La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Ce matin, l'Assemblée a commencé la discussion des articles, s'arrêtant à l'amendement no 2 à l'article 1er.
Dans la continuité de nos débats de ce matin, je propose d'ajouter un stage à la longue liste de stages figurant à l'article 41-1 du code de procédure pénale.
La haine en ligne et les pratiques consistant à diffuser des messages à caractère haineux sur les réseaux sociaux sont un véritable problème. Il me semble que beaucoup de nos concitoyens méconnaissent la législation en vigueur, et notamment les interdictions qu'y a introduites la loi votée à l'initiative de notre collègue Laetitia Avia.
Je trouve beaucoup de vertus au fait de substituer aux poursuites des mesures alternatives. Dans la perspective de la mise en place d'un parquet spécialisé dans la lutte contre la haine en ligne, ajouter à la liste de l'article 41-1 un stage de sensibilisation à l'utilisation des réseaux sociaux et de prévention de la haine en ligne a toute sa pertinence. Tel est l'objet de cet amendement.
Mme Laetitia Avia applaudit.
La parole est à M. Dimitri Houbron, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour donner l'avis de la commission.
C'est un débat que nous avons eu en commission. Nous partageons tous l'objectif de cet amendement qui vise à lutter contre un phénomène qui ne cesse de s'aggraver et dont nous avons vu, il y a quelques semaines, les terribles conséquences.
Cependant, de même que j'ai retiré un amendement du même ordre, je vous demande de retirer le vôtre pour des questions de faisabilité. À défaut, j'émettrai un avis défavorable. Je crains en effet que nous ne disposions pas de suffisamment de structures pour mettre en place ces stages sur les différents territoires et qu'il puisse dès lors y avoir des disparités d'un territoire à l'autre.
Je pense comme vous, cela étant, qu'il nous faut développer les structures capables de prendre en charge cette pédagogie, à laquelle je crois profondément.
La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l'avis du Gouvernement.
Compte tenu des échanges que nous avons eus avant la pause méridienne, vous pressentez sans doute ce que sera la position du Gouvernement. Pourquoi un stage thématique, alors qu'est déjà proposé un stage de citoyenneté ? Cela complexifie les choses. J'émets un avis de sagesse ou une demande de retrait.
Je la donne d'abord à M. Rupin, afin qu'il nous indique s'il retire ou s'il maintient son amendement.
Je vais le retirer, madame la présidente. J'entends les arguments du rapporteur et du garde des sceaux sur les difficultés de mise en oeuvre de cette proposition et sur le fait qu'il n'est pas utile de la rajouter dans la loi – tel qu'il est rédigé, l'article 41-1 permet en effet de créer ce stage sans le prévoir expressément, puisqu'il emploie l'adverbe « notamment » avant d'énumérer différents types de stages.
Cependant, il établit une longue liste de propositions, depuis le stage de stage de sensibilisation à la sécurité routière jusqu'au stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences sexistes, en passant par le stage de responsabilité parentale ou le stage de citoyenneté. La lutte contre les mauvais usages d'internet n'est pas un enjeu moins important, et l'avenir ne fera que démontrer son intérêt.
Je retire cet amendement qui n'a pas nécessairement sa place ici, tout en espérant que nous reconsidérions cette proposition si nous voulons renforcer la lutte contre la haine en ligne.
L'amendement no 2 est retiré.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 23 .
Il s'agit de supprimer les alinéas 3 et 4. En effet, l'article 1er ajoute dans les mesures alternatives deux mesures qui existent déjà au sein des compositions pénales préalables à la mise en mouvement de l'action publique. Il y est ainsi question de dessaisissement de la chose ayant servi ou étant destinée à commettre l'infraction, ou bien qui en était le produit, ainsi que de la réparation, consistant en un versement pécuniaire, une remise en état des lieux ou des choses dégradées ou bien en une restitution.
Cela constitue un calque des mesures prises pour la composition pénale. Or si une distinction a été opérée jusqu'à aujourd'hui, c'est qu'il y a une raison : les mesures alternatives et la composition pénale ne peuvent pas répondre à la même finalité, et les moyens ne doivent donc pas être identiques.
Ces mesures sont en effet déjà applicables dans le cadre d'une composition pénale, mais cette dernière suppose une validation par le juge et une inscription au casier judiciaire, ce qui n'est pas le cas des mesures alternatives.
Les magistrats du parquet ont besoin de cette souplesse s'ils souhaitent éviter la composition pénale, qui est certes plus légère que la procédure de droit commun mais n'en demeure pas moins plus lourde que les mesures alternatives. Avis défavorable.
L'amendement no 23 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Blandine Brocard, pour soutenir l'amendement no 32 .
Il a été dit que la conservation des véhicules saisis coûtait particulièrement cher. C'est pourquoi nous proposons que le procureur puisse demander que la chose ayant servi à commettre le délit soit détruite aux frais de l'auteur du délit ou bien qu'il s'en dessaisisse au profit d'un tiers – que ce soit une association, une collectivité ou un professionnel agréé.
On peut ainsi imaginer que soit demandée la destruction d'une arme prohibée, la remise à un zoo ou à la SPA – Société protectrice des animaux – d'un animal importé ou détenu illégalement, ou encore la destruction ou la remise à une association d'aéromodélisme d'un drone irrégulièrement utilisé.
La destruction est moins utile et moins opportune que le dessaisissement au profit de l'État, notamment dans le cas d'objets ayant une valeur matérielle certaine. De plus, vous prévoyez aussi le dessaisissement au profit d'un tiers, ce qui présente des difficultés pratiques et juridiques liées notamment à l'origine potentiellement frauduleuse du bien. Le cas échéant, cela compromettrait l'exercice des droits du futur détenteur ou des tiers sur l'objet en question. Avis défavorable.
Demande de retrait ou avis défavorable, du fait des difficultés qui viennent d'être évoquées. Cela n'exclut cependant pas que la question soit réexaminée au cours de la navette.
Compte tenu de la proposition de M. le garde des sceaux, je retire l'amendement.
L'amendement no 32 est retiré.
Je vous redonne la parole, madame Brocard, pour soutenir l'amendement no 28 .
Je propose de supprimer l'alinéa 4, qui n'ajoute rien à l'existant. Le procureur peut déjà proposer la réparation du dommage ou, sans avoir recours à la composition pénale, proposer à l'auteur des faits de verser des dommages et intérêts à la victime, dans le cadre de la médiation prévue au 5° de l'article 41-1 du code de procédure pénale.
J'ajoute que les dommages et intérêts prévus à ce 5° sont assortis pour la victime d'une possibilité de recouvrement par injonction de payer, ce qui n'est pas le cas ici.
L'intérêt de l'alinéa 4 est précisément de rendre possible l'application de ces mesures au titre de l'article 41-1 du code de procédure pénale, alors qu'elles ne peuvent actuellement être mises en oeuvre que dans le cadre de la composition pénale ou de la médiation – et uniquement dans le cadre de la médiation pour les dommages et intérêts.
Il s'agit ici de renforcer l'arsenal des alternatives aux poursuites à disposition du parquet, afin de renforcer la proximité et l'efficacité de la réponse pénale à l'encontre de ces infractions. Avis défavorable.
L'amendement no 28 , ayant reçu un avis défavorable du Gouvernement, est retiré.
La parole est à M. Dimitri Houbron, rapporteur, pour soutenir son amendement no 40 .
Cet amendement a pour but de renforcer les droits de la victime en imposant au ministère public de recevoir les victimes d'infractions pour lesquelles une mesure de réparation a été demandée par le procureur à l'auteur.
Il prévoit également que dans le cas où une mesure d'interdiction d'entrer en contact avec la ou les victimes a été demandée, le procureur en informe ces dernières.
Il me semble en effet primordial de revaloriser la place de la victime dès le stade des mesures alternatives, non seulement pour garantir l'efficacité du processus, mais aussi pour protéger ses droits.
Les précisions que vous exigez tout à fait légitimement relèvent d'une circulaire ou d'un décret, que le ministère s'engage naturellement à prendre. C'est donc une demande de retrait.
L'amendement no 40 est retiré.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 35 .
En commission, le rapporteur m'avait affirmé que cet amendement était satisfait, ce qui, après vérification, ne semble pas être le cas.
Aux termes de l'article 121-4 du code pénal, la personne qui a tenté de commettre un crime ou, dans les cas prévus par la loi, un délit est considérée comme auteur de l'infraction. Ainsi l'auteur d'une tentative encourt-il les mêmes peines que l'auteur d'une infraction consommée.
Si le principe est établi pour les infractions, rien n'est en revanche précisé pour les manquements aux mesures alternatives – c'est la raison pour laquelle j'ai à nouveau déposé cet amendement. Il s'agit de préciser que la tentative d'entrer en relation avec la victime, si elle ne constitue pas une infraction en elle-même, sera sanctionnée de la même façon que le contact effectif avec la victime, quel que soit le moyen employé.
La qualification de la tentative s'appliquera ainsi de la même manière pour les infractions et le non-respect des mesures alternatives aux poursuites, notre objectif étant non seulement d'empêcher l'auteur de l'infraction d'entrer en contact avec la victime, mais également de le dissuader de simplement essayer.
C'est un point dont nous avions déjà débattu en commission. La rédaction actuelle de l'alinéa 6 se réfère bien au fait d'entrer en relation avec la victime, ce qui recouvre la notion de tentative que votre amendement vise à expliciter, puisqu'elle suppose d'entreprendre une démarche afin de contacter les victimes indépendamment d'une rencontre physique avec cette victime ou même d'un accusé de réception de la victime à un message que lui aurait envoyé son agresseur.
Le simple fait d'envoyer un message à la victime constitue un contact qui est couvert par l'interdiction mentionnée à l'alinéa 6. Par conséquent, l'ajout que propose votre amendement me semble superflu. J'en demande donc le retrait. À défaut, j'y donnerai un avis défavorable.
Dans le cadre de la composition pénale, la durée des interdictions est de six mois non renouvelables. C'est une raison assez claire pour justifier mon avis défavorable.
L'amendement no 35 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Blandine Brocard, pour soutenir l'amendement no 29 .
Mentionner une personne sur les réseaux sociaux ne constitue pas une entrée en relation, puisque la victime est simplement mentionnée par l'auteur des faits s'adressant à un ou à des tiers. Pourtant, cette pratique participe grandement au harcèlement sur les réseaux sociaux. On ne s'adresse pas directement à la personne, mais on parle d'elle, et les algorithmes des réseaux sociaux notifient à la victime tous les messages qui la mentionnent. Dans les faits, ce n'est pas l'auteur du délit qui entre en relation avec la victime, mais le réseau social. Il semble donc important, pour la tranquillité de la victime, d'enjoindre à l'auteur des faits de ne pas mentionner sa victime.
Nous avons eu ce débat en commission. Je comprends évidemment l'objectif de l'amendement, mais soit la mention dans une publication vise à attirer l'attention de la victime, et les termes de la rédaction actuelle demandant de ne pas « rencontrer » ou de ne pas « entrer en relation » suffisent, …
… soit la victime n'a pas eu connaissance de la publication, et il serait alors très difficile de sanctionner une éventuelle mise en relation si personne n'a eu connaissance du message.
En outre, l'article 222-33-2 du code pénal punit déjà le cyberharcèlement d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Votre amendement me semble satisfait ; l'avis est donc défavorable.
Il y a un vrai risque d'inconstitutionnalité : il ne s'agit pas d'une condamnation, mais d'une alternative. Dans ce cadre, le procureur de la République ne peut pas interdire à une personne de mentionner le nom d'une autre personne, fût-elle une victime. C'est la raison pour laquelle je vous demande de retirer votre amendement, sinon l'avis sera défavorable.
Vous avez la parole, madame Avia. Je vous l'avais refusée une première fois, parce que M. Rupin avait sauvagement retiré l'amendement, …
Sourires
Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
La mention d'une personne dans un tweet constitue déjà une entrée en relation.
L'amendement de Mme Brocard est satisfait, dans la mesure où un juge peut interdire tout contact avec une victime : le fait de la mentionner dans une publication entre dans ce champ, élargi par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. La proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet avait voulu préciser cette disposition, mais la mesure avait été rejetée comme cavalier législatif. Le droit est néanmoins suffisamment clair en la matière et couvre déjà la proposition de l'amendement.
Des normes de nature non législative, par exemple des circulaires, pourraient opportunément préciser ces éléments, notamment leur mise en oeuvre.
J'en viens aux stages de sensibilisation que nous avons évoqués tout à l'heure. Lors de l'adoption de la loi de réforme pour la justice, nous avions considéré que les stages de citoyenneté recouvraient bien la lutte contre la haine en ligne ; mais un an et demi après la promulgation de la loi, ce thème en est encore trop souvent absent. Dans ce domaine, les avancées ne se feront pas par la loi, mais sur le terrain.
J'entends ce que vous dites, monsieur le rapporteur, monsieur le garde des sceaux, mais vous voyez bien ce qui se passe actuellement sur les réseaux sociaux, où il y a un vrai problème. Je ne partage pas l'opinion de Mme Avia : être mentionné dans une publication et être mis en relation sont deux choses différentes.
Après avoir été mentionnées dans une publication, certaines personnes ont été harcelées par des voies détournées, leur fil twitter – mais cela vaut également pour d'autres plateformes – devenant un enfer.
Si l'amendement est rejeté, il faudra travailler sur ce sujet, car les déversements de haine sur les réseaux sociaux doivent cesser. Cela existe pour les policiers, mais cela concerne en réalité tous les citoyens. Il faut vraiment avancer dans la résolution de ce problème.
Pour vous rassurer, cher collègue, le code pénal réprime déjà le cyberharcèlement.
Attendez !
Lors de l'examen de la fameuse loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi Schiappa, nous avions introduit la notion d'effet de meute, à savoir le postage par plusieurs personnes du même type de messages, qui a été assimilé au harcèlement traditionnellement puni par le code pénal.
Les outils juridiques me paraissent donc suffisants. Sont-ils bien appliqués ? C'est une autre question, mais les normes juridiques actuelles – notamment législatives – sont suffisantes. Voilà pourquoi mon avis reste défavorable.
L'amendement no 29 n'est pas adopté.
L'amendement no 36 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Après la discussion en commission, j'ai légèrement modifié mon amendement pour viser le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions. La rédaction gagne ainsi en précision.
Il me semble préférable que la contribution citoyenne soit attribuée au FGTI plutôt qu'à une association d'aide aux victimes, qui, je l'ai dit en commission, reste un organisme privé dont la gestion financière n'est pas forcément transparente. En attribuant cette contribution citoyenne à une association privée, on prend le risque que celle-ci soit détournée de sa finalité, alors qu'elle pourrait contribuer au bon fonctionnement de la justice tout en profitant aux victimes si elle était octroyée au FGTI.
La parole est à Mme Blandine Brocard, pour soutenir l'amendement no 30 .
Il s'inscrit également dans la suite de notre discussion en commission. Le texte crée une contribution citoyenne, versée à une association. En fonction des faits appelant réparation, le choix d'une association peut constituer une difficulté pour le procureur, notamment s'il ne dispose pas dans son ressort d'une association agréée traitant des conséquences du délit commis. Faire le choix d'une association sans rapport avec le délit n'aurait alors aucun effet réparateur, alors que c'est pourtant l'objectif poursuivi par l'article 41-1 du code de procédure pénale.
Si le procureur ne peut pas choisir d'association, il n'aura d'autre solution que de renoncer à l'application de cette mesure. C'est pourquoi il semble pertinent de donner au procureur la possibilité de décider le versement de la contribution au FGTI, dont les fonds sont en partie attribués par la commission d'indemnisation des victimes d'infractions, compétente pour indemniser les individus victimes d'une atteinte à leur personne ou à leurs biens.
Rassurez-vous, madame Ménard : ne seront concernées que des associations d'aide aux victimes bénéficiant d'un agrément, conditionné au fait de remplir une liste de critères dressée par le décret du 29 novembre 2019. Parmi ceux-ci figurent la régularité du statut associatif et la transparence financière de l'activité. Le spectre des associations concernées n'est pas global, mais très précis.
Le champ d'application poursuit un objectif de proximité, ce qui n'est pas le cas du FGTI, dont la vocation d'indemnisation des victimes est nationale. La contribution citoyenne vise à sensibiliser les auteurs des faits aux enjeux que soulèvent les infractions qu'ils ont commises, non à indemniser leurs victimes. Je salue notre collègue Naïma Moutchou, qui a défendu en commission un amendement élargissant le choix des associations par le procureur du ressort du tribunal judiciaire à celui de la cour d'appel.
Je ne veux pas que la contribution citoyenne alimente des fonds nationaux, car cela irait à l'encontre de l'objectif de proximité de ce texte. Sur le fond, le fait que seules des associations agréées puissent être choisies offre une sécurité suffisante.
Le fait que le mot « terrorisme » apparaisse dans le débat sur cette proposition de loi est de nature à brouiller les esprits. Nous parlons de justice de proximité et de fautes qui vont des incivilités aux infractions de basse intensité. Que vient faire le terrorisme ici ?
Peut-être comptez-vous sur une confusion des esprits, ce que je trouverais regrettable ! Je suis clairement défavorable à cet amendement.
Vous me faites un mauvais procès, monsieur le garde des sceaux : le FGTI vise certes les victimes du terrorisme, mais également celles d'autres infractions. Ce n'est pas moi qui l'ai nommé de cette façon ! M. le rapporteur pourra en témoigner, je n'avais pas visé ce fonds en commission. Vous me faites donc un mauvais procès.
Monsieur le rapporteur, je reviens sur notre discussion en commission : vous me dites que je peux être rassurée parce que les associations seront agréées, mais il est malheureusement déjà arrivé que la gestion financière d'associations ayant reçu l'agrément de l'État s'avère plus que nébuleuse. Je vais citer le domaine de la déradicalisation – cela apportera de l'eau au moulin de M. le ministre – , dans lequel l'action de certaines associations a été un véritable fiasco, notamment sur le plan financier. Cela ne sera peut-être pas le cas ici, puisque le texte ne vise pas les actes de terrorisme – en cela, je vous rejoins, monsieur le garde des sceaux – , mais l'agrément n'offre pas une sécurité absolue. Voilà pourquoi mon amendement vise le FGTI.
Les associations visées par le texte sont absentes de certains territoires. Monsieur le ministre, vous connaissez les territoires puisque vous êtes venu récemment dans mon département, où il n'existe pas de telles associations. Que fait-on ?
Les amendements de nos collègues sont intelligents, car ils attribuent la contribution à un fonds national, avant que vous ne procédiez à un fléchage adéquat. C'est un gage d'efficacité et de traçabilité essentiel en l'absence d'associations dans certains départements.
Vous imaginez bien que nous avons vérifié ce point : il y a au moins une association par ressort.
L'amendement de Naïma Moutchou que nous avons adopté en commission étend au ressort de la cour d'appel le choix des associations : à cette échelle, le tissu associatif est suffisamment large.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 21 .
Il vise à compléter l'alinéa 8 par la phrase suivante : « Le procureur de la République fixe un délai de règlement qui ne peut excéder trente jours. »
Monsieur le rapporteur, vous avez affirmé que les mesures alternatives aux poursuites accéléreraient la réponse judiciaire – la rapidité de celle-ci étant la condition de son efficacité, comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre. Vous avez pris l'exemple de votre fils que vous n'allez pas punir huit jours après qu'il a commis une bêtise. Les mesures alternatives aux poursuites doivent donc être appliquées dans les meilleurs délais.
Ne pas donner de limite de temps pour régler cette contribution citoyenne lui ferait perdre beaucoup de son intérêt, à savoir « un effet sur le reclassement de l'auteur, en le rappelant aux conséquences de ses actes et en l'incitant à prendre conscience de ses obligations au sein de la société », pour reprendre les termes exacts de l'exposé des motifs du texte.
Je comprends parfaitement l'objectif de votre amendement : le plus rapide est évidemment le mieux. En revanche, je ne voudrais pas que l'on rigidifie par trop le dispositif. Privilégions la souplesse en laissant le procureur juger s'il faut fixer un délai à la personne assujettie à cette mesure. Avis défavorable.
Le sens de ces dispositions, qui je l'espère seront votées, est d'aller vite ; mais il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Il faut laisser le soin au procureur de la République de considérer les choses sereinement. Le risque, avec ce que vous proposez, c'est que la justice fasse une embolie.
Pour prendre connaissance du sens de la loi, il suffira de la lire, de relire les débats parlementaires, le discours du rapporteur ou à défaut, le mien ; une circulaire viendra naturellement à l'appui de ce texte. Les choses sont claires, il faut aller vite, mais fixer un délai me semble contre-productif. Nous l'avons tous compris, l'objectif de la proposition de loi consiste à donner rapidement une réponse pénale, ce qui n'est pas le cas actuellement. C'est pour cela que je vous demande de voter en sa faveur. Avis défavorable.
Je regrette beaucoup votre réponse. Depuis tout à l'heure, nous sommes plusieurs à faire des propositions très constructives, basées sur les discussions que nous avons eues en commission – c'est à cela qu'elles servent. Vous aviez donné des avis défavorables et nous aviez demandé de retirer certains amendements. Je l'ai fait et j'ai essayé de corriger le tir pour l'examen en séance, en répondant le plus précisément possible à vos remarques, dont certaines étaient tout à fait justifiées, mais vous n'acceptez rien ! Vous dites que vous voulez une justice rapide, mais quand je propose de fixer des délais dans lesquels le procureur doit rendre sa décision, vous me dites que c'est trop rapide et qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation ! C'est un peu démagogique de votre part, et malheureusement pas très constructif. Une nouvelle fois, vous n'acceptez pas de modifier le texte, même pour des détails qui me semblent pourtant pragmatiques et de bon sens.
C'est un mauvais procès qui m'est fait, puisque le nombre d'amendements adoptés en commission, issus de différents groupes, est assez élevé. J'aurais aimé donner un avis favorable à l'un de vos amendements, madame Ménard. Hélas, nous ne sommes pas d'accord. Il ne s'agit cependant pas d'une obstruction de ma part : vous le savez, je suis constructif.
L'amendement no 21 n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté.
La parole est à Mme Blandine Brocard, pour soutenir l'amendement no 33 .
L'absence d'exécution des mesures réparatrices prévues à l'article 41-1 du code de procédure pénale n'est pas réprimée. Cela se solde par la simple possibilité, pour le procureur, de reprendre les poursuites ou de mettre en oeuvre une composition pénale. Cet amendement vise à pénaliser le manquement à l'exécution de l'accord.
Nous avons eu ce débat en commission. Il ne faut pas faire de confusion entre des mesures alternatives et une peine.
Bien sûr !
Prenons le cas d'un sursis avec mise à l'épreuve : dès lors que des obligations ne sont pas remplies, on peut sanctionner ce type de faits. La sanction pour non-respect d'une obligation dans le cadre d'une mesure alternative, ce sont les poursuites, tout simplement. La personne concernée sera convoquée à une audience devant un magistrat du siège et il y aura une inscription à son casier judiciaire si elle est reconnue coupable. Mais on ne peut pas créer une confusion entre des mesures alternatives et une peine – j'y tiens profondément. Avis défavorable.
Même avis, pour les mêmes raisons. On ne peut pas confondre l'alternative aux poursuites et la peine.
L'amendement no 33 est retiré.
Cet amendement vise à modifier l'article 10-2 du code de procédure pénale, relatif aux informations données aux victimes et aux auteurs d'infractions dans le cadre d'une procédure pénale, afin que tous les professionnels du droit, conseillers ou magistrats, soient dans l'obligation de mentionner l'existence des procédés de justice restaurative. Ces derniers n'ont rien à voir avec la procédure en tant que telle ; même s'ils se sont développés, ils restent malheureusement marginaux. Ils offrent pourtant des résultats très intéressants, parallèlement à la procédure pénale, permettant aux victimes ou aux auteurs de prendre conscience de la situation dans laquelle ils se trouvent et d'avancer.
Dans bien des cas, le procès pénal en tant que tel n'a pas les vertus qu'on veut bien lui attribuer, notamment pour les victimes. Une condamnation est prononcée, mais la problématique de telle ou telle partie prenante demeure, dans le coeur ou dans la tête. Un travail particulier doit être effectué en la matière ; la justice restaurative le permet, plutôt efficacement. Je suis donc favorable à une information obligatoire à son sujet.
Cet amendement vise à renforcer l'information des victimes en matière de justice restaurative. Celle-ci a été consacrée par la loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales. Ses conditions de mise en oeuvre ont été précisées par la circulaire du 15 mars 2017. Il s'agit d'une voie parallèle à la réponse strictement juridictionnelle, qui oeuvre au rapprochement entre victimes et auteurs des infractions, dans un objectif de rétablissement de la paix sociale et de prévention de la réitération d'actes délictueux. Cet amendement va dans le bon sens, en ce qu'il permettra de développer concrètement le recours à ce dispositif dans le cadre d'une expérimentation qui permettra d'établir un bilan de son application. Avis favorable.
Monsieur Bernalicis, ce que vous dites est juste. À l'évidence, il faut développer la justice restaurative. De ce point de vue, nous sommes en retard par rapport à d'autres pays. J'entends ce que vous dites, mais je suis gêné par l'automatisation, parce que j'ai la certitude – pas la conviction, la certitude – ,…
… que je tire de mon expérience d'avocat, que cela peut mettre certaines victimes en difficulté.
Si, dans le cadre d'un processus automatique, la victime d'un viol était mise en présence de son violeur, cela pourrait être traumatisant. Je préfère une procédure plus souple à l'expertise des uns et des autres. Que cela soit une possibilité, que le pas soit parfois franchi et qu'il permette une plus grande résilience chez la victime, je l'entends. Mais le caractère automatique me dérange infiniment, et c'est pourquoi le Gouvernement est défavorable à l'amendement.
Il faut le reconnaître, l'amendement s'inscrit pleinement dans ce texte, suivant la même cohérence et la même logique, c'est-à-dire le rapprochement entre l'auteur et la victime. La justice restaurative n'existe dans le droit français que depuis 2014 – le rapporteur l'a rappelé – , mais elle est très ancienne et a été beaucoup utilisée, notamment dans les pays anglo-saxons. Elle a assez largement démontré son utilité, sauf qu'elle s'inscrit dans un cadre culturel propre à ces pays, qui n'est pas tout à fait le nôtre. Depuis 2014, elle a été assez peu utilisée. J'irai dans le sens de M. le ministre : la systématiser serait peut-être lui rendre un mauvais service. Faire en sorte que certains procureurs ou délégués du procureur aient l'obligation de la proposer serait finalement la mettre devant un mur : nous ne sommes pas encore capables de répondre à une telle obligation.
Par ailleurs, j'ai un peu de mal à comprendre la logique de l'expérimentation, qui concerne en général des textes ou des dispositifs nouveaux. Or la justice restaurative existe depuis 2014. S'il le veut bien, M. le ministre pourrait, notamment par voie de circulaire, inciter les procureurs à se saisir de cette disposition et demander qu'on en mesure la capacité de pénétration dans le système judiciaire et d'acceptation par les victimes – la remarque faite par le ministre est parfaitement juste. Nous comprenons parfaitement et acceptons ce schéma, cher Ugo Bernalicis, mais le caractère automatique de la démarche peut créer de vraies difficultés. C'est la raison pour laquelle le groupe La République en marche n'est pas favorable à l'amendement, en dépit du contexte dans lequel il s'inscrit.
Le caractère expérimental est un contournement manifeste de l'article 40 de la Constitution, qui a permis le dépôt de l'amendement. Si le ministre y avait été favorable, je lui aurais demandé de retirer le caractère d'expérimentation du deuxième alinéa. Des amendements similaires, concernant d'autres textes, ont déjà été censurés.
Je propose de modifier l'article 10-2 du code de procédure pénale pour prévoir une obligation d'information, et non une obligation de recours aux dispositifs de justice restaurative. Ne vous méprenez pas : je ne dis pas que tout le monde doit passer par la justice restaurative ! Son principe même repose sur l'adhésion volontaire, faute de quoi cela ne fonctionne pas. Je tiens également à préciser que la justice restaurative ne consiste pas uniquement à rapprocher les auteurs d'infractions des victimes. Il existe plusieurs sous-catégories, si je puis m'exprimer ainsi : certaines permettent le rapprochement de victimes entre elles, afin qu'elles partagent leur expérience et réalisent qu'elles ne sont pas isolées ; d'autres visent le rapprochement des auteurs. La justice restaurative intervient donc à différents niveaux. C'est aussi ce qui la rend intéressante : chacun peut y trouver ce qui lui convient le mieux.
Monsieur le ministre, ne donnez pas un avis défavorable parce que vous désapprouvez le caractère systématique : l'amendement ne propose pas de systématiser le recours à la justice restaurative, mais simplement l'information à son sujet.
Oui, je sais.
La justice restaurative est un sujet important. Je ne veux pas que vous pensiez que je la balaye d'un revers de manche. J'ai bien compris que vous souhaitez que l'information soit automatique. Mais cela peut choquer une victime qui attend autre chose qu'une proposition de cette nature, même si elle est légitime – elle le sera peut-être davantage d'ici quelques années. Certaines victimes attendent une sanction de l'auteur ; que la justice puisse proposer autre chose peut être de nature à les choquer. Je ne suis pas favorable à l'automatisation pour cette seule raison. Mais on peut toujours considérer que si la victime est mûre – pardonnez-moi pour cette expression – , il est envisageable de proposer des procédés de justice restaurative dont on ne pourra plus faire l'économie.
M. Paris a raison, c'est aussi une question de mentalité. Chez les Anglo-saxons, on connaît cela depuis longtemps et cela fonctionne plutôt bien. Mais une mesure de justice restaurative ne correspond peut-être pas à ce qu'attend, par exemple, la victime d'un viol. Il faut avancer doucement sur ces questions ; il peut y avoir un trouble psychologique, qu'on aura du mal à expliquer. J'entends parfaitement vos propos, mais je reste sur ma position : le Gouvernement est défavorable.
L'amendement no 18 n'est pas adopté.
Il concerne le travail non rémunéré – TNR. Vous proposez d'augmenter le nombre d'heures, suivant le mouvement d'augmentation du nombre d'heures de travail d'intérêt général – TIG. Or le travail non rémunéré ne fait sens que si le nombre d'heures est limité ; sinon, le coeur de la mesure devient le travail en lui-même et non le cadre dans lequel il est effectué et la réflexion dans laquelle il s'inscrit, en lien avec la discussion avec le procureur dans le cadre de la composition pénale. Je ne suis pas favorable à l'extension du nombre d'heures de travail non rémunéré.
Il ne peut être que défavorable, dès lors que l'augmentation du plafond est un ajout de la commission. Vous l'avez dit, cette augmentation est cohérente avec celle du plafond du nombre d'heures de TIG, votée en 2019.
Il s'agit d'un maximum. Il est évident que le procureur continuera à définir le nombre d'heures qui lui paraît nécessaire, en fonction de la gravité de l'infraction commise et de la personnalité de son auteur. Le texte donne des outils supplémentaires au parquet pour élaborer la réponse la plus pertinente. Avis défavorable.
L'amendement no 19 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'amendement no 38 de M. le rapporteur est un amendement de coordination.
L'amendement no 38 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 1er bis, amendé, est adopté.
Il vise à supprimer l'article 2, pour trois raisons. La première est procédurale et concerne les délais. Nous avons évoqué ce matin les problèmes qu'ils posent, cependant les auditions effectuées auprès des agents des services pénitentiaires d'insertion et de probation – SPIP – n'ont pas abouti à identifier de problèmes particuliers relatifs à l'obtention de la signature du juge de l'application des peines, qui requiert environ une matinée. Ensuite, je m'interroge sur la pertinence d'une telle mesure au regard de la création de la plateforme numérique de l'agence du TIG, dont l'objectif est justement de faciliter le prononcé de la peine d'intérêt général. Enfin, en introduisant cette disposition, le texte donne à l'administration pénitentiaire – certes partiellement – les pouvoirs d'un juge. Cela ne nous semble pas souhaitable.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 25 .
Il vise également à supprimer cet article. En l'état du droit, le juge de l'application des peines – JAP – fixe les modalités d'exécution de l'obligation d'accomplir un TIG et décide de l'affectation de la personne condamnée sur un poste. La proposition de loi confie cette mission au directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation, sauf décision expresse du juge de l'application des peines tendant à conserver sa compétence – cette décision ferait toutefois figure d'exception. Or, on peut être confronté à l'échelle locale à des directeurs de service pénitentiaire d'insertion et de probation plus ou moins investis sur ces questions – que ce soit clair, monsieur le ministre, je ne parle pas de celui de Béziers !
Tout le monde est investi !
Il semble donc préférable que la compétence de principe demeure au juge de l'application des peines, afin d'assurer une certaine stabilité et une certaine régularité des TIG. En l'occurrence, le processus de déjudiciarisation progressif n'est pas souhaitable.
Je suis sûr que vous ne pensiez pas que certains agents pénitentiaires d'insertion et de probation ne sont pas pleinement investis, madame Ménard ; en tout cas, je ne peux pas vous le laisser dire. Je rencontre fréquemment des directeurs de service pénitentiaire d'insertion et de probation : ils sont tous particulièrement investis, et ils ne sont d'ailleurs pas reconnus à la hauteur de leur engagement.
Nous en avons discuté ; je comprends votre inquiétude concernant le fait de leur attribuer ces nouvelles responsabilités. J'y suis favorable, parce qu'ils ont les compétences nécessaires et parce qu'ils accomplissent en fait déjà ce travail. Ils soumettent leur proposition au juge de l'application des peines, qui la valide dans 95 % des cas. Nous avons auditionné les représentants des JAP : ils considèrent que la rédaction de l'article est opportune, dès lors qu'ils peuvent revenir à tout moment dans le dossier. Ils ne sont pas dépossédés de la compétence de définir les modalités, qui est d'ordre pratique, comme Didier Paris l'a souligné. Le pouvoir juridictionnel, dont dépend la décision judiciaire, demeure à la main du juge. Ces mesures sont importantes, les acteurs de terrain les demandent afin de favoriser le recours aux TIG dans des délais beaucoup plus raisonnables. C'est un objectif que nous partageons. L'avis est donc défavorable.
D'abord, je me félicite que le SPIP de Béziers fonctionne bien. Je précise néanmoins que tous les SPIP fonctionnent bien.
Parce que je suis leur ministre, je veux rendre hommage à leur travail ; je les vois toutes les semaines et les sais particulièrement investis. Comme nous, ils ont traversé et traversent encore une période difficile à cause de la covid-19. Or, ils sont sur le pont. Les plans de continuité de l'activité – PCA – n'ont pas été activés : tout le monde est là. Ne pensez pas que les choses fonctionnent bien à Béziers seulement, même si nous savons tous qu'elles fonctionnent bien à Béziers.
Un des membres de mon équipe a connu les SPIP et a été JAP. Le texte n'instaure pas une délégation de pouvoir selon laquelle le pouvoir judiciaire délaisserait ses prérogatives au profit du SPIP. Comme je l'ai expliqué, le JAP conserve une pleine maîtrise – c'est normal, il est le juge. Il décide de la peine et en suit l'exécution. Néanmoins, le SPIP intervient, notamment pour effectuer certaines tâches administratives pour l'accomplissement desquelles il est mieux équipé. Nous avons évidemment réfléchi à la mesure, et l'expertise a conclu qu'elle faisait gagner du temps, ce dont nous avons besoin pour rendre les nouvelles dispositions plus efficaces. N'ayez aucune crainte : le SPIP ne deviendra pas le juge, mais il aidera le juge à rendre la justice plus rapidement.
Le travail d'intérêt général existe dans notre droit depuis plus de trente ans. L'intérêt de la démarche est de le dynamiser enfin : il a déjà été question des chiffres, 21 000 prononcés aujourd'hui et 30 000 comme objectif. Dans le même esprit, la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice de 2019 a requalifié le TIG comme appartenant au troisième niveau des réponses pénales et lui a fourni beaucoup plus d'armes, s'agissant de la durée comme de l'accès à des structures qui n'étaient pas concernées auparavant.
Ne demandons pas au JAP d'accomplir des tâches qui ne relèvent pas de sa responsabilité : il n'est pas sur le terrain pour observer tel TIG ou telle association. En revanche, s'il le souhaite, il conserve son rôle juridictionnel. Actuellement, le JAP signe la proposition du SPIP dans 99,99 % des cas : affirmer que le texte déjudiciarise le processus revient à tronquer la réalité. Quel est le sens de soumettre à la juridiction un travail accompli ailleurs, alors que la signature est acquise ? Pour conclure, la mesure ne serait pas admissible sans le filet de sécurité qui consiste à conserver au JAP la possibilité de prendre lui-même la décision. Je suis donc très favorable à l'article 2.
Depuis plusieurs mois, je me suis engagée dans mon territoire pour la sécurité de nos concitoyens. De mes échanges prolongés avec les différents services des forces de l'ordre est née une conviction : nos policiers et gendarmes ne peuvent accomplir leur oeuvre sans le soutien d'une institution judiciaire à même d'appliquer des peines non seulement justes et équitables, mais aussi efficaces et adaptées aux réalités du terrain. Dans cette perspective, il me semble que cette proposition de loi va dans le bon sens. La justice de proximité est un outil fondamental pour garantir une sanction des délits, même les plus mineurs. Trop de délits, de dégradations et d'incivilités demeurent impunis, car les tribunaux sont dépassés par le nombre et le volume des actes malveillants. Les dispositions que nous examinons doivent donc conduire à appliquer réellement les peines.
Par ailleurs, le développement des peines de travail d'intérêt général offre aux auteurs de ces délits mineurs la possibilité de payer leur dette envers la société en se rendant réellement utiles, et non en se sentant exclus ou brimés. À ce titre, la dimension locale est essentielle. Pour définir des peines de TIG adaptées à la réalité du terrain, aux spécificités locales, il faut renforcer le lien entre les procureurs, les exécutifs locaux et les préfectures. Pourquoi prononcerions-nous à Strasbourg ou à Montpellier les mêmes peines de travail pour la communauté qu'à Paris ou à Lille ? Les vies et spécificités de ces territoires sont-elles si semblables, pour que ces peines soient définies à l'échelle nationale ?
Monsieur le ministre, nous devons poursuivre dans la voie de la progression que vous avez initiée lors de votre prise de fonction en améliorant encore la prise de décision territorialisée, dans le cadre que nous fixons avec ce texte.
C'est pourquoi, chers collègues, je voterai contre ces amendements, car l'article 2 va dans le bon sens. J'irai même plus loin : …
… monsieur le ministre, il faut renforcer la coopération entre les procureurs et les services de préfecture pour une justice réparatoire territorialisée.
Chers collègues, j'ai accepté pas mal d'interventions, mais vous devez respecter les délais. La parole est à M. Ugo Bernalicis, qui voudra bien s'exprimer succinctement.
J'irai vite, madame la présidente. La formulation de l'article est très claire : la responsabilité relève du directeur du SPIP, sauf si le juge décide de la garder. Il y a donc une inversion : la procédure actuelle impose que tout prononcé d'une peine de TIG soit visé par un juge. Le TIG appartient au domaine de l'application des peines. Avec tout le respect que j'ai pour le personnel des SPIP, dont je vois très souvent le syndicat, pour leurs directeurs et pour leur travail, ils ne sont pas magistrats. Or, l'exécution constitue le prolongement de la peine, qui relève de l'autorité de la chose jugée. Je suis pour que les magistrats, en particulier les juges du siège, conservent toute leur place dans le dispositif et que le TIG ne soit pas perçu comme une simple formalité administrative, ce qui lui ôterait une partie de son sens – certes pas tout son sens, puisque les SPIP et les directeurs de SPIP font leur travail.
Il faut conserver l'état actuel du droit ; mettre un tampon ne prend pas tant de temps que cela si le juge ne veut pas y regarder de si près.
Je serai brève également. Monsieur le ministre, ne croyez pas que je me livre à une attaque en règle du système judiciaire : ce n'est absolument pas mon propos, bien au contraire. Je suis la première à défendre le tribunal de grande instance de Béziers, son parquet, le centre pénitentiaire du Gasquinoy et tout son personnel – ils font tous un travail remarquable. Je me permets seulement de souligner qu'il s'agit d'une question de personnes, certains s'avérant plus intéressés que d'autres par le TIG, et donc plus investis dans ce domaine. Vous pouvez résoudre ce problème à l'aide d'une circulaire. Sans porter de jugement de valeur sur quiconque, je veux seulement appeler votre attention sur les conséquences de l'incitation à prononcer des peines de TIG, car d'une personne à l'autre la peine sera doublée.
Vous pourriez me retourner l'argument en me disant qu'il en va de même avec les JAP. Je suis d'accord, cependant je suis opposée à la déjudiciarisation.
Il vise à supprimer les alinéas 3 et 4. Il s'agit de répéter notre opposition à l'article 2, sur le fond comme sur la forme. La rédaction retenue supprime le passage précisant que le directeur de SPIP compétent est celui du ressort où le condamné a sa résidence habituelle. C'est inopportun : il est nécessaire de préciser dans la loi quel directeur est compétent, comme c'est le cas pour le juge de l'application des peines. En outre, la nouvelle rédaction introduit la phrase suivante : « Le poste de travail choisi [… ] doit être adapté à la situation de la personne condamnée », que le groupe Socialistes et apparentés estime inutile, comme nous l'avons expliqué ce matin.
L'amendement no 16 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Il vise à supprimer l'alinéa 5 pour empêcher la disparition de l'examen médical systématique préalable à l'exécution du TIG. Celui-ci, prévu à l'article 131-22 du code pénal, vise à vérifier si la personne n'est pas atteinte d'une affection dangereuse pour les autres travailleurs et à s'assurer qu'elle est médicalement apte au travail auquel il est envisagé de l'affecter. Il serait donc déraisonnable de supprimer son caractère systématique pour des raisons de délai, comme évoqué ce matin. Au contraire, il faut assurer l'accès à la santé de ces personnes souvent dépourvues de médecin traitant.
Avis défavorable. La commission a adopté l'amendement de M. Paris visant à supprimer le caractère systématique de l'examen médical préalable à l'exécution des TIG. Il s'agit non de remettre en cause l'utilité de cet examen, puisqu'un décret fixera les cas dans lesquels il semblera nécessaire compte tenu de la personnalité de l'intéressé et du travail qu'on lui destine, mais de prévoir l'application pure et simple du dispositif en vigueur dans le monde du travail, …
C'est parce qu'il n'y a plus de médecins ! S'il ne tenait qu'à nous, la visite médicale serait obligatoire dans le monde du travail !
Avis défavorable pour les raisons que j'ai exposées très clairement ce matin, en annonçant la parution d'un décret. Notre but n'est évidemment pas que les gens soient malades quand ils auront accompli un TIG.
Par ailleurs, notre décision n'est nullement motivée par le manque de médecins.
Nous avons simplement voulu nous mettre en conformité avec le droit du travail.
Troisièmement, je le précise parce que si ces murs ont des oreilles, ils ont aussi une mémoire et que des gens nous écoutent sans doute : ces modalités retardaient considérablement – ma porte est ouverte, et mes services vous le diront – l'effectivité du TIG.
Voilà pourquoi, tout en étant respectueux de la santé des uns et des autres, je suis défavorable à l'amendement.
Lorsque j'ai mené sur les TIG un travail de fond dont une grande partie a été reprise dans la loi de 2019, un élément est ressorti de beaucoup d'auditions : la délivrance obligatoire d'un certificat médical retarde le dossier de trois à quatre mois, suivant les cas.
Certains se soucient plus, en effet, de leurs activités de délinquance que de leur propre santé, sans parler de ceux qui se disent que s'ils attendent le plus longtemps possible avant de se rendre chez le médecin, ils ne seront pas immédiatement pris en main par la justice.
En somme, ils voient dans ce délai une opportunité.
La nouvelle rédaction de l'article 131-22 du code pénal permettra évidemment de dispenser des soins nécessaires, à la demande soit de l'intéressé soit du SPIP. C'est pourquoi la situation sera clarifiée par voie réglementaire. Il n'y a aucun doute là-dessus : nous ne voulons pas baisser la garde ni renoncer à traiter ceux qui en auraient besoin, par exemple des toxicomanes. Mais de grâce, évitons que tout le système ne soit embolisé. Êtes-vous conscients de ce que représentent quatre mois, sur les quatorze qui séparent le prononcé de la peine de son exécution, sachant que dans bien des cas, la visite médicale ne se justifie pas ? La rédaction de l'article 2, conforme au droit commun, me semble offrir toute la souplesse nécessaire.
Le collègue Paris vient de développer un argument intéressant : il est rare que les délinquants se préoccupent de leur santé, qui ne constitue pas pour eux une priorité.
Raison de plus pour qu'ils puissent voir un médecin, comme nous le faisons tous quand nous nous rendons à la médecine du travail. Celle-ci a permis qu'un grand nombre de personnes qui n'allaient jamais consulter aient accès à un praticien. Celui-ci a pu déceler des pathologies et des affections qui n'étaient pas toutes en lien avec leur travail et qu'il a pu traiter. Cela a constitué un progrès. D'ailleurs, le recul de la médecine du travail et de ses moyens est un vrai problème.
Compte tenu de la situation, nous sommes face à deux possibilités : soit on maintient le caractère obligatoire de la visite et l'on perd trois ou quatre mois, soit on le supprime, ce qui est également dommageable. On aurait pu imaginer une solution intermédiaire : si le ministère de la justice salariait ou conventionnait sur le territoire quelques médecins, toute personne condamnée à effectuer un TIG pourrait recevoir immédiatement une convocation afin de leur être présentée avant d'effectuer le TIG. Cette solution intéressante concilierait divers impératifs.
Si la visite médicale a été instaurée et qu'il en existe toujours une – obligatoire et systématique, avec une radiographie des poumons – dès qu'un détenu arrive en prison, c'est parce qu'on trouve, parmi les délinquants, des personnes très précaires auxquelles on doit apporter les soins nécessaires qui leur permettront de vivre, d'être insérées dans la société et de faire valoir leurs droits. Ce n'est pas parce qu'on est condamné à un TIG ou une peine de prison que l'on n'a plus de droits. Il vous reste du moins le droit à la santé, qui est très important.
L'amendement no 12 n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté.
Cet amendement vise à supprimer l'alinéa 2, pour les raisons d'ordre médical que je viens d'évoquer.
L'amendement no 13 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Cet amendement vise à supprimer l'obligation pour le directeur du SPIP d'établir une liste des TIG susceptibles d'être accomplis dans le département, après avis du ministère public et du juge de l'application des peines.
La plateforme numérique de l'agence du TIG a justement pour objectif de recenser et de géolocaliser l'ensemble des travaux d'intérêt général qu'il est possible d'effectuer sur le territoire national. Elle aura également pour mission de piloter des actions de prospection et de faciliter le suivi de l'exécution des TIG par les SPIP.
En cohérence avec ce nouveau dispositif, qui tarde peut-être à se mettre en place, il paraît inopportun d'imposer aux directeurs des SPIP d'établir un recensement qui sera déjà effectué par l'agence du TIG.
L'amendement no 15 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'article 2 bis est adopté.
Il s'agit d'un amendement de coordination, puisqu'il tend à supprimer l'article 2 ter, qui précise la date d'entrée en vigueur de l'article 2.
L'amendement no 14 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'article 2 ter est adopté.
Sur le vote de l'ensemble de la proposition de loi, je suis saisie par le groupe Agir ensemble d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 26 .
Cet amendement, qui tend à supprimer l'article 3, est en réalité un amendement d'appel.
Nous avons déjà abordé cette discussion en commission : la loi du 23 mars 2019 a étendu la liste des délits, tels que l'usage de stupéfiants, qui sont susceptibles d'être sanctionnés uniquement par des amendes forfaitaires et peuvent faire l'objet d'une minoration lorsque l'amende est réglée immédiatement ou dans un délai de quinze jours. Poursuivant cette logique, vous proposez de rendre possible la minoration des contraventions de cinquième classe.
Alors qu'un certain consensus s'est établi à de nombreuses reprises dans cet hémicycle, notamment lors de l'examen du projet de loi de finances, sur la nécessité de lutter contre les rodéos urbains et les trafics de stupéfiants – la lutte contre les stupéfiants est même une priorité du Gouvernement – , consacrer la possibilité de minorer les amendes venant sanctionner ce type de comportements risque d'envoyer un mauvais signal.
Au lieu de chercher à minorer les amendes, il faut rendre leur paiement effectif. D'après de nombreuses remontées du terrain, celles-ci restent souvent impayées, soit parce que les auteurs de l'infraction sont insolvables soit parce qu'ils organisent leur insolvabilité, ce qui est un réel fléau. C'est une question de crédibilité pour notre justice, mais aussi pour nos forces de l'ordre. Il est temps d'agir concrètement.
Je comprends votre opposition à l'idée de minorer ces amendes. Reste que l'article 3 vise à rendre notre arsenal législatif plus cohérent. Les contraventions de cinquième classe forfaitisées étaient les seules à ne pas bénéficier de la minoration : il était indispensable de mettre fin à cette exception. Je suis donc contraint d'émettre un avis défavorable sur votre amendement.
Moi aussi, je suis contraint : avis défavorable. Le régime général qui s'applique aux amendes veut que l'on paie moins cher si on les acquitte tout de suite que si l'on attend. La raison en est claire : on veut éviter de donner une prime au dilatoire et inciter au paiement immédiat, car le taux de recouvrement des amendes n'est pas merveilleux.
Après, tout dépend de la manière dont on voit les choses. On peut considérer que le verre est à moitié plein ou à moitié vide. Vous êtes décidément pessimiste, madame Ménard !
L'amendement no 26 n'est pas adopté.
De trop nombreux contrevenants insolvables ou ayant organisé leur insolvabilité sont impunis, ce qui alimente l'inégalité devant la sanction et le sentiment d'impunité. C'est pourquoi nous vous proposons de commuer les sanctions pécuniaires en travail d'intérêt général. Nous resterions dans la logique du texte – qu'on pourrait résumer ainsi : je casse, je répare ; je salis, je nettoie – et dans celle d'une tolérance zéro, qui garantit l'impunité zéro.
La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, qui propose de transformer, en cas de non-paiement, l'amende forfaire en TIG. Dès lors que la peine de TIG suppose la validation d'un juge du siège, ce qui n'est pas le cas de l'amende forfaitaire, les deux sanctions ne sont pas comparables.
Vous posez la question légitime du recouvrement de l'amende. C'est dans cette optique que les amendes forfaitaires minorées ont une vraie utilité : elles augmentent le taux de recouvrement des amendes dans un délai raccourci, ce à quoi tend l'article 3.
Ce que vous suggérez est impossible : le TIG est une peine qui implique la validation par un juge et l'accord de l'intéressé. On ne peut pas transformer une amende en une autre peine. Ce serait voué à l'échec, en particulier sur le plan constitutionnel. Le Gouvernement est totalement défavorable à l'amendement.
L'amendement no 1 n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté.
L'article 3 bis est adopté.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 27 .
Cet amendement vise à rendre possible le désistement d'appel dans le cadre des affaires criminelles jusqu'au début de l'audience, et pas seulement jusqu'à l'interrogatoire de personnalité prévu à l'article 272 du code de procédure pénale.
Ce dispositif donnerait davantage de temps à l'accusé pour se désister de son appel s'il le souhaite et favoriserait le désengorgement des tribunaux. Avoir la possibilité de se désister jusqu'au début de l'audience préserverait les droits de l'accusé et allégerait la charge de travail des magistrats.
Il s'agirait d'une mesure de pragmatisme, car je ne suis absolument pas pessimiste, monsieur le garde des sceaux, mais réaliste. En matière judiciaire, la politique du « en même temps » ne me paraît pas être la plus cohérente qui soit.
Par cet amendement, vous proposez en quelque sorte de prévoir un droit de désistement de dernière minute. Cela me semble fortement préjudiciable à l'organisation des audiences et à la bonne administration de la justice. L'avis est donc défavorable.
Je vois que vous demandez déjà la parole, madame Ménard, mais je me fais fort de vous convaincre.
L'avis du Gouvernement est totalement défavorable ! Vous souhaitez permettre à l'accusé de se désister jusqu'au moment où s'ouvre son procès. Mais savez-vous le travail que représente la préparation d'un procès pour le greffe, les huissiers de justice, les avocats, l'avocat général – qui a la charge des réquisitions – , ou encore le président ? Toutes ces personnes sont à pied d'oeuvre pour préparer le dossier. Et tout cela pour quoi ? Pour que le jour J, alors que les témoins sont également déjà présents, on puisse nous dire que le procès n'aura pas lieu ? Ce serait du travail perdu.
Lorsqu'on connaît l'encombrement des cours d'assises dans notre pays, on ne souhaite pas faire perdre du temps judiciaire qui pourrait être consacré à juger d'autres affaires. Aussi la possibilité, pour un accusé, de se désister jusqu'à son interrogatoire par le président, qui, vous l'avez dit, consiste à contrôler son identité, me paraît-elle tout à fait raisonnable. Il ne faut surtout rien changer.
Figurez-vous, monsieur le garde des sceaux, que j'ai discuté avec des magistrats dans le cadre de la préparation de ce texte et que je leur ai objecté exactement la même chose que ce que vous venez de me dire lorsqu'ils m'ont proposé de déposer un amendement allant dans cette direction. Je leur ai dit qu'après avoir accompli tout le travail préparatoire, il ne devait pas être possible de pouvoir se désister à la dernière minute. Ils m'ont répondu que l'encombrement des tribunaux était tel qu'ils préféreraient travailler en partie pour rien et annuler un procès à la dernière minute plutôt que de devoir aller à son terme si l'accusé voulait en fait se désister de son appel.
Quel intérêt aurais-je à inventer pareille histoire ? Ce sont les magistrats du siège avec qui j'ai discuté qui m'ont proposé cet amendement. Je le répète, j'ai formulé la même objection que vous et ils m'ont assuré préférer travailler pour rien plutôt que d'aller au bout d'un procès qui aurait pu être annulé et d'encombrer encore davantage les tribunaux.
L'amendement no 27 n'est pas adopté.
L'article 4 est adopté.
L'article 5 est adopté.
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l'amendement no 17 , qui est le dernier sur cette proposition de loi.
Je sais bien que, comme d'habitude, l'on garde le meilleur pour la fin. Je sais aussi que le Gouvernement n'est pas favorable à la réalisation de rapports, mais il convient de prendre mon amendement comme un amendement d'appel. En effet, nous élargissons le champ des alternatives aux poursuites, mais il n'existe que peu, voire très peu, pour ne pas dire aucune littérature sur ce type de réponse pénale et son efficacité. Il n'existe une littérature scientifique que sur les aménagements de peine, lesquels ne sont d'ailleurs étudiés qu'isolément les uns des autres et sans exhaustivité.
Je l'ai déjà dit, nous votons la loi en discutant avec les professionnels concernés et en nous disant que les dispositions envisagées sont plutôt de bon sens et qu'il convient certainement de les retenir, mais sans jamais disposer des capacités et des outils pour objectiver le fait que ces dispositions fonctionneront et seront efficaces.
Comme je le fais souvent lors de l'examen des textes, je rappelle à mes collègues que la Constitution prévoit depuis 2008 que l'évaluation des politiques publiques fait partie des fonctions de l'Assemblée nationale et du Sénat. Notons d'ailleurs que cette évaluation n'est pas nécessairement postérieure au vote de la loi, mais qu'elle peut aussi être antérieure. En l'espèce, je ne sollicite qu'une évaluation postérieure, ce qui ne me paraît pas représenter une demande exorbitante.
Le ministère de la justice ne pourrait-il pas lancer une étude sur ce sujet ? Pour ce faire, il n'aurait d'ailleurs pas forcément à mobiliser ses propres moyens, car il me semble qu'il conviendrait de faire appel à des chercheurs extérieurs, à des universitaires, à des sociologues et à des professionnels pour la conduire.
Je vous ai vu hocher la tête, monsieur le garde des sceaux, lorsque j'évoquais la question des rappels à la loi, que les procureurs requièrent souvent afin d'accroître leur taux de réponse pénale plutôt que de classer les affaires sans suite.
Voilà une autre question importante qu'il faudrait objectiver. Dans quelles proportions recourt-on aux rappels à la loi ? Est-ce efficace ? Pourrait-on faire différemment ?
Sur le fond, cher collègue, je partage votre souhait de disposer de davantage de données sur les mesures alternatives aux poursuites. Il est vrai qu'un travail pourrait être mené en la matière, car nous avons besoin d'avoir des éléments très précis.
En revanche, sur la forme, vous savez qu'il est de tradition que la commission, au nom de laquelle je m'exprime, se prononce défavorablement sur les demandes de rapport au Gouvernement.
En tant que membres de la commission des lois, nous sommes toutefois en mesure de demander le lancement d'une mission d'information – j'ai moi-même été rapporteur de l'une d'elles il y a quelques années. Et je vous invite chaudement à en demander une sur ce sujet, car je serais tout à fait preneur des informations que vous pourriez obtenir.
Il est également possible pour un parlementaire de se voir confier une mission par le Gouvernement, mais je vous laisse envisager cette éventualité avec M. le garde des sceaux.
L'avis de la commission est défavorable.
Je pense que vous le connaissez, monsieur le député. Vous l'avez dit vous-même, le Gouvernement n'est pas favorable à la réalisation de rapports.
Cela étant, nous tenons bien sûr à votre disposition toutes les statistiques dont dispose la chancellerie. Je vous rassure, monsieur le député, nous avons des données, que nous communiquons d'ailleurs régulièrement, notamment lors des questions au Gouvernement. Et sur la question des alternatives aux poursuites, comme nous allons adopter des dispositions nouvelles, je vais demander qu'il y ait un suivi particulier.
Je suis d'accord, déposer une proposition de loi et la voter est une chose, analyser son application quotidienne en est une autre. Voilà, au fond, ce qui nous intéresse tous. Je vais donc demander aux services du ministère de la justice de suivre cette question de très près et, en temps voulu, vous en obtiendrez naturellement, contradictoirement et démocratiquement la communication.
Je vous demande donc de retirer votre amendement.
J'aurais essayé…
Vous donnez, monsieur le rapporteur, un avis défavorable au nom d'un dogme selon lequel on ne donne pas suite aux demandes de rapport au Gouvernement, alors que vous reconnaissez que la requête est ici légitime.
Vous évoquez quant à vous, monsieur le garde des sceaux, des statistiques qui sont effectivement portées à notre connaissance, pour peu que nous allions chercher les informations.
Mais un rapport, c'est autre chose que des chiffres ; on peut y donner du sens, du contenu. Des universitaires et des sociologues pourraient étudier de manière globale l'efficacité de la peine pénale – car je rappelle que les alternatives aux poursuites constituent une réponse pénale. Il convient de savoir comment la personne poursuivie a perçu cette réponse et de débattre de son opportunité si la personne a récidivé.
J'estime donc que l'amendement de notre collègue Bernalicis est tout à fait pertinent. Et comme l'examen de la proposition de loi, qui porte notamment sur l'augmentation du recours aux alternatives aux poursuites, s'est déroulé dans un esprit plutôt consensuel, je pense que cet amendement aurait pu recevoir un avis favorable et être voté.
Au fond, je me fiche que mon amendement reçoive un avis favorable ou défavorable et qu'il soit adopté ou rejeté. Je souhaite que nous disposions de tous les éléments pour prendre nos décisions en pleine connaissance de cause – et rien d'autre.
J'irai dans le sens de M. Viry. Les statistiques, je les connais. Tous les ans – même si ce fut évidemment plus compliqué cette année en raison du covid-19 – , j'assiste aux audiences solennelles à Lille. Et tous les ans, on me communique les statistiques. Je me rends même au conseil de juridiction, où j'ai accès aux statistiques intermédiaires. Ces données, je les connais sur le bout des doigts, mais qu'y a-t-il derrière ? De quelle manière la personne a-t-elle perçu l'alternative aux poursuites ? En a-t-elle tiré un bénéfice ? A-t-elle récidivé ? De quelle manière la victime a-t-elle vécu les choses ?
Toutes ces questions, je dois vous le dire, monsieur le rapporteur, ce n'est pas une mission d'information qui peut y répondre, pas plus qu'un parlementaire qui conduirait trente auditions. Il s'agit d'un travail beaucoup plus fin. Il s'agit d'une enquête scientifique, sociologique. Je suis preneur des ces analyses et j'estime qu'en matière pénale, nous devrions nous donner les moyens d'en obtenir davantage.
À cet égard, je continue de regretter la suppression de l'INHESJ – Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice. Et la mission de recherche « droit et justice », qui est un GIP – groupement d'intérêt public – auquel participent des professionnels, pourrait être créditée de plus de moyens et solliciter davantage d'experts sur cette question.
Bref, l'issue de cet amendement m'importe peu, dès lors que l'on finit par obtenir ces éléments supplémentaires. Je vous sais attaché à ce sujet, monsieur le garde des sceaux. J'espère donc que les choses avanceront.
L'amendement no 17 n'est pas adopté.
La parole est à M. Pierre-Yves Bournazel, pour une explication de vote.
Le groupe Agir ensemble est très heureux du travail accompli ces derniers jours sur un texte important, aussi bien pour nous et la majorité que, je le crois, l'ensemble des parlementaires. Pourquoi ? Parce que les travaux d'intérêt général constitueront une avancée majeure pour répondre aux problèmes d'incivilité et de petite délinquance que connaissent de nombreux quartiers de France. C'est une peine réparatrice ; c'est une peine utile, efficace et rapide ; c'est une peine éducative ; et c'est une peine qui permet de lutter contre la récidive. Je crois que nous pouvons être très heureux d'avancer dans ce domaine.
Je souhaiterais donc remercier le rapporteur, M. Dimitri Houbron, du travail très rigoureux qu'il a accompli et du sens de l'écoute dont il a fait preuve auprès de tous les groupes ainsi que des professionnels du droit et de la justice.
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.
Et je vous remercie également, monsieur le garde des sceaux, de votre engagement et de votre travail, ainsi que de celui de vos équipes. Vous êtes un grand garde des sceaux, mais aussi un ministre très concret. Vous avez fait avancer un texte que nous estimons relever de l'intérêt général et nous sommes très heureux de le voter.
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 118
Nombre de suffrages exprimés 112
Majorité absolue 57
Pour l'adoption 110
Contre 2
La proposition de loi est adoptée.
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.
Je souhaite vous dire mon émotion. Ce texte est la première pierre de la justice de proximité que nous attendons. Il y en aura d'autres, que nous poserons ensemble. C'est avant tout pour les gens que nous sommes ici et c'est à eux que je pense à cet instant. Je vous remercie.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.
L'ordre du jour appelle la discussion, en application de l'article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de Mme Aina Kuric relative à l'évolution de la Constitution afin de permettre l'intégration des objectifs de développement durable dans le processus législatif (no 3477).
Plus de pauvreté, plus de faim, santé et bien-être, éducation de qualité, égalité entre les sexes, accès à l'eau, énergie propre et accessible, travail décent et croissance économique, industrie, innovation et infrastructures, réduction des inégalités, villes et communes durables, consommation et production responsables, lutte contre le changement climatique, vie aquatique, vie terrestre, paix, justice et institutions efficaces, partenariat pour la réalisation des objectifs : je vous présente aujourd'hui, chers collègues, une proposition de résolution visant à donner toute leur place aux objectifs de développement durable que je viens de citer, et j'invite le Gouvernement à faire évoluer la Constitution afin que les propositions et amendements formulés par le Parlement répondent à l'un de ces dix-sept objectifs.
En 2015, la France s'est fortement engagée lorsque le Gouvernement de l'époque a signé les objectifs de développement durable, les ODD, occultés par la grande publicité donnée aux accords de Paris. C'est donc discrètement que 193 États ont décidé de se donner quinze ans pour mener une transition juste en luttant contre toutes les discriminations ou inégalités et en garantissant les mêmes droits, chances et libertés à toutes et à tous ; quinze ans pour transformer nos modèles de société par la sobriété carbone et l'économie des ressources naturelles ; pour agir en faveur du climat, de la planète et de sa biodiversité ; pour s'appuyer sur l'éducation et la formation tout au long de la vie ; pour permettre l'évolution des comportements vers des modes de vie adaptés au monde à construire et au défi du développement durable ; pour agir pour la santé et le bien-être de toutes et tous, notamment grâce à une alimentation et une agriculture saines et durables ; pour rendre effective la participation citoyenne à l'atteinte des ODD et concrétiser la transformation des pratiques à travers le renforcement de l'expérimentation et de l'innovation territoriales ; enfin, pour oeuvrer en faveur de la transformation durable des sociétés, de la paix et de la solidarité.
Les politiques que nous promouvons doivent s'inscrire dans une dynamique globale, car la vie ne s'arrête pas à nos frontières et il est évident qu'aux crises mondiales, les solutions ne peuvent être que globales. La crise du covid-19 nous rappelle que nous sommes loin d'être invulnérables ; elle nous a aussi poussés à adapter notre fonctionnement, à voir le monde autrement, à l'interpréter autrement et à innover. Nous pouvons dès à présent choisir la manière dont nous voulons le construire et la direction que nous voulons lui donner. Il est temps de répondre à la question : quel monde voulons-nous transmettre aux générations futures ?
Nous, législateur, avons la possibilité de définir la trajectoire que nous entendons donner aux politiques publiques par les lois que nous votons. Cette trajectoire, cette boussole, ce doit être le développement durable. Cette notion a déjà une valeur constitutionnelle puisqu'elle a été intégrée en 2004 dans la Charte de l'environnement, composante du bloc de constitutionnalité. Le développement durable y est défini comme « les choix destinés à répondre aux besoins du présent [qui] ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ». La Charte proclame ainsi que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. » La Constitution nous demande donc déjà de prendre en compte le développement durable lors de l'élaboration de nos politiques publiques. Aujourd'hui, je propose de matérialiser cette volonté, de la rendre concrète. Les objectifs de développement durable doivent servir de cadre ; il ne doit pas être possible de les ignorer. Extraire les objectifs de développement durable des engagements pris en 2015 pour leur donner une valeur constitutionnelle permettrait de les pérenniser sans qu'aucune échéance ne leur soit appliquée ou opposée.
Pouvons-nous systématiquement porter une attention particulière aux objectifs de développement durable lorsque nous légiférons ? D'une certaine façon, nous le faisons déjà : les combats que nous menons contre la pauvreté, pour une meilleure alimentation, pour l'accès de tous à une éducation de qualité, pour que chacun travaille dans des conditions dignes ou encore pour l'égalité entre les femmes et les hommes animent et transcendent les politiques publiques que nous soutenons. L'idée serait d'identifier ces objectifs dans nos amendements et dans nos textes afin de mettre en lumière la société à laquelle nous aspirons, qui sera l'héritage des générations futures. Le monde d'avant contre le monde d'après, cela n'existe pas : il n'y a qu'un seul monde, celui que nous partageons tous et que nous construisons aujourd'hui. Chers collègues, soyez rassurés, il ne sera jamais question de restreindre l'action parlementaire, bien au contraire. Il s'agit de permettre au Parlement de se saisir pleinement d'enjeux majeurs qui sont déjà au coeur des préoccupations de nos concitoyens et de la classe politique. Les collectivités utilisent déjà les objectifs de développement durable comme des indicateurs de bonne santé de leur territoire ; encourageons-les dans leur action et ne restons pas sur le côté, spectateurs de collectifs et de conventions de citoyens qui oeuvrent en ce moment même pour atteindre ces objectifs.
Je me présente devant vous avec une proposition de résolution, et non avec une proposition de loi constitutionnelle, parce que c'est ensemble que nous devons ouvrir la voie à l'aboutissement d'un tel projet. Je lance au Gouvernement un appel à prendre ensemble nos responsabilités.
Les travaux sur la place des ODD dans la construction des politiques publiques avancent. Je tiens à saluer le travail du groupe d'études sur les objectifs de développement durable coprésidé par nos collègues Jennifer De Temmerman et Dominique Potier, qui ont en toujours défendu la dimension universelle et prônent, pour les citer, « une feuille de route globale ».
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens. et sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Vous noterez aussi les initiatives parlementaires, telle la proposition de loi de Pierre-Alain Raphan, prochaine étape de leur intégration dans le processus législatif.
Mêmes mouvements.
Je tiens aussi à saluer votre travail, madame la secrétaire d'État chargée de la biodiversité, vous qui avez veillé à la visibilité des ODD et à la concrétisation des engagements pris en 2015. La volonté de tenir ses engagements, le Gouvernement l'a aussi manifestée en confiant à la ministre de la transition écologique la mission de veiller à l'intégration des objectifs de développement durable dans l'élaboration et la mise en oeuvre de l'ensemble des politiques conduites par le Gouvernement ainsi qu'à leur évaluation environnementale. Tout ceci manifeste l'intérêt de notre assemblée et du Gouvernement pour le développement durable et pour sa prise en considération dans le fonctionnement de nos institutions. Il serait opportun d'aller plus loin : chaque ministre devrait veiller à l'intégration des ODD dans son travail, tant ceux-ci englobent les missions de chacun des ministères. Leur rôle central pourrait être indiqué dans les décrets relatifs aux attributions des ministres.
La prise en considération du développement durable est cruciale. Le Conseil d'État l'a rappelé récemment : l'inaction n'est pas acceptable. Nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre le jour où nous nous dirons que nous aurions pu faire mieux, mais qu'il est trop tard. Le Président de la République, comme le secrétaire général de l'ONU, l'ont dit : atteindre les objectifs de développement durable n'a jamais été aussi difficile ni aussi impératif qu'aujourd'hui. Nombreux sont les pays qui s'en sont déjà saisis. L'Allemagne a élaboré une véritable stratégie en la matière, ayant pour but un développement axé sur la performance économique, l'équilibre social et l'écoresponsabilité ; la finitude des ressources de notre planète et la réalisation d'une vie digne pour tous y constituent le cadre absolu des décisions politiques. En Espagne, le gouvernement a placé l'Agenda 2030 parmi les priorités de sa politique étrangère et il a même nommé une haute-commissaire à l'agenda 2030.
Vous l'aurez compris, le nouveau cadre établi par les ODD est une occasion unique pour nous de participer à l'établissement d'un monde durable en les intégrant dans le processus législatif. Je suggère donc au Gouvernement de faire mention du respect d'au moins un objectif de développement durable dans ses futurs projets de loi, et ce au-delà du cadre de l'Agenda 2030. Désormais, le défi de notre société est de trouver l'équilibre permettant un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable. Mes chers collègues, affirmons l'ambition de notre assemblée en termes de développement durable. C'est ce que je vous propose avec cette proposition de résolution.
Applaudissements sur les bancs des groupes Agir ens et LaREM, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Dem.
La proposition de résolution appelle à modifier la Constitution afin que les futurs projets de loi, mais aussi les propositions et amendements formulés par les parlementaires, respectent systématiquement au moins l'un des dix-sept objectifs de développement durable. Ce texte a l'avantage d'appeler l'attention sur le retard de la France en la matière : la France, comme tous les pays de l'ONU, s'est engagée à atteindre les objectifs fixés par l'Agenda 2030 ; or, si les tendances actuelles ne sont pas inversées, elle atteindra plusieurs cibles mais risque d'échouer sur d'autres sujets. C'est notamment le cas pour la pauvreté, les inégalités entre les sexes ou à l'école, ou encore la préservation de la biodiversité.
Le développement durable doit reposer sur les trois piliers : la protection de l'environnement, la viabilité économique et l'équité sociale. En ce sens, le but de la proposition de résolution est justifié, mais elle procède de la mauvaise façon en proposant une méthode que nous rejetons, puisqu'elle suggère au Gouvernement de faire des ODD un garde-fou du processus législatif en créant une sorte d'article 40 bis version ODD. Pourtant, il est inscrit dans la Charte de l'environnement que les autorités publiques sont tenues de promouvoir le développement durable. Il figure donc déjà dans la Constitution – merci, au passage, au président Chirac.
Les ODD sont encore largement méconnus et ils doivent être promus afin que les acteurs de la société civile se les approprient et qu'ils ne restent pas simplement des objectifs technocratiques. Simplement, l'atteinte des objectifs n'a pas besoin de passer par une contrainte constitutionnelle. C'est la volonté politique, la promesse des engagements tenus et la pression populaire qui doivent être le triptyque qui mènera au succès. Au lieu de souhaiter une modification de la Constitution, le groupe Les Républicains appelle à une réflexion sur l'intégration des ODD dans le processus budgétaire. Leur utilisation pour améliorer le système d'évaluation de la performance budgétaire semble une piste beaucoup plus efficace, de même que l'évaluation de l'impact des impôts et des subventions sur certains ODD, ce que fait la Finlande. Les rapports annuels de performance annexés au projet de loi de règlement, qui rendent compte de l'exécution des engagements pris dans les projets annuels de performance au moment de l'examen du projet de loi de finances, pourraient contenir un bilan des avancées concernant les ODD afin de tenir le compte, pour chacun d'entre eux, des engagements pris par l'État.
Nous sommes favorables à une écologie de bon sens, pragmatique et non idéologique ; une écologie amie, qui s'exprime au quotidien, sans démagogie et sans artifice. Point n'est besoin pour cela de modifier une nouvelle fois la Constitution, et c'est la raison pour laquelle notre groupe rejettera le texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – « Oh non ! » sur les bancs du groupe Agir ens.
En tant que coprésidente du groupe d'études sur les objectifs de développement durable, je souhaite saluer le travail de notre collègue et membre Aina Kuric et je me réjouis de l'occasion qui nous est donnée d'échanger sur le formidable outil qu'est l'Agenda 2030, à l'élaboration duquel la France a participé et sur lequel elle s'est engagée sur la scène nationale et internationale. Une feuille de route a été dévoilée en septembre 2019 ; elle comporte six enjeux prioritaires. Il faut saluer son processus d'élaboration, tant pour la concertation et l'implication de tous les acteurs – je ne souscris pas aux propos qui viennent d'être tenus sur le manque d'implication de la société civile, puisque personnellement, je n'y ai vu que trois parlementaires, contre beaucoup d'associations et de membres de la société civile – que pour la parfaite organisation du Commissariat général au développement durable et en particulier de l'équipe de La France en transition.
Je pourrai reprendre les dix-sept objectifs un par un, et vous rappeler la genèse de l'Agenda 2030, mais je ne le ferai pas, parce qu'aujourd'hui, il s'agit de porter notre regard sur l'avenir de la société. Gardons-nous d'ailleurs d'énumérer point par point un programme qui doit être pris dans sa globalité. C'est sur ce point que porte la seule critique que nous pourrions opposer à la proposition de résolution : celle-ci prévoit que le Gouvernement et les parlementaires fassent mention au minimum d'un objectif de développement durable, alors que l'Agenda 2030 est un programme complet, qui implique la recherche permanente d'équilibre entre tous les objectifs, afin de les concilier.
Une avancée mal réfléchie sur un ODD pourrait avoir des effets catastrophiques sur les autres. Le récent projet de loi sur les néonicotinoïdes en offre un exemple récent. Si nous aurions pu être tentés de voter pour ce texte, au nom du huitième objectif relatif à la croissance économique, ç'aurait été au détriment du troisième objectif « bonne santé et bien-être », du sixième « eau propre et assainissement », du douzième « consommation et production durables », du quatorzième « vie aquatique » et du quinzième « vie terrestre ».
J'aurais donc été plus loin que vous, chère Aina Kuric, en proposant qu'il soit toujours fait référence à plus d'un objectif de développement durable, parce que nous devons toujours garder à l'esprit la synergie nécessaire à l'équilibre fragile du développement durable.
Donner une valeur constitutionnelle à ces objectifs permet d'aller dans ce sens. C'est le but que j'ai moi-même cherché à atteindre dans les quatre propositions de lois que j'ai déposées – deux ordinaires, une organique, une constitutionnelle – , car aucun aspect ne doit être négligé et une loi constitutionnelle ne constituerait nullement un frein à notre travail.
Certains ont rappelé que le respect du développement durable était déjà inscrit dans le bloc constitutionnel. Oui, mais il l'est essentiellement dans la Charte de l'environnement, ce qui est selon moi symptomatique d'une mauvaise compréhension de cette notion, qui a un objet bien plus vaste, et ne conduit certainement pas à opposer écologie sociale et autonomie, malgré les caricatures que certains se plaisent à faire.
Il faut donc établir des mécanismes pour prévenir la facilité des marches arrières, opérées au mépris du principe de non-régression. En donnant aux ODD une valeur constitutionnelle, nous assurerions qu'ils continueront à être pris en considération au-delà de la date de 2030, qui ne marque pas une fin, mais le début de l'avènement d'un monde plus durable, qu'il nous faudra toujours chercher à préserver.
C'est notre rôle de parlementaires. En 2019, dans le rapport sur la mise en oeuvre des objectifs de développement durable que j'ai rédigé dans le cadre de mes fonctions à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, j'ai souligné le rôle primordial des parlements nationaux pour contribuer à la réalisation des ODD. De fait, si la mise en oeuvre de l'Agenda requiert l'implication et le soutien de l'ensemble des acteurs, nous avons un rôle particulier à jouer, dans chacune de nos fonctions – élaborer les lois, voter le budget, contrôler l'action du Gouvernement et représenter les électeurs.
S'il est rare que l'adoption d'une nouvelle législation suffise à apporter une réponse politique complète et atteindre les ODD, c'est souvent une première étape essentielle de l'action.
Par ailleurs, pour que les ODD puissent trouver une traduction concrète, il est essentiel de passer par l'élaboration d'un budget, qui ne soit pas seulement vert, mais qui prenne systématiquement en considération les ODD. Je suis d'ailleurs ravie d'apprendre que mes collègues du groupe Les Républicains partagent cette opinion, et je les invite à signer les amendements que je dépose en ce sens – j'en ai signé de nombreux depuis deux ans.
Quant à notre fonction de contrôle, elle nous donne les moyens de demander des comptes au Gouvernement.
Enfin, notre fonction de représentation nous permet de diffuser dans les territoires la connaissance de l'Agenda 2030.
Vous l'avez compris, nous avons beaucoup à faire pour contribuer à l'Agenda, qui n'est pas une construction technocratique incompréhensible par les citoyens. Il a été pensé, mûri, à la suite des objectifs du millénaire pour le développement des Nations unies, pour toutes les parties prenantes, afin que chacun prenne part à la construction d'un monde meilleur ; il traduit des droits inaliénables, universels. Il y aurait donc un sens à les inscrire dans la Constitution, au même titre que la Déclaration de 1789.
Pour toutes ces raisons, et parce qu'il est conscient du rôle que nous devons jouer pour l'avenir, le groupe Libertés et territoires votera pour ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens. – Mme Florence Provendier et M. Pierre-Alain Raphan applaudissent également.
En dépit de l'activisme affiché par le Gouvernement et sa majorité, les changements structurels qu'impliquent la lutte contre les inégalités et pour une meilleure répartition des richesses, l'amélioration de l'accès aux soins et aux services publics, ou la réussite de la transition écologique ne sont pas au rendez-vous.
Ce constat nous invite à nous interroger sur les usages politiques en trompe-l'oeil de la notion de développement durable. Celle-ci, après avoir été lancée dans les années 1980, s'est diffusée dans les années 1990 ; elle repose sur l'idée que l'on ne saurait opposer environnement et développement, et que la durabilité doit être à la fois économique, sociale et environnementale.
Pour les grandes institutions internationales, notamment le Fonds monétaire international, qui règne en maître à l'échelle internationale, il n'est pas question de modifier les grands principes qui fondent, selon eux, le développement : la souveraineté des États – dont acte – , la participation du public aux processus de décision – fort bien – , le soutien à la croissance, l'innovation technologique mais aussi le libre-échange.
C'est là une conception de la durabilité ou de la soutenabilité dite faible, tout à fait compatible avec le système libéral, qui s'oppose à une version dite forte, dont les partisans insistent, par exemple, sur l'irréductibilité à la logique marchande de certaines sources de bien-être.
Le développement durable a été impuissant à inverser et même à freiner les évolutions mondiales allant structurellement vers une moindre durabilité. De fait, la croissance, depuis les années 1990, a plus que jamais accentué les inégalités sociales, et augmenté les risques majeurs pour l'avenir, qu'ils soient sociaux, économiques ou écologiques. Cet échec a été mis en relief par la crise de 2008, ou encore par l'incapacité des États et des organisations internationales à juguler l'aggravation du réchauffement climatique.
Si le concept de développement durable a pu, dans les années 1990, donner un second souffle à des politiques intégrant la prise en considération de l'environnement et des risques dans l'économie et l'aménagement, la notion est selon nous dépassée, tout du moins dans la lecture qu'en font les libéraux ; elle a épuisé la majeure part de son crédit et de sa dynamique.
Par cette proposition de résolution, le groupe Agir ensemble veut ignorer ces critiques. Il revendique la notion dans son acception libérale, alors qu'elle ne sert à rien d'autre qu'à préserver le statu quo, en entretenant l'illusion que les orientations choisies en matière de politique économique ne sont pas contradictoires avec l'ampleur des défis sociaux et environnementaux qu'il se propose de relever.
Le projet d'inscrire dans la Constitution les objectifs de développement durable de l'Agenda 2030 est d'ailleurs loin d'être anodin, puisqu'il barre de fait la voie à des modifications plus substantielles de ce texte, comme celles proposées par la convention citoyenne pour le climat.
Celle-ci suggère notamment de compléter le préambule de la Constitution en précisant que « la conciliation des droits, libertés et principes [susmentionnés] ne saurait compromettre la préservation de l'environnement, patrimoine commun de l'humanité », énoncé qui, comme vous le savez fort bien, ouvre la voie à une réévaluation de la portée constitutionnelle du droit de propriété, et à la reconnaissance des biens communs. Voilà une vraie question structurelle !
Si la présente proposition de résolution est loin d'être anodine, c'est aussi pour une autre raison. En inscrivant dans la Constitution que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement répondent à l'un des dix-sept objectifs de développement durable », nous contraindrions encore un peu plus l'exercice du droit d'amendement, déjà encadré par les articles 40 et 45 de la Constitution.
Au vu de votre pratique depuis le début de la législature, et pour toutes ces raisons, vous comprendrez bien que nous ne pouvons souscrire ni à cette disposition, ni à l'ensemble du texte. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera donc contre.
La proposition de résolution de notre collègue Aina Kuric, relative à l'évolution de la Constitution afin de permettre l'intégration des objectifs de développement durable dans le processus législatif, est d'une grande actualité, puisqu'à la suite de la première vague de la crise de la covid-19, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer un monde d'après plus juste, plus soutenable, plus durable.
En réalité, nous disposons déjà des objectifs et de la feuille de routes nécessaires à la construction de ce monde d'après : ce sont, d'une part, les dix-sept objectifs de développement durable adoptés par l'Assemblée générale des Nations unies en 2015, et, d'autre part, la feuille de route à l'échelle internationale qu'est l'Agenda 2030.
Au Parlement, comme partout en France, les ODD restent trop peu connus ; ils sont malheureusement souvent réduits à leur dimension environnementale. Nous ne devons pas oublier qu'ils intègrent également un pilier économique et un pilier social, et qu'ils constituent donc un formidable outil pour orienter les politiques publiques.
La France s'est engagée à l'échelle internationale pour faire aboutir un travail commun en faveur des ODD. Le Président Emmanuel Macron l'a rappelé à plusieurs reprises – lors de la soixante-quinzième session de l'Assemblée générale des Nations unies, lors de l'ouverture du forum de Paris sur la paix, ou encore lors du sommet « Finance en commun » réunissant les banques publiques de développement.
Si notre action internationale concernant les ODD est donc forte, nous ne pouvons que regretter que nous, parlementaires, n'ayons pas saisi l'occasion de les utiliser davantage, voire systématiquement, dans le cadre de notre travail législatif, de notre mission de contrôle de l'action du Gouvernement ou encore de notre mission d'évaluation des politiques publiques. Même si nos travaux contribuent à atteindre les ODD, ceux-ci sont rarement nommés et identifiés.
Cette proposition de résolution invite le Gouvernement à intégrer le développement durable au travail législatif, grâce à une modification de la Constitution. Si le groupe La République en marche salue l'ambition de ce texte, il formule toutefois quelques réserves concernant son application.
Nous observons en effet une différence de traitement : alors que le Gouvernement est simplement invité à intégrer les ODD dans les projets de loi, les parlementaires, quant à eux, seraient contraints par de nouvelles règles de recevabilité d'en faire mention dans leurs propositions de loi et leurs amendements. Nous craignons que cela ne restreigne encore notre droit d'amendement, déjà limité par les règles de recevabilité financières, et que ce ne soit pas le bon levier pour rendre les ODD opérants.
Pour autant, nous souhaitons nous aussi que chaque parlementaire s'interroge sur l'apport de son travail législatif dans la trajectoire vers les ODD, et nous souhaitons engager une réflexion commune sur la portée de nos travaux, dans le cadre plus large de l'Agenda 2030. Changer la Constitution pour intégrer ces objectifs ne nous apparaît donc pas comme la solution la plus efficace.
De plus, alors que la Constitution doit avoir une portée universelle dans le temps, les ODD ont aujourd'hui pour horizon l'année 2030. Même si nous souhaitons les rendre pérennes, ces deux temporalités ne semblent pas compatibles actuellement.
Nous pourrons poursuivre les échanges sur ces questions et sur ce texte : je rappelle, comme d'autres avant moi, qu'un groupe d'étude sur les objectifs de développement durable existe à l'Assemblée nationale. J'invite tous les parlementaires qui en font partie à proposer, à l'issue d'un travail collectif, un texte plus applicable que celui-ci.
À titre personnel, je voterai pour cette proposition de résolution ambitieuse. Toutefois, les membres du groupe La République en marche, compte tenu des enjeux et des limites que je viens de soulever, seront libres de leur vote individuel.
Au-delà de ce vote, nous devrions intégrer des références aux ODD concernés dans l'exposé sommaire de nos amendements ou dans l'exposé des motifs de nos propositions de loi, afin que ceux-ci irriguent l'ensemble de nos travaux.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures dix.
Le groupe UDI et indépendants estime cette proposition de résolution, qui vise à faire évoluer la Constitution afin d'intégrer les objectifs de développement durable au processus législatif, bien inappropriée.
En effet, la France dispose d'un bloc de constitutionnalité déjà suffisamment étoffé : Constitution de 1958, Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, préambule de la Constitution de 1946, Charte de l'environnement de 2004, sans compter la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a dégagé un certain nombre de principes. D'ailleurs, tout bon étudiant en première année de droit connaît cela.
Le bloc de constitutionnalité paraît donc déjà fourni et efficace. Bien sûr, il ne s'agit pas prendre à la légère ses évolutions possibles, qui pourraient intervenir, ici ou là, au gré de concertations communes définissant des objectifs précis. Mais si modifications il devait y avoir, elles devraient prendre en considération le réalisme des principes intégrés à la Constitution.
Or, en l'espèce, la proposition de résolution risquerait d'aboutir à une mosaïque de bonnes intentions, sans application pratique, car ces dix-sept principes semblent bien évasifs : qui peut dire, par exemple, que la proposition de loi relative à la sécurité globale respecte la « vie terrestre », la « bonne santé et [le] bien-être » ou contribue à la « réduction des inégalités » ? Et ne parlons même pas de la portée juridique de ces principes et de leur interprétation par le juge constitutionnel ! Combien de lois deviendraient automatiquement et rétroactivement inconstitutionnelles au prétexte qu'elles ne respecteraient pas un principe international aux frontières de l'idéalisme utopique ?
Rappelons d'ailleurs qu'inscrire ces objectifs de développement durable dans le marbre de la Constitution serait facilement pointé du doigt comme une redite bien maladroite de la Charte de l'environnement de 2004, qui constitue déjà une norme constitutionnelle.
En outre, n'oublions pas que les objectifs en question ont été développés par une institution internationale, l'Organisation des Nations unies – ONU – , selon un cadre international, avec un regard international ; or, comme vous l'aurez remarqué, nous ne sommes pas les législateurs du monde et notre Constitution n'est pas celle du monde, mais bien de la France : à question locale, réponse locale ! Il faut accepter l'idée que des objectifs définis à New York, bien que marqués du sceau de l'ONU, puissent ne pas correspondre à nos territoires, à notre culture et à nos institutions. Stop à l'utopie des généralités, place au réalisme et aux nuances !
Pour reprendre sur votre volonté d'évolution constitutionnelle, nous n'oublions pas la suspension du projet de réforme constitutionnelle, à l'été 2018, à la suite de l'affaire Benalla. Si vous souhaitez réellement intégrer les objectifs de développement durable, vous pouvez toujours solliciter les autres composantes de votre intergroupe pour reprendre l'examen du projet de loi constitutionnelle. Mais reconnaissez qu'en pleine crise sanitaire et économique, il existe probablement d'autres priorités.
Le groupe UDI et indépendants privilégie des solutions concrètes et réalistes, à l'image des amendements déposés lors des débats sur le projet de loi d'orientation des mobilités, le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire ou encore le projet de loi relatif à l'énergie et au climat, plutôt que l'inscription dans un cadre international volontairement peu précis. Prenons exemple sur nos compatriotes calédoniens, qui ont engagé une véritable sortie du plastique à usage unique, effective depuis le début de l'année. Nous préférons également nous inscrire dans un cadre plus adapté : celui de la collaboration avec d'autres pays européens, qui sont souvent des partenaires fiables dans la transition écologique. L'Europe a ainsi pu adopter la loi européenne sur le climat, visant à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050.
Par ailleurs, nous tenons à souligner qu'aujourd'hui, rien n'empêche le Gouvernement et les parlementaires de faire mention des objectifs de développement durable dans leurs démarches législatives, sans qu'existe un quelconque besoin de le rajouter dans notre bloc de constitutionnalité. Nous pensons également qu'il est nécessaire de garder une certaine souplesse dans le travail législatif, sans l'alourdir plus encore par des contraintes non essentielles. Prenons garde à un certain dogmatisme juridique, qui ne ferait que paralyser l'activité législative au lieu de la stimuler : le travail parlementaire est déjà suffisamment entravé. Car enfin, on voit mal, par exemple, comment les objectifs de développement durable pourraient correspondre aux nombreux textes en discussion – et à ceux adoptés – relatifs à notre sécurité et à la lutte contre le terrorisme.
Ne voyez pas notre hostilité à ce texte comme une opposition de principe à de nobles objectifs, comme la lutte contre la pauvreté ou pour une éducation de qualité, auxquels nous sommes évidemment attachés. Cependant, au regard des arguments que je viens d'exposé, et compte tenu de la charge supplémentaire que cela ferait peser sur notre Parlement, dont le poids s'affaiblit dans notre Ve République, il ne convient pas d'intégrer à la Constitution les objectifs de développement durable.
Le groupe UDI et indépendants s'abstiendra lors du vote de cette résolution.
Je souhaiterais tout d'abord remercier le groupe Agir ensemble d'avoir inscrit dans sa niche parlementaire un texte relatif aux objectifs de développement durable, ce qui nous permet d'aborder le sujet dans cet hémicycle, pour la première fois depuis le début de la législature.
Vous l'avez dit : les dix-sept ODD ont été définis dès 2015 par les 193 États membres de l'ONU, puis intégrés à l'Agenda 2030 du développement durable, dont l'éradication de la pauvreté et la transition vers un développement durable, respectueux de l'environnement, constituent les deux axes majeurs. Les ODD couvrent ainsi les enjeux de développement pour tous les pays : le climat, la biodiversité, l'énergie, l'eau, la pauvreté, l'égalité des genres, la prospérité économique, la paix, l'agriculture ou encore l'éducation. La France a joué un rôle majeur dans leur définition et affirmé sa volonté d'être à l'avant-garde sur ces questions. Dès 2015, elle lançait entre autres un comité de pilotage interministériel, lequel a élaboré en 2019 une feuille de route sur l'atteinte des ODD par la France. L'INSEE et la société civile ont également réalisé un travail considérable, établissant une liste d'indicateurs destinés à mesurer nos progrès et créant une plateforme consacrée au sujet.
Au sein de cette large mobilisation, le Parlement doit prendre sa part. Un groupe d'études, dont j'ai l'honneur d'être membre, a été créé ; certains d'entre nous sont membres d'instances internationales, comme l'Union interparlementaire, dont je fais partie, et où ces ODD sont abordés. Toutefois, l'Assemblée nationale ne s'était pas encore clairement exprimée à leur propos, alors même qu'ils imprègnent notre travail : loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, classes dédoublées visant à favoriser la réussite des enfants des quartiers prioritaires, plan de lutte contre la pauvreté, lutte contre les violences faites aux femmes, et j'en passe. Les textes dont nous débattons, que nous adoptons, sont rattachés aux ODD, mais ce lien demeure implicite.
Alors que le programme de développement durable à l'horizon 2030 approche de son échéance, il est intéressant de nous mobiliser pour valoriser les ODD, les rendre plus visibles, les inscrire au coeur de la discussion parlementaire. Nos responsabilités en matière législative, budgétaire et de contrôle font en effet du Parlement un acteur indispensable à l'élaboration de mesures de développement durable, comme à la sensibilisation de la population à cette philosophie politique. Par conséquent, je vous assure du soutien du groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés à cette proposition de résolution, qui entend améliorer la présentation de l'application des ODD et nous permettre de rendre compte des engagements de la France auprès de l'ONU. Votre volonté de rendre les indicateurs budgétaires des projets de loi de finances cohérents avec ceux des ODD suscite notre adhésion.
Je souhaiterais toutefois souligner deux limites de forme qui amoindrissent quelque peu la portée de votre texte. La réforme de la Constitution relève du législateur : il serait singulier que le Parlement se dessaisisse de cette compétence au profit du Gouvernement. Il ne le serait pas moins qu'il envisage de restreindre son droit d'amendement. Bien sûr, nos amendements doivent concourir à l'atteinte des ODD ; très certainement, personne ici ne souhaite en soutenir qui aillent dans le sens contraire. Cependant, lorsque ces ODD seront inscrits dans la Constitution et complétés au fil des années, chaque ajout diminuant notre marge de manoeuvre, il se pourrait que le pouvoir parlementaire en soit considérablement réduit.
Cela ne nous empêchera pas de voter en faveur de ce texte : tous les membres de notre groupe ont la ferme volonté de faire advenir un développement intégral, respectueux de chacun d'entre nous et de notre environnement commun. En tant que parlementaires, il est de notre devoir d'avancer ensemble sur ce sujet, dans une démarche transpartisane.
Voici, mes chers collègues, l'état d'esprit dans lequel les députés de mon groupe se prononceront au sujet de cette proposition de résolution, dont la portée symbolique nous permettra d'envoyer un message aux autres parlements engagés en la matière.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, LaREM et Agir ens.
La proposition de résolution présentée par Aina Kuric nous permet de réfléchir aujourd'hui à la question des objectifs de développement durable, et de la formalisation de leur place dans nos travaux et au sein de notre Constitution. L'ambition internationale des ODD, adoptés en 2015 sous l'impulsion de l'ONU, doit nous amener à évoluer dans une société, dans un monde plus justes, plus solidaires, protégeant les femmes, les hommes, la planète. Nous sommes tous parfaitement conscients qu'ils constituent un idéal à atteindre – un horizon, une boussole qui doit guider nos politiques publiques, mais aussi les activités entrepreneuriales et les relations internationales.
En ce sens, ces ODD sont un langage universel, une vision globale des défis à relever ici, au nord, au sud ; à son échelle, chaque organisation doit pouvoir se fixer des objectifs interconnectés, raisonnables et atteignables. La France et l'Union européenne ont signé ces engagements : il est légitime qu'ils obligent l'État, le législateur, les élus, les entreprises, à conformer chacune de leurs initiatives à ces exigences de justice et d'équité. Dans cet esprit, mes collègues et prédécesseurs au sein du groupe Socialistes et apparentés avaient soutenu des textes de bon sens, de transparence, cohérents avec les ODD. J'ai la conviction que la loi dite « Sapin 2 » du 18 novembre 2016 et la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance se sont trouvées dans ce cas en instaurant de nouvelles obligations visant à identifier les risques d'atteinte grave aux droits humains et à prévenir leur réalisation, ou encore à rendre publics les transferts de bénéfices ou de bases taxables vers des États à fiscalité privilégiée.
Les membres de notre groupe et plusieurs autres parlementaires ont réclamé l'inscription dans la Constitution de l'impératif de respect de nos biens communs et la reconnaissance du crime d'écocide. J'espère que, demain, toutes les propositions de la convention citoyenne pour le climat seront reprises, et que nous constaterons collectivement l'incompatibilité de certains traités de libre-échange avec les objectifs climatiques.
Nous avons également déposé de très nombreuses propositions de loi, des centaines d'amendements, notamment dans le champ social, en faveur d'un travail décent, d'une juste rémunération ou encore contre la réintroduction des néonicotinoïdes ; ces dispositions n'ont malheureusement pas été adoptées.
Toutes nos propositions s'inscrivent dans la logique des ODD et de la feuille de route de la France, car nous prenons à coeur ces objectifs, notamment le contrôle au regard des ODD des orientations prises par le Gouvernement, auquel la France s'est engagée en 2015. Or, au-delà de son aspect engagé, sympathique, cette proposition de résolution invite le Gouvernement à se saisir des ODD en les intégrant à notre Constitution, afin qu'ils constituent au besoin un motif d'irrecevabilité de propositions parlementaires. Autant nous pouvons adhérer aux considérant, autant la proposition elle-même ne tient pas. La Constitution permet déjà de contrôler l'action de l'État en la matière. La Charte de l'environnement de 2004 a valeur constitutionnelle ; nombre d'ODD, comme l'égalité entre les sexes, la paix, la justice, l'efficacité des institutions ou encore une éducation de qualité, sont garantis par notre Constitution, comme d'ailleurs par les articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, dont découle une obligation de protection des populations.
Parfois, voire souvent, nous pouvons même regretter que le garant de la constitutionnalité de nos travaux censure de bonnes dispositions, visant par exemple à lutter contre l'évasion fiscale en imposant aux holdings un reporting public, ou à garantir la protection et le partage du sol face à la spéculation foncière. Celles-ci, parmi d'autres, ont été censurées au nom du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre, déduite par le Conseil constitutionnel de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Alors, oui : il faut faire bouger la Constitution. Dans l'esprit de ce que d'autres pays européens connaissent déjà, cette réforme devrait passer par l'ajout suivant à son article 34 : « La loi détermine les mesures propres à assurer que l'exercice du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre respecte le bien commun. » C'est en effet cette notion fondamentale de « bien commun » qui lui fait défaut.
Il est malheureux que nous ne puissions amender cette proposition de résolution. Très concrètement, nous aurions plutôt souhaité qu'elle demande au Gouvernement d'indiquer obligatoirement, lors du dépôt d'un projet de loi, le ou les ODD visés par sa démarche ; la même obligation serait bien sûr appliquée aux propositions de loi et aux amendements. Cela permettrait à la présidence de l'Assemblée nationale de répertorier, de cartographier les textes législatifs par rapport aux ODD. Au terme de chaque session parlementaire, nous bénéficierions ainsi d'un panorama des avancées réelles. Cette dernière mesure ne nécessite pas de réforme constitutionnelle, mais seulement de la bonne volonté. Le groupe Socialistes et apparentés s'abstiendra donc lors du vote de cette proposition de résolution.
Sur la proposition de résolution, je suis saisie par le groupe Agir ensemble d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la biodiversité.
Je suis très heureuse que ce soutien aux objectifs de développement durable soit si bien partagé. Albert Camus l'avait écrit : « L'homme est la seule créature qui refuse d'être ce qu'elle est », c'est-à-dire partie intégrante et dépendante de son environnement. La crise sanitaire, économique et sociale a mis cette réalité en évidence.
Nous avons su nous adapter à notre milieu, l'apprivoiser, parfois même, malheureusement sans doute, le dompter. Trop souvent, nous avons épuisé ses ressources. La nature nous rappelle désormais régulièrement combien nous sommes vulnérables. Le changement climatique, les catastrophes naturelles toujours plus nombreuses, la montée des eaux, la disparition de l'habitat de nombre d'animaux à la suite de l'urbanisation et de la déforestation, la désertification, les sécheresses qui deviennent structurelles, la propagation d'espèces envahissantes, l'érosion de la biodiversité, sont autant de signes qui doivent nous alerter au sujet des déséquilibres à l'oeuvre, dont la crise actuelle n'est qu'une première manifestation. Face à ses conséquences, ceux qui mésestimaient ces enjeux sont dorénavant clairement avertis.
Dans le même temps, en cette période de troubles, la pauvreté et les inégalités ne cessent de croître. Partout dans le monde, la faim, les événements climatiques, les conflits et situations d'instabilité politique frappent à chaque instant les plus fragiles, qui sont aussi les plus exposés. Les pays développés ne sont pas épargnés : depuis plus de trente ans, en dépit de politiques publiques toujours plus volontaristes et sans cesse réaffirmées, le creusement des inégalités touche les classes moyennes comme les classes populaires. L'absence de perspectives, le peu d'espoir d'ascension sociale et de réussite, constituent autant de menaces de rupture, que l'on constate malheureusement dans les taux d'abstention ou de vote contestataire. La crise du covid-19 est venue s'ajouter à ces défis structurels.
Dans ce contexte, il est essentiel d'évoquer les ODD, comme le fait cette proposition de résolution due à Aina Kuric, que je salue. Vous êtes nombreux, ici, à les défendre au quotidien. Il n'a sans doute jamais été aussi urgent de nous en rapprocher : nous sommes attendus sur ce point, car nous avons un devoir de cohérence entre les objectifs et les moyens, entre nos diverses politiques publiques, entre ce que nous réalisons au niveau national et ce que nous promouvons au niveau international. Notre feuille de route est très claire ; nous avons des objectifs ; nous souhaitons construire une France entreprenante, solidaire et écologique. Nous devons éradiquer la pauvreté en luttant contre les discriminations, contre les inégalités, et en garantissant à toutes et à tous les mêmes droits, les mêmes opportunités, les mêmes libertés. Nous devons agir pour la santé et le bien-être de tous, grâce notamment à une alimentation, à une agriculture plus saines et durables ; nous devons permettre la participation citoyenne à l'atteinte de ces ODD ; nous devons oeuvrer sur les plans européen et international en faveur d'une transformation durable des sociétés, de la paix et de la solidarité.
Cette feuille de route accorde en outre une place centrale à la lutte contre le réchauffement climatique et l'érosion de la biodiversité. Ce sont là des enjeux vitaux, et nous avons là une responsabilité collective. Nous sommes tous impliqués : Gouvernement, services de l'État, collectivités territoriales, acteurs économiques et citoyens. Dans cette perspective, la représentation nationale est à la fois une force de proposition et la gardienne de cette ambition.
Je salue à cet égard la participation active et la mobilisation du groupe d'études dédié aux objectifs de développement durable, ainsi que celle des membres de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire. Cette commission, dont j'ai eu l'honneur et la chance de faire partie, travaille au quotidien à la défense de ces objectifs et à leur décloisonnement : on l'a vu, ils ne peuvent s'envisager que les uns avec les autres et interagissent entre eux. Nous devons donc relever le défi du décloisonnement des différents sujets.
L'atteinte de nos objectifs environnementaux à l'horizon 2030 revient, vous l'avez dit, à interroger nos modes de production et de consommation et à leur redonner une perspective durable quand une fureur de vivre, une sorte de fuite en avant, a pu nous faire oublier l'avenir. Elle implique aussi de penser une société décarbonée, une économie dans laquelle les solutions fondées sur la nature ont toute leur place, une société qui s'appuie sur l'éducation et la formation tout au long de la vie. Face à ces changements profonds de paradigme, comment s'assurer que nos politiques publiques s'inscrivent dans ces objectifs de développement durable et les respectent ? Quatre piliers doivent, je crois, guider notre action.
Le premier est la sobriété – une utilisation mesurée de nos ressources, une gestion plus raisonnée de l'eau, ainsi que des progrès en termes d'efficacité énergétique, d'économie circulaire et de lutte contre le gaspillage alimentaire. Nous devons travailler à repousser le jour du dépassement, celui à partir duquel l'ensemble des ressources que la Terre peut produire en un an ont été consommées – qui arrive le plus souvent à la fin de l'été. Cette notion invite aussi à une réflexion sur la question des limites planétaires, entamée par la convention citoyenne pour le climat et qui me semble devoir être poursuivie. L'objectif de sobriété est intégré au plan de relance ; le fonds dédié à l'économie circulaire bénéficiera ainsi de 226 millions d'euros supplémentaires d'ici à 2022. Enfin, la recherche de sobriété passe aussi par les actions menées en faveur d'une économie décarbonée. Nous avons défendu ensemble la loi relative à l'énergie et au climat, qui fixe à l'horizon 2050 l'échéance pour atteindre la neutralité carbone. Celle-ci est un combat collectif que l'Union européenne a adopté, comme de nombreuses puissances économiques majeures de notre planète. Il y a quelques semaines, le Japon et la Corée du Sud se sont à leur tour fixé cet objectif. En France, la programmation pluriannuelle de l'énergie, que nous avons revue en 2019, l'a entériné.
La transition que nous souhaitons doit être celle de tous. La solidarité est le deuxième pilier qui doit guider notre action ; elle n'est pas seulement souhaitable mais absolument impérative. Elle est en effet la seule garante que la recherche des équilibres naturels fera l'objet d'une mobilisation collective et qu'en échange des bénéfices attendus, la contrainte d'un changement d'habitudes, de mode de production ou de consommation sera acceptée. Nous voulons oeuvrer à une société solidaire, dans laquelle chacun, en particulier les enfants, mange mieux, grâce aux circuits courts que nous devons mettre en place. Dans cette société, on se soigne et on se loge mieux, dans des logements qui ne sont ni humides ou froids en hiver, ni trop chauds en été – on sait quelles conséquences ces conditions de logement peuvent avoir sur les plus jeunes. La solidarité s'exprimera aussi grâce au plan de relance, au service du quotidien des Français. Ce sont ainsi 2 milliards d'euros qui sont prévus pour renforcer la rénovation énergétique, et 500 millions sont destinés à la réhabilitation lourde des logements sociaux.
Retrouver les équilibres naturels, c'est également soutenir les pays les plus fragiles. En 2022, nous consacrerons 15 milliards d'euros à l'aide publique au développement, ce qui représente une augmentation très importante de près de 7 milliards d'euros depuis 2016. Face aux crises, face aux fragilités de la santé et du climat et face aux inégalités, l'aide publique au développement doit accompagner des filières durables. Nous y travaillons dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée. Avancer ainsi avec les pays de l'autre bout du monde au développement de filières durables, c'est aussi se prémunir des atteintes à l'environnement et accompagner la transition écologique. Dans ce domaine, la France déploie une approche forte et volontariste…
… à laquelle je sais que vous êtes nombreux à contribuer.
Nous sommes très heureux de saluer le très bel exemple que constitue la reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme à Lyon, en octobre 2019, au cours duquel 14 milliards de dollars ont pu être récoltés.
La santé mondiale est un enjeu d'autant plus important que la pandémie de covid-19 ébranle notre planète et qu'elle a confirmé le lien entre les dégradations des milieux naturels et de la biodiversité, d'une part, et la pandémie d'autre part. Nous devons à cet égard renforcer notre résilience, ainsi que notre capacité d'anticipation et d'adaptation. Une coordination internationale est également nécessaire, comme cela a été évoqué, dans un souci de cohérence. La France défend dans ce cadre une approche One Health – une seule santé – , qui intègre pleinement la santé humaine, la santé animale et la santé environnementale dans les politiques de prévention.
La crise de la covid-19 nous a fait prendre conscience, plus encore qu'auparavant, de l'importance du troisième pilier, la souveraineté. Celle-ci viendra de la sobriété, de la solidarité, ainsi que de notre capacité à développer des circuits courts, à sécuriser nos filières d'approvisionnement et à diversifier notre mix énergétique. Les énergies renouvelables sont évidemment incontournables en la matière. En plus de nous permettre d'atteindre les objectifs de développement durable, elles sont un levier essentiel de notre indépendance. L'investissement majeur que nous faisons dans l'hydrogène, auquel le plan de relance consacre près de 7 milliards d'euros, doit nous permettre par exemple de progresser vers des transports et des mobilités plus verts.
La soutenabilité, enfin, doit guider nos actions : nous n'agissons pas pour demain, mais pour un futur plus lointain. Les modèles de développement doivent être considérés dans un temps long. La soutenabilité est la concrétisation d'une société plus sobre, plus solidaire et plus souveraine. Elle ne doit pas résonner avec décroissance mais nous inciter à continuer de produire et de créer des emplois, mais dans une logique plus soutenable – des emplois destinés à une économie en cours de transition écologique, ou qui l'a réalisée. C'est l'objectif du plan de relance, qui affecte 30 milliards d'euros à la transition écologique. La période de crise, qui doit accélérer notre cheminement vers une économie plus verte, doit également nous permettre de mesurer l'impact de nos dépenses publiques. Elle nous montre le chemin que nous avons parcouru et celui qui reste à parcourir. À cet égard, l'initiative française d'un budget vert, qui est sans précédent, constitue un très bon outil de suivi de ces trajectoires.
Ces quatre S – souveraineté, sobriété, solidarité, soutenabilité – , auxquels je suis très attachée, guident mon action et englobent tous les objectifs de développement durable. Je constate parfois que ceux-ci sont encore peu connus, comme d'autres l'ont remarqué. Il nous appartient d'en faire la promotion pour que chacun se saisisse de ces objectifs en tant que moyens d'atteindre un équilibre global, et non pas en tant qu'objectifs isolés les uns des autres.
Cette proposition de résolution appelle le Gouvernement à mieux évaluer l'impact des politiques publiques sur les objectifs de développement durable. Vous souhaitez faire évoluer la Constitution de telle sorte que les propositions de loi ou amendements qui ne respectent pas ou ne répondent pas aux exigences de ces objectifs soient frappés d'irrecevabilité. Si le Gouvernement partage la volonté d'atteindre ces objectifs, de leur donner toute la place qu'ils méritent dans nos politiques publiques, il nous semble que votre proposition influerait fortement sur le travail parlementaire. C'est donc à vous, députés, de vous prononcer sur cette proposition au sujet de laquelle j'émettrai, au nom du Gouvernement, un avis de sagesse.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 83
Nombre de suffrages exprimés 79
Majorité absolue 40
Pour l'adoption 73
Contre 6
L'article unique est adopté, ainsi que l'ensemble de la proposition de résolution.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens. Les membres du groupe Agir ens se lèvent et continuent d'applaudir.
L'ordre du jour appelle la discussion, en application de l'article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de M. Vincent Ledoux pour l'accès universel, rapide et équitable au vaccin contre le covid-19 (nos 3475).
« Je me sens pénétré de deux impressions profondes : la première c'est que la science n'a pas de patrie, la seconde, qui paraît exclure la première, mais qui n'en est pourtant qu'une conséquence directe, c'est que la science doit être la plus haute personnification de la patrie. La science n'a pas de patrie, parce que le savoir est le patrimoine de l'humanité, le flambeau qui éclaire le monde. La science doit être la plus haute personnification de la patrie parce que de tous les peuples, celui-là sera toujours le premier qui marchera le premier par les travaux de la pensée et de l'intelligence. Luttons donc dans le champ pacifique de la science pour la prééminence de nos patries respectives. »
Ces paroles puissantes, mes chers collègues, sont celles de Louis Pasteur. « La science n'a pas de patrie parce que le savoir est le patrimoine de l'humanité, le flambeau qui éclaire le monde » : cette opinion terriblement puissante, le savant la formulait invariablement et catégoriquement en réponse à ceux qui lui demandaient si le double culte de la science et de l'humanité exige que l'on sacrifie au préalable l'amour de la patrie.
Mes chers collègues, la véritable question que pose la proposition de résolution que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui au nom du groupe Agir ensemble, est la suivante : saurons-nous, face à la pandémie, ne pas trahir le testament spirituel du grand savant, dont la part du coeur fut très large tout au long de son oeuvre ? Car pour faire à l'humanité tout le bien que lui a fait Pasteur, la condition essentielle est d'aimer passionnément l'humanité. Hélas, nous avons tous encore en mémoire les images glaçantes de la diplomatie des masques, à même le tarmac de nos aéroports internationaux, désespérée et désespérante. Mais comme l'a affirmé le chef de l'État dans son adresse de mardi soir, toute crise comporte une part de progrès et d'espérance.
C'est cette part d'espérance que nous allons porter haut et fort ce soir, par cette résolution. Le vaccin anti-covid est bien une lueur d'espoir qui doit briller pour tous, en tous points de la planète, que l'on soit riche ou pauvre ; il doit être universel. Or nous sommes encore bien loin. Il est fort à craindre que de nombreuses parties du globe seront privées d'accès aux vaccins, soit parce que ceux-ci seront trop chers, soit parce qu'ils ne seront pas produits en quantité suffisante pour fournir l'ensemble de la planète. Selon l'Organisation mondiale de la santé – OMS – , le stock initial de vaccins ne sera pas suffisant pour couvrir les 20 % de personnes les plus à risque au sein de la population mondiale, la majeure partie des doses étant captée par les pays les plus riches. Ayons à l'esprit le fait que 80 % des vaccins en cours de développement aujourd'hui ont déjà été vendus aux pays les plus riches, c'est-à-dire à 15 % de la population mondiale.
En effet, les laboratoires engagés dans la course aux vaccins n'ont pas, à ce jour, les capacités de production permettant de couvrir les besoins de l'ensemble de la population mondiale. Il est essentiel que les savoir-faire et la propriété intellectuelle soient partagés pour que d'autres producteurs puissent développer des génériques et donc produire davantage, à prix plus accessible, pour les pays les plus pauvres de la planète.
La pandémie, qui a déjà tué plus d'un million de personnes, se double par ailleurs d'une grave crise économique qui accroît encore la pauvreté. La France, grand pays des droits de l'homme, doit prendre aux côtés de l'Europe la tête d'un grand combat moral et éthique contre la pauvreté pharmaceutique, en favorisant l'accès aux nouveaux vaccins dans le monde. C'est l'un des objectifs de l'initiative ACT-A – Access to COVID-19 Tools Accelerator, dispositif pour accélérer l'accès aux outils de lutte contre la COVID-19 – , impulsée par la France et par l'OMS. Ailleurs, le combat contre la covid-19 s'ajoute aux luttes contre d'autres maladies mortelles comme la tuberculose, qui tue plus d'un million de personnes par an, ou le paludisme, qui en tue près de 400 000 dont 94 % en Afrique. Ce triste bilan pourrait hélas doubler selon certaines prévisions. Et ce sont les enfants qui payent le plus lourd tribut, car plus des deux tiers des décès concernent des enfants de moins de 5 ans.
Alors, mes chers collègues, invitons le Gouvernement à proposer par l'intermédiaire de l'OMS un dispositif adéquat en vue de racheter le brevet du futur vaccin, de manière à le rendre accessible à toute l'humanité et, le cas échéant, à indemniser raisonnablement les investissements privés consacrés à sa recherche, en prenant en compte les investissements publics déjà réalisés pour le développement des vaccins.
Invitons le Gouvernement à établir la transparence sur les aides et financements publics, compte tenu des sommes importantes investies par les États dans le développement des vaccins, mais également sur les coûts de production et de recherche et développement des laboratoires, ce qui permettra aussi d'accompagner le consentement à la vaccination à venir.
Enfin, invitons le Gouvernement à établir et à transmettre chaque année au Parlement une évaluation chiffrée des politiques publiques menées en matière de recherche et de développement dans le domaine biomédical.
Mes chers collègues, je suis convaincu – comme nous tous, sans doute – que, face à une pandémie, le meilleur vaccin reste encore notre solidarité ici et dans le monde. Portons ce soir cette part d'espérance et de progrès tant attendue et, à la suite de Louis Pasteur, ayons la conviction profonde que les peuples s'entendront, non pour détruire, mais pour édifier.
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens.
Cette proposition de résolution s'inscrit parfaitement dans l'actualité, à l'heure où de nombreux laboratoires nous montrent une lumière grandissante au fond du tunnel, à mesure que de nouveaux vaccins nous sont présentés. La crise sanitaire, en plus d'affecter l'intégrité de nos concitoyens, entraîne une crise économique et sociale d'une ampleur inédite. Corollaire de cet enchaînement de malheurs, le moral de nos concitoyens devient très inquiétant et fait craindre le développement de maladies mentales. La perspective d'un vaccin est donc un vecteur d'espérance, et tout doit être mis en oeuvre pour en assurer l'accès à chacun de nos concitoyens.
Toutefois, nous devons nous interroger sur les nombreuses réserves qui se font jour vis-à-vis de ce vaccin. Selon un sondage IPSOS réalisé auprès de 18 000 personnes dans quinze pays différents, les Français seraient les plus réticents. Il semble que cette méfiance dépende de la temporalité de l'accès au vaccin : autrement dit, plus le vaccin serait découvert rapidement, moins nos concitoyens auraient confiance.
À certains égards, ce constat rejoint le travail de l'Institut Pasteur, qui ne s'est pas précipité pour présenter un vaccin, privilégiant sans doute l'efficacité et le sérieux de ses produits. En d'autres termes, mes chers collègues, l'accès au vaccin et les questions logistiques ne représentent que la moitié du travail : il convient de mener un autre travail tout aussi important, celui de la confiance.
Pour ce qui est de la proposition de résolution de notre collègue Vincent Ledoux, sur la forme, d'abord, il apparaît incohérent de présenter un texte traitant à la fois de l'accès universel au vaccin contre la covid-19 et de la transparence des investissements publics en matière de recherche et de développement – d'autant plus que nous avons déjà débattu de la transparence dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, pas plus tard que mardi dernier.
Sur le fond, il nous paraît profondément irréaliste de demander aux membres de l'OMS d'acheter le brevet d'un vaccin pour le délivrer à la terre entière. Concrètement, comment l'OMS sélectionnera-t-elle un brevet parmi l'ensemble des vaccins présentés, et comment le laboratoire pour lequel les pays occidentaux se seront mobilisés pour offrir le vaccin à l'humanité sera-t-il choisi ?
Vous fondez la distribution du vaccin sur la production de richesses, mais ce n'est pas un indicateur pertinent pour la circulation du virus. Le groupe UDI et indépendants défend une vision beaucoup plus pragmatique, visant à favoriser l'accès au vaccin des pays les plus touchés par le virus, car le but du vaccin et de sauver des vies, et non pas de servir une idéologie – et encore moins les intérêts financiers qui peuvent réellement exister. Aucun pays touché par le virus, quel que soit son niveau de richesse, ne doit se voir empêché d'accéder au vaccin. À cet égard, il serait bien plus pertinent, selon nous, de créer un programme européen visant à assurer l'accès de ce vaccin aux pays les plus pauvres touchés par le virus.
Par ailleurs, il est bien de vouloir manifester de la générosité envers les pays du monde entier, mais n'oublions pas nos propres compatriotes ! Nous faisons partie des pays les plus touchés et notre priorité sera donc de fournir le vaccin d'abord à nos aînés et aux plus vulnérables, en respectant toujours le seul principe du libre choix individuel.
Attention, donc, aux tentatives d'imposer, et en particulier d'obliger nos concitoyens à se faire vacciner ! La pédagogie à coups de bâton, la coercition, ne constituent jamais un signal positif pour une démocratie et semblent être des moyens bien maladroits pour renouer la confiance indispensable entre les citoyens et les autorités. Une confiance, inutile de le rappeler, bien ébranlée par les errements manifestes de la gestion de la crise que nous vivons.
Enfin, en ce qui concerne la transparence des fonds publics octroyés pour l'investissement en matière de recherche et de développement, nous n'y voyons pas de problème a priori car, après tout, il s'agit d'argent public.
Nous considérons que la proposition de résolution n'est pas un outil pour formuler des voeux utopiques. Pour toutes les raisons que j'ai évoquées, en particulier celles relative à la cohérence, nous ne pourrons voter en faveur de ce texte.
Tout d'abord, je souhaite saluer le travail de notre collègue Vincent Ledoux, qui est sans nul doute le travail d'un humaniste face à un monde en crise. Nous avons tous en tête les chiffres de cette pandémie : près de 50 millions de cas ont été enregistrés dans le monde, plus d'un million de personnes ont perdu la vie. Mais il existe d'autres chiffres, ceux de la pauvreté, de la faim, des inégalités et de la déscolarisation, qui explosent. Le Fonds des Nations unies pour l'enfance, l'UNICEF, estime ainsi à plus de 10 000 par mois le nombre de décès supplémentaires d'enfants.
À travers le monde, nous reculons sur le chemin des objectifs de développement durable ; un vaccin sûr et efficace serait une première étape vers une société plus responsable et durable. Les annonces multiples sur les avancées dans ce domaine rassurent tout autant qu'elles inquiètent. Pendant deux semaines, nous avons assisté à une véritable surenchère des laboratoires. Si l'on peut se féliciter du dynamisme de la recherche et du développement, il faut savoir raison garder. En réalité, aucun résultat définitif n'a été publié : seuls ont été donnés des résultats préliminaires, encore en attente de confirmation. Il est donc regrettable que ces études donnent lieu à des communiqués de presse avant de faire l'objet d'articles scientifiques.
Si endiguer la pandémie est essentiel et si développer un vaccin est déterminant, il importe de faire preuve de réalisme quant au calendrier. Alors que le processus complexe de mise au point d'un vaccin peut demander dix à quinze ans, l'urgence sanitaire a poussé à raccourcir ce délai, qui pourrait s'établir entre douze à dix-huit mois.
La prudence doit continuer à guider notre action, et la mise au point du vaccin contre le covid-19 ne doit souffrir aucun compromis dans les processus visant à garantir l'efficacité et l'innocuité du produit afin de protéger les droits de chacun. Sur ce point, je vous invite à consulter l'article 4 de la convention d'Oviedo, qui énonce que toute intervention dans le domaine de la santé, y compris la recherche, doit être effectuée dans le respect des normes et des obligations professionnelles.
Les travaux scientifiques devront également se poursuivre après l'autorisation de mise sur le marché pour que le monde tire profit de l'existence de plusieurs vaccins, pour qu'il soit tenu compte des besoins de populations diverses et que l'on puisse observer les effets à long terme de la vaccination.
La pandémie ne connaît aucune frontière, c'est pourquoi imaginer une action uniquement nationale serait aussi inefficace qu'inhumain. Une action internationale coordonnée est incontournable, a fortiori quand on voit que certains pays ont déjà commencé à agir de manière isolée : en Europe, par exemple, la Hongrie s'apprête à importer des doses du vaccin russe sans l'accord de l'Agence européenne des médicaments.
Le plan d'attribution des vaccins contre la covid-19, également connu sous le nom de COVAX, constitue l'initiative phare en ce qui concerne l'allocation des vaccins au plan mondial. Codirigée par l'OMS, GAVI, l'Alliance du vaccin, et la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies – Coalition for Epidemic Preparedness Innovations, CEPI – , l'initiative mobilise des fonds auprès des pays adhérents afin de soutenir la recherche, le développement et la fabrication d'un large éventail de vaccins et d'en négocier le prix.
Si tous les pays n'ont pas pu contribuer à la même hauteur, nous devons garantir l'accessibilité, aussi bien technique qu'économique, à tous. Des universitaires ont critiqué le fait que les pays riches donateurs pourront probablement vacciner 20 % de leur population avant même que les autres ne puissent en vacciner 3 % – ce qui n'aurait aucun sens dans le cas d'une pandémie mondiale comme celle que nous connaissons.
Il est nécessaire de rappeler que l'accès à la santé, qui est le troisième des dix-sept objectifs de développement durable, est un droit humain fondamental et universel. Face à une crise mondiale, la réponse ne peut être qu'unanime et le multilatéralisme reprend tout son sens. À l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, nous prônons une approche globale et commune, ce qui suppose aussi bien de réfléchir au choix des vaccins qu'à la stratégie de vaccination pour attribuer les doses de manière éthique et équitable, en déterminant notamment les groupes de population prioritaires.
Il faudra aussi penser la communication autour de cette campagne de vaccination, car il est inconcevable de la rendre obligatoire en raison de ses conditions particulières de développement. L'adhésion des populations se gagnera par la transparence, et cela implique d'anticiper afin d'éviter les pénuries du début de crise. Nous ne pouvons plus reproduire les mêmes erreurs et laisser dicter notre action par notre manque de moyens.
Une vraie stratégie, précise et transparente, doit donc être déterminée, non pas uniquement contre la pandémie actuelle, mais contre toutes les pandémies potentielles, et c'est pourquoi les deux derniers points de la proposition sont également importants. Pour toutes ces raisons, solidaire face à cette pandémie, le groupe Libertés et territoires votera en faveur de ce texte.
Applaudissements sur les bancs des groupes LT et Agir ens.
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Depuis le printemps, j'ai l'impression de jouer à Jacques a dit – ou plutôt à Manu a dit… Le mercredi, Manu a dit : « Sortez, allez au théâtre ! » ; le lendemain, Manu a dit : « On ferme les écoles ! ». Puis Manu a dit : « Restez chez vous ! ». Manu a dit aussi : « Pas de masques ! », ensuite Manu a dit : « Masque obligatoire ! ». Manu a dit : « Sortez de chez vous ! ». Cet été, Manu a dit « Pouce ! Faites-nous confiance, on gère tout ! ».
Protestations sur les bancs du groupe LaREM.
Et le même jeu a repris cet automne… Manu a dit : « Couvre-feu ! », Manu a dit : « Allez, on ferme les commerces ! », Manu a dit : « Reconfinement ! », Manu a dit : « Un kilomètre ! », et maintenant Manu nous dit « 20 kilomètres ! ». Manu nous dit : « On rouvre les commerces ! », Manu nous dit « Doucement, la vie reprend ! ».
Alors, jusque quand va-t-on jouer à Manu a dit ? Encore un an, jusqu'au prochain printemps ? Les Français ne sont pas des enfants ; nous sommes une République, nous sommes une démocratie, nous sommes des citoyens – des citoyens éclairés, des citoyens éduqués, et tous ces choix pour notre santé, pour notre liberté, nous devons y être associés, même par temps de crise sanitaire, et je dirai même surtout par temps de crise sanitaire !
Jean-François Delfraissy, le président du Conseil scientifique, réclame depuis avril « l'inclusion et la participation de toute la société à la réponse au covid-19 ». Quant au président de France Assos Santé, il s'exaspère : « nous n'avons été associés ni au comité d'experts ni à la décision de confiner ». Et Chantal Jouanno, qui préside la Commission nationale du débat public, elle considère que « même en situation d'urgence, il y a moyen de faire participer les citoyens, surtout lorsque les décisions prises touchent aussi intimement à leur liberté. »
Intimement, oui. Car quand, dans notre histoire – je dirai même dans l'histoire de l'humanité – , a-t-on interdit à des enfants de voir leurs parents, et à des parents de voir leurs enfants ? Quand a-t-on interdit à des gens de voir leurs cousins et cousines, leurs oncles et tantes, leurs grands-parents ? Quand a-t-on rompu le lien familial, ce lien charnel, le plus intime des liens, à l'échelle de toute une nation ? Jamais, me semble-t-il…
Tout là-haut, un homme seul, sans consulter quiconque…
… peut du jour au lendemain interdire à des enfants de voir leurs parents, à des parents de voir leurs enfants et, ce qui est peut-être le pire, le faire comme une banalité, comme si cela allait de soi, sans même dire clairement : « Parents, vous ne verrez plus vos enfants. Enfants, vous ne verrez plus vos parents. » Cette décision qu'Emmanuel Macron a prise au printemps dans l'urgence, il l'a prise à nouveau à l'automne, déjà presque comme une habitude.
Mme Maud Petit proteste.
Ce mardi, enfin, Manu a dit : « Vaccinez-vous », sauf que cette fois, Manu s'étonne. Les Français sont méfiants. Alors, face à ce défi, il a mis en place une « task force » covid – car il ne faut pas dire que nous sommes en guerre, mais « we are in war » – et nommé à sa tête Louis-Charles Viossat. Je ne le connaissais pas, j'ai donc cherché son nom sur Google. Je vous propose de refaire l'expérience avec moi. Prenez votre téléphone portable et tapez « Louis-Charles Viossat LinkedIn », descendez sur la page retraçant sa carrière. Que découvrez-vous ? Qu'il a été « Governement Affairs Senior Director, Western Europe & CanadaEU » chez Abbott,
Rires sur les bancs du groupe GDR
M. Hubert Wulfranc lève le doigt
chef des lobbyistes dans un géant de l'industrie pharmaceutique. Durant cinq années, il a « lobbied ex-US governements » et représenté la firme « in key national and international professional associations ». Voici donc, en toute transparence, en toute indépendance, qui est nommé M. Vaccin : un énarque qui a pantouflé et retro-pantouflé, un petit soldat de Big Pharma,
Protestations sur plusieurs bancs du groupe LaREM
ou plutôt un grand général des labos américains. C'est donc lui qui sera chargé, en France, de dealer avec Pfizer, AstraZeneca et autres Moderna.
Ça ne vous choque pas ? Plus rien ne vous choque. Ça vous paraît-il de nature à rétablir la confiance ? Mais comment en être surpris ? Où donc se tenait la réunion annuelle du lobby des lobbies de la pharmacie, le Dolder, qui rassemble les quarante plus grands labos au monde le lundi 9 juillet 2018 ? À l'Élysée, oui, directement à l'Élysée, où tous les PDG ont dîné avec le Président de la République. Doit-on rappeler ici les liens étroits et renouvelés entre la Macronie et Sanofi ?
Alors, alors, alors, le Président a sorti un lapin de son chapeau mardi soir : un collectif citoyen pour associer la population. Après les gilets jaunes, il avait lancé le grand débat pour mieux se voir si beau en ce miroir. Après Youth for Climate, il a inventé – car il est inventif, je ne lui retire pas cette qualité – la convention citoyenne pour le climat pour mieux s'asseoir aujourd'hui sur ses 149 propositions. Et maintenant, voici ce collectif citoyen, ce machin, ce bidule qui devra trouver son strapontin entre la task force, le Conseil scientifique et le comité vaccin.
D'urgence, il nous faut en finir avec « Manu a dit » ; d'urgence, il nous faut établir une véritable démocratie sanitaire !
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Avec cette proposition de résolution, deux choses sont demandées au Gouvernement : garantir une véritable transparence dans les financements publics qu'utilisent les laboratoires pharmaceutiques dans le cadre de la lutte contre la covid-19 et renforcer les orientations de la politique étrangère de notre pays en faveur d'un vaccin dont le brevet serait un bien mondial commun.
L'ambition de ce texte est louable. C'est pourquoi les députés communistes voteront en sa faveur, mais, évidemment, nous souhaiterions aller plus loin. L'origine du problème du secteur pharmaceutique réside dans le fait que partout dans le monde le financement de la recherche & développement est très largement porté par des investissements publics massifs générant des profits qui, eux, sont privatisés. Nous restons donc dans le schéma classique de l'utilité de l'État au sein d'un système néolibéral : socialisation des pertes et des investissements risqués – ou peu rentables – et privatisation des bénéfices. En France, la recherche biomédicale est financée à près de 50 % par l'argent du contribuable, mais l'État ne récupère pas la part des bénéfices qu'elle engendre. Aux États-Unis, même schéma : le financement vaccin produit par Moderna a été couvert à 100 % par de l'argent public. C'est dire si la politique des brevets est injustifiée en ces temps de lutte mondiale contre le coronavirus.
Par ailleurs, ce système de privatisation des investissements publics induit une privatisation des brevets. Par conséquent, les brevets du vaccin contre la covid-19 sont jalousement gardés, ce qui entrave la production des doses et maintient un coût élevé pour le vaccin. La limitation des capacités de production et le coût élevé des vaccins induisent à leur tour un accroissement des inégalités sanitaires mondiales face à la vaccination puisque beaucoup d'États pauvres n'auront pas les moyens de se le procurer. À cela s'ajoute le fait que les États les plus riches ont réservé un très grand nombre de doses de vaccin pour leur population, de manière totalement inéquitable.
Pour illustrer cela, un seul chiffre : 13 % de la population mondiale, dans les pays les plus riches, vont bénéficier de la moitié du stock potentiel de vaccins. Les députés communistes ne cessent de dire que le monde marche sur la tête, en voici une énième illustration.
Lorsqu'il est demandé aux industriels plus de transparence sur leurs prix – et je constate que des collègues le réclament aussi – et l'utilisation des fonds publics, le secret des affaires est systématiquement opposé : ces informations demeurent donc secrètes. Nous pouvons remercier au passage la majorité, dont les groupes Agir en ensemble et UDI et indépendants, d'avoir voté la proposition de loi sur la protection du secret des affaires, qui permet aux entreprises de fuir ce type de responsabilités.
Au-delà de la production des vaccins et des coûts, le troisième effet du blocage des brevets est l'impossibilité de l'accès aux génériques, qui permettrait pourtant d'augmenter la production mondiale, de faire baisser les coûts, donc de lutter plus efficacement contre la covid-19.
Partant de ce constat, la France a fait un coup de com' de maître. Elle répète à qui veut bien l'entendre qu'elle souhaite mettre en place une charte qui ferait du vaccin un bien public mondial afin de limiter les effets délétères que je viens de décrire. Cette charte, c'est-à-dire un document non contraignant juridiquement, n'a toujours pas vu le jour. Les négociations n'ont, semble-t-il, même pas commencé.
Parallèlement, la France a rejeté les initiatives internationales visant à rendre publics les brevets des vaccins, ou alors s'est abstenue.
M. François Ruffin applaudit.
Cette hypocrisie est insupportable pour les députés communistes – et pas seulement pour eux, si j'en juge par les applaudissements que je viens d'entendre.
Prenons trois exemples. Le premier est le dispositif pour accélérer l'accès aux outils de lutte contre la covid-19, ACT – Access to covid-19 tools – Accelerator : il a été valorisé par la France mais son financement s'est limité à une réorientation de budgets déjà alloués, donc de l'argent pris à d'autres projets. Ce n'est pas ce que nous appelons un acte fort. Au niveau international, il n'a reçu que 5 milliards des 38 milliards nécessaires. C'est insuffisant.
Deuxième exemple : la France, par la voix de l'Union européenne, a aussi refusé de soutenir une proposition présentée à l'Organisation mondiale du commerce – OMC – par l'Afrique du Sud et par l'Inde tendant à faciliter l'accès aux brevets, initiative qui aurait été bien plus utile que le charte.
Troisième exemple : la France, tout comme l'industrie pharmaceutique mondiale, a balayé le groupement d'accès aux technologies contre le covid-19, le C-TAP – Covid-19 technology access pool – , dont le but était de créer une plateforme de mise en commun des recherches sur la covid-19. La gouvernance néolibérale a toujours refusé de contraindre les entreprises, avec les résultats catastrophiques que l'on sait.
Nous aurions donc aimé voir, dans cette proposition de résolution un appel fort au Gouvernement français pour arrêter la schizophrénie et rejoindre immédiatement toutes les initiatives concrètes visant à faire du vaccin un bien public mondial plutôt que de se contenter d'une charte, d'une vague charte.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. François Ruffin applaudit également.
Cette proposition de résolution met en exergue la nécessité de rendre accessible à tous le vaccin contre la covid-19, autrement dit de le rendre universel et équitable. Les principes et les valeurs auxquels elle fait référence sont en phase avec ceux de la France, comme le souligne son exposé des motifs. Il est vrai que notre pays joue un rôle prépondérant. Dès le mois de mai dernier, le président Emmanuel Macron a développé la stratégie française en matière de santé mondiale et a affiché plus particulièrement les ambitions de notre pays en matière de diplomatie du vaccin. Il a ainsi évoqué « l'idée du bien public mondial, d'avoir un accès mondial au vaccin ». Il a de plus souligné le rôle central des États : « N'oublions jamais ce qu'on a bâti : l'État est le garant de l'intérêt général. Cela ne se délègue pas. Et là, les États ont un rôle à jouer. » Cette notion de bien public mondial a été réaffirmée lors du Forum de Paris sur la paix qui s'est tenu le 12 novembre dernier : « L'État et l'intérêt de tous doivent prévaloir sur les intérêts privés. »
La plateforme ACT-A a été lancée à cet effet sous la gouvernance de l'Organisation mondiale de la santé. Il s'agit d'une nouvelle collaboration mondiale novatrice réunissant des gouvernements, des scientifiques, des entreprises, la société civile, des organismes philanthropiques et des organismes mondiaux oeuvrant dans le domaine de la santé, tels que la fondation Bill & Melinda Gates, la coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies – CEPI – , FIND – Foundation for innovative new diagnostics – l'Alliance du vaccin Gavi, le Fonds mondial, Unitaid, Wellcome, l'OMS et la Banque mondiale. Elle vise précisément à accélérer la mise au point et la production de produits de diagnostic, de traitements et de vaccins contre la covid-19, COVAX, et en assurer un accès équitable.
Dans votre exposé des motifs, vous avez rappelé les quatre axes de travail de la stratégie ACT-A, que je ne développerai donc pas. Ce sur quoi il faut insister, c'est la nécessité de collaboration. La France est au coeur de ce nouveau multilatéralisme avec l'Europe. En effet, au plan financier, l'État s'engage fortement afin de traduire concrètement sa diplomatie de la santé : ce sont 500 millions d'euros à destination d'ACT-A et 100 millions d'euros à destination de COVAX. À ce jour, comme le rappelait Jean-Yves Le Drian lors des questions au Gouvernement la semaine dernière, « cette initiative ACT-A a permis de mobiliser 2 milliards d'euros pour agir auprès des populations les plus vulnérables, pour faciliter la recherche, mais aussi la diffusion du vaccin et les traitements ». L'objectif est aussi de lutter contre le nationalisme vaccinal qui serait contreproductif et qui aurait des conséquences dramatiques. Solidarité, pragmatisme et transparence doivent guider notre action.
Enfin, il y a une autre notion fondamentale, celle sécurisation sanitaire. Le président Emmanuel Macron l'a rappelé lors de son intervention mardi soir tout comme la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Les vaccins ne seront administrés qu'après validation, dans le cadre d'un contrôle très strict de l'OMS et des autorités sanitaires nationales. Ainsi appartient-il aux États, dans l'intérêt général, de garantir cette sécurité sanitaire.
Pour toutes les raisons que j'ai évoquées, le groupe La République en marche votera en faveur de cette proposition de résolution.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et Agir ens.
Cette proposition de résolution souligne toute l'importance de la mise au point d'un vaccin pour lutter contre l'épidémie de la covid-19. En dehors de cette apparente évidence, elle fait volontairement ou involontairement ressortir quatre enjeux qu'il ne faut pas négliger.
Premier enjeu : la recherche et la découverte d'un vaccin efficace est absolument nécessaire, mais elle prend du temps. Un effort considérable a été accompli par les États et les entreprises pour se mettre en ordre de marche et les protocoles de recherche avancent à travers pas moins de 300 projets dans le monde. Force est toutefois de constater que le développement d'un vaccin se heurte à des réalités scientifiques qui risquent fort, malheureusement, de ralentir le processus.
Bien sûr, certains résultats sont encourageants mais, à l'heure actuelle, personne ne peut dire avec certitude quand nous disposerons d'un vaccin. Dans l'attente de solutions pérennes, visées par cette résolution, le groupe Les Républicains considère que le rôle de l'État est de faire en sorte que notre pays réussisse à vivre avec le virus. Une politique de confinements à répétition et de couvre-feu ne peut être viable à long terme, avec les catastrophes économiques qu'elle induit. Ce n'est pas tenable.
La recherche d'un vaccin doit être un objectif premier pour l'État mais ne peut se substituer à une politique de lutte contre le virus méthodique, structurée, et intelligible – tests, isolement, lits de réanimation, formation des soignants, protocoles de soins, pédagogie –
M. François Ruffin applaudit
M. François Ruffin applaudit.
Deuxièmement, la proposition de résolution fait ressortir, en creux, la question malheureusement prégnante des anti-vaccins. Si ce phénomène est mondial, la France est le champion du monde de la défiance à l'égard des vaccins, devant le Gabon, le Togo, la Russie et la Suisse ; c'est ce que révèle une étude mondiale réalisée en juin 2019 par l'organisation non gouvernementale britannique Wellcome.
Un Français sur trois considère que les vaccins ne sont pas sûrs, et un Français sur cinq qu'ils ne sont pas efficaces. L'origine de cette défiance réside dans les scandales sanitaires qui ont émaillé les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, dans les couacs de centaines de campagnes de vaccination contre la grippe H1N1, mais aussi, plus récemment, dans l'essor des théories complotistes et des fake news sur les réseaux sociaux. Le groupe Les Républicains considère que cet enjeu doit être pris en considération pour que la campagne de vaccination soit efficace.
L'anticipation n'étant pas la qualité première du Gouvernement, la manière dont se déroulera la campagne de vaccination sera également déterminante. Autour de quelles priorités pédagogiques s'articuleront les explications données à la population ? Comment s'organisera la campagne ? Quels matériels seront utilisés – qu'il s'agisse des seringues ou des gants, par exemple – , et comment seront-ils transportés et stockés ? L'élu alsacien que je suis constate que nos voisins allemands sont déjà très largement avancés dans ce domaine. J'espère que la France se prépare plus activement qu'elle n'en donne l'impression.
Troisièmement, la résolution évoque des questions liées à la recherche et à l'industrie pharmaceutique en général – plus particulièrement, à la transparence des aides et des financements publics destinés à l'industrie pharmaceutique française. Cette dernière fait souvent l'objet de fantasmes, qu'il faut traiter de manière objective. Il est vrai que les relations financières entre l'industrie pharmaceutique et les pouvoirs publics sont peu lisibles – subventions, crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, crédit d'impôt recherche, remboursement par l'assurance maladie, actionnariat, commande publique, reversement de fonds par le privé à l'assurance maladie… – , et que certaines entreprises, françaises ou étrangères, ont parfois abusé de la confiance de l'État, comme Sanofi au sujet de la Dépakine – je vous renvoie, à ce propos, au rapport de Mme Louwagie consacré à la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2021.
Quatrièmement, la proposition de résolution évoque l'universalité de l'accès au vaccin. La France est impliquée dans l'initiative mondiale ; elle participe notamment à l'accélérateur ACT, qui vise à mettre en commun les ressources déployées au niveau mondial entre les États, les entreprises privées et les fondations, pour accélérer la recherche et diffuser les moyens de lutte contre la pandémie de covid-19. Gardons à l'esprit que les pays riches ne pourront se contenter d'une vaccination de leur population, bien qu'elle soit prioritaire. Pour le groupe Les Républicains, la vaccination dans les pays pauvres et en développement constitue un enjeu majeur à plusieurs égards, économique et sanitaire.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera pour cette résolution, avec les réserves que je viens d'exprimer.
Applaudissements sur les bancs des groupes LR et Agir ens.
Permettez-moi, avant tout, d'associer le vice-président Sylvain Waserman aux propos qui vont suivre – propos qui sont les siens et que j'ai l'honneur de partager avec vous.
Nous examinons la proposition de résolution présentée par Vincent Ledoux et le groupe Agir ensemble, relative à l'accès universel, rapide et équitable au vaccin contre la covid-19. À quoi servent les résolutions votées par le Parlement ? Si je pose la question, c'est que dans le débat public, on entend de toutes parts que la crise sanitaire et l'état d'urgence sanitaire – quoique débattus et adoptés dans l'hémicycle – bafouent et brident la démocratie. Les résolutions que soutiennent les parlementaires sont un moyen fort d'expression démocratique. Elles sont utiles dans diverses circonstances : lorsqu'il s'agit de faire face à un moment particulier de l'histoire, de répondre à un enjeu majeur pour nos concitoyens, ou encore de guider l'action gouvernementale par la voie des représentants de la nation. Nous nous trouvons dans un de ces moments. Les commentateurs et autres donneurs de leçons refont le match après coup, mais c'est le Parlement qui exprime sa voix sur le fond.
Face à la crise sanitaire mondiale et aux crises humaine, sociale et économique qu'elle engendre, le confinement, bien que nécessaire, ne peut être une solution durable et tenable. La réponse doit être mondiale – et pour ce qui nous concerne, particulièrement européenne. Le Président de la République Emmanuel Macron – car c'est ainsi qu'on l'appelle, je le dis à M. Ruffin qui est malheureusement parti – l'a dit à plusieurs reprises, notamment lors de son allocution de mardi : la France défend le principe d'un accès universel au vaccin. La tradition française a toujours été celle de la solidarité, et elle le restera, en particulier en matière de santé publique. Il s'agit en effet d'assurer un accès universel et équitable au vaccin, et l'Union européenne est un atout majeur dans l'application de ces principes.
Toutefois, comme l'a rappelé le Président de la République, ce principe d'universalité n'implique en aucun cas de rendre le vaccin obligatoire. Ce serait contre-productif, à l'heure où certains de nos concitoyens sont réticents quant aux bienfaits de la science, et où recule la confiance dans une science dont nous avons pourtant tant besoin. Nous devons trouver d'autres moyens pour inciter nos concitoyens à recourir au vaccin. Je ne doute pas qu'ils sauront faire le bon choix pour le bien commun, comme ils l'ont fait depuis le mois de mars et le premier confinement.
Pour garantir un accès rapide au vaccin, l'action du Gouvernement doit être mesurée et efficace. L'importance que revêt la vaccination dans la gestion et, surtout, dans la sortie de la crise sanitaire, requiert de favoriser la cohérence et l'efficacité plutôt que la précipitation. Le vote de la présente résolution permet d'affirmer la volonté du Parlement de soutenir le Gouvernement dans cette démarche. En invitant le Gouvernement à transmettre au Parlement une évaluation chiffrée des politiques publiques menées en la matière et à recenser les aides et financements publics destinés à l'industrie pharmaceutique, le Parlement reconnaît l'importance d'un débat démocratique et transparent, auquel je suis particulièrement attachée. J'ajoute que cela vaut tant au niveau national, où des investissements budgétaires importants sont réalisés, qu'au niveau communautaire, où nous nous coordonnons avec les États membres, et international, où notre engagement dans l'Organisation mondiale de la santé est fort.
Comme l'a affirmé le Président de la République, le vaccin contre la covid-19 sera un bien public mondial : la maladie n'ayant pas de frontières, le vaccin ne doit pas non plus en avoir. C'est pourquoi le groupe MoDem et démocrates apparentés votera en faveur de cette résolution, qui réaffirme l'engagement de la majorité de faire de la santé de nos concitoyens une priorité.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et Agir ens.
Notre collègue Vincent Ledoux et le groupe Agir ensemble nous soumettent une proposition de résolution visant à assurer un accès universel, rapide équitable au vaccin contre la covid-19. S'agissant du caractère universel, notre groupe ne peut qu'adhérer à votre volonté de faire du vaccin un bien public mondial – nous avons d'ailleurs formulé une demande similaire dans notre proposition de résolution no 3543. À défaut, il nous semble essentiel que le Gouvernement agisse avec ses partenaires européens et avec l'OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques – pour financer l'accès de tous au vaccin dans les pays les plus pauvres. Vous proposez, pour ce faire, que les États rachètent les brevets des laboratoires dont les candidats vaccins aboutiront positivement.
Cette proposition pose plus largement la question des stratégies de financement public dans le développement et la production des vaccins. En la matière, la France est très en retrait par rapport aux États-Unis ou à l'Allemagne. Les États-Unis ont déployé un programme appelé Warp Speed, doté de plus de 10 milliards de dollars, en faveur de la recherche, du développement et de la production de vaccins et d'antiviraux contre la covid-19, avec l'objectif d'obtenir 300 millions de doses à compter de janvier 2021. Le pays a pris des positions dans tous les candidats vaccins avancés à ce jour, que ce soit par AstraZeneca Moderna, Pfizer, Johnson & Johnson, Novavax ou Sanofi.
Concernant le vaccin français, par exemple, l'État fédéral a mobilisé 2,1 milliards de dollars pour soutenir la recherche, le développement et la production de 100 millions de doses, avec une option d'achat de 500 millions de doses supplémentaires. L'Allemagne, pour sa part, a débloqué 750 millions d'euros pour soutenir trois projets de recherche : 375 millions pour BioNTech, partenaire de Pfizer, 252 millions pour CureVac et 114 millions pour IDT Biologika.
De son côté, la France a ouvert une enveloppe modeste de 200 millions d'euros dans le cadre du programme d'investissements d'avenir, dont 120 millions pour soutenir les capacités de production de vaccins et de traitement, et 80 millions destinés aux essais thérapeutiques de phases 1, 2 et 3 pour les candidats vaccins contre la covid-19. Lorsque d'autres candidats médicaments prometteurs ont été identifiés en France, comme le clofoctol par l'Institut Pasteur de Lille, le seul financeur public à s'être manifesté fut la région Hauts-de-France, à hauteur de 780 000 euros. Le mécénat de LVMH a permis de financer l'essentiel de l'étude, à hauteur de 5 millions d'euros.
Il ne s'agit ici que des investissements que nous avons pu identifier dans les annexes budgétaires, car, contrairement aux pays précités, nous n'avons pas une vision précise des financements publics engagés dans la recherche contre la covid-19. Aussi soutenons-nous votre demande d'une plus grande transparence quant à ces financements. Cette transparence est d'autant plus essentielle que les collusions, supposées ou réelles, entre les responsables publics, les médecins et les laboratoires sont au coeur de la défiance de nos concitoyens à l'égard des vaccins et de la parole scientifique. La transparence est donc une condition d'efficacité de la vaccination – cet argument nous conduira à soutenir la résolution.
Cependant, votre proposition de résolution ne dit rien de la stratégie vaccinale que nous attendons du Gouvernement, et envers laquelle nous avons de nombreuses exigences. Instruit par l'expérience des derniers mois, le Gouvernement doit savoir qu'il ne peut susciter une adhésion nationale qu'en associant pleinement toutes les composantes du Parlement. Nous demandons que le Premier ministre, sur le fondement de l'article 50-1 de la Constitution, présente sa stratégie vaccinale au Parlement, et qu'elle donne lieu à un débat. Si le Président de la République a été clair, mardi soir, quant au caractère non obligatoire de la vaccination, il est resté vague quant à la définition des publics prioritaires, n'évoquant que les personnes les plus âgées. Nous demandons des précisions concernant le périmètre des personnes prioritaires et le phasage de leur vaccination – selon nous, les personnels soignants, les métiers les plus exposés et les personnes à risque doivent être prioritaires.
Nous demandons également que soient présentées les modalités pratiques de déploiement de cette stratégie : quelles seront les conditions d'approvisionnement en vaccins et de stockage des doses ? La réponse est d'autant plus complexe que certains vaccins devront être conservés en surgélation. Comment seront distribués les vaccins, et comment se répartiront les centres de vaccination sur le territoire ? Les collectivités locales seront-elles mobilisées ? Quel est l'état exact des doses réservées par la France, directement ou par l'intermédiaire de l'Union européenne ? Il se peut, naturellement, que le Gouvernement ne dispose pas de toutes les réponses, mais il a devoir de le dire – vu le contexte, nous pourrons le comprendre. Le Premier ministre ne nous a pas éclairés sur ces sujets lors de son intervention de ce matin ; nous vous invitons à l'enjoindre d'y procéder devant le Parlement dans les meilleurs délais, monsieur le secrétaire d'État, afin que nous puissions en débattre.
La discussion générale est close.
Sur la proposition de résolution, je suis saisie par le groupe Agir ensemble d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles.
La proposition de résolution que nous examinons est de celles qui suscitent spontanément l'adhésion : les principes qu'elle porte haut sont profondément égalitaires ; l'ambition qui l'anime est la même que celle qui fonde notre modèle de protection sociale. Depuis quelques jours, une lueur d'espoir parcourt le monde ; nous devons nous en réjouir collectivement, après de longs mois de lutte contre une épidémie aussi brutale qu'inattendue. Nous avons tous besoin d'une certaine dose d'optimisme, et la perspective raisonnable d'une arrivée prochaine de vaccins y participe.
La prudence doit néanmoins rester de mise : il est encore trop tôt pour crier victoire ; de nombreuses incertitudes demeurent quant au calendrier de disponibilité d'éventuels vaccins en quantité suffisante ; enfin, une stratégie extrêmement rigoureuse de vaccination devra, en temps voulu, être précisée par le Gouvernement – nous avons commencé à y travailler.
Depuis le début de cette crise sanitaire inédite, le Gouvernement et l'État ont pris leurs responsabilités. La santé pour chacun, la solidarité pour tous : voilà nos valeurs, voilà nos exigences. Les soignants en première ligne et ceux qui font tourner l'économie au quotidien, toutes et tous, les Françaises et les Français, se sont mobilisés et ont tenu. Si nous ne devions retenir qu'un mot d'ordre, qui aura été le credo de la nation tout du long, c'est bien celui de ne laisser personne au bord du chemin.
Le milieu de la recherche est lui aussi pleinement engagé. Il est en train de réaliser la prouesse, en quelques mois seulement, de trouver un vaccin contre la covid-19. C'est dès à présent que nous, responsables politiques, devons déterminer les meilleures conditions de son déploiement. Plusieurs exigences sont incontournables : la transparence des investissements en fait partie, et le ministère des solidarités et de la santé y est, vous le savez, particulièrement attaché. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 consacre d'ores et déjà un certain nombre de mesures à cette transparence non seulement légitime dans un État de droit, mais ô combien nécessaire à l'heure où les marchands de conspiration trouvent dans cette crise de nouvelles ressources.
Je rappelle que nous travaillons, au niveau européen, à la fixation d'un prix juste pour les futurs vaccins contre la covid-19, à travers des mécanismes d'achats groupés tenant essentiellement compte du coût de production des firmes pharmaceutiques. Personne ne devrait avoir à payer davantage que ce prix juste. C'est ce que nous nous employons à garantir avec les entreprises.
Chaque euro consacré à l'achat de vaccins sera documenté, tracé et justifié. Le ministère des solidarités et de la santé est aussi celui de l'équilibre et de la sincérité des comptes sociaux. Je mesure à la fois l'évidence et l'importance de le rappeler à la représentation nationale.
J'en viens à la question de l'universalité. Comment ne pas souscrire à l'ambition présentée et largement partagée à travers le monde de faire de l'accès à ce vaccin un droit humain fondamental et imprescriptible ? De Paris à Tokyo, de New York à Bamako, nous sommes tous confrontés à une même crise, à une même peur, à de mêmes risques. Je vous rappelle, mesdames et messieurs les députés, que c'est notamment à l'initiative de la France qu'a très tôt été mise en avant cette approche selon laquelle le vaccin contre la covid-19 devrait être un bien public mondial. Dès le 16 avril, auprès de M. Tedros, puis de nouveau le 24 avril, le Président de la République a utilisé cette expression de bien public mondial.
À plusieurs occasions, il a exprimé et soutenu cette idée, encore lors du lancement de l'accélérateur ACT – le dispositif pour accélérer l'accès aux outils de lutte contre la covid-19, que certains d'entre vous ont mentionné – , mais aussi lors de l'Assemblée mondiale de la santé et du Sommet mondial sur la vaccination. Donner accès au vaccin à certains et pas à d'autres serait une faute morale. Afficher une division voire une concurrence entre pays serait une faute morale. Ce n'est pas notre conception ni de la santé ni de la coopération internationale. Ce n'est pas à cela que nous voulons que ressemble la vie après la covid-19.
Je vous le garantis : l'Europe n'agira pas en ordre dispersé. En ce moment même, nous conjuguons nos forces avec celles de nos partenaires pour mettre en oeuvre une stratégie vaccinale concertée et coordonnée qui permettra à chacun de pourvoir aux besoins des populations. C'est l'exigence que défend notre pays, la France. Nous soutenons toutes les initiatives internationales. L'excellence de la recherche européenne fait – il faut nous en réjouir – que nous aurons sans doute accès au vaccin avant d'autres. C'est là, mesdames et messieurs les députés, que les actes pourront rejoindre les paroles. Le partage des doses de vaccin, dès le premier accès, est un engagement qui sera tenu. Nous prendrons toute notre part aux démarches multilatérales de rétrocession d'une partie de nos doses pour la vaccination des personnels soignants des pays les plus pauvres. Plus que jamais, nous devons rester solidaires et nous le resterons. L'Europe des solidarités, que le Président de la République promeut depuis plus de trois ans, constitue le cadre pertinent pour répondre à un défi de cette ampleur.
Les enjeux soulevés par cette proposition de résolution sont au coeur des travaux de l'ensemble des acteurs de la gestion de la crise. Chacun mesure que le déploiement des vaccins doit suivre une partition millimétrée, sans faute, sans approximation et sans la moindre place laissée à l'improvisation. Il y a un enjeu de transparence, et toutes les garanties sont prises pour que chaque euro dépensé le soit à bon escient. Il y a un enjeu d'universalité : nous ne pouvons imaginer un seul instant que des pays soient privés de ce vaccin. Une crise sanitaire internationale appelle une solidarité internationale ; c'est tout autant une question d'efficacité pour permettre une couverture vaccinale mondiale suffisante qu'une question – surtout – morale. À cet égard, la France sera au rendez-vous.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Agir ens et Dem.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 68
Nombre de suffrages exprimés 67
Majorité absolue 34
Pour l'adoption 66
Contre 1
L'article unique est adopté, ainsi que l'ensemble de la proposition de résolution.
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens.
L'ordre du jour appelle la discussion, en application de l'article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de M. M'jid El Guerrab pour la création d'une Communauté méditerranéenne des énergies renouvelables (no 3462).
Pour le poète et philosophe malien Amadou Hampâté Bâ, « les hommes peuvent atteindre un but commun sans emprunter les mêmes voies ». Cette maxime illustre parfaitement ce qu'est le rêve méditerranéen : la volonté séculaire des peuples de faire de cette mer – mare nostrum, notre mer en latin, Al-Bahr Al-Abyad Al Muttawasit, la mer du milieu en arabe – notre bien commun.
Aujourd'hui, pourtant, la Méditerranée est en danger. Après l'Arctique, elle est la région du monde la plus touchée par le réchauffement climatique, comme l'ont démontré les travaux préliminaires menés par le réseau méditerranéen d'experts sur les changements climatiques et environnementaux. Les indicateurs sont au rouge : réchauffement accéléré et plus rapide de 20 % que n'importe où ailleurs sur la planète, décroissance des précipitations – les experts s'accordent sur une réduction future de 20 % à 40 % – et hausse inexorable du niveau de la mer. Cette situation met en danger les sociétés humaines et les écosystèmes, ainsi qu'en témoigne la multiplication d'épisodes météorologiques « méditerranéens » de plus en plus violents, comme les intempéries qui ont récemment frappé les Alpes-Maritimes.
Face à ce constat, où que l'on se trouve sur le pourtour méditerranéen, il nous faut agir collectivement et de façon concrète et concertée. C'est tout le sens de la proposition de résolution que j'ai l'honneur de vous soumettre avec plusieurs collègues, afin que soit créée la Communauté méditerranéenne des énergies renouvelables – CEMER.
L'idée est simple : imaginer ensemble, sur le modèle de ce que fut la Communauté européenne du charbon et de l'acier dans l'histoire de l'Union européenne, un partenariat en Méditerranée entièrement tourné vers la production et le partage d'énergies vertes. Dans une démarche de dialogue entre les États et les sociétés civiles des deux rives de la Méditerranée occidentale, la CEMER est d'abord une suite donnée aux accords de Paris sur le climat, en application desquels notre pays s'est engagé à porter à 32 % la part des énergies renouvelables dans sa consommation énergétique totale d'ici à 2030. Elle s'inscrit également dans le cadre des objectifs de développement durable de l'Organisation des Nations unies, répondant directement à onze de ces dix-sept objectifs. Enfin, en se concentrant exclusivement sur la production d'énergies vertes, elle traduit l'idée si fondamentale pour la lutte contre le réchauffement climatique que tous les États sont acteurs de la grande transition que nous appelons de nos voeux et à laquelle, de part et d'autre de la Méditerranée, tous ont la légitimité pour participer.
Alors que nous célébrons le vingt-cinquième anniversaire du processus de Barcelone lancé en 1995, il est grand temps de relancer la coopération méditerranéenne, dans la continuité du projet d'Union pour la Méditerranée – UPM – , du dialogue 5+5 ou encore du récent sommet des deux rives.
Pour ce faire, nous faisons le pari d'un retour à l'essentiel, à notre horizon naturel, qu'aucun obstacle – sinon conceptuel – n'a jamais entravé. Nous prônons un retour à l'idée de bâtir ensemble, Nord et Sud dans l'unité : c'est tout le sens du terme « communauté » qui résume l'esprit de cette résolution et que nous devons avoir le courage de défendre. Faire de la Méditerranée ce qu'elle a toujours été : un espace singulier de médiation, de métissage, et un modèle de possible développement. Si j'osais reprendre une expression devenue célèbre, je dirais : « Make Mediterranean great again ! »
En français dans le texte !
L'histoire, en effet, regorge d'exemples qui illustrent combien les moments de crise peuvent être à l'origine de changements profonds et la source d'audaces dont nous ne serions d'ordinaire pas capables. La pandémie de covid-19 nous rappelle cette évidence : nous devons multiplier les stratégies d'alliance en renforçant nos politiques de voisinage immédiat, notamment avec nos partenaires méditerranéens. Avec la CEMER, c'est aussi en faveur de la cause du multilatéralisme que nous plaidons, dans une démarche de régionalisation cohérente et structurée autour d'une thématique qui a fait ses preuves ailleurs dans le monde.
Dès lors, quel format pour la CEMER ? Elle pourrait dans un premier temps se composer de la France, de l'Espagne et de l'Italie au Nord, du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie au Sud, sans exclure l'intégration future d'autres pays volontaires. À cet égard, je suis rentré ce matin même de Mauritanie – pays qui, sans posséder de façade méditerranéenne, a le coeur dans notre mer. L'objectif serait de privilégier une organisation Nord-Sud en format restreint, dans un ensemble géographique et géopolitique compact qui permettra d'éviter les dispersions du passé.
Se pose ensuite la question des énergies qui relèveraient de la compétence de la CEMER. Dans cette région forte de son ensoleillement, de ses vents, de ses courants marins, toutes les sources sont à étudier : solaire photovoltaïque, solaire thermique à basse et à haute température, éolien, hydraulique, hydroélectricité, géothermie, biomasse, biogaz, biocarburants ou encore hydrogène vert. Les énergies renouvelables sont nombreuses, chacune avec ses spécificités qu'il conviendra d'étudier avec l'ensemble des parties prenantes pour établir un partenariat juste et gagnant-gagnant au service d'une véritable stratégie globale.
Or cette stratégie ne pourra s'établir qu'en renforçant les partenariats scientifiques et académiques entre instituts de recherche et universités des deux rives capables d'apporter une expertise et de formuler des recommandations claires à l'ensemble des décideurs politiques ; c'est la base de tout projet. En ce sens, la CEMER formera un espace de savoir et d'échanges où pourraient se réunir autour d'une même table des décideurs politiques, des acteurs de la société civile et des experts des questions climatiques. Nos compatriotes de l'étranger, dont je suis un fier représentant, pourraient également y jouer un rôle de premier plan : ils constituent déjà une passerelle entre les deux rives.
En effet, l'innovation est le facteur essentiel qui permettra au secteur énergétique de fournir des solutions fiables, rentables et durables. L'objectif de la coalition est d'accélérer le développement des énergies et des technologies permettant de relever les défis d'une mobilité durable dans les secteurs de l'industrie, du transport et de la logistique. En Méditerranée, les écosystèmes marins sont soumis à d'importantes pressions et à des risques sans commune mesure avec d'autres régions, qui menacent la biodiversité, la sécurité alimentaire, les ressources naturelles et même la santé humaine. Ce sont les bases d'une pax mediterranea environnementale qu'il nous faut établir, la seule qui puisse assurer la sérénité et la prospérité de nos enfants.
Selon un format ad hoc qui pourrait reposer sur un consortium d'universités et d'entreprises volontaires, entre autres, la CEMER serait un espace de dialogue entre acteurs privés, entreprises comme organisations non gouvernementales, car leur participation facilitera notamment la recherche de fonds. Le soutien politique des différents États accompagnera naturellement ce projet en lui donnant sa force et sa crédibilité. De nombreux financements existent, à l'instar de l'Agence française de développement, de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement ou encore de la Banque africaine de développement.
La CMER permettra d'ailleurs d'identifier tous ces projets qui se chevauchent parfois pour les fédérer enfin et, pourquoi pas, les labelliser. Il nous faudra néanmoins veiller à ce qu'une telle communauté s'appuie sur des partenaires compétents et forces de proposition en matière d'ENR. S'il doit être porté politiquement, il faut que le scientifique, le technique et l'économique côtoient le politique en bonne intelligence.
Vous l'aurez compris, la proposition de résolution que je vous soumets se veut le premier pas d'un projet ambitieux, la première pierre d'un édifice à la hauteur des défis écologiques que nous devons collectivement assumer et sur lesquels notre pays a le devoir de faire preuve d'audace. Après ce vote, j'irai moi-même faire une tournée des pays de ma circonscription pour essayer de convaincre mes homologues méditerranéens – je sais qu'ils sont déjà très attentifs.
Mes chers collègues, la cause climatique est transpartisane. Notre géographie fait de nous ce que nous sommes et définit, depuis l'origine de l'humanité, la nature des rapports que nous choisissons d'entretenir avec nos voisins. De Tunis à Barcelone, d'Alger à Gênes, de Marseille à Tanger, c'est la Méditerranée qui nous unit. Dans cette Méditerranée occidentale, dans ce Maghreb, dans cet espace du couchant, les énergies renouvelables sont une formidable opportunité pour éclairer notre avenir. Alors, mes amis, osons.
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens et sur quelques bancs du groupe LaREM. – M. Jean-Luc Mélenchon applaudit également.
La région méditerranéenne couvre 9 millions de kilomètres carrés ; elle comprend vingt-cinq pays et se situe stratégiquement au carrefour de l'Europe. Cette géographie en fait un important corridor de transit pour les marchés énergétiques mondiaux. Estimé à près de 280 milliards de dollars annuels, l'investissement mondial dans les énergies renouvelables apparaît comme une tendance non plus conjoncturelle mais bien structurelle pour l'ensemble des pays.
Pourtant, nous constatons une lenteur des investissements malgré des opportunités reconnues et une volonté politique de plus en plus affirmée. Si tous les pays, du Nord comme du Sud, ont pris des engagements fermes d'atténuation des émissions de CO2 dans le cadre de l'accord de Paris pour le climat, le rythme et l'ampleur des efforts et des ambitions restent très variables, pour ne pas dire faibles, dans la zone sud de la Méditerranée.
En ce sens, l'idée d'un partenariat inclusif en Méditerranée autour du développement durable est une initiative bienvenue en raison du retard actuel de certains pays du sud de la Méditerranée. Néanmoins, la construction d'une nouvelle structure pérenne ne semble pas nécessaire aujourd'hui ; elle viendrait au contraire ajouter de la confusion aux actuelles politiques sectorielles de la région. En effet, de nombreuses structures s'efforcent déjà d'accompagner et d'influencer ces pays en faveur du développement des énergies renouvelables : je pense à l'Association méditerranéenne des agences nationales de maîtrise de l'énergie, qui réunit douze organisations nationales des rives nord et sud de la Méditerranée chargées de l'efficacité énergétique et de la promotion des énergies renouvelables.
Je pense aussi à l'Observatoire méditerranéen de l'énergie, l'OME, ainsi qu'à l'Union pour la Méditerranée, qui a énormément oeuvré en faveur de la transition énergétique dans les pays du sud de la Méditerranée en stimulant le développement durable grâce à des initiatives et à des projets concrets, comme le projet SPREF – SEMed private renewable energy framework – , qui vise, avec le soutien de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, à permettre aux pays concernés d'atteindre leurs objectifs en termes d'énergies renouvelables et de réduction de leurs émissions de CO2.
Vous le voyez, la Méditerranée est déjà un espace d'échanges et de coopération, et nous craignons que votre structure ne porte atteinte à la visibilité des acteurs déjà présents dans la zone. Il serait malvenu de créer une réplique de l'UPM exclusivement bornée aux énergies renouvelables.
Surtout, n'oublions pas que les pays de la zone sud de la Méditerranée doivent déjà se conformer à une série de directives européennes et de programmes nationaux. Appliquons déjà les objectifs européens, et laissons l'Europe dialoguer avec les différentes parties prenantes sur le sujet afin d'accompagner les pays en retard. Est-il vraiment raisonnable de vouloir faire la même chose en moins bien ?
Convaincus que chacun, individuellement et collectivement, peut contribuer à la transition énergétique en Méditerranée, nous ne défendons pas dans le contexte actuel la création d'une nouvelle structure. À cet égard, le groupe UDI et indépendants souhaite laisser à l'Europe le soin de continuer son action dans la région. Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas pour cette résolution.
Nous déplorons que ce berceau de civilisations, d'empires puissants, ce théâtre de guerres dévastatrices mais surtout cette route millénaire pour les cultures, le commerce, les savoirs, la mer Méditerranée ait été depuis maintenant plusieurs décennie, au mépris de son histoire millénaire, érigée en frontière plutôt qu'en voie de rapprochement des peuples. Des initiatives récentes sont certes à noter – partenariat Euromed, Union pour la Méditerranée, coopérations décentralisées – mais elles demeurent beaucoup trop timides ou beaucoup trop politisées.
Dans le même temps, six ans après la fin de la deuxième guerre mondiale et de l'affrontement entre l'Allemagne et la France – et bien au-delà – , les États européens surmontaient leurs divisions et écrivaient une nouvelle page de leur histoire, créant en 1951 la Communauté européenne du charbon et de l'acier, la CECA. Leur motivation était double : économique, l'acier et le charbon étant la base de l'industrie de l'énergie en France, en Allemagne, en Europe ; politique car la CECA, en liant les États au sein d'un marché unique, empêchait l'éclatement d'un nouveau conflit. Soixante-dix ans plus tard, nous pouvons nous féliciter de la période de paix qui s'en est suivie et qui perdurera.
Aujourd'hui, le groupe Agir ensemble, à l'initiative de notre collègue M'jid El Guerrab – que je salue et remercie – , qui, par son action de député, s'attache à retisser le lien entre les deux rives de la Méditerranée, propose que nous renouvelions l'expérience en soutenant l'essor des énergies renouvelables. Les motivations sont, à peu de choses près, les mêmes : économiques, car la transition énergétique est l'un des piliers de la croissance verte ; politiques, car la création d'un projet commun permettrait de surmonter les tensions géopolitiques entre les pays du pourtour méditerranéen.
À cela vient s'ajouter une nouvelle dimension, la dimension écologique. La Méditerranée est particulièrement vulnérable face au dérèglement climatique. Elle se réchauffe 20 % plus vite que le reste du globe, et nous en voyons poindre les conséquences : sécheresse extrême, inondations dues à des pluies intenses, avancée du désert. Les deux rives sont menacées par ce que j'appellerai les dix plaies d'Égypte de notre temps : l'érosion des sols, la disparition des terres agricoles et de la biodiversité, la dégradation des forêts, la recrudescence des incendies, l'arrivée d'espèces invasives, la multiplication des pathogènes et des pollutions, notamment de la pollution plastique : la mer Méditerranée pourrait devenir une mère morte dans quelques dizaines d'années, tuée par le plastique.
Le réchauffement climatique ne connaît pas de frontières ; nous ne pouvons pas le limiter sans une action collective. C'était d'ailleurs et c'est toujours l'ambition de l'accord de Paris : un certain nombre d'États, dont ceux visés par cette proposition de résolution, se sont engagés à cette occasion à limiter la hausse des températures en dessous de 2 degrés, voire 1,5 degré, d'ici à la fin du siècle. Les intentions sont là, des deux côtés de la Méditerranée, mais il faut aller plus loin.
L'Union européenne s'est fixé comme objectif d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. Le Maroc, pour ne citer que lui, ambitionne de porter la part des énergies renouvelables dans sa production énergétique à plus de 52 % dès 2030. La Tunisie, pour sa part, démarre sa transition : la production d'électricité de sa première centrale photovoltaïque, inaugurée à Tozeur en septembre 2019, pourra assurer 14 % de la consommation annuelle de la région.
Tous l'ont compris, le renforcement du rôle des énergies renouvelables, de l'efficacité énergétique, n'est plus un choix, c'est une nécessité. En revanche, force est de constater que les investissements ne sont pas à la hauteur, ni les volontés politiques, qui aujourd'hui ne s'affirment pas pleinement, alors que les opportunités existent et qu'elles ne sont pas saisies. La mise en oeuvre d'une communauté méditerranéenne des énergies renouvelables pourrait permettre de changer d'échelle et d'accélérer la transition énergétique des deux côtés de la Méditerranée. Cela serait un signe majeur pour l'ensemble de la planète que les peuples peuvent s'unir pour affronter ensemble les dangers à venir.
Je ne suis pas naïf pour autant : je sais que la réussite d'un tel projet suppose que certaines conditions préalables soient réunies. Du côté des pays du sud et de l'est de la Méditerranée, les interconnexions sont encore à mettre en place. Un réseau électrique transméditerranéen plus fluide est nécessaire pour supporter les échanges dans les deux sens et permettre de gérer un accroissement massif de la production d'électricité d'origine renouvelable, notamment photovoltaïque.
Il conviendrait en outre de trouver un compromis avec des pays clés en matière de transit nord-sud, notamment l'Espagne et l'Italie, dont les marchés souffrent aujourd'hui de problèmes de surcapacité et qui sont plutôt méfiants sur ces enjeux.
Reste enfin à définir les contours de cette structure de coopération régionale renforcée : se limitera-t-elle à mutualiser certains efforts de recherche ou son objectif sera-t-il de mettre en oeuvre un véritable consortium industriel ?
Parce que nous souhaitons faire preuve d'imagination et d'ambition et que nous voulons être à la hauteur des enjeux politiques, économiques, environnementaux du bassin méditerranéen, mon groupe votera en faveur de cette proposition de résolution, qui constitue pour nous un premier pas vers une communauté de destin. Ayons l'audace d'une ambition humaine partagée. Je renouvelle mes remerciements à notre collègue M'jid El Guerrab.
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens.
Je voudrais féliciter notre collègue M'jid El Guerrab pour cette magnifique proposition, dont le premier intérêt est de ramener le débat là où il doit être posé : en Méditerranée. Il est vrai que l'Union pour la Méditerranée, dont le président Sarkozy avait eu l'idée – la bonne idée – , a été défigurée sous la pression allemande qui a conduit à son extension à l'ensemble de la Méditerranée, rendant pratiquement impraticable quelque politique que ce soit, dès lors qu'elle englobe Israël, Chypre, la Turquie, la Grèce, c'est-à-dire des gens qui ont toutes sortes de problèmes entre eux et n'ont envie d'en régler aucun.
L'aire dans laquelle nous pouvons agir et être utiles, nous autres Français, et où nous avons les intérêts les plus importants, spirituels autant qu'économiques, c'est le petit bassin de la Méditerranée, cadre dans lequel se situe précisément cette proposition. C'est pourquoi elle n'est pas redondante par rapport à d'autres, elle ne s'y oppose pas non plus et elle n'empiète pas sur leur champ : elle a son originalité, qui est son cadre. Vous avez raison Monsieur El Guerrab, la question se pose quasi immédiatement, par référence à l'initiative 5 +5, de la présence de la Mauritanie dans cette ensemble, où elle a une place naturelle.
Contrairement à ce qui a été dit, on ne peut pas compter sur l'Europe pour faire le travail parce que celle-ci considère la Méditerranée comme une sorte de pédiluve du continent : il suffit pour s'en faire convaincre de voir que les droits qui valent en mer Baltique ne sont pas reconnus en mer Méditerranée, ce qui est en soi un signal très fort de son indifférence à ce sujet.
Si vous voulez bien y réfléchir, monsieur El Guerrab, ainsi que vos collègues cosignataires – et je vous demande de me faire l'honneur de me considérer comme un des leurs…
… – il n'est pas possible de compter sur une initiative européenne dans ce domaine : investir suffisamment d'argent public dans les énergies renouvelables est impossible dans le cas des traités budgétaires ; reconstituer des entreprises publiques de l'énergie est incompatible avec les directives sur la libéralisation du marché de l'énergie ; utiliser le levier des marchés publics pour favoriser les entreprises de la filière renouvelable méditerranéenne serait considéré comme discriminatoire.
C'est à vous de voir comment vous comptez résoudre ces contradictions. Pour ma part, je les vois et je les surmonte en votant pour votre texte, qui à mes yeux est utile. Il viendra compléter le programme que je compte présenter à l'élection présidentielle, « L'avenir en commun ». En effet celui-ci prévoit déjà, dans point 51, d'« unir le petit bassin méditerranéen autour d'objectifs communs de progrès », en réunissant la France, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la Grèce, l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie.
Vous avez à juste titre fait apercevoir à nos collègues le drame qui pourrait se nouer si nous n'intervenons pas. La mer Méditerranée n'est reliée à l'océan mondial que par un détroit de 14 kilomètres entre Tanger et Gibraltar. Or elle s'évapore plus vite que toutes les autres étendues d'eau de de de la planète. Chaque degré supplémentaire accroît cette évaporation de 7 %, ce qui laisse prévoir des catastrophes climatiques terribles et une dégradation du rendement des sols et des cultures céréalières et vivrières.
Dès lors, la question de l'énergie est en effet essentielle. C'est parce que nous accéderons à beaucoup d'énergie que nous pourrons traiter les immenses chantiers qu'il va falloir traiter : celui de l'épuration des eaux usées, celui de la liquidation du plastique dans la mer Méditerranée – car, à la cadence actuelle, il y aura dans cinquante ans plus de plastique que de poissons en Méditerranée – mais également celui du reboisement, car c'est le déboisement millénaire qui a provoqué l'assèchement constaté dans nombre de pays du littoral.
Tout ce qui peut faire de la Méditerranée un nouveau centre d'intérêt pour la France constitue un rééquilibrage de sa vision du monde qui est indispensable. Au demeurant, nous n'avons pas à être seulement un trait d'union, car nous sommes l'union elle-même : je rappelle qu'il y a parmi nous 2 millions de binationaux franco-algériens – 3,5 millions si l'on passe à la deuxième génération – , 800 000 franco-tunisiens et 700 000 franco-marocains. La France est une nation intimement méditerranéenne, et votre projet permet de lui donner une signification concrète.
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens. – M. François-Michel Lambert applaudit également.
Monsieur El Guerrab, votre texte souhaite redonner du souffle à la dynamique engagée en 1995 avec le processus de Barcelone, qui visait au renforcement, d'une part, du dialogue politique et sur la sécurité, et, d'autre part, de la coopération économique, financière, sociale et culturelle au sein de l'espace méditerranéen.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si c'est à la veille du cinquième forum régional de l'Union pour la Méditerranée que vous présentez cette proposition de résolution, cette union qui date de 2008 et dont la création traduisait déjà la volonté d'enclencher un large processus d'intégration des pays méditerranéens, en accompagnant leurs programmes de réforme, notamment dans le domaine de l'énergie. En 2016, les ministres de l'énergie euro-méditerranéens insistaient ainsi sur la nécessité d'une nouvelle dynamique pour un cadre énergétique régional amélioré.
Parallèlement à ces initiatives, l'Union européenne a mis en oeuvre à compter de 2004 une politique européenne dite de voisinage, qui, en matière énergétique, misait sur l'efficacité énergétique et, plus particulièrement, sur la promotion des ressources en énergies renouvelables.
Cette politique s'inscrivait toutefois dans une logique bilatérale quelque peu contradictoire avec les ambitions d'intégration portées par l'Union pour la Méditerranée, et nous partageons donc le constat qu'en dépit de la volonté affichée de renforcer le partenariat énergétique, l'Union européenne a jusqu'ici échoué à mettre en place une politique de coopération suffisante avec les pays du sud de la Méditerranée.
À nos yeux, l'échec du processus d'intégration ne tient toutefois pas uniquement à l'insuffisance du cadre institutionnel : il tient aussi aux orientations de la politique européenne de voisinage, qui a toujours conservé les mêmes axes et les mêmes objectifs. Sa conception du partenariat consistait avant tout en une intégration des marchés et une harmonisation du cadre juridique et réglementaire. Or cette approche libérale n'a pas manqué de susciter des résistances, et c'est ainsi qu'en 2013, l'Espagne et l'Italie se sont opposées à l'ambitieux projet de plan solaire méditerranéen porté par l'Union pour la Méditerranée, de crainte que sa mise en oeuvre n'entraîne du dumping tarifaire et des pressions sur leur marché intérieur. À ce jour, rien n'indique que la situation ait évolué.
La coopération s'est ensuite heurtée à des obstacles politiques et diplomatiques. Chacun connaît le contexte très difficile qui est celui de l'est de la Méditerranée, qui explique que votre proposition se concentre sur la partie occidentale de la Mare Nostrum.
Même ainsi circonscrite, votre proposition soulève néanmoins des questions – l'enlisement du projet Desertec, qui prévoyait la mise en place de centrales thermiques à concentration sur divers sites en Afrique du Nord et d'un gigantesque parc éolien sur le littoral atlantique du Maroc en est un exemple.
Ainsi, récemment encore, le ministre algérien de l'énergie a dénoncé le fait que les investisseurs allemands voulaient, à travers ce projet, vendre à l'Algérie les équipements et la technologie pour l'exploitation des énergies renouvelables, en contrepartie du gaz algérien. Le gouvernement algérien a, plus globalement, fait valoir qu'avec la crise économique et une conjoncture financière très tendue, le pays ne pouvait plus se permettre de consentir d'aussi lourds investissements pour une rentabilité à long terme.
De sérieuses interrogations subsistent également sur les intentions du Maroc au sujet de la poursuite de projets d'installations éoliennes et photovoltaïques dans le Sahara occidental occupé, terre des Sahraouis.
Au plan diplomatique, rien d'indigne donc que la situation en France, en Europe ou au Maghreb crée un terrain favorable à la relance de la coopération dans le domaine des énergies renouvelables. Vous savez fort bien, par exemple, que le Maroc et l'Algérie ne se parleront pas, tant que la question sahraouie ne sera pas réglée.
Nous ne pouvons donc pour l'heure souscrire, faute en particulier de précisions sur ses contours et ses orientations politiques et économiques, à votre projet. J'ajoute que le démantèlement, avec le projet Hercule, de l'outil énergétique français qu'est EDF jette une lumière crue sur le rôle que la France pourrait jouer en matière de coopération internationale dans le champ stratégique des énergies renouvelables.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.
La proposition de résolution que nous examinons invite le Gouvernement à soutenir la création d'une Communauté méditerranéenne des énergies renouvelables, afin de participer à l'élaboration d'un partenariat inclusif en Méditerranée, autour d'une cause qui nous est chère : le développement durable. L'initiative est intéressante car, en s'inspirant de ce que fut la Communauté européenne du charbon et de l'acier, elle identifie des stratégies concrètes pour relancer, à partir de structures existantes, l'intégration et le développement en Méditerranée occidentale.
Je tiens à saluer l'ambition portée à travers elle par notre collègue M'jid El Guerrab. Il est temps, en effet, de donner une nouvelle dimension aux attentes que nous plaçons dans les relations méditerranéenne, et le fait que cette initiative s'inscrive dans le cadre de la promotion des énergies renouvelables et de la sauvegarde du climat est plus que salutaire.
Tout nous invite à impulser une dynamique nouvelle au champ méditerranéen. En effet, malgré les espoirs qu'ont pu susciter le sommet des deux rives et le partenariat pour la Méditerranée, les relations multilatérales entre la rive nord et la rive sud de la Méditerranée semblent au point mort. Si des projets ont émergé, les volontés affichées le cèdent à un déficit de coopération entre les pays des deux rives. Bien évidemment, des accords bilatéraux tentent de pallier cette insuffisance, mais nous ne saurions nous en satisfaire.
Pour enrayer cette tendance et mettre un terme aux replis nationaux, l'Europe doit donc s'engager plus activement dans la coopération qu'elle a mise en place avec les pays de la rive sud de la Méditerranée, partenaires naturels du Vieux Continent.
Si la proposition qui nous est soumise concerne la partie occidentale de la Méditerranée, je considère que nos débats doivent également intégrer la situation en Méditerranée orientale, car son voisinage immédiat et les troubles provoqués par les revendications territoriales turques à l'endroit de deux pays de l'Union européenne influent directement sur ce dont nous discutons ce soir. Ainsi, l'accord turco-libyen de délimitation maritime constitue un motif d'irritation majeur pour la Grèce, Chypre, Israël et l'Égypte, qui s'opposent aux visées turques. Liés entre eux par des grands projets énergétiques, ces États dénoncent la mainmise d'Ankara sur une zone prometteuse, craignant que l'accord ne vienne compliquer le projet de construction du gazoduc EastMed, destiné à acheminer le gaz méditerranéen vers l'Europe. Ce différend est à l'agenda de l'Union européenne, et il nous revient d'être vigilants en la matière.
Pour en revenir à cette proposition de résolution, l'expérience nous invite à veiller à ce qu'une communauté centrée sur les énergies renouvelables s'appuie sur des partenaires véritablement compétents et forces de proposition en la matière. Si elle doit répondre à des visées politiques, ses aspects techniques et scientifiques ne doivent pas être négligés dès lors que l'on veut obtenir des résultats vraiment satisfaisants et conformes aux accords de Paris.
En outre, la coopération que vous appelez de vos voeux devra également associer au mieux les universités et entreprises volontaires et sur ce point, les prochains projets du programme européen Horizon fléchés « Green Deal » constitueront sans aucun doute des sources de financement conséquentes.
L'esprit de cette proposition de résolution étant conforme à l'ambition consacrée par les accords de Marie de Paris, et compte tenu du consensus sur la nécessité de relancer la coopération entre les deux rives de la Méditerranée autour de projets concrets et ambitieux, le groupe La République en marche apportera son soutien à cette proposition de résolution pour la création d'une Communauté méditerranéenne des énergies renouvelables.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Agir ens.
Cette proposition de résolution vise à créer une énième procédure de coopération et de dialogue en Méditerranée, cette fois-ci autour du développement durable. Je dis énième, car la coopération euro-méditerranéenne, a fêté ses vingt-cinq ans cette année, vingt-cinq ans depuis la création du partenariat Euromed en 1995, remplacé par la suite par l'Union pour la Méditerranée, sous l'impulsion du président Nicolas Sarkozy.
Ce partenariat euro-méditerranéen a contribué à maintenir de nombreux liens entre les deux rives, tout en permettant la création d'un véritable maillage entre les villes, les associations et les ONG du bassin méditerranéen. Particulièrement ambitieux, il envisageait une progression conjointe sur les thématiques liées à la sécurité, à l'économie et au volet politico-social.
Cependant ces ambitions ont été rattrapées par les aléas politiques et économiques qu'ont connus les États riverains de la mer Méditerranée : la crise économique et financière de 2008, les révolutions arabes successives et, à présent, la pandémie de la covid-19 ont considérablement affaibli cette coopération.
Le groupe Les Républicains regrette que la mise en oeuvre des projets euro-méditerranéens progresse de façon inégale, pour l'essentiel au gré des possibilités de financement. Nous appelons donc à un approfondissement de cette alliance, notamment au travers du développement durable.
Dès lors, la logique voudrait qu'une fois l'épidémie de covid-19 derrière nous, nous nous engagions à repenser le cadre existant et à lui donner les moyens nécessaires pour atteindre ses ambitions, afin de sécuriser les acquis obtenus. Bien loin de cette logique, vous proposez de créer une communauté méditerranéenne des énergies renouvelables, soit une nouvelle procédure de coopération et de dialogue en Méditerranée, sans aucun lien avec ce qui existe.
L'enjeu du développement durable en Méditerranée est crucial. C'est bien pour cela qu'il existe déjà des projets d'actualité liés au développement durable au sein de l'UPM et, parmi eux, la dépollution de la mer Méditerranée ou encore la création d'un plan solaire méditerranéen. À quoi bon, dans ces conditions, multiplier les instances de coopération quand nous pouvons améliorer et renforcer un cadre qui a déjà le mérite et l'intérêt d'exister ?
Comme souvent nous empilons des textes, sans appliquer réellement ceux qui existent déjà. Privilégions l'efficacité plutôt que l'affichage, sachant que la mise sur pied d'un tel partenariat au niveau européen est d'une extrême complexité et une histoire de compromis permanents difficiles à trouver.
Même si la demande est louable et a l'avantage de mettre en avant la nécessité d'une plus grande coopération en matière environnementale et énergétique, aligner les cadres de coopération ne peut être que contreproductif pour le développement d'un projet et d'un partenariat euro-méditerranéen. C'est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains votera contre ce projet de résolution.
Tout d'abord, j'aimerais souligner la pertinence de cette proposition de résolution dans le contexte actuel. En effet, les tensions que nous avons connues l'été dernier au sujet des frontières maritimes de la Turquie et des recherches d'hydrocarbures l'ont prouvé, nous avons besoin de dialogue dans l'espace méditerranéen et de responsables politiques qui retrouvent le goût du consensus.
L'absence de cadre institutionnel en Méditerranée n'est profitable à personne : elle ouvre la voie aux tensions diplomatiques et laisse libre cours aux guerres civiles et aux drames de l'immigration clandestine. Par ailleurs, le retrait américain de l'accord de Paris a porté un coup dur au multilatéralisme de l'environnement et à la dynamique mondiale qui avait émergé dans la lutte contre le réchauffement climatique.
La création d'une communauté méditerranéenne autour des énergies renouvelables pourrait être une manière d'impulser un élan international sur le mieux-disant climatique. Comme vous le savez, nous ne pourrons répondre au réchauffement climatique par des initiatives unilatérales et il devient urgent de relancer des démarches internationales.
Aussi, le projet de communauté méditerranéenne des énergies renouvelables s'inscrit dans notre vision de la transition écologique. Il faut décarboner l'approvisionnement énergétique sans renoncer à toutes les opportunités économiques qui nous sont offertes et mener la transition de concert avec nos partenaires économiques.
Rassembler les États de l'espace méditerranéen autour des énergies vertes ne serait pas une initiative complètement nouvelle. Depuis vingt-cinq ans, la coopération culturelle et économique a emprunté plusieurs chemins. Déjà, en 1995, était engagé le processus de Barcelone dont l'ambition posait les bases d'un dialogue poussé ayant pour objectif le renforcement de la coopération interrégionale. En 2008, c'était au tour de l'Union pour la Méditerranée, voulue par le président Sarkozy, de vouloir créer un espace politique et culturel commun entre les deux rives, autour du développement d'une politique civilisationnelle.
Ces projets se sont toutefois fracassés sur le trop grand écart qui sépare ces pays. L'hostilité au projet de 2008 chez les partenaires européens et les révolutions arabes ont définitivement enterré toute possibilité institutionnelle d'inventer un espace en commun, se mettre autour de la table devenant impossible. Ces échecs ont rappelé que l'intégration régionale nécessitait des valeurs politiques communes.
C'est ici que le parallèle entre la présente résolution et la Communauté européenne du charbon et de l'acier trouve sa limite. Si cette dernière a vu le jour, c'est parce que les États qui se sont associés possédaient une proximité politique sans commune mesure avec celle qui lie actuellement les États méditerranéens. C'est également parce que tous les pays qui la composaient étaient producteurs de ces matières premières qu'ils ont pu s'associer sur un pied d'égalité. Tel n'est pas encore le cas pour les pays des deux rives, ou tout du moins dans des proportions très différentes.
Le dialogue politique et culturel entre les deux rives doit se poursuivre et se renforcer. La mise en place de plusieurs structures de dialogue doit permettre d'avancer : le dialogue 5 + 5 Méditerranée ou le sommet des deux rives, qui intègre la société civile, en sont des exemples. Le sommet des deux rives est un espace de dialogue pertinent quand les acteurs économiques savent faire preuve de plus de souplesse que les États et ne répondent pas aux aléas politiques. Par ailleurs, la coopération universitaire, le partage et la valorisation d'espaces de recherche et le travail commun pour la convergence normative sont autant de chemins à suivre autour de la Méditerranée, car ils sont au moins aussi importants que les coopérations étatiques.
Le groupe MoDem et démocrates apparentés votera en faveur de cette résolution, car la convergence des peuples méditerranéens doit se réaliser au XXIe siècle. Il faut saisir la chance que constitue cet espace pour faire avancer les sujets qui nous importent. Nous voterons également pour cette résolution car nous avons besoin de perspectives nouvelles qui nous permettent d'espérer que nous allons gagner la bataille sur le climat. À ce titre, chaque axe de convergence internationale doit être encouragé et poursuivi. Nous pensons toutefois que l'émergence d'un creuset politique commun est un préalable à cette convergence.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et Agir ens ainsi que sur quelques bancs du groupe LaREM.
Le groupe Agir ensemble et notre collègue M'jid El Guerrab nous proposent une résolution qui invite le Gouvernement à créer une communauté méditerranéenne des énergies renouvelables. Cette instance regrouperait les acteurs étatiques et ceux de la société civile de la région, afin de coordonner les politiques en matière de transition énergétique comme celles de résilience face aux conséquences du changement climatique.
Vous le savez, le groupe Socialistes et apparentés est très attaché au multilatéralisme : nous sommes convaincus que la cause climatique ne peut être efficacement défendue que dans le cadre d'accords internationaux contraignant les États les plus pollueurs et accompagnant ceux pour lesquels les transitions sont plus difficiles.
Lors de la COP3 de Kyoto, puis de la COP21 de Paris, les socialistes ont pleinement joué leur rôle pour que la France prenne des engagements forts en la matière. Comme le rappelle la proposition de résolution, ces engagements internationaux se doublent d'engagements nationaux forts, pris dans la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, ainsi que dans la programmation pluriannuelle de l'énergie.
Nous ne pouvons donc que soutenir l'ambition qui consisterait à accompagner nos voisins européens comme nord-africains et proche-orientaux pour atteindre ces objectifs à l'échelle régionale et non uniquement nationale. Seulement, pour entraîner nos partenaires dans une telle dynamique, nous devons nous donner les moyens de respecter nos engagements. Tel n'est malheureusement pas le cas.
L'examen en première lecture du projet de loi de finances pour 2021 fut un acte manqué en la matière. Prenons les deux sources les plus importantes d'émissions de gaz à effet de serre, à savoir le logement et les transports.
La majorité à laquelle vous appartenez, chers collègues du groupe Agir ensemble, a rejeté tous nos amendements qui visaient à amplifier l'effort de rénovation énergétique des logements. Vous avez, de la même manière, voté contre notre proposition de loi instaurant une prime pour le climat et pour la rénovation énergétique. Celle-ci était pourtant saluée par tous les acteurs du secteur, et son mécanisme de financement innovant avait été jugé viable, tant par Bercy que par la Caisse des dépôts. Avec un effort budgétaire, plan de relance inclus, de seulement 1,6 milliard d'euros pour 2021, MaPrimeRenov' dispose de 1 milliard d'euros de crédits de moins que le CITE – crédit d'impôt transition énergétique – de 2009 et 2010. Nous ne sommes pas à la hauteur des enjeux. Si le mécanisme lui-même a été utilement simplifié, le Gouvernement a rogné sur les seuils d'éligibilité et les taux de subvention pour en élargir l'assiette aux propriétaires bailleurs et aux déciles de revenus supérieurs. Ce faisant, vous ne desserrez pas le principal frein à la rénovation qu'est le reste à charge pour les ménages, notamment pour les nécessaires rénovations complètes et performantes.
Il en va de même pour les transports. Certes, le Gouvernement a engagé un investissement sans précédent, que nous saluons, pour la recherche et le développement dans le domaine de l'hydrogène, mais il ne se traduira concrètement qu'à moyen terme et sous réserve que nous parvenions à rentabiliser l'hydrogène vert, énergie du futur, à n'en pas douter. Dans l'immédiat, vous avez concentré votre effort sur le renforcement de la prime à la conversion pour les véhicules propres, mais votre plan de relance est en trompe-l'oeil. En effet, si la majorité a voté une enveloppe de 732 millions d'euros dans le cadre du plan de relance pour 2021 – montant qui, sur le papier, paraît significatif – , vous avez réduit dans le même temps le montant de la prime à la conversion classique de 405 millions d'euros à 128 millions et celui du bonus écologique de 395 millions à 379 millions par rapport à 2020. L'effort net en 2021 par rapport à 2020 n'est plus que de 439 millions d'euros.
Je ne vais parler du malus, mais, en commission, vous avez rejeté sans ménagement notre proposition, en en moquant le principe, avant de voter un amendement du Gouvernement en séance publique, fixant un malus pour les véhicules pesant au moins 1 800 kilogrammes, poids qui exclut neuf des dix SUV – véhicule utilitaire sport – les plus vendus en France : autant dire que votre disposition est inutile et ne sert que votre communication.
Chers collègues du groupe Agir ensemble, nous voterons pour votre proposition de résolution car elle s'inscrit manifestement dans une nécessaire dynamique de coopération autour de l'espace méditerranéen, sur un sujet qui ne peut se borner aux frontières nationales. La création de la CEMER est une bonne initiative, que nous soutenons évidemment. Cependant, il vous faut sortir de cette ambiguïté qui vous fait tour à tour présenter cette résolution, et celle sur les objectifs de développement durable, soutenir la très insuffisante politique du Gouvernement et rejeter systématiquement nos amendements, qui n'ont d'autre objet que de mettre en oeuvre ce que prévoient vos résolutions.
M. M'jid El Guerrab applaudit.
La discussion générale est close.
Sur la proposition de résolution, je suis saisie par le groupe Agir ensemble d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du tourisme, des Français de l'étranger et de la francophonie.
La Méditerranée, ce sont avant tout des femmes et des hommes qui tissent des liens entre eux. Permettez-moi d'avoir une pensée pour Denis François, qui était notre consul général à Tanger et à qui nous venons de rendre hommage avec Jean-Yves Le Drian.
Mme Michèle Peyron applaudit.
Il était de ceux qui, passionnés par la matière consulaire, éminemment humaine, se sont depuis longtemps engagés au service de ces liens. Je sais que certains d'entre vous l'ont connu et je tenais à souligner son engagement dans le dialogue entre les pays méditerranéens. À l'Assemblée nationale sont représentés les Français établis hors de France, et Denis François fut, de 2009 à 2013, un secrétaire général dévoué de l'assemblée des Français de l'étranger. Je souhaitais introduire mon propos en adressant cette pensée, qui, j'en suis sûr, sera unanimement partagée.
« Qu'est-ce que la Méditerranée ? Mille chose à la fois, non pas un paysage, mais d'innombrables paysages, non pas une mer, mais une succession de mers, non pas une civilisation, mais des civilisations entassées les unes sur les autres. » Fernand Braudel avait tout dit.
Demain, cela fera trente-cinq ans que Fernand Braudel a disparu – décidément, le 27 novembre est une date symbolique puisqu'il s'agit, comme certains d'entre vous l'ont évoqué, d'un jour important aussi pour le processus euro-méditerranéen.
Oui, la Méditerranée est tellement plus qu'une mer, et je le dis en tant que fils de la Méditerranée ayant des racines qui plongent du côté d'Alger et de Laghouat. Elle est un bout de notre identité, d'une identité en mouvement, remuante, bouillonnante, irriguée par la culture et les peuples d'outre-rive. Elle est un morceau de notre histoire, mais tout en elle porte l'avenir car elle recèle de nombreuses opportunités. Il faut néanmoins avoir conscience de ses fragilités, que vous avez été nombreux à rappeler.
On dit souvent d'elle avec raison qu'elle est un trait d'union, mais elle ne le demeurera qu'à la condition que des femmes et des hommes sachent l'inscrire dans une vision, dans une dynamique, dans un projet. Ces femmes et ces hommes, ce sont vous, ce sont nous, ce sont les Français, ce sont tous les peuples qui prennent part à ce projet, qui est effectivement enthousiasmant pour le XXIe siècle.
Avec la proposition de résolution soumise ce soir au vote de votre assemblée, c'est de tout cela qu'il est question. Je vous remercie, monsieur M'jid El Guerrab d'en avoir pris l'initiative et de l'avoir mûrie, parce que ce texte résulte d'un travail qui, conduit depuis plusieurs années, conjugue de nombreuses rencontres, des auditions et, surtout, des idées foisonnantes au sein des sociétés civiles.
La Méditerranée a plus que jamais besoin de projets fédérateurs, car tout n'est pas rose, tant s'en faut, et les défis sont colossaux. Les crises qui la frappent sont nombreuses, qu'il s'agisse de la route de la mort qu'empruntent certains de ses fils et de ses filles, du changement climatique, de la dégradation environnementale, des menaces terroristes ou des difficultés de jeunesses plus exposées au chômage. Face à cette situation, deux constats s'imposent : la coopération méditerranéenne est plus que jamais indispensable et des projets ambitieux, concrets et fédérateurs sont nécessaires pour que les citoyens s'y retrouvent et y puisent des perspectives d'avenir concrètes.
C'est pourquoi le Gouvernement reçoit avec bienveillance et intérêt l'invitation qui lui est faite à travers cette proposition de résolution. Cette idée, au sens noble du mot, d'une communauté méditerranéenne des énergies renouvelables ouvre un horizon prometteur, qu'il faudra articuler avec les actions déployées mais qui prendra assurément une place éminente aux côtés des nombreux projets menés pour les jeunes ou par les collectivités locales en matière de coopération décentralisée.
Rappelons-nous, depuis 1995, ce travail qui petit à petit a posé des bases institutionnelles ; certains ont rappelé qu'elles étaient perfectibles, mais elles ont le mérite d'être là.
La France a été un fervent soutien du processus de Barcelone, à l'origine du dialogue euro-méditerranéen. En 2008, elle a également été à l'origine de la création de l'Union pour la Méditerranée, grand forum pan-méditerranéen, seule enceinte de dialogue à ce jour entre des pays qui parfois n'arrivent pas à se parler ailleurs. Demain, ce sont les vingt-cinq ans de ce processus ; à l'occasion de cet anniversaire, Jean-Yves Le Drian fera un bilan collectif de cette aventure. Il y a des réalisations, mais nous devons aller plus loin ensemble, nous en sommes convaincus. Il faut que la Méditerranée soit encore davantage incarnée par de grands projets susceptibles de mobiliser très largement tous ceux qui vivent dans l'espace méditerranéen et donc tous ceux qui le font vivre. C'est pourquoi à Ajaccio, lors du sommet des membres de l'alliance des pays du sud de l'Union européenne – Med7 – il y a quelques semaines, le Président de la République souhaitait pouvoir trouver les voies et moyens d'une politique constructive en Méditerranée, d'un agenda positif, de projets communs porteurs d'espoir. C'est en ce sens que se poursuit le dialogue des deux rives, dont un premier sommet s'est tenu à Marseille en juin 2019 ; il a permis à des centaines de représentants des sociétés civiles des États du Dialogue 5+5 d'exprimer leurs souhaits et leurs espoirs pour la Méditerranée de demain – l'un des forums, consacré à l'énergie, avait été accueilli par l'Algérie en avril 2019. Il s'agissait déjà de retrouver le fil d'une politique méditerranéenne, en s'appuyant sur les sociétés civiles des deux rives et sur leurs aspirations.
Votre initiative va tout à fait dans ce sens. Monsieur El Guerrab, qui êtes, avec plusieurs de vos collègues, à l'origine de la proposition de résolution, vous l'avez dit : il s'agit non pas de créer une structure supplémentaire, mais de fédérer les formations, les jeunesses, les universités, les entreprises, les initiatives. Bref, on est dans du concret et il y en a tant besoin ! Rappelez-vous le rapport sur le « plan bleu », remis il y a quelques semaines, qui a montré combien la croissance démographique, les modes de production et de consommation non durables ont conduit en Méditerranée à une dégradation de l'environnement et à une exacerbation des fragilités préexistantes. Or nous savons que la transition énergétique est un des leviers de l'action climatique. Convaincus qu'il s'agit là de priorités, je crois que de nombreux pays africains et européens riverains de la Méditerranée sont activement engagés dans des coalitions. Je pense à l'Initiative africaine pour les énergies renouvelables – Africa Renewable Energy Initiative, AREI – , qui va permettre de doubler la capacité énergétique du continent d'ici à 2030. Le Maroc, l'Algérie et la Tunisie y siègent, tandis que la France en est le premier soutien financier. Nous sommes donc tout à fait dans l'ADN que vous avez évoqué. L'Alliance solaire internationale déploie des projets en Algérie. Et naturellement, il faut évoquer l'action de l'Agence française de développement, au Maroc avec le complexe solaire thermodynamique Noor Ouarzazate, et en Algérie avec des travaux visant à produire de l'électricité à partir d'énergies renouvelables dans le Grand Sud. Bref, cette communauté méditerranéenne des énergies renouvelables offre des perspectives enthousiasmantes, qu'il s'agira de relier aussi aux travaux conduits.
Certains évoquaient les autres structures existantes, mais l'UPM a justement prévu des coopérations renforcées. Hé bien, faisons de l'idée de cette communauté l'un des premiers exemples de coopération renforcée, pour qu'il y ait effectivement une enceinte à taille plus humaine, comme c'était évoqué. L'UPM a réuni tant de pays que pour mener des coopérations concrètes, la coopération renforcée prendrait tout son sens.
J'en termine par là où j'ai commencé. Braudel disait aussi que « voyager en Méditerranée [… ] c'est rencontrer de très vieilles choses, encore vivantes, qui côtoient l'ultra-moderne [… ] C'est tout à la fois s'immerger dans l'archaïsme des mondes insulaires et s'étonner devant l'extrême jeunesse de très vieilles villes ouvertes à tous les vents de la culture et des profits qui depuis des siècles surveillent et mangent la mer. » Là aussi, je crois que tout est dit. Tout cela, au fond, n'est qu'une question de tradition et de modernité, d'identité commune et de prospérité partagée, et surtout, du rôle qui est le nôtre, à nous et à chacun de nos compatriotes de tous les peuples méditerranéens, pour faire vivre ce formidable projet. C'est, je le crois, ce à quoi nous oeuvrons aujourd'hui : partageons-en la fierté.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.
Nous avons beaucoup parlé du contexte et de l'objectif d'unir les États et les peuples pour des projets qui protègent la planète. Sur tout cela, nous ne pouvons qu'être tous d'accord.
Ceci dit, il y a un contexte particulier. Hubert Wulfranc l'a montré, l'état de non-guerre qui existait entre le peuple sahraoui et le Maroc est devenu quasiment un état de guerre à Guerguerat. Chacun le sait et l'ambassadrice de France au Maroc l'a encore rappelé ce matin : tant que la question du Sahara occidental ne sera pas réglée, tant que les résolutions des Nations unies ne seront pas appliquées, il ne sera pas possible d'établir des coopérations étroites entre l'Algérie et le Maroc. Cette résolution aurait pu aborder l'idée du règlement politique des relations entre les États, autour de la paix et du règlement pacifique du conflit, en utilisant l'existant, c'est-à-dire le cessez-le-feu et la MINURSO – Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental.
Il suffit d'organiser le référendum et demain le Maroc, l'Algérie, le Sahara occidental – soit marocain, soit indépendant, suivant le choix du peuple sahraoui – , la Mauritanie et la Tunisie seront, je le crois, je l'espère, capables de faire une union pour l'énergie, pour le climat et pour la paix autour de la Méditerranée, et faire ainsi en sorte d'établir un espace de vie. Pour l'instant, ce n'est pas le cas ; voilà pourquoi les députés communistes voteront contre cette résolution.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 65
Nombre de suffrages exprimés 64
Majorité absolue 33
Pour l'adoption 58
Contre 6
L'article unique est adopté, ainsi que la proposition de résolution.
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Prochaine séance, lundi 30 novembre 2020, à seize heures :
Lecture définitive du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 ;
Lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique et à l'expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » ;
Discussion de la proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification.
La séance est levée.
La séance est levée à dix-neuf heures quarante.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra