La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi confortant le respect des principes de la République (nos 3649 rectifié, 3797).
Cet après-midi, l'Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s'arrêtant à l'amendement no 396 à l'article 13.
Visant à supprimer les alinéas 2 et 3 de l'article, il fait suite aux observations formulées par le Conseil supérieur du notariat lors de son audition. Celui-ci a indiqué que l'article 913 du code civil, complété par la présente proposition, prévoit un prélèvement compensatoire pour rétablir la réserve que connaît le droit français. Cela ne semble pas conforme aux dispositions du règlement européen, qui précise qu'une loi étrangère désignée par le règlement, qui connaît une réserve différente de celle d'une autre loi, ne peut être écartée pour ce seul motif. C'est pourquoi, pour rendre le texte conforme au règlement européen, nous proposons la suppression de ces alinéas.
Cet amendement technique, dont le premier signataire est M. Patrick Hetzel, fait suite aux observations du Conseil supérieur du notariat.
L'amendement no 696 de M. Marc Le Fur est défendu.
La parole est à Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure de la commission spéciale pour le chapitre III du titre Ier, pour donner l'avis de la commission.
Ma réponse sera longue et explicative. Il me semble inopportun de supprimer les dispositions qui complètent l'article 913 du code civil, puisqu'elles permettront aux enfants évincés d'une succession, pour quelque motif que ce soit, de récupérer leur part successorale sur des biens situés en France. Il faut mettre fin à la possibilité pour le testateur d'établir des discriminations entre ses enfants en raison de leur sexe, de leur ordre de naissance, de leur filiation, de leur religion ou encore de leur orientation sexuelle.
Ce dispositif paraît conforme au règlement européen relatif aux successions, comme l'indique l'avis du Conseil d'État, qui y était favorable. Ce règlement prévoit des exceptions dans lesquelles la loi interne peut contrarier l'application de la loi étrangère désignée par la règle de conflit. Parmi elles, figure l'exception d'ordre public international prévue par l'article 35 du règlement. La Cour de justice de l'Union européenne laisse une certaine marge d'appréciation aux États membres pour définir les contours de leur propre ordre public international. Il ressort de sa jurisprudence plusieurs conditions pour qu'une disposition nationale puisse être considérée par l'État membre comme d'ordre public international. La règle interne doit correspondre à des valeurs partagées par l'ensemble des États membres et constituer pour l'État considéré un élément essentiel de son ordre juridique, social, économique ou culturel. La réserve héréditaire remplit ces conditions ; elle est un principe commun à l'ensemble des États membres de l'Union européenne liés par le règlement et elle exprime des valeurs politiques et culturelles fortes, puisqu'elle traduit notamment les principes républicains français que sont la liberté, l'égalité et la fraternité.
L'article 13 ne dit pas que la loi étrangère doit être écartée lorsqu'elle prévoit une réserve différente ou moindre. Il ne permet le prélèvement compensatoire que si cette loi étrangère ne connaît aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants. Il serait donc excessif d'exiger de la loi étrangère qu'elle prévoie une règle équivalente à celle de la loi française. L'essentiel est que la loi étrangère accorde une protection minimale à l'enfant. Avis défavorable.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, pour donner l'avis du Gouvernement.
Il n'y a rien à ajouter. Même avis.
À titre personnel, je suis favorable au mécanisme de la réserve, pour privilégier une certaine égalité et garantir le versement d'un montant minimal pour l'ensemble des enfants dans la succession de leurs parents. Je comprends le mécanisme que vous créez pour lutter contre la volonté d'exhéréder des héritiers en raison de leur sexe ou d'avantager l'aîné par rapport aux autres enfants, mais le remède proposé risque d'être pire que le problème qui se pose dans certaines situations.
Le droit anglo-saxon ne prévoit pas de mécanisme de réserve. Plus largement, la grande majorité des pays n'en prévoit pas. Or, dans le cas de ressortissants étrangers qui investissent en France, en étant persuadés que les règles de succession de leur pays s'appliqueront au moment de leur décès, le mécanisme de la réserve s'appliquera obligatoirement, du fait qu'ils ont investi en France et dès lors que l'un de leurs héritiers réside dans un pays de l'Union européenne, et ce alors même que ce n'était pas leur volonté. Je crains qu'en conséquence, des étrangers n'investissent plus en France, de peur que le régime de succession ne corresponde pas à leur culture et à leur droit. En somme, vous allez mettre en péril des investissements étrangers en France en leur imposant des règles de succession qui ne sont pas les leurs.
Pour que la réserve s'applique, il faut des biens situés en France et une demande de l'un des enfants. Il est logique que des biens situés en France répondent à un droit de succession en France. Mais la mesure n'a pas de caractère obligatoire ; elle donne seulement la possibilité d'utiliser un mécanisme permettant d'équilibrer la succession entre les héritiers.
Dans la lignée des propos de Mme la rapporteure, j'ajoute qu'il ne s'agit évidemment pas de léser qui que ce soit. Dans le cas de figure que vous évoquez, si quelqu'un investissait dans un bien en France, personne ne viendrait le lui confisquer. Il s'agit au contraire d'éviter que dans l'héritage, l'un des enfants soit lésé – singulièrement, la fille.
Vous dites que des gens, connaissant cette loi et le fait que la France défend l'égalité entre les filles et les garçons devant l'héritage…
… renonceraient à acquérir des biens.
Quelqu'un dit « Tant mieux ! » : oui, il faut assumer ! De la même manière que pour les amendements précédents, qui concernaient un autre sujet, nous assumons parfaitement la volonté de renforcer le droit, afin qu'il soit plus équitable et plus égalitaire. Nous ne cautionnons pas le fait de déshériter des filles parce qu'elles sont des filles. C'est bien l'objet de l'article.
Il ne s'agit pas de déshériter des filles, quand on parle de pays anglo-saxons !
Madame la ministre déléguée, permettez-moi d'illustrer les propos de M. Huyghe par un exemple. Aux États-Unis, les règles de succession ne sont pas fédérales, mais relèvent de chaque État. En Californie, il n'y a pas de réserve héréditaire ; si vous y êtes résident, quand bien même vous êtes Français, vous pouvez léguer vos biens à qui vous voulez, y compris ceux que vous possédez en France.
Et alors ?
Comment s'appliquerait l'article 13 dans cet exemple ? Si vous avez eu le malheur de garder quelques biens en France et que l'un de vos enfants est ressortissant de l'Union européenne, celui-ci demandera le bénéfice d'une réserve héréditaire. Cela n'a rien à voir avec le fait que ce soit un garçon ou une fille…
… puisque le mécanisme n'existe pas en droit californien. On rentrera alors dans un conflit de droit, qui enrichira essentiellement les avocats.
Les États-Unis comptent cinquante États, dont relève le droit de l'héritage et du patrimoine. Compte tenu de ce point, dans combien d'États au monde existe-t-il une réserve héréditaire ?
On ne le sait pas ! Et pourtant on s'apprête à voter cet article, qui n'atteindra absolument pas son objectif. Le titre du chapitre III est « Dispositions relatives au respect des droits des personnes et à l'égalité entre les femmes et les hommes », mais ces questions n'ont rien à voir avec ce sujet. En droit anglo-saxon, ce n'est pas un problème d'homme ou de femme ; on considère que chaque individu est libre d'utiliser sa fortune comme il l'entend. Ce n'est pas le cas dans le droit français. À chacun son droit !
Nous appuierons l'article, même si nous regrettons l'absence de chiffres dans l'étude d'impact pour cet article, comme pour beaucoup d'autres. Contrairement à ce que j'entends, il nous semble évident qu'il va dans le sens d'une plus grande égalité et d'une lutte contre les discriminations sexistes.
M. Charles de Courson fait un signe de dénégation.
Si, M. de Courson ! Peut-être pensez-vous que la réserve héréditaire est une mauvaise chose ; je pense le contraire, parce que je considère qu'il n'y a pas de raison d'avoir une liberté totale sur la manière de gérer un héritage quand justement, l'un des enfants est discriminé – c'est très souvent le cas des filles. J'entends votre argument, prévenant que la situation sera compliquée avec certains pays. Eh bien, on verra avec eux, dans les négociations bilatérales, comment appliquer la mesure. Mais pour que cela ait lieu, il faut que la loi soit votée. C'est pourquoi nous appuyons cet article.
Je vous trouve très optimistes, chers collègues ! Vous nous invitez à voter une loi qui deviendra un contentieux juridique international : avec des pays qui croient plutôt en la personnalité active des lois, c'est-à-dire que les lois s'appliquent à leurs ressortissants de manière active ; avec des pays qui ont plutôt des systèmes reposant sur la personnalité passive des lois, c'est-à-dire dont les victimes peuvent être leurs ressortissants ; avec des pays dont les systèmes juridiques sont basés sur la territorialité des lois ; avec des pays qui combinent personnalité active, personnalité passive et territorialité – sans compter ceux qui font un peu d'extraterritorialité.
Je suis frappé par l'écart entre l'objectif que vous visez, qui est de ne pas désavantager les femmes – et avec lequel nous sommes tous d'accord – et ce que vous faites ! Je suis favorable à la réserve héréditaire, mais ce n'est pas le sujet. Vous entendez ne pas déshériter les femmes – très bien – et à la fin, l'article ne fait pas référence au genre et il s'appliquera à tous les pays – ce qui nous écarte un peu du sujet du projet de loi. Vous aurez des contentieux avec des pays anglo-saxons, avec des ressortissants franco-japonais, etc. Cela va devenir un vrai nid à contentieux !
Enfin, vous allez provoquer des heurts entre la conception juridique de chaque pays et la nôtre, ce qui conduira à conclure des conventions bilatérales pays par pays, pour essayer de clarifier les choses. Sans compter que les biens peuvent être mobiles : ce ne sont pas uniquement des biens immobiliers. Par conséquent, certains vont se mettre à vider leurs comptes pour éviter ou contourner la loi française.
Je ne dis pas que tous ces sujets sont des obstacles dirimants ; néanmoins, nous pourrions y réfléchir avant de voter un projet de loi qui risque de nourrir beaucoup d'avocats et assez peu d'héritières, malheureusement.
La mesure prévue dans l'article ne concernera pas tous les pays de façon obligatoire. Plusieurs conditions sont nécessaires : un décès en France ou la résidence en France de l'un des enfants du testateur ; un autre pays impliqué dans la succession n'ayant pas de mécanisme de réserve héréditaire ; des biens situés en France. L'article est favorable aux femmes, mais pas uniquement : il permet de répartir les droits de succession entre les différents héritiers.
L'alinéa ne s'appliquera donc qu'à plusieurs conditions : il ne s'agit ni d'une distribution générale, ni d'une obligation faite à tous les pays. La réserve héréditaire existe dans les pays d'Europe et certains pays d'Afrique. Il peut arriver également qu'une succession se déroule à l'amiable : toutes ne font pas l'objet de conflits.
Ces débats auront des conséquences importantes : je regrette l'absence du garde des sceaux, comme à chaque fois que nous traitons du code civil, notamment lors de l'examen du projet de loi relatif à la bioéthique. Nous n'entendons pas l'avis officiel du ministère de la justice. Madame la ministre déléguée, je ne vous mets pas en cause personnellement, …
… bien au contraire, néanmoins il s'agit de sujets tellement compliqués !
L'amendement no 398 vise à supprimer le début de l'alinéa 3. En effet, le seul fait d'être ressortissant d'un État membre ou d'y résider habituellement, qu'il s'agisse du défunt ou de l'un de ses enfants, ne suffit pas à établir la compétence d'une autorité française, ni l'application de la loi française. Il paraît donc très incertain de vouloir établir un lien entre la réserve prévue par la loi française et la succession.
Les amendements identiques nos 517 , de M. Patrick Hetzel, 699, de M. Marc Le Fur et 1201, de M. Ludovic Pajot, sont défendus.
Quel est l'avis de la commission ?
Avis défavorable. Cette disposition vise à faire jouer un ordre public de proximité, que l'on peut qualifier d'européen. Si le juge français est compétent et que la succession présente un lien avec l'Union européenne, il pourra appliquer la mesure.
Même avis. Pour répondre à M. Breton, je souligne que le travail d'élaboration du projet de loi a été interministériel. M. le garde des sceaux a donc évidemment travaillé avec nous sur ces mesures importantes et il s'est d'ailleurs exprimé à de multiples reprises sur l'égalité entre les femmes et les hommes en matière d'héritage, et sur les réserves héréditaires. En outre, ses équipes sont présentes. Vous le savez bien, l'avis de la ministre ou du ministre présent au banc du Gouvernement est celui du Gouvernement. Les avis du garde des sceaux sont donc parfaitement conformes à ceux que j'exprime ici, de même que l'avis qu'il exprimera lorsqu'il siégera au banc engagera tout le Gouvernement.
Je réponds aux questions !
J'espère que le ministre de l'économie, des finances et de la relance a participé au travail interministériel. En effet, comme je l'ai montré précédemment, cette disposition est susceptible d'avoir des conséquences sur l'attractivité de la France pour les investisseurs étrangers. J'insiste : je crains qu'elle n'aille à l'encontre des intérêts de la France, en la privant d'investissements qui créeraient de l'emploi.
Vous n'avez pas répondu à la question : si l'un des enfants habite à Chypre, en Union européenne, il bénéficiera des dispositions de l'article 13, mais s'il habite en Turquie, non ; s'il réside en Ukraine, non, mais s'il réside en Pologne, oui. Qu'est-ce que ce nouveau concept d'ordre public de proximité ?
Chypre est quand même assez éloignée de la France, plus que des États comme l'Ukraine ou la Biélorussie, par exemple. N'allez-vous pas instaurer une rupture d'égalité entre les enfants ? Pourquoi distinguer les enfants vivant dans un pays de l'Union de ceux qui n'y résident pas ? Expliquez-nous ce que désigne cet « ordre public de proximité ».
La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l'amendement no 1395 .
Pourriez-vous justifier la rupture d'égalité que le texte établit entre les conjoints, en particulier les femmes, et les enfants ? Pourquoi l'article 13 ne prend-il pas les conjoints en considération ? Certains droits, comme le droit californien, excluent le conjoint de la succession, notamment lorsqu'ils autorisent à léguer ses biens librement.
Si ce n'est pas la même réserve, c'est qu'il existe une réserve ! Pourquoi cette distinction entre la mère et les enfants ?
Sur l'article 13, je suis saisi par le groupe La République en marche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Quel est l'avis de la commission ?
La réserve du conjoint a été créée bien après celle des enfants, par la loi du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral.
Elle est subsidiaire et n'existe qu'en l'absence d'enfants. En outre, son fondement n'est pas de même nature. Le mariage est un lien juridique électif et fragile, qui peut facilement être rompu par le divorce. Il n'en va pas de même du lien entre parents et enfants. Ainsi, la réserve héréditaire du conjoint n'a pas une assise juridique aussi solide que celle des enfants ; il n'est pas possible de lui donner la même force. En France, le droit est fondé sur la filiation, la réserve héréditaire concerne donc en priorité les enfants. Enfin, la situation du conjoint dépend du contrat de mariage. Avis défavorable.
L'amendement no 1395 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Il vise à compléter l'alinéa 3 par la phrase suivante : « Les libéralités préalablement consenties par un défunt à un enfant doivent être imputées sur la part de réserve ». En effet, la rédaction de l'article 13 ne prévoit pas de déduire les sommes correspondant à des libéralités consenties par le défunt de la part de réserve à laquelle l'enfant pourrait prétendre, en vertu de ce droit de prélèvement. Pourtant l'étude d'impact indique que les libéralités devraient être imputées sur la part réservataire. L'amendement vise à corriger cette imprécision.
Les amendements no 516 , de M. Patrick Hetzel, et no 698, de M. Marc Le Fur sont défendus.
Quel est l'avis de la commission ?
Avis défavorable. Votre amendement est déjà satisfait. Le texte prévoit que « chaque enfant [peut] effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants, situés en France au jour du décès, de façon à être rétabli dans les droits réservataires que [lui] octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci. » La conséquence est que les libéralités doivent être imputées sur la part de réserve : les donations entrent en compte dans le calcul. Comme son nom l'indique, le prélèvement compensatoire vise à compenser une perte, dans la limite des droits réservataires de l'enfant. Ce dernier ne peut donc obtenir davantage.
Il fait également suite à une observation émise par le Conseil supérieur du notariat lors de son audition. Il est intéressant de relever que l'étude d'impact affirme qu'il a été consulté, tandis que ses représentants ont indiqué ne pas l'avoir été avant que le dépôt du texte. C'est bien la preuve que ce projet de loi n'a fait l'objet d'aucune concertation préalable.
L'amendement vise à supprimer les alinéas 4 et 5, qui prévoient l'obligation pour le notaire d'informer les héritiers susceptibles d'être lésés par les libéralités effectuées par le défunt. Son application concrète risque de soulever des difficultés, en particulier d'entraîner le blocage de successions. Comment en pratique informer chaque héritier individuellement ? C'est une question de bon sens.
Puisque vous suivez tous très attentivement nos travaux, vous aurez remarqué que nous avons des problèmes de dérouleur et de tablettes. Tout cela va évidemment être réparé : accordez-nous quelques instants.
Les amendements nos 518 , de M. Patrick Hetzel et 701, de M. Marc Le Fur, sont défendus.
Quel est l'avis de la commission ?
Avis défavorable. J'ai bien entendu en audition le Conseil supérieur du notariat, ainsi que plusieurs notaires. Je précise que la mission des notaires chargés d'une succession comprend la recherche des héritiers, qu'il s'agisse d'une recherche dans le territoire, ou qu'ils agissent dans le cadre de la réserve héréditaire, quelquefois avec la participation de généalogistes. Ils ont aussi une mission d'information, une mission de conseil et effectuent une estimation des biens, avec les notaires d'autres pays si besoin. En cas de difficulté, la succession se trouve bloquée, mais chacun des héritiers a intérêt à faire le nécessaire pour contribuer à la faire aboutir.
D'autre part, les notaires ont une obligation de moyens, pas de résultat : ils recensent les héritiers en fonction des possibilités, au moment de la succession. Ils peuvent ne pas en avoir recensé la totalité, si, malgré leurs recherches, ils n'en ont pas connaissance.
Même avis. J'ajoute que les notaires que nous avons auditionnés, notamment avec mon éminent collègue le garde des sceaux, nous ont certifié que les recherches et l'information, notamment individuelle, font déjà partie de leur travail dans le suivi des successions.
Pourriez-vous nous expliquer comment s'appliquera le texte ? Quel notaire sera concerné ? La loi française ne s'applique que sur le territoire de la République française. L'article 13 concerne la succession de défunts morts à l'étranger ; si le notaire est étranger, les dispositions prévues aux alinéas 4 et 5 s'appliqueront-elles, ou s'agit-il d'un espace vide ?
Si vous le voulez, j'entrerai avec plaisir dans le détail. Vous avez mentionné différentes auditions avec des notaires ; ils vous auront certainement expliqué leur travail et la manière dont le texte s'appliquera. Il n'y aura pas de vide, au contraire : nous venons remplir un vide juridique.
Les situations que nous évoquons ne sont pas créées par l'article. Je le souligne, parce que depuis tout à l'heure, vous objectez que le texte produira des contentieux et créera des difficultés pour les notaires. Or, ces contentieux existent déjà !
Imaginez que vous soyez une citoyenne française, et que vous pâtissiez d'un droit coutumier en vous trouvant déshéritée par vos parents, qui vivaient à l'étranger, parce que vous êtes une fille. Vous dites que vous êtes favorable à l'égalité des filles et des garçons devant l'héritage. Si c'est le cas, ne pinaillons pas : oui, cette disposition va donner du travail aux notaires et aux avocats, et créer des contentieux. L'objectif est d'instaurer un droit nouveau pour les filles, de les protéger d'une inégalité. Comme disait le général de Gaulle : l'intendance suivra !
Madame la ministre déléguée, je vous ai posé une question précise : à quel notaire s'applique cette règle ? Ma question est très simple. L'article 13 concerne des personnes décédées à l'étranger et dont la succession relève de la loi étrangère ; or, la législation ne peut s'appliquer qu'aux notaires français, non aux notaires étrangers, d'où mon interrogation. Il vous suffit de me préciser si, selon vous, celle-ci s'applique aux notaires français, ou également aux notaires étrangers. C'est tout ce que je veux savoir.
Ce cas de figure n'est pas nouveau, monsieur de Courson, puisque certaines familles ont des biens dans deux pays : si les biens sont situés en France, les héritiers ont recours à un notaire en France, lequel prend appui sur un notaire du pays d'origine pour estimer les biens et régler la situation.
Oui, évidemment !
Cela se pratique régulièrement : même la recherche des héritiers se fait avec l'aide d'un notaire étranger et, si besoin, d'un généalogiste.
En outre, beaucoup de ces situations se règlent à l'amiable, sans faire l'objet de contentieux.
L'article 13 ouvre une possibilité pour certains héritiers, qui, s'ils ne sont pas nombreux, méritent tout de même d'être pris en considération. Le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés s'en réjouit.
Pour répondre à M. Huyghe, si, dans le but de déshériter un enfant, des investissements n'ont pas été réalisés en France, je ne vois aucune raison de ne pas renforcer la protection des héritiers. C'est la raison pour laquelle notre groupe est favorable l'article 13.
L'amendement que je défends tend à préciser que le notaire est tenu à l'obligation d'information prévue à l'alinéa 5 de l'article 13 au moment du règlement de la succession. Cette précision permettra de ne pas alourdir inutilement la responsabilité des notaires. Il ne saurait en effet leur être reproché de ne pas avoir informé les héritiers réservataires, lorsque l'atteinte à la réserve est révélée plusieurs années après le règlement de la succession. Nous proposons ainsi d'établir clairement qu'une fois la succession réglée, le notaire est déchargé de son obligation d'information.
Le Conseil supérieur du notariat a par ailleurs indiqué que l'information ne devrait être due qu'aux héritiers connus : on ne saurait en effet reprocher au notaire ayant effectué les recherches nécessaires d'ignorer l'existence d'un héritier. Les successions ne peuvent pas durer indéfiniment en raison d'un simple doute des notaires.
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l'amendement no 2496 .
Il s'agit d'un amendement identique. Le Conseil supérieur du notariat a fait part de ses arguments, même si la précision introduite par ces amendements n'est pas indispensable. En tout état de cause, le notaire est tenu de l'obligation d'information au moment où il règle la succession. Je souligne également qu'il est soumis à une obligation de moyen, non de résultat : au moment où il règle la succession, il le fait avec les informations dont il dispose.
Favorable.
Je reviens sur les propos de notre éminent collègue de Courson : vous parlez de notaire, mais il n'est pas obligatoire de recourir à un notaire pour toutes les successions. Par conséquent, si aucun héritier ne sollicite de notaire français, on ne pourra absolument pas agir.
De plus, l'alinéa 3 mentionne un ressortissant de l'Union européenne. Or, celui-ci peut être belge, polonais ou chypriote, et lui non plus n'a pas forcément de raison de solliciter un notaire français pour un bien situé en France, d'autant que ce ne sera pas forcément un bien immobilier. S'il s'agit d'un portefeuille de valeurs mobilières, il n'est nul besoin de recourir à l'intervention d'un notaire, pas plus que s'il s'agit d'actions directement détenues dans une entreprise française.
La résolution de problèmes qui posent la question de l'égalité entre les femmes et les hommes est un objectif que nous pouvons tout à fait partager. Par ailleurs, je souhaite qu'on ne prive personne d'une partie de son héritage en raison de son sexe. Mais la question est beaucoup plus large et touche bien plus de cas que ceux que vous évoquez. Pour éviter que, dans un héritage, une fille ne soit lésée au bénéfice d'un fils, vous prenez une disposition qui déstabilisera totalement le droit des successions internationales, en sortant complètement du cadre de fonctionnement habituel des successions. Le droit successoral est une matière complexe, qui suppose, pour mettre un terme à des situations qui ne sauraient perdurer, qu'on utilise des modalités adéquates : celle que vous proposez ne l'est pas et elle posera plus de problèmes qu'elle n'apportera de solutions.
Je suis quelque peu surprise par votre intervention, monsieur le député. Comme vous le savez, en vertu des dispositions de la loi française, on passe par un notaire dès lors que le montant d'une succession est égal ou supérieur à 5 000 euros.
Murmures sur les bancs du groupe LR.
Il en va de même dès lors que la succession comporte un bien immobilier.
Je reviens sur la question de la nationalité du notaire : ces dispositions s'appliquent bien évidemment aux notaires français. Nous avons, certes, évoqué leur surcharge de travail – peut-être souhaitez-vous d'ailleurs leur en donner moins, mais le Gouvernement estime que ce travail est fondamental. Il revient à la loi de préciser les modalités du travail demandé aux notaires, afin de permettre l'égalité entre les femmes et les hommes. Vous vous dites favorable à l'égalité entre les filles et les garçons en matière d'héritage : le Gouvernement se donne les moyens d'atteindre cet objectif.
En entendant votre réponse, madame la ministre déléguée, je comprends mieux que vous ayez évoqué le général de Gaulle et indiqué que l'intendance suivrait. L'amendement no 400 est défendu.
Afin de répondre au souhait des notaires et de plusieurs députés, l'amendement no 2497 vise à préciser que le notaire informe chaque héritier concerné, mais aussi connu. On modifie ainsi l'obligation faite aux notaires, de façon à les protéger et de répondre à leurs inquiétudes quant au coût de leur assurance responsabilité civile professionnelle. Avis défavorable aux amendements nos 400 , 519 et 702 .
L'amendement no 2497 est adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 121
Nombre de suffrages exprimés 120
Majorité absolue 61
Pour l'adoption 93
Contre 27
L'article 13, amendé, est adopté.
La polygamie, convenons-en, n'est pas un principe républicain. Notre assemblée l'a tranché et le code civil l'a écrit : la France reconnaît le mariage entre deux personnes, et seulement deux. Cet article remédie aux quelques lacunes qui pourraient encore subsister.
Comprenons-nous, si la France est une terre d'accueil, force y est donnée à notre loi, qu'il nous faut respecter et faire respecter. En France, devant la loi, on ne se lie qu'à une seule personne. Le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés votera bien évidemment en faveur de cette avancée et pour l'article 14.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.
Il convient d'évoquer la question du mariage, avant celle de la polygamie. Quel est le rapport avec la polygamie, me direz-vous ? En France, certaines personnes doivent disposer d'un certificat de nationalité pour se marier.
Certes, ni vous ni moi n'en avons besoin puisqu'il nous suffit de fournir un livret de famille ou une pièce d'identité. Je voudrais citer l'exemple d'une personne née en France, à Louviers, possédant des papiers français puisque elle est française, qui est fonctionnaire et travaille au service des justiciables. Au moment où elle a eu besoin d'un certificat de nationalité, elle a déposé son dossier auprès du greffe du tribunal du Havre. Le document attestant du pays d'origine de ses parents n'était pas conforme au moment de l'établissement de son dossier, mais, malgré l'engagement du greffe à l'envoyer ultérieurement, dès réception du papier adéquat, quelques semaines plus tard, le dossier a été expédié au ministère.
Depuis des mois, voire des années, cette personne n'arrive pas à faire reconnaître cette erreur, ni auprès du ministère de la justice, qui la renvoie devant le tribunal afin de rétablir les choses, ni devant le greffe, devant lequel je l'ai accompagnée, et qui considère que cette obligation incombe au ministère. J'ai sollicité le ministère de la justice et le Défenseur des droits : au final, cette personne, de nationalité française, doit se rendre devant un tribunal pour pouvoir faire reconnaître sa nationalité française.
J'ai entendu, il y a quelques jours, les propos de M. Éric Dupond-Moretti dans les médias : il se disait scandalisé par l'intervention de Jean-Luc Mélenchon dans cet hémicycle, se demandant ce que les jeunes ayant entendu ses propos allaient penser de notre République.
Pour ma part, je vous invite à penser à cette dame qui habite au Havre, à qui on ne reconnaît pas la nationalité française, qui est pourtant la sienne, et que l'on renvoie devant dans un tribunal. Pensez à elle, pensez aux enfants qui connaissent ce dossier, et demandez-vous ce qu'ils pensent de la République.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.
L'article 14 introduit une réserve générale de polygamie pour la délivrance de tous les titres de séjour, mesure qui n'est pas suffisante pour lutter contre le séparatisme. L'amendement 1502 , dont notre collègue Guillaume Larrivé est le premier signataire, propose donc d'étendre la réserve de polygamie à tous les comportements pour lesquels l'étranger manifeste qu'il méconnaît les exigences minimales de la vie en commun dans la société française, telles que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, la protection de l'enfance et des personnes en situation de faiblesse, l'égalité entre les femmes et les hommes, le respect de l'ordre public et le respect de la liberté de conscience. Cet amendement est suffisamment parlant et logique au regard des objectifs du projet de loi.
La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l'amendement no 815 .
Il s'agit d'un amendement de précision, relatif à la polyandrie ; j'avais déjà soulevé cette question.
Sourires.
Pourquoi riez-vous, mesdames ? La polyandrie existe bel et bien, notamment au Népal, où elle a été abolie à la fin du siècle dernier, mais où il existe encore des couples polyandriques. Il y a également des cas dans les îles Samoa.
Madame la rapporteure, madame la ministre déléguée, si vous me dites que le terme « polygamie » recouvre les deux situations, comme certains l'affirment, je retirerai l'amendement. Dans le cas contraire, je le maintiendrai.
L'amendement no 2498 est rédactionnel.
Monsieur Larrivé, il convient selon moi de limiter la réserve générale à la polygamie et à l'ordre public, la notion d'« exigences minimales de la vie en commun dans la société française » n'étant pas définie de manière suffisamment précise.
Monsieur de Courson, la polygamie est un système social dans lequel une personne peut contracter simultanément plusieurs unions légitimes. Le terme renvoie à la fois à la polygynie et à la polyandrie. Votre amendement est donc satisfait.
L'amendement no 815 est retiré.
Nous avons effectivement abordé en commission spéciale le point que vous avez évoqué, monsieur de Courson. Je confirme que, du point de vue sémantique, le terme « polygamie » recouvre aussi la polyandrie. Surtout, je l'ai indiqué en commission spéciale, aucun pays au monde n'a légalisé la polyandrie, à savoir la faculté pour une femme d'avoir plusieurs maris. Dans certains pays, des communautés ou des groupes communautaires la pratiquent, mais elle ne figure dans aucune loi.
En France, les situations de polygamie découvertes à l'occasion de contrôles et signalées, entre autres, par les caisses d'allocations familiales ou les élus locaux concernent toujours un homme marié à plusieurs femmes ; on n'a jamais signalé de cas de femme mariée à plusieurs hommes. Dans notre pays, la polyandrie ne correspond pas à une réalité, mais je connais votre attachement à la précision des termes et votre question était légitime.
L'avis du Gouvernement est défavorable sur l'amendement no 1502 et favorable sur le no 2498.
L'amendement no 1502 de notre collègue Guillaume Larrivé mérite réflexion.
Vous avez certainement pris connaissance du fait divers qui s'est produit ce week-end à Nice : les policiers, intervenant dans le foyer d'un couple qui posait problème, y ont découvert un enfant maltraité. Il se trouve que l'homme auteur des coups était en situation irrégulière. Il sera mis sous écrou, puis éloigné du territoire français pendant cinq ans. Nous voyons bien les limites de l'exercice : pourquoi cet homme est-il interdit de séjour en France pendant cinq ans alors même qu'il est en situation irrégulière ?
La proposition de Guillaume Larrivé est intéressante : il s'agit d'étendre la réserve aux défaillances en matière de respect des droits humains ; l'amendement mentionne en particulier la protection de l'enfance.
L'amendement no 1502 n'est pas adopté.
L'amendement no 2498 est adopté.
Je suis saisi de quatre amendements, nos 184 , 1329 , 2542 et 1794 , pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 184 , 1329 et 2542 sont identiques.
Les amendements nos 184 de Mme Marie-France Lorho et 1329 de Mme Laurence Trastour-Isnart sont défendus.
La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour soutenir l'amendement no 2542 .
Il vise à supprimer les mots « en France » dans le membre de phrase « un étranger qui vit en France en état de polygamie ». À défaut, le texte pourrait laisser penser qu'un homme sollicitant un titre de séjour peut être polygame dès lors qu'il a une seule épouse en France. En s'appuyant sur cette interprétation, certains pourraient contourner la loi.
Il vaudrait mieux écrire qu'aucun document de séjour ne peut être délivré à un étranger qui vit en état de polygamie, quel que soit le lieu de résidence des différentes épouses. La disposition serait ainsi beaucoup plus précise et efficace.
L'état de polygamie concerne non seulement les hommes qui ont plus d'une épouse en France – situation par définition interdite – , mais aussi ceux qui ont une autre épouse à l'étranger. Cet amendement vise à clarifier la rédaction en précisant que la disposition s'applique aux étrangers vivant en état de polygamie non seulement en France, mais aussi à l'étranger. À défaut, l'article 14 risque d'être sans effet.
L'objectif est bien de lutter contre la polygamie en France : on constate la polygamie sur le territoire français ; on ne s'ingère pas dans les affaires des pays étrangers, qui peuvent éventuellement reconnaître la polygamie dans leur droit. Lorsqu'un étranger sollicite la possibilité de se marier en France ou demande la transcription d'un mariage, on étudie le dossier. L'avis est défavorable.
Même avis.
Prenons le cas d'un homme polygame, dont l'une des épouses vit à l'étranger, et qui a plusieurs enfants, dont l'un est né en France. En vertu de l'article 13, vous vous mêlerez de la situation de cette famille dans l'intérêt des descendants qui résident sur le territoire français. En revanche, en application de l'article 14, vous vous interdirez de relever que l'homme en question a plusieurs épouses. Tout cela est on ne peut plus logique !
Dans un cas, on applique la théorie de l'ordre public de proximité ; on bâtit des concepts fumeux pour se mêler de ce qui se passe dans le reste du monde et on ouvre des contentieux. Dans l'autre, alors que la polygamie est une question des plus sérieuses, on s'interdit d'examiner la situation. Tout cela, je le répète, est parfaitement logique !
Je souhaite simplement apporter une précision, madame la rapporteure. Nous avons les moyens de vérifier si une personne est polygame ou non, même si sa famille réside à l'étranger. En effet, lorsqu'un étranger souhaite se marier en France, on lui demande de fournir un certificat de capacité à mariage, qui indique s'il est déjà marié ou non dans son pays. La procédure prend un certain temps, les autorités françaises interrogeant la mairie de la commune de naissance de l'intéressé. Sans ce certificat, il n'est pas possible pour un étranger de se marier en France.
L'amendement no 1794 n'est pas adopté.
La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l'amendement no 1401 .
L'expression « qui vit en France en état de polygamie » est vague. Que signifie-t-elle ? Selon une première interprétation, elle désigne une personne qui vit « avec au moins deux personnes légalement épousées dans un pays où la polygamie est légale », comme je souhaite le préciser par mon amendement. Selon une autre interprétation, elle se réfère à tout homme polygame qui vit en France, même s'il y est célibataire géographique.
L'expression « vivre en France en état de polygamie » est-elle synonyme de « vivre en France avec au moins deux femmes légalement épousées dans son pays d'origine » ? Voilà ma question.
L'« état de polygamie en France » se réfère à la situation d'un ressortissant étranger qui réside en France avec plus d'une conjointe. La notion de vie en état de polygamie en France a été introduite dans le droit interne par les lois du 24 août 1993 et du 23 avril 1997. Cette définition n'a pas posé jusqu'à présent de difficulté d'interprétation.
Elle peut renvoyer à plusieurs cas de figure : une personne qui s'est mariée en France ; une personne qui s'est mariée religieusement à l'étranger, mais vit en France…
En tout cas, c'est le fait de résider en France avec au moins deux conjoints.
À ce stade du débat, madame la rapporteure, madame la ministre déléguée, pourriez-vous nous indiquer approximativement le nombre de personnes polygames en France ?
Il nous serait utile de connaître ce chiffre, qui n'est pas précisé dans l'étude d'impact, notamment parce qu'après avoir fait passer les jeunes issus de l'immigration pour des sauvages en parlant d'« ensauvagement », vous semblez désormais considérer que la principale question en matière de politique migratoire, c'est la polygamie !
Qui plus est, vous allez en rajouter une couche en matière de contrôles, alors qu'il y a déjà un problème d'accès aux services des préfectures ; on voit bien que cela ne fonctionne pas.
Bref, j'aurais vraiment besoin de cette information.
N'ayant pas encore pu donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement, je me permets de préciser qu'il est défavorable.
Je réponds à la question soulevée par M. de Courson. Comme l'a rappelé la rapporteure, l'expression « vivre en état de polygamie » existe dans la loi depuis les années 1990. Depuis lors, il n'y a jamais eu de jurisprudence contradictoire, ni de problème d'interprétation, dans aucune décision que ce soit. Il est manifeste pour le législateur, pour les juristes et pour tous les services concernés que « vivre en état de polygamie en France », c'est être marié avec plusieurs personnes qui résident en France.
Les lois que nous élaborons concernent des faits qui se passent en France, des aspects de la vie de notre pays. Nous visons donc bien la situation que j'ai décrite.
Monsieur Pancher, on estime que 20 000 à 30 000 adultes vivent en état de polygamie en France. Si nous avons décidé d'introduire dans le texte des dispositions pour mieux lutter contre la polygamie, c'est parce qu'elle est un drame pour les femmes, qu'elle entrave leurs droits. Je rappelle que nous parlons ici non de situations individuelles, mais d'un système fondé sur la domination masculine, qui fait perdre des droits aux femmes.
Le mariage, régi par le code civil, distinct d'une relation libre, ouvre un certain nombre de droits, en matière d'héritage – nous en avons discuté précédemment – , de filiation, de pension de réversion. Or, dans une union polygame, les droits des femmes sont amoindris ; c'est une violence qui leur est faite.
Les femmes victimes de la polygamie sont souvent étrangères et parfois très jeunes. Nous voulons les protéger. Nous avons reçu cette semaine au ministère de l'intérieur de nombreuses associations qui travaillent avec elles, notamment le Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles – GAMS – , Excision, parlons-en ! , Regards de femmes. Parfois, ces jeunes filles ne savaient même pas qu'elles allaient rejoindre en France un homme qui y était déjà marié avec une ou plusieurs autres femmes.
Il est fondamental de mieux protéger ces femmes et de défendre leurs droits. Il y a plusieurs années, la République française a interdit la polygamie, en introduisant dans son droit la notion de « vie en état de polygamie ». Aujourd'hui, elle se donne les moyens d'aller plus loin, dans l'intérêt de toutes ces femmes qui subissent cette situation.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Si j'en crois les explications fournies par Mme la rapporteure, mon amendement est satisfait. Je peux donc le retirer, mais nous pouvons aussi le voter ; cela ne fait pas de différence. La commission et le Gouvernement n'ont d'ailleurs pas donné leur avis sur ce point.
L'amendement étant selon nous satisfait, nous en demandons le retrait.
L'amendement no 1401 est retiré.
L'article 14 introduit une réserve générale de polygamie pour la délivrance de tous titres de séjour. Je souhaite que cette réserve générale soit étendue aux personnes condamnées pour avoir pratiqué une mutilation sexuelle au sens de la loi de 2013 et des arrêts successifs de la Cour de cassation depuis la publication de cette loi.
La parole est à Mme Aude Bono-Vandorme, pour soutenir l'amendement no 1228 .
Cet amendement ajoute simplement l'impossibilité d'obtenir un titre de séjour pour toute personne condamnée pour avoir pratiqué l'excision. Si je vous rejoins sur la nécessité de combattre la polygamie, il me semble tout aussi urgent de lutter contre cette pratique et ces mutilations faites aux femmes. Devant tant de souffrance, ce serait bien.
L'article 14 introduit une réserve générale de polygamie pour la délivrance de tous les titres de séjour, sans distinction de nature ou de catégorie. Ainsi, aucun document de séjour ne peut être délivré à un ressortissant étranger vivant en France en état de polygamie, et tout document de séjour détenu par un ressortissant dans une telle situation doit lui être retiré. Le présent amendement prévoit d'étendre la mesure aux cas d'excision sur une personne mineure.
Vos amendements sont déjà satisfaits. L'article L. 314-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile comporte déjà une disposition faisant obstacle à la délivrance d'une carte de résident à l'étranger qui a été condamné pour violences ou complicité de violences sur un mineur de moins de quinze ans, ce qui inclut la mutilation sexuelle. Avis défavorable.
Je voudrais commencer par saluer ces amendements car je pense que vous avez tout à fait raison : la question de la lutte contre l'excision est primordiale et ne doit pas être relâchée. Comme vous le savez, la loi française interdit déjà l'excision, mais vous savez aussi qu'il y a peu de condamnations parce qu'il y a peu de plaintes.
Nous avons donc présenté l'année dernière, avec le Premier ministre Édouard Philippe, un plan de lutte contre l'excision qui a notamment multiplié par quatre les subventions accordées aux associations luttant contre cette pratique, telles que Excision, parlons-en ! ou le GAMS. J'ai présenté ce plan excision et ma collègue Élisabeth Moreno a signé cette semaine une nouvelle convention pour renouveler cet engagement, notamment avec l'Institut Women Safe, pour nous assurer que les jeunes filles, je pense notamment aux collégiennes et lycéennes, soient mieux informées sur leurs droits face à l'excision. Cela passe notamment par des campagnes qui auront lieu à l'approche de l'été pour leur permettre de savoir qu'au moment où elles rentrent dans leur pays d'origine il y a parfois un risque d'excision.
Le fait que la France s'engage sur ce sujet est essentiel pour d'autres pays. Dans le cadre de la diplomatie féministe menée par la France, nous avons eu l'occasion d'aller au Burkina Faso, au Tchad et dans d'autres pays, avec des députés. Là-bas, les associations nous ont dit qu'il était fondamental que la France ait ce leadership pour montrer la voie sur l'interdiction de l'excision et de tout ce qu'on appelle les pratiques néfastes. Je sais que certains députés tiennent à ce que l'on utilise particulièrement ces termes de « pratiques néfastes ».
Les amendements que vous proposez sont déjà satisfaits dans le droit. Je formule donc une demande de retrait, mais je partage évidemment les objectifs fondamentaux que vous avez rappelés.
Vous dites, madame la rapporteure, que cette disposition est déjà prévue dans le droit commun, mais, en matière de mutilations sexuelles, celui-ci ne comporte aucune mesure précise concernant les mineures.
Or l'excision se pratique sur des jeunes filles. Si vous ne voulez pas rater ce rendez-vous, profitons de cet article 14 et de la réflexion sur la polygamie, qui a cours dans certaines contrées du monde, pour aborder la problématique des mutilations sexuelles, comme l'excision, qui se pratique aujourd'hui dans certains pays mais qu'il convient de punir.
Madame la ministre déléguée, vous avez dit que quelque 30 000 personnes seraient concernées par la polygamie en France. Avons-vous un recensé les enfants, les mineures qui subissent encore des mutilations sexuelles ?
Oui, nous avons commandé un recensement l'année dernière dans le cadre du plan national de lutte contre l'excision : on estime à 120 000 le nombre de femmes et de jeunes filles qui vivent excisées en France, ce qui est au-dessus de la prévalence estimée depuis le début des années 2000.
Oui, vous avez raison, c'est énorme.
En ce qui concerne les mutilations génitales, il est déjà prévu que le fait qu'elles soient pratiquées sur des mineures soit une circonstance aggravante, mais, comme je le disais précédemment, à mon humble avis, l'essentiel est moins la question de la loi, puisque les sanctions existent, que celle des condamnations en justice, et pour cela des signalements et des plaintes.
Sur l'article 14, je suis saisi par le groupe La République en marche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure.
Madame Dalloz, l'article L. 314-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que j'ai cité parle, mentionne le cas de violences ou complicité de violences sur un mineur de moins de quinze ans. Les mineurs sont bien concernés.
L'amendement no 1081 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme la rapporteure Nicole Dubré-Chirat, pour soutenir l'amendement no 2499 .
Cet amendement a pour objet de préciser que, pour statuer sur le droit au séjour, l'autorité administrative tient compte du caractère non consenti de la situation de polygamie. L'étranger qui vit en France en situation de polygamie se voit retirer tout document de séjour. Cependant, ses conjoints, monogames, ne se trouvent pas dans la même situation. C'est la raison pour laquelle il est prévu que la situation de chacun d'entre eux fasse l'objet d'un examen individuel avant toute prise de décision. Dans l'hypothèse où l'un des conjoints n'aurait pas consenti à un mariage polygamique ou y aurait consenti de manière forcée ou ignorait la présence sur le territoire d'autres conjoints, il est important que le préfet prenne en compte cette circonstance lors de l'examen du droit au séjour, et qu'il porte une attention particulière à ces femmes et ces enfants qui souvent résident en France depuis un certain temps.
Avis favorable.
Je considère qu'il est normal que le cas de chaque femme fasse l'objet d'un examen individuel, et qu'on présuppose que chacune puisse être victime de la situation – nous y reviendrons à l'article 14 bis. Il faut également prendre en considération l'hypothèse selon laquelle la décision qui serait prise priverait les enfants de leur père. Cela fait aussi partie du débat. Vous parlez de la mère, des enfants, mais il y aussi la séparation d'avec le père ; c'est un élément, me semble-t-il, à prendre en compte.
Madame la rapporteure, je vous interroge à cet instant car les amendements que nous avons défendus en commission arriveront à l'article 14 bis. Si je comprends bien, le présent amendement est la suite de nos échanges en commission à partir de l'amendement présenté par Mme Buffet, amendement voté par la commission, aux termes duquel les femmes victimes de polygamie ou de mariages forcés seront assurées de ne pas perdre leur titre de séjour. C'est une sécurité importante pour ces femmes qui subissent la polygamie et les mariages forcés comme une violence. Nos amendements tendaient d'ailleurs à ce que ces violences soient mises au même rang que les violences conjugales, psychologiques, etc.
Ce n'est pas ce que vous faites là. J'imagine donc que l'amendement voté en commission recevra ici un avis défavorable de la part de Mme la ministre déléguée. C'est un point qui nous semble important au moment où nous allons voter l'article 14.
Cet amendement tend à renforcer l'idée que nous avons eue dès le départ, qui était de porter une attention particulière aux femmes qui subissent cette situation. L'amendement de Mme Buffet prévoit l'automaticité du renouvellement du titre de séjour des personnes victimes de polygamie, ce qui est différent. Cette disposition a certes été votée en commission, mais il faut faire attention à ce que l'automaticité du renouvellement du titre de séjour ne supprime pas l'attention particulière aux dossiers de ces femmes. Celles-ci doivent être orientées vers des associations, et demandent des titres de séjour à titre autonome, avec des protections, des aides au logement, des aides financières. Nous renforçons donc l'idée d'origine, mais nous ne revenons pas sur l'article 14 bis.
Je précise ma pensée : pour moi un mari polygame n'a rien à faire en France.
Nous sommes d'accord. Mais, dès lors qu'on expulse le mari polygame ou qu'on ne renouvelle pas son titre de séjour, le maintien d'un titre de séjour, a fortiori automatique, comme le prévoit l'article 14 bis, pour l'épouse, parce qu'on considère a priori que les femmes sont victimes – ce qui est tout de même une question en débat – , et pour les enfants, ne va pas de soi. C'est à ce propos que j'évoquais la séparation des enfants et du père ; ce n'est nullement pour justifier le maintien du père en France.
J'estime que les femmes qui se retrouvent dans cette situation sont victimes. À partir de là, il est normal qu'elles soient protégées. Cela passe par l'amendement proposé par Mme Buffet, largement adopté, qui instaure un renouvellement automatique de leur titre de séjour. On confirme ainsi qu'une personne qui a fait subir à ces femmes un état de polygamie n'a rien à faire dans le pays.
Madame la rapporteure, l'amendement que vous proposez va moins loin : il vise seulement à préciser que l'autorité administrative tient compte du caractère non consenti de la situation de polygamie. Selon vous, son adoption vise-t-elle à supprimer l'article 14 bis ?
Nous insistons, madame la rapporteure, parce que l'argument dont vous vous servez pour défendre votre amendement est précisément celui que vous nous avez opposés en commission pour refuser l'amendement de Mme Buffet.
Quand nous vous disions que ces femmes devaient bénéficier de l'automaticité du renouvellement du titre de séjour, vous nous avez en effet répondu qu'elles bénéficieraient d'une attention bienveillante de la part de l'autorité administrative. Comprenez donc que nous insistions. Je vais poser la question plus précisément : la ministre déléguée soutiendra-t-elle l'article 14 bis ?
On verra au 14 bis !
J'entends bien qu'il y a besoin de confirmer la confirmation et je vais donc le dire très clairement : nous ne voterons aucun amendement de suppression de l'article 14 bis.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM. – M. André Chassaigne et M. Alexis Corbière applaudissent également.
L'amendement no 2499 est adopté.
L'amendement no 2084 de Mme Emmanuelle Ménard est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
Avis défavorable.
J'ai honte pour mon pays. La polygamie n'a rien à voir avec notre modèle de civilisation. Je ne comprends pas pourquoi nous perdons ainsi notre temps !
L'amendement no 2084 n'est pas adopté.
Je vais défendre en même temps les amendements nos 2693 et 2694 , qui répondent au même objectif mais portent sur des alinéas différents.
La polygamie est interdite en France en vertu de l'article 147 du code civil. Dès lors qu'un étranger vit sur le sol français dans un état de polygamie, il doit faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire. Cette expulsion ne doit pas être une simple possibilité, sans quoi, elle ne se produira jamais, pour de multiples raisons : elle doit être automatique.
Il n'est pas possible d'envisager l'obligation systématique de quitter le territoire français pour les étrangers polygames, compte tenu des protections contre l'éloignement définies par les articles 3 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Avis défavorable.
Je ne peux qu'approuver l'esprit de ces amendements et les arguments avancés pour leur défense. Tout l'objet du travail que nous menons actuellement est précisément de combattre plus efficacement la polygamie qui, malgré son interdiction en France, subsiste encore dans notre pays. Pour cela, nous devons ne pas délivrer de titre de séjour aux personnes en situation de polygamie et agir plus sévèrement contre elles. Je partage donc votre intention, monsieur le député : un homme polygame n'a rien à faire en France.
Reste que nous nous heurtons ici à une question de constitutionnalité et d'automaticité. Comme l'a très bien expliqué Mme la rapporteure, l'obligation de quitter le territoire français – OQTF – est déterminée dans le cadre des procédures existantes et du droit international. Avis défavorable.
L'amendement no 2111 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Les amendements identiques nos 62 de M. Fabien Di Filippo, 596 de Mme Emmanuelle Ménard et 2693 de M. Sébastien Huyghe sont défendus.
Les amendements identiques nos 1361 de M. Bruno Bilde, 2114 de Mme Emmanuelle Ménard et 2694 de M. Sébastien Huyghe sont défendus.
La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l'amendement no 1404 .
Il s'agit d'un amendement d'appel, qui pose une question simple. Certains binationaux ont, en même temps que la citoyenneté française, celle d'un pays autorisant la polygamie. Il y a donc un certain nombre de binationaux français légalement polygames. Qu'est-ce qu'on fait ?
Il me semble que, dans sa rédaction actuelle, l'article 14 ne s'applique pas à eux. Pouvez-vous, madame la rapporteure, nous éclairer sur la situation de ces binationaux ?
Un binational qui veut se marier à l'étranger doit déposer une demande de certificat de capacité à mariage – nous en avons parlé tout à l'heure – afin de s'assurer que son mariage est possible. À son retour en France, il doit demander la transcription du mariage sur les registres de l'état civil, ce qui permet de vérifier qu'il n'y a pas plusieurs époux ou épouses. S'il apparaît qu'un binational a plusieurs épouses en France, il n'est évidemment pas expulsable et il n'a pas non plus besoin de renouveler son titre de séjour, mais il peut être condamné pour polygamie au titre de la loi française. Avis défavorable.
Même avis.
Vos concluez qu'un binational polygame est sanctionnable par les tribunaux français, mais cela ne me paraît pas certain puisqu'il est légalement marié dans un pays étranger.
Il me semble que l'article 14 ne s'applique pas aux binationaux. J'aimerais que Mme la ministre déléguée me dise ce qu'elle en pense avant que je ne retire l'amendement.
La loi française s'applique à tous les citoyens français, qu'ils aient ou non la double nationalité. Un homme français qui a la nationalité d'un pays dans lequel la polygamie est autorisée n'a évidemment pas le droit de vivre en état de polygamie en France.
L'amendement no 1404 est retiré.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 138
Nombre de suffrages exprimés 131
Majorité absolue 66
Pour l'adoption 131
Contre 0
L'article 14, amendé, est adopté.
L'amendement no 1627 de M. Éric Ciotti, portant article additionnel après l'article 14, est défendu.
L'amendement no 1627 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Philippe Benassaya, pour soutenir l'amendement no 1283 .
Il vise à permettre à l'autorité administrative d'obliger un étranger à quitter le territoire français dès lors qu'il est avéré que cet étranger ne résidant pas régulièrement en France vit en état de polygamie. Nous l'avons rappelé à maintes reprises, la polygamie est une pratique expressément interdite en droit français par le code pénal et marque une incompatibilité manifeste avec les exigences minimales de la vie dans notre société. Dès lors, il nous semble justifié et proportionné d'autoriser l'administration à obliger les étrangers en situation irrégulière à quitter le territoire.
L'amendement no 1283 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'amendement no 1418 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Sur les articles 14 bis et 15, je suis saisi par le groupe La République en marche d'une demande de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Annie Genevard.
L'article 14 bis, ajouté par voie d'amendement par Mme Marie-George Buffet, modifie l'article du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile afin de reconnaître la polygamie comme une pratique subie par les femmes étrangères mariées de force et afin de leur accorder le renouvellement automatique de leur titre de séjour.
Le groupe Les Républicains est hostile à cet article pour plusieurs raisons. Tout d'abord, toutes les femmes en situation de polygamie n'ont pas forcément été mariées de force. L'article s'appuie sur une définition de la polygamie selon laquelle ces femmes seraient toujours mariées contraintes et forcées, mais ce n'est pas nécessairement le cas.
Ensuite, nous sommes hostiles au principe du renouvellement automatique du titre de séjour. Vous avez évoqué la non-automaticité des peines. L'automaticité du renouvellement des titres de séjour pose question. Si nous pouvions admettre la formulation de l'article 14, qui prévoit d'examiner la situation de chaque femme isolément afin d'évaluer pleinement les spécificités de chaque situation, force est de constater que l'article 14 bis annule cette disposition, ce qui n'a aucun sens.
Pour ces différentes raisons, nous voterons contre l'article 14 bis.
Cet article, dont nous remercions notre collègue Marie-George Buffet, est particulièrement important. Nous nous sommes abstenus sur l'article 14, mais nous y serons favorables si l'article 14 bis est adopté.
Mme Genevard a le mérite de dire les choses clairement et je veux lui répondre. Pourquoi, en définitive, sommes-nous opposés à la polygamie ? Parce que nous pensons que c'est un mode de vie qui opprime les femmes et qui met à mal leur dignité. Les femmes sont victimes de la polygamie. La loi doit donc éviter qu'elles ne subissent une double peine.
Si personne n'était victime dans cette affaire, pourquoi serions-nous opposés à la polygamie si ce n'est pour une raison de morale individuelle ? C'est parce que nous pensons tous ici que la polygamie constitue une oppression des femmes que nous la jugeons intolérable dans la République. Dès lors, nous devons accueillir les victimes et non les expulser. Tel est le sens de l'article.
Les femmes victimes de la polygamie ont été humiliées et traitées comme des personnes de second rang. Nous leur tendons la main et nous affirmons qu'elles ont leur place sur le territoire français.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
On crée un aspirateur à titres de séjour ! Tout le monde va être polygame !
Cet article me pose problème. Certaines femmes sont victimes de la polygamie, mais pas toutes – c'est d'ailleurs ce que sous-entend le texte dans sa rédaction actuelle. Or je crains que l'article 14 bis, s'il était adopté, ne soit utilisé à mauvais escient par des femmes qui se marieraient avec des étrangers polygames afin d'obtenir un titre de séjour et son renouvellement automatique.
Nous avons si souvent assisté au détournement de dispositions généreuses que je crains qu'il en soit de même ici. Quelle est votre position à ce sujet, madame la rapporteure ? Comment ferez-vous pour éviter une telle dérive ? Utiliserez-vous, par exemple, la date de mariage de la seconde épouse ? Pensez-vous que l'examen des situations au cas par cas permettra d'identifier celui dans lequel la femme est véritablement victime et celui dans lequel elle tente de détourner le droit français ?
L'amendement no 2122 de Mme Emmanuelle Ménard est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
Les deux propositions peuvent être complémentaires : le fait de porter une attention particulière au dossier de ces personnes, afin de vérifier leur statut de victimes, n'empêche pas de les protéger. Elles doivent fournir dans leur dossier des documents – acte de naissance, acte de mariage et autres éléments d'information – qui permettront de déterminer si on peut autoriser ou non la délivrance ou le renouvellement de leur titre de séjour.
Cette proposition, devenue l'article 14 bis, a fait l'objet de nombreuses discussions au cours de l'examen du texte en commission spéciale. M. le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin et moi-même avions alors indiqué que nous étions sensibles aux arguments avancés par Mme Buffet et Mme Faucillon. Nous avions ainsi formulé un avis de sagesse. Depuis, nous avons rencontré de nombreuses associations et échangé avec différents parlementaires qui ont eux-mêmes procédé à des auditions ; nous sommes désormais convaincus de l'utilité de l'article 14 bis et sommes donc défavorables à sa suppression.
Je remercie Mme la ministre déléguée pour ses propos. Il arrive qu'au cours des débats en commission, nous parvenions à faire avancer les choses pour le bien commun ; je crois qu'en l'espèce, c'est ce qui s'est passé.
Monsieur de Courson, j'ai fréquemment observé entre nous, lors de nos échanges sur ce projet de loi, des convergences que je ne soupçonnais pas. En cette circonstance, je dois cependant vous inviter à présenter des arguments plus sérieux si vous souhaitez défendre la suppression du présent article. Vous imaginez qu'un homme va venir en France et se marier plusieurs fois pour permettre à une femme d'obtenir un titre de séjour, en prenant le risque d'être lui-même accusé de polygamie, donc de tomber sous le coup de la loi et de se faire expulser ! Cela paraît tout à fait absurde.
Ensuite, je vous invite à observer le fait suivant : à chaque fois que nous avons à légiférer pour améliorer les droits des femmes ou des étrangers, nous suspectons les effets pervers des mesures envisagées. Pour ma part, je préfère privilégier le fait que nous leur accordions de nouveaux droits, tout en nous attachant à les encadrer – car c'est en effet important.
Le mari partira mais les épouses resteront en France !
J'écoute attentivement ces débats. En tant que femmes, nous sommes nécessairement choquées par la polygamie ; en effet, notre système éducatif nous a appris à considérer que les femmes qui se retrouvent dans cette situation en sont toutes victimes. Mais il y a peut-être tout de même une différence entre nous, qui tient probablement à nos sensibilités politiques respectives : je voudrais que vous envisagiez le fait que la polygamie n'équivaut pas nécessairement à un mariage forcé.
Je peux admettre le fait qu'un mariage forcé fait forcément une victime – la mariée, qui n'a pas eu le choix ; la polygamie, en revanche, est une tradition dans d'autres pays que le nôtre. Je ne dis pas que j'envie le sort de ces femmes – n'allez pas imaginer une chose pareille – , mais je ne mets pas sur le même plan la victime d'un mariage forcé et une femme qui pratique la polygamie, que vous considérez comme une victime du fait de notre prisme culturel.
L'article 14 bis témoigne à mon sens de votre manque de courage ; son adoption ouvrirait la voie à des régularisations qui n'ont pas lieu d'être.
Eh oui, combien sont-ils à entrer dans notre pays pour y laisser femme et enfants ?
J'ai parfois du mal à suivre certains raisonnements et les conclusions auxquelles ils conduisent. J'ai écouté depuis le début les débats – très intéressants – autour de ce projet de loi : la semaine dernière, les femmes qui portaient un voile en vertu de leur religion étaient toutes des victimes ; et on n'en dirait pas autant, aujourd'hui, de toutes les femmes qui se retrouvent dans un mariage polygame ? Cela me laisse songeuse.
Vous allez même jusqu'à imaginer un altruisme que je ne soupçonnais pas : vous supposez qu'un homme polygame va prendre le risque d'une OQTF en épousant plusieurs femmes simplement pour qu'elles obtiennent des papiers français. Dans le contexte un peu pesant que nous vivons, celui de la crise sanitaire, un tel altruisme, ça fait du bien !
Sourires.
En déposant cet amendement, je voulais obtenir un engagement ferme de la part du Gouvernement et de Mme la rapporteure quant à la non-automaticité du dispositif : je souhaite qu'un examen soit réalisé au cas par cas pour vérifier si la personne concernée a été victime de pratiques de polygamie, plutôt que de simplement constater son état polygame au regard du droit de son pays d'origine. Si tel est le cas, l'objectif de l'article ne pourra être détourné et le problème que je soulève sera résolu.
Puisque vous m'avez donné satisfaction à ce sujet, je peux donc le retirer.
L'amendement no 1428 est retiré.
J'ai bien compris ce que voulait dire notre ami Charles de Courson. Mais voilà le message que vous envoyez aux pays dans lesquels la polygamie est répandue car coutumière : toutes les femmes qui vivent en état de polygamie selon leur loi ont vocation à obtenir un titre de séjour français, à condition qu'elles se revendiquent de ce statut. Le mari n'a donc pas besoin d'être présent sur le territoire français ! Il lui suffit d'envoyer ses épouses depuis le pays dans lequel il habite ; aussitôt qu'elles arrivent, elles se déclarent victimes de polygamie, ce qui leur donne le droit de rester sur le territoire. Cela revient à créer une pompe d'aspiration pour l'immigration.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Je n'imaginais pas me retrouver dans la position de faire une telle remarque à notre collègue Charles de Courson, dont je connais la finesse et les compétences, mais je dois préciser que l'article 14 bis, ajouté par un amendement de notre collègue Marie-George Buffet, réforme l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile – CESEDA – en France, et pas autre chose.
Voici ce que dit cet article L. 313-12 : « La carte délivrée au titre de l'article L. 313-11 donne droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Le renouvellement de la carte de séjour délivrée au titre du 4° de l'article L. 313-11 est subordonné au fait que la communauté de vie n'ait pas cessé, sauf si elle résulte du décès du conjoint français. » La personne concernée dispose donc bien d'un titre de séjour. C'est ensuite que nous insérons le fameux morceau de phrase relatif à la polygamie : « Toutefois, lorsque l'étranger a subi des violences familiales ou conjugales » – ou a été victime de pratique de polygamie, selon les termes de l'article 14 bis – « et que la communauté de vie a été rompue » – il s'agit bien d'une personne qui a quitté son foyer parce qu'elle a été victime – , « l'autorité administrative ne peut procéder au retrait du titre de séjour de l'étranger » – j'insiste, c'est bien qu'il en avait un – …
… « et en accorde le renouvellement ». Voilà tout ce dont il est question ; arrêtons de fantasmer sur les « pompes d'aspiration » à immigration illégale.
Nous devons éviter d'être naïfs.
J'ai moi-même eu connaissance de situations dans lesquelles le mari qui vivait en France avec une femme et des enfants est reparti dans son pays d'origine épouser une ou deux autres femmes, suivant la tradition dudit pays.
Il laisse alors en France la première femme et ses enfants, souvent sans papiers. Dans un tel cas, la femme qui se retrouve en France seule, sans mari, sans papiers, avec des enfants à éduquer, est une victime qui n'a aucun droit. Or l'article 14 bis ne couvre pas ce cas, qu'il faudra bien régler ! La femme en question n'a rien demandé : elle est venue en France avec son mari qui l'a abandonnée et est reparti se marier ailleurs. Il est polygame, certes, mais pas en France, seulement dans son pays d'origine. Il ne risque pas l'OQTF, et ça fait longtemps qu'il ne la risque plus !
Que faire, alors, de la femme et des enfants ? Comment s'en occuper ? C'est un sujet essentiel et il ne faut pas que nous soyons naïfs : il est évident que certains maris peu scrupuleux vont en profiter. Quand on est capable de venir en France puis d'abandonner femmes et enfants pour repartir se marier au pays, c'est qu'on est peu respectueux des femmes et particulièrement de la mère de ses enfants. Il peut donc y avoir des abus.
La parole est à M. Florent Boudié, rapporteur général de la commission spécial et rapporteur pour le chapitre Ier du titre II.
Je répondrai d'abord à M. de Courson : le représentant de l'État étudiera en effet chacune des situations qui se présenteront.
L'amendement no 2499 , que nous venons d'adopter à l'article 14, permet d'ailleurs d'aller plus loin dans ce sens.
Au fond, je pense que nous pouvons être relativement fiers d'avoir ainsi amendé le projet de loi en commission, sur la proposition de notre collègue Marie-George Buffet et grâce à des votes issus de bancs très variés. Il s'agit de considérer que l'épouse d'un « conjoint français » dont « la communauté de vie a été rompue » – je cite ici l'article L. 313-12 du CESEDA que nous modifions – et qui est victime soit de violences conjugales, soit de polygamie, ne doit pas être pénalisée par un comportement qu'elle a subi en amont.
Il s'agit d'une mesure de protection qui pourrait quasiment faire consensus sur de nombreux bancs – pas tous, je l'ai bien compris – , depuis celui de Mme Buffet et du groupe communiste auquel elle appartient jusqu'à ceux des députés de la majorité qui l'ont votée.
Ayez bien à l'esprit la disposition que nous modifions : il s'agit de femmes de conjoints français, dont la communauté de vie a été rompue et qui sont victimes soit de violences conjugales, soit de polygamie, …
Si, si, regardez bien l'article concerné ! Tout cela fait l'objet d'un examen individuel du dossier de la personne, réalisé par le représentant de l'État.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
La discussion semble presque inversée par rapport à la semaine dernière. La droite nous disait alors que le voile était la pire des choses qui soient et que les pratiques musulmanes étaient terribles. Et voilà qu'aujourd'hui, elle défend la polygamie !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM. – Protestations sur les bancs du groupe LR.
C'est extraordinaire, magnifique ! Bravo !
Je peux cependant comprendre certaines préoccupations et je vais nuancer mon propos. Je pense que mon ami Charles-Amédée de Courson, à côté de moi, a déposé son amendement de suppression de bonne foi car il s'inquiète du fait que la mesure ne créé une sorte d'« effet d'aubaine » pour des gens qui iraient se revendiquer polygames. Il l'a retiré parce qu'il voit bien que les réponses apportées par le Gouvernement et la rapporteure vont dans le bon sens, et qu'aujourd'hui en France, vivre en état de polygamie, c'est être victime de cette pratique.
Mais parlons un peu des pays dont vous avez peur : au Maroc, la Moudawana a été réformée il y a vingt ans et la polygamie n'existe plus ; en Algérie, le code de la famille a été réformé et la polygamie n'existe plus ; en Tunisie – ma collègue Sonia Krimi pourra en témoigner – , elle n'existe plus non plus ; …
… et dans le reste du continent africain, il n'y a que très peu de familles qui vivent encore en état de polygamie. Arrêtez donc de fantasmer sur des appels d'air ; vous ne le faites que pour taper sur l'islam et sur les musulmans. Vous en arrivez à défendre la polygamie pour taper sur les étrangers : c'est stupide !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM et sur les bancs du groupe FI. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 143
Nombre de suffrages exprimés 136
Majorité absolue 69
Pour l'adoption 111
Contre 25
L'article 14 bis est adopté.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Le sujet ayant déjà été largement abordé, je serai brève. Ces amendements, qui tendent à conforter l'article 14 bis en ce qu'ils appréhendent la polygamie comme un acte de violence subi par les femmes, ont peu de chance d'être adoptés. Mais l'article qui vient de l'être s'inscrit dans un combat que ma collègue Marie-George Buffet mène depuis des années pour faire reconnaître les droits des femmes, celui des femmes étrangères en particulier, en la matière.
Comme vous le savez, nombre de femmes restent dans ces situations de violence car elles se trouvent avec leurs enfants dans une situation de précarité sur tous les plans : financier, psychologique, émotionnel, administratif et du logement.
Après l'adoption bienvenue de l'article 14 bis, d'autres mesures s'imposent pour pleinement protéger ces femmes étrangères victimes de violences en France, sachant que ce n'est pas propre aux étrangers de faire vivre des violences aux femmes.
M. André Chassaigne applaudit.
Les nombreuses associations avec lesquelles nous avons travaillé estiment que les mesures que nous proposons contre la polygamie vont les aider à lutter contre cette pratique sur le territoire national mais vont aussi contribuer à la faire reculer dans les pays étrangers.
Monsieur Pupponi, une femme qui se retrouve seule et en difficulté peut faire l'objet d'une ordonnance de protection, ce qui lui permet d'obtenir de l'aide pour se loger et s'occuper de ses enfants.
S'agissant de ces deux amendements, nous en restons à ce que nous avons adopté à l'article 14 bis. Avis défavorable.
Même avis.
Le débat sur ces amendements me donne l'occasion de demander une clarification au rapporteur. Pour repousser nos arguments, il nous a expliqué que cette mesure visait des conjoints français. Or nous sommes en train de modifier le code des étrangers et les présents amendements évoquent bien « l'étranger détenteur de la carte de séjour ». Pourquoi faudrait-il un titre de séjour pour des gens qui seraient déjà français ?
La parole est à Mme Perrine Goulet, première oratrice inscrite sur l'article.
Après les deux articles que nous venons d'adopter, celui-ci apparaît comme une évidence : il semble anormal que des personnes en situation de polygamie sur notre territoire puissent avoir droit à certaines prestations telles que la pension de réversion. Cet article tend à clarifier le droit en insistant sur le fait que seule la première épouse aura droit à cette pension.
La mesure va cependant se heurter à certains accords internationaux qui permettent le versement de la pension de réversion à des familles polygames. Nous espérons que cet article ne constituera qu'une première pierre. Nous comptons sur vous, madame la ministre déléguée, pour que ces accords soient renégociés et que ces autorisations soient supprimées.
Le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés votera pour cet article.
L'intervention de notre collègue Goulet nous donne bel espoir, mais je ne sais pas si la fermeté sera au rendez-vous. L'article 15 prévoit, en effet, que la pension de réversion d'un époux polygame ne pourra être versée qu'à un seul conjoint survivant, afin d'éviter son partage entre plusieurs épouses, sous réserve des engagements internationaux de la France.
Or de tels engagements ont été conclus entre la France et des pays autorisant la polygamie. La mesure proposée à l'article 15 ne s'appliquera donc pas aux ressortissants de ces pays. Dès lors, quelle en sera la portée, madame la ministre déléguée ? Quelque 30 000 personnes polygames vivraient en France, selon vous. Combien seraient concernées par cette limite au partage de la pension entre épouses d'un époux polygame ?
Ce dispositif va-t-il dissuader des candidats à la polygamie ? J'en doute puisqu'ils seront décédés au moment de son application. Va-t-il permettre de mieux lutter contre les fraudes aux pensions de réversion françaises, un vrai sujet ? J'en doute aussi. Vous le voyez, madame la ministre déléguée, il reste beaucoup à faire en la matière.
M. Julien Aubert applaudit.
Je suis saisi de cinq amendements identiques, nos 646 , 1158 , 1771 , 2139 et 2325 .
Les amendements nos 646 de Mme Albane Gaillot, 1158 de M. Thibault Bazin, 1771 de Mme Marie-George Buffet et 2139 de Mme Bénédicte Pételle sont défendus.
La parole est à M. Mustapha Laabid, pour soutenir l'amendement no 2325 .
Au-delà du fait que la polygamie est déjà interdite en France et partout dans le monde pour tout ressortissant français, les dispositions énoncées dans l'article 15 pour lutter contre ce phénomène ne me semblent pas efficaces, notamment le critère d'ancienneté pour l'attribution des pensions de réversion. Au lieu de sanctionner comme il faut l'auteur de l'infraction, cet article conduira seulement à léser économiquement l'épouse ainsi que les enfants issus du mariage.
Effectivement, treize pays ont signé des conventions internationales pour permettre le partage des pensions de réversion. Cependant, les personnes qui n'en bénéficieront pas pourront obtenir d'autres prestations sociales sous condition de résidence et de ressources : l'allocation de solidarité aux personnes âgées – ASPA – , le revenu de solidarité active – RSA – , l'aide à la vie familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine, s'ils remplissent les conditions d'attribution. En outre, l'accompagnement des associations devrait être renforcé. Avis défavorable.
Il est également défavorable.
Je profite de cette prise de parole pour répondre à la question très légitime sur les conventions internationales. Celles-ci se négocient dans le cadre d'un travail diplomatique sur la base du droit de chaque pays. Je réitère devant vous l'engagement que j'avais pris en commission au nom du Gouvernement : ces conventions internationales seront renégociées avec les pays qui autorisent la polygamie dès que la loi aura été promulguée, ce travail ne pouvant pas être fait avant.
Quelle relecture de la Constitution : désormais, la loi modifie les traités !
Non, elle pousse à leur renégociation !
La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l'amendement no 1409 .
Sourires.
Ce sujet représentait trois ou quatre pages du rapport de 500 pages que j'avais rédigé sur les fraudes et les pratiques abusives.
À l'occasion, j'avais découvert une deuxième chose : les conventions bilatérales de sécurité sociale ne sont pas soumises à la décision du Parlement. C'est un problème de fond : lors de la création des lois de financement de la sécurité sociale, nous avons oublié de porter les conventions bilatérales de sécurité sociale au niveau législatif.
Nous nous retrouvons donc avec un projet d'article qui n'a pas de portée puisque, grosso modo, et contrairement au présent texte, les treize conventions bilatérales de sécurité sociale autorisent le partage des pensions de réversion. Or les accords internationaux l'emportent sur la loi.
Vous dites, madame la ministre déléguée, qu'il faut commencer par adopter ce texte pour renégocier. Pas du tout ! Le ministre des solidarités et de la santé pouvait renégocier ces conventions à tout moment.
C'est pourquoi je propose, à l'alinéa 2, de supprimer les mots : « sous réserve des engagements internationaux de la France ». Qui nous dit, en effet, que la renégociation n'aura pas lieu avant cinq ou dix ans, sous un autre gouvernement ? Vous pouvez dire ce que vous voulez, mais il n'y a aucun engagement. La négociation, effectuée dans le cadre diplomatique, dépendra de pays étrangers. Elle pourra durer des années et même, dans certains cas, n'aboutir à aucune modification de la situation actuelle.
Ces engagements internationaux sont des actes réglementaires, ce qui est très choquant pour le Parlement. Si nous ne supprimons pas la mention qui s'y réfère, nous vidons l'article de son contenu.
Même en l'absence de la mention que vous souhaitez supprimer, les engagements internationaux s'imposent à nous en application de l'article 55 de la Constitution : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. » Cependant, il est possible de les renégocier sous forme d'avenants, en se mettant d'accord avec les pays concernés.
Je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.
Comme vient de l'indiquer Mme la rapporteure, ces conventions binationales ont vocation à être renégociées. J'ai toujours un peu de mal à m'entendre dire que mes propos ne m'engagent à rien. Nous sommes là pour prendre des engagements et les tenir, sinon nos échanges sont inutiles. Vous avez le droit d'y croire ou pas, mais, pour notre part, nous réitérons l'engagement que nous avons pris en commission de renégocier ces conventions. Le résultat ne dépend pas que de nous, dites-vous. C'est tout le principe d'une négociation de convention : il faut discuter.
Votre amendement ne change rien au texte, il ne l'améliore ni ne le dégrade. C'est pourquoi le Gouvernement s'en remet également à la sagesse de l'Assemblée.
Vous pourriez vous engager à renégocier les treize conventions sur ce point – parce qu'il y en a bien d'autres en matière de polygamie ! – dans un délai d'un an. Voilà l'engagement que vous pourriez prendre, plutôt que de promettre des négociations. Vous pourriez dire que si les treize conventions ne sont pas modifiées sur ce point au bout d'un an, elles seront dénoncées. Voilà ce que serait un engagement !
M. de Courson me demande de prendre un engagement. Quand j'en prends un, cela ne lui convient pas et il en change les termes. Cela ne fonctionne pas comme ça !
Nous ne sommes pas au marché en train de négocier des prix. Je réponds favorablement à votre demande, vous pourriez vous en réjouir, monsieur de Courson !
L'amendement no 1409 n'est pas adopté.
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l'amendement no 2500 .
Il a pour objet de garantir les droits des conjoints divorcés, en maintenant pendant toute la période de leur mariage le droit à réversion pour ceux qui se sont mariés en situation de monogamie.
L'amendement no 2500 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 133
Nombre de suffrages exprimés 116
Majorité absolue 59
Pour l'adoption 89
Contre 27
L'article 15, amendé, est adopté.
Je propose que les organismes chargés du versement des prestations familiales puissent déclarer au procureur de la République les situations matrimoniales qui leur paraissent être en contradiction avec l'article 147 du code civil. Ce sont de bons observateurs…
… et il faut leur permettre de signaler au procureur les situations qui leur paraissent douteuses.
La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l'amendement no 1715 .
Les organismes chargés du versement des prestations familiales versent des prestations liées aux enfants. Lorsqu'il y a polygamie, tous les enfants sont comptés ensemble, ce qui pose parfois le problème de la distinction entre ceux qui vivent en France et ceux qui vivent à l'étranger, car il arrive que les enfants soient partagés entre deux pays. Quelques conventions ont plafonné le nombre d'enfants pris en charge.
L'amendement propose que ces organismes, essentiellement la Caisse d'allocations familiales, mais aussi quelques autres comme la Mutualité sociale agricole, la MSA, puissent déclarer au procureur de la République les situations matrimoniales qui leur paraissent être en contradiction avec l'article 147 du code civil. Ils aideraient ainsi à combattre la polygamie en exposant des cas dont on n'aurait pas connaissance.
L'article 147 du code civil consacre le principe de monogamie sur notre territoire en prévoyant qu'aucun mariage ne peut être contracté sans la dissolution du précédent. Il s'applique aux ressortissants français pour tout mariage contracté en France ou à l'étranger et aux ressortissants étrangers pour les mariages contractés en France.
L'amendement donne pouvoir aux caisses d'allocations familiales de signaler au procureur de la République les situations matrimoniales qui entreraient en contradiction manifeste avec la loi française.
La parole est à Mme Laurence Trastour-Isnart, pour soutenir l'amendement no 82 rectifié .
L'amendement de mon collègue Éric Pauget vise à permettre aux caisses d'allocations familiales, qui ont une bonne connaissance de la situation des familles, de prévenir le procureur de la République en cas de suspicion de polygamie.
Les amendements sont satisfaits.
En effet, une convention a été signée entre différents organismes sociaux tels que la CAF, la caisse primaire d'assurance maladie – CPAM – , l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales – URSSAF – et les impôts, afin de permettre l'échange d'informations et le contrôle de la véracité des situations déclarées par les allocataires. Ce croisement des informations, qui existe également entre la CAF et Pôle emploi, permet de détecter les anomalies dans les informations collectées par les différents organismes et de mener ainsi des actions plus efficaces. Lorsque la preuve est faite qu'une fausse déclaration revêt un caractère frauduleux, la CAF applique une sanction plus ou moins forte selon l'ampleur de la fraude, comme une amende ou le dépôt d'une plainte auprès du procureur de la République. L'essentiel des plaintes déposées par la CAF concernent des ressources ou des vies maritales non déclarées, des fausses déclarations ou des usurpations d'identité.
Pour la polygamie, afin de soustraire les femmes, souvent dans une situation de grande difficulté, à la tutelle de leur mari, les services sociaux, suivant la volonté du Gouvernement, leur proposent de décohabiter de leur mari grâce à un logement social et aux prestations d'aide pour parents isolés.
Avis défavorable.
Les amendements nos 895 et 82 rectifié , repoussés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.
L'amendement no 928 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Je voudrais citer une statistique qui situe la portée du phénomène dont nous sommes invités à débattre : plus de 30 % des médecins auraient déjà été sollicités pour rédiger des certificats de virginité. C'est un chiffre qui peut étonner et qui interpelle. Dans notre pays, où les femmes sont libres de disposer de leur corps et de vivre leur vie, cette pratique n'est pas tolérable. C'est une question de dignité humaine et de respect de l'égalité entre les femmes et les hommes. Rien, je dis bien rien, ne peut justifier qu'on impose aux femmes de prouver leur virginité !
L'engagement résolu du Gouvernement, particulièrement de la ministre déléguée Marlène Schiappa, est salutaire. Qui peut penser qu'une femme se livrerait à cette pratique en toute liberté, sans contrainte et sans pression ? On peut raisonnablement estimer qu'une femme qui demande un certificat de virginité le fait sous une forme de pression extérieure puisque par définition elle n'a pas à le prouver à elle-même. Cet article, qui vise à interdire explicitement à tout professionnel de santé l'établissement d'un certificat attestant de la virginité d'une personne, est un engagement fort du Gouvernement. Il montre concrètement combien cette loi est utile.
Enfin, je veux souligner que la disposition n'est pas dirigée contre le corps médical. Au contraire, l'interdiction, pour les médecins, de délivrer des certificats de virginité est une façon de les protéger et de leur éviter des situations où ils pourraient faire l'objet de pressions.
Les amendements nos 1360 de M. Bruno Bilde, 784 de Mme Albane Gaillot et 185 de Mme Marie-France Lorho sont défendus.
Il me permettra de m'exprimer sur l'ensemble de l'article 16.
Cet article a fait beaucoup de bruit avant même l'examen du projet de loi sans pour autant bénéficier d'une véritable étude d'impact. Nous le regrettons. Le sondage du Quotidien du médecin qui a été cité est un sondage en ligne qui a été proposé aux médecins sans constitution d'un échantillon représentatif ; 30 % des médecins qui y ont répondu affirmaient avoir rencontré cette demande une fois dans leur carrière. Le planning familial, de son côté, a affirmé en audition que les demandes de ce type étaient très rares.
Je mentionne tout cela car cette pratique représente, dans le discours, l'un des éléments qui tendraient à montrer l'ampleur du séparatisme islamiste. Il me semble important de le préciser.
Bien sûr, même s'il ne s'agissait que de deux ou trois cas, il serait quand même important de légiférer, car c'est évidemment une pratique insupportable et scandaleuse, nul besoin de préciser pourquoi. Mais dans ce cas, il faudrait que l'article soit complet. Or il lui manque deux volets.
Premièrement, alors même que l'Ordre des médecins interdit cette pratique, l'article pénalise essentiellement les médecins qui délivrent des certificats de virginité. Or d'après tous les témoignages qui nous remontent, les médecins qui le font condamnent cette pratique, mais acceptent de délivrer ces certificats pour protéger les victimes, les femmes qui les demandent étant sous la menace de représailles familiales. Ils ne pratiquent évidemment pas le test de virginité, et c'est heureux ; en outre, très souvent, après avoir délivré le certificat, ils signalent la situation aux autorités. Je regrette qu'aux termes de cet article, ce soient les médecins qui se trouvent pénalisés par l'interdiction. Nous en avons déjà débattu : il faudrait surtout pénaliser de façon beaucoup plus importante les personnes qui incitent les femmes à demander un certificat de virginité. Quoi qu'il en soit, vu le contexte, une peine d'emprisonnement d'un an nous paraît excessive.
Deuxièmement, la loi devrait obliger le professionnel de santé à informer la personne qui lui demande un certificat de virginité, que je continue à considérer comme une victime, de l'existence d'organismes spécialisés dans la défense des droits des femmes, qu'elle pourrait contacter, et à lui remettre un document expliquant que la loi de la République interdit cette pratique. Ce serait une manière de garantir par la loi l'aspect pédagogique et la prévention qui devraient accompagner cette interdiction.
La parole est à Mme Perrine Goulet, pour soutenir l'amendement no 1257 .
Les témoignages recueillis en audition montrent que les jeunes filles qui viennent demander un certificat de virginité le font poussées par leur famille ; le leur refuser simplement peut donc être dangereux pour elles. Comment pourraient-elles rentrer dans leur famille sans ce fameux certificat et sans appui ? Nous proposons donc que le médecin explique à la jeune fille qu'il ne peut pas lui délivrer un tel certificat et qu'il l'oriente vers des associations d'aide aux victimes afin que ces associations puissent éventuellement l'appuyer pour le retour dans sa famille et éviter ainsi les actes de maltraitance. Il nous semble important, tout en posant l'interdit, de prévoir cette mesure d'accompagnement afin de ne pas laisser les jeunes filles seules face à leur famille.
Il a pour objectif de permettre aux femmes à qui il est demandé de certifier leur virginité d'être informées par les professionnels de santé de l'existence de services d'aide compétents et des démarches qu'elles peuvent entreprendre pour s'informer ou se protéger. En effet, si sanctionner cette pratique semble nécessaire, il faut également, en complément, accompagner les femmes à qui il est demandé de produire ces certificats, les écouter et les guider vers les services à même de les aider.
Je voudrais confirmer que les médecins que nous avons rencontrés, qui délivrent environ deux à trois certificats de virginité par an, donnent toutes les informations nécessaires aux jeunes femmes et les orientent vers des associations – cela fait partie de leurs attributions.
Ce travail est donc déjà mené actuellement. Si l'on souhaitait le renforcer, il faudrait se tourner vers le Conseil national de l'ordre des médecins, qui met en place des formations et des accompagnements pour les professionnels de santé. Jusqu'à présent, le Conseil se contentait de faire des recommandations aux médecins, sans prononcer d'interdiction. Mais aujourd'hui, comme les associations, il approuve l'interdiction de cette pratique, afin qu'elle diminue sur le territoire et au-delà.
Nous évoquerons la question des demandeurs un peu plus tard dans la discussion. Pour le moment, il s'agit de pénaliser les médecins qui sont les prescripteurs en appuyant cette interdiction par une sanction.
Concernant la proposition de M. Coquerel de supprimer la peine d'emprisonnement, le quantum de la peine encourue se situe à un niveau adapté à la nature des faits. Il n'est donc pas surévalué.
Avis défavorable.
Lors des débats en commission spéciale, il m'a semblé qu'il régnait un certain consensus, sur l'ensemble des bancs, pour s'élever contre cette pratique barbare qu'est le certificat de virginité.
Je tenais à faire ce préambule car je ne veux pas que l'on pense que je souhaite caricaturer les propos des uns et des autres. Je prends acte de tous les propos qui ont été tenus en rappelant que cette pratique ne doit pas avoir cours sur le sol de la République française et qu'elle contrevient profondément aux principes républicains.
Cela étant, je veux ajouter que certains arguments que j'ai entendus m'ont heurtée. J'observe que le débat autour de cette question a évolué. Il y a plusieurs mois, lorsque le Président de la République, dans son discours de Mulhouse, avait commencé à l'évoquer, certains, dans le monde politique, avaient réagi en affirmant que cette pratique n'avait pas lieu, qu'elle n'existait pas ou alors si peu qu'il ne servait à rien d'en parler.
Je remarque que c'est la première réaction que l'on entend chaque fois que l'on parle de violences faites aux femmes dès lors que celles-ci sont peu visibles.
Cela a été le cas lorsque cette majorité a voulu verbaliser le harcèlement de rue. Certains nous ont alors dit, au cours des débats : « Ce n'est pas vrai, ça n'existe pas. »
Il en a été de même à propos des violences gynécologiques et obstétricales, avant que l'ampleur des témoignages ne montre qu'il s'agissait d'un phénomène massif.
D'après une étude du Quotidien du médecin, environ 30 % des professionnels de santé interrogés confient avoir déjà été sollicités au cours de leur carrière pour un certificat de virginité. Certes, cette étude n'a ni plus, ni moins de valeur qu'une autre. Ce n'est qu'une statistique. Il existe probablement des médecins ou des gynécologues qui ne se sont jamais retrouvés dans cette situation. Mais il en existe aussi – et nous en avons rencontré – qui, plusieurs fois par semaine, reçoivent des jeunes filles ou des familles venues non seulement leur demander de rédiger un certificat de virginité mais aussi, dans certains cas – et même souvent – , de procéder préalablement à un test de virginité.
Il est fondamental de prononcer une interdiction ferme et totale. À l'instar de certains de vos collègues en commission spéciale, vous venez de dire, monsieur Coquerel, et je ne vous en blâme pas, que des médecins sont amenés à délivrer des certificats de virginité par crainte de ce qui pourrait arriver à la jeune fille au cas où elle rentrerait chez elle sans un tel document. Or je crois que nous devrions plutôt nous interroger sur ce qui pourrait arriver à celle qui l'a obtenu !
Vers quelle vie conduisons-nous une jeune fille dont l'acte fondateur de son mariage aura été de faire effectuer un test médical consistant à contrôler ce qu'il reste de son hymen – pardon pour les détails, mais c'est bien de cela qu'il s'agit – , comme un cheval dont on va faire vérifier les dents ?
Si vous pouviez aussi interdire le voile aux petites filles, ce serait pas mal !
Ce n'est pas respectueux des principes de la République et nous ne devons pas tolérer la moindre délivrance du moindre certificat de virginité sur le sol français. Ces précisions méritaient d'être apportées. L'avis est donc défavorable.
Madame la ministre déléguée, attention à ne pas aller pas trop loin. Il existe évidemment un consensus autour de l'interdiction de cette pratique. Cependant nos points de vue divergent, tout d'abord parce que vous établissez une comparaison entre les certificats de virginité et le harcèlement de rue. Très sincèrement, je ne suis pas certain que l'on puisse voir un quelconque rapport entre ces pratiques. Mais je note que lorsque l'on tente d'interdire un comportement en passant par la loi, on se heurte à des difficultés puisque le harcèlement de rue continue d'exister. Votre exemple était donc mal choisi.
Ensuite votre démonstration laisse penser qu'en procédant à cette interdiction, on mettra fin aux pratiques qui sont liées à la délivrance de ce certificat. Vous nous dites en substance que la jeune fille qui ne sera plus obligée d'obtenir ce certificat verra sa vie changer. C'est là que vous vous trompez à mon avis. La mesure d'interdiction n'aura aucun effet sur les raisons profondes qui ont conduit sa famille à demander un certificat.
Certes, la jeune fille ne pourra plus demander de certificat à un médecin. Mais, d'une part, il faudrait plutôt que nous réfléchissions au moyen de faire en sorte qu'elle ne puisse pas en demander un à quelqu'un d'autre et, d'autre part, cela n'aura aucun effet sur son milieu familial. Or c'est sur cet environnement qu'il faudrait agir.
Je conviens qu'il s'agit d'une mesure symbolique. Mais ne croyez pas qu'en abrogeant le certificat de virginité, vous abrogez le séparatisme. En réalité, vous n'aurez modifié qu'un de ses symptômes.
Pour compléter les propos de mon collègue Julien Aubert, je dirai que cette mesure va dans le bon sens mais reste insuffisante : il faudrait aussi condamner les personnes – le plus souvent dans leur entourage – qui exercent des pressions pour que ces jeunes filles obtiennent un certificat de virginité. Si l'on condamne uniquement les professionnels de santé et pas ces individus, nous risquons de voir, demain, des personnes s'improviser médecins, jouer les pères la vertu et délivrer ces certificats en dehors du cadre médical conventionnel.
Comme M. Diard, je pense qu'il faut punir les incitateurs, les commanditaires mais ce sera l'objet de l'article 16 ter. Il est bien sûr important de pouvoir contrecarrer cette pratique en s'en prenant à ceux qui en sont à l'origine.
Ce n'est bien sûr pas parce que la délivrance du certificat de virginité est interdite dans la loi que cette pratique cessera du jour au lendemain. Nous le savons parfaitement car cela vaut pour toutes les pratiques condamnables de ce type. Le viol n'a pas disparu le jour il a été criminalisé par la loi.
Nous posons simplement des bases juridiques mais aussi un interdit. Il y a plusieurs années, la République française a dit non et stop à l'excision en inscrivant, dans son droit, la possibilité d'interdire et de sanctionner les mutilations génitales. Il était important que la République pose un interdit, dise ce qu'elle ne tolère pas. C'est exactement ce que nous faisons aujourd'hui avec les certificats de virginité. Nous posons un interdit et disons que la République ne tolère plus cette pratique. Je salue le fait que vous ayez exprimé votre soutien à cette mesure.
Pour répondre très clairement à propos des personnes qui sont visées par les sanctions, je rappelle que le texte voté en commission spéciale a été enrichi. Il est désormais indiqué dans cet article que « toute personne, non membre du corps médical, réalisant un examen avec pénétration, dans l'objectif d'établir un certificat de virginité, se rend coupable de viol et encourt la peine prévue à l'article 222-23 du code pénal », que « toute personne, non membre du corps médical, réalisant un examen sans pénétration en vue d'établir un certificat de virginité se rend coupable d'agression sexuelle et encourt la peine prévue à l'article 222-22 du code pénal » et enfin que « toute personne informée de la réalisation d'un tel acte en vue d'établir un certificat de virginité et qui ne dénonce pas sa réalisation aux autorités encourt la peine pour non-dénonciation de crime ou de délit prévue aux articles 434-1 à 434-4 du code pénal. »
Vous voyez donc bien que le texte, tel qu'issu de la commission spéciale, couvre l'ensemble des cas que vous avez évoqués.
La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l'amendement no 1718 .
Nous nous félicitons que la réflexion autour de cette question ait beaucoup évolué au fil des débats. En effet, initialement, on se contentait d'interdire les certificats et de sanctionner les médecins qui les délivreraient avant de se rendre compte que la bonne approche consisterait plutôt à s'interroger sur les personnes qui obligent les femmes à demander ce certificat. C'est l'objet de l'article 16 ter dont nous discuterons plus tard.
Dans le même esprit, cet amendement prévoit que le professionnel de santé à qui il est demandé d'attester la virginité d'une personne en alerte le procureur de la République. Il s'agit d'exercer une pression sur les personnes – membres de sa famille entre autres – qui sont à l'origine de la demande et de faciliter la prise de sanctions.
L'article L. 226-14 prévoit que le secret professionnel n'est pas applicable « au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être, mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles, les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n'est pas nécessaire. »
Nous n'avons pas besoin d'aller au-delà de ce qui est déjà prévu. Les médecins que nous avons rencontrés procèdent régulièrement à des signalements lorsque la personne concernée est mineure. Si elle est majeure, son accord est nécessaire.
Même avis.
L'amendement no 1718 est retiré.
Je précise que je le défends à titre personnel.
Il propose de supprimer l'alinéa 5, c'est-à-dire la peine prévue à l'encontre des professionnels de santé qui délivrent un certificat de virginité.
Madame la ministre déléguée, vous avez parlé de consensus à propos de l'interdiction des certificats de virginité. Il faut en effet interdire cette pratique barbare, y compris lorsque la délivrance du document n'est pas précédée d'un test de virginité – rappelons en effet que les praticiens que nous avons auditionnés se refusent à effectuer un tel test.
J'ai d'ailleurs encore des difficultés à comprendre la raison pour laquelle cette disposition figure dans un projet de loi sur le séparatisme. Un texte relatif aux violences obstétricales ou, plus généralement, aux violences faites aux femmes aurait été plus adapté et au moins permis d'éviter l'instrumentalisation de ce sujet. Comme d'autres, en effet, cette pratique s'appuie sur un système de domination masculine et sur le mythe de la virginité – mythe, ai-je dit, puisque dans de nombreux cas sinon dans la plupart, elle n'est pas vérifiable corporellement et que la situation est alors la même à cet égard que pour les hommes.
Mme Caroline Fiat applaudit.
Mais pénaliser la délivrance d'un tel certificat me pose un problème dans la mesure où celles et ceux qui acceptent de le faire – plutôt « celles », d'ailleurs, car ce sont généralement des femmes qui ont affaire à cette question du fait qu'elles travaillent dans les plannings familiaux ou dans les maisons des femmes – le font généralement en dernier recours, après avoir tenté de convaincre les femmes qui la leur demandent d'y renoncer. Elles agissent ainsi à l'encontre de leurs propres convictions, en se disant que ce certificat offrira une protection aux femmes qui ont été forcées de le réclamer.
Peut-être ont-elles tort, et de toute façon, il est certain que nous devons sortir de ce mode de fonctionnement. Mais les femmes qui demandent un certificat de virginité en seront toujours au même point. Quant aux praticiennes désormais sous la menace de sanctions pénales, pourront difficilement leur venir en aide. De leur côté, les hommes, eux, resteront comme aujourd'hui, nullement inquiétés et bien tranquilles. Voilà pourquoi, faute de n'avoir pas mieux travaillé à la rédaction de cet article, y compris à partir d'une étude d'impact plus ambitieuse, je propose que nous laissions pour le moment en paix ces professionnelles de santé.
Il est vrai que ce sont bien souvent des médecins femmes qui oeuvrent dans les centres d'accueil de femmes et qui, à bout d'arguments, acceptent d'attester de la virginité des demandeuses sans avoir procédé à des examens, pour qu'elles puissent repartir dans leur famille. Par ailleurs, si cette pratique est abordée dans ce texte, c'est parce qu'elle peut être d'origine religieuse – il ne s'agit pas de stigmatiser une religion, d'autant que ce n'est pas propre à une seule – et non pas forcément familiale. Tous les médecins auditionnés nous ont dit que cette interdiction les aidera à donner plus de poids à l'information qu'ils fournissent à ces femmes et aux orientations qu'ils leur proposent pour les en dissuader. Et je le répète, le quantum de peine prévu me semble à la fois adapté et proportionné à la nature de l'acte. Pour toutes ces raisons, l'avis est défavorable.
Sur l'article 16, je suis saisi par le groupe La République en marche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Sonia Krimi, pour soutenir l'amendement no 2250 .
Il vise à faire interdire l'établissement de ces certificats en France, mais aussi à l'étranger. Je sais qu'il a été rejeté en commission en vertu bien évidemment du principe de non-ingérence, mais étant donné la gravité du sujet, je souhaitais y revenir dans l'hémicycle. La loi française est bien connue pour ses lacunes quand il s'agit de jeunes filles qui partent à l'étranger subir une excision ou un test de virginité… Mais l'article 15 que nous venons de voter me laisse quelque espoir : ne serait-il pas possible, madame la ministre, que le législateur encourage par cet article 16 ainsi amendé l'interdiction des tests et des certificats de virginité dans les conventions internationales au terme de discussions bilatérales ?
Simona Tersigni, à l'époque doctorante à l'université Paris VII et chercheuse au CNRS, écrivait en 2001 : « Nombre de travaux en sociologie et en anthropologie ont montré que certaines pratiques de ressortissants de pays du Maghreb installés en France n'étaient pas dictées par l'Islam mais liées à une dramatisation des vertus féminines [… ]. » J'aimerais dire à toutes les petites filles et à toutes les adolescentes qui nous liront ou nous écouteront peut-être un jour en revenant sur ce débat : dites non à ces tests de virginité, dire non à ces retours au bled, dites non à ces mariages forcés. Votre pays, la France, vous protégera. J'ai eu votre âge, seize ans, dix-sept ans, et j'ai dit non. Et je pense que cela m'a pas mal réussi jusqu'à aujourd'hui.
Mme la ministre sait que je suis contre le mariage avant l'âge de dix-huit ans car il faut alors aller à l'école, faire autre chose, et l'honneur de votre famille ne peut pas s'arrêter – pardonnez-moi – à un trou ; honorer sa famille, c'est montrer sa capacité à s'intégrer dans le pays qui vous a accueilli, honorer sa famille, c'est travailler, montrer sa capacité à casser les plafonds de verre. Un vrai bravo pour cet article, madame la ministre, mais il faut absolument qu'il soit transposé dans des conventions internationales au nom de tout ce que vous défendez.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. M'jid El Guerrab et M. Jean-Paul Lecoq applaudissent également.
Je ne peux que répéter, chère collègue, ce que j'ai dit en commission : une interdiction votée par le Parlement français vaut pour la France, pas pour les territoires étrangers. Mais on sait que nos lois peuvent quelquefois influencer les législations étrangères.
L'avis est défavorable.
Quant aux jeunes filles emmenées l'été au pays pour subir des tests de virginité ou des excisions, je rappelle l'existence de procédures telles que l'ordonnance de protection ou l'interdiction temporaire de sortie du territoire.
Tout d'abord, permettez-moi, madame la députée, de vous remercier pour votre témoignage, pour votre engagement et pour le message que vous délivrez à toutes ces jeunes filles. Je partage évidemment l'objectif de votre amendement, mais celui-ci ne peut être introduit dans la loi. En revanche, vous savez que le Président de la République a souhaité que la France accueille et copréside avec le Mexique, cet été, le forum Génération Égalité, pilotée par Delphine O, ambassadrice et secrétaire générale de la Conférence mondiale de l'ONU sur les femmes. Des coalitions de pays vont alors être organisées pour progresser sur un certain nombre de sujets, dont la question des mutilations génitales et celle des pratiques néfastes au regard du respect des femmes. Je suis donc absolument persuadée que, dans le cadre de l'association de parlementaires à ce travail diplomatique important, vous pourrez porter la voix de toutes ces jeunes filles.
Je salue le témoignage de notre collègue Sonia Krimi. Peut-être qu'on ne peut pas techniquement introduire une telle disposition dans le texte, mais il y a parfois des dispositions symboliques importantes, et celle-ci en est une. En tant que député des Français de l'étranger, je suis bien placé pour savoir l'importance des 3,5 millions de compatriotes qui vivent hors de notre pays, bien placé pour savoir qu'il faut les protéger et leur envoyer un signal politique leur disant : « Vous êtes vous aussi partie de la nation et la France prête attention à vous et vous protège. »
Ma circonscription couvre le Maghreb et l'Afrique de l'ouest, et je sais que des familles demandent parfois l'application des pratiques ici dénoncées. Il y a très longtemps, dans les villages berbères dont je suis originaire, on demandait aux mariés de s'accoupler sur un drap blanc, qu'ils devaient ensuite montrer publiquement. Cette tradition n'est pas du tout d'origine religieuse, il n'y a rien dans le Coran ni dans d'autres textes religieux qui prescrit la virginité avant le mariage. J'ai déjà parlé de ma mère la semaine dernière, et j'y reviens : avant d'épouser mon père, elle avait eu des enfants de son premier mari dont elle a divorcé. L'obligation de virginité n'a absolument rien à voir avec le mariage. Elle relève d'une mentalité contre laquelle il faut en effet toutes et tous s'élever.
L'amendement no 2250 n'est pas adopté.
Interdire le certificat de virginité est une belle avancée, essentielle pour protéger les jeunes filles et les femmes, essentielle aussi pour le respect de notre république. Je souhaite par cet amendement que soient alourdies les peines quand il est établi par un professionnel de santé.
En outre, on a beaucoup évoqué les problèmes que risquent d'avoir les jeunes filles qui rentreraient chez elles sans le certificat de virginité attendu. Il serait sûrement souhaitable d'organiser une campagne d'information chez tous les médecins, par voie d'affiches, faisant connaître à tout le monde cette interdiction pour tout médecin de délivrer ces certificats, pour mieux protéger les jeunes filles qui rentreront bredouilles. Cette campagne d'information pourrait être aussi une campagne de prévention contre cette pratique.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?
Je vous remercie pour cette proposition parce que les campagnes d'information font partie des mesures à prendre contre les certificats de virginité. Quant au quantum de peine, je redis que celui prévu dans le texte est adapté à l'infraction et qu'il faut éviter toute surenchère. Avis défavorable.
J'abonde dans le sens de ce que vient de dire Mme la rapporteure à propos du quantum de peine : je pense que nous avons réussi à trouver un équilibre. De manière générale, il est fondamental de maintenir une cohérence en la matière pour éviter le risque de censure constitutionnelle. Vous devez garder cela à l'esprit, mesdames, messieurs les députés, pour toutes les peines sur lesquelles vous avez à vous prononcer dans le cadre de ce texte.
Je voulais savoir, madame la ministre, si ces sujets seront intégrés dans les programmes d'éducation sexuelle dès la rentrée prochaine. Il faudrait le faire le plus vite possible car, de même que l'interdiction pour les médecins de prescrire de la drogue dans leurs ordonnances n'empêche pas beaucoup d'entre eux de subir des pressions pour le faire, l'interdiction des certificats n'empêchera pas, là aussi, les pressions, tout le monde le sait. Dans notre pays, on a l'habitude d'accompagner ce genre de dispositions par l'éducation.
La parole est à M. Pierre-Yves Bournazel, pour soutenir l'amendement no 2150 .
Cet amendement de mon collègue Christophe Euzet propose que la sanction pénale prévue soit complétée par la possibilité pour le conseil de l'ordre correspondant à la profession de l'auteur de l'infraction, notamment le Conseil national de l'ordre des médecins et celui des infirmiers, de prendre une sanction disciplinaire.
Votre demande est déjà satisfaite puisque cela fait partie des missions des conseils de l'ordre que d'assurer la discipline en leur sein à travers différentes sanctions : avertissement, blâme, suspension temporaire ou radiation définitive. Ces sanctions seront applicables dès la promulgation de la loi à la délivrance de certificats de virginité. Il n'y a donc pas lieu de modifier le texte en ce sens. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.
Vous proposez que la condamnation pour délivrance du certificat de virginité soit notifiée au conseil de l'ordre concerné. Mme la rapporteure a raison : cette information est déjà prévue par le code de la santé publique. Néanmoins, la faire figurer ici pourrait relever d'une certaine logique pédagogique. Je m'en remets donc à la sagesse de l'Assemblée.
Depuis 2003, l'ordre des médecins et celui des gynécologues ont appuyé cette demande et surveillent le sujet. J'écoute attentivement tous mes collègues depuis tout à l'heure : il faudrait que les médecins et les soignants prennent le temps de discuter avec les jeunes filles et les orientent vers les associations. Mais enfin, vivons-nous tous dans le même monde ?
Savez-vous de combien de temps dispose un médecin avec sa patientèle en ce moment ? Combien de temps les soignants peuvent-ils passer avec la jeune fille qui va arriver devant eux ? Nous ne vivons pas dans le même monde, pas dans le même système hospitalier, pas dans les mêmes établissements. Même en libéral, les professionnels n'ont pas tout ce temps que vous leur demandez de prendre.
Madame la ministre, j'en suis convaincue : nous devons réussir à faire en sorte que ces certificats ne puissent plus exister, pour protéger les jeunes filles d'un acte auquel on les contraint. Mais vous allez demander que les professionnels soient sanctionnés. Sachant qu'on souffre d'une pénurie de professionnels, qu'allez-vous faire une fois qu'il n'y en aura plus parce que vous aurez sanctionné tout le monde ? Vous allez faire quoi ?
Murmures sur les bancs du groupe LaREM.
Je suis persuadée qu'il faut faire quelque chose, mais rendez-vous compte…
Nous sommes sans doute dans une impasse. Je ne connais aucun médecin qui pourrait se trouver dans une situation plus préoccupante que celle consistant à lui faire signer un certificat qui est interdit. Imaginez bien que la situation n'est simple pour personne. Je suis d'accord avec vous : il faut aider les jeunes filles et interdire cet acte barbare, mais nous ne disposons pas de beaucoup de médecins et nos soignants n'ont pas beaucoup de temps pour leurs patients.
L'amendement me pose deux problèmes. Tout d'abord, lorsqu'il y a condamnation, il y a déjà automatiquement notification au conseil de l'ordre, c'est du moins le cas pour les médecins et pour les infirmiers. En outre, on oublie un corps professionnel qu'il faudrait peut-être ajouter : l'Ordre national des sages-femmes.
Nous entendons la sagesse du Gouvernement mais les députés du groupe LaREM suivront l'avis de la rapporteure en votant contre cet amendement.
« Oh ! » sur les bancs du groupe Agir ens.
L'amendement no 2150 n'est pas adopté.
L'article 16 permet de sanctionner le médecin qui délivre un certificat de virginité. Quant aux personnes qui s'improviseraient médecins afin de réaliser un test en la matière, elles pourraient être condamnées pour viol, ce qui est une avancée importante. Si ceux qui produisent les certificats sont sanctionnés, en revanche il n'y a pas de sanction pour ceux qui les demandent. Je souhaiterais donc que la sanction soit la même pour ceux qui font pression et incitent à demander de tels certificats.
Votre amendement est déjà en partie satisfait pour ce qui concerne les prescripteurs et, s'agissant des demandeurs, va l'être par la pénalisation prévue à l'article 16 ter : je vous demande de le retirer.
Même avis.
Dans l'attente de l'examen de l'article 16 ter, je retire l'amendement.
L'amendement no 1175 est retiré.
La parole est à Mme Perrine Goulet, pour soutenir l'amendement no 1723 .
En posant un interdit clair, l'article 16 constitue une avancée intéressante, mais il ne concerne que les certificats de virginité délivrés par des médecins ou par d'autres personnes. Or un certain nombre d'actes rituels, qui ont lieu sur notre territoire, visent eux aussi à s'assurer de la virginité de la femme. C'est le cas, dans certaines communautés gitanes, de la cérémonie du mouchoir au cours de laquelle, juste avant le mariage, une femme de la communauté pénètre avec un mouchoir la jeune femme pour s'assurer de la présence de l'hymen et exhiber, au moment du mariage, la trace de sang sur le tissu. Je pense aussi, dans certaines communautés religieuses, à la cérémonie du drap : après la nuit de noces, le drap taché du sang de la jeune fille est exhibé afin de valider le mariage.
Madame la ministre, madame la rapporteure, ne restons pas au milieu du gué. Deux alinéas de cet article traitent du cas des personnes non membres du corps médical : ils figurent dans le texte grâce à Laurence Gayte et je l'en remercie. Mais je souhaiterais qu'ils évoquent non un examen effectué « dans l'objectif d'établir un certificat de virginité », mais « visant à établir la virginité de la victime ». Cela permettrait de poser avec force qu'il est interdit de tester la virginité d'une jeune femme en France.
Vous proposez d'interdire la réalisation de tout acte visant à établir la virginité d'une personne. S'il nous semble important de couvrir les autres cas que celui du certificat, comment pourrait-on néanmoins apporter la preuve des pratiques coutumières que vous évoquez ? Elles sont inutiles et insupportables, mais il est difficile de retrouver la personne qui les pratique. Le certificat étant un acte médical, on peut poursuivre pénalement la personne prescriptrice ou l'auteur. En revanche, qui peut-on poursuivre dans le cadre de pratiques coutumières qui s'exercent dans des groupes et des communautés ? J'ajoute que l'article 16 traite des professionnels de santé qui délivrent des certificats au quotidien : mon avis est donc défavorable.
Même avis.
Madame la rapporteure, j'entends ce que vous m'indiquez mais il est important de marteler cet interdit parce que certaines jeunes filles ont très peur de ces cérémonies. Il faut qu'elles aient la loi avec elles pour s'y opposer et ne pas subir, par exemple, une cérémonie du mouchoir. En tant que mère, il faut aussi pouvoir dire à son enfant qu'on va mettre un terme à une tradition barbare.
Au-delà, la pénalisation permettra à des jeunes femmes, si elles en ont l'envie quelques années après, de se retourner contre les femmes qui les ont pénétrées contre leur volonté juste avant leur mariage. Il me semble donc très important de le faire figurer dans le texte. Comme je l'ai indiqué, ma proposition s'appuie sur les deux alinéas qui évoquent les personnes non membres du corps médical : elle est donc très bien placée dans l'article. Nous devons fixer un interdit clair : les rituels, c'est fini, …
… les tests de virginité, c'est fini, que ces actes soient commis par un médecin ou par quelqu'un d'autre. Toute personne qui pénètre une jeune fille pour vérifier sa virginité doit pouvoir être condamnée.
L'amendement de Mme Goulet est fondamental. Certes, nous allons sanctionner les médecins, mais que va-t-il se passer ? Dans certaines communautés, on va demander à des personnes qui ne sont pas médecins de vérifier la virginité des jeunes femmes. Outre les certificats délivrés par les médecins, il faut interdire tout simplement ces pratiques.
Comme en commission, j'appuie totalement cet amendement qui me semble, au moins, ne pas se tromper de cible prioritaire.
La parole est à Mme Laetitia Avia, rapporteure de la commission spéciale pour le chapitre IV du titre Ier.
Madame Goulet, bien sûr, comme toutes et tous, j'ai été très sensible à votre intervention. Ces cérémonials sont barbares et nous voulons trouver tous les moyens de les empêcher. Cependant, vous l'avez dit vous-même en parlant de pénétration : la cérémonie du mouchoir n'est rien d'autre qu'une agression sexuelle, …
… laquelle n'a pas à être réprimée par un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende, car le code pénal prévoit pour ces actes des peines bien plus lourdes. N'allons pas inventer de nouvelles incriminations qui seraient moins protectrices des jeunes filles.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Cet argument ne tient pas. Pourquoi, sinon, faudrait-il préciser que « toute personne, non membre du corps médical, réalisant un examen avec pénétration, dans l'objectif d'établir un certificat de virginité, se rend coupable de viol et encourt la peine prévue à l'article 222-23 du code pénal », comme l'indique un des deux alinéas ajoutés en commission à l'initiative de notre collègue Laurence Gayte ?
L'ajout avait pour but de ne pas limiter l'interdiction aux actes effectués dans un contexte médical. De ce point de vue, ces alinéas sont très importants, mais j'insiste : il ne faut pas rester au milieu du gué en ne visant que les actes accomplis dans l'objectif d'établir un certificat de virginité.
L'amendement no 1723 est adopté.
Applaudissements sur certains bancs des groupes LaREM et Dem.
La parole est à M. Ludovic Mendes, pour soutenir l'amendement no 1300 .
Dans la continuité de ce qu'une bonne partie de mes collègues ont défendu, mon amendement vise le cas des actes commis à l'étranger sur des mineurs. Étant moi-même député d'un territoire transfrontalier, je sais que certains charlatans proposent leurs services à l'extérieur de nos frontières. Il est inhumain, impensable et inimaginable que demain cette tradition patriarcale et phallocentrée puisse perdurer en dehors de nos territoires du fait de personnes françaises ou résidant habituellement sur notre territoire. Dans une logique de protection, faisons en sorte que des jeunes filles françaises ne puissent pas se rendre en Allemagne, en Suisse, au Luxembourg ou en Belgique afin d'obtenir un certificat de virginité qui ne pourra plus être établi en France.
C'est aussi une façon de reconnaître que lorsqu'on décide de se marier, on le fait par amour. On ne marie pas avec une personne comme si on achetait un véhicule – pardonnez-moi cette comparaison, mais c'est un peu la logique adoptée par certains hommes. Madame la ministre, l'extraterritorialité s'applique-t-elle au sujet des certificats de virginité pour les personnes mineures, comme c'est le cas pour l'excision ? Si tel n'est pas le cas, je vous propose d'adopter mon amendement.
C'est la même réponse que précédemment : nous ne pouvons prendre de décision que pour ce qui concerne le territoire français. Il est possible de demander une interdiction de sortie du territoire pour des mineures menacées d'être emmenés dans un pays frontalier pour se voir établir un certificat de virginité, mais nous ne pouvons pas interdire cette pratique en dehors de notre pays. Avis défavorable.
Même avis.
Il s'agit d'expliquer aux jeunes filles concernées que l'indignité qu'elles ont eu à subir sera réparée par la justice en France. Je ne prétends pas que nous puissions éviter, grâce à l'amendement, que de tels actes aient lieu à l'étranger ; j'ai conscience que ce n'est pas possible. En revanche, il faut qu'elles puissent porter plainte, en revenant en France, contre le tuteur ou le représentant légal qui les a emmenées hors de nos frontières pour obtenir un certificat de virginité.
La loi française permet déjà d'agir dans ces circonstances contre l'excision et dans de nombreux autres cas ; pourquoi ne pas reconnaître l'extraterritorialité de notre droit lorsqu'un certificat de virginité a été établi à l'étranger pour des mineures qui reviennent sur notre territoire ? C'est de cela qu'il s'agit, et non de changer la loi de pays étrangers.
Le droit de l'enfant est primordial ; il est garanti dans le cadre du droit européen – en l'espèce, la question des territoires transfrontaliers en relève – et du droit international. Je crois que nous devons apporter à ce problème une réponse bien différente de celle qui vient de m'être faite.
L'amendement no 1300 n'est pas adopté.
La parole est à M. Philippe Benassaya, pour soutenir l'amendement no 1717 .
Il vise à renforcer la portée de l'article 16 en instituant que toute demande par un étranger d'un certificat de virginité pour lui-même ou pour autrui constitue un rejet manifeste par ce dernier des principes de notre république. Cette personne ayant ainsi fait la preuve de son rejet de nos principes collectifs a, par la même occasion, démontré son incapacité à s'intégrer dans notre vie commune. Il convient en conséquence de l'éloigner du territoire national, où sa présence représente une menace et une grande injustice pour les étrangers profondément et sincèrement désireux d'adhérer aux valeurs de la République et de s'intégrer à notre société.
L'amendement no 1717 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 115
Nombre de suffrages exprimés 113
Majorité absolue 57
Pour l'adoption 112
Contre 1
L'article 16, amendé, est adopté.
Prochaine séance, demain, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Vote par scrutin public sur le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire ;
Discussion du projet de loi portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique.
La séance est levée.
La séance est levée à minuit.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra