, et de nouveaux ministres veulent mener de nouvelles politiques ; ils doivent donc avoir recours à des agents pour les appliquer. En outre, il y a toujours des doublons et des lenteurs. Par exemple, les fonds européens gérés par les régions sont toujours contrôlés par des fonctionnaires de l'État, au sein même des préfectures de région. Tous ces fonctionnaires pourraient être transférés aux régions.
Nous déplorons enfin, comme beaucoup d'entre vous, la très faible information du Parlement sur l'exécution en cours. Nous avons la copie initiale, et après, nous ne voyons rien : c'est le brouillard total, et on s'aperçoit en définitive que l'exécution n'a pas été conforme aux prévisions. Il est donc nécessaire de pouvoir disposer d'un document budgétaire unique, annexé aux lois de finances, permettant le suivi détaillé de la masse salariale de l'État et de l'ensemble de ses composantes. Les parlementaires doivent être, à tout moment, informés et ne doivent pas découvrir la copie comme on découvre un compte administratif d'une mairie – je vois que M. Mattei acquiesce.
Enfin, nous regrettons l'absence d'étude d'impact systématique. On a quinze ou vingt ans d'expérience en matière de transferts de compétences. Se sont-ils traduits par davantage d'efficience, ou nous sommes-nous trompés ?
Cette résolution va dans le sens de la sincérisation des comptes publics et de l'amélioration de la transparence budgétaire. C'est la raison pour laquelle le groupe Libertés et territoires la votera.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-I et sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Le texte que nous examinons vise à offrir aux parlementaires une vision plus claire et détaillée de la masse salariale de l'État. Trop souvent, le Parlement ne dispose pas des leviers pour exercer réellement ses missions, ou on les lui enlève. Renforcer ses prérogatives de contrôle des budgets exécutés et de préparation des budgets à venir nous semble donc être une avancée intéressante.
Cette visibilité, nous la demandons depuis longtemps, et sur bien des sujets. Elle nous est indispensable pour mieux tirer les constats des politiques qui, selon nous, je le dis sans détour, démantèlent l'État, vident la fonction publique de son essence et privatisent trop de biens communs. Année après année, mission par mission, il est important d'être en mesure d'examiner les résultats des politiques de suppression de postes, et leurs conséquences concrètes sur la vie quotidienne de nos concitoyens.
Ces documents simplifiés pourraient donc alimenter nos travaux et nourrir nos débats. Celui sur la réforme de la fonction publique n'est pas des moindres. Tout au long du quinquennat, vous avez fait du démantèlement de l'État et de ses services publics une priorité politique. En dégradant les services rendus aux citoyens, vous avez creusé encore davantage les inégalités territoriales. Ceux qui ont écouté ce que disaient les gilets jaunes ont compris toute l'acuité du problème.
Pour vous, finalement, l'État n'est pas la solution du problème, mais le problème lui-même.
La plupart des ministres actuels, qui ont des postes importants, ont participé aux gouvernements qui se sont succédé lors des deux quinquennats précédents : je peux donc englober dans ma critique tout ce qui a été fait depuis près de dix ans.
De 2007 à 2012, au moment de la RGPP voulue par Nicolas Sarkozy, 150 000 postes de fonctionnaires ont été supprimés.
Après ces dix années de démantèlement de l'État s'ouvre une nouvelle séquence, la vôtre, celle de la suppression programmée de 120 000 postes supplémentaires. Il est vrai que vous avez reculé, en raison notamment des différents mouvements sociaux, mais vous voulez tout de même maintenir l'objectif de la suppression d'un nombre significatif de postes. M. le secrétaire d'État Olivier Dussopt s'est même félicité que, chaque année, 12 000 à 15 000 fonctionnaires partent à la retraite sans être remplacés – je le cite de mémoire.
Vous en jugerez, mon cher collègue.
Ces suppressions font fi de toutes les urgences auxquelles notre pays est confronté et que le Premier ministre a rappelées dans sa déclaration de politique générale. L'État se retire et abdique.
Par exemple, malgré l'urgence écologique, l'Office national des forêts risque d'être privatisé, laissant nos forêts aux mains des appétits privés. Approuvez-vous cela, mes chers collègues ? En 2018, à périmètre constant, les dépenses de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » ont diminué de 3 %. Des pans entiers de savoir-faire indispensables pour assurer une ambitieuse et nécessaire transition écologique sont balayés d'un revers de manche. Eh oui, mes chers collègues, c'est très concret !
Malgré l'urgence sociale, le Gouvernement continue la casse de l'hôpital. En effet, 800 postes ont été supprimés en 2018 et 2019 dans les hôpitaux de Paris. C'est n'importe quoi ? Allez dire cela aux personnels mobilisés !
Dans sa lettre aux Français, Emmanuel Macron disait vouloir trouver une solution aux colères ; en réalité, il n'a fait que les diluer ou les ignorer. Vos politiques s'appliquent alors même que la population augmente et, hélas, que la pauvreté progresse.
Une autre question nous semble essentielle, celle de la gestion des ressources humaines de l'État. Les chiffres relatifs à l'évolution des effectifs ne nous suffisent pas. Les nouvelles pratiques managériales à l'oeuvre dans la fonction publique touchent de plein fouet les agents publics. Plus de 75 services des urgences sont aujourd'hui en grève – je suppose que vous trouvez cela formidable, compte tenu de l'autocongratulation de l'action gouvernementale que nous avons entendue. Combien de burn-outs dans les services surchargés et sabotés par les politiques d'austérité ? Combien de cas de souffrance au travail et de maltraitance qui touchent les agents et rendent difficile, si ce n'est impossible, l'accomplissement de leurs missions ? La stratégie du déni doit cesser. Rien n'est communiqué, rien ne filtre, alors que tout commande de disposer de données précises pour dresser un état des lieux du bien-être au travail.
Ces phénomènes s'inscrivent dans une précarisation générale des conditions de travail. Aujourd'hui, 20 % des agents publics sont contractuels. En 2016, 70 % des contrats à durée déterminée avaient une durée inférieure à un an. Le pouvoir d'achat des fonctionnaires ne cesse de baisser depuis une dizaine d'années. Vous avez évoqué tout à l'heure le « printemps de l'évaluation », mais nous devrions plutôt parler de « l'hiver de la fonction publique » avec le gel du point d'indice, qui a permis à l'État d'économiser près de 100 milliards d'euros, soit le montant que représentent la fraude et l'évasion fiscales. En fait, les fonctionnaires paient pour les tricheurs.
Nous ne sommes pas contre une évaluation des effectifs de l'État, mais pour protester énergiquement contre l'ensemble des mauvais coups que vous portez à la fonction publique, nous ne soutiendrons pas cette proposition de résolution.
Nous continuerons de dénoncer les conséquences concrètes des mauvais coups que vous portez à la fonction publique, qui créent aujourd'hui beaucoup de troubles dans notre pays. J'invite tous les courageux qui montent à cette tribune à parler avec les fonctionnaires aujourd'hui mobilisés, qui en ont assez de la politique continuelle de démantèlement de l'État que vous menez. À bon entendeur, salut !
Avec tout le respect que je dois à notre collègue à l'initiative de cette proposition de résolution, j'observe que les libéraux ont une certaine force, celle de nous présenter de vieilles recettes comme si elles étaient innovantes, pertinentes et modernes. Au bout du compte, comme cela a déjà été dit à cette tribune, cette proposition de résolution reprend à son compte ce qui irrigue les politiques publiques menées depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy pour résorber le déficit public, en vertu du plafond des 3 % gravé dans le marbre de la Constitution européenne. Elle reprend également à son compte les préconisations de la Cour des comptes lorsqu'elle examine le budget de l'État ou des chambres régionales des comptes lorsqu'elles examinent le budget des collectivités territoriales. À chaque fois, les outils de pilotage proposés visent le même objectif : non pas la rationalisation ou l'amélioration de l'efficacité de la dépense publique, mais le rationnement, le rabougrissement, l'effacement du service public qui se tient au chevet de nos concitoyens.
Mon cher collègue, nous proposons de baisser les impôts des uns et d'augmenter ceux des autres. Peut-être aurons-nous l'occasion d'y revenir.
En termes de pilotage, j'aimerais que l'on examine l'impact social de ces politiques d'austérité qui sont depuis trop longtemps l'alpha et l'oméga des libéraux, leur impact environnemental, leur impact sur le vivre-ensemble, ainsi que leur impact politique sur la colère du peuple. Si nous n'y prenons pas garde, si la République n'est pas au rendez-vous, le peuple risque de bousculer la République elle-même.
Venons-en au coeur du sujet. Dans vos territoires respectifs, mes chers collègues, y a-t-il trop de policiers ? Y a-t-il trop de gendarmes ? Dans nos tribunaux, y a-t-il trop de magistrats pour assurer une justice de proximité, réactive et humaine ?
En matière d'accompagnement humain, y a-t-il trop d'agents qui prennent soin des gens ? Y a-t-il trop d'AVS – auxiliaires de vie scolaire – pour accompagner les élèves handicapés ? Y a-t-il trop d'ATSEM – agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles – pour prendre soin de nos enfants ?
C'est peut-être ce que pensaient ceux qui vous ont précédés lorsqu'ils ont mis en oeuvre la réforme territoriale, qui a déménagé nos territoires et éloigné les services publics de l'État en les rassemblant dans les grandes métropoles.
À la veille des élections municipales, allez-vous dire aux maires que vous allez décider, contrairement au principe de libre administration des collectivités territoriales gravé dans le marbre de la Constitution, du niveau des dépenses publiques qui financent les politiques publiques menées au service de leur territoire ?
Vos politiques de pilotage, telles que vous les concevez, vous, libéraux que vous êtes, sont au service de cet objectif unique de réduction des dépenses. Je vous reconnais donc le mérite de la cohérence.
Plusieurs sigles barbares ont été utilisés pour justifier les suppressions des trésoreries municipales, le déménagement des bureaux de poste de proximité… On a parlé de « Bercy en mouvement », de la modernisation des politiques publiques… Vous resservez d'ailleurs ce même blabla aux élus de proximité, aux acteurs de terrain, depuis plusieurs années.
Chers collègues de droite, vous ne pouvez pas prétendre être au chevet du monde rural et soutenir cette proposition de résolution. Vous ne pouvez pas déplorer l'asphyxie de nos hôpitaux et défendre ce texte. Vous ne pouvez pas dire que nos territoires sont oubliés, humiliés, et soutenir un pilotage qui vise à amplifier ce mouvement.
… je ne comprends pas que l'on puisse prétendre exercer des responsabilités dans une relation de proximité tout en défendant de telles politiques. Mais je le répète, je vous reconnais le mérite de la cohérence.
Vos réformes sont au service de cet objectif unique de diminution des dépenses publiques. J'en veux pour preuve votre dernière réforme en date, votre mal nommé projet de loi de transformation de la fonction publique : en précarisant, en contractualisant, en faisant rentrer la logique du secteur privé dans la fonction publique, vous allez permettre un pilotage efficace de la réduction des dépenses publiques, un pilotage aisé de la suppression des emplois, y compris en rendant ces suppressions invisibles – mais elles ne sont pas invisibles pour la France qui manque, pour la France qui souffre, pour la France qui veut un aménagement équilibré du territoire. C'est la raison pour laquelle nous voterons, sans aucune hésitation, contre ce pilotage austéritaire des politiques publiques.
Sur la proposition de résolution, je suis saisi par le groupe La République en marche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Sébastien Chenu.
Comme l'indique l'exposé des motifs de la proposition de résolution, la masse salariale de l'État a augmenté de plus de 10 milliards d'euros depuis 2009 et de 5,4 % depuis le début du quinquennat. Les « nombreuses avancées réalisées en deux ans », dont vous vous glorifiez dans l'exposé des motifs, sont en réalité inexistantes.
La fonction publique française est réputée, à juste titre, pour être l'une des meilleures au monde. Il faut le saluer. Le recrutement des fonctionnaires, basé sur des concours exigeants, est garant de la méritocratie et doit nous préserver de l'entregent, du copinage et des emplois de complaisance répandus dans certaines collectivités. Les fonctionnaires font preuve d'un dévouement et d'un sens du service public remarquables, alors que leurs conditions de travail et leurs revenus ne cessent de se dégrader – il faut le dire devant cette assemblée.
Depuis dix ans, nous assistons à la poursuite d'une politique d'affaiblissement de la puissance publique au nom d'une logique purement idéologique, qui est celle du président Macron : il s'agit d'accélérer l'avènement de la « start-up nation ». La dérégulation imposée par la Commission de Bruxelles s'applique désormais à la puissance publique, sommée d'abandonner toutes ses missions au marché, niant par là même toute valeur à l'intérêt général auquel les fonctionnaires sont pourtant si attachés. Comme disait Paul Valéry, « si l'État est fort, il nous écrase ; s'il est faible, nous périssons ». Depuis deux ans, le Gouvernement poursuit les politiques d'affaiblissement de l'État entamées sous la présidence de Nicolas Sarkozy et poursuivies pendant le quinquennat de François Hollande.
Votre proposition de résolution se présente sous des atours habiles de sincérisation des comptes publics, d'amélioration de la transparence budgétaire et de meilleure information des parlementaires en matière budgétaire. En réalité, elle n'est qu'un outil au service de la promesse de campagne du président Macron : supprimer 120 000 postes de fonctionnaires d'ici 2022.
Vous avez été confrontés à la colère des Français, qui sont descendus dans la rue pour crier leur refus de voir disparaître les services publics dans des pans entiers de nos territoires. Alors que la France se classe au deuxième rang des pays de l'OCDE en termes de pression fiscale, nos concitoyens ont le sentiment légitime que, lorsque les services publics ne disparaissent pas, leur fonctionnement est rendu particulièrement chaotique par le manque de moyens alloués.
Depuis deux ans, le rétablissement du jour de carence et le gel du point d'indice ont encore accentué la fragilisation des fonctionnaires, qui voient leurs conditions de travail se détériorer continuellement.
Bien sûr, chacun s'accorde sur la nécessité de faire des économies. Les fonctionnaires et les Français en général ont conscience que la fonction publique doit évoluer. Il ne s'agit pas de donner des coups de rabot sur la masse salariale de l'État sans discernement, mais de supprimer l'ensemble des dépenses publiques non nécessaires et de combattre les fraudes diverses.
La première priorité doit être de lutter contre la fraude sociale. Selon le magistrat Charles Prats, quelque 1,8 million de numéros de sécurité sociale seraient basés sur des documents frauduleux, alimentant une escroquerie s'élevant à 14 milliards d'euros, soit le triple du déficit de la sécurité sociale en 2017. Des comptes de sécurité sociale frauduleux permettent à certains individus de prétendre aux aides sociales à une grande échelle. Cette fraude massive perdure, en l'absence de véritable volonté politique. Il serait pourtant possible d'instaurer le principe d'un arrêt des versements dès qu'une pièce frauduleuse est découverte dans un dossier de sécurité sociale, ou encore d'instaurer une carte vitale biométrique fusionnée avec le titre d'identité. Voilà ce que nous proposons.
Il serait également possible de réaliser d'importantes économies sur le budget de l'État en réduisant drastiquement l'aide médicale d'État – AME – réservée aux clandestins. Celle-ci a progressé de 5,1 % en 2019 et s'élèvera cette année à plus de 930 millions d'euros, prélevés sur le budget de l'État. Rappelons que l'AME est financée par les impôts des contribuables français, qui doivent faire face à des restes à charge de plus en plus importants.
Une autre piste à envisager pour économiser de l'argent public serait de mettre fin à la superposition onéreuse des collectivités territoriales, qui ont des compétences peu claires et qui se chevauchent bien souvent. Il conviendrait de mettre fin aux recrutements hasardeux dans ces mêmes collectivités, ainsi que de supprimer les opérateurs d'État inefficaces, au nombre de 1 200, qui coûtent 80 milliards d'euros par an.
C'est la réorganisation d'un service public ambitieux, la définition de moyens et d'objectifs, ainsi que la consolidation de l'édifice social construit par les Français qui doivent nous préoccuper, et non la destruction que vous entreprenez avec la régularité d'un automate.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette proposition de résolution.
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du numérique.
Une proposition de résolution sur le renforcement du pilotage et de l'évaluation des effectifs et de la masse salariale de l'État ne peut que recueillir la sympathie du Gouvernement. Elle formule plusieurs constats intéressants, sur lesquels je vais revenir, et des propositions propres à améliorer notre gestion.
Le premier constat, évoqué par plusieurs députés, est celui de l'augmentation de la masse salariale de 10 milliards d'euros depuis 2009. Cette augmentation faciale est à analyser précisément et s'explique pour plus de 80 % par l'augmentation du taux de contribution au compte d'affectation spéciale – CAS – « Pensions ».
Les dépenses de masse salariale hors contribution au CAS « Pensions », dites hors CAS, seules intégrées à la norme de dépenses pilotables de l'État, et donc plus représentatives des dépenses de masse salariale, n'ont quant à elles augmenté que de 1,4 milliard d'euros sur cette période. La lisibilité de ce type d'information – CAS ou hors CAS – pourra être grandement améliorée par le rapport que vous préconisez. J'y reviendrai.
Sourires
Par ailleurs, l'analyse menée sur une longue période met en relief le travail important accompli depuis deux ans. Le Gouvernement a, en effet, considérablement amélioré la sincérité du processus de programmation budgétaire, ce qui a conduit, pour la première fois depuis plus de dix ans, à une exécution 2018 inférieure aux crédits programmés.
Les difficultés de budgétisation relevées dans le projet de résolution sont toutefois réelles. Elles sont principalement liées à la disponibilité des données au moment de la construction du projet de loi finances et à la difficulté qu'il y a à établir le lien entre l'année n-1, pour laquelle on dispose de données exactes, l'année n, dont l'exécution n'est pas achevée, et l'année n+1, que vous budgétisez.
Quoi qu'il en soit, nous souscrivons globalement au constat exposé dans le projet de résolution. La démarche de sincérisation engagée par le Gouvernement a déjà permis d'atténuer les dérapages constatés depuis de nombreuses années. Les mesures complémentaires que vous suggérez permettraient d'aller encore plus loin dans cette démarche.
Ainsi, la production d'un document budgétaire unique permettant le suivi détaillé de la masse salariale de l'État et de ses opérateurs serait effectivement de nature à améliorer le suivi et la compréhension des mécanismes sous-jacents à l'évolution de la masse salariale.
Un point de nuance : la communication en cours d'exercice des documents prévisionnels de gestion des emplois et crédits de personnel des ministères risquerait, quant à elle, de susciter des difficultés pratiques et de ne pas être très éclairante. Ces documents font l'objet d'actualisations très régulières dans le cadre du dialogue de gestion entre les ministères et les contrôleurs budgétaires, et leur analyse nécessite une bonne appréciation du degré de validité des différents éléments présentés.
Les études d'impact transmises au Parlement à l'appui de chaque projet de loi doivent permettre d'évaluer, au préalable, les incidences économiques, financières, sociales et environnementales des réformes envisagées dans le cadre d'un projet de loi. Dès lors, l'évaluation des effets d'un projet de loi sur les effectifs de la masse salariale de l'État fait déjà partie des objectifs de ces études. La demande formulée dans la proposition de résolution ne peut donc que recevoir un avis favorable.
Enfin, le suivi des effectifs et de la masse salariale de l'État étant régulièrement une priorité gouvernementale, toute adaptation des systèmes d'information destinés aux ressources humaines – RH – ou aux payes – SI-Paye – et des outils décisionnels alimentés par ces systèmes d'information permettant un renforcement de la culture du suivi RH ne peut être que souhaitable. C'est ce que nous faisons et nous allons accélérer.
L'heure étant tardive, je conclurai très rapidement en disant que le projet de résolution engage le Gouvernement à accélérer les chantiers qu'il a déjà lancés sur ce sujet et reçoit donc un avis favorable de sa part.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et LR.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 44
Nombre de suffrages exprimés 43
Majorité absolue 22
Pour l'adoption 38
Contre 5
La proposition de résolution est adoptée.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue le mercredi 19 juin 2019 à zéro heure cinq, est reprise à zéro heure dix.
L'ordre du jour appelle la discussion, en application de l'article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de Mme Perrine Goulet et plusieurs de ses collègues invitant le Gouvernement à prévenir et à corriger les sur-exécutions et les sous-exécutions des lois de finances (no 2014).
La parole est à Mme Perrine Goulet, rapporteure spéciale de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire.
Je tiens, comme nombre de mes collègues avant moi, à saluer la pertinence et le bon déroulement de ce nouveau « printemps de l'évaluation ». Ces dernières semaines, notre commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire a particulièrement bien porté son nom. C'est en tant que rapporteure spéciale sur les crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » que j'ai le plaisir de vous présenter cette proposition de résolution.
Son objet peut sembler satisfait par l'examen du projet de loi de règlement. C'est en partie vrai, mais celui-ci permet surtout de faire des constats, alors qu'il doit servir, comme le débat d'orientation du mois de juillet, à tracer un cap pour l'automne.
L'une des conditions du consentement à l'impôt et de l'autorisation des dépenses tient à ce que le Gouvernement présente ensuite un taux d'exécution des autorisations d'engagement et des crédits de paiement le plus proche possible du plafond voté, c'est-à-dire de 100 %. Les données permettant de calculer ce ratio sont celles que fournissent les rapports annuels de performances – RAP – de chaque mission. Les travaux des rapporteurs spéciaux y consacrent d'importants développements. Il convient de souligner avec satisfaction que leur dépôt a été anticipé en 2019.
Dans une certaine mesure, le fait d'atteindre un taux inférieur à 100 %, situation dite « sous-exécution », ou un taux supérieur – on parle alors de « sur-exécution » – est d'ailleurs très souvent justifié par les ministères concernés, qui expliquent, généralement avec transparence, quels reports de dossiers ou quelles crises ont nécessité que l'on s'éloigne de la cible.
Le taux d'exécution n'est pas qu'un chiffre : il doit donner lieu à un commentaire politique. Toutefois, et j'en viens au dispositif central que préconise la proposition de résolution que je défends devant vous, au-delà d'un certain degré, qui peut être déterminé à 3 %, le débat change de nature. Un décalage de cette ampleur, voire supérieur, au-dessus ou en dessous du plafond accordé en loi de finances traduit indéniablement une absence d'anticipation : les administrations du Gouvernement ne doivent ni trop dépenser, c'est-à-dire générer de la dette, ni conserver trop de marges, privant d'autres politiques publiques de moyens qu'elles auraient su mobiliser.
Je citerai à cet égard trois exemples, qui se traduisent par une différence cumulée de près d'un milliard d'euros : en 2018, la mission « Culture » affiche une exécution de 95,9 % en autorisations d'engagement, le programme « Sport » de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » n'a utilisé que 94,4 % de ses crédits de paiement, voire 81,5 % après analyse et retraitement, et la mission « Outre-mer » a obtenu en loi de finances rectificative une ouverture de crédits dont elle a consommé seulement 86 % en autorisations d'engagement et 42 % en crédits de paiement. Cette toute dernière configuration est donc encore plus surprenante : alors que la loi de finances rectificative a pour objet de permettre un ajustement au plus près des besoins – surtout en toute fin d'année, lorsqu'il ne devrait plus y avoir de surprises – , on constate que les augmentations demandées n'ont pas été dépensées.
De tels cas devraient faire l'objet d'une information plus détaillée de la part des responsables de programme.
Bien sûr, la préparation du projet de loi de finances suivant donne lieu à d'importantes négociations en amont, dans le cadre notamment de réunions techniques, de conférences de performance, de lettres de cadrage et de conférences de budgétisation. Ces étapes sont importantes, mais elles prennent insuffisamment en compte la situation budgétaire des premiers mois de l'année en cours et elles n'impliquent pas du tout le Parlement.
Ma recommandation est donc la suivante : il conviendrait que les missions concernées, pour lesquelles une sur-évaluation ou une sous-évaluation a été mise en évidence à l'occasion du printemps de l'évaluation, fassent l'objet, en complément du PAP – projet annuel de performance – annexé au PLF, ou projet de loi de finances, pour l'année suivante, de la production d'un document détaillant les grandes lignes de l'exécution sur les huit premiers mois de l'année en cours, à l'image de la justification au premier euro des PAP et RAP.
Ces informations permettant un meilleur chaînage auraient vocation à être remises avant le premier mardi d'octobre. L'objectif est que les ministères défendent de manière plus précise leurs budgets devant le Parlement, grâce à l'analyse précoce de l'exécution du début de l'année en cours.
Chers collègues, par le vote de cette résolution, je vous propose donc de signifier l'attention de l'Assemblée nationale à la bonne tenue des comptes publics, par le prisme du respect de l'autorisation budgétaire.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et LR.
La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, secrétaire de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, suppléant M. Éric Woerth, président de cette commission.
J'évoquerai trois éléments, en lieu et place d'Éric Woerth – dont je n'atteindrai pas, cependant, le niveau de compétence.
Tout d'abord, il convient de parler, dans cette proposition de résolution, des compensations par l'État d'exonérations de cotisations sociales, inscrites dans les crédits de différentes missions – nous y reviendrons ultérieurement. Force est en effet de constater qu'au fil de toutes les commissions d'évaluation des politiques publiques, tous les rapporteurs spéciaux ont constaté des problèmes de sur-exécution, compte tenu d'une prévision budgétaire lacunaire ou insuffisamment calibrée. Les critiques ou inquiétudes exprimées par certains rapporteurs spéciaux, comme M. Ahamada pour les affaires maritimes, M. Laqhila pour la politique des territoires ou Mmes Goulet et El Haïry pour le sport, la jeunesse et la vie associative, sont des réalités.
Le fait que l'État et la sécurité sociale, au bout du compte, se confondent en termes de finances publiques est une réalité, mais si l'État s'est engagé à compenser des exonérations, il doit le faire correctement. C'est le principe de cette proposition de résolution. Il convient donc de veiller à ce que la dette de l'État envers la sécurité sociale soit totalement résorbée.
C'est un effort important, mais nécessaire, et il ne faudrait pas que cette dette se reconstitue au détriment de la sécurité sociale. Par exemple, le rapporteur général, dans son rapport d'exécution, inscrit un résultat net prenant en compte les sur-exécutions et les sous-exécutions, alors qu'il me semblerait pertinent et cohérent d'inscrire la totalité de ces sur-exécutions et sous-exécutions.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
La parole est à M. Joël Giraud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire.
Vous avez raison, madame la rapporteure spéciale : il appartient au Parlement de contrôler l'exécution par le Gouvernement des lois de finances et, le cas échéant, de l'interroger sur les sur-exécutions ou les sous-exécutions. Les exemples que vous venez de citer à l'instant sont très significatifs, puisqu'ils concernent soit des missions qui sont très demandeuses de rectifications parce qu'il y a des demandes qui ne sont pas satisfaites, soit des missions très consommatrices par ailleurs de ces crédits d'impôt que j'adore.
Votre proposition de résolution souligne un problème de calendrier dans l'information dont le Parlement dispose. Au moment de l'examen du projet de loi de finances de l'année n+l, les parlementaires s'appuient sur les résultats de l'exécution budgétaire de l'année n-1 et sur les prévisions de l'année n+l. Pour autant, ils ne disposent que de peu d'informations sur l'année n, l'année en cours, alors même que les premiers résultats de l'exercice peuvent traduire un écart très important par rapport à la prévision. Les rapporteurs spéciaux, forts des pouvoirs généraux qui leur sont conférés par la LOLF, peuvent disposer de ces informations. Elles ne sont toutefois pas automatiquement rendues publiques par le Gouvernement.
C'est la raison pour laquelle je soutiens cette proposition de résolution, qui permettrait d'expliquer les résultats connus des premiers mois de l'année n des programmes dont l'exécution s'écarterait significativement de la prévision. Sans prévoir de nouvelles annexes dans la LOLF, ces informations pourraient d'ailleurs déjà être intégrées, lorsque cela est nécessaire, dans les projets annuels de performances sous leur forme actuelle.
Enfin, je rappelle que les rapporteurs spéciaux peuvent d'ores et déjà, s'ils l'estiment nécessaire, alerter le Gouvernement sur des problèmes d'écart à la prévision, en fonction des informations qu'ils peuvent recueillir.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Je tiens à saluer l'initiative de ma collègue Perrine Goulet, qui a proposé cette résolution relative aux sous-exécutions et sur-exécutions des lois de finances à laquelle je souscris pleinement. En tant que co-rapporteure spéciale de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », je m'assure que les ressources que nous avons votées dans le cadre de la loi de finances sont bien réalistes et que l'on ne constate pas d'écart conséquent durant l'exécution des crédits, comme le font mes collègues rapporteurs spéciaux pour les politiques publiques qu'ils suivent. En effet, il est primordial que la parole du Gouvernement et les pouvoirs de contrôle et d'évaluation du Parlement soient respectés.
Ce « printemps du budget » s'inscrit dans l'effort mené par le Gouvernement et le Parlement depuis le début du quinquennat pour une plus grande sincérisation du budget. Ces efforts ont porté leurs fruits : les prévisions de dépenses apparaissent de plus en plus fiables. En 2018, l'exécution des dépenses a été particulièrement inédite. La Cour des comptes a souligné que « l'année 2018 a été marquée par une gestion des dépenses de l'État conforme à la prévision initiale. » La gestion des risques budgétaires a donc été améliorée, ce dont nous pouvons nous féliciter. Cela est dû en particulier à l'importante baisse des sous-budgétisations, ainsi qu'à une maîtrise de l'exécution.
Les évolutions de l'exécution du budget depuis 2017 pour le programme 203 « Infrastructures et services de transports » sont révélatrices de ces avancées. D'une sous-exécution des crédits à hauteur de 537 millions d'euros en 2017, l'écart n'est plus désormais que de 107 millions : nous l'avons donc réduit de 430 millions d'euros. Quand on connaît le montant des crédits manquants pour finaliser les projections dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités, cela permet de mesurer les efforts qui ont été accomplis.
De plus, pour la première fois depuis 1985, le Gouvernement n'a pas pris de décret d'avance au cours de l'exercice 2018, conformément à l'engagement du ministre de l'action et des comptes publics, que je salue. Cela illustre le caractère rigoureux et sincère de la prévision budgétaire ainsi que le caractère sain de la gestion au cours de l'exercice. Je salue par ailleurs cette pratique respectueuse des prérogatives du Parlement.
Toutefois, comme l'a indiqué notre collègue Perrine Goulet, il est encore possible d'ajuster les crédits en loi de finances. Pour éviter les écarts trop importants en exécution, la gestion des aléas budgétaires peut être encore améliorée afin d'atténuer le plus possible les écarts. Certaines missions présentent en effet des situations de sous-exécution des crédits et des autorisations d'engagement qui sont notables. La mission « Travail et emploi » et la mission « Action extérieure de l'État » présentent une sous-exécution d'environ 5 %. Autre exemple assez illustratif, 10 % des crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » n'ont pas été exécutés. Deux conclusions possibles : les besoins financiers du ministère ont été soit surestimés, soit sous-estimés, avec des évolutions certes conjoncturelles pendant l'année.
Mais il faut également avoir en tête que, pour une partie des sous-exécutions, il y a besoin d'un travail qualitatif de la politique publique. Cela est nécessaire parce qu'une partie de la déperdition budgétaire peut être due à un défaut de pertinence des dispositifs publics. Le Gouvernement et les députés ont donc besoin de davantage d'instruments pour aller plus loin dans la méthode de sincérisation et pour réfléchir encore plus en amont à des répartitions budgétaires différentes ainsi qu'à des évolutions des politiques publiques elles-mêmes. Ces outils font partie des prérogatives des rapporteurs spéciaux rappelées par le rapporteur général. Toutefois, il est parfois difficile de les employer lorsque nous demandons la communication de documents qui devraient nous être transmis naturellement dans le cadre de ces prérogatives.
N'oublions pas que l'exécution des autorisations d'engagement et des crédits de paiement est une condition au consentement de l'impôt et à l'autorisation des dépenses. Petit à petit, nous votons un budget toujours plus réaliste : nous le devons à nos concitoyens. Je vous invite donc à voter en faveur de cette résolution.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
La loi de finances étant construite sur des hypothèses macroéconomiques et financières, la gestion budgétaire peut faire face à des imprévus au cours de son exécution. En effet, divers aléas peuvent survenir comme des catastrophes naturelles, des interventions militaires, des crises sanitaires, des indemnisations de victimes, des besoins nouveaux, des imprévus. La direction du budget doit par conséquent anticiper, tout au long de l'année, ce que seront les dépenses en fin d'exercice. Si nécessaire, elle propose des mesures correctrices lorsque la prévision tend à s'écarter de la loi de finances initiale et du respect de la norme de dépenses.
Au moment du dépôt du projet de loi de finances, le Gouvernement s'engage à maîtriser les dépenses dans le cadre de normes de dépenses. Ces normes sont un outil de pilotage simple qui permet au Gouvernement de rendre compte, de manière transparente, de sa maîtrise des dépenses devant le Parlement. Lors de nos débats sur les lois de finances initiales, en séance et en commission élargie, nous alertons régulièrement le Gouvernement sur la sincérité budgétaire. Ce principe implique l'exhaustivité, la cohérence et l'exactitude des informations financières fournies par l'État pour bâtir le budget de la nation.
Cette sincérité budgétaire a été formalisée par l'article 32 de la LOLF, qui dispose que « les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'État. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler. » La sincérité, entendue comme l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre, ne peut donc pas se mesurer ni s'apprécier de manière objective. C'est pourquoi le Conseil constitutionnel n'a jamais censuré aucune loi de finances sur ce critère.
Pour autant, Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, n'a pas hésité à pointer du doigt, dans son audit sur les finances publiques publié en juin 2017, l'insincérité du budget pour cette même année. Gilles Carrez et Éric Woerth étaient pourtant intervenus à de nombreuses reprises pour alerter le Gouvernement et l'opinion publique sur la dérive dangereuse des comptes publics et l'insincérité de ce budget. Ce budget, rappelons-le, avait été préparé par un jeune ministre de l'économie, futur Président de la République.
Cet audit de la Cour des comptes a estimé qu'en 2016, le Gouvernement a volontairement sous-budgétisé près de 4 milliards d'euros de dépenses : le coût des opérations extérieures pour 800 millions ; le plan de formation des 500 000 chômeurs pour 800 millions ; les contrats aidés pour 600 millions ; la recapitalisation d'Areva à hauteur de 2,5 milliards d'euros, que le Gouvernement n'avait pas jugé bon d'inclure dans le calcul du déficit ; et, enfin, des dépenses de retraites pour 500 millions d'euros. La Cour des comptes a également relevé 2 milliards d'euros de moindres recettes. Indépendamment de cet exemple, on constate chaque année que des dépenses sont sous-budgétisées, en particulier les opérations extérieures de nos armées. Pour 2019, cette sous-évaluation est estimée à 600 millions d'euros, et je ne parle même pas du service national universel, qui n'est toujours pas financé.
La sincérité budgétaire de l'actuelle majorité est plus que contestable. La semaine dernière, dans son discours de politique générale, acte II, le Premier ministre nous a détaillé un plan de dépenses, sans annoncer aucun financement ! Et je ne parle pas des 15 milliards d'euros de dépenses supplémentaires liés au mouvement des gilets jaunes, qui ne sont toujours pas financés ! Par ailleurs, tous les efforts budgétaires du Gouvernement, qui avaient été annoncés en grande pompe, sont finalement abandonnés ou revus à la baisse : l'objectif de retour à l'équilibre des finances publiques en 2022 ; l'objectif de réduction du poids de la dépense publique ; l'objectif de réduction de cinq points de la dette publique.
Chers collègues, indépendamment de ce constat, nous soutenons bien évidemment toutes les mesures qui vont dans le sens d'une plus grande sincérité budgétaire. Vous l'avez dit, les dépenses de certains ministères sont largement surévaluées quand d'autres ministères n'ont pas les moyens financiers de leurs missions. Nous ne pouvons donc que partager l'objectif louable de cette proposition de résolution. Mais la majorité et le Gouvernement doivent avant tout s'imposer ces principes de bonne gestion des deniers publics, plutôt que de faire déraper les dépenses, les déficits et la dette, comme c'est le cas aujourd'hui. Le Gouvernement actuel est certes plus sincère que le précédent, mais il est malheureusement tout aussi incapable de contenir la dette qui pèsera sur les générations futures.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Cette proposition de résolution déposée par notre collègue Perrine Goulet pour le groupe La République en marche vise à améliorer les outils de contrôle parlementaire. Dans les fonctions que lui confère la Constitution en ses articles 34, relatif au domaine de la loi, et 47, relatif au vote des lois de finances, le Parlement acte le consentement à l'impôt de nos concitoyens. Ces principes découlent des articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Le principe de sincérité budgétaire, introduit par l'article 32 de la loi organique relative aux lois de finances, dispose que « les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'État. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ». La loi organique consacre aussi la sincérité comptable en son article 27 : « Les comptes de l'État doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière ». Ce principe a été étendu aux comptes de toutes les administrations publiques par le constituant en 2008, via l'article 47-2 de la Constitution.
La présente proposition de résolution interroge donc le coeur de l'habilitation démocratique qui nous est conférée pour voter les lois de finances et, ensuite, en contrôler la bonne application. Il est regrettable que, comme les rapporteurs l'ont relevé, les écarts entre le budget voté et sa réalisation soient supérieurs à 3 %. En effet, une variation supérieure à ce chiffre, et qui est souvent cumulée sur l'ensemble du budget, questionne la sincérité de celui-ci.
Cet écart remet également en question la séparation dictée par l'article 40 de la Constitution, bien souvent opposée au Parlement en matière budgétaire. Pourquoi les parlementaires ne pourraient-ils pas adopter des dispositions ayant pour conséquence une diminution des ressources ou une augmentation des charges publiques, motif de refus de leurs amendements au regard de l'article 40 de la Constitution, quand le budget qui leur est proposé par le Gouvernement est systématiquement différent de l'application qui en sera faite ? Cette incapacité à agir sur les ressources publiques constitue une entrave aux correctifs que le Parlement souhaite apporter dans son activité de contrôle mais qu'il ne peut engager, faute de moyens législatifs efficaces.
Cette proposition de résolution vise, avec raison, à inviter le Gouvernement à envisager le dépôt au Parlement d'une justification au premier euro, inspirée de la rubrique du même intitulé figurant dans les projets et rapports annuels de performances, portant sur les huit premiers mois de l'année budgétaire en cours, pour les unités de vote de la loi de finances ou leurs programmes qui font apparaître, dans le projet de loi de règlement pour l'exercice précédent, des sur-exécutions ou des sous-exécutions dépassant de 3 % les plafonds votés en loi de finances initiale ou les ouvertures intervenues en loi de finances rectificative. Elle l'invite également, le cas échéant, à remettre ce document au plus tard à la date mentionnée au premier alinéa de l'article 39 de la loi organique, soit au plus tard le premier mardi d'octobre, date limite du dépôt du projet de loi de finances sur le bureau de l'Assemblée.
Le groupe MODEM soutient ces dispositions, qui visent à améliorer la fluidité des débats et la sincérité des documents budgétaires. Il reste à espérer qu'elle sera entendue par le Gouvernement et donnera lieu à de meilleures pratiques à l'avenir.
Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.
Pour ce deuxième printemps de l'évaluation, la majorité a choisi de faire déposer par la commission des finances une proposition de résolution visant à mieux appréhender le taux d'exécution des budgets votés et à se donner les outils pour y parvenir. Nous ne pouvons qu'être d'accord, et nous voterons en faveur de cette proposition de résolution.
Les auteurs de la proposition de résolution donnent trois exemples de sous-consommation de crédits : la culture, les outre-mer et le programme « Sport » de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». À ce titre, j'avoue que les pages 81 et 82 de votre rapport sur le projet de loi de règlement du budget 2018, monsieur le rapporteur général, sont très instructives : elles indiquent pour chaque mission le montant voté en loi de finances initiale et le montant réellement consommé, ainsi que l'écart entre les deux.
J'ai relu le rapport sur le projet de loi de règlement du budget 2017 et quelques-uns plus anciens : il s'avère que ce sont à peu près toujours les mêmes missions qui sous-consomment. Ainsi, la mission « Justice », qui a sous-consommé 116 millions selon le rapport de cette année, en avait sous-consommé 167 l'année dernière. La mission « Relations avec les collectivités territoriales » a sous-consommé 89 millions selon le rapport de cette année et 46 millions l'année dernière. Cette sous-consommation apparaît incompréhensible quand on sait que toutes les collectivités locales demandent des crédits supplémentaires et s'entendent répondre qu'il n'y a plus de crédits !
La mission « Santé », c'est 17 millions sous-consommés cette année, 38 l'an dernier. La mission « Action extérieure de l'État » reste la championne : moins 37 millions selon le rapport de cette année et moins 168 l'an dernier. La mission « Aide publique au développement », c'est moins 67 millions selon le rapport de cette année, moins 113 l'an dernier. S'agissant des anciens combattants, la sous-consommation est de 34 millions, contre 22 l'an dernier. Là aussi, cela paraît incroyable : à chaque loi de finances, on demande que ce budget soit revalorisé ! La mission « Culture », c'est 24 millions sous-consommés selon le rapport de cette année et 62 l'an dernier.
Que faut-il en tirer comme conclusion ? Comme Mme Cattelot l'a dit, le budget était peut-être faux. On connaît les tentations des gouvernements de faire voter des budgets élevés pour faire plaisir à leur majorité tout en sachant qu'une fois que le budget sera voté, ils l'exécuteront comme ils le souhaitent. Ce n'est pas propre à cette majorité : tout ce que je dis là peut s'appliquer aux majorités précédentes sans aucun problème. C'est la première piste…
… et cela pose évidemment problème.
Autre hypothèse, il y aurait une autocensure des administrations. C'est peut-être aussi une piste à explorer. En tout état de cause, le hasard n'étant pas l'ami du budget, il est quand même très curieux de constater qu'au moins sur les cinq derniers exercices, ce sont toujours les mêmes missions qui sont sous-exécutées. La proposition de résolution est donc la bienvenue pour prendre le problème à bras-le-corps dès le départ.
A contrario, il y a des missions qui sur-consomment, peut-être parce qu'il existe une forme d'hypocrisie partagée, quelles que soient les majorités, à voter des budgets inférieurs aux besoins réels. Les deux missions qui surconsomment sont les missions « Enseignement scolaire » et « Immigration, asile et intégration ». Elles donnent toujours lieu à d'importants débats au moment de la discussion de la loi de finances, mais on constate qu'in fine, elles surconsomment par rapport au budget initialement voté.
Et puis, il y a des missions qui sous-consomment ou sur-consomment selon les années – preuve peut-être que le budget est mieux calibré. Parmi eux, il y a les missions « Sport, jeunesse et vie associative », en sous-consommation cette année, ou « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » – cela nous renvoie à la proposition de résolution précédente. Tout cela montre qu'il n'y a pas de hasard sur les parties budgétaires. S'interroger beaucoup plus précisément, principalement sur les sous-consommations, est donc une nécessité. Par conséquent, nous voterons en faveur de votre proposition de résolution.
Applaudissements sur de nombreux bancs.
On peut reconnaître que l'année 2018 a été marquée par une gestion des dépenses de l'État globalement conforme à la prévision initiale. J'ai, avec Charles de Courson, suffisamment débusqué certains artifices comme autant d'atteintes à la vertu budgétaire pour porter cet effort au crédit du Gouvernement. Preuve en est – cela a déjà été dit – qu'aucun décret d'avance en cours d'année ne fut nécessaire, alors que les gestions précédentes en avaient connu deux, parfois trois. Ainsi, les sous-budgétisations ont été limitées à 1,5 milliard d'euros en 2018, contre 4,4 milliards d'euros en 2017, même si, comme l'a très bien dit Valérie Rabault, on peut être surpris par certaines sous-budgétisations quand on connaît la technicité de Bercy. Cela peut laisser cours à toutes les interprétations… Le groupe Libertés et territoires salue cependant le fait que le Gouvernement a su tenir l'enveloppe de dépenses dans le cadre des autorisations budgétaires, grâce à l'amélioration de la qualité de la budgétisation initiale.
Les annulations et ouvertures de crédits comptent également parmi les plus basses depuis l'entrée en vigueur de la LOLF. Je voudrais en outre souligner, à l'instar de la Cour des comptes, le faible niveau de la réserve, dont le taux est passé de 8 % en 2017 à 3 % en 2018. On rompt avec le fameux principe de sur-gel bien connu de ceux qui fréquentent le budget depuis quelques années.
Mais malgré ces satisfecit, certaines pratiques de gestion persistent. Cela ne surprendra pas le rapporteur général, qui est devenu un fin limier en la matière. Je pense, par exemple, au maintien de sous-budgétisations dans le domaine des opérations extérieures – à hauteur de 600 millions d'euros. On sait qu'il faudra 600 millions de plus, mais on reste figé sur une somme dont on sait qu'elle n'est absolument pas réaliste.
Par ailleurs, la Cour des comptes a relevé l'utilisation inappropriée de la dotation pour dépenses accidentelles ou imprévisibles, de 124 millions d'euros en 2018. Cette enveloppe a été utilisée non pour financer des dépenses accidentelles ou imprévisibles, mais pour combler des sous-budgétisations, notamment celle liée au mécanisme européen de stabilité, à hauteur de 100 millions d'euros – comprenne qui pourra – et pour couvrir un besoin de personnel, identifié dès le début de la gestion, pour la mission « Action extérieure de l'État ».
La présente résolution a pour but d'inviter le Gouvernement à prévenir et à corriger les sur-exécutions et les sous-exécutions des lois de finances. Nous ne saurions que l'encourager dans cette voie.
Je voudrais cependant rappeler ici que la dotation de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna, qui a vu son déficit atteindre 2,7 millions d'euros en 2017, souffre chaque année d'un manque de moyens. Son budget a, il est vrai, augmenté de 54 % entre 2012 et 2017, mais la dernière LFI prévoit des crédits inférieurs à l'exercice 2012, alors même qu'aucune diminution des dépenses n'est envisagée. On sait donc très bien qu'il y a sous-budgétisation !
Rappelons-le, la sincérité budgétaire, que le Conseil constitutionnel doit apprécier, peut être jugée au regard de plusieurs principes : l'exhaustivité, la cohérence, l'exactitude des informations financières. L'insincérité du budget, en ce qu'elle obère la capacité du Parlement à appréhender l'action publique d'une façon globale et claire, constitue une atteinte à notre organisation démocratique. En effet, les sous-budgétisations peuvent être à l'origine d'aléas de gestion aboutissant à ce que les budgets exécutés diffèrent largement des budgets votés. Or, ai-je besoin de rappeler que l'exécution du budget de l'État obéit à un certain nombre de règles qui visent à garantir que celle-ci se réalisera au plus près de la volonté exprimée par le Parlement ?
Puisque nous évoquons le contrôle par le Parlement de l'exécution du budget, permettez-moi quelques remarques sur le printemps de l'évaluation au moment où nous nous apprêtons à examiner le projet de loi de règlement. Tout d'abord, il faut regretter que le temps de parole accordé aux groupes parlementaires, en particulier à l'opposition, lors de l'examen de chacune des missions soit limité à deux minutes. Nous avons beau être capables de faire très vite et très bien en deux minutes, cela peut s'avérer compliqué pour des missions d'envergure. Ensuite, je voudrais préciser que le contrôle du budget par le Parlement ne saurait se limiter à en examiner la sincérité, sans évaluer le rapport entre les moyens engagés et l'efficacité – ce qui nous ramène à la résolution précédente.
Vous l'aurez compris, nous ne pouvons qu'encourager le Gouvernement à prévenir et à corriger les sur-exécutions et les sous-exécutions des lois de finances. Cette résolution, au-delà d'améliorer la démarche de sincérisation des comptes publics, répond à un besoin de transparence vis-à-vis du Parlement, mais surtout vis-à-vis de nos concitoyens.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
J'ai noté en gros sur mon papier « sincérité », parce que je crois que c'est le maître mot des débats de la loi de règlement en général, plus particulièrement sur la sous-exécution ou la sur-exécution des crédits. Je n'y ai jamais vraiment cru. Je n'y croyais pas quand j'exécutais moi-même le budget dans mes fonctions précédentes, et j'y crois encore moins depuis que je siège dans cet hémicycle !
Les pratiques internes à l'administration, qui visent à des délégations de crédits à 20 ou 25 % dans un premier temps, puis 90 % dans un deuxième temps, puis 100 % dans un troisième temps, c'est l'exemple de la police, parce que dès que vous passez en gendarmerie, c'est 25 % puis 100 %, avec des gels, des sur-gels, des recrutements. Ça, c'était le pompon, parce que quand on parle d'exécution, on parle aussi en termes de plafonds d'emploi, de nombre de personnes qu'on recrute. Quand vous êtes chef de bureau, vous pleurez toute l'année parce que vous êtes en sous-effectifs, il n'y a personne ; et là, on vous explique que vous avez une dizaine de recrutements sans concours catégorie C qui arrivent dans votre service le 29 décembre. Cela compte donc dans le plafond d'emplois de l'année n, mais vous ne les avez payés sur l'année en question qu'environ deux jours. Voilà une des nombreuses astuces qui échappent à la représentation nationale et qui font que ce dont nous discutons n'est pas tellement sincère.
Cette résolution vise à ce que nous ayons, au moment où nous discutons le projet de loi de finances, la photographie à un instant t de ce qui est exécuté au sein des différentes missions, programmes, et même actions, sous-actions, axes ministériels, tout ce que vous voulez. C'est une excellente proposition, d'autant que ce n'est pas très compliqué à faire, l'exécution budgétaire étant suivie par les plateformes Chorus et les responsables budgétaires, responsables de programmes, responsables d'unités opérationnelles. Vous pouvez même les avoir par centres de coût, la maille la plus fine. On a toutes ces informations en temps réel quand on est dans l'administration, alors qu'on n'est pas fichu de les avoir quand on est parlementaire et qu'on est au radar. C'est assez insupportable !
Il faudra quand même s'interroger un jour ou l'autre – je vais lancer un petit pavé dans la mare – sur la question de la fongibilité asymétrique. C'est la question qu'on pose aux concours de fonctionnaire pour savoir si on a bien lu la loi organique sur les lois de finances. Cela signifie que vous pouvez transférer des crédits de personnels que vous n'avez pas consommés vers des dépenses de fonctionnement, mais vous ne pouvez pas utiliser des crédits de fonctionnement non consommés pour embaucher des gens en plus. Si vous avez été vertueux en matière de dépenses – vous avez fait des économies d'électricité, de gaz, de papier par exemple – , vous vous dites que vous allez pouvoir embaucher un collaborateur supplémentaire. Eh bien non, ce n'est pas possible, parce qu'embaucher des fonctionnaires c'est un poids, une charge, tout ce que vous connaissez.
Maintenant, puisque vous n'avez prévu de recruter que des contractuels, peut-être faudra-t-il revoir cette histoire de fongibilité asymétrique, dès lors que vous pourrez vous séparer des agents public du jour au lendemain à travers les ruptures conventionnelles et autres artifices. Je verse tout cela au débat.
Ces sous-exécutions chroniques, répétées, résultent peut-être de cette fongibilité asymétrique, qui se voulait un instrument de bonne gestion et qui finit par justifier la faiblesse des moyens de l'État et des administrations pour agir.
Nous évoquions tout à l'heure les avis des contrôleurs budgétaires. Que ce soit sur le plan ministériel, avec les contrôleurs budgétaires et comptables ministériels, les CBCM, ou sur le plan régional, je n'en ai jamais vu un rendre un avis conforme. Je les ai toujours entendu dire : « Oui, mais sur telle ou telle dépense, je crois que vous allez vous casser la figure », et ce avant même que l'exécution du budget ait commencé. Il y a donc bien quelque chose qui ne fonctionne pas.
Souvent le diable se cache dans les AE, les autorisations d'engagement. Il y a un problème avec Bercy, qui refuse de donner ces fichues AE à tous les ministères pour que l'on puisse bénéficier d'une véritable sincérité budgétaire. Il faudra arrêter avec ce n'importe quoi-là ! Elles finissent tout de même par être lâchées – de même qu'en face, les crédits de paiement, les CP, parce qu'il faut bien payer les fournisseurs avec lesquels nous avons passé des contrats !
Je termine, d'un mot. Puisqu'il est question d'insincérité budgétaire, je ne sais toujours pas comment seront financées les différentes annonces faites par le Président de la République lors de sa conférence de presse, et encore moins celles faites par le Premier ministre ici même il y a quelques jours. Si quelqu'un a la réponse, je veux bien la connaître. Il faudra bien se mettre à rédiger une loi de finances rectificative ou, peut-être, en rédiger plus souvent, ce qui permettra de faire des points d'étape plus réguliers, quitte à ce qu'elles soient plus légères et que l'on y passe moins de temps.
Mme Valérie Rabault applaudit.
Je serai très bref.
Nous abordons un sujet technique, qui ne mange pas de pain et, je l'annonce d'emblée, nous voterons cette proposition de résolution parce qu'il peut être utile, dans le pilotage des politiques publiques, d'examiner la sur-exécution ou la sous-exécution budgétaire afin de savoir ce qu'il en est de la sincérité d'un budget.
Mme Cendra Motin applaudit.
Ce soir, après les semaines de l'évaluation, je m'interroge sur l'utilité du Parlement dans ce domaine. Réforme après réforme – celle du règlement a d'ailleurs conforté cela – , on réduit les prérogatives et les pouvoirs des parlementaires pour faire bouger la loi, la corriger, l'améliorer ou en changer totalement le sens. Et les choses vont vite !
Parallèlement, on trouve beaucoup d'occasions, comme ce soir, pour faire comme si le Parlement avait vocation à être une espèce de Conseil économique, social et environnemental évaluant les politiques publiques – en l'occurrence en discutant de l'exécution du budget.
Or s'il est bien un sujet sur lequel le Parlement a très peu la main, c'est celui de la construction du budget ! Les ministères ont également très peu la main puisque, nous le savons, Bercy décide, Matignon arbitre et les ministres se plient. Deux ou trois d'entre eux parviennent à grignoter des miettes, qui se traduisent d'ailleurs parfois en sous-exécutions budgétaires, Bercy ayant décidé à l'avance ce que serait la feuille de route et quels budgets seraient alloués.
Il y a donc une forme non d'insincérité, mais d'hypocrisie budgétaire à prétendre vouloir transformer le Parlement en instance d'évaluation du budget alors qu'il n'a pas la main.
Peut-être dans cette même logique de réduction de la dépense publique, alpha et oméga des gouvernements qui se succèdent depuis de longues années, je trouve que l'on met beaucoup d'énergie à serrer l'exécution budgétaire des dépenses, mais beaucoup moins à veiller à la bonne exécution des recettes, comme en atteste le nombre de pages consacrées à cette partie-là.
Je ne vous parle pas de l'évasion fiscale, ni des cadeaux qui ont été multipliés dans le dernier budget à l'intention es plus aisés, je ne vous parle pas de l'évaluation de la pertinence du CICE, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, ni du crédit impôt-recherche, y compris pour soutenir l'innovation. Le ministère lui-même a reconnu que nous n'étions pas de bons élèves en la matière.
J'insiste : nous sommes souvent très mobilisés, très attentifs, presque obnubilés par l'exécution des dépenses, mais nous faisons souvent l'impasse sur la bonne exécution des recettes, peut-être même sur l'optimisation de leur quête.
Voilà ce que m'inspire ce texte que nous voterons parce que, comme disait ma grand-mère, c'est mieux que si c'était pire.
Mme Valérie Rabault applaudit.
La discussion générale est close.
Sur le vote de la proposition de résolution, je suis saisi par le groupe La République en marche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du numérique.
Votre proposition de résolution constate que plusieurs programmes présentent un écart significatif entre la loi de finances initiale et les crédits réellement exécutés et juge que ces écarts, constatés en 2018 mais également les années précédentes, ne sont pas suffisamment documentés et nécessitent une meilleure information du Parlement.
Quelques commentaires à ce propos.
Tout d'abord, le Gouvernement tient à rappeler les résultats obtenus en 2018, lesquels ont été salués par la Cour des comptes. La loi de finances initiale pour 2018 a ainsi construit le budget sur des bases assainies. Tirant les conséquences de la reprogrammation des crédits réalisée au cours de l'exercice 2017, dans le prolongement de l'audit de la Cour des comptes sur les finances publiques, le projet de loi de finances a permis de budgétiser à leur juste niveau les dépenses obligatoires, notamment l'allocation aux adultes handicapés et l'hébergement d'urgence, et de renforcer ou de positionner des provisions pour la couverture d'aléas comme dans les missions « Défense » et « Agriculture », dans un souci d'amélioration de la sincérité du budget. Ceci s'est notamment traduit par l'augmentation du niveau de la norme de dépenses pilotables de 5,1 milliards dans la LFI pour 2018 par rapport à la LFI pour 2017.
La norme de dépenses pilotables a finalement été sous-exécutée de 1,4 milliard en 2018 par rapport à l'objectif fixé en loi de finances initiale.
La Cour des comptes a souligné la qualité de la gestion 2018, notant « une exécution maîtrisée des dépenses et des progrès dans la gestion des risques budgétaires ».
Deuxième point : le Gouvernement rappelle son attachement à donner tous les moyens utiles au Parlement pour analyser les résultats de l'exécution du budget de l'État. De manière générale, il s'est engagé dans une démarche visant, à travers un calendrier avancé de dépôt du projet de loi de règlement – PLR – , à accompagner le Parlement dans le renforcement de ses travaux de contrôle sur l'exécution du budget de l'État, tels qu'initiés en 2018 dans le cadre du « printemps de l'évaluation ». Cette démarche, soutenue par le Gouvernement, se traduit notamment par une communication enrichie en amont du dépôt du PLR.
Troisième point : le Gouvernement souhaite rappeler que le travail de budgétisation et de programmation prend bien en compte à la fois l'exécution de l'année n-l, mais également les premières tendances relatives à l'exécution de l'année n. Ainsi, une très grande partie du travail de budgétisation et de programmation repose sur l'analyse des sous-jacents de l'exécution n-l, mais aussi des premiers éléments connus de l'exécution n. Les conférences techniques tenues en mars sont l'occasion de réaliser ce travail, lequel est ensuite actualisé aux différentes étapes dans un souci de sincérité budgétaire.
Quatrième point : le contrôle de l'exécution est un principe budgétaire fondateur et un enjeu que l'exécution 2018 a rappelé. L'exercice du contrôle est indispensable pour mettre à jour des enjeux de gestion publique. La proposition de résolution mentionne ainsi le cas du ministère de l'outre-mer, qui a sous-exécuté non seulement les crédits ouverts en loi de finances initiale, mais également les crédits ouverts en loi de finances rectificative de fin d'année. Un tel cas interpelle quant à la capacité des services concernés à mettre en oeuvre les politiques publiques qui leur sont confiées. Dans un tel cas, le contrôle du Parlement est indispensable pour demander des comptes aux responsables de programme et inciter à la mise en place de mesures correctrices.
Quelques nuances, enfin.
Si le principe est partagé, les modalités proposées pour y répondre sont peut-être caractérisées par une approche quelque peu uniforme compte tenu de la diversité des situations posées. La proposition de résolution demande en effet une information systématique du Parlement sur l'exécution de l'année en cours pour les programmes ou missions ayant, sur l'exercice clos, sur-exécuté ou sous-exécuté de plus de 3 % les crédits ouverts en loi de finances initiale. L'application uniforme de ce seuil de 3 % ne semble pas adaptée à la réalité de l'exécution du budget, pour plusieurs raisons.
En premier lieu, appliqué à l'exercice 2018, ce seuil conduirait à une information sur 45 programmes du budget de l'État. Ce nombre élevé traduit également le fait qu'un dépassement de 3 % des crédits est un élément habituel de l'exécution budgétaire qui ne peut signifier, en soi, un élément de dysfonctionnement dans la mise en oeuvre des politiques publiques.
En deuxième lieu, compte tenu du nombre important de programmes concernés, le Gouvernement serait conduit à transmettre au Parlement une information volumineuse et non hiérarchisée selon les enjeux de chaque programme.
Enfin, comme l'indique l'exposé des motifs de la proposition de résolution, un dépassement en gestion peut s'expliquer par plusieurs facteurs de nature très différente.
Il nous semble donc que c'est une analyse au cas par cas qu'il faut conduire. Elle pourrait être confiée aux rapporteurs spéciaux, qui disposent de tous les moyens fournis par la LOLF pour obtenir toute information utile, y compris sur l'exécution de l'année en cours.
En conclusion, malgré quelques nuances, comme vous l'avez compris, concernant les modalités d'application, l'objectif poursuivi par cette proposition de résolution est partagé par le Gouvernement. Je vous propose donc de l'approuver.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-I.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 27
Nombre de suffrages exprimés 27
Majorité absolue 14
Pour l'adoption 27
Contre 0
La proposition de résolution est adoptée.
Prochaine séance, demain, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Proposition de résolution sur le pilotage et l'évaluation des dépenses fiscales ;
Proposition de résolution sur les modalités de contrôle budgétaire par le Parlement ;
Proposition de résolution relative à l'indemnisation des victimes du valproate de sodium ;
Projet de loi de règlement du budget 2018.
La séance est levée.
La séance est levée, le mercredi 19 juin 2019 à une heure.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra