La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
Cet après-midi, l'Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s'arrêtant à l'amendement no 272 à l'article 1er bis.
Rappels au règlement
Ce rappel au règlement se fonde sur l'article 100 relatif à la sincérité des débats. Cet après-midi, nous avons discuté d'un amendement relatif aux tickets restaurant. J'ai appris pendant la pause que le Premier ministre, qui suit apparemment nos débats, avait repris la proposition visant à doubler le plafond d'utilisation des tickets restaurant et à autoriser leur utilisation le week-end. Je demande que l'on revienne sur ce sujet et que le Gouvernement dépose un amendement afin de l'inscrire dans le texte et de proroger les dates de validité des tickets restaurant dans l'intérêt du secteur de l'hôtellerie.
La parole est à M. Pierre Dharréville, pour un autre rappel au règlement.
Il se fonde également sur l'article 100. Je me réjouis que le Premier ministre suive nos débats, mais la mesure qu'il a annoncée n'a pas été adoptée dans le projet de loi que nous discutons, preuve que la manière dont nous légiférons n'est pas la bonne. Il serait bon que nous puissions débattre et prendre les décisions dans d'autres conditions.
Mme Caroline Fiat applaudit.
L'amendement de suppression no 272 a été longuement discuté avant la levée de la séance de cet après-midi, avec un amendement identique qui a été retiré par son auteur.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement ont émis un défavorable sur cet amendement.
L'amendement no 272 n'est pas adopté.
Il s'agit d'une réécriture d'un amendement adopté par la commission, relatif aux étudiants étrangers, dont nous avons déjà parlé tout à l'heure. En l'état actuel du droit, ils sont autorisés à exercer une activité professionnelle salariée dans la limite de 60 % de la durée de travail annuelle. L'amendement adopté en commission porte cette durée à 80 % durant la période d'état d'urgence sanitaire et les six mois suivant son échéance.
La nouvelle rédaction que nous proposons vise à inscrire cette disposition non dans le dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile – CESEDA – , mais directement dans le projet de loi.
Comme l'a indiqué M. Barrot, nous avons longuement débattu de ce sujet tout à l'heure. Offrir aux étudiants étrangers la possibilité de travailler davantage en cette période de crise sanitaire apparaît comme une mesure de bon sens. Ils sont nombreux à financer eux-mêmes leurs études en exerçant une activité, dans la limite de 60 % d'un temps plein. La fermeture actuelle des universités et des établissements d'enseignement supérieur les rend, de fait, plus disponibles. Nous proposons donc de les autoriser à travailler jusqu'à 80 % de la durée de travail annuelle, ce qui permettra en outre de répondre aux besoins de main-d'oeuvre de nombreux secteurs, tels que l'agriculture, qui recrutent des travailleurs saisonniers. J'ajoute que cet amendement répond aux préoccupations évoquées par le rapporteur à la fin de la dernière séance.
La parole est à M. Bruno Millienne, pour soutenir le sous-amendement no 587 .
La dérogation accordée aux étudiants est liée au contexte actuel de fermeture des universités jusqu'à la fin de l'année universitaire en cours. Dans l'incertitude de la situation actuelle, il convient donc de limiter sa durée jusqu'à la date effective de reprise des cours.
La parole est à M. le ministre de l'intérieur, pour soutenir le sous-amendement no 580 du Gouvernement.
Vous le savez, le Gouvernement a émis un avis favorable sur la disposition proposée par la commission, mais nous estimons nécessaire de limiter la dérogation accordée aux étudiants. Elle doit valoir non pas jusqu'à la fin de l'année universitaire, celle-ci variant selon les établissements, mais jusqu'à une date précise, que nous proposons de fixer au 31 août 2020 – ce qui permet d'aller au-delà de la fin de l'état d'urgence sanitaire et de couvrir l'été. Les étudiants devront ensuite se consacrer à leurs études et préparer la rentrée.
La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir le sous-amendement no 585 .
Il est des circonstances que nous ne maîtrisons pas ; nous devons en tenir compte. Nous proposons donc, dans ce sous-amendement à l'amendement no 53 de notre collègue Jean-Noël Barrot, d'étendre de six à douze mois la possibilité pour les étudiants étrangers d'exercer une activité professionnelle salariée dans la limite de 80 % de la durée de travail annuelle.
Nous ne savons malheureusement pas quand l'état d'urgence sanitaire prendra fin. Nous espérons tous que ce sera le 10 juillet, mais il n'existe aucune certitude sur ce point. Il est donc nécessaire, par mesure de précaution, de prévoir une durée de douze mois. Je rappelle que la mesure dont nous parlons consiste simplement à autoriser les étudiants qui le souhaitent à travailler 80 % de la durée de travail annuelle au lieu de 60 %. C'est dire qu'elle ne nous fait pas courir un risque énorme. Étendre son application à une année complète permettrait également, comme plusieurs de nos collègues l'ont souligné cet après-midi, de répondre à des besoins saisonniers qui ne seraient pas couverts en l'état actuel de l'amendement.
La parole est à M. Guillaume Kasbarian, rapporteur de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de Covid-19, pour donner l'avis de celle-ci sur l'ensemble des amendements et sous-amendements.
Il est identique à celui du rapporteur.
Monsieur Lambert, si nous adoptions un délai de douze mois à compter du début de l'état d'urgence sanitaire, nous risquerions d'être confrontés à une réelle difficulté : nous verrions apparaître un nombre important d'étudiants étrangers sans titre de séjour.
L'argument du groupe Socialistes et apparentés dont nous avons discuté tout à l'heure, selon lequel les étudiants étrangers ne peuvent pas travailler 80 % de la durée de travail annuelle puisqu'ils doivent se consacrer à leurs études, est par ailleurs recevable. Tout à l'heure, j'ai émis un avis défavorable à son amendement, car la dérogation accordée aux étudiants est liée au contexte actuel de fermeture des universités jusqu'à la fin de l'année universitaire en cours. Je serais défavorable à cette dérogation si elle devait s'appliquer pendant une année universitaire normale.
Votre sous-amendement, monsieur Lambert, aurait pour conséquence qu'un étudiant perdant son titre de séjour aurait la possibilité de rester douze mois dans notre pays sans titre de séjour.
Monsieur le ministre, pourquoi ne pas étendre la dérogation accordée aux étudiants jusqu'au 30 septembre au lieu du 31 août ? De nombreuses universités reprennent les cours début octobre ou fin septembre. Prolonger d'un mois cette dérogation permettrait de répondre aux besoins du secteur agricole, en particulier à ceux des viticulteurs pendant les vendanges.
Repousser le délai d'un mois n'est pas excessif, d'autant que les titres de séjour sont souvent encore valides.
Pourquoi ne pas aller plus loin encore ? Une possibilité est offerte aux étudiants étrangers. Nous sommes loin du sempiternel débat de la droite…
C'est vous !
… sur les phénomènes d'appel d'air. M. le ministre nous a expliqué que la prolongation de la dérogation pourrait soulever des problèmes d'ordre technique et administratif. Mais si un étranger n'est plus étudiant, il n'a plus la possibilité de travailler 80 % de la durée de travail annuelle ; il est donc soumis à d'autres modalités d'accueil.
Je ne comprends pas pourquoi on limite la mesure au 31 août 2020, alors que les cultivateurs de betterave, de tomates et de pommes de terre dont me parle mon ami François-Michel Lambert, ainsi d'ailleurs que les viticulteurs, ont besoin de main-d'oeuvre. Un étudiant ne devrait pas avoir à travailler pour subvenir à ses besoins, je vous l'accorde, mais nous savons tous que c'est souvent nécessaire. J'ai moi-même travaillé comme travailleur saisonnier, et je suis certain que je ne suis pas le seul ici. Vous savez comment cela se passe : les contrats de saisonnier permettent aux étudiants de compléter leur revenu de subsistance.
Il est difficile de comprendre qu'on limite la disposition pour une simple raison administrative.
Non : la loi doit être précise.
Je souscris d'autant plus aux propos de notre collègue Ludovic Mendes qu'il a repris la proposition de mon sous-amendement no 587 !
Franchement, monsieur le ministre, entre le 31 août et la reprise des cours fin septembre ou début octobre, il y a un écart facile à combler.
À titre personnel, puisque la question n'a pas été discutée en commission, les arguments qui viennent d'être présentés me semblent pertinents. Je suis donc favorable au sous-amendement no 587 du MODEM, qui propose de repousser le terme de la dérogation accordée aux étudiants du 31 août au 30 septembre 2020. Je ne préjuge évidemment pas de l'avis du Gouvernement.
M. M'jid El Guerrab applaudit.
Je remercie M. le ministre pour sa réponse. Cependant, le texte de l'amendement de notre collègue Barrot désigne clairement le titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » Que cette période dérogatoire dure six ou douze mois, qu'elle prenne fin le 31 août ou le 30 septembre, dans tous les cas, ceux qui ne sont pas étudiants ne sont pas concernés.
Comme je souhaite que nous débattions de la durée de cette période, je reviens sur mon sous-amendement, qui prend en considération une réalité saisonnière. Il ne faut pas avoir peur d'opter aujourd'hui pour une période de douze mois plutôt que de choisir comme critère la date de la rentrée universitaire, qui n'est pas la même pour tous les étudiants.
Je veux profiter de ce débat pour appeler votre attention sur la situation de tous les jeunes qui espéraient décrocher un emploi saisonnier cet été et qui n'en auront pas la possibilité, alors qu'ils ont réellement besoin de ce complément de revenu pour pouvoir supporter le coût de leur scolarité et aider leurs parents. Élu d'un territoire touristique, je connais très bien ces situations.
Par ailleurs, on a besoin dans certains territoires de saisonniers qu'on ne peut pas faire venir de l'étranger. J'ai donc déposé un amendement, dont nous discuterons ultérieurement, qui propose une solution permettant de mettre en contact, au niveau national, les jeunes sans emploi saisonnier et les entreprises qui ont besoin d'eux.
Soyons conscients des difficultés que la situation actuelle posera à tous ces jeunes. Je voulais évoquer ce soir ce problème, dont on ne parle jamais, afin de sensibiliser mes collègues pour que nous trouvions ensemble une solution.
Merci pour ce débat fort éclairant. En écho à ce que nous disions avec nos collègues du groupe Socialistes avant l'interruption des débats, n'oublions pas que les jeunes étrangers dont il est question viennent dans notre pays pour étudier. La proposition de M. Lambert consistant à prolonger de six mois la possibilité de travailler à 80 % peut s'avérer préjudiciable pour les études. Même si la date du 31 août me conviendrait aussi, je suis plutôt favorable à celle du 30 septembre qui, comme l'ont dit mes collègues, correspond à la fin de l'été et à la rentrée universitaire. Cela me semble une solution équilibrée, de nature à recueillir un consensus parmi nous.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Le sous-amendement no 585 n'est pas adopté.
Je suis saisie de deux amendements de suppression, nos 242 et 287.
La parole est à M. Jérôme Lambert, pour soutenir l'amendement no 242 .
L'amendement no 242 est retiré.
La parole est à M. Loïc Prud'homme, pour soutenir l'amendement no 287 .
Comme nous l'avons déjà fait lors de la discussion sur les étudiants, mais en nous situant cette fois-ci sur un plan plus général, nous souhaitons rappeler, à travers cet amendement, que pour ce gouvernement, les étrangers constituent une main d'oeuvre exploitable en période de crise sanitaire, mais à qui on ne porte aucune considération lorsque les temps sont plus calmes.
Le Gouvernement entend, par ordonnance, pouvoir allonger la durée de séjour annuelle autorisée des travailleurs saisonniers, dans la limite de neuf mois au total. Lorsqu'il s'agit d'exploiter des gens, à bas coût, pour des salaires de misère, la majorité est toujours au rendez-vous !
Pour notre part, nous avons demandé la régularisation de l'ensemble des travailleurs sans papiers présents sur le territoire français, afin qu'ils aient des droits et puissent contribuer, par leur travail, à l'économie française. Nombreux sont ceux qui oeuvrent chaque jour dans des secteurs qui font tourner le pays : l'agriculture, l'agroalimentaire, la logistique, la propreté ou encore le gardiennage. Ils sont souvent des variables d'ajustement des employeurs. Il est donc temps de prendre exemple sur le Portugal, pays presque voisin, pour que l'ensemble de ces travailleurs sans reconnaissance ni protection trouvent une place dans notre société, de façon durable, en obtenant l'égalité des droits avec les autres travailleurs, et pour que tous les travailleurs étrangers, qu'ils soient sans papiers ou saisonniers, puissent bénéficier de titres de séjour de longue durée.
Je ne comprends pas votre position. La disposition que vous contestez vise à permettre aux travailleurs saisonniers étrangers de rester trois mois supplémentaires, au-delà des six mois maximum prévus dans le cadre d'une carte de séjour de travailleur saisonnier. Sans cette disposition, que nous avons désormais clairement inscrite dans la loi, les travailleurs saisonniers étrangers, parfois à l'arrêt total durant le confinement, repartiraient sans pouvoir travailler. Nous souhaitons sécuriser leur situation et les accompagner au-delà du 11 mai. Visiblement, vous ne le souhaitez pas. Avis défavorable.
Même avis. Je comprends parfaitement le point de vue de M. Prud'homme. Je l'invite néanmoins à faire attention lorsqu'il se livre à une forme de benchmarking en prenant pour référence le Portugal qui, selon lui, aurait adopté des mesures plus favorables aux migrants que celles en vigueur dans notre pays. Au-delà de l'emballement médiatique auquel a donné lieu une dépêche qui contenait d'autres informations, la réalité est que si nous n'avons pas eu besoin d'adopter les mesures prises à titre provisoire par le Portugal, c'est parce qu'elles étaient en vigueur chez nous avant même que ce pays se prononce à ce sujet.
Si je vous ai bien compris, vous souhaitez que la période de présence de ces étrangers en France soit plus longue. Or si votre amendement était voté, il aurait pour conséquence de nous ramener au droit commun, soit six mois, durée maximale pendant laquelle le travail saisonnier est autorisé sur une période de trois ans au plus. Nous avons souhaité prendre en considération le fait que des étrangers étaient présents en France au titre du travail saisonnier et dans l'incapacité de rentrer dans leur pays – ce que nous avions anticipé. Nous avons donc prorogé leur titre de séjour afin qu'ils puissent rester légalement dans notre pays. La proposition qui est faite dans cet article, et qui est plutôt favorable aux saisonniers étrangers, est de déroger à la règle en faisant passer la durée maximale autorisée de six à neuf mois. La conséquence de votre amendement ne correspond donc pas à l'esprit de votre intervention ni, je suppose, à votre philosophie.
Monsieur le rapporteur, vous ne sécurisez pas les travailleurs : vous continuez à faire de ces travailleurs détachés des travailleurs low cost, sans droit, payés au lance-pierres. Je veux bien admettre que pour eux, eu égard à la misère qu'ils subissent dans leur pays, cette prolongation représente une petite bulle d'amélioration.
Néanmoins, comme nous l'avons observé pendant le confinement, notamment à propos du secteur agricole, qui s'est retrouvé confronté à une pénurie de main d'oeuvre, notre pays compte des dizaines de milliers de travailleurs étrangers, actuellement sans droits, sans papiers sur le plan administratif.
Comme nous l'exposons dans notre amendement, il serait plus efficace, sur le long terme, de leur accorder un titre de séjour – et même de longue durée, monsieur le ministre de l'intérieur. Ils pourraient ainsi durablement proposer leur force de travail, notamment dans le secteur de l'agriculture qui, cela a déjà été dit, connaît de fortes pénuries de main d'oeuvre. À l'heure où l'on a besoin de relocaliser notre production agricole et de sécuriser notre autonomie alimentaire, notre pays disposerait ainsi d'une main d'oeuvre formée, composée de travailleurs qui ont des droits, sont présents sur notre territoire de façon pérenne, tout au long de l'année, et participent à l'activité économique du pays.
Je ne participerai ni au concours de benchmarking visant à identifier le pays qui accueille le mieux les migrants en Europe, ni à un débat de cellule du parti socialiste.
On parle de « section » au parti socialiste, pas de « cellule » !
Il faut voir le côté positif de ce mot : les cellules se divisent pour se multiplier !
Sourires.
Sur cette question, un principe de réalité doit s'appliquer. Il est en effet préférable que ces personnes étrangères soient en règle avec l'administration et puissent prendre part au travail saisonnier. On sait que cela consiste pour elles, dans la plupart des cas, à travailler dans les champs, là où on n'arrive pas à embaucher une main d'oeuvre française.
En vertu de ce principe de réalité, le groupe Les Républicains ne votera pas l'amendement de notre collègue Prud'homme et est plutôt favorable à l'extension de six à neuf mois, pour la durée de l'état d'urgence sanitaire.
MM. Ludovic Mendes et M'jid El Guerrab applaudissent.
C'est l'ère des compromis !
L'amendement no 287 n'est pas adopté.
Je tiens tout d'abord, à propos de cet amendement comme du précédent, à remercier le Gouvernement d'avoir travaillé avec nous afin que cette disposition puisse figurer dans le texte noir sur blanc plutôt que de solliciter une habilitation de notre part.
Cet amendement vise à corriger l'alinéa rédigé par la commission pour l'inscrire dans la loi plutôt que dans le CESEDA.
Il vise lui aussi à autoriser les travailleurs étrangers à travailler neuf mois plutôt que six comme travailleur saisonnier.
Pour compléter les propos de mon collègue Jean-Noël Barrot, et sans revenir sur les arguments déjà évoqués, je tiens à souligner que nombre de ces étrangers sont restés en France contraints et forcés, faute de pouvoir rentrer dans leur pays. Il serait donc bon de leur permettre de travailler, à la fois dans leur intérêt – c'est d'ailleurs souvent leur souhait – et dans celui de notre pays, puisque nous avons besoin de main d'oeuvre saisonnière. S'agissant du respect du droit du travail, je tiens à rappeler que le droit commun s'applique à ces salariés, qui bénéficient des mêmes protections que tous ceux qui travaillent dans notre pays.
Ce sous-amendement vise à étendre la durée maximale d'emploi à douze mois plutôt qu'à neuf. On pourrait croire qu'il s'agit d'un amendement miroir de celui dont nous avons débattu tout à l'heure, mais il s'inscrit dans une réflexion spécifique, puisqu'il ne concerne pas les étudiants mais la filière agricole, et notamment le ramassage saisonnier, qui est une réalité économique.
Si nous limitons la durée maximale d'un emploi de travail saisonnier à six mois alors que nous ne savons pas comment notre économie va redémarrer et que nous ne sommes pas certains de disposer de la main d'oeuvre nécessaire pour ramasser dans nos champs, si vous me permettez l'expression, nous serons peut-être dans l'obligation de procéder à une nouvelle prolongation de six mois dans quelque temps. Agissons plutôt en fonction des réalités que nous connaissons et des incertitudes que nous pressentons, et fixons cette durée à douze mois.
M. M'jid El Guerrab applaudit.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements et sur le sous-amendement ?
Les amendements traduisent l'engagement pris en commission d'aménager la rédaction de la disposition en question : son application étant temporaire, en lien avec l'état d'urgence sanitaire, il n'est pas souhaitable de l'inscrire dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Conformément à ce que nous nous sommes dit en commission, l'avis est favorable.
En revanche, je suis défavorable au sous-amendement – à titre personnel, car il n'a pu être discuté en commission. En effet, le délai de neuf mois me semble suffisant.
Même avis.
M. Lambert a évoqué les travailleurs saisonniers en général, mais l'on ne saurait prolonger de douze mois, soit de quatre saisons, la durée d'emploi de ces travailleurs qui, par définition, ne sont pas des travailleurs annuels.
Rappelons que les amendements portent précisément sur ceux des travailleurs saisonniers qui se trouvaient sur le territoire national avant le 16 mars, et qui ne sont pas plus de quelques centaines.
Pour eux et pour eux seuls, nous avions d'ailleurs prévu d'emblée une prolongation de trois mois de la durée d'emploi, afin de leur éviter une situation irrégulière imposée par l'impossibilité de rentrer chez eux. En portant cette durée à neuf mois, les amendements laissent un peu plus de marge de manoeuvre.
Je retire mon sous-amendement à la lumière de cette explication très claire. Je remercie M. le ministre de nous permettre de coconstruire ainsi le texte, y compris en renonçant à y inscrire ce qui n'a pas lieu d'y figurer.
Le sous-amendement no 588 est retiré.
M. M'jid El Guerrab applaudit.
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des retraites, pour soutenir l'amendement no 448 du Gouvernement.
Il vise à inscrire dans le droit la teneur de l'habilitation prévue à l'alinéa 33 de l'article 1er : il s'agit d'accorder des droits à la retraite au titre de l'activité partielle, qui seront indemnisés dans le régime général ainsi que dans le régime des salariés agricoles. Cette mesure législative sera transposée par des textes réglementaires aux autres régimes concernés par l'activité partielle, notamment les régimes spéciaux, en fonction du contexte propre à chaque secteur.
Il y a aujourd'hui 12 millions de salariés au chômage partiel, car le Gouvernement a voulu garantir à ceux dont l'activité est touchée par la crise sanitaire la possibilité de retrouver leur emploi quand celle-ci sera terminée. De la même manière, il faut que nous sécurisions leurs droits sociaux. L'AGIRC-ARRCO le fait déjà.
Les trimestres comptant pour l'éligibilité au taux plein et pour le calcul de la durée d'assurance seront octroyés selon un seuil à déterminer par décret en Conseil d'État.
Si vous adoptez cet amendement, aucun de nos concitoyens ne devra différer son départ à la retraite parce qu'il aura dû être mis au chômage partiel. Cet objectif devrait tous vous réunir.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – M. M'jid El Guerrab applaudit également.
C'est une très belle mesure, qui permettra aux 12 millions de salariés placés en activité partielle depuis le début de l'année d'acquérir des droits à la retraite de base, comme ils le peuvent déjà pour la retraite complémentaire. L'amendement assure ainsi la continuité de la couverture sociale des salariés en complétant leurs droits à la retraite. Je ne peux y être que favorable et je suis sûr que les Français le seront aussi.
Il s'agit d'un amendement de justice. Il est juste, en effet, de ne pas obliger la moitié des salariés français étant ou ayant été en activité partielle à reculer leur départ à la retraite, comme l'a dit M. le secrétaire d'État. Le groupe La République en marche votera donc l'amendement, et j'espère que l'Assemblée fera de même à l'unanimité. C'est une marque de solidarité envers ceux qui vont probablement rester au chômage partiel au cours des semaines et des mois à venir – je songe aux professionnels du tourisme ou de la restauration. Il importe que nous les accompagnions pour qu'ils ne perdent pas de droits à la retraite.
Monsieur le secrétaire d'État, en vous voyant revenir votre dossier retraites sous le bras, j'ai eu peur !
Sourires.
Finalement, votre amendement va dans la bonne direction.
En commission, je m'étais demandé ce qu'il en était de la retraite complémentaire, qui représente une part non négligeable des pensions de nos concitoyens ; j'ai cru comprendre que vous nous assuriez que la démarche était engagée, mais pourriez-vous le confirmer ?
Je remercie le Gouvernement de cet amendement, que j'appelais de mes voeux car – voici qui va répondre à votre question, monsieur Dharréville – les organismes de retraite complémentaire attribuent déjà des points gratuits à leurs adhérents au-delà de 60 heures d'activité partielle : il est bon que le régime de base s'aligne en la matière sur les régimes complémentaires.
Vous me connaissez : je suis un peu taquine. J'ajouterai donc que si notre réforme des retraites était allée à son terme, la mesure n'aurait pas été nécessaire : dans le régime universel que nous avions prévu, les points auraient été acquis pour tout le monde !
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Brouhaha.
J'aimerais que notre collègue Motin ne mette pas d'huile sur le feu, sinon nous allons continuer de débattre pendant des heures et je doute que nous puissions alors voter le texte demain.
C'est avec grand plaisir que le groupe Les Républicains approuvera cette mesure logique.
Je salue, au nom du groupe UDI, Agir et indépendants, une mesure de bon sens, à l'instar de la prorogation de la durée d'indemnisation du chômage. Cet accompagnement des populations en difficulté ou en souffrance a toute sa place dans le texte que nous examinons.
Il est toujours agréable de faire l'unanimité ou presque dans l'hémicycle – c'est du moins ce que j'espère !
Monsieur Dharréville, comme l'a évoqué Mme Motin, aux termes de l'article 67 de l'accord national interprofessionnel du 17 novembre 2017, l'AGIRC-ARRCO – à laquelle 70 % des salariés français sont affiliés – prévoit l'attribution de points de retraite complémentaire aux salariés indemnisés au titre de l'activité partielle, à partir de 60 heures.
Il s'agit désormais d'inscrire dans le droit commun, sans limitation à la période actuelle ni au contexte de crise sanitaire, la validation en vue de la retraite, pour les salariés en activité partielle, des périodes dites assimilées.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
L'amendement no 448 est adopté.
La parole est à M. M'jid El Guerrab, pour soutenir l'amendement no 373 rectifié .
Mon groupe n'a pas pu s'exprimer à propos de l'amendement précédent, madame la présidente ; …
Le débat avait été suffisamment éclairé. Merci de défendre votre amendement.
… je vous le dis respectueusement.
La crise sanitaire que nous traversons se double, confinement oblige, d'une crise économique sans précédent. Alors que nous vivons nos premiers jours de déconfinement, se pose légitimement la question du redémarrage de notre économie, en particulier du secteur agricole. Dans nos exploitations travaillent toutes sortes de personnes, notamment des étrangers, saisonniers, qui contribuent par leurs efforts à faire de la France la première puissance agricole européenne. Ces salariés munis d'une carte de séjour pluriannuelle connaissent aujourd'hui une grande précarité, parce qu'ils sont bloqués dans un pays où le coût de la vie est bien plus élevé que dans le leur.
Pour cette raison, et au nom de nos valeurs de solidarité, je propose que nous leur permettions de compenser cette situation en travaillant un peu plus longtemps sur notre territoire. Ainsi notre amendement tend-il à les autoriser à prolonger leur séjour dans la limite d'une durée cumulée de neuf mois au titre de l'année 2020.
L'amendement me semble satisfait par l'adoption des nos 54 de M. Barrot et 518 de Mme Dupont. Demande de retrait.
L'amendement no 373 rectifié , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est de nouveau à M. M'jid El Guerrab, pour soutenir l'amendement no 374 rectifié .
Toujours afin de pallier le manque de main-d'oeuvre dans le secteur agricole, nous proposons qu'il soit permis aux étrangers déjà présents sur le territoire national d'être embauchés comme travailleurs saisonniers. À cette fin, un étranger présentant une promesse d'embauche dans le secteur agricole devrait pouvoir bénéficier d'une carte de séjour portant la mention « travailleur saisonnier » de manière à pouvoir être recruté immédiatement.
Il ne s'agit pas d'un acte de charité, mais d'une mesure de bon sens destinée à accélérer le redémarrage de l'économie, sur le modèle de l'Italie, laquelle devrait régulariser par décret environ 200 000 personnes en situation irrégulière qui pourraient ensuite obtenir un contrat dans une entreprise agricole du pays afin de contribuer au redressement de ce secteur clé. D'un côté une demande, de l'autre 200 000 à 300 000 sans-papiers sur notre territoire : faisons en sorte que tout le monde soit gagnant dans cette affaire.
Je comprends votre intention, mais je ne suis pas certain que cela fonctionne, et ce pour deux raisons. Un, comment vérifier l'effectivité de la promesse d'embauche pour éviter les contournements ? Deux, pourquoi se limiter au secteur agricole ? D'autres secteurs en tension pourraient être concernés. J'ai l'impression que cet amendement ne fonctionne pas ; je vous demande son retrait. À défaut, mon avis sera défavorable.
Au-delà de la remarque technique, que je partage, il faut avoir en tête qu'avec cet amendement, vous suggérez un choix politique majeur. Tout d'abord, nous enfreindrions la directive européenne qui encadre le travail saisonnier. Le Parlement peut tout à fait en décider, mais nous aurions alors quelques difficultés.
J'appelle ensuite votre attention sur le fait que cet amendement ouvrirait une voie de régularisation à des gens qui se trouvent sur le territoire…
… sans titre de séjour ; il s'agit de 200 000 à 300 000 personnes, vous l'avez dit. Tout à l'heure, un député du groupe Les Républicains a évoqué la crise de l'emploi que notre pays pourrait connaître dans le cadre du redémarrage de l'activité.
J'appelle donc votre attention sur le fait que ce dispositif bénéficierait à des étrangers en situation irrégulière et constituerait une nouvelle voie d'accès à la régularisation.
Chaque année, nous régularisons par dizaines de milliers, mais pas de façon automatique, ni en fonction de la seule production d'un contrat de travail saisonnier. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, en raison à la fois de sa dimension juridique et du choix politique qu'impliquerait la décision de régulariser massivement des gens en situation irrégulière. Il me semblait néanmoins nécessaire de préciser ce cadre.
La parole est à M. M'jid El Guerrab. Je devine que vous ne retirez pas l'amendement ?
Monsieur le ministre, vous n'avez certainement pas écouté hier matin sur RTL l'interview du ministre de l'agriculture, qui appelait les travailleurs étrangers à venir en France. Vous avez certainement aussi raté l'appel de la préfecture de Seine-et-Marne aux migrants et aux personnes qui le peuvent à venir travailler dans les champs ; il y a une véritable demande.
Cet amendement n'a rien à voir avec l'inquiétude, qui est généralement l'apanage de la droite, voire de l'extrême-droite, relative à la création d'un « appel d'air » : on parle de personnes en situation irrégulière actuellement présentes sur notre territoire. Nous sommes dans une crise économique sans précédent ; le Portugal, l'Italie et l'Allemagne l'ont fait, la France le pourrait également, moyennant bien sûr un encadrement. On vous donne la possibilité d'habiliter et, avec une promesse d'embauche, de faire entrer ces travailleurs dans un parcours de régularisation, non de les faire bénéficier d'une simple régularisation.
Par ailleurs, je vous demande un peu d'humanité, monsieur le ministre : imaginez ces 300 000 à 400 000 personnes, qui sont en situation irrégulière.
Je vous en prie, pas de leçon d'humanité !
… je fais appel à votre humanité, ce qui veut dire que vous en avez. Des centaines de milliers de personnes en situation irrégulière ont la boule au ventre depuis des années et ne demandent qu'une chose : travailler, être utiles à la France et l'aider à se reconstruire.
Il conviendrait de ne pas faire de procès en inhumanité dans cette enceinte et d'être respectueux des uns et des autres, notamment de M. le ministre de l'intérieur.
J'entends votre argument, monsieur El Guerrab. Quoique passionné, il est intéressant. Dans cet hémicycle, on a déjà parlé des étrangers présents en France et qui ne sont ni régularisables ni expulsables. Nous avons là une difficulté réelle, et il serait judicieux d'approfondir ce sujet dans cette période où nous avons besoin de bras. Il existe des situations de très grande précarité, qui relèvent souvent de l'humanitaire. En ce sens, une part de votre proposition me semble mériter un approfondissement.
Je souhaite apporter une précision. Depuis tout à l'heure, on discute comme s'il était admis que ces 300 000 emplois dans l'agriculture ne pouvaient être occupés que par des étrangers.
Ces emplois sont d'ailleurs présentés de manière un peu caricaturale : il n'est pas vrai que les saisonniers sont une variable d'ajustement des exploitants et qu'ils sont tous très mal payés. C'est une main-d'oeuvre très qualifiée : on ne s'improvise pas travailleur saisonnier, il y a un savoir-faire technique.
Le véritable enjeu – mais il n'est pas question d'en débattre aujourd'hui – est celui de la création d'un statut de travailleur saisonnier, peut-être sur le modèle de celui des intermittents du spectacle. Ces emplois pourraient parfaitement être occupés par des travailleurs français. Le problème de la main-d'oeuvre que ne trouvent pas les exploitations agricoles est lié à l'absence d'un statut de saisonnier : les travailleurs saisonniers ne se forment pas au travail qu'ils exercent une petite partie de l'année, parce qu'ils ne sont pas protégés le reste de l'année.
Déplaçons le débat : il y a matière à oeuvrer à l'élaboration d'un statut de travailleur saisonnier, mais concentrons-nous sur l'impact de la crise pour traiter le problème de la régularisation des gens qui resteront plus de six mois, pour la campagne actuelle.
Vous parlez de la mise en place d'un statut de travailleur saisonnier, mais nous parlons de l'urgence de la situation pour 300 000 personnes – peut-être un peu plus. Pour la plupart d'entre elles, elle est délicate, difficile, voire dramatique. Les premières études publiées démontrent que ce sont plutôt ces populations, celles qui se trouvent dans des situations de pauvreté et d'inquiétude, qui sont les plus frappées par l'épidémie et qui en meurent.
J'aimerais que l'on revienne à ce problème. Que pouvons-nous apporter ? Que devons-nous faire ? Qu'est-ce que nous devons regarder ? La question de la régularisation des sans-papiers est posée : nous ne pouvons pas la contourner. Oui, la France a pris des dispositions notables, comme l'a dit M. le ministre, mais non, nous ne pouvons pas nous en contenter, nous ne pouvons pas dire que nous n'irons pas plus loin. Pourquoi ? Parce que la réalité qui transparaît dans les propos de M. le ministre – toujours très clairs – est la suivante : nous devons apporter une réponse à 300 000 personnes qui ne repartiront pas et qui ne sont pas vraiment chez nous.
Je vous rejoins, monsieur le ministre : c'est bien un choix politique que nous devons faire ce soir. Soit nous continuons à dire à ces 300 000 personnes qu'elles ne peuvent ni partir ni être pleinement en France, et qu'elles restent dans un entre-deux mortifère – au sens premier du terme. Soit nous faisons le choix politique de les accompagner et de les intégrer au travers d'une régularisation. Voilà ce que demande l'amendement défendu par M. El Guerrab.
L'amendement no 374 rectifié n'est pas adopté.
Je suis saisie de quatre amendements, nos 390 rectifié , 520 , 55 et 519 , pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Ludovic Mendes, pour soutenir l'amendement no 390 rectifié .
Cet amendement, que nous avions déjà déposé en commission, demande la réduction des délais de réponse de la DIRECCTE – direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi – de deux mois à quinze jours en ce qui concerne les autorisations de travail.
Il est certain que dans la période actuelle, on ne pourra pas aller ramasser les pommes de terre Charlotte à l'île de Ré,
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM – Sourires
le délai étant un peu court pour obtenir l'autorisation de travail correspondante, mais nous sommes capables de réduire ces délais, surtout quand on est en manque de main-d'oeuvre agricole et qu'on a des difficultés à recruter des travailleurs saisonniers.
Nous disposons de personnes capables de travailler sur notre territoire ; il s'agit juste de réduire le délai de réponse de la DIRECCTE pour les autorisations de travail. Compte tenu de la fermeture des frontières, cette solution me semble envisageable, d'autant qu'elle n'est demandée que pour la période d'état d'urgence sanitaire et les six mois suivant son terme.
Je ne reprendrai pas les arguments de M. Mendes, bien qu'il s'agisse du même type d'amendement, mais je vais les compléter. Nous avons plusieurs difficultés en matière de travail saisonnier : un manque de main-d'oeuvre, mais aussi une difficulté à rapprocher la demande et l'offre. Dans certains départements et régions, ce rapprochement prend du temps ; il faut ensuite encore du temps pour obtenir l'autorisation administrative de la DIRECCTE. Dans le contexte que nous traversons dans bon nombre de zones de cueillette, deux mois paraissent très longs aux acteurs économiques des territoires.
Il nous semble qu'il faut accélérer les choses, quand bien même les DIRECCTE sont très occupées par l'activité partielle – c'est une réalité que nous avons bien en tête. Le service de la main-d'oeuvre étrangère, qui dépend aujourd'hui des DIRECCTE, basculera à compter du 1er janvier 2021 vers les préfectures ; ce pourrait être l'occasion d'un travail de coordination pour permettre cette accélération. L'amendement no 520 propose de réduire le délai d'instruction par les DIRECCTE à quinze jours, l'amendement no 519 à huit jours.
La parole est à M. Jean-Noël Barrot, pour soutenir l'amendement no 55 .
Cet amendement, qui a été discuté en commission, concerne la possibilité ouverte aux demandeurs d'asile de travailler six mois après l'enregistrement de leur demande d'asile. Actuellement, pour que cela soit possible, la DIRECCTE doit instruire leur dossier et l'autorisation est réputée acquise en l'absence de réponse de cette dernière au bout de deux mois. L'amendement initial proposait de ramener cette durée à deux ou trois jours ; nous avons eu une discussion avec le ministre, qui nous a fait remarquer que les DIRECCTE étaient déjà soumises à rude épreuve et qu'il ne s'agissait pas de leur imposer de nouvelles contraintes.
Nous avons déposé à nouveau cet amendement, en guise d'appel au ministre, pour que des recommandations soient adressées aux DIRECCTE et que ces autorisations de travail puissent être traitées dans les meilleurs délais, à défaut de l'inscrire dans la loi.
Nous avons eu ce débat en commission. Vous proposez de réduire de deux mois à quatorze jours, parmi d'autres variantes, le délai de réponse de l'administration – des DIRECCTE – pour se prononcer sur la demande d'autorisation de travail d'un demandeur d'asile. L'argument clé que nous avions avancé en commission, et que je maintiens, est le suivant : vous le constatez tous dans vos circonscriptions, les DIRECCTE sont surchargées en raison de l'activité partielle et des demandes des entreprises. Elles ont beaucoup de mal à répondre à ces demandes ; elles continueront à recruter, car il y aura énormément de travail dans les mois à venir concernant les restructurations et divers besoins des entreprises.
Les DIRECCTE ne se contentent pas d'attribuer de l'activité partielle ; elles font plein d'autres choses. Leurs ressources humaines sont déjà très tendues, parfois insuffisantes. Leur imposer une nouvelle contrainte, en leur demandant de répondre sous x jours sans quoi une autorisation sera réputée acquise, aboutira vite à un constat : les autorisations seront tout le temps réputées acquises. En réalité, cela revient à faire sauter le contrôle exercé par les DIRECCTE : celles-ci attendront la fin du délai pour dire qu'elles n'ont pas eu le temps de traiter le dossier, et l'autorisation sera réputée acquise.
Je comprends la démarche et le signal que vous souhaitez envoyer, mais la conséquence, c'est qu'il n'y aura plus aucun contrôle. Vous pourrez me dire que le contrôle n'est pas important et qu'il ne sert à rien ; je ne dispose pas d'éléments chiffrés, mais je n'en suis pas convaincu.
Ce que je sais de façon assez claire, c'est qu'exercer une pression supplémentaire, avec un nombre de jours plus restreint, aboutira à une absence totale de contrôle. C'est pourquoi je maintiens l'argumentation de la commission et vous demande de bien vouloir retirer ces amendements. À défaut, mon avis sera défavorable.
Je partage l'esprit des propos de M. le rapporteur. Il est important d'avoir en tête que l'avis des DIRECCTE ne vise pas à empêcher la concrétisation des contrats de travail et le travail qui s'ensuit. Il vise au contraire à vérifier que l'on ne s'inscrit pas dans une logique de dumping social, avec des employeurs qui utiliseraient la fragilité du statut de celui qui contractualise avec eux pour ne pas lui garantir les droits fondamentaux que nous devons lui assurer.
C'est essentiel de maintenir cela ! Cependant, je comprends l'argument relatif à la durée, eu égard au calendrier et aux sollicitations en matière de travail saisonnier.
Il reste que si ces dispositions étaient adoptées, les DIRECCTE ne seraient pas en mesure d'apprécier la réalité et la qualité du contrat de travail proposé, le respect des obligations légales et sociales, le niveau de salaire et les conditions d'emploi, sujets dont l'examen requiert du temps.
Les DIRECCTE font actuellement face à une surcharge de travail, dont chacun est conscient ici, qui pourrait les empêcher d'effectuer un contrôle aussi approfondi que nécessaire. Les intentions des auteurs des amendements sont parfaitement louables du fait des tensions du marché et de l'intérêt pour ces femmes et ces hommes de trouver un travail, mais elles pourraient avoir comme conséquence de ne pas les protéger.
Voilà pourquoi l'avis du Gouvernement est défavorable, même si le retrait serait la meilleure décision, ces amendements ayant un caractère d'appel, souligné par M. Barrot, sur un sujet sur lequel je suis prêt à vous rejoindre. Nous pouvons encourager les DIRECCTE, qui ne sont pas placées sous l'autorité du ministre de l'intérieur, et les préfets, à instruire le plus rapidement possible les dossiers. Il faut néanmoins veiller à ce que votre bonne intention ne se révèle pas contre-productive.
Nous sommes conscients que les DIRECCTE, comme de nombreuses administrations, seront submergées à la fin du confinement. Néanmoins, ces amendements sont extrêmement positifs : depuis longtemps, nous cherchons tous les moyens pour faciliter l'embauche de saisonniers, car les besoins sont grands.
Il me semble opportun, dans la logique de nos débats depuis le début de la séance, de faciliter l'accès des demandeurs d'asile au marché du travail. Par conséquent, le groupe Socialistes et apparentés votera pour l'adoption de ces amendements.
Oui, puisque nous notre demande n'est pas satisfaite !
Mais nous pouvons trouver des solutions complémentaires pour prendre en compte l'importante surcharge de travail des DIRECCTE. Je retire mon amendement au profit de celui de M. Barrot, qui me semble offrir une telle solution.
L'amendement no 390 rectifié est retiré.
La proposition de M. le ministre est intéressante. Il serait opportun que vous délivriez, avec Mme Pénicaud, un message commun visant à inciter autant que possible les DIRECCTE et les préfectures à instruire rapidement ces dossiers, et à faciliter leur action, tout en respectant bien entendu le cadre légal. Un engagement de votre part sur la publication d'une instruction cosignée par votre ministère et celui du travail nous inciterait à retirer l'amendement. Cette démarche est nécessaire, car les tensions sur le marché de l'emploi sont réelles dans de nombreuses régions de France.
L'amendement no 520 est retiré.
L'amendement no 55 est retiré.
Je confirme la proposition que je vous ai faite : je me rapprocherai de Mme Muriel Pénicaud et je mettrai ce sujet à l'ordre du jour du point quotidien que je fais avec les préfets, si possible d'ici à la fin de la semaine.
L'amendement no 519 est retiré.
Il s'agit d'un autre amendement travaillé avec Mme Stella Dupont, qui consiste à prolonger de cent quatre-vingts jours la durée de validité des titres de séjour arrivant à expiration entre le 16 mai et le 15 juin 2020.
L'amendement no 516 est identique à celui de M. Barrot et vise à prolonger de cent quatre-vingts jours la durée de validité des titres de séjour arrivant à expiration entre le 16 mai et le 15 juin 2020. L'amendement no 515 a le même objet pour les titres arrivant à expiration entre le 16 mai et le 10 juillet.
Tous les titres entrent dans le champ des amendements, y compris les attestations de demande d'asile. La charge de travail des préfectures va considérablement augmenter dans les prochaines semaines et les prochains mois – comme dans toutes les administrations, nous venons de le voir avec les DIRECCTE – , puisqu'elles devront traiter les nouvelles demandes, que l'on peut espérer en nombre moins élevé avec la fermeture des frontières, les titres arrivés à échéance depuis le début de l'état d'urgence sanitaire et aussi le flux de ceux qui arrivent à échéance.
Cela représente une masse considérable, si bien qu'il me paraît opportun de proroger le délai de validité des titres qui arriveront à échéance entre le 16 mai et le 10 juillet, parce que je crains que les services de l'État ne puissent pas instruire tous ces dossiers en juin et en juillet.
La parole est à M. le ministre, pour soutenir l'amendement no 447 qui fait l'objet de sous-amendements.
Le Gouvernement serait favorable à une prorogation, mais en veillant à distinguer les titres de séjours pouvant l'être pendant cent quatre-vingts jours des attestations de demande d'asile, dont la durée de validité ne serait étendue que de quatre-vingt-dix jours. Cela donnerait une cohérence d'ensemble au régime de prorogation des titres de séjour, qui nous permettrait d'y voir clair.
Madame Stella Dupont, vous avez évoqué la difficulté qu'auront les préfectures à faire face au flot de dossiers : certains d'entre eux, dont l'urgence nous était signalée par des associations, ont pu être instruits pendant la période de confinement, afin que tous les demandeurs d'asile soient enregistrés et que personne ne soit oublié ; en outre, nous avons rouvert les procédures de gestion des demandes d'asile le 6 mai en Île-de-France et le 11 mai dans le reste du pays. Nous pourrons répondre aux demandes, en appliquant nos méthodes de travail habituelles, grâce à une prolongation de cent quatre-vingts jours de la durée de validité des titres de séjour et de quatre-vingt-dix jours de celle des attestations de demande d'asile.
Le 15 juin, les préfectures ne seront probablement pas en mesure de traiter l'ensemble des démarches initiées par les étrangers dont le titre de séjour aura expiré, du fait du grand nombre de sollicitations et de la fermeture des services. Dès lors, ces étrangers se trouveraient en situation irrégulière.
Afin de les sécuriser dans leur droit au séjour ainsi que dans l'exercice de l'ensemble des droits sociaux qui en découle, une mesure de prolongation doit concerner les titres de séjour expirant entre le 16 mai et le 10 juillet 2020, date de fin de l'état d'urgence sanitaire.
Pour les mêmes raisons, il faut prévoir la prolongation de quatre-vingt-dix jours de la durée de validité des attestations de demande d'asile arrivées à expiration entre le 16 mai et le 10 juillet 2020.
La parole est à M. Guillaume Gouffier-Cha, pour soutenir le sous-amendement no 579 .
Il est identique au précédent. Pendant le confinement, nous avons pris des mesures destinées à proroger la durée de validité des titres de séjour des ressortissants étrangers arrivant à expiration avant aujourd'hui, 15 mai 2020. Le texte propose d'étendre cette prorogation en visant les titres arrivant à expiration au plus tard le 15 juin : pourquoi ne pas retenir la date du 10 juillet, …
… date actuelle de la fin de l'état d'urgence sanitaire, afin de donner de la lisibilité et une réelle sécurité à ces ressortissants étrangers ? Ces derniers, souvent des femmes, se trouvent en première ligne. Il serait pertinent et pragmatique de reporter l'échéance du 15 juin au 10 juillet. La date du 15 juin est difficilement compréhensible, d'autant que les préfectures, dans les zones tendues, auront du mal à faire face à l'afflux de demandes de renouvellement de titres.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir le sous-amendement no 578 .
L'administration doit se donner pour objectif de traiter dans les plus brefs délais les dossiers migratoires. En effet, si nous traversons une crise sanitaire, nous traversons aussi une crise migratoire, …
… qui ne s'est malheureusement pas éteinte durant le confinement.
La prolongation de la durée de validité des visas de long séjour, des titres de séjour, des autorisations provisoires de séjour, des récépissés de demande de titre de séjour et des attestations de demande d'asile qui ont expiré entre le 16 mai et le 15 juin 2020 ne devrait être possible que « jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire », non pour cent quatre-vingts jours, cette durée de six mois me paraissant beaucoup trop longue.
Il est prévu que l'état d'urgence sanitaire s'achève le 10 juillet, mais sa prorogation ne nous obligerait pas à légiférer à nouveau si l'on adoptait la rédaction de mon sous-amendement. Cela assurerait, pour reprendre les mots du ministre, une vraie « cohérence d'ensemble ».
La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour soutenir le sous-amendement no 556 .
C'est en déterminant qui entre sur son territoire et qui s'y maintient qu'un pays exerce sa souveraineté. La crise sanitaire et le confinement ont empêché certaines administrations de fonctionner comme elles le font en temps normal. Dans ce contexte, la prorogation de certains titres de séjour arrivant à expiration est logique et nécessaire.
Néanmoins, le texte propose que notre pays n'exerce pas sa fonction régalienne d'accepter ou de refuser le séjour pendant cent quatre-vingts jours, soit six mois. Le sous-amendement ramène le délai de prorogation de la validité des titres de séjour à cinquante-six jours, afin de couvrir uniquement la période allant du 16 mai au 10 juillet. Après cette date, l'État recouvrerait l'exercice plein et entier de cette fonction régalienne.
La parole est à M. Pierre-Henri Dumont, pour soutenir le sous-amendement no 557 .
Si vous le voulez bien, madame la présidente, je vais présenter mes trois sous-amendements – les deux derniers, les sous-amendements nos 558 et 559 étant des propositions de repli.
Pour reprendre l'argumentaire de mon collègue Sébastien Huyghe, cent quatre-vingts jours, c'est la moitié d'une année : imaginer que l'administration ne serait pas capable de statuer sur l'ensemble des titres de séjour qui arrivent ou qui arriveraient à expiration pendant une aussi longue période est un manque de confiance dans ses capacités.
Année après année, le nombre d'étrangers entrant légalement sur le territoire augmente : ce n'est pas un scoop ! Les demandes d'asile croissent à tel point que la France est devenue le pays d'Europe qui en reçoit le plus grand nombre. Il convient de montrer que, malgré l'état d'urgence sanitaire, nous appliquons la politique annoncée par le Gouvernement il y a quelques mois, à savoir limiter le nombre d'entrées au strict minimum et accueillir dignement et fermement les demandeurs d'asile qui ont besoin de la protection internationale de la France ; s'agissant des personnes qui se trouvent dans notre pays, il faut faire en sorte qu'elles respectent l'ensemble de nos droits et de nos devoirs. Voilà pourquoi je propose de réduire la durée de la prolongation de validité des documents de séjour proposée par le Gouvernement.
Nous avons eu ce débat en commission spéciale. J'ai le sentiment que nous l'ouvrons à nouveau, ce qui est normal.
Par souci de cohérence, j'émets un avis favorable à l'amendement no 447 , présenté par le Gouvernement, visant à inscrire directement dans la loi la prolongation de la durée de validité des titres de séjour de cent quatre-vingts jours, à l'exception des attestations de demande d'asile, dont la durée de validité est prolongée de quatre-vingt-dix jours. De telles dispositions sont cohérentes avec celles de la loi du 23 mars 2020, déjà appliquées, avec l'ordonnance du 25 mars 2020 prolongeant de quatre-vingt-dix jours la durée de validité des documents de séjour à l'exclusion des attestations de demande d'asile, ainsi qu'avec celle du 22 avril, qui a prolongé leur validité de quatre-vingt-dix jours supplémentaires. Nous poursuivons dans la logique des dispositions adoptées précédemment.
J'émets un avis défavorable aux autres amendements, ainsi qu'aux sous-amendements.
Nous sommes en présence de deux approches politiques du sujet, que j'aimerais préciser avant d'en aborder le fond. L'une consiste à réduire le plus possible les délais en imaginant réduire ainsi le nombre de demandes ; l'autre considère que, plus on allonge les délais, plus on facilite l'introduction des demandes. Ainsi se positionne-t-on sur l'échiquier politique.
Pour ma part, je serai très pragmatique. Si nous proposons de prolonger de cent quatre-vingts jours la durée de validité des titres de séjour de droit commun et de quatre-vingt-dix jours celle de l'attestation de demande d'asile, c'est sur la base d'une réalité objective – je parle de titres de séjour « de droit commun » parce que, contrairement à ce qui touche aux réfugiés, ils sont moins concernés par les approches politiques que j'évoquais à l'instant.
En raison du confinement, notre administration dédiée à l'accueil des réfugiés, hormis les cas exceptionnels, n'a pas accompagné comme nous le devons les personnes concernées. Le confinement a duré deux mois. Si nous prorogeons de trois mois la durée de validité des titres concernés, à compter de la date d'échéance prévue, nous parvenons à couvrir le spectre des personnes que nous n'avons pas accompagnées, et nous nous donnons une marge d'un mois pour traiter humainement et correctement les demandes.
En revanche, je suis très défavorable à la fixation d'une date d'échéance, par exemple au 10 juillet. Une prorogation de quatre-vingt-dix jours court à compter de l'arrivée à échéance de chaque titre. Ainsi, chaque jour de la semaine – j'ai rappelé tout à l'heure que nous avons repris l'instruction des dossiers en Île-de-France la semaine dernière, et sur tout le territoire national le 11 mai – , nous reprenons l'instruction de chaque dossier, à hauteur du volume que nous savons traiter.
Si nous fixons la date du 10 juillet pour tous les titres, il en résultera que l'arrivée à échéance de tous les titres de séjour sera reportée à cette date, de sorte que, le 9 juillet, de très longues files d'attente se formeront devant nos préfectures où se presseront les gens désireux de ne pas dépasser l'échéance, et nous ne serons pas capables de traiter leur dossier dignement. Je comprends la démarche des auteurs des sous-amendements ; elle procède d'une bonne intention. Toutefois, elle aurait pour conséquence de favoriser la formation d'un énorme bouchon à la date d'échéance fixée, ce qui nous empêcherait, je l'ai dit, de traiter de façon digne les demandeurs d'asile.
En retenant une prorogation de quatre-vingt-dix jours, nous adoptons des délais tenant compte de l'interruption de deux mois de service dont a souffert l'instruction des dossiers, en nous donnant un mois supplémentaire pour rattraper les retards consécutifs à la crise sanitaire ainsi qu'à l'arrivée de nouvelles personnes, fussent-elles en nombre moindre qu'auparavant, en raison de la fermeture des frontières au cours de la période de confinement, qui a eu pour effet de réduire le nombre de personnes entrées sur le territoire national dans le cadre d'une demande d'asile – il y a là un autre débat, dans lequel je n'entre pas.
Nous aurons sans difficulté la capacité d'instruire les dossiers ; nous disposerons d'une marge de manoeuvre ; et nous empêcherons véritablement la formation des bouchons qu'aurait suscités l'adoption d'une date d'échéance, dont je sais, je le répète, qu'elle procède d'une bonne intention.
Notre amendement procède du même esprit et de la même démarche que celui de M. Barrot, dont nous suggérons toutefois le retrait. Nous sommes défavorables aux amendements nos 516 et 515 , ainsi qu'aux sous-amendements, qui tendent à fixer une date couperet, dont je viens de décrire l'effet, en espérant avoir été clair.
Je regrette, monsieur le ministre, mais tout cela ne me semble justement pas très clair. L'amendement du Gouvernement me semble raisonnable. Il est certain que les étrangers avaient déjà de nombreuses difficultés à obtenir des rendez-vous dans les délais pour régler leur situation. Avec le confinement et les deux mois d'interruption qui en ont résulté, les administrations ne pourront pas faire face à la demande. L'idée de prolonger la durée de validité des titres de séjour me semble donc bonne.
Toutefois, nous avons évoqué, au cours du débat, les personnes qui arrivent en France. Or l'amendement du Gouvernement vise à prolonger les titres de séjour existants. Ce faisant, il exclut la question de ceux qui arrivent dans notre pays.
Par ailleurs, fixer une date – le 15 juin – distincte de celle de la fin de l'état d'urgence sanitaire, prévue au 10 juillet, introduit une incohérence en raison de laquelle on a du mal à s'y retrouver. Même si je comprends bien qu'il faut échelonner le traitement des dossiers, il me semble qu'il vaudrait mieux adopter une échéance claire, par exemple la date du 10 juillet, qui est celle de la levée de l'état d'urgence sanitaire, ce qui n'empêche pas de commencer à traiter les dossiers plus tôt, au fur et à mesure.
Les gens ne viendront pas, madame la députée !
À défaut, l'ensemble est véritablement complexe. Et j'insiste : l'amendement du Gouvernement, auquel je suis plutôt favorable, traite uniquement, me semble-t-il, de la prolongation de la durée de validité des titres de séjour existants, et non des nouveaux entrants.
L'amendement no 96 est retiré.
L'amendement no 447 est adopté.
Je suis saisie de trois amendements, nos 281 , 499 rectifié et 446 , pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Jean-Noël Barrot, pour soutenir l'amendement no 281 .
Il s'agit de prolonger le bénéfice de l'ADA, l'allocation aux demandeurs d'asile, pour les personnes qui en auraient été privées pendant la période d'état d'urgence sanitaire.
S'agissant des personnes arrivées en France après en avoir obtenu la protection internationale, elles sont en situation d'entrer dans le droit commun, donc de bénéficier du RSA – revenu de solidarité active. Dans la période actuelle, on peut toutefois supposer que les délais pour entrer dans le droit commun sont allongés. L'adoption de l'amendement leur permettrait de percevoir l'ADA en attendant que leur dossier soit traité.
S'agissant des personnes déboutées du droit d'asile, qui peuvent bénéficier de l'ADA pendant un temps réduit, il convient, compte tenu des possibilités limitées de reconduite à la frontière au cours de la période de confinement, de les accompagner.
La parole est à Mme Nathalie Sarles, pour soutenir l'amendement no 499 rectifié .
Il procède de la même inspiration que le précédent. J'insiste sur la nécessité de protéger les personnes éligibles à l'ADA, afin que leurs droits ne soient pas suspendus du jour au lendemain, et que nous disposions d'un peu de visibilité et de capacité de protection tant que durera l'état d'urgence sanitaire.
La parole est à M. le ministre de l'intérieur, pour soutenir l'amendement no 446 .
Il vise à trouver un point d'équilibre entre les deux amendements précédents, et à les encadrer. S'il n'était pas adopté, j'aurais recours à un sous-amendement – il n'y a pas de droits d'auteur en la matière !
Il permet de tenir compte des situations individuelles, sans s'inscrire dans une approche calendaire, en prévoyant que, dans tous les cas, à partir de l'échéance – personne n'a perdu ses droits au cours de la période de confinement – , nous ferons en sorte d'étendre d'un mois le versement de l'ADA pour les personnes déboutées du droit d'asile comme pour ceux auxquels le bénéfice de la protection – notamment pour les droits ouverts auprès de la caisse d'allocation familiale – a été reconnu.
L'enjeu est d'éviter de nous trouver dans la situation où quelqu'un bénéficierait du maintien du droit à l'ADA, alors même que son statut de réfugié serait reconnu, et qu'il aurait, en conséquence, droit à d'autres aides, telles que le RSA. Il en résulterait un effet de cumul au cours de cette période.
L'idée est donc d'adopter une approche large. S'agissant d'une personne déboutée du droit d'asile, nous versons l'ADA jusqu'à la fin du mois, ainsi que pendant un mois supplémentaire ; s'agissant d'une personne à laquelle le statut de réfugié est accordé, nous proposons de lui verser l'ADA pendant un mois supplémentaire. Le versement de l'ADA est donc garanti dans les deux cas. L'amendement permet d'éviter le risque de doublon, à l'échéance du 30 juin et du 31 juillet selon les bénéficiaires.
L'amendement du Gouvernement inscrit en clair, directement dans la loi, la prolongation du versement de l'ADA. J'émets un avis favorable à son sujet, car cette prolongation avait pour objet de couvrir la période de confinement. Il convient donc de prévoir la fin du versement au 31 mai pour les déboutés du droit d'asile, et au 30 juin pour les bénéficiaires de la protection internationale. Cette distinction entre deux dates de versement existe dans le droit en vigueur. Je suggère le retrait des amendements nos 281 et 499 rectifié et émettrai à défaut un avis défavorable.
J'aimerais obtenir une clarification. Je crois avoir entendu M. le ministre mentionner deux dates, le 30 juin et le 31 juillet, applicables respectivement aux déboutés et aux protégés. Comment s'articulent-elles avec les deux dates figurant dans l'amendement du Gouvernement, soit le 31 mai et le 30 juin ?
Le bénéfice de l'allocation prend fin en mai et en juin, mais le versement de l'ADA ayant lieu à terme échu, les personnes concernées la recevront en juin ou en juillet.
Les amendements nos 281 et 499 rectifié , successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.
L'amendement no 446 est adopté.
La parole est à M. Jérôme Lambert, pour soutenir l'amendement no 243 , tendant à la suppression de l'article.
L'amendement no 243 est retiré.
L'article 1er quater est adopté.
La parole est à M. Jérôme Lambert, pour soutenir l'amendement no 244 , tendant à la suppression de l'article.
L'amendement no 244 est retiré.
La parole est à M. Guillaume Kasbarian, rapporteur, pour soutenir l'amendement no 321 .
La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, pour donner l'avis du Gouvernement.
C'est un avis favorable.
L'amendement no 321 est adopté.
L'article 1er quinquies, amendé, est adopté.
La parole est à M. Jérôme Lambert, pour soutenir l'amendement no 245 , tendant à la suppression de l'article.
L'amendement no 245 est retiré.
Il vise à supprimer l'alinéa 1. J'en profite pour alerter MM. les ministres, ainsi que nos collègues, au sujet de la prime annoncée par M. le ministre Véran. Le décret tarde à être publié.
Nombre d'entre nous ont été alertés par les personnels des hôpitaux et de tous les établissements de santé qui craignent de subir une injustice. Si l'on n'habite pas le bon département, si l'on n'a pas la bonne profession, on ne toucherait pas les 1 500 euros.
Je profite donc de cette défense d'amendement pour appeler votre attention sur cette prime : on peut être d'accord ou pas pour qu'elle soit donnée, la décision est prise ; attention à ne pas diviser, à ne pas faire de déçus. Vous vous vantez tous les soirs à dix-neuf heures d'avoir quadruplé les lits de réanimation : je rappelle que c'est à tous les personnels hospitaliers, et non aux seuls soignants, que l'on doit ces créations. Il a fallu de nouveaux cadres pour ces nouveaux services, et ce sont des enseignants en instituts de formation en soins infirmiers qui ont repris la blouse.
Je ne m'étends pas plus longtemps. Je vous alerte simplement : les agents de services hospitaliers – ASH – , les électriciens, les personnels des EHPAD, les ambulanciers… tous ceux qui ont participé à la gestion de la crise méritent cette prime. Ne faites pas de jaloux ! Ce serait une immense erreur.
L'amendement no 307 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'amendement no 323 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 1er sexies, amendé, est adopté.
La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, pour soutenir l'amendement no 441 portant article additionnel après l'article 1er sexies.
Les maisons de naissance ont été autorisées à fonctionner à titre expérimental pour une durée de cinq ans par la loi no 2013-1118 du 6 décembre 2013. Les autorisations expireront donc le 23 novembre 2020. Toutefois, les évaluations ont permis d'établir qu'il était souhaitable de pérenniser ces structures. Aussi est-il proposé de sécuriser dès maintenant le dispositif pour une durée supplémentaire d'un an. Le PLFSS pour 2021 – projet de loi de financement de la sécurité sociale – qui sera débattu à l'automne permettra, conformément à l'engagement pris par le ministre des solidarités et de la santé, de pérenniser les structures en place.
Cet amendement vise à permettre aux structures existantes de poursuivre leur mission.
Il s'agit d'inscrire dans la loi une mesure pour laquelle une habilitation était demandée.
Les maisons de naissance ont été créées il y a six ans. Cette expérimentation qu'il s'agit de prolonger a montré l'utilité de structures qui, sous la responsabilité exclusive des sages-femmes, accueillent les femmes enceintes de façon personnalisée. Avis favorable, dans l'attente de mesures plus pérennes, peut-être dans le prochain PLFSS.
L'amendement no 441 est adopté.
Nous entrons dans le dur des dispositions relatives à la justice que le Gouvernement a accepté d'inscrire directement dans la loi ! Cet article reporte différentes mesures de réforme de la justice : c'est l'aveu de la démission du système judiciaire et de l'incapacité de notre justice à réagir pendant cette crise. Nous avons abordé de nombreux sujets, et nous avons pu constater que beaucoup de milieux économiques, beaucoup d'administrations se sont montrées exemplaires. En revanche, la justice n'a pas eu les moyens de gérer son quotidien, elle n'a pas pu gérer les flux de son activité.
Il a surtout été question, jusqu'à présent, de justice pénale, mais c'est le secteur qui a finalement un peu fonctionné pendant la crise ; le reste a cessé toute activité. Les chiffres le démontrent, n'en déplaise à certains. Hier, la commission des lois a entendu le président du tribunal judiciaire de Paris – certes, Paris n'est pas la France, mais c'est la plus grosse juridiction, et son tribunal judiciaire est le plus gros de notre pays. Son message : « Cessez de réformer, donnez-nous des moyens ! »
La justice a besoin de moyens, nous n'avons eu de cesse de le dire pendant l'examen de la réforme de la justice… Bonsoir, madame la garde des sceaux, vous arrivez à point nommé.
Sourires.
J'ajoute que des amendements du Gouvernement et de la présidente de la commission des lois visent à faire entrer dans la loi même des dispositions relatives aux poursuites pénales. Ils sont totalement hallucinants, notamment d'irrespect des décisions prises par les procureurs de la République en matière de poursuite. À ma grande surprise, la présidente de la commission des lois les invite, chaleureusement, par son amendement, avec la pression du Gouvernement bien sûr, à procéder à des classements sans suite même s'ils ont pris la décision de poursuivre, pour faire gagner un peu de temps, parce qu'on n'a pas les moyens.
Notre justice a besoin de moyens. Vous les demandez, cher collègue ; nous les allouons. Nous avons pour cela adopté il y a un peu plus d'un an la loi de programmation de la justice pour les années 2018 à 2022 ; elle prévoit une augmentation des moyens, au cours de cette période, de 1,5 milliard d'euros, c'est-à-dire de 25 %. Cela n'avait pas été fait par les précédentes majorités ! Cela arrive avec beaucoup de retard, et nous pouvons le déplorer. Mais cette majorité agit, et continuera d'agir dans les années à venir. Nous avons aussi la responsabilité de contrôler l'application de cette loi de programmation.
Nous avons débattu en commission de l'expérience des cours criminelles, qui vise à lutter contre la correctionnalisation de certaines affaires criminelles, contre le recours abusif à la détention provisoire, contre l'engorgement des cours d'assises. Cette instance, qui juge les crimes punis de quinze à vingt ans de réclusion – viols, vols à main armée, coups mortels… – doit permettre à notre justice d'être plus efficace, plus rapide, tout en respectant les droits de la défense et la qualité des audiences. Ce n'est pas la seule juridiction criminelle qui soit composée de juges professionnels : les crimes terroristes sont également jugés par des professionnels ; on ne dit pas que ces affaires sont considérées comme moins graves, ou qu'elles sont jugées avec une moindre attention.
Il faut aujourd'hui développer cette expérimentation, ce que permettra cette loi. Neuf départements, qui s'appuient sur les résultats de l'expérimentation en cours, demandent déjà à bénéficier de ce dispositif.
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour soutenir l'amendement no 246 qui vise à supprimer l'article 1er septies.
L'article vise à reporter certaines réformes : il nous semble que cette demande a peu à voir avec l'épidémie de coronavirus.
Au mois de janvier, des réformes ont été appliquées de façon précipitée, et les avocats se sont mis en colère. On nous dit que la justice a continué à fonctionner durant le confinement ; on a sûrement, dans ce cas, préparé la suite. Alors, pourquoi ces reports ? Cela me semble surprenant. Nous demandons la suppression de l'article.
Avis défavorable.
Nous souhaitons effectivement le report de trois réformes prévues par la loi de programmation et de réforme pour la justice : celle du divorce est décalée de trois mois ; la deuxième, relative au code de la justice pénale des mineurs, est reportée d'octobre 2020 à mars 2021 ; la troisième, qui crée une juridiction nationale des injonctions de payer, est également décalée de quelques mois.
Ces réformes sont indispensables ; elles visent à améliorer l'efficacité et la rapidité des décisions judiciaires. Après la crise du Covid-19 que nous venons de traverser, mais aussi après les difficultés qu'ont rencontrées plus tôt nos tribunaux, avec la grève des avocats et, précédemment, les difficultés sociales générales, il était important de préparer tous les professionnels à ces réformes, de s'assurer que les applications informatiques seraient prêtes à temps, et de résorber les stocks nés de la crise sanitaire. Voilà pourquoi nous décalons ces réformes.
J'ajoute que, s'agissant du code de la justice pénal des mineurs, je me suis engagée devant vous à tenir un débat parlementaire sur le sujet. Vous connaissez votre agenda : décaler cette réforme de quelques mois permettra d'organiser ce débat.
Madame la ministre, vous êtes dans l'obligation de décaler de quelques mois ces réformes ; prétendre que c'est parce que leur mise en place aurait été affectée par la grève des avocats, c'est insupportable !
La réforme du divorce comme l'instauration d'une juridiction nationale des injonctions de payer sont des réformes administratives : leur mise en oeuvre dépend uniquement de la capacité de la chancellerie à les piloter. La grève des avocats est totalement étrangère à leur retard, comme d'ailleurs la crise sanitaire. Vous êtes prêts, ou pas ; vous avez les moyens d'appliquer ces réformes, ou pas – moyens humains ou financiers, d'ailleurs, car j'ai cru comprendre que, dans le cas de la juridiction des injonctions de payer, le problème était plutôt humain que financier.
Mais, de grâce, ne rejetez pas la faute sur la grève des avocats. C'est trop facile. Je citais, juste avant votre arrivée, les propos du président du tribunal judiciaire de Paris devant la commission des lois : « Arrêtez de réformer ; donnez-nous des moyens ! » Tout est là. Ne vous réfugiez pas derrière de mauvais prétextes et de faux motifs.
Hier, lors de leur audition devant la commission des lois, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris et le président de ce tribunal ont surtout souligné la difficulté majeure que constitue pour la justice le passage au numérique, pas seulement dans le rapport avec le justiciable mais aussi en interne.
Lors de l'examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, vous nous aviez expliqué que la justice convertie au numérique était une justice dégradée. Une fois de plus, vous aviez tout à fait tort car, dans la crise, nous avons précisément souffert de ce que la justice n'est pas entrée suffisamment dans l'ère numérique, ce qui se traduit par des difficultés qui ne concernent pas seulement le matériel ou les applications mais aussi la procédure. Cela rend difficile le travail au sein de l'institution judiciaire en période de crise.
Nous devons donc, dans les plus brefs délais, mener une réflexion pour faire entrer pleinement notre justice dans l'ère du numérique, comme c'est le cas dans d'autres pays.
Applaudissements sur certains bancs du groupe LaREM.
L'amendement no 246 n'est pas adopté.
Permettez-moi, en écho aux propos de mon collègue, de préciser que le recours au numérique dans la justice ne fonctionne pas, faute de moyens. Le seul système numérique qui fonctionne aujourd'hui est le RPVA – le réseau privé virtuel des avocats – , financé par le Conseil national des barreaux et par les avocats. Le reste n'est pas opérationnel. Je vous invite à vous rendre à Versailles : les tribunaux sont dotés d'ordinateurs neufs, lesquels ne sont malheureusement pas compatibles avec des logiciels obsolètes. Par conséquent, ces matériels sont inutiles. La faute en incombe à l'insuffisance des moyens alloués à la justice.
Puisque les moyens manquent et que nous devons faire notre affaire de deux réformes qui ont été votées, je vous propose, aux termes de ces deux amendements, l'un portant sur la procédure de divorce, l'autre sur la justice des mineurs, de prendre un peu plus de temps pour l'application de celles-ci.
Le report au 1er janvier de l'entrée en vigueur de la réforme du divorce est une utopie quand on sait que pendant la crise, les juridictions n'ont pas été en mesure de signifier les décisions. Lorsqu'elles pourront fonctionner normalement, vers la fin du mois de juin, elles devront donc absorber un surcroît d'activité. Et, dès le 20 juillet, commenceront les vacances judiciaires. C'est une utopie de croire que magistrats, greffiers et avocats seront capables, à la rentrée, d'appliquer la réforme. Il serait plus raisonnable de la reporter d'un an, au 1er septembre 2021, pour qu'elle puisse entrer en vigueur avec l'accord de l'ensemble des acteurs du monde judiciaire et au bénéfice des justiciables.
De la même façon, s'agissant de la réforme de la justice des mineurs, je l'ai dit en commission et je le répète ici, vous aviez pris l'engagement, madame la garde des sceaux, d'organiser un débat parlementaire préalablement à l'entrée en vigueur du texte. Le calendrier parlementaire risquant d'être bouleversé, le choix d'une date plus lointaine serait bienvenu pour permettre un débat serein et non précipité sur ce sujet particulièrement important. Vous avez dû lire comme moi l'appel de l'ensemble des professionnels du droit à reporter le débat et l'entrée en vigueur du code de la justice des mineurs pour leur permettre d'être consultés puisqu'ils considèrent ne pas l'avoir été suffisamment – pour ce qui me concerne, je me souviens d'avoir été consulté.
Défavorable. Vous dites que le numérique ne fonctionne pas, mais qu'auriez-vous dit il y a trois ans ?
Si la justice a pu fonctionner pendant la crise du Covid-19 comme elle l'a fait, c'est parce que les réseaux ont été mis à niveau. Cela n'aurait pas été possible si les ordinateurs n'avaient pas été distribués à Versailles, où j'étais avant-hier – personne ne m'y a signalé de problème d'équipement.
En revanche, il est vrai que nous avons encore à progresser en matière d'applications.
Mais, je vous en prie, trouvez un autre argument que le manque de moyens car celui-ci ne porte plus, personne n'arrive plus à y croire.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
En effet, il y a trois, quatre, même cinq ans, nous aurions pu nous plaindre des dysfonctionnements du numérique.
Depuis lors, les avocats ont financé, sur leurs fonds propres, le système RPVA qui permet des échanges entre eux et les juridictions, grâce auxquels la justice peut fonctionner de manière dématérialisée. Dans l'ensemble des juridictions, les avocats transmettent leurs conclusions par ce biais. Mais, lors des audiences de plaidoirie, les magistrats demandent à ces derniers de venir avec une version imprimée de leur dossier, contenant les pièces et conclusions préalablement transmises, car les juridictions n'ont pas pu les imprimer, faute de papier. Il ne s'agit pas d'un discours que je serais seul à tenir, ce n'est pas un sentiment personnel : c'est le cri d'alarme que lance l'ensemble du monde de la justice !
Mme Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux, que la commission des lois entendait également hier matin, racontait qu'elle n'avait pas réussi à transmettre un dossier volumineux quelques jours auparavant parce que le tribunal ne disposait pas d'un accès à internet suffisant pour recevoir un tel document.
C'est entièrement faux !
Il s'agit d'un constat. Certes, vous n'êtes pas seule responsable de la situation, …
… mais vous ne voulez pas entendre que pour résoudre les problèmes de la justice, il faudra un jour d'abord lui allouer des moyens. Les problèmes deviennent de plus en plus criants. Ne l'oubliez pas, c'est le pouvoir régalien par excellence qui a été totalement défaillant pendant la crise.
L'article 1er septies est adopté.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à vingt-trois heures vingt, est reprise à vingt-trois heures trente.
La parole est à Mme la ministre des outre-mer, pour soutenir l'amendement no 438 .
Cet amendement concerne les agences des cinquante pas géométriques en Martinique et en Guadeloupe, lesquelles sont des établissements de l'État ayant pour mission d'aménager cette zone littorale et de régulariser les occupations sans titre qui y sont présentes.
La loi du 14 octobre 2015 d'actualisation du droit des outre-mer a fixé un calendrier par étapes en vue du transfert des espaces urbanisés de ces zones dans le domaine public de la collectivité territoriale de la Martinique et de la région de la Guadeloupe, au plus tard au 1er janvier 2021. Ce calendrier, qui prévoyait à la même date la fermeture des agences des cinquante pas géométriques, ne peut être tenu, toutes les étapes préparatoires n'ayant pas été réalisées et le retard ayant par ailleurs été aggravé par la crise sanitaire.
Cet amendement vise donc à prolonger d'un an l'existence des agences des cinquante pas géométriques, ainsi que la possibilité de régularisation des occupations sans titre, et à reporter d'un an le transfert de la zone urbanisée à la collectivité de la Martinique et à la région Guadeloupe.
Ce laps de temps permettra de mener une concertation avec l'ensemble des élus des territoires et d'approfondir le travail qui a été mené jusqu'ici. Un rapport d'inspection a été remis il y a quelques semaines au ministère des outre-mer ; il a été transmis aux deux collectivités, ainsi qu'à l'ensemble des élus de ces territoires. Il propose de revoir de manière plus complète, et cette fois par voie législative, le dispositif de transition préparant le transfert des espaces urbanisés.
Cet amendement inscrit cette décision dans la loi, en lieu et place d'une habilitation à légiférer par ordonnance.
Comme nous l'évoquions tout à l'heure, il s'agit d'inscrire dans la loi le report de l'extinction des agences des cinquante pas géométriques en Martinique et en Guadeloupe. Avis favorable.
Je souhaiterais dire, avec un peu d'amusement, à Mme la ministre des outre-mer que la crise sanitaire sert tout de même à beaucoup de choses, car si elle a peut-être légèrement retardé ce dossier des cinquante pas géométriques, il convient de reconnaître que cela fait un certain nombre d'années que l'on patine en la matière. Je me demande si nous verrons un jour l'évolution et le règlement de cette affaire. Je conçois qu'elle n'est pas simple et je ne suis pas en désaccord avec la mesure, car nous voyons que les choses ne sont pas prêtes, mais je ne suis pas convaincue par le rapport fait avec la crise sanitaire.
Et comme Mme la ministre est présente, je voudrais lui dire que je me félicite que, selon ce qu'a dit le Premier ministre, les voyages en outre-mer – que nous avions évoqués la semaine dernière – puissent reprendre prochainement.
Je croyais avoir déposé un sous-amendement. Pourquoi n'apparaît-il pas, madame la présidente ?
L'amendement no 438 est adopté.
La parole est à Mme la ministre des outre-mer, pour soutenir l'amendement no 439 .
La loi de 2017 relative à l'égalité réelle outre-mer a créé une commission d'urgence foncière à Mayotte, dont la mission consiste à identifier les propriétaires de fait du foncier, pour qu'ils puissent obtenir un titre de propriété. La loi prévoit que cette commission soit remplacée, à compter de 2021, par un groupement d'intérêt public qu'elle préfigure. Or la commission n'a véritablement commencé ses travaux qu'en septembre dernier, après une stabilisation tardive de sa composition. En raison du retard que nous avons pris et de la crise que nous connaissons, la situation ne nous permet pas de disposer d'un recul suffisant pour préfigurer le groupement d'intérêt public avant la fin 2020. Il est donc proposé de prolonger cette préfiguration de deux ans, et c'est en accord avec les élus de ce territoire que je vous soumets cet amendement.
L'amendement no 439 , accepté par la commission, est adopté.
Il vise à inscrire dans le marbre de la loi les demandes d'habilitation que nous avions formulées dans un premier temps. La situation des cours d'assises est actuellement difficile, car en raison du Covid-19, les sessions ont été interrompues – nous ne pouvions pas réunir des jurés, aussi n'ont-elles pas eu lieu. Cet amendement poursuit donc un double objectif.
D'une part, il vise à sécuriser le fonctionnement des cours d'assises, et ce de trois manières : en sécurisant le tirage au sort des jurés pour 2021 ; en disposant de davantage de jurés pour les sessions de 2020 – c'est évidemment très important : leur nombre passerait de trente-cinq à quarante-cinq, voire cinquante ; et en permettant de changer la cour d'assises désignée en appel, c'est-à-dire qu'au sein d'un même ressort, on pourra choisir une autre cour d'assises que celle qui était initialement prévue. Je le redis devant vous, toutes ces modifications montrent l'attachement du Gouvernement aux cours d'assises.
D'autre part, l'amendement vise à l'extension de l'expérimentation des cours criminelles départementales, qui ont été créées par la loi du 23 mars 2019. Ces cours criminelles fonctionnent actuellement dans neuf départements, et nous souhaitons étendre cette expérimentation à trente départements au maximum. Cela permettra de juger en tant que crimes des infractions qui, sinon, seraient considérées comme des délits ou passeraient devant une cour d'assises, ce qui prendrait évidemment beaucoup plus de temps. J'estime donc que les cours criminelles pourraient être très utilisées.
La parole est à M. Paul Christophe, pour soutenir le sous-amendement no 573 .
Nous apprécions toujours, madame la garde des sceaux, de voir des dispositions inscrites dans le texte plutôt que par une ordonnance.
Cet amendement vise à conserver le caractère public de l'établissement des listes des jurés d'assises. Si nous comprenons l'intérêt de la simplification de certaines procédures et de l'aménagement des calendriers dans le contexte que nous connaissons, la publicité de l'établissement de ces listes nous apparaît comme un gage trop important d'impartialité pour ne pas être obligatoire.
La parole est à M. Antoine Savignat, pour soutenir le sous-amendement no 548 , lequel est identique aux sous-amendements suivants nos 561, 565 et 574.
Ce sous-amendement du groupe Les Républicains vise à supprimer l'alinéa 7. Il est vrai qu'il est bon d'entendre dire que des moyens vont être réaffectés au fonctionnement des cours d'assises, car celles-ci sont le fondement même de notre système juridique : c'est la justice rendue par le peuple. Mais c'est alors qu'intervient l'alinéa prévoyant l'extension d'une expérimentation à propos de laquelle nous n'avons aucun retour. Nous ne savons pas ce que donne cette expérimentation.
On nous a dit en commission qu'elle était très satisfaisante et que neuf départements s'étaient portés volontaires. Il s'agit d'une extension de la notion de département que nous ne pouvons accepter. Neuf chefs de juridiction vous ont dit qu'ils étaient volontaires, mais le département, ce n'est pas la même chose : il s'agit de l'ensemble des services de l'État et de l'ensemble des auxiliaires de justice. Or tous les barreaux ont réaffirmé leur désintérêt pour cette forme de fonctionnement. On ne peut donc pas venir nous dire que neuf départements sont candidats à l'extension de cette expérience.
Faire d'une expérience une solution pour régler une crise n'est pas normal. J'en reviendrai donc aux moyens. 500 procès d'assises ont effectivement été reportés pendant cette période de crise. Donnons les moyens à la justice de traiter ces 500 dossiers supplémentaires pour parvenir à ce que l'État réaffirme ce qu'il est : un État de droit apte à juger, apte à prendre en compte les victimes et apte à sanctionner ceux qui doivent l'être. Ne nous appuyons en aucun cas sur un sous-système qui, comme nous l'a dit M. le rapporteur en commission, permettrait d'aller plus vite en coûtant moins cher.
Combien de fois ai-je dit au cours de l'examen de la réforme de la justice, madame la garde des sceaux, que ces cours criminelles n'avaient pour objectif que d'aller plus vite en coûtant moins cher ? J'ai bien conscience qu'il s'agit chez moi d'une obsession, …
… que nous ne serons jamais d'accord et que nous n'avons pas la même lecture des choses, mais j'ai – peut-être à tort – la prétention de me faire l'écho du terrain sur ce sujet.
D'une partie du terrain !
D'une partie, oui, mais de celle qui ne dépend pas, pour ses nominations, de votre signature.
Oh, vraiment ?
La parole est à M. M'jid El Guerrab, pour soutenir le sous-amendement no 561 .
Aux côtés des avocats, les auteurs de cet amendement considèrent qu'avec l'institution des cours criminelles, les idéaux d'une justice authentique, forte et garante de notre démocratie, sont sacrifiés sur l'autel d'une gestion comptable de la justice pénale.
Considérée comme trop lente et trop chère, la cour d'assises est progressivement remplacée par des juridictions professionnelles, censées être capables de trancher plus rapidement et plus efficacement des affaires criminelles. Ce glissement entre les mesures indispensables au bon fonctionnement de la justice et le renoncement à nos idéaux est un danger pour le service public de la justice, qui contribue au maintien d'une démocratie forte et saine.
Aussi ce sous-amendement vise-t-il à supprimer le projet d'extension, par le Gouvernement, de l'expérimentation des cours criminelles à de nouveaux départements. Il n'est pas envisageable de passer à trente départements, comme le souhaite Mme la garde des sceaux, sans qu'un retour complet de l'expérimentation actuellement menée ne soit fait à la représentation nationale.
La parole est à Mme Caroline Fiat, pour soutenir le sous-amendement no 565 .
Par ce sous-amendement, le groupe La France insoumise entend supprimer l'extension de l'expérimentation des cours criminelles voulue par le Gouvernement. Nous dénonçons l'attitude du Gouvernement qui, sans même avoir effectué une évaluation de cette expérimentation issue de la loi de programmation de la justice, l'étend à de nouveaux départements dans le seul objectif de gestion des flux de contentieux, mais au détriment des principes judiciaires et de la qualité de la justice.
Nous alertons par ailleurs sur l'inconstitutionnalité de l'extension de cette expérimentation.
Notre groupe parlementaire renouvelle donc son opposition à la cour criminelle. Cette expérimentation instaure une gradation entre les crimes qui devraient être jugés par des jurés et ceux qui ne le nécessiteraient pas. En outre, cette cour criminelle exclut des prétoires les jurés populaires et réduit le principe de l'oralité des débats. Les premiers retours des professionnels montrent que cette expérimentation instaure une piètre justice.
Notre groupe conteste également cette vision régressive de la justice issue de la crise. Il existe d'autres solutions que la dégradation de la démocratie : nous invitons ainsi le Gouvernement à revoir sa copie en s'orientant notamment vers l'accroissement des effectifs des greffes et des magistrats, qui permettrait d'augmenter le nombre de sessions de cours d'assises. Ces solutions seraient plus à même de réduire les délais d'audiencement.
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo, pour soutenir le sous-amendement no 574 .
Le groupe UDI, Agir et indépendants était lui aussi prudent quant à l'extension de l'expérimentation des cours criminelles. C'est pourquoi nous avions déposé en commission spéciale un amendement limitant cette extension à trente départements – ce qui était de notre point de vue un garde-fou.
Je réitère nos doutes quant à l'opportunité d'étendre l'expérimentation. Toutefois, nous notons que le Gouvernement entend inscrire les dispositions en question directement dans le texte, conformément à une proposition que nous avions formulée.
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour soutenir le sous-amendement no 570 .
Il va dans le même sens que les précédents. On peut tout à fait comprendre que l'engorgement des cours d'assises consécutif à la grève et à l'épidémie puisse appeler des mesures provisoires. Toutefois, il serait incompréhensible d'étendre l'expérimentation de dix à trente départements, ce qui serait peu ou prou une généralisation, alors même que nous ne disposons pas des résultats de la première phase d'expérimentation. Pour notre part, nous proposons une solution de compromis : passer non pas à trente, mais à quinze cours criminelles expérimentales.
La parole est à M. Dominique Da Silva, pour soutenir le sous-amendement no 589 .
Face aux craintes exprimées par certains collègues quant à l'extension de l'expérimentation, je propose de préciser, par ce sous-amendement, que l'expérimentation est menée « sur la base du volontariat des juridictions concernées », c'est-à-dire avec l'accord du premier président de la cour d'appel et des chefs de juridiction.
Mon département, le Val-d'Oise – M. Savignat doit le savoir – , est l'un des nouveaux candidats à l'expérimentation, compte tenu des premiers résultats obtenus dans le ressort de la cour d'appel de Versailles. Du point de vue de la durée des audiences, le gain peut être de 50 %, ce qui signifie que deux fois plus d'affaires sont traitées. Il s'agit évidemment des affaires les moins sensibles ; il n'est pas question que la cour criminelle juge des meurtres, par exemple. Ce gain n'est pas obtenu au détriment de la qualité, et il convient de préciser que tout se fait avec l'accord du barreau. Selon moi, une bonne justice n'est pas une justice lente.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement et les sous-amendements ?
La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a prévu, sur le fondement de l'article 37-1 de la Constitution, d'expérimenter, pour les crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion jugés en premier ressort, hors cas de récidive, la cour criminelle, pendant trois ans, dans dix départements au plus.
La cour criminelle présente deux particularités principales par rapport à la cour d'assises : elle n'est composée que de magistrats, et les délais d'audiencement sont abrégés. L'expérimentation, qui a débuté le 5 septembre 2019, concerne actuellement neuf départements : le Calvados, le Cher, La Réunion, la Moselle, l'Hérault, les Pyrénées-Atlantiques, la Seine-Maritime et les Yvelines. Le département des Ardennes doit les rejoindre au cours de l'année 2020, à compter de la reprise des activités judiciaires normales.
Le ministère de la justice a transmis les premiers enseignements de l'expérimentation, présentés de manière plus détaillée dans mon rapport. Il en ressort que les cours criminelles permettent de juger les crimes dans des délais plus rapides, avec un temps d'audience plus court, dans des conditions respectant le principe du contradictoire, les droits de la défense et la qualité des audiences.
Au vu de ce premier bilan plutôt positif, il apparaît justifié d'étendre l'expérimentation à d'autres départements. Le ministère de la justice prévoit qu'elle soit désormais menée dans trente départements, et nous avons adopté en commission spéciale un amendement de Mme Firmin Le Bodo limitant précisément l'extension à ce nombre. Neuf départements se sont d'ores et déjà portés volontaires : l'Aube, l'Essonne, la Guyane, le Maine-et-Loire, Paris, la Sarthe, la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et le Val-d'Oise.
Monsieur Savignat, tout n'est pas nécessairement rose dans le fonctionnement actuel de la justice.
Selon une dépêche de l'Agence France-Presse publiée hier, dans une cour d'assises, le premier jour du déconfinement, huit des trente-cinq jurés appelés ne se sont pas présentés et ont écopé, de ce fait, d'une amende de 100 euros. Cela montre bien que la crise actuelle a tout de même quelques conséquences sur le fonctionnement normal des cours d'assises.
D'autre part, je n'ai pas le sentiment que l'efficacité soit un gros mot. Je croyais d'ailleurs que, du côté droit de l'hémicycle, on accordait également de l'importance à l'efficacité, y compris budgétaire. Je n'ai pas dit que les cours criminelles coûtaient moins cher, monsieur Savignat : j'ai dit que j'étais attentif au bon usage des deniers publics, à savoir l'impôt payé par les Français. Je l'assume, et je pensais que vous l'assumeriez vous aussi.
J'émets un avis favorable sur l'amendement du Gouvernement et un avis défavorable sur les sous-amendements.
Au vu des premières sessions de cours criminelles départementales qui se sont tenues, nous constatons que leur fonctionnement respecte tout à fait les droits des parties. Elles prononcent des peines élevées, le rapporteur l'a précisé. Elles jugent efficacement et plus rapidement. Le bilan – qui n'est pas définitif puisque l'expérimentation s'achèvera en 2022 – est donc plutôt satisfaisant.
J'observe en outre que les avocats qui ont participé à ces sessions sont généralement satisfaits de leur fonctionnement. Je cite les propos de l'un d'entre eux, rapportés dans un article paru dans des revues juridiques : « On ne peut que se féliciter de ce qui a été organisé. Il y a un respect absolu des textes et le déroulé du procès a été strictement identique à celui d'une cour d'assises. »
Monsieur Savignat, les magistrats qui demandent et décident l'implantation d'une cour criminelle départementale ne sont pas les procureurs, mais les premiers présidents de cour d'appel, donc des magistrats du siège. Or, vous le savez – je ne vous ferai pas l'injure de vous le rappeler – , ceux-ci sont complètement indépendants.
Monsieur Christophe, je ne suis pas favorable à votre sous-amendement, qui vise à conserver le caractère public de l'établissement des listes des jurés d'assises. En effet, pour faire face à l'épidémie de Covid-19, nous devons procéder à des aménagements et éviter les rassemblements susceptibles de créer des difficultés.
Madame Fiat, l'élargissement de l'expérimentation n'est pas inconstitutionnel : nous restons dans un cadre parfaitement défini, celui que le Conseil constitutionnel a demandé de respecter.
Pour toutes ces raisons, j'émets un avis défavorable sur les sous-amendements.
En commission spéciale, nous avions déposé un amendement de suppression de l'habilitation à légiférer par ordonnance. Je m'oppose donc à l'amendement du Gouvernement, qui tend à inscrire les dispositions correspondantes dans la loi.
Il ne s'agira plus, selon moi, d'une expérimentation, puisque vous allez l'étendre largement, la massifier. D'autre part, vous nous expliquez que c'est une réponse à la pénurie de moyens. Si tel est le cas, on se demande pourquoi vous ne généralisez pas tout simplement la mesure ! Il serait complètement incohérent de la mettre en oeuvre dans certains départements et non dans d'autres. Nous ignorons d'ailleurs quels sont les critères sur le fondement desquels vous allez déterminer les départements où l'expérimentation sera conduite. Il faudrait nous le dire, afin que nous soyons pleinement éclairés. Pour moi, cette manière de procéder est une forme d'aveu que la décision est déjà prise et que vous n'attendrez pas les résultats de l'expérimentation.
Vous nous avez fait part, madame la ministre, d'une analyse partielle des premiers retours. Toutefois, il ne s'agit pas d'un diagnostic partagé, ni de résultats de l'expérience de nature à nourrir un débat. Il s'agit, en définitive, de votre propre appréciation, et nous ne pouvons pas nous fier à ces éléments pour prendre la décision d'étendre l'expérimentation.
D'autant que la mesure en question a été très discutée, car elle porte atteinte à la philosophie même de la justice criminelle, qui constitue tout un pan de notre justice ; elle remet en cause, vous le savez très bien, certains de ses fondements, notamment le recours aux jurys populaires. Elle a provoqué un débat assez important, dans le monde de la justice et bien au-delà, sur la manière dont la justice est rendue en France et sur le respect de certains droits et libertés fondamentales.
Nous sortons donc nettement du cadre de l'urgence. D'une certaine façon, vous profitez de la situation actuelle pour essayer d'installer de manière inéluctable une mesure fortement contestée de votre réforme de la justice.
Ce qui remet en cause les fondements de la justice criminelle, monsieur Dharréville, c'est la correctionnalisation des affaires qui devraient normalement relever des cours d'assises, à laquelle nous assistons depuis des décennies. Plutôt que de cacher ou taire le problème, plutôt que de continuer à fonctionner avec de grands principes qui ne sont pas du tout appliqués au quotidien, le Gouvernement a regardé les choses en face et trouvé une solution, les cours criminelles départementales – et je lui rends hommage.
Je me réjouis que, quelques mois seulement après la création des cours criminelles, d'autres départements veuillent se doter d'une telle structure, pour avancer eux aussi, car ils ont le sentiment de ne pas être tout à fait au même niveau que ceux qui les expérimentent.
Nous sommes donc d'accord : la mesure ne vise pas à répondre à l'urgence !
De même que pour la transformation numérique de la justice, il faut regarder les choses en face et s'efforcer de trouver des solutions. C'est précisément ce que le Gouvernement propose. Sur ces deux questions, nous devons avancer rapidement.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Je sais comme vous, madame la garde des sceaux, que ce ne sont pas les procureurs qui décident. J'ai évoqué les chefs de juridiction, qui sont effectivement totalement indépendants dans l'exercice de leur mission. Néanmoins, s'agissant de l'évolution de leur carrière, je ne vous ferai pas l'injure de vous le rappeler, le Conseil supérieur de la magistrature propose et l'exécutif dispose, ce qui constitue évidemment un problème.
En la matière, ce n'est pas moi qui prends les décisions, c'est le Président de la République.
Oui, ce n'est pas vous personnellement – il ne s'agissait pas d'un argument ad hominem.
Ni personnellement, ni impersonnellement.
Néanmoins, vous êtes la garde des sceaux, et je ne peux pas imaginer que le Président de la République ne vous consulte pas avant de procéder à ces nominations. Mais peu importe.
Dans les propos tenus, deux choses m'ont choqué.
Premièrement, M. le rapporteur a indiqué que toutes ces mesures étaient prises dans un souci d'efficacité, …
… parce que nous étions confrontés à une crise et que nous ne savions pas comment résoudre certains problèmes. Or, comme bon nombre de professionnels du monde judiciaire, je suis convaincu que la notion d'efficacité n'a pas lieu d'être en matière de justice : il faut prendre le temps judiciaire nécessaire pour parvenir à la sanction.
Deuxièmement, lorsque vous avez évoqué les retours concernant le fonctionnement des cours criminelles, madame la garde des sceaux, vous avez voulu nous rassurer : ne vous inquiétez pas, avez-vous dit, les peines prononcées sont élevées.
Je n'ai pas dit cela.
Que les peines prononcées soient élevées, on s'en moque, madame la garde des sceaux !
La cour d'assises, c'est la justice rendue par le peuple et pour le peuple, avec toutes les imperfections qu'elle comporte. Ce qui justifie l'existence même de notre système judiciaire, c'est le fait qu'il y a des erreurs,
Mme Caroline Fiat applaudit
que des décisions sont mal prises, que des décisions sont trop sévères, que des acquittements sont injustifiés, qu'il y a des erreurs judiciaires. Notre système judiciaire est à l'image de l'homme : imparfait. C'est là son fondement et sa raison d'être.
À mon sens, on ne devrait pas s'enorgueillir du fait que les cours criminelles prononcent des peines plus élevées. Au contraire, c'est la preuve même que leur fonctionnement est défectueux et qu'elles n'ont pas leur place dans notre système judiciaire.
Le sous-amendement no 573 n'est pas adopté.
L'amendement no 443 est adopté.
Je suis saisie d'un amendement no 444 rectifié qui fait l'objet de plusieurs sous-amendements.
Leur examen, si nous le menons à son terme ce soir, nous permettrait d'en avoir terminé avec une série d'amendements consacrés à la justice. Toutefois, je lèverai la séance au plus tard à zéro heure trente, c'est-à-dire dans une demi-heure. Évidemment, je ne bride pas le débat : s'il le faut, nous poursuivrons la discussion de l'amendement et des sous-amendements demain matin.
La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l'amendement no 444 rectifié .
L'épidémie a empêché la tenue de nombreuses audiences ; les juridictions pénales supportent une charge importante. Ce constat justifie de permettre aux parquets de réorienter les procédures, afin qu'une réponse pénale appropriée y soit apportée, dans un délai raisonnable. Par exemple, si une personne a fait en janvier dernier l'objet d'une convocation par un officier de police judiciaire, pour des faits de conduite sans permis, d'usage de stupéfiants ou de vol à l'étalage, avec une audience prévue début juin ou en septembre prochain, ou encore dont l'audience a été annulée en raison du confinement, le procureur pourra décider de réorienter la procédure. Ainsi, l'usage de stupéfiants pourra faire l'objet d'un rappel à la loi ou d'une obligation de soins ; les autres délits pourront être réprimés par une composition pénale, une ordonnance pénale ou une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité – bref, de différentes manières.
La réorientation sera encadrée. Elle se fera au cas par cas et prendra en considération la gravité des faits, les antécédents des prévenus et le trouble à l'ordre public. Elle garantira les droits des victimes, qui pourront être indemnisées. Évidemment, les parties seront avisées. Si la personne a fait l'objet d'une mesure de sûreté, comme la détention provisoire ou le contrôle judiciaire, la réorientation ne sera pas possible, non plus qu'en cas de renvoi ordonné par le juge d'instruction ou de citation directe par la partie civile.
Les audiences prévues pour se tenir après la publication de la loi ne seront réorientées qu'avec l'accord du président du tribunal judiciaire, dont la décision devra intervenir avant le 31 décembre 2020. La réorientation devra intervenir au moins un mois avant l'audience. Pour les mineurs, elle ne pourra être décidée que par un substitut spécialisé dans le traitement des mineurs, en respectant la procédure qui leur est spécifique.
À mon sens, ces dispositions de réorientation permettent le traitement du stock des affaires et de l'audiencement ; elles sont susceptibles d'apporter des réponses pénales plus rapides, afin de libérer du temps d'audience.
La parole est à Mme Perrine Goulet, pour soutenir le sous-amendement no 551 rectifié .
J'entends la nécessité de trouver des solutions à l'engorgement provoqué par la grève des avocats et l'épidémie de Covid-19. Néanmoins, appliquer la réorientation aux mineurs me pose une difficulté. On sait qu'ils ont certes besoin d'une réponse adaptée, mais surtout rapide : je crains que la réorientation ne constitue pas la bonne mesure pour ces jeunes à l'égard desquels il peut être utile que soient prononcées des mesures éducatives ou d'autres plus lourdes. Quoi qu'il en soit, une réponse inadaptée risque de mettre en branle un engrenage de récidive. Je voudrais donc que les mineurs soient exclus du dispositif proposé par le Gouvernement.
La parole est à M. Paul Christophe, pour soutenir le sous-amendement no 576 .
Pour le groupe UDI, Agir et indépendants, afin d'éviter toute dérive, il convient de restreindre le champ des réorientations de procédure à celles dont les tribunaux ont été saisis dans les trois mois précédant l'instauration de l'état d'urgence sanitaire.
La parole est à M. Antoine Savignat, pour soutenir le sous-amendement no 549 .
J'envisage de demander une suspension de séance : nous sortirons dans la cour d'honneur, où nous brûlerons la Constitution et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en admettant que nous renions tous les fondements de notre justice.
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM. – M. Rémy Rebeyrotte rit.
Cela vous fait rire, cher monsieur : voilà qui est bien, soyez ravi ! « Heureux les simples d'esprit » !
Le législateur ne doit à aucun moment s'immiscer dans le fonctionnement de la justice. Si j'étais procureur, je démissionnerais demain matin. Vous leur demandez de réorienter des affaires, alors qu'ils ont pris en leur âme et conscience des décisions de poursuite, dans des dossiers qu'ils ont examinés. Parce qu'ils estimaient que les faits étaient qualifiés et suffisamment graves, ils ont fait le choix de renvoyer des auteurs de faits devant des tribunaux de police ou des tribunaux correctionnels, pour qu'ils soient jugés, pour qu'ils aient le droit de se défendre. Avec votre amendement, la défense prend une claque : lorsqu'une personne reçoit une ordonnance pénale, elle constate qu'elle dispose d'un délai d'opposition, qu'elle peut joindre un avocat, prendre un rendez-vous – c'est compliqué – ; à l'inverse, celle convoquée devant le tribunal, avec toute la solennité que cela implique, sait qu'elle doit venir avec un avocat pour assurer sa défense.
Cette mesure porte atteinte à l'indépendance de la justice. Encore une fois, mettre ainsi la pression aux procureurs dans la loi est parfaitement inadmissible. Vous aviez à l'origine inscrit ce dispositif parmi ceux que vous comptiez prendre par ordonnance ; désormais vous l'inscrivez directement dans la loi : vous voulez nous en faire porter la responsabilité plutôt que de l'assumer.
Il y a des victimes derrière tout cela. On a demandé à des gens qui ont reçu une convocation à l'audience correctionnelle ou du tribunal de police s'ils entendaient se constituer partie civile : ils ne l'ont pas forcément fait, mais ils entendaient peut-être le faire à l'audience. Ils attendent le procès parce que celui-ci représente une réparation, parce qu'ils veulent voir l'auteur des faits entendu et condamné. Tous ceux-là, vous les méprisez, en arbitrant en faveur d'une simple mesure d'administration, et parce qu'encore une fois – pardonnez ma lourdeur, je continuerai indéfiniment à me répéter – , vous refusez de mettre les moyens pour que notre justice fonctionne. Vous préférez que le législateur interfère dans son fonctionnement. Si cette mesure est adoptée, j'espère très sincèrement que le Conseil constitutionnel la censurera dans des termes fermes, car elle est totalement inadmissible.
Mme Caroline Fiat, M. Loïc Prud'homme et M. Pierre Dharréville applaudissent.
La parole est à M. Paul Christophe, pour soutenir le sous-amendement no 567 .
Il vise à garantir la limitation dans le temps du pouvoir de réorientation dévolu aux procureurs de la République, conformément à l'avis du Conseil d'État publié le 11 mai, qui suggère, en son point 16, « que le pouvoir de réorientation ne puisse s'exercer au-delà du 1er novembre 2020 ».
La parole est à M. Rémy Rebeyrotte, pour soutenir le sous-amendement no 571 .
Je tiens à rassurer tout de suite M. Savignat, qui était d'ailleurs présent hier à la réunion de la commission des lois : ce sous-amendement, signé par de nombreux commissaires aux lois, est issu des recommandations des acteurs présents sur le terrain.
Il vise à maintenir la faculté des procureurs de la République à utiliser l'ensemble des voies procédurales à leur disposition, lorsqu'ils réorienteront une procédure, en application de l'article 40-1 du code de procédure pénale.
Il s'agit de faciliter encore la reprise d'activité des juridictions, dans le cadre du déconfinement, en veillant à la fois à l'intérêt des victimes et au respect des droits de la défense. Le parquet doit conserver toute sa faculté de juger de l'opportunité des poursuites, afin d'estimer les enjeux et l'intérêt de la procédure. Il y va de l'efficacité et de la maniabilité du dispositif, qui vise à rattraper dans les meilleurs délais les retards accumulés dans les juridictions. Faisons confiance aux acteurs de terrain.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
« Oh ! » sur les bancs du groupe LaREM.
La parole est à M. Paul Christophe, pour soutenir le sous-amendement no 569 .
Il vise à sécuriser juridiquement le pouvoir de réorientation dévolu aux procureurs de la République. En effet, étant donné la dérogation au principe de l'indisponibilité de l'action publique que cette disposition sous-tend, il est important d'encadrer juridiquement ce pouvoir exceptionnel en rappelant le respect des principes généraux de conduite de l'action publique, tels que définis à l'article préliminaire du code de procédure pénale. Il s'agit encore une fois d'adapter la mesure à l'avis du Conseil d'État, qui nous invite, dans son point 16, à préciser « les conditions dans lesquelles ce pouvoir de réorientation du procureur s'exercera », la nouvelle appréciation à laquelle il pourra procéder restant « entièrement gouvernée par les principes généraux de conduite de l'action publique ».
La parole est à Mme Perrine Goulet, pour soutenir le sous-amendement no 552 .
Il vise à exclure du dispositif de réorientation certaines atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, celles précisées par les sections 1, 2, 3, 3 bis et 3 ter du chapitre II du titre II du livre II du code pénal. En effet, j'estime que tous les actes relevant de l'agression sexuelle, du harcèlement moral – les atteintes physiques ou psychiques à la personne en général – , doivent être exclus, afin de protéger la victime. Il s'agit de délits touchant à l'intimité et une réorientation peut être difficile à vivre ; il est dans l'intérêt des victimes de ne pas la rendre possible.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement du Gouvernement et sur les sous-amendements ?
La commission est favorable à l'amendement du Gouvernement, qui précise les modalités de la réorientation des procédures pénales.
J'émets un avis défavorable sur les sous-amendements, à l'exception du sous-amendement no 571 , qui prévoit d'inclure le classement sans suite à la palette des solutions de réorientation. Sur ce sous-amendement, je suis partagé : je sais que certaines juridictions risquent l'embolie et qu'il faut leur permettre de traiter les affaires accumulées ; dans le même temps, je m'interroge sur l'opportunité d'accorder un tel pouvoir exceptionnel à des procureurs de la République, ainsi qu'à l'application uniforme de cette disposition à tout le territoire. J'aimerais obtenir quelques garanties propres à nous rassurer – peut-être Mme la garde des sceaux peut-elle les fournir. L'homogénéité serait-elle assurée par une circulaire du ministère ? À ce stade, dans l'attente de nos échanges avec la ministre, sachant que la commission n'a pas émis d'avis, j'exprime un avis de sagesse, émis à titre personnel.
S'agissant de celui de Mme Goulet, visant à exclure les jugements concernant des mineurs, il ne me semble pas être de bonne politique. En effet, ces procédures peuvent concerner des mineurs devenus majeurs ou des dossiers très anciens. Une réorientation est justement susceptible d'apporter des réponses plus rapides, d'autant plus qu'ils concernent des faits qui ne seraient pas jugés avec le même regard aujourd'hui. La réorientation des procédures m'apparaît donc comme une mesure positive, conformément aux principes de la justice des mineurs.
J'en viens aux autres sous-amendements. Monsieur Savignat, vous avez invoqué la Constitution et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Je ne partage pas votre avis. De quoi s'agit-il ? Simplement de redonner du temps à l'audiencement, ce qui est aujourd'hui nécessaire. Ce qui est en jeu, ce ne sont pas les moyens mais le temps d'audience. Au cours d'une réunion que j'ai tenue il y a quelques jours en visioconférence avec les responsables de toutes les juridictions du pays, un procureur général m'a dit : « Le temps d'audience, c'est de l'or en barre. » L'expression, bien qu'un peu familière, est éloquente : il faut trouver du temps d'audience.
Tel est le sens de notre proposition. Je répète qu'il ne s'agit pas seulement de moyens : dégager du temps d'audience suppose aussi de trouver des lieux, des salles. Démultiplier les palais de justice ne serait pas raisonnable.
Notre système judiciaire, formaté pour fonctionner normalement, …
… ne peut traiter durablement une justice en temps de crise. Or, en 2020, nous avons subi deux crises très importantes, ce qui impose de trouver des solutions temporaires exceptionnelles.
Nous proposons par conséquent deux choses très simples. Soit la juridiction de jugement devait statuer pendant cette période de crise et l'audience n'a pas pu se tenir, auquel cas, les dossiers n'ayant pas de juge, il n'est pas anormal que le procureur les reprenne pour les réorienter. Soit la juridiction doit statuer entre ce jour et le 31 décembre 2020, le dossier a donc un juge et le procureur peut réorienter l'affaire, pourvu que le juge du siège soit d'accord. Cet accord est une nouveauté : lorsque nous avons interrogé le Conseil d'État sur une rédaction précédente, la demande d'accord du président du tribunal judiciaire, qui permet de déverrouiller le principe de l'irrévocabilité de la saisine du juge, n'était pas encore prévue.
Voilà pourquoi, pour répondre à M. Christophe, nous pouvons aller un peu plus loin dans le temps que ne l'a suggéré le Conseil d'État lorsqu'il proposait de limiter la procédure au 1er novembre 2020. Ayant ajouté cette garantie supplémentaire qu'est l'accord du juge judiciaire, nous pourrons aller jusqu'au 31 décembre de la même année.
Le Gouvernement est donc défavorable aux sous-amendements nos 551 rectifié , 576 , 549 , 567 , 569 et 552 . Sur le sous-amendement no 571 , soutenu par M. Rebeyrotte, je m'en remets à la sagesse de l'assemblée.
Je l'ai dit : ces dispositions nous inquiètent. Nous avons le sentiment qu'on modifie le droit, le fonctionnement de la justice et finalement les garanties apportées aux femmes et aux hommes qui doivent répondre de leurs actes ou qui attendent réparation. Cela nous paraît dangereux. Le signal que vous envoyez, c'est qu'il faut que ça pulse, qu'il faut faire accélérer la machine : vous proposez qu'on prenne moins de temps que d'habitude et qu'on déroge à la manière dont on envisageait de traiter les affaires afin, comme vous dites, d'en apurer le stock.
Il me semble problématique de raisonner ainsi, d'autant qu'avant que le virus surgisse, tout n'allait pas pour le mieux dans le meilleur des mondes.
De même que l'hôpital, la justice était dans une situation difficile : elle avait du mal à traiter toutes les affaires en cours. Vous donnez l'impression de vouloir tout mélanger, les affaires en retard et celles du moment, afin d'aller le plus vite possible. Est-ce ainsi qu'on garantira les droits des uns et des autres, et qu'on offrira à chacun l'accès à la véritable justice, celle à laquelle chacun a droit, et qui n'est pas une justice d'exception ?
Votre manière de voir les choses n'est pas bonne. Elle nous met en danger, car nous ignorons quelle brèche elle ouvre et quelles leçons vous en tirerez pour l'avenir.
Madame la garde des sceaux, nous vivons certes une crise grave, qui gêne considérablement le fonctionnement de notre pays, mais cette crise qui dure depuis deux mois et demi à trois mois ne vous autorise pas à écarter d'un revers de main la Déclaration des droits de l'homme et la Constitution. C'est en raison de ces deux textes que nous sommes réunis ce soir.
Vous m'avez reproché de les invoquer à l'appui de mon argumentation, mais je ne peux pas en faire abstraction.
En quoi nous en écartons-nous ? De quelle disposition nous écartons-nous ?
De l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme, qui a valeur constitutionnelle. Il interdit au pouvoir législatif d'interférer dans le fonctionnement de la justice, et c'est précisément ce que vous nous proposez de faire !
Non ! Nous n'interférons pas !
Cela dit, je partage l'avis du procureur que vous avez auditionné : il faut du temps d'audience non seulement pour le magistrat mais surtout pour les justiciables. Le problème est que, par votre proposition, vous les priverez de temps d'audience, puisque vous réorienterez les poursuites afin qu'elles n'aillent pas devant les juridictions.
M. Loïc Prud'homme applaudit.
Je rappelle par ailleurs que la justice sait gérer les crises. En voulez-vous un exemple ? Dans la nuit du 1er au 2 janvier 2003, le tribunal de grande instance de Pontoise a brûlé. Le lendemain, nous tenions des audiences dans des bungalows. Huit jours plus tard, le ministère de la justice avait loué des locaux et la juridiction n'a pris aucun retard, parce que le ministère y avait consacré les moyens nécessaires. Il voulait que la justice continue à fonctionner. La volonté était là. J'en reviens à mon éternelle rengaine : tout n'est qu'une question de volonté et de moyens. Il n'y a de problème ; il y a des solutions.
À l'inverse, le sous-amendement no 571 , dont la présidente de la commission des lois est la première signataire, me semble un comble, puisqu'il envisage la possibilité que des affaires soient classées sans suite. Dans ce cas, pourquoi ne pas enlever les roues des voitures des fonctionnaires de police ? Ceux-ci ne pourront plus faire leur travail, plus personne ne sera déféré devant les juridictions et les parquetiers seront tranquilles !
Encore une fois, on ne peut pas dire à des victimes qui ont reçu une convocation devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police : « Finalement, nous sommes revenus sur notre décision. Nous nous étions un peu trompés et, puisque nous n'avons pas les moyens de vous juger, l'affaire a été classée sans suite. » Ce serait une démission totale. Si nous votons cela, nous ne serons plus dans un État de droit.
M. Loïc Prud'homme applaudit.
Au nom du principe de réalité, je ne suis pas choquée que le procureur puisse réorienter des affaires, mais, dans ce cas, il faut aussi que, reprenant le dossier, il ait la possibilité d'opter pour un classement sans suite.
Dès lors que s'applique le principe d'opportunité des poursuites, cela me semble même assez logique.
J'ai été convaincue par l'argumentation de M. Savignat. Veillons aux conséquences de nos décisions. Le Gouvernement semble toujours très sûr de lui. Moi, j'ai été émue quand notre collègue a rappelé que c'étaient des hommes et des femmes que l'on jugeait.
Puis-je évoquer un autre sujet ? Il y a quelque temps, je me battais pour améliorer la situation dans les EHPAD, situation dont vous n'étiez pas responsables quand vous êtes arrivés aux affaires. Quand j'ai demandé davantage de moyens, vous m'avez répondu que l'essentiel était de ne pas laisser de dettes à nos enfants et d'équilibrer le budget de la sécurité sociale pendant le mandat. Le résultat, c'est non seulement que celui-ci est déficitaire, mais que, lorsque survient une crise sanitaire, elle se transforme en hécatombe. Les décisions qui engagent les vies humaines doivent être réfléchies avec sérieux. C'est pourquoi, avant de voter contre l'amendement du Gouvernement nous voterons les sous-amendements qui en limitent la portée.
Sur le sous-amendement no 571 , qui m'inspirait quelques doutes, j'ai posé des questions, mais je n'ai pas obtenu de réponse de nature à me rassurer. En conséquence, à titre personnel, sachant que la commission spéciale ne s'est pas prononcée sur les sous-amendements, j'émets un avis défavorable sur l'ensemble des sous-amendements.
L'amendement no 444 rectifié est adopté.
Prochaine séance, aujourd'hui, à neuf heures :
Suite de la discussion du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.
La séance est levée.
La séance est levée, le vendredi 15 mai, à zéro heure trente.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra