Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du mercredi 14 avril 2021 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

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Chers collègues, je suis heureuse de vous retrouver pour entendre nos deux co-rapporteures, Sereine Mauborgne et Nathalie Serre, qui viennent nous présenter leur rapport sur l'opération Barkhane, réalisé dans le cadre d'une mission d'information que j'ai présidée.

L'opération Barkhane résulte de la fusion en 2014 de l'opération Serval, lancée en 2013 à la demande de l'État malien pour stopper une offensive djihadiste vers Bamako, et de l'opération Épervier, engagée au Tchad en 1986 : seule une approche régionale permettait en effet de faire face à une menace djihadiste qui se jouait des frontières.

Barkhane est aujourd'hui la plus importante opération française, couvrant un territoire plus grand que l'Union européenne. Plus de 5 000 militaires sont déployés au Tchad, au Mali et au Niger, en lien avec l'opération des forces spéciales Sabre, présente notamment au Burkina-Faso. Les militaires de Barkhane mènent des opérations de contre-terrorisme contre le RVIM, c'est-à-dire Al-Qaida, et l'EIGS, c'est-à-dire l'état islamique, auprès des forces locales et de la force conjointe du G5 Sahel, en complément des missions de maintien de la paix conduites par la MINUSMA.

Votre rapport est important : il intervient à un moment charnière dans le déroulement des opérations. Après le Sommet de Pau qui a acté, en janvier 2020, un rehaussement de l'effort militaire contre le terrorisme dans la zone des trois frontières, il parait également après le Sommet de N'Djamena qui, en février dernier, a fixé comme priorité l'investissement dans les trois autres piliers que sont le renforcement des forces de sécurité, la consolidation des États et l'accentuation des actions de développement.

Vos travaux nous permettront donc d'évaluer l'évolution de la situation sécuritaire et politique, mais aussi d'estimer les fruits des efforts décidés à Pau ainsi que les perspectives ouvertes par celui de N'Djamena.

Mais votre rapport est aussi attendu pour mesurer la cohérence globale d'une opération qui s'inscrit dans un agenda qui dépasse les seules préoccupations militaires et les seuls intérêts français.

Barkhane est en effet bien plus qu'une opération française. Elle a aussi une dimension européenne et les États européens ne s'y sont pas trompés, la situation au Sahel représentant la principale menace pesant sur le flanc Sud de l'Union. Plus de 3 000 militaires européens sont déployés dans la région, sous commandement national, sous commandement français – la task force Takuba est une réussite –, sous commandement européen ou sous-direction onusienne. Pour ne prendre qu'un exemple, le Sahel représente le plus gros déploiement de la Bundeswehr.

Mais beaucoup plus largement encore, Barkhane est le socle de l'implication de la communauté internationale auprès d'États confrontés à des crises multiples et plurifactorielles, dont l'évolution concerne l'Europe, l'Afrique et tout le bassin méditerranéen et dont la complexité explique l'ampleur des efforts de l'ONU – la MINUSMA est l'une de ses principales missions –, mais aussi l'ambition des démarches telles que l'Alliance Sahel, la Coalition pour le Sahel ou le Partenariat pour la Sécurité et la Stabilité au Sahel.

La situation reste précaire et difficile dans de nombreuses zones, sur fond de conflits sociaux et de tensions inter et intra-communautaires : les groupes terroristes prospèrent, par métastases, sur la trop grande faiblesse des États de la région et s'adaptent aux coups portés par nos forces et les armées sahéliennes, sans que le terreau propice aux retours des États et au développement économique ne soit encore totalement prêt. L'action de la France elle-même n'est pas épargnée : nos forces perdent des hommes et de sourdes luttes autour des perceptions cherchent à saper notre légitimité à intervenir au profit des populations sahéliennes, comme les infox relatives à Bounti nous le démontrent encore.

C'est pourquoi il était important, pour notre commission et pour nos concitoyens, que vous meniez cette mission d'information en vous rendant sur le terrain et en discutant avec la plupart des parties prenantes concernées. Je tiens à saluer l'ampleur du travail que vous avez réalisé pour mettre en perspectives les enjeux de la crise au Sahel, ses répercussions sur les intérêts européens, ainsi que sur les voies et moyens qui permettront de réussir la sortie de crise.

Avant de laisser la parole à Sereine Mauborgne et à Nathalie Serre, je tiens à rendre un hommage appuyé à nos soldats qui se battent depuis 2013 dans la bande sahélo-saharienne. Je tiens à les assurer, et je sais que je peux le faire en votre nom à tous, de la reconnaissance de la représentation nationale. Je renouvelle l'expression de notre gratitude vis-à-vis de ceux qui acceptent d'exposer leur vie pour le service de la Nation, la protection de nos concitoyens et le soutien de notre politique, juste et ambitieuse, au Sahel.

Je salue la mémoire des 57 militaires qui ont laissé leur vie sur ce théâtre exigeant, et dont 51 sont « morts pour la France ». J'assure leurs familles de notre entier soutien et de notre considération.

Mes chères collègues, je vous cède la parole.

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Madame la présidente, chers collègues, Nathalie Serre et moi sommes ravies de nous trouver devant vous ce matin, afin de vous présenter les conclusions de la mission d'information sur l'opération Barkhane. Nous aurions évidemment préféré que cette réunion puisse se tenir en présentiel, dans des conditions plus favorables à un débat dynamique, mais l'heure n'est malheureusement pas encore au retour à une vie « normale ».

Je dois toutefois dire que les contraintes sanitaires n'ont pas trop perturbé la conduite de nos travaux. Certes, il a fallu nous adapter, comme l'ensemble des Français, en recourant largement à la visioconférence. Nous avons également pu tenir certaines auditions en présentiel, accueillis dans les locaux de nos interlocuteurs, ou à l'Assemblée, quand les échanges pouvaient conduire à évoquer des sujets relevant du secret de la défense nationale.

Nous avons également eu le privilège de nous rendre au Sahel, à vos côtés Madame la présidente, et plus précisément à Niamey et Gao. Nous y avons été accompagnés durant tout notre séjour par le général Marc Conruyt, commandant de la force Barkhane, et avons pu échanger avec le colonel Malard, commandant la base aérienne projetée de Niamey, le colonel Frédéric Delacotte, commandant la Plateforme opérationnelle Désert de Gao, et de nombreux militaires alors déployés sur les deux sites. Nous avons aussi été à la rencontre des détachements alliés – les Britanniques, les Danois, les Estoniens – ainsi que des Forces armées maliennes déployés à Gao. Notre déplacement nous a également permis d'échanger, au Mali, avec le Gouverneur de Gao et des représentants de la MINUSMA ainsi qu'au Niger, avec des représentants de la Force conjointe, puisque nous nous sommes rendus au Poste de commandement conjoint de Niamey.

Ce fut notre seul déplacement, la situation sanitaire ayant eu raison de nos projets de nous rendre à Canjuers, pour lequel j'ai un attachement particulier en tant que députée du Var, afin de mieux comprendre le déroulement de la mise en condition finale des personnels de l'armée de terre sur le point d'être déployés en bande sahélo-saharienne, mais aussi à Lyon, où se trouve le commandement des opérations aériennes en Afrique de l'Ouest, et à Cognac, où est stationné l'escadron de drones 1/33 Belfort.

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Nous avons également conduit une trentaine d'auditions. Celles-ci se répartissent en trois grands groupes. Le premier groupe réunit les représentants de l'exécutif, et en particulier du ministère des Armées. Nous avons ainsi entendu les responsables des opérations conventionnelles et spéciales, ceux des services de renseignement, ainsi que des activités diplomatiques, qu'il s'agisse de la direction générale des relations internationales et de la stratégie ou du Quai d'Orsay. Au sein du deuxième groupe, les représentants du monde de la recherche et des organisations non gouvernementales. Nous avons reçu de nombreux chercheurs, représentant, si vous me passez l'expression, différentes chapelles. L'une d'entre elle a suscité un certain nombre de commentaires désagréables, qui nous ont paru déplacés s'agissant de travaux parlementaires dont la liberté doit être totale. Le troisième groupe, enfin, est celui de nos alliés et partenaires. Il nous a d'abord semblé important de nous entretenir avec des représentants des pays concernés, c'est-à-dire des pays du G5 Sahel. Malheureusement, nous ne sommes pas parvenus à organiser de rencontres avec des représentants des autorités du Mali comme du Tchad. Cela reste un véritable regret.

Nous avons aussi échangé avec nos alliés et partenaires non-africains, et en particulier avec des représentants des autorités allemandes, américaines, britanniques, danoises et estoniennes, ainsi qu'avec des représentants de la MINUSMA et de l'Union européenne.

Bref, une trentaine d'auditions pour un large tour d'horizon qui nous a paru indispensable pour aborder une question aussi cruciale que celle de l'engagement de nos forces armées au Sahel.

Cruciale car Barkhane constitue la plus importante des opérations extérieures actuellement conduite par la France. Cruciale car nos soldats meurent au Sahel. Vous l'avez dit, Madame la présidente, 57 y ont perdu la vie, dont 51 « pour la France », sous les coups de l'ennemi. Nos dernières pertes sont survenues le 28 décembre 2020 et le 2 janvier 2021, comme souvent à la suite de l'explosion d'engins explosifs improvisés : les IED comme les désigne l'acronyme anglais.

Cruciale, enfin, car Barkhane fait l'objet de débats nourris et de nombreux questionnements. Les derniers ont conduit un certain nombre de commentateurs à appeler à la fin de cette opération, arguant d'un prétendu enlisement.

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Dans ce contexte, il était essentiel pour notre commission de créer une mission d'information dédiée à Barkhane.

D'une part, car aucune mission d'information n'a été consacrée à Barkhane depuis le lancement de l'opération, il y a bientôt sept ans.

Il y a bien eu une mission sur Serval, dont les conclusions ont été rendues en juillet 2013, mais rien sur Barkhane.

Notre commission a certes conduit de nombreuses auditions consacrées à cette opération, et je sais que de nombreux rapports l'ont abordée. Je pense par exemple au rapport de nos collègues Jean-Michel Jacques et Manuela Kéclard-Mondésir sur le continuum sécurité-développement, ou à l'avis budgétaire que notre collègue Jean-Jacques Ferrara avait consacré au transport aérien. Vos travaux ont aussi nourri notre réflexion, chers collègues.

D'autre part, car s'il nous semble légitime que l'engagement des armées françaises puisse être débattu, surtout au Parlement, les questionnements doivent être éclairés. Et force est de constater qu'en France, et parfois sur les bancs de notre assemblée, on ne sait souvent pas très bien ce que nous « faisons » au Sahel.

C'est aussi pourquoi, avec Nathalie Serre, nous avons rapidement considéré que notre rapport devait aussi poursuivre un but pédagogique, afin de permettre à chacun de comprendre le sens de notre engagement au Sahel, ses contours et ses perspectives.

C'est donc tout à votre honneur, Madame la présidente, d'avoir souhaité créer cette mission d'information. Et nous mesurons notre privilège d'en avoir été désignées les co-rapporteures.

Mais il est à présent temps d'en venir au cœur de notre sujet !

Comme vous le savez, l'opération Barkhane a pris la suite de l'opération Serval, déclenchée le 11 janvier 2013 par François Hollande afin de répondre à l'appel à l'aide des autorités maliennes face à la « descente » de colonnes djihadistes vers Bamako.

Car si l'on ne compte plus les rébellions Touarègues contre l'État central, pour la première fois, celle-ci s'accompagnait d'un véritable projet terroriste, à tendance islamiste. Certains d'entre vous se souviennent sans doute des reportages diffusés sur les grandes chaînes de télévision montrant comment le terrorisme était alors industrialisé, avec des camps d'entraînement ne laissant guère planer le doute quant à la volonté de ces groupes de projeter des attaques sur le sol européen.

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Notre rapport rappelle en détail l'histoire de l'émergence progressive du terrorisme djihadiste au Sahel, et la manière dont Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), Ansar Dine et le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO) ont instrumentalisé puis défait le mouvement Touareg tout au long de l'année 2012.

C'est bien à l'appel de l'État malien, qui menaçait de s'effondrer tel un château de cartes, que la France est intervenue rapidement, massivement, et a stoppé l'avancée terroriste. Les territoires conquis par les groupes terroristes ont été repris, afin de permettre aux autorités maliennes d'y reprendre pied. Serval a été un succès militaire et politique incontestable sur lequel je ne m'attarderai néanmoins pas plus avant.

Toujours est-il qu'en 2014, la France a pu transférer la mission de stabilisation aux autorités maliennes et à l'ONU, au travers de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour le Mali : la MINUSMA.

Nous aurions alors pu en rester là, plier bagage et rapatrier l'ensemble de nos soldats.

Pourquoi ne l'avons-nous pas fait ?

Tout simplement car la menace demeurait prégnante, et que les forces locales n'étaient pas en mesure d'assurer la sécurité sur leur territoire. En outre, dans le désert sahélien, la menace se joue des frontières, et les réseaux terroristes possèdent des ramifications dans l'ensemble de la zone, et en particulier au Mali, au Niger et au Burkina Faso.

C'est pourquoi, à la demande des autorités maliennes et des autres pays du G5 Sahel – Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad –, la France est restée engagée, adoptant une approche en trois axes : appuyer les forces armées des pays sahéliens dans leur montée en puissance, renforcer la coordination des moyens militaires internationaux, empêcher la reconstitution de zones refuges terroristes dans la région.

Et c'est ainsi que le 1er août 2014, l'opération Barkhane a pris la suite de l'opération Serval.

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Nous ne reviendrons pas en détail sur le déroulement de notre opération entre 2014 et 2019, préférant nous concentrer sur la nouvelle dynamique enclenchée depuis le début de l'année 2020.

Durant ces cinq années, nos forces ont remporté de précieux succès tactiques. Nous y avons déployé environ 4 500 hommes en permanence, à partir de différentes emprises au Niger, au Tchad et au Mali, pour l'essentiel.

Nous avons également subi de nombreuses pertes, essentiellement du fait d'engin explosifs improvisés. Le 25 novembre 2019, nous perdions 13 soldats, à la suite de la collision accidentelle de deux de nos hélicoptères – un hélicoptère d'attaque Tigre et un hélicoptère de transport Cougar –, lors d'une opération de combat, par nuit noire, dans la vallée d'Eranga, au Mali.

Nous avons tous ce terrible accident en mémoire, et je sais combien il a particulièrement frappé la ville de Pau, chère à Josy Poueyto et la rapporteure du budget de l'armée de terre que je suis.

Cet accident a provoqué un sursaut. Car il faut le reconnaître, nous vivions alors des temps difficiles.

Mais comment pouvait-il en être autrement, alors que nous ne déployions que 4 500 hommes pour couvrir une zone grande comme l'Europe occidentale, et que nous étions alors bien seuls ?

Auditionné par notre commission, le chef d'état-major des armées reconnaissait lui-même, à l'automne 2019, que la situation se détériorait, et que nous peinions à contenir l'évolution de la menace. Celle-ci contenait en germes des similitudes avec ce qui a conduit au déclenchement de l'opération Serval.

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Quelle est telle, précisément, cette menace ?

Au Sahel, nous combattons deux grandes organisations terroristes. Premièrement, le Rassemblement pour la victoire de l'Islam et des musulmans (RVIM), également connu sous le nom de Groupe de soutien à l'Islam et aux musulmans (GSIM) ou encore JNIM, en arabe. Avec à sa tête Iyad Ag Ghali, un touarègue, ce groupe est affilié à Al-Qaïda, et réunit en son sein divers groupes tels que la katiba Macina, qui œuvre dans le centre du Mali sous la direction d'Amadou Koufa, ou encore AQMI au Sahel et Ansar Dine, d'ailleurs fondée par Iyad Ag Ghali. Le RVIM est particulièrement actif dans le Nord et dans le Centre du Mali.

Deuxièmement, l'État islamique au grand Sahara (EIGS), affilié à Daech, qui est particulièrement actif dans la région des trois frontières, c'est-à-dire à l'intersection dans le Mali, le Niger et le Burkina Faso, dans la zone du Liptako. Son chef, Adnane Abou Walid al-Sahraoui, ancien porte-parole du MUJAO, décrit publiquement par M. Bernard Émié, le directeur général de la sécurité extérieure, comme un personnage « sanguinaire », à la tête d'un groupe d'une particulière « sauvagerie ». C'est l'EIGS qui a commandité et revendiqué l'attaque contre les humanitaires de l'ONG Acted, qui a coûté la vie à six Français et deux Nigériens dans le parc de Kouré, en août 2020.

Ces deux groupes se distinguent par leur composition, leur « projet » comme leurs méthodes. Après des années de collaboration, ils s'affrontent également depuis l'été 2020. Ces combats ont essentiellement lieu dans la région du Gourma, en raison des velléités d'expansion de l'EIGS en direction des zones d'influence du RVIM, et en particulier de la katiba du Macina, ainsi que de concurrences pour la perception de la zakat, de gestion des ressources naturelles, de contrôle et allégeance des combattants.

2019 avait été une année difficile, pour les forces françaises, les forces locales, les Casques bleus, mais surtout les populations civiles.

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Il y avait alors urgence à réagir pour éviter toute velléité de reconstitution d'un califat territorial, qui aurait également représenté une menace de premier plan pour la France et l'Europe. C'est dans ce contexte qu'a été organisé le Sommet de Pau, le 13 janvier 2020, afin de redéfinir les objectifs et les modalités de l'engagement sahélien, français et international au Sahel. Ce Sommet avait en fait plusieurs objectifs : réaffirmer la demande des États sahéliens d'être soutenus et accompagnés par la France ; trouver les moyens d'intensifier la lutte contre les groupes armés terroristes, au travers d'une double logique : sahélisation des opérations, et internationalisation des engagements Pour la France, cela s'est traduit par un renforcement des moyens humains (le déploiement de 600 militaires supplémentaires) et techniques (l'armement des drones français, effectif depuis fin 2019).

Aujourd'hui, 5 100 militaires français sont donc déployés au Sahel. Je ne reviendrai pas sur notre dispositif ni nos moyens, dont vous avez pu trouver une description détaillée dans le projet de rapport qui vous a été adressé hier.

En outre, le Sommet de Pau a mis l'accent sur le renforcement de la force conjointe du G5 Sahel, dont la création avait été annoncée en juillet 2017, soit trois ans après la création du G5 Sahel. Constituée de 5 000 hommes issus des pays du G5 Sahel, cette force se concentre sur la sécurisation des zones frontalières, et lutte contre les groupes terroristes et le crime organisé.

Enfin, le Sommet de Pau a été l'occasion de renforcer l'action de nos partenaires internationaux. Renforcer, car si j'ai dit tout à l'heure que la France pouvait se sentir seule dans la lutte contre les GAT, les choses sont évidemment plus complexes. Sur le théâtre, nous recevions déjà un soutien important des américains – dans les domaines du renseignement, du ravitaillement, du transport –, mais aussi des allemands, des canadiens et des espagnols – transport stratégique, c'est-à-dire les relèves –, des britanniques et des danois – transport tactique, sur les théâtres, par hélicoptères de transport lourd –, des estoniens, pour la protection des sites.

La contribution des forces occidentales a toutefois franchi un palier supplémentaire avec le lancement de la force Takuba, qui réunit des forces spéciales européennes dont la mission est de former et d'accompagner sur le terrain des unités maliennes.

En outre, je n'oublie par l'apport de la mission militaire européenne de formation EUTM Mali, qui forme les forces armées maliennes, et la mission onusienne MINUSMA, qui contribue à la stabilisation du pays. Nous reviendrons plus tard sur ces deux missions et leurs marges de « progrès ».

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En définitive, l'année 2020 a été celle du renouveau sur le plan militaire.

Érigé en ennemi principal, l'EIGS a été fortement touché par notre action et celle de nos partenaires, et a vu sa zone d'influence sérieusement réduite.

Quant à la nébuleuse Al-Qaïda, les forces françaises ont neutralisé de hauts responsables terroristes, parmi lesquels Abdelmalek Droukdel, émir d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ou Bah ag Moussa, chef militaire du RVIM.

En outre, depuis Pau, nous avons continué à entraîner nos alliés à nos côtés et intensifié nos opérations avec la force conjointe, comme l'ont montré les opérations Bourrasque, Éclipse et Équinoxe, qui se poursuivra au cours des prochains mois.

Barkhane et ses partenaires ont donc remporté de précieux succès tactiques.

S'il faut le saluer, Barkhane fait toutefois face à de nombreux défis. Citons en trois. Premièrement, la menace demeure vive en raison de la capacité d'adaptation des groupes terroristes à nos modes d'action et dispose, il faut le reconnaître, d'une importante capacité de régénération. Deuxièmement, Barkhane fait face au défi de « durer », d'une part en raison des accusations d'enlisement dont l'opération fait l'objet, mais surtout, d'autre part, car notre engagement met en lumière certaines fragilités capacitaires, et pèse sur la capacité de régénération organiques des armées. Il s'agit d'un défi particulièrement criant à l'heure où il nous faut aussi nous préparer à d'autres conflits, plus intenses. Troisièmement, la bataille du récit est loin d'être gagnée, notamment du fait d'une guerre informationnelle toujours plus intense, comme nous avons récemment pu l'expérimenter. Au-delà, Barkhane demeure méconnue, et mal comprise, au Sahel comme en France.

Il nous semble surtout que c'est le positionnement de Barkhane dans le dispositif global mis du Sahel qui est méconnu. Car l'action militaire n'est qu'un élément de réponse à sa déstabilisation. Elle en constitue le socle mais est évidemment insuffisante à elle seule.

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La déstabilisation du Sahel n'est pas le seul fait de l'irruption, au début de la décennie, de groupes armés terroristes. Car la crise malienne, devenue crise sahélienne, est multifactorielle. Elle est liée à l'activité des groupes terroristes, c'est un fait. Mais d'autres facteurs doivent être pris en compte. Premièrement, le manque d'unité du Mali, avec une volonté farouche des populations du Nord de gagner en indépendance ou, du moins, en autonomie. L'offensive djihadiste de 2012-2013 s'appuie d'ailleurs largement sur ces revendications, et Iyad Ag Ghali lui-même a d'abord combattu en faveur de l'autonomie de l'Azawad. Dans ce contexte, certains groupes rebelles ont signé avec l'État malien, en juin 2015, des accords pour la paix et la réconciliation, plus connus par leur acronyme – APR – ou « Accords d'Alger ».

Ces groupes – la coalition des mouvements de l'Azawad (CMA) et la « plateforme » – sont d'ailleurs parfois proches des groupes terroristes : nous savons par exemple qu'il y a ainsi une certaine porosité entre des membres de la CMA et le groupe terroriste Ansar Dine.

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Deuxième facteur : les rivalités entre communautés, sous le fait notamment de la crise du pastoralisme et du changement climatique qui assèche les terres et réduit les points d'eau. Les conflits climatiques sont déjà une réalité au Sahel, comme en témoignent par exemple les affrontements entre Peuls et Dogons. Au Burkina Faso comme au Mali, des groupes d'autodéfense ou des milices communautaires ont vu le jour, se prêtant parfois à des massacres ethniques. L'exemple le plus emblématique est le massacre de près de 160 Peuls à Ogossagou, il y a deux ans, pour lequel a été mise en cause la milice Dogon Dan Na Ambassagou.

A contrario, nombre de Peuls sont venus gonfler les rangs du RVIM et de l'EIGS afin d'obtenir les moyens de lutter contre leur marginalisation sociale et économique : dans le centre du Mali, Amadou Koufa, chef de la katiba du Macina, est un peul qui attise les rivalités communautaires.

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Troisième facteur de crise : la défaillance générale des États, sous le fait de la corruption, d'exactions, de l'incapacité à assurer la présence de l'État dans certaines parties des territoires et de l'incapacité à assurer le développement équitable et l'accès aux services de bases.

C'est d'ailleurs là aussi notre échec collectif, après des décennies d'aide au développement provenant de la communauté internationale.

Les groupes terroristes se nourrissent de ces fragilités, et n'hésitent pas à exploiter les frustrations, les tensions communautaires, la pauvreté, la fragmentation des sociétés sahéliennes.

C'est pourquoi, pour toutes ces raisons, jamais il n'a été imaginé que la réponse militaire puisse seule permettre de stabiliser le pays.

Celle-ci constitue en revanche le socle d'une approche dite globale, matérialisée par la Coalition internationale pour le Sahel créée dans la foulée du Sommet de Pau, afin de coordonner l'action des différents partenaires sahéliens et internationaux et des initiatives lancées depuis 2013.

Je ne reviendrai pas en détail sur ces différentes initiatives. Mais retenez simplement que la Coalition internationale pour le Sahel est structurée en quatre piliers.

Premier pilier : la « Lutte contre le terrorisme », piloté conjointement par les pays du G5 Sahel et la France.

Deuxième pilier : le « Renforcement des capacités militaires », piloté par l'Union européenne (EUTM Mali, P3S) en lien avec le G5 Sahel.

Troisième pilier : l'« Appui au retour de l'État », piloté par l'Union européenne (Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel, missions européennes EUCAP Mali et EUCAP Niger) en lien avec le G5 Sahel.

Quatrième pilier : l'« Aide au développement », piloté conjointement par le G5 Sahel et l'Alliance Sahel.

Les initiatives sont nombreuses, l'argent est là – 17 milliards pour l'Alliance Sahel ! – l'engagement de la communauté internationale est incontestable et pourtant, nous peinons à concrétiser ces efforts.

Or, ce n'est qu'en relevant le défi de la montée en puissance des forces locales, du retour des États et du développement que nous parviendrons à transformer les succès tactiques en victoire stratégique. Et dans cette perspective qu'à l'occasion du Sommet de N'Djamena, qui s'est tenu les 15 et 16 février, la nécessité d'un « sursaut civil » a été soulignée.

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La troisième et dernière partie de notre rapport a justement pour objet de définir les conditions de cette « victoire stratégique ». Nous n'avons pas fait preuve d'originalité en l'organisant autour de deux axes : l'approfondissement du sursaut militaire décidé à Pau et la mise en œuvre du sursaut civil décidé à N'Djamena.

Nous n'évoquerons que brièvement les principaux éléments développés dans notre rapport, puisque vous avez pu en prendre connaissance.

S'agissant de l'approfondissement du sursaut militaire, trois axes d'effort nous paraissent devoir être développés. Premier axe, le renforcement de la sahélisation des opérations, encore trop faible pour que Barkhane puisse passer le relais. Cela passe par un renforcement des efforts en faveur de la montée en puissance des forces locales, et en particulier maliennes. Jouant un rôle essentiel, la mission européenne de formation EUTM dispose toutefois de marges progrès. Il est ainsi annoncé que 16 000 militaires maliens ont été formés depuis 2013, mais en l'absence d'un système d'information de gestion des ressources humaines performant, impossible de savoir avec précisions ce qu'ils sont devenus ! Paradoxalement, la crise sanitaire a toutefois mis en lumière l'apport d'EUTM, dans la mesure où la suspension de son activité, durant près de sept mois, s'est immédiatement ressentie sur le niveau d'entraînement des forces armées maliennes (FAMa).

Alors que le cinquième mandat d'EUTM conduira à élargir son action en direction du Niger et du Burkina, il conviendra de se montrer vigilant pour qu'élargissement ne se transforme en dispersion ! et ce d'autant qu'EUTM a ses propres fragilités, liées notamment à son effet « tour de Babel » et au turnover des personnels.

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La montée en puissance des forces locales passe aussi par des réformes structurelles, permettant de mettre en place un cycle opérationnel vertueux et de mieux considérer les militaires, en commençant par « bancariser » les soldes. Pour l'heure, au Mali, la bancarisation ne concerne que les officiers…

Au-delà, il s'agit de poursuivre l'accompagnement de la force conjointe et d'accroître ses capacités. À terme, il pourrait être envisagé de la placer sous « Chapitre VII » de l'ONU, afin notamment d'espérer pérenniser ses financements.

J'en viens immédiatement au deuxième axe : l'approfondissement de l'internationalisation.

Je me concentrerai sur trois points :

- la clarification du mandat de la MINUSMA, qui semble au milieu du gué et hésiter à basculer dans une logique d'imposition de la paix dans le Centre du Mali, comme son mandat l'y invite pourtant depuis 2019. Nous pourrons y revenir dans les questions ;

- la levée des doutes quant à la pérennité de l'engagement américain, si essentiel au Sahel.

- l'ancrage de la durée de la force Takuba, ce qui suppose que l'ensemble de nos partenaires tiennent leurs engagements.

Le troisième axe d'effort que nous avons identifié est particulièrement sensible. Il s'agit d'ériger en principes cardinaux la lutte contre les exactions et la protection des populations civiles.

Vous avez tous lu dans la presse qu'il y a deux semaines, des militaires tchadiens déployés au sein du 8e bataillon de la force conjointe avaient violé trois femmes, au moins, âgées de 32, 23 et 11 ans dans le village de Tera, au Niger. Il ne s'agit malheureusement que d'un exemple parmi d'autres des exactions commises par les forces de défense et de sécurité locales dont sont victimes les populations civiles. Au printemps 2020, l'ONU relevait ainsi que les forces de défense et de sécurité maliennes avaient procédé à près d'une centaine d'exécutions sommaires et arbitraires en trois mois.

En la matière, il est aussi de la responsabilité des armées occidentales, qui forment les armées locales, d'intensifier la formation aux droits de l'homme et au droit international humanitaire, comme d'accompagner les réformes des armées locales. À ce titre, il faut d'ailleurs se féliciter que la force conjointe se soit doté d'un dispositif ad hoc, le Mécanisme d'identification, de suivi et d'analyse des dommages causés aux civils, ou MISAD, dont vous pouvez trouver la présentation dans le rapport.

En outre, la lutte contre les exactions passe aussi par la lutte contre l'impunité. D'autant que si les pays sahéliens n'instituent pas une chaîne pénale robuste et équitable et que les crimes des milices communautaires ou les exactions des forces de défense et de sécurité demeurent impunis, les populations locales seront « jetées dans les bras des GAT ».

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Mais parce que la voie politique constitue la seule issue de long terme à la crise du Sahel. Parce que la menace terroriste ne s'épuisera qu'une fois épuisé le terreau sur lequel elle prospère. Il faut surtout mettre en œuvre le « sursaut civil ».

Pour ce faire, il est d'abord indispensable que le Mali retrouve la paix.

À N'Djamena, l'accent a été porté sur la mise en œuvre de l'APR. Si l'on ne peut que souhaiter un apaisement de la question du Nord du Mali, l'APR semble aujourd'hui poser davantage de questions qu'il n'en résout. D'abord, car l'APR lui-même est au point mort, qu'il fait l'objet de nombreuses critiques de la part de la population elle-même et que les groupes armés signataires ont fortement changé depuis 2015.

Par ailleurs, alors que le Mali apparaît toujours plus fragmenté, la question qu'il faut se poser est celle de l'opportunité d'un nouveau processus de dialogue national, à même de déboucher sur un accord de sécurité plus global dont l'APR ne serait que l'un des piliers. En somme faut-il un nouvel accord ?

Et ce faisant, surgit une question particulièrement sensible pour nous, Français : faut-il négocier avec les terroristes ?

La position officielle de la France est claire : c'est non.

Mais de notre point de vue, aussi ferme soit elle, cette position appelle plusieurs commentaires, car pour la plupart de nos interlocuteurs, l'ouverture de négociations avec certains groupes terroristes paraît à terme inévitable, car telle est la volonté des autorités et des populations sahéliennes.

D'après nous, il faut donc anticiper les choses et :

- nous assurer que nos partenaires sahéliens n'ouvrent pas des canaux de discussions à notre insu ;

- déterminer les « lignes rouges » à ne pas franchir dans le cadre d'éventuelles discussions, comme l'intégrité du territoire malien, la liberté religieuse, l'exercice uniforme des services régaliens ;

- identifier les conditions que poseraient les groupes terroristes pour l'ouverture de telles négociations ;

- retarder l'ouverture de telles discussions, le temps de se trouver dans la position la plus favorable possible, c'est-à-dire idéalement parvenir à neutraliser les chefs des groupes terroristes.

Si nous sommes évidemment défavorables à l'ouverture de telles négociations, il s'agit d'un scénario hautement probable auquel il faut donc se préparer, y compris moralement. Car au Sahel, des négociations ont déjà été engagées au niveau local, parfois avec l'assentiment du gouvernement.

Pour que le Mali retrouve la paix, il faut aussi que le retour à une vie démocratique « normale » ne souffre aucun retard, près de huit mois après le coup d'État du 18 août. Il convient en effet de nous montrer vigilants quant au respect des engagements pris par les équipes de la Transition, et notamment s'agissant du calendrier électoral. Et ce d'autant que d'importants retard ont d'ores et déjà été constatés.

Or, la mise entre parenthèses prolongée de la vie démocratique peut être exploitée par ceux qui veulent déstabiliser le pays, qu'il s'agisse des groupes terroristes ou de certains religieux qui, tel l'imam Dicko, pourraient tenter de proposer une troisième voie, hasardeuse pour le Mali et les Maliens.

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Mais le sursaut civil, c'est aussi un affermissement des piliers 3 et 4 de la Coalition, c'est-à-dire le retour de l'État et le développement. Je ne détaillerai pas les choses faute de temps, mais tiens à insister sur un point qui nous semble primordial : méfions-nous du « retour de l'État » !

Car dans nombre de territoires, pour une partie de la population, l'État n'a jamais été présent, et quand il l'était, il agissait non comme un État protecteur, mais comme un État prédateur : c'est le gendarme qui rackette ou le juge corrompu. L'État peut également paraître lointain, géographiquement, d'abord, lorsque les services sont concentrés dans le chef-lieu, mais également culturellement, quand le juge rend la justice dans une langue inconnue, ou mal maîtrisée, et lentement, alors qu'un litige d'accès aux ressources a des conséquences immédiates. Dans ce contexte, il peut arriver que certaines communautés estiment que l'alternative proposée par les groupes terroristes n'est pas pire, d'autant que certains, en particulier le RVIM, appliquent des règles claires et offrent un modèle de gouvernance concurrent.

Pour couper l'herbe sous le pied des terroristes, il est donc indispensable de concentrer le redéploiement des services de l'État sur les services de base : éducation, santé, justice. Surtout dans les zones rurales.

Par ailleurs, le redéploiement des services étatiques sur les territoires doit s'accompagner d'une profonde réforme des États eux-mêmes, en vue notamment de mettre un terme à la corruption endémique qui les minent à tous les étages. Le haut niveau de corruption de certaines élites est de plus en plus décrié localement, tandis que de nombreuses voix s'interrogent sur la détermination de la communauté internationale à y mettre un terme.

Ce n'est qu'à ce prix que nous parviendrons, collectivement, à permettre les conditions d'une stabilisation du Sahel.

Mais si Barkhane ne peut constituer la seule réponse à la crise sahélienne – nul ne l'a jamais pensé du reste, Barkhane reste indispensable.

La stabilisation du Sahel prendra de nombreuses années, et, comme le dit régulièrement le chef d'état-major des armées, il nous faut apprendre la « patience stratégique ». Le format du dispositif français au Sahel n'est toutefois pas figé, et Barkhane évoluera à mesure de l'affermissement de la montée en puissance des forces locales et de l'amplification de l'engagement de nos partenaires, sahéliens et occidentaux.

Opération extérieure, Barkhane pourrait changer de nom, et évoluer vers un dispositif de coopération structurelle régionale, sans que la responsabilisation croissante des forces locales n'induise le retrait complet des troupes françaises. Des décisions seront sans doute prises à l'été, et je ne doute pas que nous aurons alors l'occasion de débattre à nouveau de Barkhane. Il le faut, car en débattant de Barkhane, on apprend à mieux connaître cette opération, à mieux en comprendre le sens, à la rendre plus visible. Et nos soldats le méritent.

Je vous remercie. Et avant de conclure, je souhaite aussi vous remercier, Madame la présidente, pour la grande disponibilité dont vous avez fait preuve, ainsi que l'ensemble des membres de la mission et les personnes auditionnées. Je dirai enfin que les qualités qui ont présidé à nos travaux ont été la bienveillance, l'écoute et la tolérance.

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Je souhaiterais également vous remercier et vous dire combien j'ai été honorée de conduire cette mission aux côtés de Sereine Mauborgne.

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Je vous remercie pour votre intervention et la qualité du rapport que vous avez présenté. Nous avons la chance, dans notre commission, quand l'intérieur supérieur nous le demande, de pouvoir travailler sur des sujets aussi fondamentaux que celui-ci. Et par respect pour nos militaires, nous devons faire preuve de sens républicain et participer à l'unité nationale. Vous l'avez brillamment démontré.

Votre rapport fera sans nul doute date, et j'ai été ravie de me trouver à vos côtés, notamment à l'occasion du déplacement que nous avons pu effectuer sur le terrain.

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Avant toute chose, je souhaiterais remercier devant nous tous les deux rapporteures de cette mission d'information, dont les travaux ont été particulièrement intéressants à suivre, pour le travail fourni dans l'établissement de ce rapport et la présentation qui vient de nous en être faite. Très rapidement, j'aurai plusieurs questions à vous soumettre suite à la lecture de votre rapport. Dans la partie « Mettre en œuvre le sursaut civil » du rapport, vous rappelez que le sommet de N'Djamena devait lancer un tel sursaut, devant conduire les États sahéliens à engager les réformes et actions nécessaires pour assurer le retour de l'État et des services publics sur l'ensemble de leurs territoires respectifs, au profit des populations, ainsi que pour créer les conditions d'un développement économique et social robuste et équitable. Une des conditions de ce sursaut est que les populations aient accès à des interlocuteurs étatiques et que ceux-ci se substituent aux groupes terroristes pour l'assurance de missions régaliennes telles que la sécurité du quotidien et les négociations entre parties d'un conflit. Alors, que penser des négociations visant à obtenir une désescalade des violences et prises en étau qui sont menées dans certains villages directement par les habitants ou des représentants ethniques avec les groupes violents qui contrôlent les territoires, que ce soient des groupes terroristes ou des milices d'autodéfense ? Vous l'aurez compris, je fais là référence au reportage de RFI sorti le 12 avril, « Dans les coulisses de l'accord de Niono au Mali ». Ces négociations qui sortent de tout cadre officiel étatique ne risquent-elles pas de doucement convertir les populations locales aux arguments de ceux même qui leur empêchent d'avoir accès même physiquement à l'État, en entretenant un dialogue direct avec les populations et en leur accordant la levée de certaines contraintes ?

Sur le volet militaire, votre rapport montre que la coopération internationale fonctionne à plein régime, notamment au moyen de la Task Force Takuba que vous qualifiez de « succès pour la diplomatie française » mais que l'on peut presque qualifier de manifestation de la possibilité d'une défense européenne.

Avec une nouvelle présidence américaine mais aussi une doctrine internationale à certains égards moins en rupture qu'escompté, faut-il craindre à court ou moyen terme un retrait américain qui serait malgré tout difficile pour les Européens et Sahéliens à compenser, notamment en termes de renseignement ? Aussi, à votre connaissance, certains de nos alliés européens au sein de Barkhane pourraient-ils se laisser entraîner dans la voie d'un retrait que pourrait ouvrir les États-Unis ? A contrario, disposez-vous d'éléments d'actualité concrets relatifs aux intérêts à s'engager de nouvelles nations européennes, telles que l'Ukraine, la Grèce, la Slovaquie ou la Hongrie que vous citez dans le rapport ?

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Je tiens à remercier les co-rapporteurs pour la qualité remarquable de leur travail mené dans un esprit républicain et d'unité nationale. Au sein de notre commission, nous avons aussi pour mission de montrer aux soldats engagés sur le terrain de montrer que la Représentation nationale et le pays tout entier sont derrière eux. Et de faire prendre conscience que la sécurité à Paris se gagne aussi à Gao et dans les boucles du Niger. Merci pour ce rapport d'information qui donne du sens à l'engagement de la France et le replace en perspective, à la fois dans l'histoire et pour son avenir. C'est précieux quand nos soldats versent leur sang au Sahel. La question que je souhaite poser aux co-rapporteures porte sur la guerre informationnelle. Comme vous l'avez brièvement évoqué, la France est sur place l'objet d'attaques de désinformation venant de groupes locaux ou de puissances étrangères. Je souhaitais donc connaître votre analyse de cette guerre informationnelle. Que pensez-vous notamment des répliques françaises ? Sont-elles suffisantes ? Doivent-elles être renforcées ? Car ces attaques ont lieu aujourd'hui au Sahel, mais elles pourraient se produire sur tous les théâtres d'opérations. C'est une réalité à laquelle donc il faut se préparer.

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Je voudrais tout d'abord vous remercier pour avoir souligné à plusieurs reprises à quel point Barkhane et Pau étaient intimement liées à travers la présence des forces spéciales et du 5e régiment d'hélicoptères de combat qui a payé un lourd tribut. Je leur adresse mon respect profond, ma reconnaissance et mon affection.

La lecture du rapport nous rappelle à nos fondamentaux : Barkhane joue un rôle majeur au Sahel mais gagner la guerre sur le plan militaire ne sera jamais suffisant. Il faut aussi – et surtout – gagner les populations. Par conséquent, la solution sera politique avec le relais des programmes d'aides au développement. Cette approche globale militaire, économique, sociale et environnementale, nous la soutenons, tous, depuis le début. Toute la difficulté consiste à traduire, concrètement et rapidement, cette volonté auprès des civils. Le rapport montre bien comment l'action internationale peut gagner en efficacité dans ce domaine. Il me semble primordial en effet, aujourd'hui, de rompre avec un certain nombre d'habitudes, de valoriser notamment les projets de nature à avoir un impact direct sur les populations et ne plus se focaliser sur des dossiers d'infrastructures ou sur des opérations qui se déploient en priorité sur les zones les plus habitées, parfois au détriment des plus démunies.

Déjà en janvier 2020, le groupe des démocrates et démocrates apparentés que je représentais, souhaitait, à l'occasion d'une question au gouvernement, que nous marquions très vite un tournant dans les actions engagées au Sahel. Nous étions alors en attente de la loi de programmation relatif au développement et à la lutte contre les inégalités mondiales. Le texte est désormais en discussion devant le parlement.

L'aide publique française devrait ainsi passer de 0,37 % du revenu national brut à 0,55 % en 2022 et à 0,7 % en 2025. En même temps, les lignes bougent. L'aide au développement veut privilégier les partenariats, mais aussi par exemple s'adresser au secteur privé, aux diasporas et se donner les moyens d'un contrôle plus qualitatif. Mais surtout se concentrer sur les pays les plus vulnérables.

Avez-vous une opinion, ou des éléments, sur l'effet de levier que pourrait avoir, dans ce nouveau contexte législatif, l'aide publique française au Sahel ?

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En préambule, je vous remercie sincèrement pour le rapport que vous avez rédigé et les éclairages que vous avez fournis. Je souhaiterais saluer le travail des co-rapporteures de la mission d'information et mentionner l'accord de mon groupe sur les grandes conclusions qui sont tirées quant à l'opportunité de la poursuite de l'opération Barkhane ainsi que son utilité pour la stabilité régionale et plus largement pour la sécurité de l'Union européenne.

Permettez-moi également de souligner l'engagement remarquable des militaires français de l'opération Barkhane, ainsi que des troupes de nos partenaires maliens et nigériens notamment, qui ont permis d'assurer de nombreux succès sur le terrain en 2020.

Les chefs de nos forces armées, que notre commission a l'habitude d'auditionner, soulignent régulièrement que le dispositif et le format de Barkhane n'ont jamais été monolithiques. Ils sont en constante adaptation et par nature évolutifs, il ne s'agit donc pas de savoir s'il faut faire évoluer l'opération Barkhane mais bien comment, selon quels objectifs, selon quelles modalités et à quel horizon. De ce point de vue, il convient de tracer un certain nombre de perspectives. L'objectif est indéniablement de renforcer à la fois la sahélisation et l'internationalisation du dispositif, autrement dit l'implication des armées de nos partenaires locaux principalement maliens et nigériens et la participation sur le terrain des armées de nos partenaires européens, voire internationaux.

La perspective est claire. D'une mission menée sous la forme d'une opération extérieure faisant intervenir massivement des militaires de la troupe, on passerait à un dispositif plus léger faisant intervenir principalement les forces spéciales ouvertes à la participation de nos partenaires européens qui viendraient en appui des forces armées locales maliennes et nigériennes qui, elles, deviendraient majoritaires sur le terrain.

L'opération Barkhane semble ainsi être amenée à être relayée progressivement par la montée en puissance de la task force Takuba qui devrait regrouper à terme selon les mots du Président de la République « 2 000 hommes, avec un pilier français autour de 500 hommes ». Cette dernière viendrait donc « en appui », « aux côtés des militaires sahéliens », « ce qui est une logique différente de celle des opérations extérieures ». Cette adaptation n'est évidemment pas pour tout de suite mais elle doit être envisagée selon les progrès effectués sur le terrain dans différents domaines à un horizon de 18 mois, avec les conditions et précautions nécessaires.

Enfin, en conclusion, je tiens à souligner que les succès du volet militaire de l'opération Barkhane, aussi important qu'ils soient, ne pourront être pérennisés dans le temps et sur la durée que si le volet politique prend le relais. De ce point de vue, le respect des accords d'Alger de 2015, comme les discussions internes aux différents acteurs maliens en vue de restaurer l'autorité de l'État sur ses frontières ainsi que sur les services de base assurés auprès de l'ensemble de la population, restent cruciales. Quels que soient les succès militaires, il nous faudra gagner la bataille politique.

Ces éléments, Mesdames les rapporteures, pour rappeler que l'avenir de l'opération Barkhane ne peut pas être improvisé – vous l'avez largement démontré dans votre rapport – et ses forces de transformation doivent déjà faire l'objet de débats. Je souhaitais donc savoir quelles pistes les informations recueillies dans votre rapport ont fait ressortir à ce sujet.

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Je remercie nos collègues pour ce rapport et veux saluer tous ceux qui se mobilisent pour le Sahel, nos militaires mais aussi leurs frères d'armes européens et sahéliens. Ce rapport est une excellente synthèse qui met en lumière la complexité de la situation sahélienne et contribue à améliorer notre connaissance du sujet. Au-delà des rapports visant à évaluer l'action publique, il semble important au groupe « Agir ensemble » que le Parlement soit force de proposition quant à l'évolution des opérations extérieures. La capacité du président de la République à agir seul et à engager la France et la force est un élément clé de notre crédibilité stratégique, mais ce mode de gouvernance, qui permet une grande réactivité, impose également une réflexion parlementaire dense, non seulement pour suivre les opérations extérieures mais également pour animer une réflexion stratégique prospective et être force de propositions. Il s'agit là du cœur de notre mission politique : au-delà d'évaluer, proposer dans l'intérêt de notre pays.

C'est pourquoi le groupe « Agir ensemble », parmi d'autres, s'est beaucoup mobilisé sur la question sahélienne. Ainsi, nous avons inscrit ce sujet à l'ordre du jour de la séance publique, le 4 mars dernier, ce qui a permis à chaque groupe politique de notre Assemblée de s'exprimer et d'interroger simultanément le ministre des Affaires étrangères et la ministre des Armées. La proposition du groupe « Agir ensemble » est de dépasser l'alternative entre partir et rester pour une troisième voie nommée « rester autrement »., que je ne détaillerai pas ici. L'été 2021 nous semble le bon moment pour choisir cette voie. Le rapport reprend l'historique de notre intervention, analyse la situation, dans ses principales dimensions, et rappelle les objectifs de notre pays, autour de la sahélisation et de l'internationalisation et de la mise en œuvre du sursaut civil.

À mon sens, le rapport aujourd'hui présenté aurait pu avoir un aspect prospectif, c'est-à-dire proposer des voies d'évolution de notre dispositif militaire. Le rapport, dans sa conclusion et sa troisième partie, s'y essaye et reprend la politique énoncée par le discours du Président de la République au Sommet de N'Djamena, visant à faire muter l'opération extérieure vers un projet de coopération structurelle régionale. Quelles évolutions envisagent les co-rapporteures pour notre mission au Sahel et notamment sur le format du dispositif ?

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Madame la Présidente, mes chers collègues, je ne veux pas évoquer Barkhane sans rendre hommage à toutes les victimes du conflit au Sahel, aux civils et à nos militaires morts ou blessés dans l'exercice de leur mission. Leur souvenir nous oblige à la gravité, à la pondération mais aussi à la clarté.

Le rapport qui nous est présenté est le fruit d'un long travail que je remercie les rapporteures d'avoir accompli. Bien sûr, il mérite d'être publié, malgré les nombreux points de désaccord que j'y trouve. Je regrette, par exemple, qu'il n'aille pas plus loin et que les auteurs n'aient par exemple pas choisi de profiter de ce travail pour chercher à se procurer des éléments matériels concernant le bombardement de Bounti. Il est vrai que le contrôle de l'action de l'exécutif nous incombe à tous et je crois que nous ne devrions pas y renoncer.

Plus généralement, le point de vue des auteurs et celui de mon groupe divergent profondément. La contribution que je déposerai entrera davantage dans le détail. Pour l'heure, disons surtout que je ne partage pas l'enthousiasme des rapporteurs qui voit dans Barkhane une opération au bilan, je cite, « incontestablement positif ». Dans la mesure où le nombre des combattants, leur zone d'actions et d'influence, le nombre des morts, des blessés et des déplacés se sont considérablement accrus, dans la mesure où le Mali a connu un coup d'État l'été dernier et la démocratie ne s'est affermie nulle part, je suis forcé de m'interroger sur ce que les auteurs pourraient appeler un « bilan mitigé ».

Je dois surtout attirer l'attention sur l'avenir de l'opération : alors que l'idée et les conditions du retrait de nos troupes devraient être selon moi le cœur du texte, il lui substitue l'idée de pérenniser Barkhane encore, je cite, de « nombreuses années ». Je mets en garde : les populations se résigneront peut-être mais ne l'accepteront pas.

Cette idée d'installer l'opération pour de nombreuses années découle bien sûr du fait qu'on ne se soit pas affranchi de la notion de « guerre au terrorisme » qui est une impasse et un bon prétexte à tous les régimes autoritaires pour négocier le parrainage d'une puissance étrangère. Pour ma part, je refuse que Barkhane devienne une version remaniée de la mission Épervier, installée au Tchad depuis 1986.

Je le redis : notre objectif doit être d'organiser, de façon progressive et méthodique, en concertation avec les peuples, qui ne sont jamais sérieusement consultés, le retrait des soldats français.

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Je suis très touché par l'extrême sensibilité des rapporteures qui, au-delà du travail qui a été fait dans un esprit républicain, vient apporter une touche très humaine. J'aimerais poser une question plus large, après un bilan pareil. Combien de temps la France va-t-elle pouvoir tenir tous ses engagements ?

Nous assurons pour l'Europe la force de dissuasion, et sur Barkhane, nous sommes seuls pour mener à la fois une action militaire et d'aide publique au développement, avec un appui déterminé aux opérations de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) et de l'Organisation des Nations unies (ONU). Je me demande si nous ne devrions pas être plus clair vis-à-vis de la charge d'engagement de l'Union européenne à nos côtés. On parle beaucoup de l'Union européenne, mais c'est quand même surtout la France qui agit. De l'autre côté, nous ne participerons pas du tout à la reconstruction de la Syrie et de la Libye, compte tenu de nos positionnements politiques et militaires, mais combien de temps allons-nous tenir ? Or, il est évident en écoutant la commission, et les deux co-rapporteures, que si nous partons, la situation va dégénérer. Il suffit de regarder la carte de l'Afrique à cet endroit-là pour en être totalement conscient. Que peut-on faire ? N'y a-t-il pas à dire la vérité sur cette réalité et essayer de proposer une autre stratégie ?

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Vous connaissez mon attachement et mon attention particulière aux opérations extérieures, tant pour l'engagement, que pour la protection de nos soldats déployés. La rédaction de ce rapport permet de mettre en lumière l'importance de l'opération Barkhane pour notre sécurité nationale. Alors que la guerre informationnelle s'intensifie afin de la déstabiliser et pousser au retrait de nos troupes, le choix de se pencher plus en détail sur cette intervention au Sahel contribue ainsi à éclairer les enjeux qu'elle couvre, sans omettre le moindre aspect.

Les auditions et les réflexions que nous avons pu mener dans le cadre de cette mission d'information nous ont permis de dresser un tableau fidèle de la situation dans cette zone de tension persistante, pour aboutir à la conclusion que la poursuite de l'opération Barkhane est un enjeu de sécurité majeur pour la France et pour ses alliés. Comme de coutume, les membres issus de l'opposition ont été pleinement impliqués dans ces travaux et je tiens à souligner ici combien il est démocratiquement sain que notre commission se penche avec une telle transparence sur un sujet aussi sensible. En effet, le regard du Parlement sur les engagements militaires de la France est essentiel pour s'assurer du bien-fondé de ses interventions, et je me réjouis qu'on ait, ici, pleinement exercé ce regard.

Au-delà des considérations stratégiques, diplomatiques et techniques qu'illustre parfaitement ce rapport, je tiens à rappeler la dimension humaine de ce sujet. En effet chaque jour, depuis dix ans, des milliers d'hommes et de femmes sont engagés au Sahel, engagés dans un combat sans répit pour notre pays et pour nos valeurs. Je salue l'engagement de tous ces soldats français. Nous sommes pleinement conscients des sacrifices personnels et collectifs que représente un tel engagement. Je salue également avec respect et affection la mémoire de tous ces Français qui ont consenti à payer de leur sang notre sécurité. Beaucoup d'entre eux ayant trouvé la blessure ou la mort. Je renouvelle une fois encore à leurs familles, à leurs proches, et à leurs frères d'armes, notre pleine solidarité dans ces douleurs. Accomplir jusqu'au bout la mission Barkhane c'est aussi respecter nos soldats qui y ont laissé leurs vies.

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Madame Roques-Etienne, vous avez soulevé la délicate question des négociations initiées au niveau local entre certaines communautés et des groupes armés terroristes. Mais comment en vouloir en populations locales ? On peut tout à fait comprendre qu'elles engagent de telles discussions car elles y sont contraintes pour survivre, et qu'elles ont évidemment envie que la situation s'améliore. Évidemment, nous ne sommes pas favorables à la négociation avec les groupes armés terroristes, mais il nous semble important de distinguer d'une part les chefs, dont le projet est de détruire l'État, d'imposer la charia ou encore de constituer un califat, avec une réelle volonté de viser l'Europe et la France, et d'autre part les combattants « de base » qui rejoignent ces groupes armés pour d'autres préoccupations, souvent plus basiques, rarement par choix idéologique. La négociation fait partie de la volonté des États du Sahel, comme nous l'avons expliqué dans le rapport, mais le cas échéant, il faut pouvoir le faire dans de bonnes conditions.

J'en viens à présent à la question de l'engagement international de nos partenaires. Il ne semble pas y avoir d'inquiétude concernant les États-Unis, mais il faut effectivement sortir de l'ambiguïté, car pour l'instant, toutes les réponses n'ont pas été clairement apportées. Il est absolument primordial que les États-Unis soient à nos côtés, car le soutien qu'ils apportent en plusieurs domaines est crucial à nos opérations. Il en est de même s'agissant de la pérennisation de Takuba, dont les unités sont aux côtés des FAMa. Nous attendons de nouvelles participations, dont celle des Italiens, et le Danemark a récemment annoncé, au début du mois d'avril, qu'une centaine de militaires seraient déployés au début de l'année 2022. La force Takuba monte en puissance ; il faut encore que l'on travaille au niveau européen pour que nos partenaires s'engagent davantage à nos côtés, mais je crois que c'est en bonne voie.

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Deux mots reviennent dorénavant souvent pour parler de la guerre : l'hybridation et l'asymétrie. Et pour répondre à votre question, Monsieur Thiériot, je pense que s'il y a bien un exemple concret pour les illustrer, c'est la guerre informationnelle. D'abord l'hybridation, parce que la guerre ne se joue pas que sur le terrain physique et cinétique, mais aussi sur les réseaux sociaux. Tout le monde a un téléphone portable, et c'est le cas de beaucoup de monde dans la bande sahélo-saharienne. L'asymétrie, ensuite, parce que les forces en présence sont totalement asymétriques : comment comparer les Mirage 2000 de Barkhane aux kalachnikovs et aux motos des groupes terroristes ?

Dans ce contexte, la guerre informationnelle repose sur des technologies assez peu coûteuses, y compris d'ailleurs s'agissant des bots qui permettent d'augmenter la diffusion des messages que les groupes armés terroristes diffusent sur les réseaux sociaux. Cela permet aussi une fuite de la confrontation cinétique. Les moyens des groupes armés terroristes sont très variés : des tracts, la désinformation par la radio, l'instrumentalisation de toutes les failles identifiées ou créées, etc. La compétition est également stratégique sur ce terrain avec des compétiteurs qui souhaitent élargir leurs zones d'influence, voire occuper le premier plan. On pense par exemple à la Russie, qui présente des moyens et des objectifs de dénigrement et de désinformation, que ce soit par les médias ou les réseaux sociaux.

Comment nous montrer plus réactifs ? La pédagogie, la transparence, mais aussi la protection et la préparation de nos soldats et de leurs familles. On voit bien qu'à travers cela, c'est l'affaiblissement du moral des troupes qui est visé. Le harcèlement par les engins explosifs improvisés, les attaques régulières, mais aussi le dénigrement sur les réseaux sociaux et l'éventuelle atteinte de leurs familles, peut être un très bon moyen de déstabiliser les forces en présence.

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Je ne suis pas certain, Monsieur Gassilloud, qu'il soit de notre responsabilité de nous prononcer sur l'évolution du niveau tactique. Cependant, nous savons qu'à l'été 2021, le président de la République devrait se prononcer à nouveau sur la prolongation, ou non, du surge décidé dans la foulée du Sommet de Pau. Nous pouvons ensuite parfaitement imaginer qu'en fonction de la montée en puissance des forces armées locales du G5 Sahel, notre dispositif terrestre se réduise et que nous maintenions seulement certaines capacités au profit des États sahéliens, telles que, par exemple, des capacités critiques comme la chasse, nos moyens de renseignement ou d'évacuation médicale.

Je pense aussi, qu'il nous faudra maintenir des capacités de réassurance, en cas de coup dur, ainsi que des dispositifs plus légers, plus mobiles, autour de la force Takuba. La montée en puissance des unités légères de reconnaissance et d'intervention (ULRI) maliennes est, dans ce contexte, à saluer, car il s'agit d'unités qui donnent satisfaction et qu'il faut continuer à aguerrir. Enfin, je pense aux éléments français postés au Sénégal, au Gabon, ou même les Forces françaises en Côte d'Ivoire. Quand ces évolutions interviendront-elles ? 2021 ou 2022 ? Plus tard ? Cela dépend de nous, certes, mais surtout de l'agenda et de la volonté des pays sahéliens.

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Merci, chère Josy Poueyto, de souligner le rôle de l'aviation légère de l'armée de Terre. Nous avons en commun d'avoir sur nos territoires des emprises de cette grande institution. C'est une grande fierté d'accompagner nos équipages d'hélicoptères pour qui la préparation opérationnelle est un défi au Sahel, où les conditions climatiques sont extrêmement dures, où l'élongation du théâtre d'opérations est une problématique importante, y compris sur le plan de l'engagement physique.

S'agissant de l'action de l'Agence française de développement (AFD), permettez-moi de vous donner des quelques chiffres qui figurent dans notre rapport. L'AFD au Sahel, c'est 5,3 milliards d'euros entre 2012 et 2020, dont 598 millions d'euros en 2020. Mais plus largement, je pense que les évolutions portées par le projet de loi qui vient d'être voté à l'Assemblée – notre collègue Jacques Maire, qui suit également cette réunion, reviendra sans doute sur ce sujet – aura un impact capital. Parce qu'effectivement on perçoit bien l'importance d'améliorer la gouvernance des politiques de développement, à la fois en matière de transparence de l'utilisation des fonds, mais aussi de lutte contre la corruption au niveau local, et de suivi de la mise en œuvre d'actions concrètes. De ce point de vue, il nous faudra également veiller à ce que l'aide internationale porte ses fruits, sous l'égide de l'Alliance Sahel.

Dans ce contexte, l'action parlementaire peut aussi constituer un levier d'action facilitant la prise de conscience d'enjeux partagés – et je pense notamment au G5 Sahel parlementaire, dans lequel Jacques Maire est particulièrement impliqué. De manière plus large, je suis convaincu qu'à l'avenir, il faudrait mener plus régulièrement des travaux parlementaires communs entre la commission des Affaires étrangères et la commission de la Défense, comme l'ont initié la Présidente et le nouveau président de la commission des Affaires étrangères.

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Monsieur Lachaud, sur Bounti, vous avez participé comme nous à l'échange de la semaine dernière avec le général François Lecointre, chef d'état-major des armées, organisé à l'initiative de la Présidente. Nous n'avons pas pu obtenir par nous-mêmes plus d'informations, même si nous avons échangé avec des représentants du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) et de la MINUSMA. Du reste, notre mission n'est pas une commission d'enquête, et quand bien même, le secret-défense nous aurait été opposé. Mais surtout, et je pense qu'il est important qu'on le rappelle, nous faisons confiance à la ministre, au chef d'état-major des armées, et nous ne pensons pas qu'ils mentent à la représentation nationale ou aux Français.

Concernant la question de l'acceptabilité de notre engagement, je rappelle que la France est déployée au Sahel à la demande des États sahéliens et, s'ils nous le demandent, nous quitterons évidemment leurs territoires. Je ne pense pas qu'il y ait le moindre doute en la matière. S'agissant plus précisément du sentiment anti-français, il semble moins intense qu'on l'a dit, ou lu dans la presse, du moins si l'on en croit les chercheurs que nous avons rencontrés. Nous savons toutefois que la situation n'est pas parfaite.

Enfin, parmi les axes d'action identifiés dans notre rapport, nous avons insisté sur la nécessité, d'accroître la protection des civils, qui devient et qui est la première des priorités : et cela fera aussi partie de l'acceptabilité de la mission. En revanche, nous n'avons jamais écrit ou dit que nous devrions rester au Sahel ad vitam aeternam Nous avons dit que Barkhane s'adaptait, s'adapte encore et continuera de le faire, à la faveur de la montée en puissance des forces locales et internationales ; cela ne dépend pas uniquement de notre volonté.

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Madame Santiago, je tiens d'abord à remercier, à travers vous, notre collègue Olivier Faure pour son engagement dans la mission, car nous mesurons que sa participation a été faite au prix d'arbitrages compliqués. S'il n'y avait pas foncièrement de grande question dans votre propos, le soutien nécessaire de l'ensemble de la Nation à cette mission me paraît toujours heureux à être rappelé. Sur les pistes, nous les avons évoquées et elles sont détaillées dans le rapport, en particulier s'agissant de l'approfondissement du sursaut militaire et de la mise en œuvre du sursaut civil, deux axes qui doivent avancer ensemble et poursuivent un même objectif.

Cher Jean Lassalle, nous ne sommes pas seuls au Sahel, et la lecture de notre rapport vous le montrera. Je crois qu'il est vraiment très important de le dire et de le rappeler, pour sortir des idées préconçues qui peuvent être parfois extrêmement problématiques dans la perception de la mission Barkhane. Les partenaires dont nous avons entendu des représentants, notamment de l'Allemagne, ont tenu à saluer l'action de la France, qui accepte de payer le prix du sang, et nous ont assuré de leur engagement, à nos côtés, sur les autres missions que celles de l'engagement armé. En outre, on ne peut pas dire que quand le Royaume-Uni déploie 5 % de sa flotte de Chinook au sein de Barkhane, ou quand l'Estonie déploie 10 % de ses forces spéciales, tous les six mois, dans Takuba, ce qui signifie qu'en trois ans, l'ensemble des forces spéciales estoniennes auront été engagées sur le théâtre d'opérations, il ne s'agit pas d'un choix fort.

Madame Mirallès, nul mieux que vous ne témoigne de l'engagement personnel des soldats, et je dois dire qu'à chaque fois, c'est toujours une grande émotion de vous écouter. Nous devons évidemment travailler à la protection des soldats, notamment contre les IED. J'avais évoqué, par le passé, l'importance du déploiement des Griffons, notamment dès l'automne à Barkhane, mais aussi l'extraordinaire travail qui est conduit à la fois la direction générale de l'armement et le service de la maintenance industrielle terrestre autour des véhicules blindés légers, essentiellement employés pour des actions de reconnaissance et qui sont, en raison de leur structure et de leur usage, particulièrement vulnérables aux IED. L'ensemble de l'armée se mobilise pour renforcer la protection de nos soldats.

Je pense qu'évidemment, il faut aussi accompagner les familles, surtout quand le traitement médiatique peut parfois les heurter. Mais j'ajouterai que cette préoccupation que l'on a pour les forces françaises engagées, et pour les forces européennes, nous devons aussi l'avoir pour les forces maliennes. La guerre qu'ils mènent est aussi très sanglante pour eux.

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J'adresse mes félicitations aux rapporteures pour ce travail très intéressant. Ma question porte sur différentes capacités que l'on a sur place, qui sont nécessaires. Comme vous l'avez dit, la mission Barkhane va évoluer. Bien entendu, comme vous l'avez très justement dit, elle évoluera au moment où nos partenaires africains prendront leur juste place, c'est-à-dire lorsqu'ils seront pleinement engagés sur le terrain.

Avec Manuela Kéclard-Mondésir, nous avions pu faire les mêmes constats lors de notre mission sur le continuum entre la sécurité et le développement, il y a maintenant plus de deux ans. Barkhane changera donc de visage, pour sans doute prendre la forme d'un dispositif plus mobile, ressemblant à l'action conduite par les forces spéciales – et d'ailleurs je profite de cette prise de parole pour souligner que la force Sabre, des forces spéciales françaises, réalise un travail remarquable – et si l'opération Barkhane doit se rapprocher de ce format, grâce à la présence de nos partenaires africains sur le terrain, deux capacités me semblent indispensables à ce moment-là : l'aéromobilité, qui a été souvent mise en valeur par mon collègue Jean-Jacques Ferrara, et puis les capacités de renseignement et de destruction, à travers les drones.

Actuellement, nos amis européens et américains nous aident sur ces deux capacités, mais pouvez-vous faire un focus sur ces deux capacités ?

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Merci à mes collègues d'avoir évoqué mes travaux, et bravo aux rapporteures pour la qualité de leur travail, et leur engagement, qui est à la mesure de la mission qui leur a été confiée.

J'aurais deux questions. La première concerne nos moyens capacitaires au Sahel, ou plutôt, les moyens capacitaires dont nous ne disposons pas au Sahel. Sans revenir sur le transport stratégique et tactique, qui nous conduit à affréter tantôt un Antonov russe, tantôt un Beechcraft sud-africain, avez-vous identifié des fragilités capacitaires, des manques, et surtout les moyens d'y remédier ?

La deuxième question concerne ce que l'on appelle un peu pompeusement le « retour de l'État », et vous l'avez largement évoqué. Avec vous, j'ai rencontré le gouverneur de Gao et les représentants de la MINUSMA, et je suis un peu perplexe face au dispositif des colonnes foraines qui nous a été présenté. J'ai compris que vous l'étiez également à la lecture de votre rapport, d'où ma question : comment l'État peut-il durablement réinvestir des territoires abandonnés depuis des années, voire sur lesquels il n'a jamais été présent, et ce, alors même que les populations n'y sont pas toujours favorables. Car l'État, vous le disiez, y était perçu comme une menace. Je ne reviens pas sur la corruption ou les exactions, mais nous en sommes quand même à un point où certaines populations semblent s'accommoder de la présence des djihadistes et de leur idéologie.

Je lis dans la presse que dans certaines parties du Mali, des accords sont signés entre les locaux et certains groupes armés terroristes, notamment dans le centre avec la Katiba du Macina, il y a là une bataille qui me semble relever du plan idéologique, du plan des valeurs – pas occidentales, et ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit – mais des valeurs humanistes et universelles. La liberté religieuse, la liberté d'aller à l'école, de s'habiller comme on veut… j'avoue ressentir parfois quelques inquiétudes car si l'action militaire fonctionne, l'action politique et civile me semble au point mort.

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Merci, Mesdames les rapporteures, pour cet excellent travail. Ma question sera plutôt factuelle : pouvez-vous faire un focus sur l'implication du Tchad en marge de l'opération Barkhane dans la zone des trois frontières ?

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Merci à nos collègues pour ce rapport très complet, sur cette mission si emblématique pour nos forces et qui produit ses effets dans toute la bande sahélo-saharienne, et au-delà. Merci pour vos propositions et vos points de vue nécessaires et francs. Beaucoup de vos propositions montrent un meilleur avenir possible, mais avec une levée de valeurs philosophiques et intellectuelles bien-pensantes à dix mille lieues du théâtre d'action où nos soldats se battent, et meurent.

J'ai attentivement suivi votre exposé, lorsque vous soulignez l'importance de la coopération avec les forces locales, et notamment les armées du G5 Sahel. Sur ce sujet précis, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la bancarisation des soldes. Au Mali, c'est une question qui n'est pas neuve. Pour le paiement des soldes, nous savions que des pratiques peu régulières étaient à l'œuvre, avec des doubles bulletins et des bulletins sans solde. Le Premier ministre malien a présenté un plan d'action il y a environ un mois, avez-vous pu aborder ce plan d'action à travers votre rapport. Le cas échéant, estimez-vous qu'il aille dans le bon sens ? Avez-vous des éléments de calendrier à nous communiquer ?

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Merci pour cette présentation et les conclusions de votre rapport. Je m'interroge sur l'engagement de l'Union européenne au Mali. Le projet de rapport qui nous a été transmis fait état de vos interrogations sur le mandat de la mission de formation de l'Union européenne (EUTM Mali). Cette EUTM agit au Mali depuis 2013 maintenant, et ses missions semblent devoir être élargies, ce qui d'ailleurs suscite l'inquiétude de notre état-major, qui pense qu'elle pourrait se disperser à travers toutes ces missions. Deux questions semblent émerger de votre rapport sur le rôle futur de l'EUTM Mali. Doit-elle se rapprocher des théâtres d'opérations où interviennent les forces, décentraliser ses actions et donc aller au contact ? Et là il y a un problème, car les missions de formation sont limitées à la formation, et si elles vont au contact, elles pourraient risquer d'être prises pour cible directement.

Doit-elle au contraire former les forces armées maliennes plus au sud, et donc plus loin des théâtres d'opérations ? Et dans ce cas, il y a un autre problème : les forces armées maliennes peuvent être inopérables voire dangereuses pour les populations civiles du Nord du pays. Vous recommandez finalement que les missions d'EUTM Mali se rapprochent des théâtres d'opérations. Ma question est assez simple : quelle forme et quels objectifs devraient alors prendre ce rapprochement ? Je vous remercie.

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Je voudrais féliciter les deux rapporteures, qui nous ont présenté un rapport très complet, bien construit et pertinent. Concernant l'avenir de Barkhane, vous le dites parfaitement, il y a besoin de pédagogie, et ne dire seulement que la France ne s'enlise pas ne suffit pas en termes pédagogiques.

Pour faire court, vous nous dites aussi, qu'au cœur de notre présence se trouve la population locale, et la nécessité d'un sursaut local avec des besoins de services publics, de services de base. Je pense à l'éducation, au besoin de cohésion et de justice sociale, cela paraît évident. Je comprends aussi votre regard qui vise aussi à agir sur les classes dirigeantes et la restauration d'un minimum de confiance. Cela semble nécessaire et interroge sur les moyens à mettre en place. Concrètement, quelles sont les premières pistes d'actions, les moyens qu'il faudrait mettre en place pour répondre à ces enjeux fondamentaux ?

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Chères collègues, merci pour la qualité de votre rapport et de votre mission. Ces derniers mois, l'opération Barkhane s'est vue appuyée sur le plan logistique par plusieurs partenaires historiques, notamment par les Britanniques et les Américains.

Sur le plan opérationnel, des questions demeurent quant à l'engagement des pays du partenariat européen et à l'implication des Américains au Sahel. Aussi, pouvez-vous nous résumer l'engagement actuel des forces alliées présentes autour de l'opération Barkhane ? Et s'agissant du sentiment de la population malienne, qui semblait quelque peu lassée de la présence française il y a quelques mois, qu'en est-il aujourd'hui ?

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Je voudrais d'abord assurer à la commission de la Défense toute la solidarité de mes collègues et de moi-même pour les travaux que vous faites. Vous avez un niveau d'engagement et d'analyse dans le sujet qui est extrêmement utile à l'Assemblée et au Parlement, et qui lui donne un éclairage complémentaire très fort. J'ai lu votre rapport, je l'ai trouvé remarquable avec une très grande profondeur à la fois historique, sociologique, politique et militaire. Je pense que vous avez aussi eu le mérite de traiter de sujets difficiles, et je retiens comme moment fort du rapport la question des perspectives à donner à la mise en œuvre des Accords d'Alger, et notamment celle des négociations.

Vous avez vraiment mené une analyse très forte sur cette question de la discussion avec les terroristes, la question du cadre des négociations, de l'évolution des positions de la France à un moment donné. Je vous remercie pour ce travail parlementaire qui nous fait honneur. Je voudrais simplement formuler une observation.

Je me trouvais il y a quelques jours sur le terrain, avec les acteurs de la base aérienne projetée de Niamey. Je perçois très bien la différence entre la période d'avant le Sommet de Pau et celle que nous connaissons, avec les opérations Bourrasque, Éclipse et Équinoxe. Je vois très bien la qualité de l'intégration avec les forces locales, plus forte à travers le mécanisme de commandement conjoint (MCC), à travers la cellule de fusionnement du renseignement (Intelligence Fusion Cell), mais je pense que cela met en évidence un problème assez fort. Dans beaucoup d'endroits, et notamment au Niger, l'État n'a pas disparu, et finalement, les cibles sont à la portée des forces armées nationales. La vraie question réside dans leur capacité et leur volonté à aller combattre. On voit très bien qu'un des problèmes tient au fait que les armées sont formées d'ethnies non-combattantes, si je puis dire, face à des ethnies beaucoup plus versées dans le combat, qui elles-mêmes alimentent les rangs du terrorisme.

Je voudrais simplement faire état d'une réflexion : il y a un espoir avec l'élection de l'actuel président du Niger, M. Mohamed Bazoum, qui a décidé de doubler les forces armées nationales en termes quantitatifs, et de mettre en œuvre un recrutement spécifique et rapide dans les ethnies et les régions où le recrutement des groupes armés terroristes est favorisé. Je pense notamment aux Peuls, aux Touaregs et aux Arabes. L'idée n'est pas de les mettre en situation de milices d'autodéfense, mais de les intégrer de façon très dynamique dans la Garde nationale, avec un encadrement très fort. Je vois ce qu'il se passe au Niger, cela me donne plutôt confiance. Je ne vois pas la même chose au Mali, notamment en ce qui concerne les forces armées nationales, et j'aimerais bien connaître votre avis sur le sujet.

Sur la communication, il y a toujours le mythe d'un Barkhane omnipotent, omniscient mais n'intervenant pas partout et donc finalement coupable. Je pense que ce mythe doit être cassé, et donc vous est adressé la question de la communication : je pense que nous devrions aller un petit peu plus loin sur les recommandations concernant la communication. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ? Parce que c'est un vrai défaut de Barkhane aujourd'hui.

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Mesdames les rapporteures, je tenais à vous remercier sincèrement pour votre travail, pour votre enthousiasme et votre pédagogie. Travail qui a permis de mettre en valeur les 5 100 militaires qui se sont engagés à protéger les populations du Sahel, notre pays et l'Europe dans cette opération. Un certain nombre d'entre eux ont payé de leur sang cet engagement depuis 2013, je souhaite donc leur rendre hommage ainsi qu'à tout leur entourage.

Comme vous avez pu le montrer de façon exhaustive, l'opération Barkhane se renforce dans la région du Sahel, avec à ses côtés un accroissement de l'engagement de nos partenaires internationaux dans la région, sans compter les opérations multilatérales comme la MINUSMA ou l'EUTM Mali. Ces nouvelles approches ont permis de remporter de nombreux succès tactiques. Or, nous le savons, cette crise est multifactorielle. Le sommet du G5 Sahel de N'Djamena a ainsi désigné trois priorités : la défense, le développement et la diplomatie. Cette stratégie suppose que les États sahéliens puissent regagner la confiance de leurs populations, tout en reprenant le contrôle de leurs territoires, face aux groupes armés. Ainsi dans ce contexte, pouvez-vous nous dire comment, à partir de l'opération Barkhane, la France peut-elle renforcer son aide pour que les États du Sahel puissent rebâtir une souveraineté démocratique.

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Je tiens à ajouter mes félicitations à celles, nombreuses, formulées par mes collègues avant moi. Votre rapport est non seulement d'une grande qualité, mais il est aussi capital au regard des enjeux de sécurité importants de l'opération Barkhane au Sahel, mais aussi pour l'Europe et pour la France.

Aux côtés des victimes civiles, 57 militaires français ont perdu la vie dans cette opération, notre commission ne peut que saluer leur mémoire. Près du tiers de nos soldats tués ont été victimes de mines ou d'engins explosifs improvisés (EEI). Les EEI, ou IED pour la dénomination anglaise, arme du pauvre, ou plutôt arme du lâche, déciment les populations civiles et nos militaires. La réponse à cette arme se fait à la fois par une meilleure analyse sur le terrain, mais aussi par le blindage de nos véhicules militaires. En tant que député de l'école du matériel et de la logistique de Bourges, ma question porte sur ce dernier point, au terme de vos travaux, quelle est votre opinion concernant la capacité de réaction de nos forces armées concernant ces EEI ? Quelles pistes de réflexion proposez-vous pour améliorer, à terme, le blindage de nos véhicules ?

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Je m'associe pleinement aux félicitations qui sont venues souligner la qualité de vos travaux. Le nouveau président du Niger, M. Mohamed Bazoum, a déclaré il y a quelques semaines dans une interview pour France24 et RFI, que l'opération Barkhane était un échec relatif dans son pays. De plus, lorsqu'il a été interrogé par les journalistes sur un possible retrait partiel de la force Barkhane, M. Mohamed Bazoum a assuré qu'il ne ressentirait pas cela comme un abandon de la part des Français. Selon lui, cette décision serait davantage, je le cite, « symbolique, politique qu'opérationnelle ». Je le cite encore : « l'armée française n'est pas impliquée physiquement au sol contre les djihadistes ».

Malgré ce sévère constat, que nous sommes très nombreux à ne pas partager, il a toutefois appelé la force Barkhane à conserver son aide au niveau aérien, même en cas de retrait partiel. Quelle réponse la France doit apporter au Président Bazoum, eu égard aux soldats français qui ont payé le prix du sang au combat au Sahel depuis 2013. Cette remise en question peut-elle mettre en difficulté l'opération Barkhane et nos militaires au Niger, et plus largement au Sahel ?

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Je tiens à remercier les rapporteures pour le travail qui a été réalisé. Si nous venons à prolonger notre présence sur place ces prochaines années, avec tous les sacrifices humains et financiers que cela représente, il faudra nous assurer de l'acceptabilité de notre présence sur le long terme, puisque c'est un des éléments de la réflexion. Il y a toujours, malheureusement, des risques sérieux pour les civils lorsque nous traquons les terroristes. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l'acceptation de la présence de nos soldats par les populations locales ?

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Sur le terrain, on voit que le profil des groupes armés évolue et se transforme. Ce sont maintenant des fédérations de groupes armés qui s'organisent, et surtout, leur stratégie vers une expansion est constatée. Plusieurs signaux évoquent cette stratégie d'expansion. En 2016, AQMI a revendiqué des attaques en Côte d'Ivoire, dans la cité de Grand-Bassam ; une autre attaque a fait 20 morts au poste-frontière de Kafolo le 29 mars dernier ; il y a également eu une attaque entre la Côte d'Ivoire et le Burkina Faso où 15 militaires ivoiriens ont été tués par des groupes terroristes en juin 2020. Le Sénégal, pôle de stabilité de la région est sur le qui-vive, Dakar indique multiplier les arrestations d'individus liés aux groupes terroristes sur la frontière avec le Mali. En février, le patron du renseignement extérieur français a prévenu qu'Al-Qaida au Sahel est en train de préparer un projet d'extension vers le golfe de Guinée, la Côte d'Ivoire et le Bénin.

Mesdames les rapporteures, la tendance actuelle de la force Barkhane est à la réduction du nombre d'hommes sur le terrain, tel que cela a été constaté à N'Djamena, en même temps nous avons besoin d'étendre la traque contre le terrorisme et donc le déploiement de nos forces à des endroits où cela n'était auparavant pas nécessaire. À la lumière de votre travail, pouvez-vous nous dire comment concilier réduction du nombre de soldats et la nécessaire extension des zones sur lesquelles nous sommes amenés à intervenir ?

Enfin, vous avez évoqué une meilleure gouvernance des États du Sahel, pour une meilleure efficacité dans l'action. Un coup d'État a eu lieu au Mali récemment, des militaires occupent aujourd'hui des postes clés, avez-vous observé, depuis ce changement de gouvernance, une meilleure efficacité opérationnelle sur le terrain ?

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Merci aux deux co-rapporteures pour votre travail de grande qualité, très exhaustif, et qui nous permet de mieux comprendre le fonctionnement de nos forces au Sahel et l'engagement de nos militaires que je salue lors de cette audition. Je souhaite aborder un volet plus sociétal : dans le regard d'un peuple, toute force étrangère présente sur son sol peut être perçue comme une force d'occupation. Je voudrais savoir comment les forces françaises sont perçues, et pour maintenir notre amitié franco-sahélienne pour qu'elle perdure, comment devons-nous nous positionner dans cette zone ? Finalement, comment est vue l'arrivée de cette coalition européenne pour les accompagner dans le rétablissement de leur autorité ?

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Concernant la question de notre collègue Jean-Michel Jacques sur l'aéromobilité, nous avons pu compter sur les trois hélicoptères Chinook britanniques qui restent à nos côtés, ainsi que sur les deux Merlin danois. Effectivement, en ce qui concerne ces hélicoptères lourds, c'est une capacité qui est fragile, il nous faut donc poursuivre nos efforts pour trouver plus de partenaires au Sahel. Cependant, jusqu'à maintenant, nous avons toujours réussi à faire ce que nous devions faire. Il y a un réel point d'attention concernant ces hélicoptères lourds.

Concernant les drones, un système de trois drones a été déployé. C'est une capacité extrêmement cruciale puisqu'elle nous sert au renseignement, mais également à environ 45 % des frappes aériennes qui ont eu lieu en 2020. Il faut accélérer la formation des équipages pour pouvoir très prochainement développer et déployer des équipages sur les drones MQ-9 Reaper block 5, qui sont basés à Cognac.

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Sur les limites capacitaires, comme l'évoquait Mme Nathalie Serre, il y a très certainement le transport lourd. Je voudrais juste profiter de cette question pour rappeler à quel point nous avons pu constater sur le théâtre, et nous y étions ensemble avec d'excellents souvenirs, que les règles d'engagement de chaque pays étaient un souci quotidien pour les états-majors. Je me souviens par exemple de l'incapacité des Merlin danois à se poser de nuit sur des terrains sableux, qui obligeait à calculer sans-arrêt les départs et retours de mission pour respecter cette règle d'engagement donnée par les parlementaires aux militaires danois, règle donc parfaitement respectée par la France. C'est quand même assez extraordinaire de constater que non seulement nous imposons nos propres règles à nos militaires, mais qu'à travers la coopération, ils prennent à leur charge les règles pour les autres. Évidemment que le départ des Merlin danois est un sujet aujourd'hui, il nous reste sur le segment du transport lourd les Chinooks anglais, avec, pour l'instant, un maintien de la capacité. Tous les pays européens sont dotés de capacités de transport lourd, on espère que la promotion du besoin donnera une réponse des autres pays qui la possède.

Sur la question des drones, il faut accroître nos moyens capacitaires, avec des objectifs importants, à la fois en termes de certification de nouveaux matériels, mais aussi en matière de formation des équipages, parce que nous sommes au début de l'utilisation des drones, nous avons assez peu d'équipages formés et c'est un grand défi pour la base aérienne de Cognac, que malheureusement nous n'avons pas pu visiter, mais dont on connaît la nature des défis. Au rang des enjeux : la lutte anti-drone (LAD), qui demeure capitale pour protéger les sites, puisqu'actuellement nous avons des pôles très sécurisés pour la protection de nos soldats contre les attaques extérieures.

Sur la question de M. Ferrara concernant le retour de l'État, il faut faire attention à comment et pourquoi remet-on l'État dans les territoires. La question des colonnes foraines qui avait été abordée devant nous, nous l'avons beaucoup creusée, notamment avec les chercheurs, de toute « obédience intellectuelle ». Ces derniers doutent de la durabilité dans le temps. Par exemple, ils ont peur que le préfet qui était revenu s'installer reparte au bout de quelques mois parce que le développement local n'est pas suffisant pour lui et sa famille par rapport aux grandes villes, et donc que la conquête des zones rurales soit un problème, et qu'on s'en tienne à une forme d'État bunker concentré dans des zones plus sécurisées et plus urbaines. Évidemment que l'accès à des services de base est très important : nous avons parlé de la santé, de la justice ou encore de l'éducation. Il a parfois été compliqué d'entendre lors des auditions, et je le dis en nos deux noms, que la charia pouvait représenter une vraie alternative en matière de justice pour les populations locales. S'il est compliqué pour des Occidentaux comme nous d'entendre cela, je pense qu'il faut accepter l'idée qu'aujourd'hui, c'est une forme de réalité et notamment dans les zones d'implantation du RVIM. Nous pouvons y observer une stratégie moins violente, davantage dans la négociation, avec une volonté affichée d'être une alternative à l'État. Lors de son audition, la docteure Niagalé Bagayoko nous a aussi rappelé certaines choses éclairantes sur les décisions de justice ; lorsque vous êtes dans un système de castes, et que vous donnez raison à quelqu'un d'une caste inférieure, cela n'a pas de sens, y compris quand vous êtes Malien. Comment des gens peuvent faire leur, une justice qui est rendue dans une langue qui n'est pas la leur, avec des valeurs qui, sans être occidentales, peuvent être plaquées sur des échelles de valeurs qui ne sont pas celles de toutes les ethnies présentes ?

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Monsieur de la Verpillière, le Tchad a déployé 1 200 militaires au sein de la force conjointe, qui constituent son 8e bataillon. Les militaires tchadiens sont réputés aguerris, et apporteront de la mobilité à la force conjointe, alors qu'il a pu être considéré que les unités maliennes ou burkinabè en manquaient. En revanche, il faut nous montrer vigilants car les forces tchadiennes sont aussi réputées brutales, comme l'a du reste montré les viols commis par certains de leurs éléments au Niger. Viols que le gouvernement tchadien a rapidement reconnus.

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S'agissant de la bancarisation des soldes, sur laquelle M. Blanchet nous a interrogées, je dois dire qu'il s'agit d'un sujet qui nous a un peu surpris. Nous pensions dur comme fer que la bancarisation des soldes était bien avancée au Mali, mais en fait, seuls les officiers sont pour l'heure concernés. Pour rappel, la bancarisation des soldes implique que chaque soldat créé un compte bancaire, et que les soldes soient versées par virement, et non plus en espèces, transportées dans des valises, afin d'assurer un paiement égalitaire entre les hommes. Alors, ce choix a-t-il été fait car il est plus facile de commencer par un contingent plus étroit ? Est-ce parce que le niveau de transparence est moins élevé plus on monte dans le niveau hiérarchique ? Nous n'avons pas la réponse. Pour les sous-officiers, les soldes pourraient être bancarisées d'ici deux ans. Et quant aux militaires du rang… Mais au-delà de cette question, il faut avoir conscience du fait que l'état-major malien éprouve des difficultés à assurer l'ensemble du soutien. Qu'il s'agisse de la gestion des stocks – d'abord éviter que des détournements aient lieu sur les pièces, le fuel, la nourriture – mais aussi de l'acheminement du soutien, avec des forces maliennes ravitaillées par les forces françaises en raison de l'incapacité de l'armée malienne à pouvoir le faire. Cela ne doit pas nous surprendre au regard de l'élongation des théâtres. D'autres questions se posent, notamment sur le niveau de stock des munitions, qui peut expliquer une moindre combativité.

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Pour répondre à M. Marilossian, nous pensons en effet qu'il est indispensable que les formations dispensées par EUTM Mali se fassent au plus près des théâtres d'opérations. Cela commence, alors qu'auparavant, les militaires maliens devaient descendre dans le sud du pays pour y être formés. Ce besoin d'être au plus près des zones de combat a été reconnu, avec la construction en cours d'un camp plus proche du Centre. EUTM Mali est fortement critiquée, mais il a été porté à notre connaissance que les sept mois d'interruption de la mission du fait de la Covid-19 se sont immédiatement fait sentir sur le terrain.

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En réponse à M. Ardouin, je rappellerai que les Britanniques apportent un soutien essentiel avec trois hélicoptères Chinook, que les Danois ont mis à disposition deux hélicoptères Merlin qui, depuis le 1er janvier 2021, ont été transférés au Levant – nous espérons les voir revenir ! – et que les Estoniens assurent des missions de protection des emprises. Au sein de Takuba, ces derniers déploient 10 % de leurs forces spéciales – ce qu'il faut souligner – et sont également engagées des unités tchèques et suédoises. Demain participeront des Italiens, des Grecs, des Belges, et d'autres nations listées dans notre rapport. Les Américains apportent un soutien essentiel en matière de ravitaillement en vol – crucial au regard de l'élongation des théâtres – ainsi que de renseignement, mais aussi de transport. Les Allemands participent à la formation des forces spéciales nigériennes dans le cadre de la mission Gazelle.

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Monsieur Lejeune, le président Bazoum évoquait non pas Barkhane, mais l'ensemble de l'action conduite par la communauté internationale. Quant aux perspectives, il a tenu un discours qui rejoint, parfois, ce que nous avons évoqué : moins d'emprise terrestre, maintien des capacités critiques. La France est présente au Niger au travers de sa base aérienne projetée, conséquente. La France et le Niger sont des alliés fidèles et je crois que cette affaire a donné lieu à des gros titres exagérant les choses.

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Je rejoins tout à fait ce qu'a dit Jacques Maire et, au Mali, les Bambaras seront majoritaires parmi les 25 000 nouveaux recrutements annoncés. Or, la diversité de l'armée est un moyen important de lutte contre les exactions et, au fond, comme nous avons pu le vivre en France, l'armée est un facteur d'intégration nationale.

S'agissant de la communication, nous avons évoqué, tout à l'heure, l'importance de la bataille « du récit ». Cela recouvre, en particulier pour les forces locales, l'instauration d'un chemin mémoriel. De prime abord, cela peut ne sembler vital. Pourtant, l'on voit bien en France combien importent les traditions, la connaissance de l'histoire des unités et l'entretien de la mémoire de ceux qui sont partis. Il en est de même de l'accompagnement et de la protection des familles de ceux qui ont versé leur sang, ne serait-ce par exemple pour que les orphelins ne gardent pas de rancœur à l'égard de l'État et ne rejouent pas, demain, les conflits que nous voyons aujourd'hui.

En outre, la mise en place du MISAD, que nous évoquions plus tôt, constitue une avancée notable, et le mécanisme a d'ailleurs été déclenché par la force conjointe à la suite des viols commis par des éléments des forces tchadiennes à Téra, au Niger, dont nous avons parlé tout à l'heure.

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Monsieur Fuchs, l'extension de la menace terroriste vers le sud, en direction du Golfe de Guinée ou du Sénégal, plus à l'ouest, est bel et bien réelle. Il s'agit d'un projet documenté de la part des groupes terroristes, qu'il s'agisse d'Al-Qaida ou de Daech. L'enjeu est donc de parvenir à y sensibiliser les autorités de ces pays, car, soyons honnêtes, nous pourrions nous trouver dans une situation comparable à celle que l'on trouve au Mali, où ce qu'il se passe au Nord peut paraître très loin lorsque l'on se trouve à Bamako. Dans les pays riverains du Golfe de Guinée, où les capitales se trouvent pour la plupart au sud, de même que les centres économiques, nous pourrions tout à fait nous trouver dans une situation comparable, avec des régions septentrionales qui peuvent parfois être quelque peu marginalisées. Dans ces conditions, il est primordial de ne pas se laisser dépasser.

Concernant les autorités de transition au Mali, le chef de l'État a déclaré qu'en quelques mois, elles avaient réalisé davantage de progrès qu'au cours des mois précédents. S'il n'est évidemment pas question de considérer qu'un coup d'État puisse constituer un mode légitime de transmission du pouvoir, nous sommes aussi contraints de dialoguer avec les interlocuteurs qui se trouvent face à nous. Et force est de constater que le Gouvernement de transition semble faire preuve de davantage de pragmatisme. Même s'il nous faut rester vigilant quant au respect du calendrier électoral : comme nous l'indiquons dans le rapport, il y a aujourd'hui des retards.

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Merci à François Cormier-Bouligeon d'avoir souligné l'importance du Centre de la France au profit de nos forces, région névralgique du soutien. J'ai eu la chance de pouvoir m'y rendre et mon déplacement a nourri une partie de mon dernier avis budgétaire. Le niveau de protection des véhicules blindés légers pose effectivement questions, puisque nombre de nos blessés ou de nos morts ont été frappés alors qu'ils se trouvaient dans ce type de véhicules, notamment en décembre et en janvier. Depuis près de deux ans, des actions ont été entreprises par les différents acteurs intervenant dans le domaine du soutien et de la régénération des forces, notamment la direction générale de l'armement, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) et les régiments du matériel. Soucieux de déployer des matériels efficaces et performants, chacun a pour projet de travailler à améliorer la protection de leurs « frères d'armes ». J'emploie l'expression à dessein car c'est ainsi qu'ils le vivent, et qu'ils conçoivent leur mission. Le VBL n'a aujourd'hui pas de remplaçant immédiatement disponible. La projection des véhicules Griffon, à l'automne, permettra sans aucun doute d'améliorer la protection de l'avant-blindé, mais pas du segment occupé par les VBL, qui remplissent une mission fugace, et dont la maniabilité est aussi une force pour nos soldats. Deux modifications principales ont été envisagées : la pose d'un blindage extérieur et un tapis de protection anti-explosion, dit anti-blast, qui permettra de mieux protéger les corps des soldats. L'engagement de travaux en ce sens a été annoncé en novembre et, à la suite des pertes que nous avons connues en début d'année, les régiments du matériel ont mis en place un plan de charge dédié, conduisant à mettre entre parenthèses certaines missions et à passer à un régime de trois-huit afin de pouvoir projeter des véhicules plus sécurisés. Les premiers VBL surblindés et mieux protégés arriveront au Sahel dans le courant du printemps. Et bien qu'il demeure impossible de prévoir un système de protection contre une charge très lourde, il s'agit d'un signe fort adressé à nos militaires et à l'ensemble de la communauté militaire, en même temps qu'un témoignage du dynamisme de Barkhane, qui n'est pas une opération figée et s'adapter à l'évolution des circonstances.

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Je répondrai en même temps à Philippe Meyer et Laurence Trastour-Isnard, qui ont tous deux évoqué la question de l'acceptabilité de notre engagement et de l'accroissement d'un sentiment anti-français. Comme nous l'avons dit dans nos propos liminaires, un tel accroissement n'est pas confirmé par la plupart des chercheurs que nous avons entendus, même s'il faut s'attendre à ce que l'ancrage dans le temps de cette opération puisse lui porter préjudice. Surtout, cela témoigne de l'importance du récit fait de l'opération, et de parvenir à ce que le positionnement de Barkhane soit justement perçu. Car Barkhane n'est que le premier pilier de la stratégie de stabilisation mise en œuvre au Sahel. Elle est en le socle – car sans Barkhane, l'ensemble de l'édifice s'effondre – elle obtient des résultats. Ce qui n'est pas le cas des autres piliers qui sont défaillants, au moins en partie, et c'est pour cette raison que le Sommet de N'Djamena a appelé à la mise en œuvre d'un sursaut civil, en faveur du développement et des populations. Le sentiment anti-français existe, mais nous semble surmédiatisé. Il faut donc nous montrer vigilant mais je tiens à rappeler que la MINUSMa ou d'autres forces alliées présentes au Sahel sont confrontées aux mêmes défis.

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Mme Ballet-Blu nous a interrogées sur le soutien que la France pouvait apporter au sursaut démocratique. Lors de son audition, l'ambassade de France au Mali nous a indiqué que la France accompagnait le processus de retour à la vie démocratique « normale », afin de refermer la parenthèse de la junte militaire du gouvernement de transition. En particulier, dans la perspective de l'organisation d'élections les plus équilibrées possible, la France contribue à la formation d'observateurs locaux afin de garantir que l'ensemble des Maliens soient convaincus de la sincérité des résultats qui seront proclamés à l'issue des prochaines élections. Notre ambassadeur me semble pleinement assurer son rôle de promotion des actions de la France au profit de la démocratie au Mali, au travers de conférence de presse et de la mise en valeur de personnes et d'organisations qui se battent, au Mali, pour la démocratie, les droits de l'homme et la liberté d'expression.

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L'approfondissement du sursaut militaire et la mise en œuvre du sursaut civil constituent, Monsieur Menuel, les axes d'action qui sont particulièrement détaillés dans notre rapport s'agissant des perspectives de sortie de crise. J'aimerais profiter de cette question pour évoquer un point qui me semble particulièrement important : la clarification du mandat de la MINUSMa. Des discussions vont bientôt s'engager, à New York, au sujet du renouvellement de son mandat. La décision est attendue en juin prochain. Dans cette perspective, nous sommes convaincues que la diplomatie française devrait œuvrer pour que la seconde priorité du mandat de la MINUSMa – la stabilisation du Centre – soit réellement mise en œuvre, ce qui supposerait de passer d'une logique de maintien de la paix à une mission d'imposition de la paix. Il semble y avoir des dissensions au sein de la MINUSMa et nous avons tout notre rôle à jouer.

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Merci d'accepter de me donner la parole pour une ultime question. S'agissant de la participation des forces étrangères à nos côtés, pourriez-vous m'en dire plus sur la non-participation de l'Allemagne à nos côtés, sur le plan opérationnel – j'ai bien noté que l'Allemagne était engagée sur d'autres volets, y compris la formation – en particulier dans Takuba, et ce alors que la France et l'Allemagne sont engagées dans un rapprochement dans le domaine de l'industrie de défense. En outre, j'ai eu quelques retours de nombreux amis – officiers, sous-officiers – militaires du rang –, qui partent régulièrement sur ce théâtre, et qui semblent s'interroger sur le sens de leur mission et ce qui sera accompli à l'issue de leur passage au Sahel.

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Avant de laisser la parole aux rapporteures, j'avoue m'étonner que des militaires puissent se poser ce type de question. Je veux bien croire que l'on puisse avoir des doutes légitimes lorsque l'on ne connaît pas cette mission mais s'agissant des militaires, je ne crois pas que cela puisse être le cas.

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Nous avons reçu, dans le cadre de nos travaux, des représentants de l'ambassade d'Allemagne à Paris, et avons évidemment débattu de ces questions. L'Allemagne participe à la formation de forces spéciales nigériennes dans le cadre de la mission Gazelle, que les Allemands souhaiteraient d'ailleurs voir intégrée au sein d'EUTM Mali. Leur position est toutefois claire : d'après eux, aller au combat serait en revanche impossible en raison des dispositions de la loi fondamentale allemande, et ce pour des raisons historiques.

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Si je comprends bien votre question, chers collègues, vos interlocuteurs ne doutent pas de la pertinence de leur mission lorsqu'ils sont déployés – ne serait-ce que parce que la préparation qu'ils ont reçue avant leur départ, tant physique que stratégique, les a formés – mais ils s'interrogent davantage sur les perspectives d'avenir. Cela me semble assez logique car il est, en effet, fort difficile de prévoir l'avenir. C'est d'ailleurs ce que s'attache à démontrer notre rapport : Barkhane évolue dans un contexte multidimensionnel, qui nous empêche de dire quel sera le format de Barkhane demain. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons conduit de très larges auditions, et nous pensons en effet que sur cette question, il faut approfondir les relations entre les chercheurs, qui connaissent bien le terrain et ont une autre analyse des dynamiques à l'œuvre et des populations, et les états-majors. Il faut dépasser le choix, parfois personnel, de travailler avec tel ou tel mais ouvrir très largement le champ des possibles.

Pour conclure, si je devais dire une seule chose à nos soldats, je reprendrai le récit d'un capitaine que l'état-major a diffusé sur les réseaux sociaux (LinkedIn) – et il a raison d'ainsi communiquer – qui déclare « j'ai vu la population à certains endroits se réfugier dans les camps des FAMa…c'est un très bon signal. C'est avec la confiance des populations que l'on gagnera cette guerre. »

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Un grand merci, chers collègues, pour la hauteur de vue et la hauteur de pensée dont vous avez fait montre tout au long de vos travaux. Je suis très fière d'avoir pu vous accompagner ans certains d'entre eux. Barkhane n'est effectivement que le premier pilier d'une stratégie plus large. Pour poursuivre votre propos, Madame la co-rapporteure, j'aimerais évoquer l'adjudant Thomas Dupuy, tombé me 29 octobre 2014 au Mali, dans le massif du Tigharghar : il fut le premier militaire « mort pour la France » de l'opération Barkhane. Dans un remarquable article paru dans la revue de l'armée de terre Inflexions, sa mère, Mme Marie-Christine Jaillet, directrice de recherche au CNRS, confiait : « Cette manière, la sienne, d'avoir mis en jeu sa vie pour lutter pour des valeurs que nous avons partagées, de paix, de liberté, de justice sociale, d'égalité entre les hommes et les femmes, me rend infiniment humble sur ma manière à moi de les porter, tellement plus confortable, plus légère. » Je crois que vous avez contribué à porter ce poids de la responsabilité et de l'engagement de nos militaires, de tous les militaires, qu'ils soient Européens ou membres des forces sahéliennes. Nous montrer mesurés dans nos jugements, telle est la première marque de respect que nous leur devons.

La voie tracée par la France, le G5 Sahel et la communauté internationale est la bonne. Barkhane est un socle militaire qui permet le développement des autres piliers qui conduiront à une sortie de crise, du moins si chacun reste mobilisé à la hauteur de ses engagements. Barkhane est en perpétuelle adaptation pour répondre aux enjeux sécuritaire, et peut dorénavant bénéficier des progrès de la démarche de sahélisation et d'européisation, comme vous l'avez démontré. Si le niveau de la menace n'est pas encore à la portée des seuls armées locales, un seuil a été franchi. La crise sahélienne est d'une telle ampleur que sa résolution ne se fera pas à court terme, comme vous l'avez dit. Nous sommes engagés dans une action de bien plus long terme, au service des États locaux et de leurs populations, mais aussi de l'Europe, non seulement dans son flanc sud, mais aussi dans son ensemble. Cette perspective doit être bien expliquée à nos concitoyens pour que leur adhésion garantisse l'engagement durable de l'Europe, condition essentielle à une amélioration significative de la situation. Ne nous trompons pas. Une partie de notre avenir se joue dans le sable du Sahel. Et il nous faut à chaque fois porter le regard le plus sérieux, le plus grave sur ces questions. Vous l'avez d'ailleurs démontré par les réponses précises que vous avez apportées aux nombreuses questions, légitimes, de nos collègues.

La commission de la Défense nationale et des forces armées autorise à l'unanimité le dépôt du rapport d'information sur l'opération Barkhane en vue de sa publication.

La séance est levée à douze-heures cinq.