La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Ce matin, l'Assemblée a commencé la discussion des articles de la proposition de loi, s'arrêtant à l'amendement no 93 portant article additionnel avant l'article 3.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 93 .
L'amendement no 93 est retiré.
Corses, Basques, Bretons, Picards : si nous appartenons tous à l'histoire de France, nous sommes aussi les dépositaires de l'histoire d'une province qui, parfois, a eu sa propre langue. Pour moi, il s'agit de la langue picarde et le fait d'être picard et français est une complétion ; ce ne peut être une opposition. Au XIIIe siècle, à l'époque où existait une nation picarde, la langue picarde était fréquemment utilisée par les universitaires. Le picard fait partie intégrante de la richesse culturelle de la France et fut évidemment reconnu comme langue de France en 1999. En outre, ce que nous qualifions d'ancien français est objectivement de l'ancien picard. Le picard possède une orthographe communément acceptée et répandue, et il est très présent en milieu scolaire. Plusieurs méthodes d'enseignement du picard ont déjà été publiées dont celle, en 2013, de l'agence pour le picard.
S'il est indispensable que nous ayons une langue commune – notre si belle langue française – pour que tous les Français puissent se comprendre, nous devons aussi conserver nos langues régionales, qui sont un véritable patrimoine culturel. Les enfants maîtrisant deux langues développent de meilleures capacités cognitives et linguistiques. N'est-ce pas un véritable atout pour l'apprentissage ultérieur de langues étrangères ? J'en suis certaine. Il nous faut donc protéger nos langues régionales, ce qui implique de favoriser leur enseignement à l'école, dès les classes maternelles : c'est l'objet de l'article 3. Un proverbe affirme que la langue est le miroir et le portrait de l'âme. En ce qui me concerne, mon âme est française et picarde à la fois, et j'en suis fière ! –
Applaudissements sur les bancs du groupe LT et sur quelques bancs du groupe LaREM.
Le fait que certains de nos collègues souhaitent absolument un vote conforme ne doit pas nous empêcher de rechercher la rédaction la plus précise possible des différents articles – nous avons déjà eu ce débat à l'occasion de la discussion d'autres amendements.
Nous proposons ici une nouvelle rédaction visant à clarifier l'article 3, d'abord en intégrant ses dispositions au sein de l'article L. 312-11-1 du code de l'éducation qui traite déjà de cette question pour la collectivité de Corse, dans un souci de cohérence et afin d'assurer une meilleure articulation des dispositions du code de l'éducation. Ensuite, il s'agit de simplifier la rédaction de l'article et de préciser expressément le caractère facultatif de l'enseignement des langues régionales prévu dans le cadre de l'horaire normal des établissements scolaires lorsqu'une convention avec l'État est signée. En effet, cela ne ressortait pas clairement de la rédaction proposée. La précision du caractère facultatif met l'article 3 en conformité avec les exigences du Conseil constitutionnel, qui requiert que l'enseignement d'une langue régionale ne soit pas obligatoire.
La parole est à M. Paul Molac, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, pour donner l'avis de la commission.
Votre amendement est bien rédigé, cher collègue, mais il n'apporte pas grand-chose au texte adopté par le Sénat.
Par ailleurs, l'article L. 312-10 du code de l'éducation précise déjà clairement que l'enseignement des langues régionales ne peut pas être obligatoire, à quoi s'ajoute la décision du Conseil constitutionnel. En tant que rédacteur du texte, je me suis pleinement inscrit dans cette logique et puis donc vous rassurer sur ce point.
Je suis donc contraint d'émettre un avis défavorable à votre amendement car vous omettez un élément important : même s'il n'est pas prescriptif, l'article 3 dispose que l'enseignement d'une langue régionale doit être proposé à tous les élèves qui en font la demande. En effet, je ne suis pas favorable au caractère obligatoire de cet enseignement mais je considère que tout élève qui souhaite le suivre doit pouvoir le faire.
Je considère pour ma part que la distinction entre enseignement facultatif et enseignement obligatoire doit être claire et explicite. Nos précédents débats ont démontré qu'il existait parfois une ambiguïté à ce sujet. Or il est nécessaire de préciser à l'article 3 que l'enseignement des langues régionales est facultatif. À moins de considérer que chaque article doit absolument demeurer identique – auquel cas la discussion perd une partie de son intérêt – , il faut améliorer le texte, en l'occurrence en précisant que cet enseignement est facultatif. Avis favorable.
Je voudrais révéler la supercherie à laquelle nous assistons : le Gouvernement ne veut pas que le texte soit adopté conforme et souhaite le renvoyer aux calendes grecques, alors qu'il est soutenu par une grande majorité de députés. On voit même se nouer des alliances contre-nature avec le groupe La France insoumise !
Sourires sur les bancs de la commission. – Exclamations sur les bancs du groupe FI.
Quoi qu'il en soit, au sein du groupe Les Républicains, nous voterons comme un seul homme pour que le texte auquel nous tenons soit adopté conforme !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR ; M. Didier Le Gac applaudit également.
L'amendement no 270 n'est pas adopté.
« Ah ! Tant mieux ! » sur les bancs du groupe LR.
Il est évident, comme vient de l'indiquer M. le rapporteur, qu'il ne faut pas rendre obligatoire l'enseignement de nos belles langues régionales, mais il existe une différence entre le fait de le rendre obligatoire et celui de permettre à l'ensemble des élèves d'y avoir accès. Or il nous reste une importante marge de progrès dans ce domaine, raison pour laquelle nous considérons qu'il est pertinent de préciser que les politiques publiques doivent permettre à l'ensemble des élèves d'avoir accès à cet enseignement. Nous sommes néanmoins attachés, comme l'a excellemment indiqué notre collègue Ravier, à un vote conforme, ce qui me conduira à retirer mon amendement.
« Très bien ! » sur les bancs du groupe LR.
Les amendements nos 180 de Mme Laurence Trastour-Isnart et 215 de Mme Emmanuelle Ménard sont défendus.
Ces amendements concernent la collectivité européenne d'Alsace, dont le statut prévoit qu'elle est compétente en matière de langues régionales. Ils sont donc satisfaits, raison pour laquelle j'émets un avis défavorable.
L'amendement no 124 est retiré.
Les richesses culturelles que nous évoquons depuis ce matin, l'identité de nos territoires et le legs de nos aïeux sont importants pour tous. Certaines régions ont des identités culturelles beaucoup plus affirmées que d'autres, mais tous les territoires de notre pays cherchent aujourd'hui à capitaliser sur leur identité tant culturelle que patrimoniale. Il s'agit d'un mouvement très important. Certains territoires pourraient estimer qu'ils sont laissés de côté par ce texte, qu'ils pourraient juger restrictif. C'est pourquoi le présent amendement propose d'ouvrir la possibilité d'un enseignement de langue régionale à toutes les collectivités qui en feraient la demande.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 96 .
Il vise le même objectif que celui de M. Di Filippo. Il est possible que d'autres collectivités, au-delà de celles qui disposent d'un statut particulier, souhaitent proposer l'enseignement d'une langue régionale. Je souhaite que celles qui en font la demande en aient la possibilité.
Ces amendements sont déjà satisfaits dans le cadre des conventions régionales passées avec l'éducation nationale. L'exemple du Pays basque, qui ne couvre que la moitié d'un département, l'illustre : le PETR – pôle d'équilibre territorial et rural – est signataire de la convention, de même que le département des Pyrénées-Atlantiques et, bien sûr, la région Nouvelle-Aquitaine. Les choses se faisant de façon très naturelle, il n'est pas nécessaire d'ajouter la mention proposée dans le texte. Je vous invite donc à retirer les amendements.
Il y aurait une certaine logique à suivre les amendements proposés : pourquoi défavoriser certaines régions par rapport à d'autres ? Nous avons entendu tout à l'heure que la Picardie souhaitait – à juste titre – que sa langue régionale soit considérée comme les autres. Je ne vois pas pourquoi il faudrait fermer le champ de l'article 3 ; c'est une bonne idée de l'ouvrir. J'émets donc un avis favorable à ces amendements.
Sourires
il aurait fallu me pincer pour que j'y croie ! Je suis maintenant très partagé, car je sens la pression du soutien ministériel sur mes épaules. Mais sur le fond, j'ai bien entendu M. le rapporteur m'assurer – et je prends la parole pour que cela figure au compte rendu – que n'importe quel territoire ou collectivité qui en ferait la demande et signerait une convention pourrait être concerné par l'article 3. Entre mon collègue député et le ministre, ma confiance ira au rapporteur : je retire mon amendement !
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LR et UDI-I.
Non, au vu des assurances données par M. le rapporteur, je le retire également.
Il porte sur un sujet que nous avons déjà abordé, monsieur le ministre : au-delà des langues, il y a les cultures. Je suis frappé de constater que l'on enseigne souvent beaucoup de choses aux jeunes enfants, par exemple l'évolution du climat dans le sud-est asiatique, mais pas ce qui se passe au plus près de chez eux ! Pourtant la patrie n'est pas une extrapolation ou une abstraction : c'est une série de petites patries agglomérées. Il me semble donc important que les petits Bretons sachent ce que fut le combat des Trente et qui était Anne de Bretagne. Il faut aussi qu'ils sachent qu'il existait avant la Révolution française des États de Bretagne, qui devaient lever l'impôt en vertu du traité de 1532, …
… et qu'en arrivant à Paris en 1789 les députés bretons se sont rassemblés et ont créé ce qui allait devenir le club des Jacobins !
Ils doivent savoir tout cela car l'histoire est un élément d'appropriation. Fait notable, il est fréquent, comme vous pourriez le constater en venant chez nous, que ceux qui rejoignent les écoles de type Diwan ne soient pas d'origine bretonne, il arrive même qu'ils soient d'origine étrangère : ils veulent s'insérer, s'investir et découvrir et il faut le leur permettre. Je sais bien que tel n'est pas le sujet du texte
Murmures sur les bancs du groupe LaREM
mais nous sommes aussi ici pour préparer la suite, mes chers collègues. Nous anticipons, …
… notamment en vue d'un prochain mandat. Pourriez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, où nous en sommes en matière d'enseignement de la culture locale, si important pour que chaque enfant sache où il est, d'où il vient, qui l'a précédé, …
… bref, en quelque sorte, de qui il peut être fier ? C'est un élément d'appropriation qui me semble essentiel.
Les langues régionales sont indissociables de la question de la culture régionale, comme vient de le souligner notre collègue Le Fur. Et en ce domaine aussi, il y a d'importantes marges de progression. Ce matin, à plusieurs reprises, nous avons eu l'impression que certains opposaient enseignement immersif des langues et transmission de la connaissance de la langue française. Nous savons que ce n'est pas pertinent : nous sommes nombreux à pouvoir attester que dans les écoles pratiquant l'enseignement immersif, l'apprentissage va doublement dans le bon sens puisque les enfants bénéficient à la fois d'une excellente acquisition des savoirs et des connaissances et d'une ouverture à l'autre, grâce à la richesse culturelle que représente la langue.
À travers ces amendements, nous tenons une nouvelle fois à insister sur cet aspect. Très souvent, nous sentons l'éducation nationale en retrait quand il s'agit d'intégrer cette dimension culturelle. Nous souhaitons aller au-delà du seul enseignement de la langue. M. Le Fur a cité des exemples pour la Bretagne, je pourrais en faire de même pour l'Alsace. Nous souhaiterions par exemple que la culture rhénane, …
… qui fait pleinement partie de notre héritage, soit prise en compte. Négliger cette dimension, ce n'est pas rendre service à la nation.
Les arguments développés par nos collègues Le Fur et Hetzel valent au-delà de la Bretagne et de l'Alsace. La langue est productrice de culture mais elle est également le produit d'une culture et il serait important de faire figurer cette dimension dans le texte.
Mes collègues ont très bien défendu leurs amendements identiques mais je tiens à mentionner la culture provençale, à laquelle ma collègue Trastour-Isnart et moi-même sommes très attachés et dont il n'a pas été beaucoup question jusqu'à présent. Nous le sommes d'autant plus que cette tradition provençale se perd. Dans les écoles de la région, à Marseille notamment, pas un seul enfant n'est capable de chanter le refrain de la Coupo Santo, l'hymne provençal.
Cette culture régionale est le symbole d'une histoire et il serait grand temps de réhabiliter ces identités.
L'amendement no 217 de Mme Emmanuelle Ménard est défendu.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements identiques ?
Je comprends très bien vos préoccupations, chers collègues. La France compte une grande diversité de territoires, de paysages et de cultures et ses régions se complètent tout en étant différentes.
La règle veut que les enseignants partent de ce que connaissent les élèves pour ensuite ouvrir les perspectives au-delà du local – moi qui ai été enseignant pendant plusieurs d'années, c'est toujours ainsi que j'ai procédé. C'est d'ailleurs ce que préconisent les circulaires de l'éducation nationale.
Notre proposition de loi a un format forcément limité et vos propositions visant à mentionner la dimension culturelle de la langue, si intéressantes soient-elles, dépassent son cadre. Je vais donc donner un avis défavorable. Vous savez tous du reste que notre souhait est que les articles soient adoptés conformes.
Vous allez trouver cela peut-être un peu paradoxal mais sur certains sujets, je suis plus molaquiste que M. Molac et plus filippiste que M. Di Filippo, …
… peut-être parce que je défends parfois les langues régionales encore plus qu'eux. En l'occurrence, vous avez raison d'insister, les uns et les autres, sur le fait que la culture est indissociable de la langue. On pourrait répliquer que c'est implicite, ce qui est le cas dans certaines parties du code de l'éducation, mais sur ce sujet, comme pour le caractère facultatif plutôt qu'obligatoire, je pense qu'il faut être explicite. C'est pourquoi j'émettrai un avis favorable.
Vous proposez de remplacer le mot « proposer » par le mot « favoriser ». Je pense que nous pourrions nous passer de telles préoccupations sémantiques. Je vous demanderai de bien vouloir le retirer, madame Ménard.
La parole est à M. Christophe Euzet, pour soutenir l'amendement no 303 .
Monsieur le ministre, je me réjouis de votre réponse sur la culture. Elle est intéressante même si elle est sans effet sur le présent texte. Nous prenons toutefois date.
Ayant à l'esprit l'oeuvre de la grande Simone Weil, j'ai la conviction que nous devons réapprendre la culture de l'enracinement, car il permet de se situer dans le temps et dans l'espace, de sentir que l'on n'est pas simplement un atome parmi d'autres mais que l'on a une histoire, une culture, une langue. Tout cela, nous devons le réaffirmer comme une chance d'autant plus nécessaire dans une société moderne et mondialisée.
Les régions les plus performantes en Europe, quelles sont-elles, mes chers collègues ? Ce sont les plus identifiées : la Catalogne, la Bavière…
… et certaines régions de notre territoire comme l'Alsace. Être doté d'une personnalité forte est une chance dans la mondialisation, une occasion aussi d'aller loin, d'entrer en contact avec les autres – mais à partir de ce que l'on est.
Rendez-vous est donc pris, monsieur le ministre. Je retiens pour les textes à venir votre intérêt pour les dispositions concernant la culture régionale.
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir insisté sur le fait que vous êtes sensible à cette dimension culturelle. Je vais retirer mon amendement.
La langue, soulignons-le, ne se réduit pas à la grammaire et au vocabulaire ; elle est aussi l'expression d'une identité culturelle. Il convient de préciser que langue et culture sont intimement liées.
Je ne reviendrai pas sur cet amendement similiaire aux précédents, mais je soulignerai qu'il serait bon, au-delà des écoles pratiquant l'enseignement immersif en langue régionale, que toutes les écoles de France comptent dans leurs programmes une partie dédiée à nos identités régionales. Cela vaudrait la peine d'y réfléchir.
Je souscris bien sûr à ce qui vient d'être dit. Les langues régionales sont toujours porteuses d'une histoire et d'une culture. Ce qui contribue à créer un sentiment de communauté, au niveau local comme au niveau national…
… c'est le fait à un moment donné de partager une culture. Il nous paraît important que la culture de nos territoires soit enseignée en même temps que la langue, car dans beaucoup d'endroits elle a perdu du terrain.
Il faut savoir que les programmes scolaires relèvent du domaine règlementaire et dépendent du ministère de l'éducation.
Si M. le ministre veut prendre l'engagement de réfléchir à la manière dont les cultures régionales pourraient être enseignées, j'adhérerai bien sûr à sa démarche. Peut-être va-t-il d'ailleurs nous l'annoncer.
Sinon, mon avis est défavorable sur ces amendements : ce n'est pas l'objet de la loi, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire deux fois déjà.
Quel est l'avis du Gouvernement sur ces amendements en discussion commune ?
Défavorable. Je ne sais pas trop quelle est la nature de cette discussion puisque les amendements sont retirés les uns après les autres après avoir été discutés.
Sourires.
Le champ du débat s'élargit et je ne voudrais pas être trop long sur des sujets qui méritent des approfondissements et qui ne relèvent pas forcément du domaine législatif, comme vient de le souligner le rapporteur.
Ne faisons pas toutefois comme si nous partions de zéro. Il existe des adaptations locales, en particulier en outre-mer, et nous examinons toujours d'un oeil favorable les projets, souvent élaborés en relation avec les collectivités locales, portant sur le patrimoine matériel et immatériel d'un territoire donné. Cela nous paraît être une chose tout à fait normale qu'il en existe et personne ne s'y oppose.
Il est important d'insister sur la valorisation du patrimoine et nous prenons de plus en plus d'initiatives qui vont dans le sens des actions menées par la mission Patrimoine de Stéphane Bern afin que les élèves prennent part à des projets leur permettant de découvrir le patrimoine à côté de chez eux. C'est même un aspect que nous avons développé dans le cadre des vacances apprenantes. Il y a un consensus, me semble-t-il, sur le fait qu'il est nécessaire de découvrir ce qui nous environne et d'en connaître l'histoire. Bien évidemment, cela ne doit pas se faire au détriment du caractère national des programmes et d'une vision universelle de l'homme, tout le monde en sera d'accord. Ne perdons pas de vue l'universel même s'il s'agit de partir du particulier.
Je n'ai pas participé au débat jusque-là, le sachant en bonnes mains. Je suis un partisan du multilinguisme : c'est un fait qu'aujourd'hui, c'est une façon de résister à un phénomène tout à fait nouveau dans l'histoire, l'uniformisation de l'humanité, de ses langues, de ses cultures, de ses façons de se vêtir et de se nourrir. L'intuition suggère que plus les individus sont nombreux, plus ils ont tendance à l'uniformité, mais c'est le contraire qu'on a observé tout au long de l'histoire : plus les individus ont été nombreux, plus ils se sont différenciés les uns des autres. Toutefois, un retournement s'est produit, il faut en avoir conscience, et ce nivellement est une perte pour toute l'humanité, qui est venu contrebattre les illusions des tenants d'un universalisme un peu abstrait.
Cela étant posé, il va de soi que cette prise de conscience passe par l'accomplissement des principes auxquels nous croyons, celui de l'unité nationale, que personne ne remet ici en cause, celui du service public de l'éducation ainsi que de la diffusion de la connaissance des cultures dans toutes les langues, mon cher Marc Le Fur. Vous avez eu raison de rappeler le rôle joué par les Bretons dans le meilleur moment de la Révolution, la formation du club des Jacobins, qui leur est entièrement imputable, mais je considère que la connaissance de l'histoire profonde de la Bretagne, jusqu'à la Bretagne rouge qui a mon adhésion pleine et entière, intéresse toute la patrie et pas seulement les Bretons.
Cependant, je ne puis m'empêcher d'esquisser un sourire amusé devant votre ferveur multiculturaliste, vous qui passez habituellement votre temps à expliquer que c'est la pire damnation qui puisse arriver à notre pays dès lors qu'il s'agit de certaines cultures.
Exclamations sur divers bancs.
N'étant pas breton mais franc-comtois d'adhésion et de bien d'autres régions, ayant été élu du grand Sud-Ouest, puis du Sud-Est…
Exclamations sur divers bancs.
Ne criez pas, j'ai bien le droit de prononcer quelques mots piquants !
En tant que multiculturalistes, admettez que le Maghrébin européen que je suis, …
… étant né à Tanger, vous dise que de fort belles langues sont couramment parlées par des millions de personnes en France et que j'apprécierais que, le moment venu, vous manifestiez la même tendresse vis-à-vis de l'arabe ou de l'amazigh que vous le faites pour tant de langues aujourd'hui ! J'espère que vous le ferez ; cela rendra certains d'entre vous plus tolérants.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Frédéric Mistral, poète provençal, disait que « les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut ». Par conséquent, on ne peut être universaliste que parce qu'on sait d'où l'on vient ; c'est parce qu'on est avant tout italien ou français et, en France, breton ou provençal, que l'on peut aller vers l'autre et vers l'universel. Telle est la seule conception de l'universalisme que j'admets. Le ministre a tenu, de ce point de vue, des propos très sensés, bien plus sensés d'ailleurs que les vôtres, monsieur Mélenchon.
Il existe tout de même une différence entre les cultures bretonne, provençale ou basque et une culture étrangère : les cultures locales et régionales sont celles qui ont construit la France, alors que les cultures étrangères, par définition, sont exogènes de la culture nationale.
« Non ! » sur les bancs du groupe LaREM.
Vous semblez faire l'impasse sur l'unité et la culture nationales. Je vois des collègues du groupe La République en marche faire des signes de dénégation. Je vous rappelle toutefois que le Président de la République, lors de la campagne présidentielle, avait déclaré qu'il n'existait pas de culture nationale ! Je remercie donc M. le ministre de reconnaître les cultures régionales ; il ne reste plus désormais qu'à faire accepter au Président de la République l'existence d'une culture française et d'une culture nationale. Il faudrait commencer par supprimer le bilinguisme franco-anglais de nos cartes nationales d'identité !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Je veux simplement rappeler pourquoi cet amendement, comme les autres précédemment, n'a pas lieu d'être adopté, l'objectif étant de parvenir à un vote conforme.
L'article 3, réintroduit par le Sénat, propose d'élargir ce qui se fait déjà dans la collectivité de Corse, à savoir l'inscription des langues régionales dans le cadre horaire normal d'enseignement.
Je veux aussi rassurer nos collègues sur le fait que cet article suppose, en amont, un accord entre l'État et les régions concernées. Certains d'entre vous, qui n'ont malheureusement pas la chance de faire l'expérience d'une identité vivante à travers une langue régionale, ont exprimé des craintes à ce sujet. Je rappelle donc les principes de l'article : un enseignement des langues régionales inscrit dans le cadre horaire normal, moyennant un accord entre l'État et les régions ; surtout, il s'agit d'une option facultative qu'in fine, les familles décident ou non de prendre.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
L'amendement no 39 est retiré.
L'amendement no 160 n'est pas adopté.
La parole est à M. Fabien Di Filippo, pour soutenir l'amendement no 162 et peut-être les amendements suivants nos 156, 157, 159 et 158 par la même occasion ?
Je ne préfère pas. Je veux d'abord souligner le fossé profond qui existe entre ces amendements et les propos de M. Mélenchon qui fait l'amalgame entre les cultures déracinées et les cultures enracinées que nous cherchons à promouvoir à travers la proposition de loi
M. Bastien Lachaud sourit
Et celui qui vous le dit connaît bien cette question, pour avoir un grand-père paternel de nationalité étrangère, un père adoptif d'une autre nationalité et des grands-parents maternels qui étaient dialectophones. J'ai baigné dans différentes cultures ; c'est un enrichissement.
Mais aujourd'hui, nous souhaitons promouvoir avant tout des enseignements culturels qui permettent de faire des citoyens des personnes enracinées, fières de leur culture, de leurs origines, de leur territoire et de leur donner ainsi des leviers pour les développer et les faire vivre. Telle est la toile de fond de nos travaux.
Je ferai une demande de retrait. Les amendements que vous proposez ensuite, visant à fixer des dotations horaires par semaine, relèvent du domaine réglementaire et sont du ressort du ministère. Je ne vois pas comment nous pourrions déterminer le nombre d'heures nécessaires à l'apprentissage d'une langue ; cela dépasse largement nos compétences. La loi peut disposer que les langues régionales doivent être enseignées ; il revient ensuite au pouvoir exécutif, en partenariat avec les enseignants et les parents d'élèves, d'en préciser les modalités.
J'ai apprécié vos réponses sur la culture régionale, monsieur le ministre. Cependant, l'une des difficultés, que révèle clairement l'amendement de notre collègue Di Filippo, réside dans l'application sur le terrain des principes que nous sommes sur le point d'adopter – ce qui constitue en soi un vrai progrès.
Cela implique plusieurs choses : d'abord, que vous donniez des instructions concrètes – mais je n'ai pas de raison d'en douter ; ensuite, que les recteurs opèrent un véritable suivi, ce sur quoi je suis plus inquiet.
La convention qui doit être signée entre la région Bretagne et l'État sur l'enseignement des langues régionales constitue un sujet brûlant. Nous nous sommes rassemblés à Quimper avec 5 000 personnes : Paul Molac s'y est exprimé en breton, Yannick Kerlogot et moi-même nous sommes exprimés en français et en breton.
Cinq mille personnes : c'est dire que la proposition de loi que nous allons adopter, et sa traduction concrète, revêt une grande importance pour toutes ces personnes. Or j'aimerais que les recteurs se mobilisent, mais je reste inquiet. Le recteur de notre académie est, hélas, occupé ailleurs : il vient de publier un livre avec le candidat à la présidence de la région, qui s'apparente à un livre de promotion à l'occasion des élections. J'ai du mal à comprendre cette nouvelle mode qui conduit des recteurs à participer de façon aussi explicite à des campagnes électorales…
Cela n'existait pas autrefois. On m'avait bien dit que le monde changeait mais je n'avais pas pris conscience de changements si rapides. Quoi qu'il en soit, ce que je souhaite, monsieur le ministre, c'est que vous donniez des instructions précises pour que la loi que nous voterons se traduise très concrètement en mesures explicites sur le plan des horaires, pour reprendre l'objectif de l'amendement de notre collègue Di Filippo.
Je vais retirer l'amendement no 162 , mais je voulais laisser la possibilité à mes collègues de s'exprimer.
Protestations sur divers bancs.
Laissez-moi parler maintenant, cela servira de défense des quatre amendements suivants et nous économiserons du temps.
Vous évoquez les dotations horaires pour ces enseignements mais sur le terrain, on nous alerte sur le fait qu'elles ne s'appliquent pas : elles ne sont pas valorisées, parfois pas utilisées, voire supprimées. Voilà la réalité. J'entends que la question des horaires peut se régler par décret, et c'est pourquoi je vais retirer les quatre autres amendements. Mais je voudrais que nous puissions contrôler l'application effective dans les écoles de ce que nous décidons.
Sur l'ensemble de la proposition de loi, je suis saisie par le groupe Les Républicains, ainsi que par le groupe Libertés et territoires, d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
L'article 3 est adopté.
Très brièvement et avant de le retirer, je voudrais profiter de ma dernière prise de parole pour rappeler notre attachement aux langues régionales, qui font partie intégrante de notre identité de Français, de notre relation charnelle à nos régions et de nos racines.
Vivent nos langues régionales, vivent nos cultures régionales qui sont si importantes – nous ne les oublions pas, même si nous avons retiré nos amendements pour parvenir à un vote conforme – et j'ajouterai, à titre personnel, vive l'occitan ! « Aquì es Besièrs » !
L'amendement no 87 est retiré.
La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l'amendement identique no 149 .
L'amendement no 149 est retiré.
L'amendement no 112 est retiré.
Nous sommes heureux que grâce à Paul Molac et au groupe Libertés et territoires, ce débat parfois animé et parfois tendu ait pu avoir lieu, et heureux qu'au-delà de notre bain culturel commun – qui constitue une richesse – se soient révélées tant de racines plongeant dans la diversité des territoires.
Nous nous trouvons désormais face à un choix : voulons-nous, ou non, sauver cette diversité qui nous vient de l'histoire ? Voulons-nous sauvegarder ce que nos anciens nous ont transmis au cours du temps ? Allons-nous laisser le rouleau compresseur de l'uniformité écraser tout ce qui s'écarte de la culture mondialisée ?
Les langues ne s'excluent pas ; elles se complètent et se confortent. Personne ne songerait à minimiser le français. La question n'est pas là, mais bien de savoir si l'heure est venue ou non de reconnaître la diversité culturelle et historique de la France et de donner à des langues gravement menacées de disparition les moyens de leur promotion : notre réponse est oui !
Applaudissements sur les bancs du groupe LT. – M. Didier Le Gac applaudit également.
Je vais rompre le bel unanimisme ambiant quant au vote de la proposition de loi. Aujourd'hui est un triste jour pour l'éducation nationale et l'enseignement public des langues
Exclamations et huées sur les bancs des groupes LaREM et LR.
Sous couvert de la préservation des langues régionales, notre Assemblée s'apprête à voter un nouveau recul grave de l'école publique. Vous vous apprêtez en effet à approuver un transfert massif d'argent public dans les caisses des écoles privées et à subventionner largement, avec l'impôt de tous les Français, l'aggravation de la ségrégation sociale, le séparatisme scolaire, l'exclusion sociale et le contournement de la carte scolaire !
La défense des langues régionales a bon dos ! Par cette proposition de loi, vous donnez aux riches un moyen supplémentaire de déserter l'école publique, de la laisser mourir à petit feu en n'y envoyant plus leurs enfants ; ceux qui s'y retrouvent sont les plus défavorisés.
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Vous êtes en train d'aggraver les ghettos scolaires. De surcroît, vous voulez que l'argent public subventionne et encourage cet état de fait.
L'élargissement de la loi dite Carle – tendant à garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées – est un vrai scandale. En 2014, d'après les chiffres de la Cour des comptes, le forfait communal moyen était estimé à 550 euros par élève. Cette loi représenterait un coût estimé à 16 millions d'euros pour les collectivités locales. Le forfait est identique pour tous les élèves, empêchant une commune de verser davantage aux écoles qui accueillent les élèves les plus défavorisés ; les mêmes sommes sont affectées aux écoles privées alors qu'aucune contrepartie ne leur est imposée, notamment en matière de mixité scolaire.
L'école a deux vitesses est déjà une réalité ; bientôt elle sera encore plus encouragée, en toute bonne conscience, au nom de la protection du patrimoine linguistique et de la diversité culturelle. Qui pourrait être contre l'apprentissage des langues, contre la protection du patrimoine culturel ? Personne ici.
En revanche, je suis contre l'organisation de la ghettoïsation scolaire : d'un côté, les établissements publics des centres-villes où il faut être riche pour habiter dans la sectorisation – ségrégation scolaire de fait, les enfants qui fréquentent ces établissements dotés de moyens étant issus des classes sociales favorisées ; de l'autre, les écoles publiques pour les pauvres, qui connaissent tout le contraire.
En Seine-Saint-Denis, la fédération des conseils de parents d'élèves a estimé que les élèves du département perdaient en moyenne 20 % d'heures de cours, faute de professeurs remplacés ; ceci explique que des familles souhaitent organiser le départ de leurs enfants vers l'école privée. Et plutôt que de chercher à résoudre le problème, vous l'aggravez ! Vous voulez inciter davantage de familles à déserter le public au profit du privé. Au lieu de renforcer l'école publique et de veiller à ce qu'elle propose un enseignement des langues régionales, vous voulez fermer les écoles publiques des villages, désertées au profit d'écoles privées. Vous organisez ainsi la marchandisation de l'apprentissage des langues régionales.
Nous aurions évidemment voté des deux mains un texte qui protégerait les langues régionales et organiserait leur apprentissage dans le cadre de l'éducation nationale. Mais nous refusons catégoriquement de participer au dépouillement de l'école publique de ses moyens. C'est pourquoi nous voterons contre la proposition de loi.
La promotion des langues régionales, telle qu'elle vient d'être défendue, oui ! Toutefois, le régionalisme identitaire avec lequel n'ont cessé de flirter plusieurs de nos collègues…
… peut légitimement nous préoccuper, voire conduire certains à voter contre ce texte. En effet, ce dernier frôle la ligne jaune à deux reprises, d'abord s'agissant de l'équilibre pédagogique entre l'enseignement du français et celui des langues régionales, ensuite s'agissant du financement obligatoire de l'enseignement des langues régionales par les communes. De fait, la liberté de vote prévaudra dans le groupe communiste. Ayant pris la parole au nom de mon groupe pendant ce débat, je tiens à indiquer que pour ma part, dans le respect de la diversité non pas des langues, mais des personnes, et dans le respect du combat honnête conduit par Paul Molac, je m'abstiendrai.
« Bravo ! » sur quelques bancs du groupe LR.
Nous arrivons au terme de l'examen d'une proposition de loi dont nous avons rappelé ce matin l'intérêt et l'importance. Notre groupe l'avait adoptée en première lecture, manifestant son attachement aux langues régionales et à leur reconnaissance en tant qu'éléments majeurs de la culture nationale. En première lecture, toutefois, le texte ne comportait pas les articles 2 ter et 2 quinquies, introduits ultérieurement par le Sénat, traitant de l'enseignement immersif et de la participation financière à cet enseignement. Nous avons émis des réserves, ce matin, sur ces deux articles, dont l'adoption ne serait pas neutre – rappelons que l'article 2 quinquies remet en cause le principe fondamental du financement de l'école privée. C'est donc avec regret que le groupe La République en marche appellera à voter contre la proposition de loi.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Je le regrette d'autant plus qu'à l'occasion de la nouvelle lecture, nous avons introduit une avancée majeure pour les langues mahoraises, alors que les langues ultramarines sont trop souvent omises dans nos débats.
Nous avons fait du bon travail, et nous avons progressé. Nous nous sommes montrés fidèles aux engagements constitutionnels pris en 2008 quand, pour la première fois dans l'histoire de la France, les langues régionales ont été reconnues, dans la constitution de la Ve République. Une étape avait alors été franchie. Les langues régionales ne sont pas un problème ; elles sont une chance !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
Elles ne sont ni une difficulté, ni une menace, mais des alliées pour l'unité nationale.
Oui, elles sont une richesse aussi précieuse que fragile.
Il fallait transformer l'essai de 2008. Certes, nous attendons toujours une avancée– je l'ai dit à titre personnel – : l'adoption de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. De nombreux pays européens ont franchi ce pas, mais pas le nôtre – ce sera pour les années à venir. Quoi qu'il en soit, la proposition de loi comporte des avancées objectives. Premièrement, les langues régionales seront enseignées durant les horaires normaux d'éducation, sans plus être renvoyées à la pause déjeuner ou à l'issue des cours. Elles feront partie du programme, pour ceux qui en auront fait le choix – sans obliger personne. Deuxièmement, une méthode pédagogique qui a fait ses preuves, l'immersion, est validée officiellement. Elle permet d'apprendre une langue régionale – en particulier le breton – tout en respectant l'apprentissage du français. Nous y sommes très attachés en Bretagne, plus encore que d'autres régions car, à la différence des Catalans, des Basques ou des Alsaciens, nous n'avons pas la chance d'être adossés à une grande langue parlée à proximité ; nos cousins celtes sont loin !
Aussi avons-nous encore plus besoin que d'autres d'un enseignement de notre langue régionale à l'école. La méthode de l'immersion présente un grand intérêt à cet égard, et je me réjouis qu'elle ait été validée.
Nous avons aussi validé le principe du financement de l'enseignement des langues régionales ; car il y a la liberté abstraite, mais il y a aussi la liberté réelle – en l'occurrence, nous faisons de l'enseignement des langues régionales une liberté réelle. Désormais, des financements interviendront quel que soit le choix des parents : école publique, école privée confessionnelle ou établissement associatif – le mouvement associatif ayant tant fait en Bretagne et en Alsace, avec les réseaux Diwan et ABCM. Nous avons donc progressé.
Je note également, monsieur le ministre, que vos propos sont encourageants à deux égards. En matière de culture, tout d'abord, vous admettez que les jeunes doivent recevoir des éléments d'information sur l'histoire et la géographie locales ; l'enracinement, ça compte ! Ensuite, j'ai bien noté vos propos relatifs aux options au baccalauréat. Il serait souhaitable que les jeunes qui ne sont pas nécessairement les plus militants, qui n'ont pas suivi un enseignement bilingue mais qui sont attachés à leur langue régionale, puissent le manifester au baccalauréat et obtenir quelques points récompensant leur travail. C'est peu de chose mais croyez-moi, monsieur le ministre, si vous y consentez, nous vous en saurons gré ! J'ai parfois la dent dure, mais je sais reconnaître les efforts.
Il restera beaucoup à faire. En Bretagne, nous sommes très sensibles à l'emploi du tilde dans les noms inscrits à l'état civil. Là encore, c'est peu de chose, me direz-vous, mais ne sommes-nous pas capables de changer sinon une virgule, du moins un tilde, pour permettre aux parents d'inscrire à l'état-civil le prénom de leur choix pour leur enfant ?
On a compris, monsieur Le Fur, vous êtes favorable au texte. Ça fait cinq minutes !
Cela vaut pour les petits Fañch – une affaire de cette nature a fait du bruit à Quimper et a suscité une grande mobilisation, mais il y a bien d'autres petits Fañch. C'est peu de chose, un tilde, ce n'est pas révolutionnaire ! Cela existait en ancien français et existe dans d'autres langues européennes. Pourquoi ne l'emploierions-nous pas ?
D'autres progrès devront survenir, en particulier en matière de signalisation routière : celle-ci a grandement évolué sur les routes départementales, mais pas encore sur les routes nationales. Il est pourtant légitime d'indiquer les noms de lieu dans la langue de la région traversée.
Enfin, il faudra progresser en matière de représentation des langues régionales dans les médias. Tous les médias ne relèvent certes pas directement de l'autorité des pouvoirs publics, mais nous devons avancer, notamment en dispensant les informations dans la langue régionale.
Quoi qu'il en soit, même si de grands chantiers nous attendent, cette proposition de loi nous fait progresser. Vivent nos langues régionales ; elles sont belles et méritent qu'on se batte pour elles !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Notre groupe votera sans doute en majorité ce texte, comme il l'a fait lors des étapes antérieures.
Applaudissements sur divers bancs.
Chacun est toutefois libre de son vote, et certains se prononceront sans doute contre le texte – divergence assez inhabituelle pour notre famille politique. Nous avons souligné, dans la discussion générale, que le texte comportait des avancées intéressantes pour les langues régionales, en particulier dans son article 2 quater, en faveur de Mayotte, et dans son article 3. Malgré tout, des interrogations et des avis divergents se sont exprimés sur des points importants, qui méritaient d'être discutés, comme la libre administration des communes – c'est heureux pour la cohésion qui est toujours nécessaire concernant de tels sujets.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.
À ce moment historique pour la Ve République – cette République qui nous unit aujourd'hui – , j'ai le sentiment que nous réparons quelque peu l'histoire ; nous réparons l'humiliation de nombreux enfants sur les bancs de l'école, et la honte de leurs parents de parler une langue régionale – autant de raisons qui ont largement conduit à la disparition de ces langues. Mais il n'était pas trop tard, et cette proposition de loi en faveur des langues régionales constitue même une priorité. Le groupe des députés Socialistes et apparentés la votera, dans la version conforme à celle du Sénat.
Applaudissements sur divers bancs.
Nous voyons cette proposition de loi d'un très bon oeil et, sans préjuger du résultat du vote, je tiens à exprimer ma gratitude et à adresser mes félicitations à Paul Molac – gratitude d'avoir introduit ce débat dans l'hémicycle, félicitations pour l'acharnement et l'abnégation avec lesquels il a défendu le texte. L'objectif était de faire progresser le statut des langues régionales en France, et le texte l'atteint à de nombreux égards – cela vient d'être rappelé. Paul Molac a souhaité que nous adoptions un texte conforme à celui du Sénat, afin que nous puissions clore la procédure.
Bien que nous soyons favorables à l'adoption du texte, j'exprimerai certaines réserves. Je ne suis pas certain, cher Paul Molac, qu'un enseignement immersif sans limitation ni quota, qui ne réserverait pas dix heures hebdomadaires à l'apprentissage du français dans les heures normales d'enseignement, passe l'écueil du contrôle de constitutionnalité.
Je ne suis pas certain non plus que de telles dispositions soient conformes à l'article 2 de la Constitution, selon lequel la langue de la République est le français.
J'émets le même doute quant au caractère obligatoire de la prise en charge, par les communes, des enseignements dispensés dans des écoles privées à l'extérieur de la municipalité : il va à l'encontre du principe de libre administration dont bénéficient les collectivités territoriales en vertu de l'article 72 de la Constitution. La disposition introduite par la proposition de loi ne laisserait plus aux collectivités la liberté de déterminer leur niveau de participation au financement d'établissements scolaires situés en dehors de la municipalité. Je crains donc qu'à trop vouloir embrasser, nous finissions par mal étreindre. Si, par malheur, le texte ne franchissait pas l'étape du contrôle de constitutionnalité, il n'atteindrait pas son but : faire avancer le statut des langues régionales. Ces précisions étant faites, nous voyons ce texte d'un bon oeil, et le groupe Agir ensemble votera majoritairement en sa faveur.
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens.
Je suis heureux de vous annoncer que le groupe UDI et indépendants votera la proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion.
Applaudissements sur divers bancs.
Au-delà des vicissitudes et des longueurs du débat de ce matin, je retiens que sur l'ensemble des bancs, dans tous les groupes réunis dans l'hémicycle, siègent des amoureux des cultures et des langues régionales.
Il ne s'agit pas d'une proposition de loi contre M. Jean-Michel Blanquer ou contre le Gouvernement. Je me réjouis que dans la nation et dans la République qu'est la France, nous sachions préserver l'amour de la culture des régions et des langues régionales.
Grâce à ce texte qu'une majorité des députés de la nation votera, je l'espère, nous allons protéger et préserver le patrimoine oral et immatériel de nos régions, nous allons permettre la transmission de nos langues régionales aux générations futures, nous allons permettre aux enseignants, aux familles, de développer et de favoriser l'enseignement immersif, enfin nous allons offrir un cadre juridique et réglementaire de financement clair des frais de scolarité pour les parents qui auront choisi de confier leur enfant à une école qui enseigne les langues régionales. Tout ceci est très précieux.
L'amour de la culture régionale et des langues régionales peut se faire en conciliant la cohésion de la nation dans l'unité républicaine – là encore, c'est précieux. À celles et ceux qui ont des craintes, je veux dire que l'amour de la culture régionale, l'amour des langues régionales ne doivent pas nourrir le repli identitaire.
L'UDI telle que l'a voulu Jean-Louis Borloo, est un parti ouvert sur le monde et en faveur de la construction européenne. Comme je l'ai dit lors de la discussion générale, à l'UDI nous avons la France pour patrie, l'Europe pour frontière, le monde pour horizon et les langues régionales pour joyau et pour trésor !
Applaudissements sur divers bancs.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 323
Majorité absolue 162
Pour l'adoption 247
Contre 76
La proposition de loi est adoptée.
De nombreux membres des groupes LT, LR, Dem, UDI-I et Agir ens se lèvent et applaudissent, de même que plusieurs députés des groupes LaREM et SOC.
Mes chers collègues, je vous remercie pour votre soutien. Sans vous, rien n'aurait été possible. Nous avons fait oeuvre de réconciliation dans notre pays. La diversité, c'est ce qui nous permet d'accepter l'autre dans sa différence. C'est très important. Merci à tous ; j'invite ceux qui le souhaitent à me rejoindre sur le perron pour prendre une photo.
Applaudissements.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.
De nombreux députés des groupes LaREM, Dem, SOC, Agir ens, UDI-I et LT ainsi que plusieurs députés des groupes LR et FI se lèvent et applaudissent longuement.
Mes chers collègues, merci à vous pour cet accueil et ce soutien manifesté avant même le début de ce débat fondamental pour des millions de Français – car vous le savez comme moi : des millions de Français nous regardent ou nous regarderont.
Il y a un mois, Paulette Guinchard, qui fut secrétaire d'État chargée des personnes âgées de 2001 à 2002, a décidé de mettre fin à ses jours à l'âge de 71 ans, en recourant au suicide assisté. Atteinte d'une maladie neurodégénérative, sa pathologie l'a amenée à prendre une décision qu'elle n'aurait sans doute pas imaginée quelques années plus tôt. En avril 2005, elle signait une tribune dans Le Monde pour défendre le choix de la France d'écarter la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. Sa décision de partir a sans doute été le fruit d'une longue réflexion personnelle sur le sens de la vie. Elle a demandé à ses proches qu'ils témoignent de son choix et de sa conviction qu'il fallait changer la loi.
Pourquoi endurer une cruelle agonie quand la mort peut vous délivrer d'une vie qui n'est devenue qu'une survie douloureuse et sans espoir de guérison ? Ces questions existentielles, nous sommes tous amenés à nous les poser un jour, pour nous-mêmes ou pour nos proches.
La crise sanitaire que nous traversons depuis plus d'un an a encore approfondi cette réflexion chez une grande partie de nos concitoyens. En quoi serait-il inopportun pour nous, représentants de la nation, de nous interroger aujourd'hui sur les conditions et les modalités de la fin de vie des Français ? Bien au contraire, c'est plus que jamais nécessaire : une réponse ici et maintenant s'impose désormais comme une impérieuse nécessité.
Applaudissements sur divers bancs.
Le 31 mars, pour la première fois dans l'histoire de notre pays, une commission permanente du Parlement, en l'occurrence la commission des affaires sociales de notre assemblée, a enfin reconnu à nos concitoyens le droit à une fin de vie libre et choisie en adoptant à une large majorité, au terme de sept heures de débat d'une grande richesse, la proposition de loi que j'ai l'honneur de vous présenter, et elle l'a fait dans une atmosphère sereine, respectueuse des opinions des uns et des autres et sans volonté d'obstruction ni d'empêchement. Ce jour-là, mes chers collègues, nous avons montré le plus beau visage de l'Assemblée nationale.
Aujourd'hui, le visage de l'Assemblée nationale, il est là, devant moi:
L'orateur désigne deux épaisses piles de documents posées devant lui
Ces feuilles n'ont qu'un but : empêcher l'Assemblée nationale, empêcher les représentants de la nation, les députés, de voter ici, souverainement !
De nombreux députés des groupes LaREM, Dem, SOC, Agir ens, UDI-I, LT, FI et GDR et plusieurs députés du groupe LR se lèvent et applaudissent ; huées en direction des bancs du groupe LR.
Voilà l'image que vous donnez du Parlement ! Voilà l'image que vous donnez !
Mêmes mouvements.
Mes chers collègues, en refusant de légaliser toute aide active à mourir, la France a jusqu'à présent fait preuve d'une grande hypocrisie. La réalité, que certains ne veulent toujours pas voir, quelle est-elle ? C'est le départ d'un nombre croissant de nos concitoyens vers les pays frontaliers pour mourir, avec la douleur supplémentaire de l'exil. La réalité, ce sont aussi les 2 000 à 4 000 euthanasies clandestines pratiquées dans notre pays, dans le secret et l'opacité. La réalité, c'est ce qu'on appelle la sédation profonde et continue, qui désigne en fait l'arrêt de la nutrition, l'arrêt de l'hydratation. Mes chers collègues, quand vous arrêtez de nourrir et d'hydrater un être humain, que faites-vous si ce n'est arrêter la vie, et arrêter la vie, hélas, à petit feu ?
Oui, les Français nous attendent car ils sont une immense majorité à être favorables au droit à l'euthanasie – c'est le cas de 96 % des Français selon un sondage Ipsos de 2019, ou de 93 % selon un sondage publié hier.
Mes chers collègues, ce 8 avril sera, j'en suis convaincu, une date majeure sur le chemin de la conquête de notre ultime liberté. Soyons à la hauteur. Soyons à la hauteur de ces millions de Français qui nous demandent le droit à une fin de vie libre et choisi par l'accès aux soins palliatifs et à l'assistance médicalisée active à mourir.
Oui, mes chers collègues, il est temps ! Il est temps, notre pays attend depuis si longtemps. Nos concitoyens veulent obtenir cette ultime liberté. Oui, mes chers collègues, il est temps de donner tout simplement à chacune et à chacun d'entre nous, quand nous arriverons au bout du chemin, sans espoir de guérison, le droit d'éteindre en paix la lumière de notre existence.
De nombreux députés des groupes LaREM, Dem, SOC, Agir ens, UDI-I, LT, FI et GDR ainsi que plusieurs députés du groupe LR se lèvent et applaudissent longuement.
Le thème qui nous réunit aujourd'hui concerne ce que nous avons de plus intime. Il engage les convictions les plus profondes, qu'elles soient politiques, philosophiques ou religieuses. Parler de la fin de vie, parler de la façon dont la société la regarde, plus ou moins en face, plus ou moins de biais, sans la regarder vraiment, c'est placer au c? ur du débat ce moment où chacun affronte sa propre disparition. Aujourd'hui la fin de vie n'est plus un tabou, elle n'est plus recouverte d'un voile pudique. Notre société la regarde avec des yeux adultes, sans peur et sans crainte.
Je remercie le député Olivier Falorni, ainsi que les nombreux députés qui se sont emparés du sujet, notamment Jean-Louis Touraine – comment ne pas le nommer.
De très nombreux députés sur divers bancs se lèvent et applaudissent longuement.
J'ai l'habitude de dire que le ministère des solidarités, de la santé est celui qui accompagne les Français dans leurs joies, dans leurs peines et dans leurs espoirs, du premier souffle jusqu'au dernier. L'espoir qu'il y a dans le dernier souffle, c'est l'espoir de partir en paix, sans souffrance, l'espoir d'une sérénité pour ses proches et pour soi, l'espoir de pouvoir choisir et d'être libre jusqu'au bout. Il suffit d'écouter, de regarder autour de soi, d'en parler avec des collègues, des amis, des proches : dans ces moments où la fin est envisagée avec d'autant plus de certitude qu'elle est abstraite et lointaine, chacun veut pouvoir choisir, chacun veut – et c'est bien normal – éviter la souffrance. « Je ne veux pas qu'on s'acharne ; si jamais… , alors je vous demande… » : voilà des requêtes courantes, formulées parfois à la va-vite, parfois de façon grave et réfléchie, mais toujours pour signifier une volonté plus forte que le temps des horloges et un libre arbitre intact malgré la déchéance qui frappe parfois le corps.
La volonté est au c? ur de ce débat. Cette volonté face à la fin est-elle prise en compte, est-elle respectée par le droit existant ?
Il n'y a pas si longtemps, sous la précédente législature, le Parlement s'est efforcé de définir un juste équilibre entre la volonté du patient et le savoir médical, entre l'obligation de préserver la vie humaine et les souhaits de chacun quant aux conditions de sa fin de vie. Je parlais à l'instant des demandes faites à ses proches de manière informelle : entre annoncer que l'on veut partir en paix, le jour venu, et décider de l'heure de son départ, il y a bien davantage qu'un simple écart entre la théorie et la pratique ; il y a un monde.
L'une des grandes avancées de la loi Claeys-Leonetti, c'est d'avoir permis un accompagnement juste et adapté des personnes en fin de vie. Il y a des situations de grande détresse qu'il faut entendre et pour lesquelles nous devons trouver des solutions, dont certaines existent déjà dans notre droit.
Pour accompagner la fin de vie, la loi Claeys-Leonetti permet l'arrêt des traitements et la sédation profonde terminale, qui consiste à endormir profondément une personne atteinte d'une maladie grave et incurable pour soulager ou prévenir une souffrance réfractaire. Cette loi s'adapte à la singularité des situations en mobilisant les équipes soignantes, médicales et paramédicales qui connaissent la situation clinique de leurs patients. La sédation profonde peut-être décidée lorsque le patient est atteint d'une affection grave et incurable et que le pronostic vital est engagé à court terme.
Je le dis sans ambages, l'état des connaissances sur l'application de cette loi est bien trop faible et nous ne disposons d'aucune étude scientifique récente portant sur les décisions de fin de vie. Je lancerai donc dans les jours qui viennent une nouvelle mission destinée à connaître l'application réelle de la loi pour identifier les freins éventuels et les inégalités territoriales, mais aussi sociales, d'accès à ces pratiques.
« Très bien ! » et applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.
Il faut savoir où nous en sommes ; il faut lever les obstacles à chaque fois qu'ils se présentent.
D'autres instances seront mobilisées – je pense en particulier au Comité consultatif national d'éthique ainsi qu'au Conseil économique, social et environnemental, afin que la société civile prenne toute sa part au débat.
La loi Claeys-Leonetti a rendu opposables les directives anticipées, qui permettent à chacun de formuler ses souhaits concernant sa fin de vie. C'est un outil précieux, qui n'est malheureusement pas suffisamment exploité : seuls 18 % des Français âgés de 50 ans et plus ont rédigé leurs directives anticipées. C'est très insuffisant et c'est là un enjeu essentiel parce que ces directives manifestent la volonté individuelle, par-delà les incapacités susceptibles de frapper chacun. Remplir ses directives anticipées quand on a 20, 25 ou 30 ans et qu'on est en pleine forme, voilà un curieux exercice mais c'est peut-être tout le travail de pédagogie qui se présente devant nous.
Toujours au chapitre de la pédagogie, il est impératif que les professionnels de santé soient correctement formés et sensibilisés à la loi. Il faut donc améliorer la formation initiale, mais aussi continue, de l'ensemble des professionnels de santé sur le thème de la fin de vie et nous devons engager un travail pour mieux intégrer la fin de vie au programme des formations en santé.
« Très bien ! » sur les bancs du groupe LR.
Il y a donc du travail, je le concède, et je constate aussi que la crise sanitaire nous a sans doute fait perdre un temps précieux, tout autant qu'elle aura mis en lumière nos propres insuffisances. Rouvrir la discussion sur le cadre juridique nécessite le temps d'un débat parlementaire, évidemment, mais aussi, je le crois profondément, d'un débat national impliquant les Français, les associations, les soignants, les corps intermédiaires.
Applaudissements sur divers bancs.
Assurer la mise en ? uvre concrète et réelle du cadre existant constitue en revanche un travail urgent
M . Frédéric Reiss et M. Raphaël Schellenberger applaudissent
sur lequel le Gouvernement vous propose d'accélérer.
Cette tâche m'incombe comme ministre en charge de la santé. Je me suis d'ores et déjà attelé à ce travail. J'ai annoncé le lancement dans les jours qui viennent d'un nouveau plan national de développement des soins palliatifs et d'accompagnement de la fin de vie.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.
Il s'agira du cinquième plan national, le précédent s'étant interrompu en 2019. Je confierai à mes confrères les docteurs Olivier Mermet et Bruno Richard, unanimement reconnus pour leur implication sur le sujet, le soin de copiloter ce plan triennal.
Mieux faire connaître la loi actuelle aux professionnels et aux accompagnants sera le fil conducteur de ce plan, qui sera largement détaillé au cours des prochaines assises de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs qui doivent se tenir en mai.
Le plan prévoira aussi le développement de la prise en charge en ville, qui sera facilitée rapidement par la mise à disposition du midazolam dès la fin de l'année 2021.
Faire connaître la loi pour que le droit ne soit ni bavard ni mal appliqué est un impératif, mais ce n'est pas le seul. S'y ajoute un enjeu de moyens : le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale enregistrera une augmentation de la dotation socle des soins palliatifs.
S'agissant des moyens, comment ne pas mentionner le fait que, dans le cadre du Ségur de la santé, il a été décidé de consacrer à l'appui sanitaire aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) pas moins de 7 millions d'euros, grâce auxquels seront financées notamment des astreintes en soins palliatifs.
De nombreux professionnels travaillant dans les services de soins palliatifs considèrent que la loi en vigueur, si elle était correctement appliquée, suffirait à garantir à chaque Français une fin de vie sans souffrances.
Mmes Danielle Brulebois et Stéphanie Rist applaudissent. – Exclamations sur quelques bancs.
Je le dis ici solennellement, comme je l'ai dit devant les sénateurs, l'amélioration de l'application de la loi Claeys-Leonetti est une urgence, et je m'y emploie.
Faut-il rouvrir le débat sur le cadre juridique ? S'il nous était proposé d'autoriser une nouvelle forme d'assistance médicale alternative à l'arrêt des traitements pour accompagner la fin de vie, il faudrait alors se demander si la fin de vie est plus douce en partant en quelques minutes, plutôt qu'en quelques jours, non d'agonie mais de coma profond. Je me souviens des débats parlementaires – je siégeais alors sur les bancs de cette assemblée – sur le point de savoir si l'arrêt des traitements, de l'alimentation et de l'hydratation était plus ou moins « humain », à vivre pour les proches, qu'une injection létale.
Mme Danielle Brulebois applaudit.
Le changement serait profond pour les soignants, mais il sécuriserait des pratiques dont chacun sait qu'elles existent déjà.
Mais ce n'est pas véritablement le c? ur de la proposition de loi qui vous est soumise. Celle-ci déplace le débat puisque son article 1er disposait, dans sa version initiale : « Toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut pas être apaisée ou qu'elle juge insupportable, peut demander à disposer, dans les conditions prévues au présent titre, d'une assistance médicalisée permettant, par une aide active, une mort rapide et sans douleur. »
J'appelle votre attention sur le fait que toute notion de pronostic vital engagé à court terme disparaîtrait ainsi du droit. Ce serait là une différence fondamentale par rapport aux dispositions que le Parlement a adoptées sous la précédente législature.
Accompagner une personne dont le décès est imminent, c'est une chose ; l'aider à mettre fin à ses jours, c'en est une autre, et la question n'est pas plus simple. Les personnels médicaux et paramédicaux s'interrogent, eux qui sont chaque jour aux côtés des patients, qui les accompagnent avec humanité face à la maladie et parfois à la mort.
Si je pense aux soignants, c'est parce que, lorsqu'un patient arrive dans un service, il voit en eux des personnes qui vont se battre jusqu'au bout pour le soigner et non pas ceux qui pourraient, le moment venu, lui administrer une injection fatale en se fondant sur une appréciation essentiellement subjective d'une situation. Est-ce bien leur rôle ou faut-il imaginer l'intervention d'autres acteurs ? Là aussi, il est légitime de poser la question.
Il faut aussi regarder la réalité en face et constater que notre cadre juridique n'apporte pas de réponses à certaines détresses, à certains choix. J'ai évidemment moi aussi, monsieur le rapporteur, une pensée pour Paulette Guinchard-Kunstler et pour le message qu'elle nous a laissé et qui résonne avec force aujourd'hui dans cet hémicycle.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et SOC.
Mesdames et messieurs les députés, la proposition de loi tend à écarter une condition majeure pour bénéficier d'une aide à mourir dignement : l'engagement du pronostic vital à court terme. Comment ne pas relever le changement majeur de cadre philosophique que cette suppression emporterait ? Entre la législation existante et la proposition de loi, nous observons non pas simplement une différence de degré, mais une différence de nature. En d'autres termes, nous ne parlons pas de la même chose.
La loi Claeys-Léonetti est-elle suffisante ? Je l'ai dit, le moyen le plus sûr de s'en assurer est d'abord de veiller à ce qu'elle soit connue et pleinement appliquée, chaque fois que la situation le commande. Peut-on aller plus loin ? C'est possible, d'autres pays l'ont fait. Est-ce nécessaire ?
Est-ce souhaitable ?
C'est là tout l'enjeu de votre débat.
Le droit à une fin de vie libre et choisie soulève des questions aussi nombreuses que légitimes, et je m'incline évidemment devant la quête de dignité qui inspire chaque ligne de la proposition de loi.
Outre d'évidentes et monumentales interrogations éthiques, le débat sur la fin de vie met en lumière la question de la correspondance entre les aspirations de la société et les réponses que leur apportent nos institutions. Si les sondages d'opinion sur des sujets, dont nous mesurons bien ici l'abîme de complexité, demandent toujours de la prudence et du sang-froid, ils indiquent, c'est vrai, que les Français sont très largement favorables à une évolution de notre législation, ou à tout le moins, qu'ils sont prêts à ouvrir le débat.
Mais, jusqu'à preuve du contraire, les représentants du peuple sont ici ; ils sont légitimes parce qu'ils sont élus. Vous n'êtes pas l'émanation de l'opinion publique, vous êtes investis d'un mandat par nos concitoyens. La démocratie représentative n'est pas la démocratie d'opinion, pas plus qu'elle n'est la rencontre hasardeuse d'un sondage et d'un scrutin.
Applaudissements sur certains bancs. – Exclamations sur d'autres.
Il y a l'esprit de la société et les choix que font les représentants de la nation, vos choix, qui sont guidés par le seul intérêt général.
Le Parlement doit pouvoir examiner sereinement un tel sujet,
« Très bien » et applaudissements sur plusieurs bancs
ses enjeux immenses et les évolutions susceptibles d'être apportées à un régime juridique récent encore mal connu des Français et insuffisamment des soignants. Nous avons besoin de temps de débat pour que soient examinés les garanties et les éventuels garde-fous nécessaires pour aller ailleurs, mais en sécurité.
Le nombre d'amendements déposés conduit à une impasse, et je le regrette.
Il suffisait de reprendre la proposition de loi de Jean-Louis Touraine !
Je le regrette sur la forme et sur le fond.
Puisque je parle de temps, à l'heure où notre pays est engagé dans une course contre la montre pour vacciner les Français et vaincre un virus qui a déjà fait tant de victimes, je ne suis pas convaincu – c'est mon avis personnel, je ne l'impose à personne – qu'il nous faille ouvrir aujourd'hui un débat de cette envergure.
Applaudissements sur certains bancs. – Exclamations sur d'autres.
Je pose la question. Pourquoi, mesdames et messieurs les députés ? Parce que, depuis plus d'un an, la mort est omniprésente dans le quotidien des Français ; elle s'affiche chaque jour dans les journaux, sur nos écrans de télévision ; elle est redoutée. Les sacrifices consentis par nos concitoyens l'ont été dans un seul et unique but : sauver des vies.
Le débat, je le répète, mérite d'avoir lieu ; cela ne fait aucun doute. Plus que jamais, sur un sujet aussi sensible, nous devons être guidés par nos principes et par la recherche d'une concordance des temps – le temps politique, le temps de la société et le temps de la réflexion éthique.
Les auteurs du texte que nous examinons ne proposent pas d'aller plus loin que la loi Claeys-Leonetti, ils proposent d'aller ailleurs.
Mon propos ne vise ni à reculer pour mieux sauter, ni à signifier : « Circulez, il n'y a rien à voir. » Je considère que le débat doit être serein et mobiliser toute l'expertise éthique et scientifique dont notre pays est capable.
Il est des choix individuels qui bouleversent. Ces choix, je les respecte profondément. Nul ne peut juger les moyens par lesquels son prochain se soustrait à la souffrance. Mais le ressenti et les affects, si nobles soient-ils, peuvent-ils justifier un changement radical du régime juridique de la fin de vie ?
Ces derniers jours, des voix se sont exprimées pour manifester des inquiétudes et parfois des oppositions de principe, qui peuvent être extrêmement fermes. Ces voix, je les entends, vous les entendez, parce qu'il serait irresponsable évidemment de ne pas tenir compte de l'ensemble des sensibilités et parce que l'unanimité apparente pose malgré tout des questions sur le fonctionnement de notre démocratie représentative et le rôle, que je connais bien, de parlementaire.
Compte tenu de la nécessité du débat parlementaire et de l'importance capitale du sujet, le Gouvernement en appelle, à travers mon intervention, non pas à la sagesse de votre assemblée, mais à la sagesse de chacune et chacun d'entre vous.
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LaREM et Agir ens ainsi que sur quelques bancs des groupes LR, Dem et GDR.
« Cyril voulait choisir sa fin de vie, il faut écouter et entendre, il est parti en douceur dans nos bras », ainsi témoigne sa femme, Delphine. Cyril était atteint de la maladie de Charcot, qui l'emmurait dans son corps. Il n'a pas pu mourir chez lui comme il le souhaitait ; il a dû se rendre en Belgique, avec sa femme et ses trois enfants.
C'est un fait, nous continuons de mal mourir en France. Nous continuons de mal mourir car les soins palliatifs ne sont pas suffisamment développés ni également répartis sur le territoire, en dépit de la loi Claeys-Leonetti de 2016. Nous continuons de mal mourir car notre législation offre uniquement la possibilité de laisser mourir et refuse de considérer ce que nous proposons aujourd'hui : le droit de choisir comment terminer sa vie lorsque la mort est proche et inéluctable, et la guérison impossible.
J'ai lu les tribunes publiées ces derniers jours. Certains y ont affirmé qu'une civilisation qui en vient à légaliser l'euthanasie – alors qu'elle est fermement encadrée dans la proposition de loi – perd tout droit au respect. Je crois, au contraire, qu'un pays qui a le courage de regarder la réalité des conditions dans lesquelles meurent ses citoyens mérite le respect.
Je veux d'abord m'adresser à ceux qui nous répondent « soins palliatifs » lorsque nous disons « aide active à mourir ». Il y a là un choix délibéré et assumé d'entretenir la confusion pour empêcher un vrai débat. Les soins palliatifs aboutissent souvent à la sédation profonde et continue jusqu'au décès ; celle-ci peut prendre entre deux à huit jours ; l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation n'est pas toujours sans souffrance, ni sans douleur.
En disant cela, je ne peux m'empêcher de penser au magnifique film Amour, de Michael Haneke, avec Jean-Louis Trintignant,
M. Raphaël Gérard et Mme Muriel Ressiguier applaudissent
qui montre la souffrance, la douleur insupportable et malheureusement la réalité que vivent certaines personnes en soins palliatifs et que nombre d'entre nous ont connue dans leur entourage.
Par ailleurs, ne nous trompons pas de débat : celui d'aujourd'hui concerne non pas la mort elle-même, mais le passage de la vie à la mort. Ce sont bien les conditions de ce passage que nous proposons de pouvoir choisir, et non le fait de mourir.
« Mourir n'est pas mon projet de vie. Je ne veux pas mourir. [… ] Il me reste une ultime liberté : celle de choisir la façon dont je vais mourir. » Ces mots sont ceux de l'écrivaine Anne Bert, qui a dû se rendre en Belgique pour mourir dignement.
Le cinéma, encore une fois, nous raconte magnifiquement les questionnements intimes qui nous assaillent lorsque la mort qui approche est inéluctable. Le film Quelques heures de printemps, de Stéphane Brizé, avec Vincent Lindon, montre avec justesse que le fait de pouvoir choisir les conditions de sa fin de vie donne parfois l'occasion de dire ce qu'on n'a pas pu ou su dire plus tôt et de se réconcilier avec ses proches.
Donner un droit, celui de pouvoir choisir comment aborder ce moment lorsqu'il est proche, est une ultime liberté.
Le texte que nous examinons aujourd'hui est le fruit d'un travail transpartisan ; il a été très largement coconstruit avec des députés de tous horizons. Le dispositif que nous proposons est très encadré, et les amendements adoptés en commission sont de nature à rassurer quant aux conditions d'accès à cette aide médicalisée.
Pour certains, ce ne sont pas les 4 000 amendements déposés qui empêchent le débat, mais le fait d'aborder ce sujet dans le cadre d'une niche parlementaire de l'opposition. Pourtant, il y a bien un refus du débat, et c'est précisément l'inscription de cette proposition de loi transpartisane à l'ordre du jour de la niche du groupe Libertés et territoires qui a permis de lancer le débat, d'intéresser les médias et de prendre l'opinion publique à témoin. Dans notre groupe, même celles et ceux qui n'étaient pas favorables au texte ont accepté que le débat ait lieu.
Nos messageries électroniques n'ont pas été – bien au contraire – envahies de messages nous demandant de nous opposer à ce nouveau droit, comme cela a pu être le cas sur d'autres sujets de société, par exemple lors de l'examen de la loi bioéthique, texte éminemment plus complexe. C'est le signe que notre assemblée, au même titre que la société, est mûre ; les Françaises et les Français sont prêts.
Nous comprenons les oppositions au texte. Il est plus que légitime qu'elles s'expriment, mais est-ce un motif suffisant pour ne pas débattre et pour ne pas voter ? Si le texte est adopté aujourd'hui, il ne le sera pas encore définitivement, il devra l'être au Sénat et plusieurs lectures seront sans doute nécessaires. Nous ne légiférons donc pas dans l'urgence, mais nous avançons, car il est temps.
Le groupe Libertés et territoires est évidemment fier de présenter un tel texte, mais nous avons bien conscience que, déjà, il ne nous appartient plus. Mes chers collègues, au-delà des appartenances partisanes, à votre tour de vous saisir de l'occasion que la proposition de loi nous donne de débattre et de voter en toute conscience.
Applaudissements sur les bancs des groupes LT, SOC, Agir ens, FI et GDR ainsi que sur de nombreux bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe Dem.
La semaine dernière, à l'issue des travaux de la commission, j'étais flattée. Pour une fois, je me sentais une députée honorable. Mais ici, nous ne sommes jamais à l'abri d'une surprise, et les jours se suivent et ne se ressemblent pas : aujourd'hui, je ne suis pas très honorée de partager les bancs avec vous.
On entend beaucoup de choses, on lit beaucoup de choses et je viens de vous entendre, monsieur le ministre, nous dire en substance : il n'y a pas assez de temps ; il n'y a pas eu assez de débats.
Les premières discussions sur l'euthanasie sur ces bancs datent de 1978. Depuis quarante-trois ans, il n'y a pas eu assez de débats ! En 2009, ma collègue Martine Billard avait elle aussi défendu l'euthanasie sur ces bancs. Le 1er février 2018, lors d'une niche parlementaire de La France insoumise, la néo-députée que j'étais a été rapporteure d'un texte relatif à l'euthanasie, qui a donc été débattu en commission et en séance. Mais il n'y a pas eu assez de débats ! En fait, il n'y aura jamais assez de débats car le sujet est tabou en France. Quels débats vous faut-il encore ?
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et LT ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
J'ai la chance de faire partie d'un groupe parlementaire dont les dix-sept membres sont favorables à l'euthanasie. Pour nous, c'est un sujet présidentiel. Je suis d'ailleurs heureuse d'avoir appris ce matin, par la voix de Gabriel Attal, que ce serait également un sujet présidentiel pour La République en marche. Sans spoiler la campagne « Nous sommes pour ! » de notre président Mélenchon, ce sera de nouveau un sujet présidentiel en 2022.
Mais pourquoi attendre encore ? Nous annoncer que ce sera un sujet présidentiel, c'est nous annoncer que nous allons attendre un an encore. Non ! Nous voulons voter aujourd'hui et nous ne voulons pas attendre. Pourquoi en faire un sujet présidentiel, alors que c'est aujourd'hui un sujet législatif ? Ne nous le laissons pas retirer aujourd'hui !
Applaudissements sur les bancs des groupes FI, SOC et LT.
Déposer 3 000 amendements sur un texte dans le cadre d'une niche parlementaire, c'est nous retirer notre droit de vote. Chers collègues, penser qu'un texte discuté lors d'une niche parlementaire n'est pas le bon véhicule législatif, c'est penser que les députés ne connaissent pas les travaux législatifs. Premièrement, nous savons très bien que le texte partira au Sénat et qu'il en reviendra. Deuxièmement, nous pourrons demander au Gouvernement de présenter un projet de loi sur lequel nous ayons le temps de légiférer. Vous pourrez alors déposer 10 000, 20 000 ou 30 000 amendements et nous discuterons pendant des mois si vous le voulez, mais laissez-nous voter !
Vous avez déposé des amendements pour nous retirer notre droit de vote ; ce n'est pas sérieux ! Nous sommes parlementaires et nous avons le droit de voter ; laissez-nous voter ! Avez-vous perdu la raison ? Ce n'est pas sérieux ! Dire qu'un texte présenté dans le cadre d'une niche parlementaire n'est pas le bon véhicule législatif laisse penser qu'il ne nous faut légiférer que sur les textes du Gouvernement ! Faut-il laisser tomber les niches parlementaires et les propositions de loi ? Personne ici ne le veut. Laissez-nous voter !
Bien malin qui devinerait les résultats ! Personne ici ne peut deviner si le pour ou le contre l'emporterait. De quoi avez-vous peur, si ce n'est de la démocratie ? Pourquoi n'avez-vous pas envie de nous laisser voter ? Laissez-nous voter !
Monsieur le ministre, vous nous avez annoncé des plans. C'est bien, mais nous, aujourd'hui, ici, nous voulons une loi. S'il vous plaît, laissez-nous avoir cette loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT et sur quelques bancs du groupe LaREM.
Le sondage publié par le journal La Croix annonce que 89 % des Français souhaitent que les députés légifèrent. Légiférons, chers collègues ! Nous en avons le pouvoir aujourd'hui ; ne laissons pas cinq députés nous l'enlever.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et SOC. – M. le rapporteur applaudit également.
Quittes à parler de fin de vie digne, commençons par nous rendre dignes de notre rôle de parlementaires. Aucun jugement : pour, contre ou abstention, peu importe, pourvu qu'on vote.
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et LT ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens. – M. le rapporteur applaudit également.
Faut-il donner la mort aux personnes en fin de vie qui le demandent ? La question n'est pas neuve, elle n'est pas insignifiante et sans doute est-elle plus complexe qu'il n'y paraît. Si elle remue des choses intimes, elle est pourtant bien d'ordre politique, puisqu'elle ne nous concerne pas simplement à titre individuel, mais aussi en tant que société : le rapport à la mort est une question de civilisation.
Nous voudrions à juste raison que la souffrance reste à la porte de nos existences. Et nous savons que, lorsque l'espoir n'est plus de la partie, elle est plus inutile et plus insupportable encore. La société doit à chacune et à chacun cette lutte résolue contre la souffrance, lutte qui ne peut exister que dans un accompagnement plus global, dans le choix plein et entier de ne pas laisser la personne seule dans ce face-à-face. C'est ce qui anime les équipes de soins palliatifs. Cet accompagnement ultime est une réponse humaine et sensible. Nous en avons fini avec l'acharnement thérapeutique. Tout le temps du soin, et au-delà, les soignants se mettent à l'écoute du patient pour soulager avec lui sa douleur.
Nul n'ignore que les produits de la sédation profonde finissent, à certaines doses, par provoquer la mort. Ainsi, et c'est mal connu, il faut rassurer ; la société peut être au rendez-vous de la tendresse et de l'humanité. On peut en réexaminer les conditions, mais une chose est sûre : cette cause mérite des moyens plus forts pour répondre à cette détresse et à ces angoisses. Nous avons insisté sur cet enjeu à chaque nouvelle loi, pour en être réduits, à chaque étape, au même constat d'insuffisance, dans un contexte de compression permanente des dépenses de santé.
Mais il existe des femmes et des hommes qui souhaitent expressément pouvoir décider de mourir – choisir sa mort, c'est-à-dire abréger son existence par une injection mortelle qui convoque la société à travers une tierce personne qui fera le geste de donner la mort. Et voilà que revient cette question, qui n'est pas neuve elle non plus – et ce n'est peut-être pas un hasard : qui sommes-nous pour donner la mort ? N'est-ce pas une transgression ? En effet, du début à la fin de sa vie, choisissant parfois, subissant aussi, nul ne cesse jamais d'être une personne humaine avec sa dignité pleine et entière.
Nous ne sommes pas tous toujours jeunes, bien portants, épanouis, invulnérables, performants… À partir de quand la communauté humaine peut-elle cesser de dire « ta vie vaut plus que tout l'or du monde, nous tenons à toi » ? L'ouverture de cette possibilité n'a-t-elle pas pour conséquence de renvoyer la personne à une vertigineuse solitude, en en faisant reposer tout le poids sur ses épaules ? Ce questionnement s'imposera à tous. Ne minimise-t-on pas la fragilité de cette situation, où sa propre souffrance physique et psychique, son propre désespoir peut-être, vient se nourrir de la douleur et de la tristesse lues dans les yeux de l'entourage ? L'effort à produire ne consiste-t-il pas, à l'inverse, à changer le regard sur la fragilité, sur la fin de vie, à en faire un moment d'humanité en recherchant, si c'est possible, ce que peut être sa fécondité ?
Mais, nous dit-on, c'est une possibilité complémentaire, qui ne s'oppose pas aux soins palliatifs. En réalité, ce sont deux choses tout à fait différentes que de produire un geste pour soulager des souffrances en fin de vie, même en sachant que cela va provoquer la mort, et de produire un geste avec l'intention de la donner ; le sens n'est pas du tout le même. C'est en quoi apparaît une rupture éthique, qui commence par une rupture épistémologique nette pour le personnel soignant et accompagnant. C'est d'ailleurs pourquoi, dans les faits, cela s'oppose. La question risque de devenir : quand est-ce que l'on déclenche ? Et quel sens prendra le dessus ?
Comment évoquer sans être obscène l'inquiétude que peut inspirer la toile de fond : les logiques d'économies budgétaires dans le système de santé, la pression pour libérer des lits, le discours sur le trou de la sécurité sociale et le coût du vieillissement. Je sais bien que là n'est pas l'objectif poursuivi avec cette proposition de loi, mais il serait fou d'ignorer le poids de cette pression sociale.
Si d'autres pays se sont engagés dans cette voie, nous ne pouvons raisonner selon des logiques de dumping, qui ruineraient toute démarche éthique. Plus qu'un droit, ne risquons-nous pas d'ouvrir un gouffre ? Car, au nom de ce droit de choisir sa mort, la société pourrait être convoquée demain bien au-delà de ce que ce texte définit déjà de façon extensive. Le sentiment de puissance qu'a développé l'humanité produit déjà des catastrophes écologiques et anthropologiques. Choisissons bien notre modernité et approfondissons la réflexion. La question est essentielle : quelle humanité voulons-nous être ?
Je devais à celles et ceux qui m'ont élu de donner sans tricher mon point de vue. Chacune et chacun, dans le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, répondra à sa façon à cette proposition, qui pourrait d'ailleurs, si nous voulons poursuivre le débat – pourquoi pas ? – , faire l'objet d'une consultation démocratique.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LaREM, LR, Dem et Agir ens. – Mme Muriel Ressiguier applaudit également.
« Si vieux qu'on soit, on meurt toujours trop tôt, écrivait le philosophe Jankélévitch, car il n'y a, en ce sens, que des fins prématurées. » Oui, il est commun de souhaiter à ses proches une vie longue et prospère, et de vouloir pour soi l'échéance la plus lointaine. Mais peut-on, malgré cela, vouloir un jour hâter sa propre mort ? Chacun, au fond de lui-même, a sa propre réponse. Peut-être d'ailleurs cette réponse évolue-t-elle en fonction des événements auxquels chacun a été ou est confronté.
Pour ma part, je pense qu'il est possible, et même profondément humain, de vouloir, lorsque la maladie nous gagne, regarder la mort en face et choisir l'heure de son départ. Je crois sincèrement que les Français peuvent trouver apaisement et réconfort s'ils savent pouvoir compter sur leurs proches et sur les soignants, et recevoir d'eux un accompagnement au moment de faire ce choix. Je crois aussi que nous devons, tous ensemble, garantir les moyens d'encadrer ces pratiques et définir une méthode pour les contrôler. Oui, je crois qu'il nous faudra avancer sur le sujet de la fin de vie.
Mais je ne suis pas ici pour vous donner mon propre sentiment, ma position personnelle. D'abord, parce que j'entends aussi qu'un tel sujet doit nécessairement s'inscrire dans un débat sociétal de fond sur l'accompagnement de la fin de vie, sur l'aide active à mourir et sur les limites à y mettre. Ensuite, parce que je suis ici devant vous au nom d'un groupe, La République en marche, dont, je l'assume, la position n'est pas unanime.
Nous avons aussi, et c'est très loin d'être anecdotique, un problème de méthode. Il est clair que nous manquons de temps.
D'une part, nous manquons de temps au sens propre, en raison de l'obstruction qu'entretient une petite minorité de députés.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe Dem. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Je la regrette, car un sujet comme celui-ci mérite d'être discuté plus sereinement. Je ne crois pas à la stratégie de l'obstruction sur un texte qui mérite précisément un débat riche, construit et apaisé.
D'autre part, nous manquons de temps parce que nous n'avons que quelques heures pour discuter d'un texte qui mérite que l'on entre dans le fond. Il nous faut du temps, mais aussi de l'humilité, puisque la mort est aussi ce qui nous échappe. Alors qu'on ne pense à la mort que lorsqu'on y est confronté, pour soi-même ou pour un proche, nous devons aujourd'hui prendre position en tant que législateur.
En effet, il n'est ici pas uniquement question de la mort, mais également de la maladie, parfois longue, et des soins, sur lesquels repose notre médecine et qui se trouvent au c? ur du serment d'Hippocrate. Un soin qui temporise et qui, en même temps qu'il retarde l'échéance, nous permet de rester libres. Jusqu'à quand et sous quelle forme peut-on encore exprimer une volonté lorsque nous entrons dans la démence, lorsque les malades ne semblent plus être eux-mêmes ?
Ce que je veux dire ici, c'est que nous devons entrer dans la nuance. Il n'y a pas, dans cet hémicycle, que des députés « pour » ou des députés « contre » ; la pensée de chacun, nous le savons, est bien plus complexe. La discussion que nous avons cet après-midi, quel qu'en soit l'aboutissement, est une étape qui marque la volonté de nombreux parlementaires d'aller de l'avant. Ainsi, ceux qui sont opposés à ce texte veulent que la loi Claeys-Leonetti soit mieux connue, mieux diffusée, mieux appliquée.
Notre majorité a toujours refusé les tabous ; en voilà un de plus que nous devons affronter. Alors, aujourd'hui, posons la question des maladies longues et incurables, et des souffrances qu'elles occasionnent. Interrogeons-nous sur l'accompagnement des familles et le recueil du consentement. Questionnons l'éthique et les soins palliatifs.
Le groupe que je préside ne sera pas unanime, je l'ai dit. Tous les groupes, sur ce sujet, connaissent des débats, voient des opinions et des certitudes s'opposer.
C'est une question particulière et il n'est pas question pour moi de stigmatiser des avis, des opinions ou des votes. Sur tous les bancs, les députés regrettent toutefois que les débats ne puissent se dérouler sereinement du fait de quelques-uns, je le redis. Je le regrette moi aussi, fermement.
Ce serait, bien entendu, trop demander à la loi que d'attendre qu'elle réponde à tous les questionnements qui entourent la fin de vie et nos propres incertitudes. Je ne préjugerai pas du déroulement de la séance, mais je sais qu'il est des débats et des engagements qui peuvent difficilement se dérouler en quelques heures et dans de telles conditions.
En effet, certains sujets nous dépassent, qui sont parfois mis en avant par les candidats à la fonction suprême, lors de la campagne présidentielle. Ce fut le cas pour les réformes qui ont marqué le septennat de Valéry Giscard d'Estaing. L'abolition de la peine de mort a été portée par François Mitterrand, et l'Assemblée l'a votée. Le mariage pour tous a été porté par François Hollande, et nous l'avons voté. La PMA – procréation médicalement assistée – pour toutes est portée par Emmanuel Macron, et nous la votons.
Ces sujets ont pu nous opposer. Je le respecte, et nous avons su, dans ces lieux, les accompagner et avoir un débat digne de l'institution que nous représentons. Le débat d'aujourd'hui est une étape essentielle. Nous sommes à ce moment-là de l'histoire. Au fond, nous impulsons l'histoire.
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LaREM, sur plusieurs bancs du groupe Dem et sur les bancs du groupe Agir ens. – Mme Fadila Khattabi, présidente de la commission des affaires sociales, applaudit également.
De quoi avons-nous peur ? Peur de souffrir, peur d'être seul, peur de ne pas être entendu, peur d'être oublié, peur du ridicule, peur de faire du mal à ceux que nous aimons – et la peur ultime : celle de mourir. La question de la fin de vie a ceci de vertigineux qu'elle mêle à elle seule toutes ces peurs. Qui sommes-nous, humbles citoyens élus, pour penser que nous y répondrons par un texte de loi, quel qu'il soit ? Mais notre rôle de parlementaires est de nous prononcer sur des textes, alors laissez-moi vous faire part, en toute humilité, sinon de mes certitudes, au moins de mes doutes.
Le rapporteur du texte expliquait en commission que des dizaines de rapports, des centaines d'heures d'auditions et des livres entiers avaient déjà été consacrés au sujet ; que des philosophes, des auteurs, des médecins, des juristes, s'étaient déjà prononcés et que seule notre assemblée manquait dorénavant à l'appel. Certains ont qualifié cela de procrastination ; pour ma part, je préfère parler de réflexion. Or, sur ce sujet, la réflexion vient non pas de l'absence de travail, mais, bien au contraire, du fait que plus on y réfléchit, plus on se pose de questions.
Il y a, d'abord, la souffrance qu'éprouvent ceux qui nous sont chers. Comment ne pas penser à un proche ou un parent que nous avons dû accompagner ? Comment ne pas s'interroger lorsque des personnes qui ont été brillantes, attachantes, belles, fortes ne sont plus, au crépuscule de leur vie, que l'ombre de celles que nous avons connues ? Comment ne pas douter de notre rôle lorsque nous voyons un être agonisant, dont le corps est déformé par la souffrance ?
Nous voulons alors mettre un terme à ces souffrances ; c'est un sentiment absolument humain, et il nous honore. C'est d'ailleurs en partie dans cet esprit que les lois dites Leonetti et Leonetti-Claeys ont été pensées : ce sont des lois d'accompagnement, qui donnent aujourd'hui le droit de dormir pour ne pas souffrir avant de mourir.
Nous constatons tous, malheureusement, que leur application est partielle. Est-ce inéluctable ? Je ne le crois pas. J'entends souvent parler de « culture palliative », et ce terme décrit parfaitement, selon moi, la raison pour laquelle les changements en la matière prennent du temps : il s'agit d'une évolution culturelle face à la mort, cette mort devenue médicalisée, entourée de blouses blanches, là où nos anciens connaissaient autrefois des habits noirs.
Qu'il s'agisse de jeunes gens dans la force de l'âge, fauchés par une maladie tragique et cloués au lit pour le restant de leurs jours, ou de ce nouvel âge que l'on appelle pudiquement le quatrième, au cours duquel un terrible Alzheimer peut faire défaillir l'âme et l'esprit avant le corps. Tout cela ne peut être pris en compte en quelques années seulement. Il faut du temps pour que chacun s'imprègne de cette nouvelle culture, et que l'on mette fin à cette situation maintes fois déplorée, objet d'un constat glacial : en France, on meurt mal.
Lors de l'examen en commission, j'ai entendu dire qu'une loi peu appliquée était une loi peu applicable. Je m'inscris en faux contre ce théorème de l'inaction publique. Selon moi, notre rôle est de considérer que l'adoption d'une loi n'est en rien une fin, mais qu'elle est, bien au contraire, un commencement. Or nous avons encore tant à faire pour appliquer ce que nous avons voté !
Vient ensuite la question de l'accompagnement, des directives anticipées, de la désignation des personnes de confiance. Là aussi, le constat est sévère : comment faire comprendre qu'il ne s'agit pas simplement de formalités administratives, mais bien d'une réelle liberté, celle de dire ce que l'on souhaite pour la fin de sa vie ?
La loi actuelle garantit déjà cette liberté : la volonté du patient est l'un des piliers – si ce n'est le premier – de notre législation en matière de fin de vie ; son consentement est indispensable, son choix doit être respecté. Chacun peut refuser l'acharnement thérapeutique, demander à mourir sans souffrance et à bénéficier d'une sédation profonde et continue.
J'en viens à l'une des questions les plus importantes dans ce débat : un être humain abîmé par la vie, l'âge, la maladie, peut-il perdre la dignité au point de douter lui-même de ce qu'il est ? Le sujet de la fin de vie cristallise le conflit entre l'éthique de vulnérabilité et celle de l'autonomie, la revendication de liberté de la personne s'opposant à la nécessité de protéger la vie humaine, parfois malgré l'individu. La question qui nous est alors posée est de savoir dans quelle société nous souhaitons vivre demain, et mourir après-demain.
Sur ce sujet comme sur l'ensemble des sujets sociétaux, la liberté de vote des députés du groupe Les Républicains est totale : chacun se prononcera en son âme et conscience et, je le souhaite, dans le respect de chacun.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
C'est avec beaucoup d'émotion et d'humilité que je prends la parole devant vous cet après-midi. En effet, sur ces questions, mon opinion a évolué ces dernières années, influencée à la fois par mes quarante ans d'expérience professionnelle de soignant, par les drames familiaux que j'ai vécus et, malheureusement, après que des amis m'ont été retirés dans des conditions absolument dramatiques.
Merci, cher Olivier Falorni, d'avoir défendu avec brio, avec panache, avec courage un tel texte, en expliquant même – je tiens à le dire devant tous les collègues – que c'était non pas votre proposition de loi, mais celle de l'ensemble de l'Assemblée nationale.
« Bravo ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem et sur de nombreux bancs du groupe LaREM ainsi que sur les bancs des groupes SOC, Agir ens, LT et FI.
Mes chers collègues, j'ai rarement vu la moitié des parlementaires réclamer d'une seule voix le droit de débattre. Pourtant, n'est-ce pas la moindre des choses pour des parlementaires, des représentants de la nation, du peuple, qui nous regarde ? J'ai rarement vu un parlementaire accepter que son texte soit nourri des apports des uns et des autres. Or c'est bien cela, la démocratie.
Si nous ne débattions pas, nous n'exercerions pas, me semble-t-il, notre rôle de parlementaires ; nous ne serions pas les représentants du peuple que nous devons être. Alors mettons de côté ces faux procès : nous discutons d'une proposition de loi et, je le rappelle car tout le monde l'a oublié, la loi Claeys-Leonetti fut, elle aussi, une proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
On a oublié aussi qu'il s'agissait alors d'un sujet clivant : j'étais là lorsqu'Alain Claeys et Jean Leonetti ont commencé à se parler et, croyez-moi, ce n'était pas évident au départ ! Pourtant, ils l'ont fait, et aujourd'hui, ils nous regardent.
Si nous devons, en tant qu'élus, toujours marcher en tête, être les guides, nous devons aussi entendre l'opinion publique. Jean-Louis Touraine conduit des travaux à ce sujet depuis quarante ans ; en vingt-deux ans, on a adopté la loi de 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs, dite loi Kouchner,
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM – M. le rapporteur applaudit également
la loi de 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti,,
Mêmes mouvements
la loi de 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite loi Claeys-Leonetti. Alors, comme l'a très bien dit M. le ministre, n'opposons pas les soins palliatifs et ce que nous voulons pour la fin de vie ; il s'agit de deux sujets différents.
En 2016, à la tribune depuis laquelle je vous parle, Jean Leonetti disait : « Toute personne a le droit d'avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. » Tout cela doit inviter les uns et les autres à réfléchir.
En commission, nous avons eu une discussion riche, de cinq heures. Il faut un vrai débat, dans le respect – toujours le respect – de chacun. Je voudrais dire les yeux dans les yeux à ceux qui veulent bloquer le débat parlementaire
Huées sur quelques bancs du groupe LaREM
que ce n'est pas bien, car ceux qui déplorent que le Parlement ne serve à rien sont ceux-là mêmes qui le bloquent ; cela, je ne puis l'accepter !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem et sur de nombreux bancs du groupe LaREM ainsi que sur les bancs des groupes SOC, Agir ens, LT et FI.
Notre groupe, celui des démocrates, est divisé : certains sont pour ; d'autres sont contre. Mes collègues sont tous devant moi, et je leur dis, avec le plus grand des respects, qu'il s'agit de donner un droit nouveau. Ce droit n'est pas une obligation, il est assorti de garanties, on ne fera pas n'importe quoi.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM – Mme Maud Petit applaudit également.
En effet, c'est un collège de médecins qui accompagnera la décision prise par une personne lucide ou, pour ceux qui ne le seraient plus, par une personne de confiance. Ces mots, « tiers de confiance », ce n'est pas rien ! Ils désignent quelqu'un à qui on a confié ses volontés pour la fin de sa vie.
J'ai en mémoire Jean-Claude, un de mes grands amis, menuisier, que j'ai vu disparaître devant moi, semaine après semaine, d'un cancer du sinus, et qui me disait son indicible souffrance. Mes chers amis, ne confondons pas les soins palliatifs, qu'il faut absolument développer – le rapporteur général a d'ailleurs pris des engagements en ce sens en commission et je suis sûr, monsieur le ministre, que vous serez à la hauteur en la matière pour 2022 – et le droit à une fin de vie digne, que l'on doit aborder en conscience.
Mme Marine Brenier, M. Maxime Minot et Mme Bérengère Poletti applaudissent.
Un mot pour conclure : vous savez tous, mes chers collègues, qu'il y a eu des avortements clandestins jusqu'à ce que Simone Veil ait le courage, à cette tribune, de dire les choses.
Vifs applaudissements sur de nombreux bancs.
Vous savez tous, mes chers collègues, qu'il y a eu des PMA clandestines – je sais de quoi je parle, puisque j'ai travaillé avec Jacques Testart, qui a réalisé les premières fécondations in vitro, en 1982. Et je ne veux plus de ces fins de vie et euthanasies clandestines dans mon pays, la France, cette grande démocratie.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem et sur de nombreux bancs du groupe LaREM ainsi que sur les bancs des groupes Agir ens, LT et FI.
Je ne fais aucune leçon de morale à personne ; chacun décidera en conscience.
Soyons à la hauteur du débat ; soyons dignes, respectueux des uns et des autres ; avançons.
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes Dem et LaREM ainsi que sur les bancs des groupes SOC, Agir ens, LT et FI.
Beaucoup d'émotion, aujourd'hui. De la fierté, aussi, de défendre cette avancée.
Il y a une semaine, la commission des affaires sociales de l'Assemblée a adopté à une large majorité la proposition de loi donnant et garantissant le droit à chacun de choisir sa fin de vie, défendue par notre collègue Olivier Falorni et soutenue par 225 députés de tous bords politiques, après des échanges riches, apaisés, très constructifs, qui se sont déroulés dans l'écoute et le respect des convictions de chacun.
Ce chemin législatif a été rendu possible par la volonté du rapporteur Falorni – que je tiens à remercier très sincèrement – de faire travailler ensemble des parlementaires de tous bords, de la gauche à la droite de notre hémicycle, animés par un même esprit de cohésion et guidés par un seul et unique but : accorder aux Français qui souffrent d'une pathologie incurable le droit de choisir librement leur fin de vie. C'est là l'honneur de notre Parlement.
Aujourd'hui, pourtant, nous nous retrouvons face à une violente obstruction, menée par une petite minorité de députés ayant déposé près de 4 000 amendements. Déjà, le 11 mars dernier, certains sénateurs avaient vidé de sa substance la proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité, déposée par notre collègue socialiste Marie-Pierre de La Gontrie. En commission, nous avons montré le meilleur du travail parlementaire ; aujourd'hui, nous renvoyons l'image du pire.
Nous sommes nombreux à continuer de penser qu'il est temps de débattre du sujet dans cet hémicycle, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, parce que le débat est attendu des Français : un sondage Ipsos d'avril 2019, confirmé par un autre paru hier, indique que 93 % d'entre eux sont favorables à cette avancée. La récente disparition de Paulette Guinchard, secrétaire d'État chargée des personnes âgées de 2001 à 2002, qui a dû s'exiler pour pouvoir décider de sa propre fin, met en exergue, entre autres, la nécessité d'avancer sur ce sujet.
Ensuite, parce que la question de la fin de vie rassemble au-delà des étiquettes politiques, comme en témoignent nos amendements transpartisans et le dépôt de plusieurs propositions de loi par plusieurs groupes politiques depuis 2017.
En outre, parce que la France, qui est pourtant le pays de grandes avancées humanistes, se retrouve en retard par rapport aux Pays-Bas, à la Belgique, au Luxembourg, à la Suisse, mais aussi à l'Espagne et au Portugal.
Enfin, parce que le législateur, garant des libertés publiques et des droits individuels, se doit de débattre de la possibilité de reconnaître et garantir un droit nouveau. Rappelons que nombre d'avancées de la société, de la contraception à la loi Claeys-Leonetti en passant par le PACS – pacte civil de solidarité – et le mariage pour tous, ont émané du Parlement.
Avec ce texte, nous ouvririons la voie au renforcement des droits humains en fin de vie, en reconnaissant à toute personne en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable, lui infligeant des souffrances inapaisables, la possibilité de bénéficier d'une assistance médicalisée active à mourir. Ne diabolisons pas les choses, chers collègues, et ne trompons pas les Français : il ne s'agit en rien d'ouvrir un suicide assisté hors de tout cadre, sans conditions ni respect de la volonté de chacun sur sa fin de vie ; il ne s'agit pas davantage d'opposer les soins palliatifs et ce nouveau droit.
D'une part, ce texte prévoit un cadre strict : un collège de médecins sera chargé de s'assurer que le patient se trouve dans une impasse thérapeutique, et que sa demande est à la fois libre, éclairée, formulée sans pression extérieure, et explicite ; des juristes, des professionnels de santé et des représentants associatifs s'assureront quant à eux du respect des procédures et du consentement de la personne.
D'autre part, ce texte garantit à chacun son autonomie et son choix. Nous affirmons que les personnes doivent être pleinement entendues, jusqu'au terme de leur vie, et que leur choix doit être respecté. Cela concerne ceux qui, face à des souffrances physiques et psychiques insupportables, veulent être dispensés d'agonie, mais également ceux qui, du fait d'autres convictions, émettent un point de vue différent – sachant que les professionnels de santé auront bien évidemment la possibilité de faire jouer leur clause de conscience.
Alors ne soyons pas tentés de renvoyer cette avancée aux calendes grecques. Chers collègues, vous qui ne voulez pas débattre, vous qui ne voulez pas voter, laissez-nous débattre et voter. Permettez un débat digne et apaisé. Votons ce texte aujourd'hui ; les Français comptent sur nous.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, Agir ens, FI et GDR ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LaREM, Dem et LR.
La proposition de loi dont nous tentons de débattre aujourd'hui a pour ambition de donner le droit à une fin de vie libre et choisie. Ainsi, la liberté – celle-là même que nous revendiquons pour nous exprimer, manifester, entreprendre, penser ; celle qui est inscrite sur le frontispice de nos édifices publics ; celle de notre devise – doit encore être discutée devant le Parlement quand elle s'applique à notre propre mort.
Nous discutons donc de notre ultime liberté à conquérir – celle d'avoir le droit de choisir notre mort – tout en l'encadrant. Alors, discutons vraiment ; discutons sereinement, dignement, intelligemment, démocratiquement ; discutons de façon apaisée. Nous avons prouvé que nous pouvons le faire, lors de la révision des lois de bioéthique. À cette occasion, la question de la fin de vie n'avait pas pu être évoquée, et le Gouvernement s'était engagé à ce qu'elle soit traitée dans un texte de loi à venir. Aujourd'hui, nous y sommes, monsieur le ministre.
Applaudissements sur les bancs des groupes Agir ens, SOC, LT et FI ainsi que sur de nombreux bancs du groupe LaREM – M. le rapporteur applaudit également.
Alors, discutons et échangeons, vivement s'il le faut.
Discutons de cette proposition de loi, et ne nous trompons pas : réfléchir à la façon de mourir ne fait pas mourir.
Sourires.
N'ayons pas peur, on ne doit pas s'interdire de réfléchir et de travailler sur ce sujet. En nous penchant sur la question de la fin de vie, il s'agit non pas de légiférer sur la mort, mais sur la dignité de chacun face à sa mort.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes Agir ens, LaREM, Dem et FI.
La dignité face à la mort est, bien sûr, éminemment personnelle. Elle appartient à chacun de nous et nous en avons tous une vision différente. La dignité des débats, quant à elle, nous appartient collectivement.
Parfois, le législateur s'honore en accompagnant les changements de société : nous le ferons lorsque nous adopterons le texte relatif à la bioéthique ou lorsque nous voterons la possibilité de choisir sa fin de vie. D'autres fois, il suit ces changements bien des années plus tard. Mais il a aussi prouvé qu'il pouvait les devancer, voire les engager. En l'espèce, il s'agit plutôt de réfléchir à une question intime que les Français souhaitent voir débattue. Beaucoup ont abordé ce sujet lors du grand débat, alors qu'il n'était pas initialement prévu de le traiter. Ils expriment, de façon massive, une demande.
Certes, des textes existent déjà, mais ils sont appliqués fort imparfaitement et se révèlent parfois insuffisants face à la douleur individuelle. On nous rétorque que ce n'est pas le bon moment, que le contexte ne s'y prête pas, que le texte n'est pas adapté, que le débat n'a pas été assez long. Mais quand le moment sera-t-il le bon ? Devant ces questions de dignité, devant la douleur d'un regard souffrant, devant l'appel au secours rendu muet par la douleur d'un mourant, devant un visage déformé par la souffrance, comment répondre « ce n'est pas le bon moment » ?
Si philosopher, c'est s'exercer à mourir, nous devons aujourd'hui philosopher au sein de notre assemblée, parce qu'en discutant de la liberté de choisir sa fin de vie, on évoque notre humanité. Il n'y a certes pas de réponse unique – et il est vain d'opposer soins palliatifs, sédation profonde et continue, et aide active à mourir – , mais un cadre doit absolument être fixé, pour mettre fin à l'hypocrisie actuelle de pratiques médicales incontrôlées et libérer le plus vite possible les proches et les soignants de la culpabilité de choix cruels.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM ainsi que sur les bancs du groupe FI.
Lorsque la souffrance, qu'elle soit d'origine physique ou mentale, devient insupportable, constante et inapaisable, chacun doit pouvoir choisir d'y mettre fin, entouré des siens et en toute sérénité. C'est bien de cela dont nous discutons aujourd'hui. Cessons de procrastiner et faisons notre travail de législateur, par respect pour les malades, les familles et les équipes soignantes. Aucun comité Théodule ou Hippolyte, comme le disait le général de Gaulle, ne sera une réponse face à la souffrance d'un proche se sachant condamné. Ayons le courage, collectivement, de légiférer. Les Français y sont prêts, ils nous le demandent, nous le leur devons.
Notre droit prévoit qu'aucun acte médical ne doit être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne, et que les actes médicaux ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. La loi de 2016, dite Claeys-Leonetti, affirme véritablement le principe selon lequel toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée. Elle a créé de nouveaux droits en faveur des malades, mais elle ne permet pas l'assistance médicale pour mourir, sachant que la sédation profonde n'empêche pas toujours la douleur.
Le texte que nous examinons vise à rendre possible l'obtention d'une assistance médicale pour mourir, lorsqu'un patient se trouve en phase avancée d'une affection incurable lui infligeant une souffrance jugée insupportable et ne pouvant être apaisée. Cette proposition de loi est très attendue par la majorité des Françaises et des Français, qui souhaitent pouvoir choisir leur fin de vie, comme y sont autorisés d'autres Européens qui se sont emparés de la question du mal mourir.
Aujourd'hui vient le temps de la décision. Ce soir, nous voulons voter, nous voulons pouvoir choisir. Je regrette, comme bon nombre d'entre vous, qu'un quarteron de parlementaires nous empêche de le faire. Je voulais vous faire savoir que le groupe Agir ens voterait majoritairement ce texte.
Applaudissements sur les bancs des groupes Agir ens et LT ainsi que sur de nombreux bancs du groupe LaREM et plusieurs bancs du groupe Dem – Mme Muriel Ressiguier applaudit également.
Sur une question aussi fondamentale que celle de la mort, de notre propre finitude, chaque réponse est intime, unique, individuelle, et toutes les réponses sont également respectables. Chacun ici a sa propre réponse, en fonction de ses convictions, de l'expérience de vie qu'il a ou qu'il a pu avoir, des exemples de souffrance qu'il a pu connaître dans sa famille ou son entourage.
Je suis un défenseur des droits parlementaires. Monsieur le rapporteur, le fait d'avoir déposé cette proposition de loi et de l'avoir inscrite à l'ordre du jour de votre journée d'initiative parlementaire vous honore. Cela a été rappelé, les évolutions législatives sur la question de l'accompagnement de la fin de vie sont d'ailleurs intervenues à l'initiative du Parlement. Aucun sujet, aussi sensible soit-il, n'a de raison d'échapper à l'initiative parlementaire ou d'être réservé à la prérogative gouvernementale.
Cela étant, chaque parlementaire a également le droit, constitutionnellement protégé, de déposer des amendements, et d'en déposer le nombre qu'il souhaite. Celles et ceux qui ont fait ce choix, dans le cadre du présent débat, ont voulu vous dire une chose, monsieur le rapporteur : le débat sur la fin de vie et le changement de paradigme que représente votre proposition de loi par rapport à la législation actuelle, issue des lois Leonetti et Claeys-Leonetti, ne peut se réduire à cinq heures en commission, ni même à une journée dans le cadre de votre niche parlementaire.
On pourrait d'ailleurs s'interroger : les journées d'initiative parlementaire des groupes ne devraient-elles pas devenir des semaines d'initiative parlementaire…
Applaudissements sur plusieurs bancs
… qui pourraient utilement remplacer certaines semaines de contrôle dont on se demande vraiment à quoi elles servent ? Cela permettrait de traiter des sujets aussi fondamentaux que celui-là, qui méritent davantage de temps, quel que soit le vote que nous serions amenés à émettre – pour, contre ou abstention.
En tout cas, ne faites pas de procès en obstruction à celles et ceux qui ont fait le choix de déposer des amendements.
Exclamations sur de nombreux bancs.
Vous demandez que le débat soit digne ; or cela passe nécessairement par le temps qui lui est alloué.
MM. Patrick Hetzel, Marc Le Fur et Julien Ravier applaudissent.
La proposition de loi traite d'abord de questions liées à la personne elle-même, comme le consentement anticipé. À cet égard, on peut changer d'avis à 50 ans ou à 60, y compris face à la maladie. Est-il possible de discuter de ce point ? Selon moi, il mérite d'être débattu…
… au fond et longuement, en se respectant et en s'écoutant les uns les autres. Pour ma part, j'ai écouté chacun des orateurs sans les interrompre.
Votre proposition soulève en outre la question de l'entourage, en instaurant une hiérarchie entre ceux à qui il reviendra éventuellement, à un moment donné, de confirmer à l'équipe soignante que l'on doit passer à la phase active de l'assistance à mourir. Enfin, il y a l'équipe soignante, le médecin, ceux qui devront, si je puis dire, appuyer sur le bouton. Croyez-vous que c'est uniquement en quelques heures, autour de quelques amendements…
… ou de quelques discussions que l'on va régler des questions aussi fondamentales et aussi graves ?
Le ministre s'est engagé à ce qu'un certain nombre d'évolutions interviennent. Je le salue, et je pense que c'est l'apport de votre initiative : elle aura mis le sujet au centre du débat public et permis au ministre de prendre cet engagement. Par la suite, une proposition de loi pourra de nouveau être discutée, mais dans des conditions beaucoup plus appropriées.
MM. Xavier Breton et Philippe Gosselin applaudissent.
« Pour sa vie, on a des comptes à rendre aux autres ; pour la mort, à soi-même. » C'est ce que nous enseigne Sénèque, dans ses Lettres à Lucilius, avant de conclure : « La meilleure mort ? Celle que l'on choisit. »
Avec cette proposition de loi, nous voulons simplement créer le droit de choisir comment finir ses jours, quand ceux-ci ne sont que souffrance et douleur incurable. Ce que nous vous proposons, c'est de sortir de l'impasse dans laquelle se trouvent de trop nombreuses personnes condamnées à poursuivre une vie qui n'est déjà plus la vie, ou qu'elles considèrent comme ne l'étant plus ; c'est de répondre à la souffrance morale et psychique de femmes et d'hommes contraints à une existence insupportable, sans espoir de guérison, et qui affecte leur dignité.
Que les choses soient claires : la proposition de loi que nous vous soumettons n'est pas un prolongement ou un approfondissement de la loi Claeys-Leonetti. Celle-ci a permis, c'est vrai, une amélioration du recours aux soins palliatifs, même si des insuffisances demeurent, nous le savons tous. Certains invoquent aujourd'hui cette loi comme la réponse à toutes les situations ; consensuelle hier, elle serait intouchable aujourd'hui. Or, je veux le rappeler, elle n'a pas été adoptée à l'unanimité, en 2016. Certains de ceux qui appellent à sa pleine application avant d'aller plus loin l'avaient rejetée ; d'autres – dont je fais partie – s'étaient abstenus, car nous considérions qu'elle n'était pas suffisante. Déjà, nous déplorions le maintien du statu quo autour de la notion d'obstination déraisonnable et nous appelions à proposer une aide active à mourir.
Notre collègue Thomas Mesnier a écrit justement dans une récente tribune ces propos que vous avez repris dans votre intervention, monsieur le ministre : « L'euthanasie, ce n'est pas aller plus loin. C'est aller ailleurs. » Oui, c'est aller ailleurs, pour sortir de l'hypocrisie actuelle qu'est la sédation profonde et continue.
Applaudissements sur les bancs des groupes LT et FI ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LaREM, Dem et SOC et sur quelques bancs du groupe LR.
Oui, nous vous proposons d'aller ailleurs, car la loi Claeys-Leonetti ne répond pas à toutes les situations.
Précisément, il ne faut pas opposer les soins palliatifs et l'aide active à mourir ; ils sont complémentaires et concourent à un objectif commun : accompagner la fin de vie dans le respect de la parole et des souhaits de la personne.
Avec cette proposition de loi, nous créons un droit nouveau. Le combat pour ce droit n'est d'ailleurs pas récent dans notre famille politique : déjà en avril 1978, il y a quarante-trois ans, le sénateur radical de gauche Henri Caillavet déposait la première proposition de loi relative au droit de vivre sa mort.
Il s'agit non pas du droit de mettre fin à la vie d'un autre, mais bien du droit à un accompagnement de fin de vie respectueux du choix de la personne. Tel que nous le prévoyons, ce droit est strictement encadré et contrôlé pour éviter toute dérive, limité aux personnes capables et majeures en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable provoquant une souffrance qui ne peut être apaisée. Les amendements adoptés en commission apportent des garanties supplémentaires : la notion d'impasse thérapeutique a par exemple été ajoutée. Qui plus est, ce n'est qu'après une décision collégiale de trois médecins que ce droit individuel pourra être exercé.
J'insiste sur l'encadrement strict de l'aide active à mourir car ce sujet douloureux de la fin de vie donne parfois lieu à des approximations malhonnêtes. Nos débats en commission en ont heureusement été préservés. Dès lors, je ne peux que regretter que d'aucuns aient fait le choix de l'obstruction parlementaire.
Surtout, je ne peux accepter que certains relais de fausses informations : non, la Belgique n'autorise pas l'euthanasie pour les enfants autistes.
Applaudissements sur les bancs des groupes LT, SOC et FI ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe LR. – MM. Olivier Becht et Philippe Vigier applaudissent également.
Et notre proposition de loi n'ouvre pas l'aide active à mourir pour les mineurs. Non, la loi belge n'a pas encouragé les malades à choisir cette voie, puisque seuls 2 % des malades en fin de vie y ont recours. Non, l'euthanasie ne relève pas de l'eugénisme. Non, les médecins ne sont jamais tenus de pratiquer l'assistance médicalisée à mourir ; nous respectons la clause de conscience.
Il s'agit d'un sujet complexe, intime et personnel, pour lequel les convictions de chacun prennent une part prépondérante, mais aussi d'un sujet profondément collectif et sociétal. Tous les points de vue doivent pouvoir être exprimés, et surtout respectés, mais pas au détriment de la vérité.
Chers collègues, nous sommes très attendus sur ce sujet. Nous sommes très écoutés aujourd'hui. Au-delà des clivages, au-delà des convictions, montrons-nous dignes de ce débat, soyons à la hauteur de l'enjeu et de l'attente qu'il suscite.
Applaudissements sur les bancs des groupes LT, SOC, Agir ens et FI ainsi que sur des nombreux bancs du groupe LaREM – MM. Maxime Minot et Philippe Vigier applaudissent également.
La question de la fin de vie est un sujet qui nous touche tous en notre humanité la plus profonde, et je remercie notre collègue Olivier Falorni de l'avoir inscrite à l'ordre du jour de nos débats parlementaires. Je regrette et même je dénonce les méthodes de quelques-uns de nos collègues qui, en déposant des milliers d'amendements, ont tenté de confisquer le débat, d'empêcher le vote.
La fin de vie est une question qui traverse la société tout entière depuis longtemps et qui mérite un débat sociétal serein et respectueux dans notre hémicycle.
Les enquêtes d'opinion révèlent qu'une grande majorité de nos concitoyens se déclarent favorables à l'ouverture d'un droit à mourir avec une aide active. Il est évident que le résultat de ces enquêtes n'est pas de nature à clore le débat.
La liberté de choix quant à sa propre fin de vie n'est pas une simple décision. Les soignants qui sont auprès des malades jusque dans leur dernier souffle, et à qui je tiens de nouveau à rendre hommage, expriment avec émotion l'ambivalence, les hésitations, l'incertitude des individus lorsqu'ils sont atteints par la maladie, lorsqu'ils sentent que leur fin de vie approche. Alors je m'interroge : peut-on réellement savoir aujourd'hui ce que nous souhaiterons demain ?
Si je suis favorable à l'ouverture de droits nouveaux pour nos concitoyens, j'assume aujourd'hui devant vous, sans ambiguïté et en toute humilité, mes questionnements, mes doutes sur le sujet. Je crois que, face à une transformation aussi vertigineuse, dont les conséquences doivent être savamment pesées, il ne faut toucher à la loi que d'une main tremblante. Il est important de prendre le temps face à des enjeux aussi considérables. Or une niche parlementaire nous contraint par définition à un débat express ; ce n'est donc pas, à mon sens, le cadre opportun.
Je crois que nos échanges d'aujourd'hui peuvent toutefois constituer une étape supplémentaire utile, nécessaire, car il faudra, j'en suis convaincue, que notre pays puisse avoir ce débat dans la sérénité et en associant le plus largement possible la société civile. S'il y a un constat partagé de tous, c'est que trop souvent encore, en France, on meurt mal.
Depuis vingt ans, des évolutions remarquables ont été permises, notamment par les lois Leonetti de 2005 et Claeys-Leonetti de 2016 ayant respectivement interdit l'acharnement thérapeutique et ouvert la possibilité pour les personnes atteintes d'une maladie incurable de demander, de manière encadrée, une sédation profonde et continue jusqu'au décès. Ces lois sont issues de consensus et d'équilibres aussi subtils que précieux, qu'il s'agit de préserver et, certainement, de mieux faire connaître et appliquer. Combien de Français ont entendu parler des directives anticipées ou des modalités de désignation d'une personne de confiance ? Combien ont effectivement usé de ce droit ? Je suis convaincue que nous devons mieux faire connaître et appliquer plus largement ce que permet déjà la loi.
Par ailleurs, j'insiste sur le fait que le débat opportunément ouvert sur le droit à une fin de vie libre et choisie ne doit pas occulter l'enjeu des soins palliatifs pour garantir une fin de vie digne. Et parce qu'on ne soigne pas avec des lois, il est indispensable de remobiliser des moyens pour les soins palliatifs en France. Il est nécessaire de continuer à professionnaliser ces soins, de lutter contre les inégalités territoriales, d'intégrer des unités dédiées dans chaque hôpital. À l'hôpital d'Argenteuil, par exemple, cela fonctionne bien : il y a une unité dédiée combinée avec une offre d'hospitalisation de jour, des équipes mobiles intra-hospitalières, des équipes mobiles qui se déplacent au domicile des patients.
Nous devons être capables, partout en France, d'offrir de meilleures conditions de fin de vie aux malades. Oui, la fin de vie doit être digne pour tous et en toutes circonstances. La complexité et la sensibilité du débat ne doivent jamais nous détourner de la nécessité de répondre aux enjeux du temps, aux préoccupations de nos concitoyens. Alors, poursuivons cette réflexion, mais laissons-nous le temps d'un débat qui devra, je le répète, associer le plus grand nombre et se mener dans la dignité et le respect.
Applaudissements sur quelques bancs.
Merci, monsieur le ministre, de votre intervention et d'avoir eu la sagesse de vous en remettre à notre sagesse. Je pense qu'elle s'est déjà exprimée et je crois que les Français l'ont vu. Vous pourrez faire tout ce que vous voulez, chers collègues, les Français ont vu.
Un autre député du groupe LR s'exclame.
Non, vous n'aurez pas l'occasion de faire de rappels au règlement.
J'estimais utile de rappeler dans ce texte qu'il n'y avait évidemment aucune opposition dans notre esprit entre soins palliatifs et assistance médicalisée active à mourir. Je rappelle que les Belges, en 2002, ont voté en même temps une loi sur les soins palliatifs et une loi sur l'aide active à mourir. En même temps.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM, SOC, Agir ens et FI. – Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.
Ne vous inquiétez pas, vous n'aurez pas la possibilité de faire de rappels au règlement.
Vous n'en aurez pas l'occasion. Vous pourrez toujours essayer, vous n'arriverez pas à m'énerver.
Murmures sur les bancs du groupe LR.
Applaudissements sur plusieurs bancs.
J'ai donc déposé hier soir un amendement pour préciser que le droit à une fin de vie libre et choisie reposait sur une double garantie : un accès universel aux soins palliatifs – monsieur le ministre, je compte vraiment sur le plan que vous avez évoqué pour les soins palliatifs, car nous en avons besoin ; militant de l'aide active à mourir, je me bats pour que, dans mon hôpital de La Rochelle, il y ait une unité de soins palliatifs – et un accès à l'assistance médicalisée active à mourir.
Eh bien, figurez-vous, les Français qui nous regardent doivent le savoir : on a beaucoup parlé des 3 000 amendements déposés mais, depuis ce matin, nos collègues, ce petit quarteron, ont déposé 700 sous-amendements à mon modeste amendement.
Huées et « Scandaleux ! » sur de nombreux bancs.
Applaudissements sur de nombreux bancs.
Quand j'aurai un peu plus de temps, après l'examen de ce texte, je me lancerai dans une aventure littéraire. Si le sujet n'était pas aussi grave, ce serait grotesque. Je pense que je vais publier une sorte de bêtisier…
Applaudissements sur les bancs des groupes LT, SOC, Agir ens et FI ainsi que sur de nombreux bancs du groupe LaRem et sur quelques bancs du groupe Dem.
On verra l'utilisation que l'on peut faire du dictionnaire des synonymes : on remplace « être humain » par « homme » puis par « femme » puis par « personne humaine » puis par « être humain avec un coeur », etc. Vraiment, vous donnez une image lamentable de l'Assemblée nationale.
Mêmes mouvements.
Je ne serai pas plus long parce que, finalement, vous ne le méritez pas.
Applaudissements sur quelques bancs.
J'avais déposé cet amendement, un amendement transpartisan. Vous l'avez compris, ce combat que nous menons est celui de l'unité pour l'ultime liberté. Je veux à mon tour saluer tous ceux qui se sont engagés en cosignant cet amendement. Je pense évidemment aux auteurs d'autres propositions de loi : je salue à mon tour Jean-Louis Touraine,
Les députés des groupes LT, SOC, Agir ens et FI ainsi que de nombreux députés du groupe LaREM, quelques députés du groupe Dem et M. Jean Lassalle se lèvent et applaudissent longuement
et je ne résiste pas au plaisir de faire ovationner par La République en marche Caroline Fiat,
Mêmes mouvements, auxquels se joignent Mme Marine Brenier, M. Maxime Minot et M. Jean-Paul Dufrègne
ni à celui de faire applaudir par ses collègues Les Républicains la remarquable et courageuse Marine Brenier.
Mêmes mouvements, auxquels se joignent plusieurs autres députés du groupe LR et M. Yannick Favennec-Bécot.
Je n'oublie pas que ce combat est aussi mené dans l'autre chambre, et je salue Marie-Pierre de La Gontrie, qui a mis ce sujet en avant au Sénat.
Applaudissements sur plusieurs bancs
Mes chers collègues, je retire cet amendement, mais vous n'avez pas gagné. Vous avez déjà perdu.
Les députés des groupes LT, SOC, Agir ens et FI ainsi que de nombreux députés du groupe LaREM et quelques députés des groupes LR et Dem se lèvent et applaudissent longuement.
Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d'oeuvrer à la sérénité du débat.
La parole est à M. le ministre.
Sans interférer dans ce débat, permettez-moi de rappeler que le Parlement a été saisi, en 2013, d'une proposition de loi tendant à modifier la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. Ce texte avait été présenté à plusieurs reprises et toujours rejeté. Le jour où nous en avons débattu en 2013 – je m'en souviens car j'étais alors député – , l'obstruction des députés de l'opposition a empêché que l'examen du texte puisse s'achever avant minuit. La proposition de loi n'a donc pas pu être adoptée, au détriment de notre recherche scientifique, qui a pris du retard.
Plusieurs mois après, la détermination des parlementaires a conduit à un nouvel examen de la proposition de loi, qui a alors été adoptée à une très large majorité. Aujourd'hui, la recherche sur les cellules souches embryonnaires nous permet de développer nombre de médicaments. Elle est aussi très utile dans la lutte contre le covid-19. Je ne crois pas qu'aucun député de cet hémicycle puisse être fier, a posteriori, d'avoir bloqué pendant plusieurs années l'évolution de la recherche dans notre pays. L'obstruction parlementaire d'aujourd'hui annonce souvent les grandes victoires parlementaires de demain.
Vifs applaudissements sur de nombreux bancs.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
La parole est à M. Thibault Bazin, pour soutenir l'amendement no 1638 , portant article additionnel avant l'article 1er.
La fin de vie nous concernera tous ; elle mérite donc qu'on lui consacre du temps. Tant de nos concitoyens sont préoccupés légitimement par leur propre fin de vie et par celle de leurs proches ! Aucun d'entre nous ne peut rester insensible à leurs témoignages de souffrance, de peur ou de solitude. Ce moment de la vie si particulier est très sensible.
Alors que nous entamons ce débat essentiel, les questions éthiques que je me pose sont nombreuses. Les médecins peuvent-ils aujourd'hui apaiser la souffrance d'un patient quelle que soit la nature de cette souffrance ? Comment évaluer la souffrance psychique et comment la définir ? Comment mesurer la souffrance physique ? Quelle est la capacité de la médecine à soulager cette souffrance ? Peut-elle répondre à cette attente profondément humaine de voir soulagée la souffrance, que ce soit en établissement ou en ville ? Peut-on autoriser une présence afin de ne pas mourir seul ? Comment les proches et la famille peuvent-ils être accompagnés, s'ils le souhaitent, à ce moment si difficile de la vie ?
La vie nous a été donnée. Le lien avec les auteurs de notre vie, nos parents, et avec la société nous inscrits dans une fraternité dont nous ne pouvons nous départir. La manière avec laquelle la société française accompagnera la fin de vie de nos concitoyens doit être profondément humaine. Comment notre société soulage-t-elle leur souffrance, permet-elle une présence aux côtés du patient et rend-elle possible une fin de vie à la maison si tel est le choix du patient ? Les réponses que nous apporterons à ces questions diront le rapport de notre société à la vulnérabilité, aux malades et à nos aînés en perte d'autonomie. Je plaide, pour ma part, pour une éthique de la vulnérabilité.
Lors des auditions préalables que vous avez organisées avec un grand sérieux, monsieur le rapporteur, j'ai été sensible aux constats dressés par la Haute Autorité de santé et l'Académie nationale de médecine : la loi actuelle est mal connue et les moyens pour mettre en oeuvre les soins palliatifs sont insuffisants et inégaux. D'ailleurs, les métiers de l'accompagnement de la vie mériteraient d'être mieux valorisés. Chers collègues, sommes-nous prêts à investir collectivement dans la fin de vie ?
Avant même les conclusions du débat national que vous souhaitez organiser, monsieur le ministre, il convient, de manière urgente, de déployer les soins palliatifs sur tout le territoire, en établissement comme à domicile, d'organiser des campagnes d'information afin de mieux faire connaître la loi Claeys-Leonetti et de développer la formation initiale et continue des soignants aux soins palliatifs. Tel est le sens du présent amendement.
Vos interrogations sont nombreuses, monsieur Bazin, et elles sont toutes légitimes, au même titre que chaque conviction exprimée. Vous avez, et je vous en remercie, salué les auditions que nous avons organisées. Nombre d'acteurs que nous avons entendus nous ont fait part d'une certaine lassitude d'avoir à présenter de nouveau leur opinion qu'ils ont tant de fois exposée. Aujourd'hui, c'est à l'Assemblée nationale d'exprimer la sienne.
Vos interrogations sont légitimes, monsieur Bazin, mais elles ne vont pas dans le sens du texte, qui vise à instituer dans notre pays une aide active à mourir. Je suis donc défavorable à l'amendement.
Sur cet amendement comme sur tous les autres, en cohérence avec les propos que j'ai tenus lors de la présentation de la proposition de loi, le Gouvernement s'en remet à la sagesse de chacun, non pas sur le fond mais sur la forme. Je ferai cependant une exception pour les amendements qui demandent des rapports, sur lesquels j'exprimerai un avis défavorable, également en cohérence avec la position que le Gouvernement défend habituellement.
Je l'ai dit en commission des affaires sociales et vous le savez, monsieur le rapporteur, je suis à vos côtés pour défendre ce texte. Je participe en outre depuis trois ans au travail sérieux que mène le groupe d'études sur la fin de vie, sous la présidence de Jean-Louis Touraine. Compte tenu de mes idées et de mes doutes, j'ai cosigné, en décembre dernier, la proposition de loi de ma collègue et amie Marine Brenier.
Reste que nous ne pouvons pas rayer d'un trait de plume la question des soins palliatifs, qui mérite à l'évidence d'être examinée dans ce débat. Si les soins palliatifs étaient mieux assurés dans notre pays, la demande et l'émotion citoyennes ne seraient probablement pas aussi vives. J'ai entendu les annonces de M. le ministre concernant le plan sur les soins palliatifs. De toute évidence, sur ce sujet, il faut y aller à fond, tout de suite et sans calcul, monsieur le ministre !
J'ai noté votre avis défavorable sur l'amendement de mon collègue Thibault Bazin, monsieur le rapporteur. Je forme le voeu que nos débats soient aussi dignes et éclairés que possible. Nous savons tous que la proposition de loi ne sera pas adoptée aujourd'hui. Il est compliqué de faire aboutir un tel texte, qui réunit un grand nombre d'entre nous un jeudi après-midi, preuve que nous sommes nombreux à vouloir prendre part au débat et à exprimer notre avis. Certes, certains de nos collègues se sont saisis de leur droit d'amendement – ce droit fondamental constitue l'arme majeure des parlementaires – , mais la proposition de loi n'aurait de toute manière pas pu être adoptée ce soir.
Monsieur Falorni, chers collègues, bravo pour votre initiative et votre audace d'avoir présenté ce texte dans votre niche parlementaire ! M. le ministre l'a laissé entendre, il nous appartiendra de reprendre votre travail, dès que possible et avec la même énergie que vous avez déployée. Là encore, je serai à vos côtés.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR et sur les bancs du groupe LT. – Mme Sophie Mette applaudit également.
L'amendement no 1638 n'est pas adopté.
Applaudissements sur plusieurs bancs.
Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde : c'est une idée dont l'heure est venue. L'heure est venue de légiférer sur la fin de vie et de combler les lacunes des lois antérieures, amplement évaluées désormais. Ces lois sont non pas remises en cause, mais complétées par la présente proposition de loi, afin que les malades français en fin de vie ne soient plus obligés de s'expatrier ou de solliciter une euthanasie clandestine et illégale, ou encore de se suicider de façon brutale.
L'heure est venue car le sujet a été largement débattu par les Français lors des états généraux de la bioéthique, mais aussi au Comité consultatif national d'éthique et au Conseil économique, social et environnemental. Depuis plus de trois ans, le groupe d'études de l'Assemblée nationale sur la fin de vie a permis à des centaines de députés d'auditionner nombre de professionnels et de préparer cette proposition de loi, adoptée à la majorité par la commission des affaires sociales.
Les Français n'attendent pas de nous une procrastination supplémentaire sur ce sujet. Ils veulent que, dès maintenant, nous humanisions l'agonie. Il s'agit de développer les soins palliatifs en même temps que l'on introduit le respect du droit du malade en fin de vie ; la liberté de choisir entre une fin naturelle et une aide active à mourir s'inscrit dans l'engagement humaniste.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
L'heure est venue car, avec son lot de souffrances infinies, la pandémie a renforcé le mal mourir français. Non, il n'est pas possible de repousser ce sujet à la prochaine campagne présidentielle. Lors de la précédente, le candidat Macron avait indiqué que cette loi ne pouvait pas faire l'objet d'un débat de campagne. Les années suivantes lui ont donné raison, car une demande formulée, selon tous les sondages, par 93 % à 96 % des Français ne se prête pas à un tel débat. De nombreuses personnes, dans tous les partis politiques, attendent cet indispensable progrès avec impatience. Inversement, quelques-uns, dans chaque parti, ont des convictions contraires.
Surtout, la légalisation de l'assistance médicalisée de la mort faisait déjà l'objet d'une promesse présidentielle lors de la campagne de 2012…
…et les Français y ont cru. Ils ont assisté ensuite à un recul regrettable. Ils ne croiront plus à aucune promesse à l'avenir.
Messieurs les obstructeurs, acceptez le débat, retirez vos amendements de blocage et faites valoir vos arguments par la discussion et non par un diktat de procédure !
De nombreux députés des groupes LaREM, SOC, Agir ens, LT et FI ainsi que quelques députés du groupe Dem se lèvent et applaudissent.
Nous sommes ici pour exprimer notre opinion et je vais vous donner la mienne. Quand la médecine atteint ses limites, la loi doit interroger les siennes. Le texte qui nous est proposé pose de nombreuses questions, de forme et de fond.
Sur le fond, tout d'abord, qui a envie de mourir ? Si, dans certaines circonstances, un individu le souhaite, doit-il être seul face à ce choix ? La souffrance corporelle est-elle indigne ? Non, bien sûr. La récente loi Claeys-Leonetti est-elle suffisante ? Je ne le crois pas. Y a-t-il une contradiction entre soigner et aider à mourir ? Je ne le pense pas non plus.
Applaudissements sur quelques bancs.
Avec la présente proposition de loi, entrebâille-t-on une porte par laquelle s'engouffreront toutes les perversions de notre société ? Celle-ci doit-elle, à supposer qu'elle le puisse, interférer avec le choix personnel de chacun de demander à mourir ? Le geste négatif de ne plus soigner est-il plus moral que le geste positif d'aider à mourir ?
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LR et LaREM.
Le suicide assisté est-il compatible avec la foi chrétienne ? Est-ce une affaire de civilisation ou une affaire de conscience ? Est-ce même une question de progrès, si ce mot a encore une signification ?
Ma réponse personnelle à ces questions est que, oui, le suicide médicalement assisté est compatible avec notre modèle de société et notre liberté de conscience.
Mêmes mouvements.
Dès lors, si l'occasion m'est donnée de pouvoir voter, je voterai en faveur de ce texte.
De nombreux députés se lèvent et applaudissent vivement.
Je regrette sincèrement que le débat ne puisse pas se tenir dans la sérénité, au sein de la société comme à l'Assemblée nationale. Un tel débat ne doit pas être mis en scène ; il mérite mieux et doit être l'occasion d'un dialogue profond dans la société. Sans doute un tel dialogue a-t-il eu lieu lors de l'examen des précédents textes relatifs à la fin de vie, mais il n'a pas été suffisant pour cette proposition de loi. Tel est, au fond, mon regret. Si le texte n'est pas adopté aujourd'hui, j'espère que, tôt ou tard, ce dialogue aura lieu.
Applaudissements sur de nombreux bancs.
La naissance et la mort demeurent les deux mystères qui lient les êtres humains entre eux. C'est la raison pour laquelle les débats qui s'y rapportent sont si riches. Le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés y prend part avec beaucoup d'humanité et en respectant toutes les sensibilités, qui doivent s'exprimer librement.
Nous partageons tous le même objectif : que la mort arrive sans douleurs physiques ni psychologiques. Le choix de mourir est un choix personnel, mais que se passe-t-il dans la pratique et que fait le corps médical ?
Les dernières heures, si le patient est entouré et hospitalisé, l'agonie est écourtée au moyen d'une injection de propofol.
Les derniers jours, face à des douleurs physiques ou psychiques impossibles à soulager, les traitements par opiacés abrègent doucement la vie.
Les dernières semaines ou les derniers mois, l'évolution finale et fatale d'une maladie pèse lourdement sur le patient malade, sur sa famille et sur l'équipe médicale.
Nous nous interrogeons sur les moyens à la disposition du législateur : à quoi faut-il donner la priorité ? Faut-il faire mieux appliquer la loi Claeys-Leonetti et consacrer plus d'argent aux soins palliatifs – merci, monsieur le ministre, d'avoir répondu à cette exigence – , ou bien voter la présente proposition de loi et reconnaître le droit d'obtenir une assistance médicalisée pour finir sa vie ? Ces deux approches se font écho et nous nous devons de leur trouver une convergence.
Alors que la loi Claeys-Leonetti est une loi de droit commun qui s'adresse à tous les Français, la proposition de loi de notre collègue Falorni peut répondre à quelques situations humaines très singulières, qui relèvent de l'intime et sont toujours désespérées.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem.
Je n'ai jamais aimé l'expression « droit à mourir dans la dignité », qui n'est d'ailleurs pas utilisée dans la présente proposition de loi ; j'en remercie son auteur principal. En effet, je ne sais pas s'il est possible de donner une définition de ce qu'est une mort digne : cela renvoie à nos convictions intimes, philosophiques ou religieuses, et tous les groupes connaissent ici ou là des gens qui ne partagent pas la conviction exprimée ce soir par Olivier Falorni.
En revanche, j'ai une idée très claire de ce qu'est une vie digne. C'est la possibilité de choisir à chaque étape son chemin. Il est vrai que sur le sujet qui nous occupe, les convictions peuvent varier. Ma mère était infirmière et elle m'a souvent parlé de gens qui, face à leur propre mort, à leur propre fin, changeaient d'avis. C'est aussi le message que nous a adressé Paulette Guinchard-Kunstler, qui avait longtemps été opposée au droit à mourir mais qui, elle-même confrontée à sa propre déchéance, a fait ce choix difficile.
Ce que je défends avec beaucoup d'entre vous – une majorité, me semble-t-il – , c'est tout simplement le droit à la liberté jusqu'au bout. Nous sommes dans une République laïque et j'écoutais à l'instant ce que vient de dire notre collègue Éric Woerth ; j'aurais presque partagé l'intégralité de ses propos sans cette question que j'ai trouvée curieuse dans notre hémicycle : est-ce que le droit au suicide assisté est compatible avec la foi chrétienne ? Mais ce n'est pas le sujet ! Nous sommes une République laïque !
Murmures sur divers bancs.
Vos croyances, quelles qu'elles soient, sont toutes respectables et il n'y a personne dont les convictions intimes ne doivent pas être respectées. Mais le devoir de la République n'est pas de s'adapter à telle ou telle conviction ; elle doit s'adapter à toutes et à tous et permettre à chacune et à chacun un libre choix.
Nous faisons face à une opposition organisée par ce qui a été qualifié de quarteron d'obstructeurs. Ne serait-ce pas, monsieur le ministre, une étrange défaite que de baisser pavillon parce qu'ils ont déposé 3 000 amendements ? Combien de débats parlementaires avons-nous menés à leur terme après en avoir examiné bien plus ?
Vous avez la maîtrise de l'ordre du jour : permettez que ce débat puisse se prolonger au cours des prochaines semaines…
Mme la présidente coupe le micro de l'orateur. – Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je vous remercie d'avoir mis le sujet en débat ; nous pouvons en discuter. Il me semble que tout pose problème dans cette proposition de loi.
S'agissant des EHPAD, par exemple, on observe aujourd'hui au Canada les limites de ce que vous proposez : les soins palliatifs y sont moins demandés que l'euthanasie. On me parle de la Belgique ; or une enquête, publiée dans deux revues – je tiens les articles à votre disposition – , a relevé que dans un tiers des cas, le patient n'avait pas demandé explicitement l'euthanasie.
Protestations sur divers bancs.
Et parmi eux, dans près de 80 % des cas, celle-ci n'avait même pas fait l'objet d'une discussion. Par quelle magie les choses seraient-elles différentes en France ? Et combien d'euthanasies seront-elles pratiquées sans que les patients ne les aient demandées ?
Oui, je l'avoue, je crains les abus, en EHPAD et ailleurs, et vous devez nous rassurer sur ce point. Je ne m'étendrai pas sur ce point car je n'ai que deux minutes, mais des mots tels que « dignité », « liberté » ou « condamné » posent problème – d'autant que l'article 1er évoque également la « souffrance psychique ».
Il en est de même pour le consentement libre et éclairé : un consentement est-il définitif ? Combien de patients ont dit à leur médecin qu'ils voulaient mourir, avant de changer d'avis, ayant trouvé une forme d'apaisement, puis, trois jours après, de répéter : « Je veux mourir » ? Un consentement pérenne, définitif, ça n'existe pas ! Comment cela pourrait-il exister ? Dans ce domaine, on peut lever la main droite et jurer ce que l'on voudra : aucun engagement n'empêchera de changer d'avis et revenir sur ses propos.
Par ailleurs, est-ce bien le rôle du médecin que d'aider à mourir ?
Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et FI.
On me parle des sondages, mais nous ne légiférons pas sur de tels fondements, d'autant que leurs résultats dépendent des questions posées !
Notre société n'a-t-elle donc rien d'autre à offrir à quelqu'un qui vit des souffrances indicibles ? Accompagner l'être vulnérable et souffrant : voilà ce qui fait notre humanité.
Avec les meilleures intentions du monde, à l'aide de notions apparemment incontestables comme la compassion, la dignité ou l'aide à mourir, voilà qu'on veut légaliser la mise à mort de certains patients par leurs soignants, en pleine pandémie, au moment où ces mêmes soignants se battent pour sauver des vies.
« Je lance aujourd'hui un appel solennel aux parlementaires d'aujourd'hui et de demain : n'abolissez pas nos vies ! Surtout pas celles des plus fragiles. Vous ne vous rendez pas compte du désastre que provoque chez les personnes qui se débattent avec des vies difficiles votre soutien à l'euthanasie ou au suicide assisté comme des morts ''libres, dignes et courageuses''. »
Ces mots ne sont pas les miens ; ce sont ceux de Philippe Pozzo di Borgo, cet homme tétraplégique qui a inspiré le film Intouchables. Ils donnent évidemment à réfléchir car le texte que nous examinons aujourd'hui nous fait à mes yeux basculer d'un monde à un autre ; il induit une véritable rupture sociologique et anthropologique et constitue un sujet trop grave pour que nous jouions aux donneurs de leçons – je n'en ai vraiment pas le goût.
En revanche, je crois en la grandeur d'une société qui donne de l'importance à la vie humaine. À l'heure où notre pays procède à d'immenses sacrifices pour sauver des vies, en pleine épidémie de coronavirus, il n'est pas inutile de souligner à quel point les soins palliatifs offrent une réponse pleine d'humanité pour accompagner les personnes en fin de vie. Ils sont malheureusement insuffisamment développés, et c'est sur ce point qu'il nous faudrait travailler davantage.
La France a depuis longtemps fait le choix de l'accompagnement dans la dignité des patients en fin de vie : c'est le fragile équilibre obtenu grâce aux deux lois Leonetti et Claeys-Leonetti qui avaient fait, elles, l'objet de longs débats – rien de commun avec les quelques heures prévues aujourd'hui à la sauvette dans l'hémicycle.
Oui, je crois qu'au lieu de promouvoir un modèle de société qui répond à la souffrance par la mort, il nous faut choisir un modèle de société qui répond à la souffrance par la vie et par ce qu'elle a de meilleur, en accompagnant, en soulageant les souffrances, en offrant du réconfort et de l'espérance. C'est le sens de tous les amendements que j'ai déposés.
Je suis saisie de plusieurs amendements identiques, nos 2 , 9 , 34 , 50 , 61 , 102 , 109 , 119 , 129 , 155 , 969 , 1068 , 1232 , 1262 , 1414 , 1616 , 1659 , 1756 , 1884 , 1908 , 2176 , 1397 , 2527 , 2683 , 2819 , 2863 , 2880 , 2905 , 2919 , 2924 , 2950 et 3027 , tendant à supprimer l'article 1er.
La parole est à M. Thibault Bazin, pour soutenir l'amendement no 2 .
Je souhaite approfondir les questionnements éthiques que nous avons entamés parce que je crois beaucoup aux débats de fond, essentiels sur une question sensible comme celle de la fin de vie.
Lors de votre intervention liminaire, monsieur le ministre, vous avez dit que des solutions existaient pour soulager. Mais au vu des témoignages recueillis au cours des auditions, un doute s'est installé : ces solutions ne semblent pas toujours être mobilisées, ou du moins pas toujours de manière adaptée.
Certains freins sont identifiés ; ils relèvent parfois d'une méconnaissance, parfois d'un problème de formation. Comment expliquez-vous, monsieur le ministre, que la loi en vigueur ne soit pas assez connue, que la formation des professionnels reste lacunaire, que les citoyens ne soient pas suffisamment informés ? Nous aurions pu réaliser des campagnes d'information comparables à celles organisées au sujet des dons d'organes, par exemple.
Pourriez-vous aussi nous indiquer quels moyens vous envisagez de mobiliser afin que dans l'ensemble du territoire, y compris dans les lieux reculés, on puisse avoir accès aux techniques permettant de soulager la souffrance ?
Nous abordons un des sujets les plus graves qui soient, peut-être l'un des plus graves dont nous aurons eu l'occasion de discuter au cours de la législature. Nous venons en débattre en nous appuyant chacun sur nos expériences, nos vies et nos convictions, ainsi que sur les témoignages qui nous sont parvenus. Sur un tel sujet, l'appartenance politique n'est plus un critère pertinent : très légitimement, chacun a sa propre opinion.
Je sais que la montée de l'individualisme incite une partie du pays à insister sur la notion de liberté, au nom d'une logique que l'on pourrait qualifier de libérale-libertaire – je ne veux pas caricaturer – , selon laquelle chacun voudrait choisir, qui son identité, qui sa mort. L'éthique qui est la mienne – je crois qu'elle est partagée par de nombreuses personnes dans notre société – est sensiblement différente. C'est une éthique de la responsabilité : chacun est responsable de l'autre, chacun – c'est le propre d'une société – doit exprimer sa solidarité à l'égard d'autrui. Dans une telle perspective, l'accompagnement me semble essentiel.
Par conséquent, je considère que la priorité doit aller aux soins palliatifs. De ce point de vue, le propos que vous venez de tenir, monsieur le ministre, me convient. Cette priorité a été définie dès la loi Leonetti et précisée par la loi Claeys-Leonetti, mais trouve une application insuffisante. Le sujet essentiel, ce n'est pas l'évolution de la loi : c'est celle des moyens consacrés aux soins palliatifs, à leur systématisation, afin que l'abandon des plus anciens d'entre nous et de ceux qui souffrent le plus ne soit plus toléré.
La question que pose l'examen du présent texte est la suivante : veut-on s'inscrire dans une continuité par rapport aux lois Leonetti de 2005 et Claeys-Leonetti de 2016, ou souhaite-t-on introduire une rupture ? Que l'on soit pour ou contre, il est clair que ce texte nous invite à une rupture, à la transgression d'un interdit majeur de notre société : ne pas provoquer délibérément la mort. Ce principe est valable pour tous les citoyens et au premier chef pour les médecins, bien entendu, puisqu'il est inscrit dans le serment d'Hippocrate.
Peut-on, parce qu'on privilégie une éthique de l'autonomie et de la liberté, remettre en cause cette éthique de la fragilité et de la vulnérabilité sur laquelle est fondée notre législation ? J'entendais tout à l'heure notre collègue Olivier Faure déclarer qu'une vie digne est une vie au cours de laquelle à chaque étape, chacun est libre de choisir son destin. Il réduisait ainsi la dignité à la liberté ; la dignité intègre la liberté, bien sûr, mais elle ne s'y réduit pas. Celui qui n'est pas en mesure de choisir parce qu'il est handicapé, trop petit ou trop âgé, lui aussi a une vie digne. On voit bien que la liberté ne peut être le seul critère pour traiter ces sujets : il faut prendre en compte la vulnérabilité.
Si vous passez sur un pont et voyez quelqu'un s'apprêter à franchir le parapet pour se jeter à l'eau, que ferez-vous ? Allez-vous l'y aider, au nom de l'éthique de l'autonomie selon laquelle « chacun fait ce qu'il veut » ? Ou bien, au contraire, guidés par l'éthique de la vulnérabilité, chercherez-vous à le secourir ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
Ce débat nous conduit à nous poser quelques questions éthiques fondamentales, certaines touchant à la vulnérabilité et d'autres à la manière de concevoir la dignité. Il est surprenant de voir passer largement sous silence ce triptyque fondamental de la loi Claeys-Leonetti : personne ne doit mourir dans l'isolement ; personne ne doit connaître d'acharnement thérapeutique ; personne ne doit souffrir.
Avant de vouloir changer quelque texte que ce soit, les législateurs que nous sommes doivent se poser les questions suivantes : la loi est-elle bien appliquée ? Et si elle rencontre des problèmes d'application, comment peut-on les résoudre ? Nous assistons à une sorte d'emballement pour légiférer alors que nous ne disposons pas d'un bilan des textes en vigueur. Vous avez d'ailleurs indiqué vous-même, monsieur le ministre, qu'il n'y avait sans doute pas assez de moyens pour les soins palliatifs. Nous devons donc avant tout faire en sorte que la loi de 2016 puisse s'appliquer pleinement.
Certains d'entre nous jouent le rôle de lanceurs d'alerte, estimant que cette proposition de loi pose une question fondamentale que nous ne pouvons passer sous silence : l'ultime geste thérapeutique serait-il de donner la mort ?
M. Marc Le Fur applaudit.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 61 .
Nous sommes en présence d'un sujet grave : la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. Nous parlons de la mort, mais ne survenant pas de n'importe quelle façon. La mort peut faire peur et donc nous faire perdre de vue nos repères, ce qui fonde notre civilisation – l'un de ces repères fondamentaux étant la protection de la vie, de toutes les vies. N'est-ce pas ce qui nous conduit depuis un an à sacrifier nos libertés les plus essentielles pour sauver nos pères, nos mères, nos grands-parents, nos enfants et nous-mêmes ?
Ce texte procède cependant à une inversion des principes qui gouvernent notre société depuis toujours, à une rupture, pour reprendre les mots de Jean Leonetti lui-même. La vie ne serait pas si sacrée, il faudrait organiser la façon dont quelques-uns seraient tués – il est dur et rude, mais c'est le mot exact – …
… avec l'aval de toute la société. N'y a-t-il pas là un immense paradoxe, une forme de choc entre des valeurs que l'on voudrait nous faire passer pour conciliables mais qui, dans les faits, ne le sont pas ?
Malgré toutes les précautions prises, vous ne pourrez pas empêcher de laisser penser que la dignité humaine serait liée à l'autonomie et que, dans l'extrême dépendance psychique et physique où peuvent nous plonger parfois la vieillesse et la maladie, cette dignité pourrait en quelque sorte se perdre. Un être humain deviendrait indigne parce qu'affaibli. Ce n'est pas ma conception.
Tout d'abord, mes chers collègues, je voudrais que l'on admette ensemble qu'il n'existe pas d'unanimité sur ce sujet et que certains d'entre nous ne sont pas plus que d'autres les dépositaires de la volonté générale des Français.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes REM, Dem, LR et UDI-I.
À mon avis, placer la liberté individuelle au-dessus de tout et voir la société comme une somme d'individus auxquels il faut accorder la plus grande autonomie possible traduit une vision assez réductrice du bien commun.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
La société ne peut être silencieuse sur la façon dont elle accompagne la mort, l'une des étapes les plus importantes de notre vie, et sur la façon dont celle-ci doit être vécue. Monsieur le rapporteur, vous avez parlé de survie douloureuse. Considérer certaines situations comme indignes, trop douloureuse pour être vécues, revient à dire à ceux qui décident de les vivre que la société estime qu'ils font un mauvais choix.
Cette liberté individuelle, ce droit à l'autonomie a donc un effet sur la collectivité et sur sa vision de la fin de vie.
Comme de nombreux orateurs, je soulèverai aussi une question de forme : un sujet aussi grave, plus complexe encore qu'il n'y paraît, ne peut pas se traiter en quelques heures de débat. C'est la deuxième raison qui me pousse à être défavorable à cette proposition de loi.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR et sur certains bancs des groupes REM et Dem.
La parole est à Mme Typhanie Degois, pour soutenir l'amendement no 119 .
À l'heure où nous nous battons pour la vie en interférant dans les actes les plus banals de la vie quotidienne de nos concitoyens – nous leur disons sous quelles conditions ils doivent sortir de chez eux et quand ils doivent rentrer – , nous voulons aller encore plus loin : légiférer pour savoir qui a le droit de mourir et donc de vivre.
Murmures.
Jusqu'où allons-nous aller ?
Les tenants de l'aide au suicide et de l'euthanasie invoquent le choix souverain du malade, son droit, sa liberté. Mais est-ce une liberté d'enfermer une personne vulnérable dans la solitude de sa décision, au nom d'une illusoire autonomie souveraine ?
Ces arguments omettent un point essentiel : nous sommes une société ; chacun de nos choix personnels a une dimension collective. À mon sens, ce n'est pas le rôle du Parlement ou de l'État de traiter des souffrances et des bonheurs inhérents à toute vie. Avec de telles lois, nous entrons dans la dictature de l'émotion.
Mme Blandine Brocard, M. Patrick Hetzel et M. Marc Le Fur applaudissent. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes REM et FI.
Nous avons le devoir de mieux accompagner la fin de vie, de mieux entendre la souffrance des malades. Faisons des soins palliatifs une priorité – je crois que nous sommes tous d'accord sur ce point. Pour ma part, je serais donc opposée à la création d'un énième droit revenant à sacraliser l'individualisme et à condamner, dans le même temps, notre civilisation à devenir un conglomérat d'intérêts particuliers, sans avenir.
Applaudissements sur certains bancs des groupes LaREM et LR.
Nous avons tous connu – ou aurons à connaître – l'expérience ô combien douloureuse de voir des proches, que nous aimons, partir trop tôt. Il n'y a pas d'égalité ou de réelle liberté face à la mort, mais des témoignages intolérables d'une agonie qui a trop duré par défaut d'accompagnement et de soins palliatifs.
Nous ne pouvons pas rester insensibles au sort de ceux qui traversent la frontière parce qu'ils n'ont pas obtenu en France de réponse à leurs souffrances, mais faut-il emprunter la voie de l'euthanasie ? Je répondrai par la négative en tant que médecin et aussi par respect pour tous ceux, notamment les bénévoles, qui s'engagent dans la voie des soins palliatifs. Sachez que j'éprouve néanmoins un profond respect pour ceux qui pensent autrement.
En France, le cadre juridique a évolué, prévoyant notamment la sédation profonde et continue, disposition que tout le monde ne connaît pas encore. Rappelons que 53 % des médecins ne connaissent pas la loi Leonetti. Les soins palliatifs évoluent entre deux extrêmes : acharnement thérapeutique et euthanasie. La sédation continue et profonde ne s'oppose pas à la fin de l'hydratation et de la nutrition, gestes thérapeutiques encadrés mais qui peuvent parfois être délétères pour le patient. C'est un acte profondément thérapeutique qui n'est pas dans l'intentionnalité.
Pensons aussi à la souffrance des soignants engagés dans les soins palliatifs et bâtissons ensemble une société de la confiance qui passe, précisément, par une augmentation des moyens accordés à ces services.
Mme Blandine Brocard applaudit.
En ce moment assez solennel où l'émotion traverse l'hémicycle et où les convictions s'expriment, nous sommes face à un dilemme classique entre une éthique de conviction et une éthique de responsabilité.
Pour ma part, comme M. le ministre, j'estime nécessaire d'évaluer au préalable l'application de la loi Claeys-Leonetti. Cinq ans après l'adoption de ce texte, il me paraît nécessaire de disposer d'un retour d'expérience à son sujet.
Nous devons aussi écouter la voix de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs et de toutes les équipes médicales – infirmiers, aides-soignants, techniciens – qui travaillent chaque jour dans les centres de soins palliatifs pour accompagner les patients et leur famille. Ces personnes nous ont transmis leurs témoignages. Nous devrions tous prendre connaissance de leur avis et de leur expérience avant de nous forger une conviction. Elles accompagnent le chagrin et le deuil prévisible, satisfont les besoins élémentaires et les derniers plaisirs de la vie. Lorsque tout est perdu, définitivement et irrémédiablement engagé, il y a la sédation profonde et continue, poursuivie jusqu'au décès du patient.
Avant de légiférer, nous devons procéder à cette évaluation, en ayant conscience des enjeux et des possibles dérives.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM , Dem et LR.
En cette période de pandémie, ce débat arrive à un très mauvais moment : médecins, infirmières, personnels soignants, pompiers et forces de l'ordre luttent comme jamais pour sauver des vies, et on n'a jamais autant parlé de la mort et des nombreuses questions qu'elle pose à nos sociétés. Certains collègues ont dit que la France et les Français étaient prêts, mais à quoi le sont-ils ? À légaliser l'euthanasie ? Je ne le crois pas.
Le groupe Libertés et territoires a eu le mérite d'ouvrir ce débat de société, mais ce n'est pas le genre de problème qui se résout en quelques heures à l'occasion d'une niche parlementaire dont la durée est contrainte. L'ordre du jour comprend cette proposition de loi et sept autres textes, ce qui ne permet pas un débat serein. Vous le saviez très bien. Le ministre l'a d'ailleurs dit et répété : le débat a besoin de temps et nous avons besoin de temps pour le débat. Même le président du groupe La République en marche a souhaité s'inscrire dans un débat sociétal de fond.
L'article 1er définit l'assistance médicalisée active à mourir comme « la prescription à une personne par un médecin, à la demande expresse de celle-ci, d'un produit létal et l'assistance à l'administration de ce produit par un médecin. » Ce seul alinéa mériterait un large débat au cours duquel la société civile devrait prendre toute sa part.
Aucune étude scientifique sérieuse ne permet actuellement une évaluation de la loi Claeys-Leonetti. Est-elle suffisamment connue et appliquée ? On ne le sait pas. Comme j'ai beaucoup de questions et très peu de réponses, j'ai déposé cet amendement visant à supprimer l'article 1er.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
Depuis près de vingt ans, la France a fait le choix de l'accompagnement des personnes les plus vulnérables, la voie du soin. Elle a été le premier pays au monde à disposer d'un texte, la loi Claeys-Leonetti de 2016, organisant la prise en charge des personnes en fin de vie. L'obstination déraisonnable a été interdite ; soulager est devenu une obligation légale, quoi qu'il en coûte ; accompagner est un devoir.
En optant pour les soins palliatifs, la France a fait un choix de société. Elle n'a pas choisi une société ultralibérale où l'on considère que l'individu est autonome, indépendant de tous, maîtrisant sa vie et sa mort. Elle a choisi une société de la fraternité et de l'interdépendance, prête à secourir et accompagner toute fragilité.
Mais la loi n'a pas été appliquée partout comme il le faudrait, faute de formation, de moyens, de volonté politique. La France est présentée comme retardataire car elle n'autorise pas l'euthanasie, mais c'est surtout un pays où sont pris en considération la complexité des situations et le risque de dérives. Elle doit devenir un modèle dans ce domaine, en offrant enfin à tous les citoyens la possibilité de bénéficier de soins palliatifs attentifs.
Est-ce le bon moment pour débattre de l'euthanasie ? Nous y reviendrons et je vous exposerai alors plus clairement ma position. Mais ce que nous voulons, c'est un vrai mandat du peuple ; or nous ne l'avons pas.
Murmures.
Je pourrais vous citer des sondages qui contredisent les vôtres. Nous souhaitons la création d'une vraie mission parlementaire. Nous voulons un vrai débat. Et ces mots que je viens de prononcer ne sont pas que les miens ; ils sont aussi ceux du docteur Claire Fourcade, présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs et qui a malheureusement été auditionnée – à sa demande – après que cette proposition de loi a été déposée et inscrite à l'ordre du jour – c'est scandaleux.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
La parole est à M. Jean-François Eliaou, pour soutenir l'amendement no 1232 .
Je souhaite également la suppression de l'article 1er. Nous voyons ici que le doute est permis pour ce débat comme il est permis en politique. Et, sur bien des sujets, et nos collègues le savent, je n'ai pas honte d'exprimer mes doutes.
Il faut l'admettre : les soins palliatifs sont trop souvent mal prodigués en France, cela en dépit de loi Claeys-Leonetti qui reste peu connue et peu appliquée. On ne peut cependant pas mettre sur le même plan, j'y insiste, soins palliatifs et euthanasie médicale, …
… surtout quand on ne précise pas, pour cette dernière, le délai de mise en oeuvre par rapport au pronostic vital – c'est sur ce point que l'article 1er me pose le plus problème. On ne peut pas les mettre sur le même plan en considérant a priori que les soins palliatifs sont un échec. Ce n'est pas le cas même si, bien entendu, il faut les améliorer.
Je suis en revanche – et j'exprime là mon doute – favorable à une avancée collective et rapide sur un sujet si sensible qui mêle droit, compassion et humanité. Seulement, travailler dans de telles conditions – et je le dis sans agressivité – me pose également problème ; surtout, et ce n'est pas un détail, chers collègues, quand, en pleine crise sanitaire, de très nombreux soignants font des efforts considérables pour sauver des vies.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR et sur certains bancs du groupe LaREM.
Le ministre l'a rappelé : nous abordons là un sujet intime et je vais vous faire part de ma réflexion personnelle avec beaucoup d'humilité. Il me semble que ce qui manque le plus, aujourd'hui, c'est que la mort réintègre nos vies : nous cherchons en effet par tous les moyens à la repousser, à prolonger nos vies, ce que je trouve infiniment regrettable. Peut-être que nous pourrions ajouter au présent débat celui sur le fait de savoir comment faire pour nous réapproprier notre mort.
Mais c'est vraiment comme médecin que j'entends m'adresser à vous. Mon action se fonde évidemment sur le serment d'Hippocrate selon lequel je ne dois jamais provoquer la mort délibérément. Dès lors, je me sens vraiment en porte-à-faux dans l'exercice quotidien de ma mission. Je sais bien que nous péchons, en France, par un déficit de culture du soin palliatif, par un manque de structures adéquates, par une diffusion certainement très insuffisante de l'information aux patients et à leurs proches. Reste que je suis certaine que nous disposons de compétences et d'une expertise qui doivent nous guider pour faire appliquer dans sa totalité, sans plus de délai, ce que le législateur exige depuis si longtemps, à savoir soulager l'agonie et permettre à chacun l'accès à des soins palliatifs de qualité. J'en profite pour saluer le plan national annoncé par le ministre, plan qui est une bonne chose et dont j'espère qu'il sera rapidement appliqué.
Comme médecin, il m'a été donné d'observer combien l'être humain peut changer d'avis, jusqu'à la toute dernière seconde, en toutes circonstances, y compris devant la mort. Pour moi, l'inconstance de nos désirs doit pouvoir s'exprimer jusqu'au bout – c'est pour moi une ultime liberté à laquelle je tiens et que je veux pouvoir exercer sans aucune pression extérieure, celle d'un tiers ou celle de la loi.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR et sur certains bancs des groupes LaREM, Dem et UDI-I.
Car ne nous y trompons pas : dès lors que le présent texte sera promulgué, le poids de ce possible fera basculer notre société toute entière vers de nouveaux raisonnements, vers une nouvelle relation à la vie et à la mort, …
… et peut-être vers un ailleurs qui pourrait nous échapper. Je ferai miens ces mots de Robert Badinter : « Nul ne peut retirer la vie à autrui dans une démocratie. »
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR et sur certains bancs des groupes LaREM, Dem et UDI-I.
La parole est à M. Thomas Mesnier, pour soutenir l'amendement no 1414 .
Nous entamons un débat redoutablement difficile, un débat que nous devons aborder pleins de doutes – j'en nourris pour ma part beaucoup – , pleins de dignité aussi, un débat ponctué d'applaudissements, peut-être, mais qui doit demeurer sans effets de manche ni apostrophes, ni huées. Il mérite en effet tellement mieux que cela.
Ce débat en dit beaucoup sur notre rapport à la mort, à la vulnérabilité ; et je m'interroge sur sa tenue dans un contexte qui n'aura échappé à personne. La souffrance, l'agonie seraient-elles devenues si insupportables qu'elles en seraient indignes ?
M. Patrick Hetzel applaudit.
J'ai beaucoup entendu, depuis tout à l'heure, que la France serait en retard. Or je crois au contraire qu'elle est très en avance. Peu de pays disposent en effet d'une loi comme la loi Claeys-Leonetti, en vigueur depuis cinq ans. Il y a une voie entre laisser mourir et faire mourir. Il y a une voie pour accompagner. Et, finalement, le droit de choisir, libre, sa fin de vie, le moment venu, existe déjà grâce à la loi Claeys-Leonetti, grâce aux directives anticipées, grâce à la possibilité de désigner une personne de confiance, grâce à la faculté de recourir à une sédation profonde et continue jusqu'à la mort.
Je crois profondément que l'urgence est de donner le temps et les moyens à la loi en vigueur de s'appliquer, avant que d'aller non pas plus loin mais, en effet, d'aller ailleurs.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR et sur certains bancs des groupes LaREM, Dem et UDI-I.
La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l'amendement no 1616 .
Le nombre d'amendements visant à supprimer l'article 1er montre qu'ils ne résultent pas de la volonté d'un quarteron de bloquer la discussion mais reflètent l'intention de nombreux députés siégeant sur tous les bancs. Ils s'interrogent, doutent, peuvent parfois changer d'avis dans un sens ou dans un autre. Le no 1616 est cosigné par plusieurs collègues du groupe UDI et indépendants : nous n'avons en effet pas souhaité multiplier les amendements de suppression.
Vous remarquerez que nombre des signataires de ces amendements sont médecins. Cela ne signifie pas que le débat devrait leur être réservé – c'est bien sûr un débat social, sociétal, politique et chacun d'entre nous, représentant de la nation, a vocation à s'y exprimer, à donner son avis et à indiquer son vote. Je note malgré tout que nombreux sont nos collègues médecins qui insistent sur le fait que, d'une part, la loi Claeys-Leonetti n'est pas assez connue, pas assez appliquée, et que les moyens attribués aux unités de soins palliatifs sont insuffisants pour traiter la souffrance de la fin de la vie.
Il nous faut le temps pour débattre et celui qu'accorde une journée d'initiative parlementaire ne suffit pas.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UDI-I et LR.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement no 1659 .
La question de la mort n'est pas nouvelle, elle ne date pas du premier texte de 1978, on l'a rappelé tout à l'heure ; cette question est intrinsèquement liée à ce que nous sommes, à l'être humain. La mort, oui, fait réellement partie de la vie et nous renvoie à notre finitude. C'est donc une des questions les plus existentielles qui soit. Et il faut bien reconnaître qu'Éros est plus sexy que Thanatos.
Pourtant, tout cela nous revient régulièrement et avec quelle force – la force, peut-être, de la loi, la force des convictions, la force du doute, aussi, qui, bien souvent, nous habite. Aussi, je trouve que certaines remarques sont particulièrement déplacées. Que savons-nous, en effet, les uns et les autres, de ce que nous sommes, de ce que nous avons vécu dans nos familles, de ce qu'ont vécu nos proches ? Que savons-nous du rapport intime que nous avons à la mort ? Rien, n'étaient quelques échanges personnels avec tel ou tel. Il est donc important de nous respecter, d'éviter de nous envoyer des statistiques et des certitudes à la figure.
En revanche, quelques textes, sans être des certitudes, suggèrent des voies que nous devons suivre. La loi Claeys-Leonetti en fait partie. Elle a été une loi d'apaisement, de consensus patiemment construit, pierre à pierre, au point d'être votée par un hémicycle serein. Eh bien, poursuivons ce débat, mettons en avant la nécessité des soins palliatifs…
Exclamations sur les bancs du groupe FI
… et nous aurons, je termine, madame la présidente, au moins, au-delà de nos divergences – fortes, à l'évidence – , réussi peut-être, grâce au présent débat, …
… à obtenir, enfin, une garantie pour le développement des soins palliatifs et…
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
La parole est à Mme Christine Hennion, pour soutenir l'amendement no 1756 .
Il est vrai que le moment est grave. Beaucoup a été dit, des médecins se sont exprimés mais cette proposition de loi ne se préoccupe pas beaucoup d'eux.
C'est pourquoi je souhaite avant tout rendre un hommage très sincère et appuyé à tous ces médecins, à tous ces soignants qui, depuis un an, se démènent jours, nuits et week-ends pour sauver des vies.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
Et il est paradoxal, chers collègues, presque indécent que nous examinions dans ce contexte même une proposition de loi sur l'euthanasie.
Mêmes mouvements.
Les soignants choisissent leur voie parce qu'ils croient à la vie, à l'humain ; ils sont comme nous sensibles à la détresse, à la douleur, à la mort – la mort qu'ils côtoient tous les jours et sur laquelle, comme chacun, d'entre nous, ils s'interrogent. Et nous, législateurs, il est de notre devoir de les aider dans leur mission. C'est pour cela que la formation aux soins palliatifs doit être généralisée, étendue à tous les soignants, à tous ceux qui n'en ont pas bénéficié dans leur cursus. Il faut instaurer une culture du soin palliatif dans les milieux médicaux. Il s'agit par-là, individuellement et collectivement, de changer notre regard sur la fin de vie, de rendre les soins palliatifs accessibles à l'hôpital, dans les EPHAD ou à domicile.
Surtout, ce que cette proposition de loi ne fait pas, chers collègues, c'est qu'elle n'aide pas les médecins. Au contraire de la loi Claeys-Leonetti qui prend leur mission en considération, respecte le serment d'Hippocrate et offre la sécurité d'un cadre clair, le présent texte fera peser une pression sur les soignants, quand bien même elle prévoit un droit de retrait. Et son champ d'application est tellement large, tellement vague, qu'il ne fera que les déstabiliser, …
… et provoquer chez eux un sentiment d'insécurité. Les litiges vont se multiplier. Or je ne souhaite pas la judiciarisation de la mort. Le doute doit profiter à la vie.
Cette semaine, nous avons entendu Jean Leonetti, qui a donné son nom à deux lois qui honorent la République, et qui peut se prévaloir d'une double expérience d'ancien parlementaire et de médecin. Il a commencé son intervention par une phrase simple et qui me semble essentielle ici : « J'ai une série de doutes. »
Comme à l'occasion de la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique, nous devons avoir l'humilité de reconnaître qu'au fur et à mesure des questions posées, de nouvelles apparaissent – plutôt que des réponses. C'est en tout cas ainsi que je ressens ce débat.
Si je propose la suppression de l'article 1er, monsieur le rapporteur, ce n'est ni par peur de la discussion ni par peur du vote. Je suis parlementaire, je suis fière de m'exprimer sur ce sujet aujourd'hui et je veux aussi voter en mon âme et conscience.
Reconnaissez aussi que si l'objectif de votre proposition de loi est largement partagé sur ces bancs, les doutes le sont aussi. Ils trouvent également un large écho en dehors de l'hémicycle : quand des voix aussi singulières et différentes que celles de Robert Badinter ou de Michel Houellebecq s'expriment, j'ai envie de tendre l'oreille et de comprendre pourquoi cette question essentielle ne fait pas l'unanimité.
Mme Blandine Brocard, M. Philippe Gosselin et Mme Agnès Thill applaudissent. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM, SOC et FI.
Deux principes ont beaucoup été invoqués au cours des débats : celui de dignité et celui de liberté. À propos du principe de dignité, Olivier Faure lui-même a dit qu'il pouvait être fallacieux de s'en réclamer en la matière. Je le crois moi aussi, parce que la dignité est consubstantielle à notre humanité et qu'aucun être humain ne devient indigne parce qu'il tombe malade.
Applaudissements sur certains bancs des groupes LR, LaREM, Dem et UDI-I.
Quant à la liberté, permettez-moi de douter qu'elle se limite à la possibilité de choisir sa mort. Plusieurs interpellations – et j'en finirai par là, madame la présidente – nous ont beaucoup marqués ces dernières semaines. Je songe notamment à celle de Philippe Pozzo di Borgo, qui s'est exprimé en ces termes : « On nous dit C'est un droit qu'on vous propose ; il ne vous enlève rien. Mais si ! Ce prétendu droit m'enlève ma dignité et, tôt ou tard, me désigne la porte. » Je ne suis pas prête à ouvrir cette porte aujourd'hui.
Mêmes mouvements.
La parole est à Mme Liliana Tanguy, pour soutenir l'amendement no 1908 .
Cette proposition de loi interroge notre éthique et le rapport que notre société entretient à la mort. Dans notre démocratie, on ne donne pas la mort. Le droit à la vie est inscrit dans le droit français : légaliser l'assistance active à mourir, ce serait transgresser l'interdit de tuer qui prévaut dans notre société. Cette transgression est un pas que je ne peux pas franchir : en conscience, en tant que législateur, je n'assume pas d'autoriser autrui à donner la mort. Je suis pour le respect de la vie et la nécessité de soulager celui qui souffre.
C'est précisément ce que permet la loi Claeys-Leonetti qui, si elle était mieux appliquée, permettrait l'accès aux soins palliatifs qui accompagnent la fin de vie en allégeant les souffrances – ce qui, en vertu du serment d'Hippocrate, est un devoir médical. Le médecin est celui qui soigne et non pas celui qui met fin à la vie d'autrui. C'est pourquoi je suis opposée à ce texte et à son article 1er : je suis pour l'accompagnement – par les soins palliatifs, par la sédation profonde – du malade en fin de vie, dans la dignité, en lui épargnant les souffrances, mais sans lui donner la mort.
La parole est à Mme Anne-Laure Blin, pour soutenir l'amendement no 2176 .
La mort nous taraude tous : tous, nous nous demandons comment nous aborderons notre propre mort. La discussion que nous avons entamée cet après-midi est évidemment le reflet de cette question qui se pose à chacun de nous. Dans ce cadre, nous avons besoin de débattre dans un certain apaisement. Or ce dernier ne prévaut absolument pas dans l'hémicycle. Il y aurait, selon certains, le camp du bien et le camp du mal – ceux qui pensent bien contre ceux qui pensent mal.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
Pourtant, plusieurs collègues l'ont souligné : nous ne pouvons pas avoir de certitudes – sur cette question moins que sur toute autre. Le véritable enjeu qui est posé à travers ce texte, c'est finalement celui de la société que nous, législateurs, voulons construire vis-à-vis des personnes fragiles et vulnérables. Parce qu'effectivement, une personne malade, fragile, qui souffre, ne saurait nous laisser insensibles, nous devons nous donner les moyens de résoudre ses difficultés, y compris au seuil de sa mort.
Beaucoup des professionnels que nous avons auditionnés l'ont dit : les soins palliatifs ne sont pas également répartis sur le territoire. Les professionnels de santé savent très bien que les soins palliatifs peuvent soutenir les personnes en fin de vie et que ces personnes, lorsqu'elles en bénéficient, sont entourées de leurs proches, de leur famille, de leurs amis, des personnes qui les aiment et à qui elles donnent elles aussi de l'amour. D'autres professionnels des soins palliatifs nous ont expliqué que le faible taux d'encadrement dans ces structures nourrit le souhait des malades d'en finir.
C'est donc à nous qu'il incombe d'avoir la volonté politique de donner les moyens budgétaires et financiers nécessaires pour garantir une parfaite adéquation entre les soins palliatifs et la souffrance des personnes en fin de vie.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR. – Mme Nadia Essayan applaudit également.
La parole est à Mme Bénédicte Pételle, pour soutenir l'amendement no 2397 .
Les conditions évoquées à l'article 1er, à savoir des douleurs insupportables ne pouvant être apaisées, ne justifient pas la création d'une assistance médicalisée active à mourir, car les soins palliatifs, on l'a dit, sont un moyen d'apaiser cette douleur.
Des citoyens avec lesquels j'ai échangé ont témoigné de la fin de vie douloureuse de proches et de la difficulté d'accompagner des personnes atteintes de maladies neurodégénératives. Il faut en effet reconnaître, comme cela a été fait à plusieurs reprises, un problème dans l'accès aux soins palliatifs, lequel se caractérise par un déficit de médecins formés et des inégalités territoriales marquées, par exemple entre Paris et les communes éloignées des grands centres hospitaliers. Un médecin en réanimation à Colombes, dans ma circonscription, me faisait ainsi part du désarroi qu'il ressentait quand des personnes envoyées par leur médecin référent arrivaient dans son service alors qu'elles n'avaient plus que quelques jours, voire quelques heures, à vivre et qu'elles auraient pu bénéficier de soins palliatifs à domicile pour finir leurs jours sereinement.
Si l'on peut se réjouir de la place de plus en plus importante donnée aux soins palliatifs dans la formation des professionnels, on peut regretter sa place encore minoritaire dans leur formation initiale, les propositions de stage restant insuffisantes. Nous pouvons également déplorer les financements fluctuants accordés d'une année à l'autre par certaines agences régionales de santé aux services de soins palliatifs.
Le jeudi 11 mars 2021, le ministre Olivier Véran a annoncé devant le Sénat le lancement d'un nouveau plan de développement des soins palliatifs. Notre devoir de parlementaires consistera à nous assurer de son effectivité et à en garantir le financement lors de l'examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Il serait préférable de faire connaître les soins palliatifs dans nos circonscriptions : nous devons aussi porter la voix de ceux qui veulent développer cette forme de soins.
Mme la présidente coupe le micro de l'oratrice. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
S'inscrivant parmi des dizaines d'autres qui visent à supprimer l'article 1er, il est loin de constituer une forme d'obstruction parlementaire, puisque ces demandes de suppression émanent de tous les bancs de l'hémicycle : il y a clairement un problème.
Je tiens d'abord à souligner l'indécence du moment choisi pour examiner ce texte – et je pèse mes mots ! Nous traversons une période pendant laquelle des personnes n'ont pas pu dire adieu à leurs proches. Et on leur laisserait entendre, à travers ce débat, qu'elles les ont laissés partir dans l'indignité ? Mais ce serait leur infliger une double peine ! Ce n'est pas du tout le moment d'évoquer cette question.
On nous assure que tout se passe bien dans les pays où l'euthanasie est légalisée. Or, après avoir interrogé des professionnels exerçant dans ces pays – je songe par exemple à la Belgique – , il apparaît qu'aucune modalité de contrôle du dispositif n'est prévue. Avant d'affirmer que tout va bien, encore faudrait-il que des contrôles existent ! La seule procédure prévue consiste à demander aux médecins de cocher des cases sur un formulaire pour dire s'ils ont pratiqué des euthanasies – légales ou illégales – et si elles se sont bien déroulées. On imagine bien qu'ils ne seront pas assez sots pour cocher la case « j'ai pratiqué des euthanasies illégales » ! Les contrôles, en réalité, sont inexistants.
On en est aussi venu à dire que tout ne se passe pas toujours mal. Mais quand il s'agit de donner la mort un homme ou à une femme, on ne peut pas se satisfaire de l'à-peu-près : tout doit être absolument parfait. Si même une seule personne avait trouvé la mort sans avoir demandé à être euthanasiée, ce serait déjà une de trop.
L'existence dans notre droit du délit de non-assistance nous impose d'accompagner toute personne en situation de détresse et de lui fournir une assistance humaine.
La parole est à Mme Blandine Brocard, pour soutenir l'amendement no 2683 .
De qui parle-t-on ? Qu'interrogeons-nous, au fond ? Nous parlons de nous et de notre humanité, de notre mort et de notre finitude. Certes, cela fait peur. Mais la peur de la mort ne constitue-t-elle pas un des piliers ontologiques de la condition humaine, qui est mortelle ? Alors faisons preuve, fondamentalement, d'humilité, face à la vie comme face à la mort.
Oui, nous tous ici, bien portants, nous avons peur, à tel point que je me demande si cette proposition de loi n'est pas, finalement, un texte de la peur et de la colère – face à la souffrance de ceux qu'on aime et qu'on chérit au plus profond de nous, face à notre propre agonie et à notre propre finitude, face à un désespoir sans fond. C'est ô combien compréhensible. Mais le tragique de la fin de notre vie ne peut être gommé ni nié, même si les drames qui nous heurtent imposent évidemment un immense respect.
Ce texte, selon moi, n'est pas la bonne réponse. Nous avons peur de notre propre mort. Pourtant, depuis un an, nous côtoyons hélas la mort au plus près, de manière très violente. Depuis un an, notre pays s'honore remarquablement de se battre pour préserver toutes les vies humaines. La France peut s'enorgueillir de choisir de porter haut les valeurs de solidarité et de fraternité, envers et contre tout. Je partage cette vision d'une société qui se tient aux côtés des plus faibles et des plus vulnérables. C'est ce message que nous répétons depuis un an, sans faiblir : chaque vie est importante et elle compte pour nous plus que tout, jusqu'au bout.
Alors oui, monsieur le ministre, il faut développer les soins palliatifs et mieux former les médecins, parce qu'on ne peut pas – on ne doit pas – abandonner les nôtres.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR et sur certains bancs des groupes LaREM et Dem.
La parole est à Mme Alexandra Louis, pour soutenir l'amendement no 2819 .
Sur une question aussi sérieuse, je crois, comme beaucoup, sans doute, que personne ne peut prétendre détenir la vérité : il s'agit d'un choix de société. À travers cet amendement de suppression, je souhaite simplement exprimer mes doutes.
L'article 1er prévoit de légaliser, sous certaines conditions, l'assistance médicalisée active à mourir. En d'autres termes, il s'agit de conférer un droit, encadré, d'ôter la vie. Ce débat est légitime, mais il est grave, car il pose des questions sociétales, philosophiques, humaines et juridiques et qu'il appelle des réponses aux conséquences irrémédiables.
Faire ce choix conduirait à une remise en cause totale de la philosophie qui sous-tend notre droit, lequel place la préservation de la vie humaine au sommet des valeurs protégées. Robert Badinter rappelait que, parce que le droit à la vie est le premier des droits humains, personne ne peut disposer de la vie d'autrui.
La question qui est posée à travers ce texte est celle de savoir s'il faut remettre en cause ce principe au nom de la liberté individuelle. Elle est si complexe qu'elle n'a jamais été tranchée par la Cour européenne des droits de l'homme, qui s'en remet à l'appréciation des États membres. Elle doit faire l'objet d'un débat qui dépasse largement l'enceinte de cet hémicycle, car la question de l'euthanasie ou du suicide assisté s'accompagne d'innombrables autres problèmes éthiques auxquelles nous sommes, je le pense, bien loin d'avoir répondu.
Je crois que les conditions de ce débat ne sont pas réunies, dans une période si compliquée, où notre société tout entière est mobilisée pour lutter contre une épidémie qui suscite beaucoup d'angoisses et de souffrances. Qu'on soit pour ou contre ce texte, nous sommes toutes et tous sensibles à la souffrance humaine et disposés à tout faire pour la limiter. Je ne sais pas si la mort vient au secours de la souffrance et de la dignité, mais je crois que l'accompagnement des personnes en souffrance et de leurs proches est une priorité, et je suis toujours frappée et émue des témoignages de ceux qui ont traversé cette épreuve et se sont parfois sentis bien seuls.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR. – Mme Cendra Motin applaudit également.
Merci, chère collègue.
La parole est à Mme Nadia Essayan, pour soutenir l'amendement no 2863 .
Je demande la suppression de l'article 1er, qui ouvrirait le droit à l'euthanasie. Même si je n'en partage pas le but, la proposition de loi a le mérite, à mon sens, non pas de mettre une nouvelle fois sur le tapis la demande de légalisation de l'euthanasie, mais d'amener le Gouvernement à annoncer des décisions fortes, dont j'espère qu'elles seront suivies d'effets tels que la pertinence de ce débat s'amoindrira d'elle-même.
Évaluer la loi Claeys-Leonetti, solliciter l'avis du Comité consultatif national d'éthique, développer les soins palliatifs, y compris en ville, mais surtout proposer la formation en soins palliatifs à tous les soignants : là est l'urgence. Dans les services de soins palliatifs, en effet, la question de l'euthanasie ne se pose presque jamais, dès lors que la douleur est maîtrisée et que le projet de vie est respecté jusqu'au bout.
C'est pour cela que je demande la suppression de cet article.
J'en parle en connaissance de cause car mon époux a été un des premiers médecins spécialisés en soins palliatifs en France et j'ai moi-même formé des praticiens dans ce domaine.
Nous devons d'abord faire le maximum pour préserver la vie avant de donner le droit d'euthanasier autrui, ce qui aurait des conséquences que l'on ne mesure pas encore pour les plus fragiles, handicapés ou très âgés, qui n'ont pas la possibilité de s'exprimer. Par cette disposition, serions-nous vraiment libres ? Ne serions-nous pas obligés, à un moment donné, de nous demander si nous devons rester en vie ou s'il ne faut pas plutôt partir pour mettre un terme à une situation pénible pour les nôtres et coûteuse pour la société ?
Je défends l'idée qu'il ne faut pas décider d'euthanasier dans la précipitation, avant d'avoir tout fait pour aider à mieux mourir, plus dignement, et ce dans l'ensemble du pays, y compris en outre-mer. Arrêtons de nous acharner mais apprenons à évaluer la qualité de la vie lorsque l'on opère des choix thérapeutiques très lourds en fin de vie. Faisons le maximum pour améliorer la vie jusqu'au bout avant de légaliser le fait de donner la mort.
Vous parlez des sondages mais leurs résultats ne sont pas nécessairement ceux que vous annoncez.
L'un d'entre eux indique que seuls 24 % des Français souhaitent obtenir l'euthanasie.
Seulement ! sur plusieurs bancs du groupe LR.
Mme la présidente coupe le micro de l'oratrice. – Applaudissements sur certains bancs des groupes Dem et LaREM et sur plusieurs bancs du groupe LR.
Les dispositions prévues par la loi Claeys-Leonetti ne sont pas appliquées de manière satisfaisante : l'accès aux soins palliatifs est inégal selon le territoire, les soignants sont insuffisamment formés, la prise en charge des malades en fin de vie connaît fréquemment des retards, et peu de directives anticipées sont rédigées.
Pourtant, lorsque le patient y a accès de manière satisfaisante, les soins prodigués, qui ne se résument pas à la sédation profonde et continue, permettent de répondre à 99 % des demandes d'accompagnement de fin de vie.
Si toutes les souffrances méritent de trouver une solution, l'urgence aujourd'hui est de permettre aux 70 % de personnes qui n'ont pas accès aux soins palliatifs d'en bénéficier. Certes, nous devons nous interroger sur les réponses à apporter à ceux dont les souffrances, mais la priorité est de garantir l'accès aux soins palliatifs avant d'envisager toute évolution législative en ce domaine. Dans le cas contraire, la seule alternative pour les personnes privés de soins adéquats, serait de se suicider ou de se faire assister pour mettre volontairement et instantanément fin à leur vie.
Par ailleurs, plusieurs points de la rédaction de l'article appellent par ailleurs un large débat : comment qualifier une phase avancée ? La notion d'impasse thérapeutique, mentionnée à l'article 2, n'est en effet pas évoquée ici.
De même, les dispositions prévues en cas de refus du médecin ou d'un membre de l'équipe de participer à une procédure d'assistance médicalisée active à mourir ne sont pas satisfaisantes. J'y reviendrai peut-être.
Je le répète, aucune évolution législative ne peut avoir lieu tant que nous n'aurons pas généralisé l'accès aux soins palliatifs.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et LaREM.
Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi aborde un sujet difficile qui risque de susciter des clivages – nous le voyons bien au sein de l'Assemblée – parce qu'il touche à des valeurs essentielles, à notre humanité, à notre condition d'être humain, à la vie, à la mort.
Nous avons tous entendu les ovations que vous ont réservées une grande partie des députés ici présents lors de vos interventions. Cet accueil signifie selon moi que nous partageons, de façon unanime, votre préoccupation concernant la qualité de vie et l'accompagnement des malades en fin de vie.
Ces questions fondamentales et essentielles sont au coeur de la crise sanitaire que nous traversons. Nous y avons été confrontés au quotidien. Les médias nous ont indiqué chaque jour le nombre de personnes hospitalisées, en réanimation ou décédées.
Face à cette crise sanitaire, nous n'avons pas eu peur de prendre des décisions très contraignantes, de confinement par exemple, qui ont eu un impact lourd sur la vie collective, sur nos proches et même sur nos enfants. Ces dispositions montrent que nous mesurons bien l'enjeu majeur que constitue l'accompagnement de la vie, quand bien même il concerne nos aînés, qui résident dans des EHPAD et dont l'espérance de vie est relativement courte.
C'est pourquoi la réflexion sur l'accompagnement et – comme cela vient d'être dit – sur les soins palliatifs est importante.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
La parole est à M. Joachim Son-Forget, pour soutenir l'amendement no 2950 .
Certaines coïncidences sont significatives. Le dimanche de Pâques, les auteurs d'une pétition publiée par le Journal du dimanche demandaient l'allongement des délais légaux d'accès à l'IVG au début du stade foetal tandis que dans une autre pétition, signée par de nombreuses stars du show-business, on demandait la légalisation de l'euthanasie, du suicide assisté. Puis, aujourd'hui, au moment où nous nous battons pour éviter que les plus faibles d'entre nous soient victimes de l'épidémie en cours, on nous dit qu'il faudrait achever leurs souffrances.
J'évoquerai une autre coïncidence, un peu malheureuse – même si le choix de cette date n'est évidemment pas délibéré. C'est aujourd'hui Yom HaShoah, journée de commémoration de la Shoah.
Exclamations sur plusieurs bancs.
Vous connaissez mon attachement, en tant que vice-président du groupe d'amitié France-Israël, pour Israël et pour la communauté juive. Il est troublant de penser que, pendant que nous célébrons, à travers la résilience dont ont fait preuve ces personnes, la résistance du vivant dans une situation extrême, on puisse saluer des médecins de la mort, des praticiens qui avaient suivi ces études dans le but de soigner, de conserver le vivant et qui se transforment aujourd'hui en médecins expérimentateurs.
J'ai choisi la médecine par vocation, et même en imaginant la souffrance de l'autre, une souffrance qui le plus souvent paraît insupportable à nos yeux, je ne suis pas prêt à donner la mort.
Monsieur Falorni, vous entretenez une illusion en prétendant qu'une personne qui consent à être achevée par autrui accomplit un acte de liberté. En tant que médecin, je ne suis pas prêt à vous suivre.
Sur les amendements nos 2 et identiques, je suis saisie par les groupes Socialistes et apparentés, Agir ensemble et Liberté et territoires d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Frédéric Descrozaille, pour soutenir l'amendement no 3027 .
Que les auteurs de cette proposition de loi me pardonnent si je reformule mal leurs idées et si je les choque. J'entends qu'il s'agit de donner au médecin le droit de passer à l'acte et, si j'ose dire, d'en finir lorsqu'un patient dit qu'il n'en peut plus et qu'il veut que cela s'arrête. Je peux imaginer qu'une telle décision soit parfaitement assumée. À l'évidence, il est bon de débattre de cette question qui fait naître plus de doutes que de certitudes.
Cela dit – et nous sommes certainement très nombreux à en avoir fait l'expérience – , dans le cas de maladies incurables telles que celles visées par la proposition de loi, le patient connaît des moments de découragement, d'impatience et de lassitude, puis des moments de lumière et d'humanité parfaitement insoupçonnables quelques secondes plus tôt. Or adopter cette proposition de loi reviendrait à donner à ces moments passagers des conséquences définitives, à considérer qu'à un certain moment, il faut renoncer à tout espoir. Je ne peux l'accepter.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
M. le rapporteur s'entretient avec M. le ministre.
Je vous prie de m'excuser, j'étais en conversation avec un autre Olivier. Et lorsque deux Olivier discutent, ils ne parlent pas uniquement de paix, comme leur prénom les y invite, mais aussi, beaucoup, de liberté – notamment d'ultime liberté.
Ces amendements auront été l'occasion pour chacun d'exprimer sa conviction. Lorsque, comme de nombreux collègues, j'ai dénoncé l'obstruction, je ne visais pas le fait de déposer des amendements de suppression. Au contraire : quand on est député, soit on souhaite enrichir le texte, auquel cas on dépose un amendement, soit on s'y oppose, et alors on dépose un amendement de suppression – comme cela s'est d'ailleurs passé en commission, où nous les avons traités les uns après les autres. C'est parfaitement légitime.
Cependant, étant l'auteur, avec de nombreux collègues, de cette proposition de loi, je suis – vous le comprendrez – en désaccord profond avec les arguments qui lui sont opposés, même si j'approuve nombre de vos remarques parce que nous partageons incontestablement, en tout cas pour la grande majorité d'entre nous, des valeurs humanistes. Vous ne serez donc pas surpris que j'émette un avis défavorable sur l'ensemble de ces amendements de suppression. Plusieurs collègues ont exprimé leur souhait de voter ; c'est ce que nous allons faire dans un instant.
Le Gouvernement a donné un avis de sagesse.
La parole est à M. Julien Aubert.
Vives exclamations sur de nombreux bancs des groupes LaREM, Dem, SOC et FI.
J'attendais ce débat avec impatience parce que, sur la question de l'euthanasie, je doute. La discussion devait donc nous aider à nous forger une opinion sur un sujet complexe. Mais votre réaction m'a déçu : j'ai perçu un contraste entre, d'un côté, des propos solennels, civilisés, progressistes, qui mettent l'accent sur la complexité de ces questions d'ordre intime et, de l'autre, la mise au pilori, la raillerie, les quolibets adressés par des gens bien portant à ceux qui ne pensent pas comme eux et dont ils voudraient raccourcir les interventions.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Il est vrai que je comprends votre colère : elle résulte de ce que le Président de la République préfère se concentrer sur l'ENA plutôt que de donner son avis sur la question de la fin de vie.
Cependant, ce débat où les euphémismes sont de mise, où l'on use de périphrases pour autoriser le suicide, où ceux qui ont plaidé pour l'abolition de la peine de mort au nom de l'humanisme invoquent aujourd'hui le même argument en faveur de l'euthanasie – ce qui est curieux, n'est-ce pas, monsieur Touraine ? – mérite que nous nous attardions sur quelques questions.
Tout d'abord, si nous votons pour le principe du droit à la fin de vie, qui, demain, pourra remettre en cause la légitimité de tel ou tel à étendre ce droit ? Comment pourrions-nous éviter que d'autres Angèle Lieby – cette femme qui était prisonnière de son corps – ne soient un jour victimes de ce droit que l'on accorde ? Enfin, qui décide qu'une vie est indigne dès lors que la dignité n'est plus inhérente au fait d'être une personne ?
Moi je doute. Mais lorsque je constate que vous ne doutez pas, j'en arrive à penser que vous souhaitez faire de ce débat une affaire politique.
Protestations sur de nombreux bancs du groupe LaREM.
« Je vois se construire un monde où ce n'est pas assez de dire, hélas ! que l'homme n'y pourra vivre ; il y pourra vivre, mais à la condition d'être de moins en moins homme. » Ces propos ne sont pas de moi mais de Georges Bernanos. Malheureusement, ils se révèlent pertinents aujourd'hui.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Vives exclamations sur de nombreux bancs du groupe LaREM.
Mêmes mouvements.
Mme Anne-Christine Lang proteste vivement.
Exclamations continues sur de nombreux bancs des groupes LaREM et SOC.
Madame la présidente, pourriez-vous intervenir afin que je puisse m'exprimer ?
Je vous en prie, madame Thill, vous avez la parole.
Est-il possible que je m'exprime sans devoir entendre un tel brouhaha à côté ?
Oui, madame Thill, vous seule avez la parole.
La majorité souhaite légaliser l'euthanasie. Je constate que de nombreux médecins s'y refusent et je me demande pourquoi. Peut-être est-il difficile pour un médecin d'appuyer sur la seringue létale. Ne l'étant pas moi-même, je ne peux me prononcer.
Je me dis en tout cas qu'il est facile pour nous de légiférer en laissant, mine de rien, aux médecins la responsabilité des conséquences de notre vote. On me dit que c'est un acte accompli par amour, mais posons-nous la question : est-ce qu'on appuierait nous-mêmes sur la seringue par amour ? Je n'appuierai pas sur la seringue pour ma fille, pour ma mère, pour mon conjoint ou pour mes amis ! C'est facile de…
Brouhaha.
Madame la présidente, il est vraiment difficile de parler dans de telles conditions.
Si les députés REM veulent bien me le permettre ! C'est tout de même un groupe compliqué…
Je continue à avoir des doutes sur la portée du consentement : est-ce que celui-ci justifie un tel acte ? Ce n'est pas le cas à mon sens dans notre droit. Je ne peux pas me résoudre à une société qui tue les siens.
Protestations sur de nombreux bancs.
Il est de coutume dans un tel cas de figure que chaque groupe puisse s'exprimer, vous ne découvrez rien, mes chers collègues.
Se donner la mort est un acte que je ne pourrais qualifier de courageux en tant que médecin parce que mon travail, c'est d'empêcher les gens d'en finir avec leurs jours, mais c'est un acte difficile auquel beaucoup renoncent parce qu'ils ont peur des conséquences d'un suicide raté, parce que leur état dépressif a pris fin ou bien parce qu'entourés des leurs, ils considèrent par esprit de responsabilité que leur propre douleur n'est peut-être pas encore assez forte pour générer de la douleur chez ceux qui les aiment. Des mécanismes extrêmement complexes entrent en jeu.
Dans notre rapport à la mort, nous faisons face à un paradoxe : d'un côté, il y a à déplorer de nombreux décès par suicide, 9 300 par an, soit plus de vingt-quatre morts par jour, et 200 000 tentatives, et nous luttons contre le suicide à coups de campagnes de prévention, de numéros Vert – si on peut du reste douter de l'efficacité de la méthode, on essaye ainsi d'éviter la mort – et, de l'autre, on cherche ici à la banaliser par ce texte, en plus de manière détournée en faisant peser la responsabilité de l'acte sur les médecins et même sur chaque contribuable qui contribuera à ce système par l'impôt. Pour ma part, je n'ai pas envie d'y prendre part, ni comme soignant, ni comme citoyen d'un pays qui banalise la mort et donc la vie.
M. Marc Le Fur applaudit.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 312
Majorité absolue 157
Pour l'adoption 56
Contre 256
De nombreux députés des groupes LaREM, Dem, SOC, LT, FI et GDR ainsi que plusieurs députés des groupes LR et UDI-I se lèvent et applaudissent longuement.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à dix-neuf heures trente.
La séance est reprise.
En raison de l'heure, la suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures :
Suite de la discussion de la proposition de loi donnant le droit à une fin de vie libre et choisie ;
Discussion de la proposition de loi relative au statut de la Corse ;
Discussion de la proposition de loi sur le don d'organes ;
Discussion de la proposition de loi sur la légalisation du cannabis ;
Discussion de la proposition de loi organique sur la rétroactivité des dispositions fiscales ;
Discussion de la proposition de loi sur les objectifs de développement durable ;
Discussion de la poposition de loi constitutionnelle sur le vote blanc.
La séance est levée.
La séance est levée à dix-neuf heures trente.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra