La séance est ouverte.
La séance est ouverte à seize heures.
La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Je voudrais engager l'examen du projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace en citant l'historien Fernand Braudel. Celui-ci, cherchant à définir l'identité française, disait ceci : « La France se nomme diversité ». Pourtant, c'est une conviction que nous partageons ici, notre pays n'a qu'un seul visage, celui de la République. Le projet de loi qui nous réunit ce soir vient ainsi montrer comment le gouvernement auquel j'appartiens entend concilier l'unité de la République et l'attention aux spécificités des territoires.
En effet, sur le fond, dans l'esprit du projet de révision constitutionnelle relatif au droit de différenciation, il s'agit de trouver des réponses institutionnelles adaptées aux besoins de chaque territoire, et cela non seulement pour valoriser des identités locales, mais aussi pour faire en sorte que chaque territoire puisse s'appuyer sur les atouts qui lui sont propres afin de se développer et de réunir les meilleures conditions de vie pour ses habitants dans le cadre républicain. Pour ce faire, ma conviction est qu'il n'est pas nécessaire d'attendre un grand soir, mais qu'il convient d'ajuster ce qui peut l'être.
Sur la méthode, ce projet est particulièrement original en ce qu'il vient illustrer un nouveau mode de relation avec les territoires. La Collectivité européenne d'Alsace – CEA – vient ainsi répondre à une attente des départements alsaciens. Ce texte est le résultat d'un processus de co-élaboration avec l'ensemble des parties prenantes, engagé depuis l'été dernier. Nous accompagnons, ici, une initiative locale.
Voici les principes clés sur lesquels se fonde ce projet de loi : écouter, pour comprendre les aspirations des uns et des autres, et essayer de les concilier en faisant du « cousu main », qui s'appuie sur l'expression d'une volonté locale.
Je souhaite également souligner combien, malgré ce processus inhabituel qui donne une voix première aux acteurs locaux, le projet de loi a été enrichi par le Sénat ; il le sera encore, bien évidemment, par les députés. Le Parlement est le garant du travail législatif et des modalités d'organisation des collectivités locales, et j'entends qu'il le demeure.
Pour revenir sur la genèse de ce texte, il importe de rappeler deux événements marquants : tout d'abord, l'échec du référendum de 2013, qui visait à créer une collectivité territoriale unique regroupant le conseil régional d'Alsace ainsi que les deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin ; ensuite, la création, en 2015, de la région Grand Est. C'est dans ce contexte que s'est affirmée la revendication d'une évolution institutionnelle permettant de donner une incarnation plus nette au territoire alsacien.
Une mission a été confiée, en janvier 2018, au préfet de région Jean-Luc Marx afin qu'il mène une concertation sur la question institutionnelle alsacienne, sous réserve à la fois que la région Grand Est conserve son intégrité et que les grands équilibres actuels régissant les répartitions de compétences entre collectivités soient respectés.
Le préfet a proposé d'opérer un rapprochement des deux départements dans un nouveau département, lequel se verrait confier, dans le cadre du pouvoir de différenciation prévu par la révision constitutionnelle, des compétences complémentaires, essentielles au vu de son caractère transfrontalier très marqué. Pour faire aboutir la création de cette nouvelle collectivité, je me suis rendue à de nombreuses reprises sur le terrain et j'ai travaillé en lien étroit avec mes collègues Élisabeth Borne et Jean-Michel Blanquer, que je remercie vivement.
Une déclaration commune engageant le Gouvernement, les deux conseils départementaux ainsi que la région Grand Est a été conclue le 29 octobre 2018 et signée par le Premier ministre ainsi que par les exécutifs des collectivités. Elle prévoit une réponse appropriée pour l'Alsace et trouve une part de sa traduction dans le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui.
La création de la Collectivité européenne d'Alsace se matérialise par plusieurs étapes.
Première étape : le regroupement des deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin en un seul. Après que, le 4 février dernier, les deux conseils départementaux eurent délibéré favorablement pour demander ce regroupement, un décret, en date du 27 février, y a procédé, pour constituer la Collectivité européenne d'Alsace ; ce regroupement entrera en vigueur le 1er janvier 2021.
Deuxième étape : l'ajout, par la loi – et c'est l'objet du projet de loi que je vous présente – de compétences particulières en matière de coopération transfrontalière, de bilinguisme, de tourisme et de transports.
Troisième étape : le développement des politiques culturelles, économiques ou sportives dont les orientations étaient fixées dans la déclaration commune. Elles font l'objet d'un travail approfondi avec les services déconcentrés de l'État et les autres niveaux de collectivités concernés et se traduiront, pour la plupart, par des actes réglementaires.
Les compétences que le projet de loi s'attache à donner à l'Alsace sont suffisamment justifiées par des spécificités alsaciennes pour que le cadre constitutionnel actuel permette de les lui attribuer de façon pérenne et circonscrite. Ainsi, au 1er janvier 2021, la Collectivité européenne d'Alsace exercera le socle « classique » des compétences départementales, auquel s'ajouteront des compétences en matière transfrontalière.
En effet, l'article 1er du projet de loi pose le principe d'un chef de filat de la collectivité, sur son territoire exclusivement, en matière de coopération transfrontalière. La collectivité aura la capacité d'organiser l'action collective, sans restreindre la capacité d'action des autres collectivités intéressées. Elle sera chargée d'établir un schéma alsacien de coopération transfrontalière, établi en association avec l'ensemble des collectivités et des acteurs concernés. Elle aura la capacité, en parfaite cohérence avec la stratégie régionale, de décliner un volet opérationnel sur les projets structurants en matière, par exemple, de santé, de mobilités ou de formation professionnelle. Elle pourra ainsi se voir déléguer par l'État, la région ou des établissements publics de coopération intercommunale – EPCI – des compétences pour la mise en oeuvre des projets mentionnés dans le schéma alsacien de coopération transfrontalière. Ce système de délégation ad hoc est valable pour toutes les collectivités concernées.
Elle se verra ensuite confier des compétences en matière de bilinguisme, pour renforcer ce vecteur culturel et ce facteur de mobilité professionnelle que constitue la langue régionale, entendue ici, conformément aux conventions en usage, comme la langue allemande.
Les échanges que j'ai conduits en lien avec Jean-Michel Blanquer ont permis d'identifier deux volets particuliers pour développer l'enseignement de l'allemand : premièrement, l'amélioration de l'attractivité des conditions d'embauche des enseignants recrutés par le ministère de l'éducation nationale et, deuxièmement, la possibilité pour la Collectivité européenne d'Alsace de recruter des intervenants en cohérence avec le cadre de recrutement de l'éducation nationale, afin de permettre l'enseignement de la langue au-delà des heures réglementaires, en complémentarité avec les programmes nationaux. La collectivité contribuera à la mobilisation d'un vivier, pour que l'éducation nationale puisse accélérer les recrutements, et celle-ci lèvera les freins qui ont été identifiés. L'État et la Collectivité sont donc fermement engagés à obtenir, ensemble, des progrès à la hauteur des besoins.
La Collectivité exercera également des compétences en matière touristique : c'est l'objet de l'article 2. Sur son territoire, la CEA anime et coordonne l'action des collectivités et des autres acteurs concernés, en cohérence avec le schéma régional de développement du tourisme et des loisirs.
L'article 3 lui confie, par ailleurs, des compétences en matière d'infrastructures routières. En effet, le projet de loi acte le transfert, la gestion et l'exploitation des routes nationales et des autoroutes non concédées situées en Alsace, sur lesquelles, si elle le souhaite, la Collectivité européenne d'Alsace pourra lever des ressources spécifiques contribuant à maîtriser le trafic routier de marchandises – c'est l'objet de l'article 11. Il s'agit de régler un problème qui préoccupe les Alsaciens à juste titre, et depuis longtemps.
L'ensemble des éléments que je viens de présenter permettront de donner à la CEA une véritable substance institutionnelle tout en préservant le nécessaire équilibre avec les autres collectivités locales.
Les composantes du texte ont, bien entendu, évolué lors de l'examen du projet de loi par le Sénat, puis par votre commission des lois. Les sénateurs ont exercé leur droit d'amendement et le Gouvernement sera favorable au maintien de certaines des évolutions apportées au texte, que la commission a d'ailleurs préservées ou modifiées à la marge. Je citerai, par exemple, l'ajout d'une disposition sur la compétence sanitaire au sein du schéma de coopération transfrontalière. Il existe en effet des enjeux importants dans ce domaine, afin de traiter, par exemple, des problématiques d'éloignement de l'offre hospitalière. Je citerai également un point sensible : le retour au droit commun pour les modalités de transfert des agents intervenant sur les routes. Celui-ci garantit à la Collectivité européenne d'Alsace de ne pas être pénalisée par d'éventuels mouvements de personnels à la veille du transfert.
Par ailleurs, je me félicite que votre commission soit revenue sur les éléments qui viendraient rompre l'équilibre obtenu sur le texte. Je ne citerai que deux exemples particulièrement significatifs. D'abord, la commission a écarté la possibilité pour tout autre département métropolitain ou d'outre-mer qui le demande de se voir attribuer les compétences de la CEA. Ce texte est en effet, comme je l'ai dit, le résultat d'un processus d'élaboration spécifique. Il n'a pas vocation à préempter le débat sur la future différenciation, qu'il vient seulement préfigurer, avec les possibilités offertes dans le cadre constitutionnel existant. En outre, il serait de mauvais augure de considérer que l'extension à tous d'un modèle conçu pour être adapté à un territoire spécifique soit une bonne façon de différencier l'exercice des compétences. Ce projet de loi invite, en revanche, les autres territoires qui le souhaitent à suivre leur propre chemin pour élaborer un projet commun à leur échelle, afin de répondre à leurs enjeux spécifiques. La différenciation leur offrira un cadre pour ce faire.
Ensuite, la commission a rétabli l'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour définir les modalités de régulation du trafic routier. Je veux vous rappeler en quoi le renvoi à l'ordonnance constitue, de façon pragmatique, la seule solution envisageable. En effet, plusieurs options sont aujourd'hui à l'étude pour réguler le trafic sur les routes alsaciennes, parmi lesquelles figure l'instauration d'une délégation de service public. Il n'est donc pas souhaitable que la loi définisse le contenu d'une taxe à instaurer, pas plus qu'il n'est souhaitable de renvoyer le sujet à une prochaine loi de finances. Cela reviendrait à entériner un choix parmi d'autres, en privant les Alsaciens et l'État de la possibilité de mener une étude sérieuse pour envisager l'ensemble des options.
Je voudrais également saluer le travail de la commission des lois, et plus spécifiquement de son rapporteur, Rémy Rebeyrotte, que je remercie pour son investissement car le projet de loi a été complété de manière opportune sur certains aspects, tout en restant fidèle à l'esprit de la déclaration de Matignon du 29 octobre 2018.
Je pense ainsi à la précision concernant la compétence fluviale au sein du schéma de coopération transfrontalière, qui rappelle le caractère structurant du Rhin dans les relations avec l'Allemagne.
Je félicite bien sûr le rapporteur en ayant bien conscience de toutes les richesses apportées par les uns et les autres en commission.
Je pense également, s'agissant de la promotion du bilinguisme, à la disposition relative au comité stratégique. Si la rédaction doit encore être précisée, elle a cependant pour mérite de souligner l'importance d'une étroite collaboration entre l'État et la Collectivité européenne d'Alsace autour de ces enjeux.
À ce titre, rappelons l'engagement du Gouvernement à installer un centre d'excellence en matière de plurilinguisme, qui rayonnera en Alsace bien sûr mais également dans ensemble du Grand Est. Cet outil servira une ambition nouvelle dans l'apprentissage de la langue allemande.
En revanche, une disposition du texte issu des travaux en commission me semble embarrassante : la dénomination des conseillers départementaux, appelés « conseillers d'Alsace ».
D'une part, la dénomination des conseillers de la collectivité ne relève pas du domaine de la loi, puisque le choix peut être propre au fonctionnement interne de la collectivité.
D'autre part, cette dénomination est source de confusion aux yeux de nos concitoyens. Je ne doute pas du complet désintéressement de ceux qui en sont à l'origine.
« Bien sûr » ! sur les bancs du groupe LR.
Bien sûr. Mais, le jour des élections départementales, les électeurs sauront-ils pour qui ils votent ?
Je rappelle que la Collectivité européenne d'Alsace résulte de la fusion de deux départements et qu'elle reste, ne vous en déplaise, un département. C'est un fait. Elle aura beau être dotée de compétences spécifiques, liées à sa situation frontalière, elle demeurera bien un département. Je le dis haut et fort car je veux que cela soit clair : j'y suis obligée par cet amendement concernant les conseillers que vous avez voté. Nous maintenons le découpage administratif d'État, comme je m'y étais engagée,...
… mais le jour où des élections départementales auront lieu, il faudra bien que les Alsaciens sachent pour qui ils votent.
Surtout si les élections régionales ont lieu le même jour que les départementales : je ne dis pas que ce sera le cas, mais cela s'est déjà produit.
Je ne doute pas un instant qu'en retenant la dénomination « conseiller d'Alsace », vous ayez pensé « conseiller départemental d'Alsace », mais la précision me semble importante car, je le répète, nous avons, dès le début, posé deux limites à cette négociation : pas de sortie du Grand Est, et pas de collectivité à statut particulier.
Cela précisé, je reste confiante en ce que nos échanges permettront de continuer à améliorer le texte pour mieux servir encore les spécificités alsaciennes, dans le cadre qui a été fixé. À cet égard, je remercie à nouveau le rapporteur et la commission des lois pour le travail de qualité qu'ils ont su conduire.
Mesdames et messieurs les députés, ce projet de loi est un point d'équilibre, concret et pragmatique, issu d'un processus élaboré avec les principaux intéressés. Je souhaite poursuivre le débat parlementaire en gardant une fidélité constante au processus politique qui a permis d'aboutir à la déclaration commune signée le 29 octobre dernier entre toutes les parties prenantes.
Je suis donc particulièrement heureuse de vous présenter aujourd'hui un texte qui répond à une volonté et à une ambition pour l'Alsace et les Alsaciens, au sein du Grand Est. C'est un jalon important dans la politique menée par le Gouvernement, que nous voulons ambitieuse pour les territoires. Le Président de la République et le Premier ministre l'ont soutenu, je l'ai soutenu moi-même du mieux que je pouvais, afin que ce texte aboutisse. Nous souhaitons que la diversité de l'Alsace soit reconnue, qu'elle puisse développer ses forces, dans notre cadre républicain.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM, LR et UDI-I.
La parole est à M. Rémy Rebeyrotte, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Rappelons d'entrée l'origine et la spécificité de ce texte, qui vient d'Alsace, de la volonté des élus du territoire alsacien, et en premier lieu des deux présidents des conseils départementaux ainsi que des conseillers départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, lesquels ont voté à la quasi-unanimité la création de cette nouvelle collectivité européenne d'Alsace. Ils ont souhaité redonner une réalité institutionnelle à l'Alsace, dont personne ne conteste la réalité ni la spécificité géographique, historique et culturelle.
Rappelons cette origine pour préciser que ce texte concerne strictement le territoire où il est né, c'est-à-dire l'Alsace. Peut-être donnera-t-il l'envie et l'ambition à d'autres territoires de prendre des initiatives, identiques ou différentes, afin de répondre à des problèmes spécifiques de développement et de portage de politiques publiques, comme le Président de la République en a ouvert la possibilité lors du grand débat, en s'adressant aux élus des territoires. On peut le souhaiter, et déjà des exemples existent, mais ce texte, né de la responsabilité politique des élus alsaciens et de la confiance de l'exécutif, concerne exclusivement l'Alsace.
Rappelons également le cadre dans lequel nous travaillons.
Il est d'abord constitutionnel. Concernant la différenciation et l'expérimentation territoriales, le cadre, vous le savez, est très contraint puisque la réforme constitutionnelle, qui n'a pu être adoptée jusqu'ici, visait justement à l'élargir. Il n'est donc pas question d'adapter le droit national à des spécificités locales ou régionales.
De même, sur le plan institutionnel et juridique, la future collectivité est le regroupement de deux départements dans le cadre d'une région, la région Grand Est, créée en 2015 et mise en place depuis.
C'est pourtant dans ce cadre restreint que les élus alsaciens ont su saisir une opportunité, s'ouvrir une fenêtre, et convaincre le Gouvernement de redonner une réalité institutionnelle à l'Alsace pour faire face à des problèmes récurrents ou à des enjeux spécifiques. Deux mots marquent ce texte : responsabilité et confiance – deux termes souvent employés par le Président de la République et le Gouvernement.
Le Gouvernement a ouvert le dialogue et la discussion, en lien avec la région du Grand Est. Il a diligenté une étude de cas portée par le préfet de région, M. Jean-Luc Marx. Cela s'est traduit en octobre dernier par une déclaration commune des deux départements, de la région Grand Est et du Gouvernement, dite accord de Matignon, qui donne son nom à la future collectivité, la Collectivité européenne d'Alsace, créée par décret le 27 février dernier, et définit le principe des compétences supplémentaires qu'elle pourra exercer pour tenir compte de la spécificité alsacienne.
Nous souhaitons préciser l'exercice des compétences qui relèvent de la loi, strictement de la loi – car beaucoup d'aspects de cet accord relèvent du pouvoir réglementaire, voire de la simple convention.
Soulignons l'engagement très fort de Mme la ministre dans ce long processus et le travail mené la semaine dernière en commission, puisque plus de soixante-cinq amendements, provenant de l'ensemble de nos bancs, ont été adoptés.
J'ai évoqué cette fenêtre que se sont ouverte les élus alsaciens auprès du Gouvernement. Soulignons la volonté et la qualité de l'engagement pris par l'exécutif. Il lui aurait été facile de ne pas répondre à cette ambition territoriale, en la renvoyant à la réforme constitutionnelle ou à un bilan de la création des nouvelles régions, qui aura sans doute lieu dans quelques années. Le Gouvernement a pris ses responsabilités et souhaite répondre au cas par cas aux ambitions des territoires. Cet engagement louable nous invite tous à prendre nos responsabilités et à conserver le sens l'équilibre. Évitons donc la surenchère.
La Collectivité européenne d'Alsace est née par décret du 27 février dernier. Nous souhaitons, par ce projet de loi, sécuriser son nom. L'accord de Matignon nous invite à travailler ses compétences spécifiques, dans l'esprit même de l'accord.
Rappelons que cet accord n'enlève rien à personne, et notamment aux autres collectivités du Grand Est, selon la volonté maintes fois rappelée du Premier ministre. Ces compétences spécifiques sont des transferts quasi-exclusivement de l'État et s'exerçant en lien avec l'État et la région Grand Est : le transfrontalier, dans une large acceptation, que le Sénat a d'ailleurs élargie aux compétences sanitaires, pour lequel la nouvelle collectivité sera chef de file ; le bilinguisme, la langue régionale s'entendant comme l'allemand standard et ses formes dialectales ; les axes routiers majeurs ; la promotion et l'attractivité touristique.
Voici donc le cadre global de nos travaux. À nous de trouver l'équilibre acceptable par toutes les parties et souhaitable pour l'Alsace et les Alsaciens. Au travail !
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et UDI-I et sur quelque bancs du groupe LR.
J'ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Laurent Furst.
Permettez-moi de commencer par un petit mot en alsacien, qui me vaudra peut-être un rappel au règlement, mais ce n'est pas bien grave.
L'orateur prononce quelques mots en alsacien.
Cela signifiait « Soyez salués, chers amis ». Sympathique, n'est-ce pas ?
Remontons au temps de l'adoption de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – loi NOTRe – , celle des grandes régions. L'Alsace, notre Alsace, avec sa géographie rhénane, son économie internationale, continentale, son histoire si douloureuse, sa culture si particulière, allait disparaître, intégrée, diluée dans un ensemble plus grand que la Suisse, plus grand que la Belgique, plus grand que les Pays-Bas.
Cela se faisait sans discussion, sans accord, avec un sentiment d'humiliation, celui de ne pas compter, celui d'être une simple variable d'ajustement.
Les treize députés alsaciens de l'opposition se sont battus, des discours magnifiques ont été tenus – des mots d'amour, des mots de peine, des mots de colère, mais toujours des mots du coeur. Lors de ces débats, près de 30 % des interventions ont été les nôtres. Des heures, des nuits passées ici pour, à la fin, ne ressentir qu'une immense douleur.
En Alsace, on ne manifeste que très rarement. On ne crie pas, on ne casse pas, mais la douleur est là. Elle est toujours là. À quatre reprises, par quatre sondages, les Alsaciens ont dit une chose simple, une chose forte : ils veulent sortir du Grand Est. D'ailleurs, et c'est nouveau, nos amis lorrains comme nos amis et concitoyens de Champagne-Ardenne semblent avoir la nostalgie de leurs belles régions.
Mais en ce début de propos, je voulais parler des débats parlementaires pour vous citer une anecdote. Le ministre au banc du gouvernement était M. Cazeneuve, alors ministre de l'intérieur. Il défendait avec talent une loi qui allait réunifier les deux Normandie, sa région, mais il comprenait, me semble-t-il, les limites de ce texte. Au coeur des débats, au coeur de la nuit, il est venu s'asseoir à mes côtés et m'a demandé, avec gentillesse : « Pourquoi, dans cette grande région, vous ne fusionneriez pas vos deux départements ? » Je lui répondis : « Nous sommes une région et nous devrions accepter aujourd'hui de n'être qu'un département ? Ce n'est pas ce que veulent les Alsaciens. » Et j'ajoutai un présomptueux : « Jamais ! »
Or, qu'allons-nous voter aujourd'hui ? Nous allons entériner la fusion des deux départements, donner à la nouvelle collectivité un nom, signe positif pour les uns, un peu ronflant pour les autres. Nous allons aussi procéder au transfert des compétences d'État en matière de coopération rhénane, de bilinguisme, de routes et, à la marge, d'économie et de tourisme.
Madame la ministre, chers collègues, nous sommes loin, très loin de ce que nous étions : une région. Nous sommes loin de ce que nous souhaitons : un conseil d'Alsace, une collectivité regroupant les compétences régionales et départementales à l'échelle de notre territoire. J'ai, à titre personnel, utilisé deux formules : « Ce n'est pas en beurrant des miettes que l'on fait un festin » et « À l'heure où vous déremboursez l'homéopathie, vous nous inventez une Alsace homéopathique ».
Et pourtant, sans enthousiasme, nous sommes prêts finalement à soutenir ce texte, pour deux raisons. La première, qui me paraît majeure, est que l'Alsace retrouvera une organisation institutionnelle à l'échelle de son territoire. L'Alsace a besoin d'une collectivité qui puisse parler au nom des Alsaciens, elle a besoin que son espace, sa géographie, sa culture ou son économie puissent s'exprimer et être entendus. Ce sera par un département : c'est décevant, mais c'est un pas en avant, un pas qui en appelle d'autres.
La seconde raison réside dans les compétences nouvelles données à la future collectivité, la CEA. Là aussi, nous aurions aimé tellement plus ! Mais, là aussi, c'est un pas en avant. Le pas est modeste et, sur ce point, nous aurions aimé que le Gouvernement – c'était facile – se mette en marche. Mais nous considérons finalement qu'il vaut mieux voir un verre de Carola, de Wattwiller, de Celtic ou de Soultzmatt à moitié plein plutôt qu'à moitié vide.
Je voudrais à cet instant préciser, madame la ministre, ce que je crois être notre état d'esprit. Si ce texte est un aboutissement, alors il sera pour l'Alsace un échec, celui d'une région institutionnellement en apnée, celui d'une population à qui l'on aura donné le minimum pour l'apaiser. Si ce texte, en revanche, est une étape, la première marche vers une évolution future, alors il peut être riche de sens. En la matière, seul l'avenir nous dira si nos débats et ce texte sont porteurs d'histoire.
Je voudrais, madame la ministre, chers collègues, exprimer une douleur. Englués dans la réforme constitutionnelle, vous refusez d'inscrire notre collectivité dans le cadre de l'article 72 de la Constitution, ouvrant ainsi des aléas juridiques. Vous refusez à l'Alsace une évolution institutionnelle accordée pourtant facilement à d'autres.
Lorsque, très récemment, Mme Hidalgo a voulu fusionner ville et département, le gouvernement socialiste, auquel appartenait le futur président Macron, l'a fait. Lorsque le maire de Lyon a voulu donner à son agglomération les compétences départementales, le Rhône a été scindé en deux. Pour la Corse, deux départements et la région ont été fusionnés par la loi, alors que la population s'était exprimée négativement par référendum. J'évoquerai, aussi, les régions monodépartementales d'outre-mer où la fusion est faite ou prévue.
Je ne critique aucune de ces évolutions : ce qui me trouble, voire me choque, c'est que la porte ait été fermée d'emblée pour l'Alsace, alors que tant de choses sont possibles ailleurs. Bien sûr, une question se pose : les Alsaciens valent-ils moins qu'un Parisien, un Lyonnais ou un Corse ? Vous me direz que j'exagère mais, au fond de nos coeurs, il y a un peu de cela.
Je voudrais prendre deux minutes pour revenir sur la réforme des régions. Pourquoi a-t-elle été faite ? Pour casser la réforme du conseiller territorial, trop sarkozyste ? Pour sauver le département cher au président Hollande ? Pour faire des économies, à l'heure où Bruxelles exigeait des réformes structurelles ? Ces économies ne sont pas là. Au contraire, les grandes régions ont entraîné de grandes dépenses de fonctionnement.
Je voudrais ici dénoncer un mensonge d'État : pour faire passer la réforme, M. Vallini, alors secrétaire d'État, a affirmé qu'elle ferait faire 10 milliards d'économies. Dans une interview accordée à Envoyé spécial, que chacun peut voir, cette personne a avoué que ce chiffre était improvisé, fruit d'un calcul au doigt mouillé – un chiffre pourtant répété comme une vérité absolue, pour faire voter un texte.
Et que dire du découpage, de l'amateurisme hollandais, quand une fausse carte fut donnée à la presse ? La division par deux du nombre des régions était un mantra, mais le découpage fut fait sur un guéridon, en fonction de l'aura des hiérarques du moment. Chacun se souvient des échanges entre M. Ayrault, M. Le Drian, Mme Royal et Mme Aubry. La Champagne-Ardenne est ainsi passée en quelques heures d'un mariage avec la Picardie à un mariage avec l'Alsace, de la Baie de Somme au Rhin, le tout sans études ni concertation. Probablement le bricolage le plus absurde de la Ve République.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – MM. Olivier Becht, Bruno Fuchs et Vincent Thiébaut applaudissent également.
Je vous ai même écoutée et approuvée ici, quand, à l'occasion d'une question au Gouvernement, vous avez répondu d'une manière sévère, qui m'a même poussée à vous applaudir fortement. Et pourtant, sur cette loi, vous jouez le statu quo, contre vos convictions. Peut-être pour ne pas peiner votre collègue du Gouvernement, M. Olivier Dussopt, qui fut le rapporteur socialiste de ce texte ? Cela est un peu cocasse !
Je voudrais aborder la genèse de ce texte. J'ai évoqué la loi, je ne reparlerai pas du référendum voté par 58 % des Alsaciens – car c'est en raison de conditions particulières que le référendum a été considéré comme un échec : le résultat est bien de 58 %. Je ne parlerai pas de Philippe Richert, qui a gagné la première élection régionale grand estienne avant de devoir quitter sa présidence, tant sa conversion l'a rendu impopulaire en Alsace. Grâce à la mobilisation de nombreux élus, grâce à l'action de nombreux citoyens réunis dans de belles associations, la pression n'a jamais baissé. Nous voulions un retour à l'Alsace. Assez rapidement, nous avons senti qu'une évolution serait possible. Je salue ici le rapport Marx, commandé par le Gouvernement, qui présente des pistes intéressantes.
Malheureusement, le successeur de Philippe Richert à la présidence de la région, M. Rottner, s'est largement mêlé de cette affaire. Il a négocié à l'Élysée le maintien intangible du périmètre du Grand Est. Puis il a obtenu du Premier ministre qu'on ne toucherait pas aux compétences de la région. Il ne restait donc plus que la fusion des deux départements. Vous lui avez tout donné et pourtant, à notre surprise, il a appelé à voter Bellamy aux européennes : avouez que cela est bien mal payé. Cela dit, retenons que M. Rottner, qui avait fait signer une pétition à plus de 60 000 Alsaciens pour défendre leur région, est devenu président du Grand Est et le premier militant de l'impossible retour à l'Alsace.
Après le rapport Marx, vous avez été chargée, madame la ministre, du dossier, dans le cadre étroit du « on ne touche pas à la région, ni dans ses frontières, ni dans ses compétences ». C'est ainsi que nous discutons, vous l'avez reconnu très honnêtement, d'une simple fusion de deux départements, mâtinée de quelques compétences que État veut bien nous céder.
J'ai dit précédemment que ce texte n'est pas rien, mais j'aimerais dire aussi que fusionner deux départements, ce n'est pas revenir à l'Alsace : c'est fusionner deux départements. Pour cela, du reste, il n'est pas besoin de loi. La loi porte sur le nom et les compétences d'État transférées.
Je voudrais souligner ici un point qui me chiffonne : soixante-douze heures avant les accords de Matignon, les députés et sénateurs ont découvert la démarche entreprise. Les deux présidents ont été mis sous pression tout au long d'un, et d'un seul week-end. Les accords de Matignon ont été signés un lundi, sans coordination ni consultation des parlementaires. Je vous avais fait part de ma mauvaise humeur. Vous m'aviez répondu que tout serait évoqué dans le cadre du temps parlementaire. Nous y voilà depuis quelques semaines et quelle est la doctrine du Gouvernement ? Les accords de Matignon, rien que les accords de Matignon ! Clairement, députés et sénateurs ne comptent pour rien dans cette affaire. Je voulais vous faire part sur ce point de mon immense déception.
Je voudrais enfin aborder ici les points qui me sont chers et qui ne coûtent rien. Tout d'abord, les statistiques : depuis toujours, nous avions, comme partout en France, des statistiques départementales, compilées à l'échelle régionale. Dès la création des grandes régions, la Banque de France, l'INSEE et d'autres organismes publics ont fait disparaître les données à l'échelle alsacienne. Je ne doute pas que l'ordre soit venu de Paris mais, demain, qu'en sera-t-il ? Nous aurons deux départements au sens de l'État et une collectivité alsacienne, la CEA. Madame la ministre, n'est-il pas temps d'arrêter d'effacer l'Alsace ?
Ensuite, les plaques minéralogiques : le gouvernement qui vous a précédés a souhaité imposer ses régions XXL jusque sur les plaques des véhicules français. Aujourd'hui, légalement, vous ne pouvez qu'apposer une plaque des nouvelles régions hollandaises : pour l'Alsace, le Grand Est. Il ne vous est pas possible d'apposer une plaque portant le blason alsacien. En revanche, si vous êtes en colère, vous pouvez apposer légalement une plaque corse ou bretonne ! Avouez, madame la ministre, que cela confine au ridicule. Vous nous rétorquez que cette question relève non pas de la loi mais du pouvoir réglementaire. Pourquoi pas ? Mais dans ces conditions, pourquoi, sur ce sujet comme sur les statistiques d'ailleurs, n'avoir pas pris les mesures nécessaires ? Modifier un arrêté ne coûte rien. Mon sentiment est que, sur ce point pourtant si simple, nous aurons du mal à obtenir une quelconque évolution.
Reste le plus grave : nous n'avions pas vu que, derrière la grande région, se cacherait le risque de briser le tissu social alsacien. Oh, ce n'est pas dans la loi ! Mais toutes les fédérations sportives, culturelles et professionnelles sont invitées à s'organiser à l'échelle du Grand Est. Si elles veulent des subventions de l'État ou de la région, s'organiser à l'échelle du Grand Est est obligatoire. Des décennies de solidarités régionales sont broyées.
Pour le sport, il n'y a plus de petit champion d'Alsace. L'Alsace étant le petit territoire derrière la montagne, dans une région de 400 kilomètres de long, soixante-dix fédérations ou organisations publiques ont quitté Strasbourg, généralement pour Nancy. De Strasbourg à Nancy, il faut deux heures pour l'aller et deux heures pour le retour, pour parfois une heure vingt de réunion. Vous imaginez le mouvement de retrait des cadres alsaciens de toutes les instances régionales !
S'agissant des administrations, après l'agence régionale de santé – ARS – , après la chambre régionale des comptes, c'est le rectorat que M. Blanquer voulait fermer à Strasbourg. Sans les gilets jaunes, ce serait peut-être déjà fait.
Si, sur ces questions, rien ne change, le texte d'aujourd'hui n'aura servi qu'à peu de chose pour la société civile de notre région. Je m'interroge d'ailleurs sur un point : Strasbourg, située à l'extrémité du territoire, est la grande perdante du Grand Est. Chaque jour, elle devient un peu plus une sous-préfecture régionale. Pensez-vous que son rôle de capitale européenne – 20 000 emplois tout de même ! – soit compatible avec ce déclin permanent ?
Chers collègues, je ne voudrais pas engager de polémique : je tiens simplement à vous dire à quel point cette question est essentielle, surtout pour les fédérations sportives et professionnelles, car il s'agit bien d'une destruction lente mais permanente du tissu social alsacien. Au cours de mon propos, je me suis interdit d'aborder le champ des compétences nouvelles accordées à la collectivité. Mon collègue Raphaël Schellenberger, qui s'est beaucoup investi dans ce dossier, le fera avec le talent que nous lui connaissons. Cela dit, celles-ci sont à la fois intéressantes, de portée trop limitée, parfois imprécises, et dépendantes des décisions temporaires ou ultérieures, ce qui n'est pas sans nous inquiéter.
Je voudrais terminer par un regret. Dans notre pays, chaque parcelle de notre territoire est administrée par six niveaux institutionnels : la commune, 1'intercommunalité, le département, la région, l'État, et l'Europe. À cela s'ajoutent désormais les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux – PETR – , qui montent en puissance et deviennent souvent des structures de gestion. Notre pays aurait pu, en Alsace, vivre une expérience salutaire de fusion des collectivités régionales et départementales. Mais non : le rail et la route, le sport de masse et celui de haut niveau, l'eau de surface et l'eau souterraine, les collèges et les lycées parfois voisins resteront gérés par des administrations différentes ! Le conseil d'Alsace reste notre objectif, un objectif politique, un objectif de rationalisation des politiques publiques, un objectif d'optimisation de la dépense publique.
Certes, avec cette loi, comme l'a dit M. Thiébaut, nous venons de loin, mais en définitive nous n'allons pas très loin. Le rapport Marx a été rendu le 15 juin 2018, et les accords de Matignon signés le 29 octobre 2018. Pour que le Parlement ne soit pas une simple chambre d'enregistrement, pour étendre les compétences dévolues à la CEA, pour affirmer ce qui doit l'être, nous vous demandons un renvoi en commission. Quelques jours pour l'Alsace, est-ce trop demander ?
Permettez-moi de finir ce propos par une réflexion qui me taraude. Il y a quelques mois, un anniversaire a été passé sous silence, celui du retour de l'Alsace à la France : cent ans au coeur de la République, après quarante-huit ans passés au sein de l'empire allemand. Cet anniversaire n'a ni été fêté ni même évoqué, comme d'ailleurs n'ont pas été évoqués les 50 000 morts alsaciens et mosellans, morts sous l'uniforme du Kayser parce que la France avait cédé en 1871 l'Alsace-Moselle. Pas un mot, pas un hommage.
Notre région ne vaut pas plus qu'aucune autre région. Les Français de métropole et d'outre-mer doivent être égaux et unis. Mais notre région mérite un regard, un autre regard, celui d'une France girondine, respectueuse des attentes de ses territoires. L'Alsace est une chance pour la France et elle n'a qu'une envie : être unie pour être forte au coeur de la République.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La parole est à Mme la présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
« Quelques jours pour l'Alsace, est-ce trop demander ? » est une très jolie question. La commission des lois, que je préside, a vraiment consacré plus que quelques jours à l'Alsace. Le Gouvernement a été extrêmement attentif à ce texte, qui nous vient du terrain. À la commission des lois, nous avons pensé qu'il fallait être à l'écoute de ce terrain. Notre rapporteur a pris de longs moments pour mener un certain nombre d'auditions à l'Assemblée. Il a notamment entendu quasiment l'ensemble des parlementaires de cette région.
Nous avons également consacré un long moment à la discussion générale en commission des lois. Les élus du Grand Est sont venus et ont obtenu la parole tant qu'ils le souhaitaient. Nous avons même délocalisé la commission des lois, et nous nous sommes rendus en Alsace, à Strasbourg, pour avoir des échanges avec les préfets et les élus du territoire. Le rapporteur a également prolongé ce séjour pour rencontrer les acteurs économiques et sociaux. Nous avons donc vraiment pris le temps.
Après ce déplacement, nous avons examiné ce texte pendant six heures trente en commission. J'ai donné la parole à dix ou quinze orateurs sur un seul amendement, parce que nous avons tous conscience que c'est un texte extrêmement important et qu'il faut être à l'écoute des territoires. C'est ce que nous avons fait en commission, et nous sommes mûrs pour débattre dans cet hémicycle. Bien évidemment, je pense que cette motion de renvoi en commission est inutile.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Monsieur le député, je vous remercie de votre intervention, même si le renvoi en commission ne s'inscrit pas dans notre logique. Je comprends qu'elle a été pour vous l'occasion de rappeler certains éléments qui vous tiennent particulièrement à coeur, à commencer par l'histoire de l'Alsace, que j'ai bien entendue. En même temps, vous avez reconnu le pas en avant que constitue la reconnaissance de l'existence institutionnelle de l'Alsace. C'est effectivement un point très important, et je vous remercie de l'avoir dit.
Je répondrai aux questions que vous vous posez encore au cours de l'examen du texte. En attendant, je vous remercie de ne pas voter ce renvoi en commission, qui ne nous permettrait pas d'avancer.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Dans les explications de vote sur la motion, la parole est à M. Bastien Lachaud.
Nous ne partageons pas pleinement l'argumentaire de notre collègue, c'est le moins que l'on puisse dire, mais les membres du groupe La France insoumise voteront cette motion de renvoi, pour deux raisons. Premièrement, ce projet de loi est la première application de la différenciation territoriale voulue par Emmanuel Macron, …
… sauf que la révision constitutionnelle n'a toujours pas été votée. Il nous semble donc problématique d'avancer si rapidement, alors que nous devrions au préalable débattre de la révision constitutionnelle.
Deuxièmement, si cette proposition était si nécessaire, si elle était plébiscitée par les Alsaciens, peut-être l'auraient-ils votée en 2013 ! Or ce n'a pas été le cas.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
On a l'impression que cette proposition est un remake du référendum sur le traité constitutionnel de 2005 : des Français, en l'occurrence des Alsaciens, disent non, et la représentation nationale s'assoit sur le choix des peuples.
Je vous renvoie aux derniers sondages : plus de 65 % des Alsaciens n'ont pas entendu parler de cette proposition, ou n'y sont pas favorables. Il faudrait peut-être prendre le temps de les mettre au courant de ce qui va leur arriver !
Mme Fiat applaudit.
Le groupe GDR considère que, depuis de trop nombreuses années, notamment en raison de la loi NOTRe, la carte administrative de notre pays et les politiques publiques sont écartelées, au nom du droit à la différenciation que le Gouvernement veut instaurer. L'État se désengage ainsi sciemment de ses responsabilités en contournant la réalité des inégalités sociales, territoriales et fiscales de notre pays. Pour notre part, nous défendons le principe d'une République une et indivisible, d'une France jacobine et de progrès partout et pour tous. Aussi, nous ne pouvons nous joindre au débat contradictoire entre le Gouvernement et la droite parlementaire. Nous ne participerons donc pas au vote de cette motion de renvoi en commission.
Le groupe Les Républicains soumet au vote de notre assemblée une motion de renvoi en commission. En réalité, de quoi s'agit-il, sinon d'un appel à la procrastination, sous couvert d'amélioration de ce texte ? Souvenons-nous de Montesquieu nous disant que le mieux est le mortel ennemi du bien.
Voici un projet élaboré en étroite coconstruction avec toutes les parties prenantes impliquées, qu'elles soient nationales ou locales, institutionnelles ou civiles. Je tiens ici à saluer mon collègue et ami Vincent Thiébaut pour son travail patient et continu pendant deux ans. Voici un projet émanant des deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, que la présidente Klinkert et le président Bierry ont défendu, et que les deux exécutifs départementaux ont déjà voté. Voici un projet d'avenir, soutenu par le Gouvernement dès le premier jour – je vous en remercie, madame la ministre – , un projet sanctuarisé le 29 octobre par l'accord de Matignon. Tout l'accord, rien que l'accord !
Une ritournelle alsacienne célèbre, dont la première référence documentée date de 1842 et que le grand artiste alsacien Charles Spindler a illustrée dans une de ses magnifiques marqueteries, doit éclairer notre débat.
L'orateur chante en alsacien. – Rires.
Il y est question d'un aubergiste de Koenigshoffen, dans ce qui n'était pas encore la première circonscription du Bas-Rhin, nommé Hans im Schnòckeloch, littéralement « Jean du trou aux moustiques » : un éternel insatisfait. Jean du trou aux moustiques a tout ce qu'il veut, et ce qu'il a, il n'en veut pas, et ce qu'il veut, il ne l'a pas. Jean du trou aux moustiques a tout ce qu'il veut. À force de ne pas savoir ce qu'il veut, le pauvre homme finira tristement à l'asile, comme un fou.
Soyez-en sûrs, mes chers collègues, l'Alsace ne veut pas finir comme notre témoin involontaire : elle sait ce qu'elle veut. L'Alsace est prête à se mettre en marche
Exclamations sur les bancs du groupe LR – Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM
pour concrétiser toutes les opportunités offertes par la nouvelle collectivité européenne d'Alsace. Le groupe La République en marche répond à l'Alsace et votera donc contre cette motion de renvoi en commission.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Je vous rappelle qu'il est plutôt interdit de parler dans une langue régionale ou dans un patois dans l'hémicycle.
Je rappelle la règle générale. Un orateur a dit tout à l'heure un mot à la tribune, c'est acceptable, mais je prie chacun de faire attention à ses propos.
La parole est à M. Patrick Hetzel.
Comme l'a rappelé M. Furst il y a quelques instants, lors de l'adoption de la loi NOTRe, il y a quelques années, nous avons assisté à un véritable déni de démocratie. Il n'y a eu aucune consultation de nos concitoyens. Encore aujourd'hui, les sondages – il y en a eu quatre depuis 2017 – indiquent clairement que les Alsaciens souhaitent un retour à une collectivité alsacienne de plein exercice.
C'est la raison pour laquelle, depuis quelques mois, nous insistons pour que cette collectivité alsacienne dont il est question puisse devenir une collectivité à statut particulier, comme le prévoit l'article 72 de la Constitution.
C'est tout à fait possible, et – cela a été dit, madame la ministre – il faut que le débat parlementaire sur ce point puisse avoir lieu. Je n'imagine pas un seul instant qu'il puisse se réduire à un simulacre de débat au motif que tout aurait été décidé à Matignon au mois d'octobre et que plus aucune avancée ne serait envisageable ; si cela arrivait, ce serait un grave problème.
Nous souhaitons au contraire que le débat qui s'engage soit un véritable débat, constructif, qui porte notamment sur cette question de la collectivité à statut particulier. Or, vous l'avez rappelé, pour le moment, c'est une fusion entre départements que permet le texte, non un retour à l'Alsace comme nous le souhaiterions évidemment. Nous allons donc continuer de nous battre dans l'hémicycle pour conférer à la Collectivité européenne d'Alsace de véritables compétences et obtenir ainsi une authentique avancée ; à ce jour, et depuis les déclarations de Matignon, les progrès nous paraissent un peu maigres.
Je veux d'abord m'associer au vibrant plaidoyer de Laurent Furst au sujet de l'Alsace. J'apprécie sa sincérité et j'approuve en partie ses propos au sujet de la loi NOTRe. Pour le reste, son intervention contenait plusieurs inexactitudes ; en outre, une partie de ce qu'il demande étant déjà intégré à la loi, je ne vois pas l'utilité d'y revenir.
Quant à la motion de renvoi en commission, elle ne paraît absolument pas opportune. D'abord, cela fait un an que nous discutons de ce sujet et il ne se passe pas une semaine sans que les parlementaires soient associés aux discussions pour donner leur avis et enrichir le débat.
Vous également, mon cher collègue !
En commission des lois – Mme la présidente l'a rappelé – , un travail exceptionnel a été fourni, incluant des déplacements en Alsace. Pourquoi donc recommencerait-on le débat en commission ?
Enfin, je constate non sans compassion l'impuissance que révèle l'intervention de mon collègue : il nous demande de départager les différentes lignes sur lesquelles Les Républicains sont eux-mêmes incapables de se mettre d'accord !
D'une part, la ligne des deux présidents de département qui souhaitent que l'on aille plus loin en leur donnant davantage de compétences ; de l'autre, la ligne du président de région, qui ne veut rien céder. Et voilà qu'à ces deux lignes il s'en ajoute une troisième !
Incapables de trouver une position commune, nos collègues demandent à notre assemblée de trancher.
Enfin, mon cher collègue, vous vous trompez de termes : c'est plutôt une motion de réexamen en commission pour convenances personnelles que vous demandez, puisque vous n'avez pas assisté à nos travaux !
Mme Caroline Abadie et M. Ludovic Mendes applaudissent. – Protestations sur les bancs du groupe LR.
Je n'entonnerai pas un chant en occitan pour vous vanter le merveilleux pays qu'est l'Ardèche ; vous n'aurez donc pas à me rappeler à l'ordre, madame la présidente.
J'avais cru comprendre qu'une motion de renvoi en commission avait vocation à parfaire un texte avec lequel on était d'accord, non à en demander le réexamen total, voire à en prendre le contre-pied. J'ai longuement écouté notre collègue tenter de motiver sa demande ; j'ai perçu dans son propos, par ailleurs éloquent, beaucoup d'amertume, …
... ainsi qu'une petite tonalité revancharde à l'égard du gouvernement précédent au sujet de la loi NOTRe. Mais son rêve de sortir de la région Grand Est ne se réalisera pas grâce à un renvoi en commission, non plus que par une collectivité à statut particulier : on doit reconnaître au Gouvernement la clarté du propos et de l'intention à ce sujet. Je vois donc mal le bénéfice que l'on pourrait tirer d'un renvoi en commission.
Enfin, le texte qui nous est soumis est le fruit d'une initiative territoriale, celle de deux départements,...
Si : de deux collectivités départementales, de deux exécutifs. Cela ne veut pas dire qu'il corresponde à la volonté unanime des Alsaciens ; mais, pour ma part, je respecte les exécutifs départementaux, y compris lorsqu'ils ne sont pas de mon bord. De ce point de vue, il ne me paraît pas nécessaire de leur faire perdre plus de temps que de raison.
Les membres de mon groupe, notamment alsaciens, et moi-même sommes d'accord avec plusieurs des propos qu'a tenus Laurent Furst.
Je tiens cependant à souligner un fait. Il y a déjà eu des lois relatives à l'Alsace ; Laurent Furst a procédé à un rappel historique à ce sujet. Il y en a eu en 1870, lorsqu'il s'est agi d'acter le départ de l'Alsace, annexée par le IIe Reich ; il y en a eu en 1919, pour acter, cette fois, son retour à la France ; il y en a eu en 1940, pour l'intégrer au IIIe Reich allemand ; il y a eu des lois et des ordonnances sur l'Alsace en 1945, pour acter à nouveau son retour à la France. Mais c'est la première fois, mesdames et messieurs, qu'une loi sur l'Alsace est examinée en dehors des circonstances dramatiques de la guerre.
M. Vincent Thiébaut applaudit.
Ce projet de loi n'est pas parfait ; nous aurons l'occasion d'en débattre, peut-être de l'enrichir encore. Mais je rappelle à mes collègues du groupe Les Républicains que, généralement, le renvoi d'un texte en commission équivaut à un enterrement de première classe.
Or je ne veux pas prendre le risque que le projet de loi soit renvoyé en commission pour ne plus jamais en ressortir : c'est ce soir, en effet, qu'il faut commencer à débattre. Nous voterons donc contre la motion.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-I et sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Si nous avions fait ce projet de loi, nous ne l'aurions pas fait ainsi : nous aurions créé une collectivité dotée à la fois des pouvoirs de la région et de ceux du département.
Cela étant, je ne vois pas l'intérêt de renvoyer le texte en commission, ce qui aboutirait, s'il est à nouveau examiné, au même résultat qu'aujourd'hui. Autant aller jusqu'au bout, puisque les Alsaciens l'attendent ; ce ne sera qu'un département, certes, mais ils attendent une collectivité qui porte le nom d'Alsace : c'est important pour eux.
Nous ne voterons donc pas la motion de renvoi en commission.
M. Jean-Jacques Bridey applaudit.
La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.
La planète se meurt, l'humanité étouffe ; et vous, dans cette enceinte climatisée, vous détruisez la République, pourtant la seule à même de nous permettre d'engager la transition écologique. Il fait trop chaud, et ce n'est pas normal. Une grande canicule ne devrait advenir que tous les dix siècles, non tous les dix ans. Mais, plutôt que de déclarer l'état d'urgence climatique, nous minéralisons encore davantage les villes – ici même, mais aussi en Seine-Saint-Denis, où il fait plus chaud, car on y trouve encore moins d'arbres.
Quel est le rapport, me direz-vous, avec le texte en discussion ? Face au dérèglement climatique, nous avons le choix entre le chacun pour soi et l'organisation méthodique. Or nous avons besoin d'un État organisé pour planifier la sortie des énergies carbonées. Mais vous, vous vous employez à détruire méticuleusement ce dont est faite la République : ses principes, pour commencer ; son organisation, ensuite. Nous avons besoin de faire peuple tous ensemble, solidairement ; et vous, vous vous échinez à inventer des divisions entre départements de l'intérieur et départements frontaliers.
Voilà qu'il devient urgent d'inventer les départements d'outre-Vosges, dotés de compétences spéciales. En tant qu'historien, je vous le rappelle, c'est sur les vieilles cicatrices que s'ouvrent les nouvelles blessures. Une telle perspective est dangereuse.
Pourtant, les choses sont écrites clairement : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » Ainsi commence notre Constitution commune.
Et bien que, vous le savez, notre courant politique s'oppose radicalement aux institutions de la Ve République, nous sommes prêts à défendre cet article 1er de la Constitution, dont vous entendez détruire l'esprit.
Le projet de loi tend à saper l'unité et l'indivisibilité de la République, ce qui est contraire au principe d'égalité et de laïcité.
Il est dangereux de toucher à l'unité de la République. Tout le monde comprend parfaitement que la règle soit la même pour tous. Le peuple français est très attaché au principe d'égalité. Or le projet de loi vise à appliquer pour la première fois la fameuse « différenciation territoriale » annoncée par le Président après son élection, mais qui ne faisait pas partie de son programme présidentiel : il n'avait pas fait part, en effet, de son intention de démanteler la République, sans quoi on peut gager que nombre de républicains auraient voté différemment.
Ce gouvernement n'a pas la légitimité démocratique nécessaire pour procéder à cette rupture majeure vis-à-vis de l'esprit de la République tel qu'il est proclamé à l'article 1er de la Constitution. Je vous rappelle que, jusqu'à ce qu'elle soit modifiée, la rédaction actuelle de la Constitution s'applique, et que l'amendement proposé par la majorité pour inscrire dans le texte constitutionnel le droit à la différenciation territoriale n'a pas été voté. Ne faites donc pas comme si c'était le cas !
Voilà qu'il faudrait créer une communauté transfrontalière en Alsace afin de constituer, en quelque sorte, un nouvel espace frontière, destiné, pour reprendre les termes de l'étude d'impact, à « réduire "l'effet frontière" ». Mais qu'en serait-il de la nouvelle frontière avec l'espace frontière ? Faudra-t-il encore en réduire l'effet ?
Il faudrait un bon orateur pour manier le raisonnement par l'absurde ! Et cela nous changerait !
Votre logique folle voudra ensuite que l'on crée une nouvelle communauté « transtransfrontalière » – et ainsi de suite, jusqu'à ce que tout le pays soit balkanisé, sans ordre ni méthode, sous l'effet de dérogations dérogatoires : une pagaille complète dans les normes, des normes que vous-mêmes réclamerez alors de simplifier. Que n'a-t-on dit, en effet, de l'incompréhensible mille-feuille administratif ! Et voilà que l'on en crée une nouvelle couche.
D'ailleurs, pourquoi s'arrêter là ? Pourquoi pas une communauté frontalière des Alpes, des Pyrénées, de Calais, du Nord – et même d'Île-de-France, puisque le plus grand point de passage frontalier est en fait constitué par les aéroports de Paris,...
... que vous essayez de privatiser ! Pourquoi n'y a-t-il qu'avec l'Allemagne que vous envisagiez cette coopération ?
Si le principe est bon, il faut l'appliquer partout ; s'il est mauvais, il ne faut l'appliquer nulle part.
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.
Au lieu de la frontiérisation de la frontière jusqu'à l'Atlantique, il faut s'arrêter quelque part, comme le disait Aristote. Il serait sage, me semble-t-il, d'en rester à des principes simples : la loi est la même pour tous, et s'applique pareillement sur l'ensemble du territoire.
Personne n'est convaincu. Même le Conseil d'État n'est pas certain qu'en matière de coopération transfrontalière le nouveau département soit plus à même de coordonner les actions des collectivités que la région Grand Est, et il critique l'organisation qui maintient deux préfets pour un seul département. Allez comprendre !
Plutôt que de créer une collectivité dérogatoire au droit commun, nous devrions faire au contraire en sorte que la loi soit réellement la même pour tous : en Alsace-Moselle, il est bien plus urgent d'abroger les dispositions concordataires datant de Napoléon Bonaparte,...
Protestations sur les bancs du groupe LR
Ne vous inquiétez pas, monsieur Lachaud, je fais le nécessaire. S'il vous plaît, laissez l'orateur s'exprimer ! Vous pourrez lui répondre ensuite.
La laïcité ne doit pas servir à faire périodiquement des moulinets pour stigmatiser telle ou telle personne. La laïcité, c'est d'abord...
... et avant tout l'unité du peuple souverain, qui accepte les mêmes lois, qu'il se donne à lui-même comme peuple politique, et n'en accepte aucune autre, notamment religieuse. La République, en effet, ne reconnaît que des citoyens égaux, et n'admet aucune communauté, ni religieuse ni d'un autre ordre.
Il est plus que temps de mettre fin à cette anomalie de l'histoire : la séparation des Églises et de l'État doit s'appliquer partout pareillement,
Applaudissements sur les bancs du groupe FI
et l'État doit cesser de financer certains cultes sur certains territoires.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Les principes républicains sont plus simples : l'égalité, partout, tout le temps.
Mais l'abomination ne s'arrête pas là car, non content de ruiner l'unité de la nation, ce projet de loi est, encore une fois, une façon de bafouer le vote du peuple en lui imposant ce qu'il avait rejeté. En 2013, il y a eu un vote sur la possibilité d'une telle communauté unique : ce projet a été rejeté,...
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
... faute de participation suffisante pour l'approuver, et rejetée majoritairement dans le Haut-Rhin. On voudrait nous faire croire à un projet visant à tenir compte des spécificités alsaciennes. En 2013, il ne s'est pas trouvé assez de personnes pour aller voter. Aujourd'hui encore, les sondages montrent que 65 % de la population n'ont pas entendu parler de cette collectivité spéciale, ou ne savent pas de quoi il s'agit. Je suis prêt à parier que si nous revotions aujourd'hui, nous obtiendrions le même piteux résultat.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
M. Raphaël Schellenberger s'exclame.
Rires.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Reprenons le cours de notre discussion ! Poursuivez, monsieur Lachaud !
La méthode de contournement de la décision du peuple mise en place pour le traité constitutionnel européen est en train d'être appliquée à nouveau aujourd'hui. Le peuple n'en veut pas mais, comme pour le traité de Lisbonne, il l'aura quand même, car les parlementaires savent bien mieux que lui ce qui est bon pour lui ! Voilà donc que l'on organise, par le biais d'un traité international et d'un vote à l'Assemblée nationale, cela même que le peuple avait rejeté. Forfaiture, peut-être même trahison !
« Non ! » sur les bancs du groupe LR.
Si ! Où sont donc passés les grands démocrates d'opérette qui nous assenaient des leçons, l'an dernier, sur une démocratie plus représentative ? Aveuglés par Berlin et le fumeux modèle allemand, ils veulent à présent dépecer l'unité de la République au nom d'une coopération franco-allemande à laquelle ils sont les seuls à croire. Non, la France n'est pas une République fédérale. Non, nous n'avons pas à singer minablement les Länder allemands, en bazardant toute notre tradition républicaine d'organisation communale, départementale et nationale.
Dernière forfaiture, et non la moindre, ce projet de loi vise à créer du dumping social et environnemental en introduisant une concurrence entre les territoires.
En effet, ce texte est directement issu des préconisations du traité d'Aix-la-Chapelle du 22 janvier 2019, qui veut accroître la coopération transfrontalière entre la France et l'Allemagne en facilitant « l'élimination des obstacles dans les territoires frontaliers afin de mettre en oeuvre des projets transfrontaliers. » Je traduis en français commun : on organise une zone franche visant à instaurer le moins-disant social et environnemental.
Alors qu'on nous sert du bla-bla sur le « make our planet great again », on prépare de nouveaux saccages environnementaux. Le premier d'entre eux serait sans doute le Grand Contournement Ouest de Strasbourg, nouveau grand projet inutile et imposé, largement contesté, aux conséquences environnementales désastreuses.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
À moins que toutes les routes nationales ne soient privatisées avant, au point où on en est !
Le traité prévoit encore de doter les entités « de compétences appropriées, de ressources dédiées et de procédures accélérées (... ), en particulier dans les domaines économique, social, environnemental, sanitaire, énergétique et des transports », tandis que des dérogations peuvent être accordées. Il est à parier que, comme d'habitude, la convergence se fera par le bas et non par le haut. Les normes les plus faibles seront choisies pour éliminer les obstacles, comme dans n'importe quel traité de libre-échange.
En résumé, ce projet de loi n'est pas seulement mal ficelé : il est surtout très dangereux. Il porte atteinte à l'unité et à l'indivisibilité de la nation en créant différentes catégories de citoyens, qui ne seraient pas soumis aux mêmes règles. Nous refusons la « länderisation » progressive et insidieuse d'une partie des départements français. Nous n'acceptons pas de nous plier au commandement allemand, dont la nouvelle cheffe de file de la droite voudrait supprimer le siège du Parlement européen de Strasbourg, choisi comme symbole de la coopération pacifique des peuples. Nous n'avons pas besoin de ces fadaises pour instaurer une coopération respectueuse et égalitaire entre les peuples.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
J'avoue que je ne sais par où commencer après avoir entendu autant d'âneries !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Exclamations sur les bancs du groupe FI.
Monsieur Lachaud, vous voulez comprendre l'Alsace, venez la vivre plutôt que de l'apprendre sur Wikipedia !
Madame la présidente ! Pas d'insultes dans l'hémicycle ! Pour qui se prend-il ?
Exclamations sur divers bancs.
Je vous incite les uns et les autres à faire attention aux mots que vous employez concernant vos collègues...
On peut échanger des arguments mais pas proférer des injures ! C'est intolérable !
Il ne sert à rien de hurler comme cela dans l'hémicycle, monsieur Corbière ! S'il vous plaît !
Mon rôle, je l'assume ! Je viens de rappeler à chacun des orateurs comme des députés présents de faire attention aux mots qu'ils emploient.
On a le droit d'être en désaccord avec nous mais pas de nous insulter !
L'examen de ce projet de loi est une étape majeure dans un processus né il y a deux ans, dans lequel je me suis pleinement engagé. J'en profite pour remercier mes collègues de La République en marche, Thierry Michels, Martine Wonner et Bruno Studer, pour m'avoir accordé leur confiance et m'avoir laissé défendre ce projet.
Pour comprendre ce texte, il faut d'abord comprendre l'Alsace. L'Alsace a une histoire, une identité et des traditions fortes. L'Alsace, c'est avant tout la fierté de ses traditions.
Comprendre l'Alsace, c'est comprendre son ancrage territorial, son terrain de jeu. Mais quel est-il ? Les frontières naturelles de l'Alsace sont constituées par les Vosges – et non par le Rhin – , par la Forêt Noire et, plus bas, par la Suisse : c'est le bassin rhénan. L'Alsace est à la croisée des routes européennes, d'est en ouest, du nord au sud.
Disons les choses clairement : oui, le redécoupage régional a laissé un goût amer aux Alsaciens, qui ont le sentiment d'avoir perdu une partie de leur identité du fait de la non-reconnaissance de leurs spécificités. Je salue les représentants des départements ici présents ; je me suis engagé à leurs côtés pendant deux ans pour mener à bien ce projet.
J'ai poursuivi deux objectifs : tout d'abord, revenir aux contours institutionnels de l'Alsace pour réaffirmer son identité et sa culture ; ensuite, lui donner les compétences et les moyens lui permettant de s'exprimer sur son territoire et dans le bassin rhénan, pour un projet tourné vers ses voisins, vers l'Europe, un projet innovant et d'avenir.
Nous étions attendus. Le cadre a été fixé par le Président de la République, cadre dans lequel le Premier ministre a nommé le préfet Jean-Luc Marx pour mener à bien sa mission et présenter un rapport, et vous a chargée, madame la ministre, de nous accompagner dans la réalisation de ce projet. Je tenais à vous remercier pour votre écoute, votre compréhension et la qualité de votre travail, saluée par tous.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans la continuité d'une déclaration commune faite avec l'ensemble des collectivités locales – les deux départements et la région – et le Gouvernement, dans le cadre fixé par le Président. La priorité a été de donner une réponse aux grandes réformes nationales avant de mener une grande réforme territoriale.
Le projet de loi que nous examinons accorde des compétences nouvelles à cette nouvelle collectivité européenne d'Alsace – compétences que la région Alsace précédente n'avait pas – : le transfert des routes, ce qui permettra d'instituer une taxe ou une redevance et donc de réguler le trafic ; le renforcement des compétences en matière transfrontalière, – je salue d'ailleurs les évolutions apportées dans le domaine sanitaire, qui est un sujet sensible – ; le développement du plurilinguisme, et particulièrement du bilinguisme, dans la langue régionale, qu'elle soit alsacienne ou allemande. Tel est l'objet de ce projet de loi : permettre à la collectivité de pouvoir clairement s'exprimer.
En revanche, je reconnais que ce projet de loi ne constitue pas l'alpha et l'oméga : ce n'est qu'un début de réponse. Le Gouvernement, par la voix du Premier ministre, l'a dit clairement en présentant l'acte II du quinquennat : nous irons plus loin dans les réformes territoriales, pour apporter plus de souplesse, plus de flexibilité aux collectivités. Il y a certes le droit à la différenciation, mais il y a aussi la réforme en cours de préparation par Sébastien Lecornu, attendue des élus locaux.
Nous commençons cet acte II avec un projet de loi répondant clairement à cette question. Je remercie aussi le Gouvernement d'y avoir répondu par la loi : c'est une reconnaissance forte des spécificités alsaciennes ainsi que des attentes des Alsaciens et des Alsaciennes. Madame la ministre, merci : je suis sûr que les discussions que nous aurons dans l'hémicycle nous permettront encore d'avancer.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
L'Alsace, ce territoire de la République française dont le nom parle à tous. L'Alsace, que la géographie et l'histoire ont toujours placée au coeur de l'Europe. L'Alsace enfin, qui se vit comme une passerelle européenne. Cette région, notre région, a toujours su faire preuve d'ouverture et d'innovation en mobilisant sa culture à la fois latine et germanique pour tirer le meilleur de chacune de ces influences. Elle est terre d'innovation territoriale, mais également sociale, politique et économique.
Cette capacité à puiser au fond d'elle-même le meilleur que l'homme puisse offrir à la société a beaucoup souffert au fil de l'histoire. Devant un monument aux morts, où en Alsace ne figure jamais l'inscription « Morts pour la France », chaque famille alsacienne revit l'histoire d'une région qui a été au coeur des divisions européennes jusqu'à la Deuxième Guerre Mondiale.
De 1870 à 1945, des Alsaciens ont pu changer cinq fois de nationalité. De cette histoire est née une volonté d'innover. Les lois de décentralisation, dès les années 1970, ont permis à l'Alsace de mettre cette innovation en pratique. De la gestion décentralisée des fonds européens aux trains express régionaux, l'Alsace a toujours alimenté le moteur de l'innovation territoriale.
De 2010 à 2013, l'Alsace a voulu ouvrir une nouvelle voie de la décentralisation en étant la seule région à se saisir de l'opportunité de fusionner, par référendum, la collectivité régionale et les collectivités départementales, afin de créer une collectivité unique. Je garde de cette période le souvenir d'un engagement politique fondateur car ce défi dépassait tous les clivages. Il était l'opportunité de dépasser les divisions habituelles pour porter ensemble un message d'engagement pour l'avenir. Avec plusieurs dizaines de jeunes militants politiques, engagés à gauche comme à droite, nous nous étions rassemblés pour défendre ce projet d'espoir pour la jeunesse alsacienne. Malheureusement, bien que près de 58 % des électeurs se soient exprimés en faveur du projet, les conditions de succès du référendum, telles qu'elles avaient été définies par la loi, n'ont pas été satisfaites.
Cela n'a pas empêché une évolution de l'organisation territoriale en France, cette fois-ci, sans référendum, sans consulter les Alsaciens, sans consulter les collectivités territoriales et en méprisant les traités internationaux par lesquels la France est liée. Ainsi, en 2015, François Hollande, Manuel Valls et le parti socialiste ont décidé, avec une gomme et un crayon, de rayer l'Alsace de la carte. De cette décision est née une blessure profonde.
Cette blessure pour l'Alsace a engendré une nécessité de corriger cet acte unilatéral et méprisant du gouvernement d'alors et du pouvoir central à l'endroit des Alsaciens. Dès 2015, les conseils départementaux du Haut-Rhin, sous la présidence d'Éric Straumann puis de Brigitte Klinkert, ainsi que celui du Bas-Rhin, sous la présidence de Frédéric Bierry, se sont engagés dans un processus de rapprochement.
Cette mobilisation a conduit, en novembre dernier, à la signature d'une déclaration commune, à Matignon, en votre présence, madame la ministre, celle du Premier ministre, de la ministre chargée des transports et des présidents d'exécutifs locaux. Cette déclaration commune, sur le fondement de laquelle le présent texte a été élaboré, n'est qu'un compromis qui ne satisfait réellement personne. Les demandes de sortie de la région Grand Est ou de création d'une collectivité territoriale à statut particulier ont été écartées dès l'origine par le Président de la République et le Premier Ministre. La conclusion est donc nécessairement tiède car construite sur un principe incompréhensible pour les Alsaciens. En alsacien, on dirait :
M. Schellenberger s'exprime en alsacien
c'est du café froid.
Ainsi ce texte, du point de vue du Gouvernement, fait de la demande légitime des Alsaciens un moyen de justification de la réforme constitutionnelle à venir et de la mise en place d'un droit à la différenciation. Force est de constater que, loin de servir l'Alsace, cette logique a conduit le Gouvernement à refuser le statut de collectivité à statut particulier pour l'Alsace, qui aurait pourtant eu bien plus de sens qu'une construction administrative qui ne s'énonce pas clairement.
Ainsi ce projet de loi ne peut pas être lu comme étant le reflet de ce que veulent les Alsaciens comme j'ai pu l'entendre en commission, d'abord parce que le principe de la démocratie représentative, auquel je suis particulièrement attaché, nous conduit nécessairement à écarter ces arguments d'autorité pour leur préférer des arguments techniques et politiques construits sur la base d'un raisonnement et d'une contradiction ; ensuite parce que si le Gouvernement avait voulu écouter les Alsaciens, il aurait été bien plus attentif aux formulations claires issues de plusieurs sondages qui démontrent, de façon constante, que le Grand Est n'a aucune cohérence qui permette aux citoyens de s'approprier les enjeux de ce territoire et les amène donc à continuer de souhaiter sortir de cette grande région, à plus de 80 % et plus de quatre ans après la création de cette superstructure.
Néanmoins, si ce projet ne satisfait pas l'ambition de l'Alsace, il permet quelques avancées qui seront utiles à notre région. La première et la plus importante, c'est le transfert des routes nationales et autoroutes non concédées.
Ce transfert doit permettre à l'Alsace de mieux gérer demain les problèmes de mobilités dans son territoire qui connaît une spécificité évidente. L'échelle du territoire, en la matière, c'est le bassin rhénan. Entre les Vosges à l'ouest et la Forêt Noire à l'est, ce bassin est très contraint. La mise en place de la LKW Maut en Allemagne a déporté nombre de camions sur les routes alsaciennes qui sont désormais saturées et très accidentogènes.
Si ce transfert est souhaité et justifie à lui seul notre soutien à ce texte, il ne dispose pour le moment pas encore des garanties nécessaires. Ainsi il faut absolument que, lors de nos discussions, nous parvenions à mieux cibler le montant du transfert de charges, notamment en introduisant un coefficient de vétusté dans le calcul et en actant de la création par la loi d'une redevance écologique pour les poids lourds proportionnelle à leur usage des infrastructures routières alsaciennes. Ces deux points sont pour nous indispensables.
Ce texte favorisera également quelque peu la transmission du bilinguisme sur notre territoire. J'ai entendu en commission et lu dans les amendements déposés en séance que certains collègues souhaitent que l'on précise que le bilinguisme en Alsace se fait avec la langue allemande. Comme vous, madame la ministre, j'y suis opposé. En effet, je considère que le cadre actuel est largement suffisant et respecte ce qu'est l'alsacien.
S'il s'agit d'un dialecte alémanique, son usage a beaucoup changé au fil du temps. Lorsque l'Alsace était allemande, ce dialecte n'était pas bien vu, bien que son parler ait au préalable justifié l'annexion de l'Alsace. Mais au retour à la France, il devenait chic de parler français, et au-delà des brimades subies en cours d'école pour avoir parlé,
M. Schellenberger prononce alors une expression en alsacien
c'est à dire « comme le bec nous est poussé », parler alsacien est progressivement devenu une honte.
Je suis né en 1990, dans mon village, je fais partie des rares classards dont la langue maternelle est encore l'alsacien et qui aient appris le français à l'école de la République. Cela me conduit à affirmer avec conviction que l'alsacien n'est pas une langue publique. C'est la langue de l'intime, celle de la cellule familiale, celle que l'on parle au bistrot ou à l'atelier. En public, on parle français et ce caractère permet peut-être aussi certaines nuances en alsacien qui n'existent pas dans la langue de Molière. Cette langue est aussi le vecteur de transmission de traditions comme la satire rhénane qui n'épargne pas les politiques à la saison des carnavals.
Toute l'histoire de l'Alsace mais aussi tout son avenir se construisent dans sa capacité à tisser des liens avec les territoires voisins.
Ce texte confère à la future collectivité européenne d'Alsace compétence pour créer un schéma alsacien de la coopération transfrontalière. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce débat au cours de la discussion. Je tiens néanmoins à casser une idée reçue : l'Alsace ne regarde pas uniquement vers l'Est. Elle a toujours été ouverte à 360 degrés et entend le rester. Ainsi, lorsque le Territoire de Belfort a sollicité le département du Haut-Rhin, cher Éric Straumann, afin de réaménager plusieurs intersections routières afin de faciliter l'accès au Rhin des turbines électriques produites par General Electric à Belfort, cela a pris moins d'un an entre la délibération des conseils départementaux et la réception des travaux.
Malheureusement cet effort des collectivités alsaciennes et locales n'aura pas suffi à stopper l'entreprise de démantèlement de ce joyau de l'industrie française menée par Emmanuel Macron alors conseiller aux affaires économiques de François Hollande.
Mais lorsque de tels projets sont transfrontaliers, cela est bien plus compliqué. Ainsi cette compétence permettra à l'Alsace de s'ouvrir à 360 degrés et de devenir la vraie passerelle entre la France, l'Allemagne et la Suisse dont nous manquons cruellement.
Ce texte, loin de refermer l'Alsace sur elle-même, est au contraire une ode à la différence, cette différence qui doit nous conduire au respect et au dialogue, cette différence qui, assumée, nous conduit à mieux reconnaître nos similitudes et notre volonté de construire ensemble.
Quel bonheur, la semaine dernière, d'échanger sur WhatsApp avec quelques collègues, jeunes députés républicains, dans nos dialectes respectifs, sans que nous soyons réellement capables de nous comprendre mais en nous rappelant ce qui nous rassemblait, ce pour quoi nous nous sommes engagés : la France !
Madame la ministre, monsieur le rapporteur, je me réjouis d'aborder sérieusement la discussion de ce texte. L'Alsace est le berceau de l'humanisme, grâce à son positionnement comme une terre d'échanges et de rencontres, cet humanisme qui questionne avant tout la place et le respect de l'homme dans son environnement. En abordant cette discussion je formule le voeu que l'identité de l'Alsace, sa volonté d'être systématiquement dans le dialogue, la construction et le compromis plutôt que dans l'opposition et la violence soit une force, une force qui inspire le respect et qui conduise notre assemblée à faire confiance à la future collectivité européenne d'Alsace et à la doter des compétences et des moyens nécessaires qui lui permettront de toujours mieux servir le projet Français en donnant le meilleur de sa double culture.
Vive l'Alsace, vive la République et vive la France !
« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LR.
En m'exprimant à cette tribune, je pense en premier lieu avec une très grande émotion à mes compatriotes, Alsaciennes et Alsaciens, à leurs attentes, à leurs espoirs maintes fois déçus. Je pense aussi et surtout aux générations futures car ce sont elles qui mesureront réellement la portée de ce texte. La création d'une collectivité européenne d'Alsace, c'est la réparation d'une injustice, c'est aussi la reconnaissance d'une spécificité historique mais c'est surtout une renaissance et une chance de prendre enfin notre avenir en mains et de jouer un rôle pilote et précurseur dans l'intégration européenne.
Il faut avoir à l'esprit que l'Alsace, c'est un héritage administratif et juridique différent de celui du reste de la France. Le Concordat encore en vigueur dans la région est devenu un symbole, celui d'une Alsace attachée à son histoire, à ses valeurs, symbole d'une Alsace multiconfessionnelle, tolérante et bienveillante. Le droit local est, quant à lui, devenu le symbole d'une Alsace forte de ses périodes allemandes, une Alsace en avance sur les protections sociales ; le symbole d'une Alsace qui a su conserver une partie de son histoire et se montrer capable de faire cohabiter en harmonie les différentes influences culturelles auxquelles elle a toujours été soumise.
L'Alsace, c'est une langue, c'est un accent, objet de mauvaises imitations ici, de moqueries là,,
Exclamations sur les bancs du groupe LR
mais c'est une langue vivante qui raconte l'histoire de la région et de ses habitants. La langue, c'est un vecteur identitaire, c'est le symbole d'une appartenance à une communauté singulière. Ce sont nos racines parce que nous l'avons parlé avec nos parents. L'Alsace n'est par conséquent pas que française. En dépit de son attachement viscéral à la France et de ses marques d'amour, l'Alsace reste alsacienne et européenne autant qu'elle est française. C'est tout cela qu'il faut avoir à l'esprit pour comprendre ce à quoi aspirent Alsaciennes et Alsaciens, des citoyens qui se sont trop souvent sentis oubliés et même méprisés. Pourtant ils n'ont jamais tourné le dos à cette France à laquelle ils ont choisi pleinement et librement d'adhérer.
L'Alsace a tant donné à la France : Victor Schoelcher abolissant l'esclavage ; Jean-Baptiste Kléber menant les armées françaises en Égypte ; une industrie fer de lance de la révolution industrielle en Europe, qui est née à Mulhouse, le Manchester français, ou encore Tomi Ungerer dont les oeuvres sont partagées par tant d'écoliers du monde entier.
En retour, l'attachement de la France à l'Alsace n'est plus à prouver : volant au secours de leurs frères d'outre-Vosges, les soldats de la République se sont battus pour la libération de la région à de nombreuses reprises tandis que les élus faisaient de Strasbourg le symbole de cette nouvelle Europe de la paix et de l'entente entre les peuples.
Même si le patrimoine et l'identité alsaciens sont forts et vivants, ce serait une erreur d'aborder la question alsacienne par son volet identitaire et administratif. La question du maintien de l'Alsace dans la région Grand Est est posée quotidiennement. Assurément la création d'une collectivité européenne d'Alsace n'est qu'une première étape.
« Bravo ! » et vifs applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Mais cette question ne peut en aucun cas constituer une fin en soi : les réponses que nous devons apporter à nos compatriotes – c'est certainement notre plus grande responsabilité – doivent répondre à des problèmes concrets et améliorer leur mode de vie. La CEA doit apporter et apportera des améliorations en termes de mobilité, de bilinguisme, d'emploi, de santé, de vie associative ou encore de rayonnement international. Il doit clairement y avoir un avant et un après-CEA !
L'Alsace ne fait partie de la région Grand Est que depuis quatre ans et une grande partie des problèmes sont plus anciens, les maux sont plus profonds. L'Alsace accuse un retard criant en matière d'enseignement bilingue. Par exemple, 40 % des enfants sont en classe bilingue au Pays basque contre à peine 17 % en Alsace, et c'est pourtant l'académie de Strasbourg qui pilote les classes bilingues depuis 1992 ! De la même façon, l'Alsace est la région où le chômage a le plus progressé depuis vingt ans !
Faire croire aux Alsaciens que la sortie de la région Grand Est serait la solution à tous les maux de l'Alsace est illusoire. C'est même à certains égards mensonger, en tout cas clairement démagogue.
Protestations sur les bancs du groupe LR.
Pour répondre aux défis majeurs qui nous attendent, nous avons besoin d'outils ; nous avons besoin de compétences nouvelles et adaptées ; nous avons besoin d'engagements et de volonté. Commençons, chers collègues alsaciens, par exercer les compétences que nous avons obtenues. Exerçons-les bien, exerçons-les avec efficacité, exerçons-les mieux que quiconque et lorsque nous aurons fait la preuve de nos résultats par notre travail, notre acharnement et notre talent, qui pourra alors refuser de nous confier encore plus de compétences, toutes celles que nous avons l'ambition d'exercer avec ou en dehors du Grand Est s'il le faut ? Grâce à ce projet de loi nous allons prendre en charge les questions du bilinguisme, du tourisme, de la gestion des routes ou encore celle, centrale, de la coopération transfrontalière.
Durant le débat j'espère que nous pourrons obtenir des précisions sur la marque Alsace, sur l'apprentissage, domaine dans lequel nous avons fait nos preuves, sur l'économie de proximité ou encore sur les fédérations sportives et culturelles. Si certaines fédérations y voient un intérêt en termes de niveau de compétition, d'autres souffrent de voir le nombre de leurs adhérents diminuer à mesure que leurs bénévoles se découragent.
N'attendez pas pour autant du groupe MODEM une surenchère gratuite et démagogue par rapport aux accords dits de Matignon. Nos propositions d'amendement se situent dans le droit fil de ces accords. Il ne s'agira pas pour nous de trahir la volonté des représentants locaux, les présidents des deux départements et celui de la région Grand Est.
Il faut comprendre que le présent projet de loi constitue le résultat d'un long chemin parcouru par les Alsaciens pour la reconnaissance de leurs spécificités. Sans jamais rien abandonner, ceux-ci ont exprimé leurs volontés, à sens unique souvent, sans même être entendus. Souvenons-nous des rendez-vous manqués : le référendum d'avril 2013 d'abord, qui s'est soldé par un échec. Ce fiasco politique est venu déjouer tous les sondages d'opinion. Entre désunion du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, renoncements, reniements, calculs politiciens, ce qui aurait pu être un tournant dans le destin de l'Alsace est devenu le symbole d'un échec collectif et particulièrement de la classe politique.
L'Alsace, désemparée et désunie, n'a alors été qu'une proie facile et sans défense à la merci de la loi NOTRe : promulguée le 7 août 2015, cette loi signait la disparition et la négation de l'Alsace jusque dans ses moindres compétences.
Mais en cette première Journée mondiale des amoureux de l'Alsace, j'ai une très bonne nouvelle pour vous : l'Alsace et les Alsaciens sont et resteront immortels ! Aujourd'hui, l'Alsace renaît grâce aux présidents des trois collectivités – je tiens à saluer particulièrement Brigitte Klinkert, présidente du département du Haut-Rhin, dont la vision et la constance ont su déjouer tous les pièges et qui a su donner corps à ce projet malgré le tumulte des négociations et la pression de certaines opinions publiques.
Mais, il faut le dire ici en toute objectivité, si l'Alsace renaît devant nous, c'est grâce à la volonté et à l'engagement du Président de la République, du Premier ministre et, bien évidemment, de Jacqueline Gourault, qui n'a pas ménagé ses efforts. Je tiens à la remercier ici publiquement et du fond du coeur pour le travail accompli. Les Alsaciens vous en seront reconnaissants, madame la ministre.
M. Erwan Balanant applaudit.
Je vous remercie.
Ce texte incarne bien plus qu'une simple renaissance : il constitue une vraie chance pour l'Alsace, pour la France et pour l'Europe.
L'ambition européenne de la Collectivité européenne d'Alsace n'a échappé à personne. L'Europe de demain a besoin de pionniers pour s'essayer. Avec la Collectivité européenne d'Alsace, l'Alsace et ses Alsaciens le seront immanquablement !
Faire de l'Alsace la préfiguration de ce que l'Europe pourrait être en termes d'intégration, en termes de rapprochement fiscal et social, en termes de coopération bilatérale, c'est cela la véritable ambition de ce projet de loi ! C'est cet espace totalement européen que nous pouvons construire grâce à ce texte, grâce au transfert de compétences transfrontalières ! C'est ce rendez-vous que nous ne devons pas manquer pour assurer les Alsaciens et les Alsaciennes d'être des précurseurs !
Cette Alsace innovante, laboratoire d'idées et d'expériences, en avance sur son temps et contributrice au projet européen, c'est cette Alsace-là que nous devons aussi faire renaître ! C'est avec cette ambition et avec la foi en nos capacités collectives que nous voterons ce texte !
Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM.
On peut ne pas être alsacien et aimer l'Alsace. Je tenais à commencer ainsi car j'ai parfois le sentiment que ce débat réunit essentiellement des Alsaciens. Or lorsque l'on parle de la République, c'est l'ensemble des parlementaires qui sont concernés.
Tout à fait.
Réunir deux départements pour créer une collectivité nouvelle n'est pas une décision anodine. Dans le cas précis de la future Collectivité européenne d'Alsace, ce sont bien deux départements qui ont souhaité franchir ce cap. C'est pourquoi, dans ces conditions, je tiens à rappeler en préambule un principe auquel nous nous attacherons : respecter l'initiative territoriale, même s'il faut se garder de la considérer comme l'expression majoritaire des citoyens alsaciens.
Après l'échec du référendum d'avril 2013 et à la suite des contestations nées de la création de la région Grand Est en 2016, de nombreux élus du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ont avancé l'idée de recréer une collectivité territoriale autour de ce territoire alsacien dont l'identité ne saurait être contestée.
Ainsi, une délibération concordante des deux conseils départementaux a-t-elle officialisé cette volonté de fusion. Une déclaration commune dite de Matignon a fixé le cadre général et un décret en Conseil d'État publié en février dernier a entériné sa création.
C'est dans ce contexte qu'intervient le projet de loi que nous examinons aujourd'hui. Cette nouvelle étoile dans la galaxie institutionnelle, bien que nommée Collectivité, sera donc un département de droit commun – vous l'avez rappelé tout à l'heure, madame la ministre – mais on se refuse à l'appeler département d'Alsace. Dans le même temps, le Gouvernement a annoncé qu'il maintiendrait l'existence de deux préfectures, donc, de deux départements administratifs.
Au fond, vous créez un objet institutionnel inédit en France : plus tout à fait un département – il n'est pas dénommé département d'Alsace – , pas une région non plus puisque le périmètre de la région Grand Est demeure ainsi que ses prérogatives.
Alors, avouons que dans le concert de critiques récurrentes adressées au mille-feuille ou devant la complexité d'un paysage constitué de quatre échelons locaux, vous ajoutez un peu d'opacité au paysage institutionnel français ! Au fond, il appartiendra aux Alsaciens eux-mêmes de dire dans quelques années si cette CEA a vraiment changé leur vie.
Ceux qui caressaient le rêve de sortir de la région Grand Est sont donc déçus. Reste à savoir si ceux qui, avec la CEA, aspiraient à préfigurer un acte nouveau de la décentralisation seront quant à eux pleinement satisfaits.
Résoudre des questions liées à la culture d'un territoire, à son identité, à son histoire, ne saurait relever plus de la communication que du droit. Or, le nom de baptême choisi relève plutôt du premier registre.
Vous avez choisi de nommer cette nouvelle entité « Collectivité européenne d'Alsace », dénomination qui ne manquera pas de susciter des interrogations. Le Conseil d'État ne s'y est d'ailleurs pas trompé : il souligne qu'elle est « susceptible d'engendrer une double méprise sur la nature juridique de la nouvelle collectivité » et que l'épithète « européenne » ne renvoie à une aucune catégorie ou régime particuliers sur le plan juridique, et semble même évoquer à tort l'attribution d'un statut extraterritorial à ce nouveau département.
Parlons à présent du fond de ce projet de loi et de son contenu.
De nombreux territoires frontaliers suivront sans doute attentivement ces débats et s'interrogeront sur l'intérêt qu'il pourrait y avoir à s'engager dans une démarche de même nature. Qu'il s'agisse de la coopération sanitaire, de la facilitation de l'enseignement de la langue du pays voisin et des langues régionales ou des garanties sur la mise en oeuvre d'une écotaxe, les possibilités d'amélioration de ce texte ne manquent pas.
Ainsi, nous proposons de permettre à la future Collectivité d'élaborer un programme-cadre de coopération transfrontalière pour simplifier la conclusion d'initiatives transfrontalières. Nous proposons également d'autoriser le département d'Alsace à négocier des accords d'échanges d'enseignants avec le Land voisin du Bade-Wurtemberg. Il ne s'agit pas là d'exonérer l'éducation nationale de ses obligations – des efforts sont faits dans le texte – mais tout simplement de faciliter des interventions extérieures, complémentaires de l'enseignement.
Ces propositions prennent en considération les spécificités d'un territoire qui devra a posteriori justifier ce mariage, une union que les populations alsaciennes ne valideront que si la corbeille de la mariée est suffisamment remplie. De ce point de vue, il nous semble nécessaire de laisser ouvertes des perspectives d'approfondissement car le texte qui nous est soumis se situe semble-t-il en deçà de ce que les deux collectivités départementales ont espéré et, surtout, parce que l'Alsace mérite mieux et plus.
L'instauration d'une collectivité territoriale à statut particulier qui intégrerait les compétences des deux départements et de la région a fait long feu. Il n'y aura pas de réduction du mille-feuille administratif…
… et la coopération transfrontalière n'est pas véritablement au coeur de ce texte alors que les départements souhaitaient que la France puisse s'appuyer sur l'Alsace pour consolider sa place en Europe.
Il en est de même s'agissant du transfert du réseau routier national. Il conviendra d'apporter très vite des garanties sur la mise en oeuvre de la taxation des véhicules de plus de 3,5 tonnes par la collectivité européenne.
Aussi, vous l'avez compris, nous soutenons la démarche des territoires qui ambitionnent de se rapprocher et de fusionner pour répondre plus efficacement aux enjeux de demain. Pour autant, nous regrettons le fossé entre les intentions et le peu de champs nouveaux qu'ouvre ce texte. Il y avait là une occasion de préfigurer des orientations nouvelles, de nature à rassurer les départements malmenés ces dernières années.
C'est une occasion manquée d'ouvrir des chantiers, de lancer de vraies expérimentations et de démontrer que cet échelon territorial conserve toute sa pertinence.
Pour toutes ces raisons, notre groupe s'abstiendra.
Louis XIV aurait dit à Colbert de Croissy, juste après le Traité de Westphalie, le 23 octobre 1648, qui intégra pour la première fois l'Alsace au royaume de France : « Ne touchez pas aux choses d'Alsace ».
Le Gouvernement de François Hollande aurait été bien avisé de suivre ce conseil lorsqu'il décida d'intégrer l'Alsace dans la région Grand Est.
Nous n'avons certes pas de problèmes avec nos amis de Champagne-Ardenne…
… mais l'Alsace a une identité spécifique. L'Alsace est une réalité historique, c'est une réalité géographique, c'est une réalité culturelle, c'est une réalité linguistique…
… et il fallait qu'elle s'incarne dans une collectivité territoriale. Or, ce n'était pas le cas dans la région Grand Est, qui l'avait supprimée en tant que telle.
Puisqu'il faut rendre à César ce qui appartient à César, il faut rendre hommage au Président Emmanuel Macron et au Gouvernement…
… car c'est bien avec cette majorité que l'Alsace renaîtra sous forme de collectivité territoriale.
Bien sûr, nous aurions pu souhaiter que cette collectivité dispose formellement d'un statut particulier même si, nous le verrons dans la discussion, elle en a la plupart des attributs.
Laurent Furst l'a excellemment dit mais je dirai pour ma part qu'il faut plutôt, dans le verre, voir les trois-quarts plein plutôt que le quart vide. L'important, en effet, c'est ce que la loi changera concrètement pour les Alsaciens !
D'abord, elle fera renaître l'Alsace sous forme de collectivité locale, laquelle pourra non seulement incarner l'Alsace mais défendre ses spécificités…
… que sont le droit local, le régime local de sécurité sociale, le Concordat et, bien sûr, peser de tout son poids pour les soutenir.
Ensuite, nous allons récupérer la gestion des autoroutes, et ce n'est pas rien. Nos concitoyens, tous les jours, risquent leur vie sur l'A 35, coincés dans des caravanes de camions, tout simplement parce que sur l'A 5 allemande, à trente kilomètres, est perçue la LKW Maut, alors qu'aucune taxe ni redevance n'est perçue sur l'A 35.
En outre, toujours s'agissant des compétences nouvelles, les coopérations transfrontalières, ce n'est pas rien non plus ! C'est d'elles que dépend la prospérité de demain, de même que la construction de projets concrets, comme nous en avons réalisé avec nos amis suisses avec l'EuroAirport ou avec Rheinports, avec nos amis suisses et allemands. Ce sont eux qui créeront l'emploi et la prospérité de l'Alsace au XXIe siècle, alors que son taux de chômage a plus que doublé ces quinze dernières années.
C'est également l'enseignement linguistique, puisqu'il sera non seulement possible de bénéficier d'enseignements complémentaires mais également de recruter des enseignants là où les rectorats avaient autrefois beaucoup de mal à trouver des enseignants de langue allemande. Là aussi, nous pourrons apporter des choses concrètes à nos concitoyens, ce qui permettra de mieux parler la langue des voisins, donc, de construire avec eux des projets et de créer des emplois. Voilà ce qu'il faut dire aujourd'hui aux Alsaciens : ce projet vous apportera des choses concrètes !
Osons le dire : ce n'est qu'une étape
Applaudissements sur les bancs du groupe LR
mais une étape importante qui, parce que tel est l'objectif ultime, devra nous permettre de sortir un jour de la région Grand Est et de reformer cette collectivité unique d'Alsace
« Bravo ! » sur les bancs du groupe LR
pour laquelle nous nous sommes battus. Nous ne renions rien mais nous considérons que ce projet est une étape importante parce qu'il s'agit de la renaissance de l'Alsace, parce que des compétences nouvelles permettront d'aider les Alsaciens au quotidien.
C'est pourquoi nous voterons ce projet de loi. Nous nous apprêtons à en débattre de manière courageuse, déterminée et, ne le cachons pas, avec un plaisir que nous ne bouderons pas, ce projet étant important avant tout pour l'Alsace et pour les Alsaciens.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR. – M. Bruno Fuchs applaudit également.
La Collectivité européenne d'Alsace dont nous discutons aujourd'hui, fruit de discussions entre Matignon, la région Grand Est et les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin permettra de rendre aux Alsaciens un échelon qui leur sera propre suite à la disparition du conseil régional d'Alsace au sein d'un ensemble Grand Est – contre lequel j'avais alors voté
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – M. Bruno Fuchs applaudit également.
Car, oui, les élus alsaciens et la population dans sa très grande majorité n'ont jamais accepté la disparition de la région Alsace : pétitions avec plusieurs dizaines de milliers de signataires, manifestations, actes symboliques, comme les bâillons rouge et blanc au conseil départemental du Haut-Rhin, sont monnaie courante.
La revendication alsacienne de sortir de la région Grand Est n'a perdu aucun soutien. Trois sondages réalisés depuis 2017, respectivement par l'institut CSA en avril 2017, l'IFOP en février 2018 et BVA en avril 2019, révèlent que 80 à 85 % des Alsaciens demandent le retour à une région Alsace hors du Grand Est.
« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Je dirai à M. Lachaud : organisons un référendum. J'y suis pour ma part tout à fait favorable.
Je me permets néanmoins de rappeler que, lors du référendum de 2013, et contrairement à ce qu'a laissé entendre notre collègue du groupe la France insoumise Bastien Lachaud, une majorité d'Alsaciens – 57,65 % – s'était prononcée en faveur d'une collectivité unique d'Alsace, réunissant – comme cela s'est ensuite réalisé en Corse – les deux départements et le conseil régional. Seulement voilà, pour un tel projet, des conditions drastiques avaient été fixées : pour voir le jour, cette collectivité unique devait recueillir l'assentiment de plus de 25 % des électeurs inscrits, ce qui n'a pas été le cas. Pourquoi une telle règle ? S'il leur avait fallu rassembler les voix de 25 % des inscrits, nombre de conseillers départementaux n'auraient jamais été élus.
Certains ne l'ont été qu'avec les voix de 10 % des inscrits ! On peut donc s'interroger : pourquoi avoir fixé cette règle spécifique ?
Cette revendication légitime de la création d'une collectivité unique trouve sa source dans le traumatisme qu'a constitué pour nos amis alsaciens et alsaciennes la disparition du conseil régional d'Alsace sans qu'ils n'aient à aucun moment été consultés sur cette question.
Les Lorrains non plus n'ont pas été consultés sur la disparition du leur !
La réforme de 2015 ayant abouti à la création des grandes régions par fusion de certains conseils régionaux, bouclée, comme toujours, dirais-je, sur un coin de table, n'a nulle part produit l'effet promis : le gouvernement de l'époque avait fait valoir le bénéfice à attendre de la constitution de grandes régions au sein d'un ensemble européen, alors que chacun sait que ce n'est pas le périmètre des régions qui compte mais bien leurs compétences et leurs moyens financiers.
Mais force est de constater que la France est l'État qui en Europe demeure le plus centralisé et fait le moins confiance à ses territoires et à ses élus locaux. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe l'a d'ailleurs condamnée en mars 2016 pour ses manquements sur le plan démocratique lors de ce redécoupage régional.
L'article 5 de la Charte européenne de l'autonomie locale, qui prévoit la consultation des collectivités locales, n'a en effet pas été respecté.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Le redécoupage régional de 2015 aura suscité de multiples frustrations dans tout le pays, plus particulièrement en Alsace où les habitants n'ont cessé d'exprimer leur colère.
Je pourrais également citer la Bretagne, où les Bretons réclament depuis des décennies le rattachement de la Loire-Atlantique à leur région.
Ah !
Là aussi, les populations n'ont jamais été consultées, et aucune des tentatives récentes en vue d'obtenir ne serait-ce qu'une consultation des habitants de la Loire-Atlantique n'a pu aboutir.
Je me permets ici de saluer l'initiative de l'association Bretagne réunie, dont la pétition en faveur d'une consultation sur la réunification, dans le seul département de Loire-Atlantique bien sûr, a recueilli 105 000 signatures. Des adhérents de cette association sont d'ailleurs partis la semaine dernière pour Paris à vélo afin d'apporter cette pétition au Président de la République, au Premier ministre et à notre Assemblée en réclamant un référendum : je l'indique à l'attention de M. Lachaud.
Dans ce dossier de la Collectivité européenne d'Alsace comme dans beaucoup d'autres, on est frappé par la vision ultra-jacobine de l'État quand il traite des territoires.
Tout d'abord, nous l'avons vu en commission, il est encore difficile de parler des différents peuples qui composent la République, tels que le peuple breton, le peuple corse ou le peuple alsacien. De quoi le Gouvernement et la majorité, comme leurs prédécesseurs, ont-ils peur ? Il est insensé que l'on oblige encore aujourd'hui des habitants de notre pays à se renier et qu'on leur impose une identité et une appartenance uniques. Si le droit ne reconnaît pas le peuple, ce n'est pas le peuple qu'il faut changer, mais le droit.
Les Alsaciens estiment dans leur majorité que la création de la Collectivité européenne d'Alsace ne constitue pas une réponse suffisante à leurs attentes. En effet, les compétences d'un département ne sont pas comparables à celles du conseil régional qu'ils ont perdu en 2015, fussent-elles timidement renforcées dans le domaine de la coopération transfrontalière – domaine dans lequel il faudra passer sous les fourches caudines de la région – de l'enseignement de la langue régionale – il faudra, là, passer sous celles du rectorat – , du tourisme et de la gestion des routes et des autoroutes.
D'aucuns diront que nous sommes ici dans un cas typique de différenciation en faveur de l'Alsace.
Or le résultat est néanmoins, pour l'heure, bien ténu. Nous espérons que ce projet de loi ne sera qu'une étape vers une Alsace qui, comme la Corse, disposera des compétences à la fois du département et de la région. C'est en tout cas le voeu que je forme.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
D'autres départements ont fait part de leur volonté de fusionner, comme les deux départements de Savoie ou encore dans le Maine-Anjou, ceux de la Mayenne, de la Sarthe et du Maine-et-Loire. Il faut pouvoir faciliter ces fusions comme cela a été fait en Corse. En Bretagne aussi, région qui n'a fusionné avec aucune autre et qui attend toujours que la Loire-Atlantique lui soit rattachée, un débat est lancé quant à la création d'une collectivité territoriale unique qui naîtrait de la fusion des conseils départementaux et du conseil régional. J'y suis pour ma part favorable.
En revanche, dans d'autres territoires, notamment dans des régions devenues très vastes, comme l'Occitanie, le département conserve sa légitimité. Il correspond d'ailleurs souvent à d'anciens États au Moyen-Âge. C'est le cas de l'Aveyron pour le Rouergue, du Lot pour le Quercy ou de la Dordogne pour le Périgord.
Sourires.
La République, celle que défendez, on la connaît : c'est celle qui a formé les colonnes infernales du général Turreau. Je vous expliquerai cet épisode un jour.
Ce n'est pas elle que je défends, mais si la République, c'est pratiquer la politique de la terre brûlée et massacrer toute une population, alors vous pouvez la garder.
Exclamations sur les bancs du groupe FI.
C'est une autre République que j'attends : celle qui respecte les populations. Le respect des droits de l'homme s'impose à tous, et bien sûr à l'État.
Chers collègues, ne vous interpellez pas !
Monsieur Corbière, voilà plusieurs fois que vous interrompez l'orateur : laissez-le s'exprimer. Vous pourrez ensuite intervenir si vous le souhaitez.
Monsieur Molac, vous avez seul la parole.
Il faut saluer le transfert à la CEA de la gestion des routes et des autoroutes non concédées : nous demandons d'ailleurs que l'ensemble des régions bénéficie d'un tel transfert. Nous soutenons la proposition de permettre à la CEA d'instaurer une écotaxe poids lourds et souhaiterions d'ailleurs que cette possibilité soit étendue à l'ensemble des régions sur la base du volontariat.
C'est l'essence même du principe de différenciation que l'action publique doive s'adapter au plus près des réalités territoriales, et non l'inverse. Si la Bretagne, région péninsulaire, n'a pas souhaité voir l'écotaxe appliquée sur son territoire, c'est parce qu'elle l'estimait pénalisante pour son tissu économique et sa production. Il n'en va pas de même pour les régions frontalières comme l'Alsace qui supportent un trafic routier international important et en subissent les nombreuses externalités négatives. Permettre à cette région de décider d'instaurer ou non cette taxe est selon nous la bonne méthode, même si la voie de l'ordonnance ne nous paraît pas la meilleure.
En ce qui concerne les compétences en matière d'enseignement des langues régionales, la démarche est intéressante, même si dans la pratique nous doutons que cette évolution augmente considérablement le nombre d'élèves dans les filières bilingues, vu les difficultés actuellement rencontrées.
Il conviendrait selon nous de généraliser l'offre d'enseignement de la langue régionale, sur le modèle corse, afin de permettre aux élèves d'atteindre une compétence égale en langue régionale et en français, y compris par l'immersion.
Par ailleurs, toute l'action en faveur du développement économique serait encore inaccessible à l'Alsace, alors qu'il s'agit d'un grand territoire industriel très lié économiquement au voisin allemand et dans lequel des expérimentations pourraient être menées.
De même, le transfert de compétences nouvelles en matière de relations transfrontalières est une bonne chose et d'autres régions frontalières gagneraient à en bénéficier également : je pense ainsi à la Corse qui pourrait nouer des liens plus étroits avec la Sardaigne.
Mes chers collègues, si ce projet de loi constitue une première étape bienvenue, le statu quo n'étant pas défendable, il convient d'entendre la demande des Alsaciens en faveur du rétablissement d'une région à part entière, avec l'ensemble des compétences afférentes.
Aussi, malgré la symbolique importante que revêt la reconstitution d'une institution politique Alsace, force est de constater qu'il ne s'agira que d'une sorte de super-département aux nouvelles compétences limitées. Ne croyez donc pas que le sujet Alsace soit épuisé avec ce projet de loi : il demeure devant nous pour de longues années encore et il faudra bien que le peuple soit consulté par référendum et puisse s'exprimer sur son destin.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Cher collègue, vous êtes le seizième député alsacien et le meilleur d'entre nous.
Sourires.
J'avoue un certain malaise face à l'échange qui vient d'avoir lieu ici et je ne voudrais pas que mes propos à leur tour enflamment l'hémicycle.
J'ai bien perçu chez nos collègues alsaciens, tant au travers du champ lexical de leurs propos que de leurs réactions à vif, la douleur qui était la leur et l'humiliation qu'ils ont ressentie : loin de moi l'idée de rouvrir cette blessure et de raviver cette douleur que je sais encore bien présente.
Ce n'est pas en tant qu'héritier normand de la Gaule chevelue que je vous parle, ni en faisant référence aux berceaux de l'humanisme de la Renaissance dont vous êtes, et dont nous sommes, je l'imagine, sur tous les bancs, des gardiens.
Tout cela pour vous dire très modestement que je partage le point de vue du collègue qui considérait comme une erreur d'aborder cette question sous l'angle strictement identitaire. En effet, d'identités, il pourrait y en avoir autant que de députés siégeant sur ces bancs ! La seule référence qui me guidera dans ce propos est la nation française. L'acte fondateur en reste pour nous la Révolution de 1789, dont les valeurs irriguent à la fois nos principes et les efforts que nous déployons pour les traduire en actes.
Ce projet de loi vise à créer un nouveau département, la fameuse Collectivité européenne d'Alsace regroupant les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
Tout d'abord, on ne peut que s'interroger sur l'opportunité de légiférer aujourd'hui sur le cas alsacien, quatre ans après l'adoption de la loi NOTRe et le redécoupage des régions, dont vous avez souligné, à juste titre, combien il avait fait fi de la démocratie de proximité, et alors que la future réforme constitutionnelle doit précisément prévoir les conditions d'un droit à la différenciation – auquel, madame la ministre, nous nous opposerons. Ensuite, cette évolution est présentée comme le fruit d'un consensus des élus alsaciens autour d'un désir d'Alsace.
Somme toute, il n'est pas interdit de penser que ce projet vise à réintroduire celui qui, pour les raisons qui ont été exposées, n'a pas pu aboutir en avril 2013. En recourant aujourd'hui à une procédure qui ne requiert plus explicitement le consentement des électeurs, il s'agit tout de même de revenir par voie législative sur la décision référendaire de 2013. Cela nous pose problème.
Qui plus est, le Gouvernement souhaite que le nouveau département se nomme Collectivité européenne d'Alsace. Or, le Conseil d'État relève très justement que ce nom est susceptible d'entraîner une double méprise quant à la nature juridique de la nouvelle collectivité.
D'une part, cette dénomination laisse à penser qu'est créée une collectivité à statut particulier, alors qu'il ne s'agit que de la fusion de deux départements. D'autre part, l'épithète européenne qui, sur le plan juridique, ne correspond à aucune catégorie ou régime particuliers et qui pourrait au demeurant valoir pour toute collectivité territoriale de la République, semble évoquer à tort l'attribution d'un statut extraterritorial à ce nouveau département.
Ce qui est le plus inquiétant, c'est que cette double méprise risque de préparer, insidieusement, l'opinion publique au fédéralisme à l'échelle européenne, ce que d'aucuns appellent « l'intégration européenne ».
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
S'agissant des nouvelles attributions qui seront accordées à la nouvelle collectivité, elles préfigurent, je l'ai dit, le principe de différenciation. Nous y sommes opposés.
Le droit à la différenciation, qui ne trouve pas grâce à nos yeux, amplifie les dissonances territoriales. Derrière le paravent de la différence se cache en réalité la volonté de masquer les inégalités et les injustices sociales et fiscales territoriales, sans chercher à les réduire. Il s'agit clairement là d'un désengagement de la part de l'État. Chers collègues, vous avez fait référence à la hausse du chômage dans la région alsacienne. Selon nous, cela relève des compétences de l'État, avec les incidences économiques et sociales que cela comporte. Le caractère un et indivisible de notre République décentralisée nous conduit à nous opposer à une telle évolution, qui traduirait le désengagement de l'État sur des questions majeures.
Techniquement, le texte prévoit le transfert à la Collectivité européenne d'Alsace, dès la date de sa création, de l'ensemble des routes nationales et des autoroutes non concédées situées sur son territoire. On ne peut parler de l'attribution d'une nouvelle compétence, puisque les départements sont d'ores et déjà propriétaires d'une grande partie de la voirie publique et exercent les attributions qui y sont liées. En revanche, il s'agit d'un transfert de propriété sans précédent, puisque toutes les autoroutes appartenaient jusqu'ici au domaine public routier de l'État. La déclaration commune justifiait ce transfert par la nécessité de donner à la nouvelle collectivité les moyens de juguler le trafic routier sur son territoire, notamment le trafic des poids lourds, dont les flux se sont reportés du côté français de la frontière depuis l'instauration outre-Rhin d'une redevance kilométrique. Alors que la coopération transfrontalière est déjà une réalité pour ce qui concerne le trafic autoroutier, ce transfert suscite des inquiétudes s'agissant du désengagement futur de l'État de la gestion des grandes infrastructures. En outre, il n'est prévu aucune coordination avec les départements limitrophes et avec la région Grand Est, alors que les décisions du nouveau département pourraient avoir des conséquences importantes sur lesdits territoires limitrophes.
La nouvelle collectivité entend jouer un rôle essentiel grâce à des compétences à vocation identitaire élargies : action transfrontalière, promotion des langues régionales, tourisme. Selon nous, cela risque de complexifier le millefeuille administratif local et d'engendrer des chevauchements ou des discordances en matière de gestion de compétences. Cette fusion aura ainsi des effets sur la région Grand Est, la métropole de Strasbourg, les collectivités et établissements publics de coopération intercommunale d'Alsace, qui pourront se voir octroyer des délégations de compétences, concernant par exemple les centres départementaux de gestion, les services départementaux d'incendie et de secours et les services déconcentrés de l'État.
En outre, on peut se demander comment la nouvelle collectivité pourra mener à bien ses missions sans compétence d'intervention économique, que la loi d'août 2015 a retiré aux départements au profit des régions et des métropoles. L'utilisation de la technique du chef de filat et des conventions de délégations de compétences va compliquer la gestion desdites compétences et risque d'entraîner des conflits politiques et juridiques, ainsi qu'une complexification notable pour les usagers, pour lesquels la répartition des différentes compétences deviendra totalement illisible.
Soulignons, en outre, l'avis éclairant du Conseil d'État, lequel a formulé de nombreuses critiques, qui, jusqu'à présent, n'ont pas été prises en considération. Il considère ainsi que, si la place des langues régionales et le bilinguisme franco-allemand constituent une caractéristique particulière de ce territoire, susceptible de fonder une différence de traitement, le dispositif envisagé est dépourvu de portée normative dès lors qu'il ne modifie pas l'état du droit actuel, qui permet déjà à l'État de s'engager par voie conventionnelle auprès des collectivités concernées à recruter des personnels supplémentaires, y compris par contrat.
D'autre part, en vue de la création du nouveau département, le projet de loi comporte plusieurs habilitations à légiférer par ordonnances. Or le recours aux ordonnances ne nous semble pas permettre d'appréhender de manière exhaustive l'ensemble des adaptations législatives qu'appelle le regroupement.
Pour toutes ces raisons, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine et les élus communistes s'opposeront à ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui, par une chaleur digne d'un État alsacien,
Sourires
le projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace. Ce projet de loi résulte d'une forte attente locale et de la déclaration commune du 29 octobre 2018. En tant que Mosellan, je peux témoigner de ce désir d'Alsace.
« Ah ! » sur les bancs du groupe LR.
D'ailleurs, l'Alsace et la Moselle partagent une histoire commune – personne ne peut le contester.
Ce texte traduit donc la reconnaissance de la volonté des Alsaciens de redonner une unité à leur territoire, une unité qui puisse exprimer la réalité historique et géographique de ce territoire au sein de la République, après l'échec du référendum du 7 avril 2013 sur la création d'une collectivité unique alsacienne issue de la fusion du conseil régional d'Alsace et des deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, et à la suite de la constitution de la région Grand Est, le 1er janvier 2016. Cette démarche traduit une attente forte de la part des populations locales concernant leur place dans la nouvelle région Grand Est, attente qui s'est manifestée à intervalles réguliers.
La présente réforme s'inscrit dans le respect d'une cohérence régionale, auquel l'ensemble des acteurs se sont engagés. Il s'agit d'assurer la pérennité de la région Grand Est, dans ses limites actuelles, sans remettre en question aucune des coopérations avec les autres départements de la région, notamment en matière économique, de respecter les grands équilibres de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, relatifs à la répartition des compétences entre les différentes collectivités territoriales, ce qui revient à préserver les compétences de la région et celles du bloc communal, et de veiller à l'attribution à la Collectivité européenne d'Alsace de compétences supplémentaires et spécifiques, qui la distinguent des autres départements de droit commun. Du respect de ce cadre découle l'équilibre de la réforme proposée, conformément au consensus patiemment construit sur le terrain.
Le Premier ministre rappelait récemment que, s'agissant des deux départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, le chef de l'État avait indiqué aux élus de ces départements que « si la carte régionale est confirmée dans sa définition actuelle, une évolution des deux départements alsaciens à l'intérieur de la région Grand Est n'en reste pas moins possible ».
Le présent projet de loi repose sur un principe : le respect de la déclaration commune de Matignon.
Le Sénat a profondément modifié le texte initial en plusieurs points, pourtant essentiels à l'équilibre de la réforme. Dans un souci de compromis, la commission des lois de l'Assemblée nationale a rétabli le cadre posé par la déclaration commune du 29 octobre 2018, tout en complétant certaines dispositions afin que l'accord noué entre les acteurs locaux figure, pour tout ce qui relève du domaine de la loi, dans le présent projet de loi.
Même si, dans d'autres départements, on est régulièrement confronté à des revendications relatives à la place de chacun dans la nouvelle région, il n'est pas de l'intérêt général de tout déconstruire.
Permettez-vous que je poursuive, monsieur Straumann ?
Il faut s'armer de patience en attendant que se mette en place, au quotidien, la nouvelle région Grand Est. C'est pourquoi, et il faut y insister, ce projet de loi n'est que le préambule au droit à la différentiation.
Ce droit, qui sera affirmé dans le cadre de la réforme constitutionnelle, …
… permettra à chaque territoire de faire valoir ses particularismes. Pour cela, il faudra, bien entendu, que tous les acteurs locaux se mettent autour de la table, avec en tête un seul intérêt, celui de leur territoire et de ses habitants. Il ne peut en effet y avoir d'envie de différenciation qui s'exprime contre l'avis des citoyens.
Cela permettra aux autres départements de la région Grand Est de faire valoir leurs différences, leurs atouts et leurs points communs, au sein d'un ensemble communautaire et partagé. Nous partageons beaucoup dans cette grande région.
D'où ce besoin de différenciation concernant les questions transfrontalières, le tourisme ou l'attractivité économique. La Moselle et la Meurthe-et-Moselle, avec l'autoroute A31, tout comme les deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, avec l'autoroute A35, sont des corridors européens très fréquentés. D'ailleurs les Lorrains ont été des précurseurs en matière de différenciation, avec le Sillon lorrain.
Le département de la Moselle pourra faire valoir son statut d'eurodépartement, la Meurthe-et-Moselle sa proximité avec les Vosges et la Meuse. L'histoire nous montre en effet que les territoires ont leurs particularités, leurs identités et leurs différences culturelles.
Lors de l'examen du texte en commission, certains collègues de l'opposition ont affirmé que ce texte était un préambule à la sortie de l'Alsace de la région Grand Est. Il n'en est rien.
Je m'engage à suivre la mise en application de ce texte. Celui-ci traduit l'accord de Matignon, et rien que l'accord de Matignon !
Pour conclure, ce projet de loi ne remet aucunement en cause la stabilité de la région Grand Est.
C'est bien la lucidité qui a poussé les responsables politiques à trouver un consensus pour que vive l'Alsace dans le Grand Est.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Les débats de cet après-midi m'ont donné envie de relire, pour me dépayser et sortir de cette dialectique France-Alsace-Lorraine, les premières pages du livre de Gaël Faye, Petit pays. Une phrase en particulier m'a beaucoup touché : « Habiter signifie se fondre charnellement dans la topographie d'un lieu, l'anfractuosité de l'environnement. » Je crois profondément à cet enracinement.
Je crois profondément à cet attachement à un lieu, à une histoire, à une géographie.
Je voudrais tout d'abord, monsieur Furst, vous exprimer l'immense respect que j'ai pour le récit que vous faites de la région que vous avez dans le coeur, ainsi que pour la mesure que vous avez mise dans vos propos. Je sais le feu qui vous anime, et pourtant vous avez su faire preuve de beaucoup de pudeur, y compris dans l'évocation des blessures récentes – je pense en particulier à l'oubli de la célébration du centenaire du retour de l'Alsace à la France, un oubli fort dommageable, mais que vous avez mentionné avec beaucoup de pudeur, sans faire de sentimentalisme ni tomber dans le pathos, ce qui aurait pu exacerber les passions dans l'hémicycle. De cela, je vous remercie.
En tant que voisin et ami, je voudrais vous dire à quel point je suis sensible à votre attachement, et aussi aux liens qui nous attachent les uns aux autres. Les liaisons géographiques, dont je suis, en tant que paysan, amoureux, liaisons entre les paysages, entre les territoires, entre les vallées, ne marquent pas des ruptures ; ce sont des passages, des passerelles entre les uns et les autres. Étant l'élu d'un territoire qui possède l'un des plus petits vignobles de France, les Côtes-de-Toul, situé entre la Champagne et l'Alsace, je peux affirmer que nous sommes fiers d'avoir deux grands voisins qui ont beaucoup de choses à nous apprendre sur l'avenir du vignoble et qui nous aident à conforter notre propre identité, à travers ces vins du bord de la Moselle qui nous emmènent, par-delà les frontières, jusqu'au Luxembourg et en Allemagne. Tout cela n'est pas contradictoire. Je veux souligner, mes chers collègues, combien ces passerelles sont à mes yeux précieuses, combien nos liens sont féconds et notre amitié indéfectible, sur tous les bancs, entre députés des différentes régions.
Dans l'amour du pays, ce qui me frappe le plus, ce n'est pas tant le pays que l'amour, cet attachement des hommes à des lieux, à une histoire, à un héritage. J'en prendrai deux exemples, afin d'éviter toute caricature – à laquelle personne n'a donné voix jusqu'à présent, sauf exception.
Le principal héritage humaniste dont a bénéficié l'école de Nancy provient certainement de ceux qui ont trouvé refuge dans cette ville après le traité de Francfort. Ces artistes, scientifiques, chercheurs ont laissé à Nancy, dans le domaine sanitaire, social, technologique ou scientifique un héritage qui est aujourd'hui encore extrêmement précieux.
D'autre part, c'est à Strasbourg, dans la cathédrale, en cette année 2015 qui fut, selon vous, si funeste, que j'ai entendu le grand Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'intérieur, prononcer l'un des plus beaux discours sur la laïcité qui soit.
Bravo !
Nous nous devons d'éviter toute caricature. Dans un monde marqué par l'interdépendance, le fait régional et les identités locales doivent être mis au service de quelque chose qui nous dépasse. C'est là l'histoire même de la République et, au-delà, c'est celle de l'universalisme. Personne aujourd'hui n'opposera la mémoire héroïque de Victor Schoelcher et celle d'Henri Grégoire ; personne n'opposera la mémoire de tous ceux qui, issus de nos régions, ont contribué au dessein universel de la France. Ces mémoires, nous devons les mêler, les associer.
Ma seule question, en cet instant, est de savoir comment la différenciation peut aboutir à plus de République et plus d'universalisme.
En cette question réside précisément, à mes yeux, la limite du projet de loi. Je veux dire, et c'est là un aveu important pour le socialiste que je suis, la politique qui a redessiné les régions fut, selon moi, une politique de gribouille.
Mais on ne corrige pas une politique de gribouille en en conduisant une autre.
Qu'est-ce qui nous différenciera et nous unira, au service du dessein européen et universel ? Voilà la vraie question. Le vrai défi n'est pas la discussion que nous pouvons avoir à cette heure ; il est la lutte contre le changement climatique, contre le terrorisme, contre la misère : ce n'est pas aux cris de « Vive l'Alsace ! », « Vive l'Occitanie ! » ou « Vive la Lorraine ! » que les différentes générations sont descendues dans la rue : elles se sont mobilisées pour sauver la planète et y voir régner une égale dignité entre les hommes.
Or, dans ce que vous proposez, je ne vois rien de tel, ni, en pratique, pour la Lorraine – nous y reviendrons avec les amendements – , ni pour l'équilibre entre les droits et les devoirs, à égalité, ni l'agilité nécessaire et le souci permanent de donner corps au rêve européen et républicain, lequel présuppose l'égale dignité de tous.
C'est parce que nous n'avons pas trouvé trace de cet équilibre que nous serons critiques en défendant chacun de nos amendements, mesures d'équivalence et de pédagogie d'une différenciation profondément respectueuse de la République.
Encore un mot, madame la présidente : on nous demande souvent de choisir, dualité cornélienne, entre notre mère et la justice. Pour ma part, je ne choisirai jamais entre notre soeur l'Alsace et la République.
M. Hubert Wulfranc et Mme Caroline Fiat applaudissent.
Pour les Alsaciennes et les Alsaciens, le texte de loi que nous examinons est peut-être le plus important de la législature, et c'est assurément celui que, localement, la mémoire populaire retiendra à l'heure des bilans.
Si elle n'a pas forcément déçu, la grande région n'a jamais réussi à faire oublier la disparition de la région Alsace. Juridiquement, cette région n'était, certes, qu'un conseil régional ordinaire – dont j'étais vice président – , et ses compétences étaient, somme toute, limitées. Pourtant, depuis 2015, le désir d'Alsace n'a fait que grandir. Il est simplement le cri du coeur de citoyens qui, pour être français, n'en sont pas moins attachés à leurs particularités géographiques, historiques et culturelles. En somme, sur la rive gauche du Rhin est née une osmose entre l'attachement à la patrie française et le concept allemand de Heimat.
C'est l'honneur de ce gouvernement que de l'avoir entendu. Qu'il me soit permis de remercier plus particulièrement le préfet Marx pour son travail préparatoire et vous-même, madame la ministre. Je veux également saluer le rapporteur pour son sens de l'écoute, que j'ai trouvé exceptionnel.
MM. Olivier Becht, Vincent Thiébaut et Bruno Fuchs applaudissent.
Vous avez compris très tôt, madame la ministre, qu'il ne fallait pas aborder le sujet dont nous parlons avec des oeillères dogmatiques, et que l'aspiration des Alsaciens n'était pas une marque de défiance à l'égard de notre nation, bien au contraire.
D'aucuns, évidemment, verront dans ce texte le verre à moitié vide : au pire, un renoncement, au mieux, un compromis bancal, puisque leur voeu de quitter le Grand Est ne sera pas exaucé. Pour ma part, je crois qu'il est vain, en politique comme dans la vie, de vouloir rejouer le match que l'on a perdu. Certes, il faut tirer les enseignements du passé, mais pour mieux les mettre au service d'un projet nouveau. La Collectivité européenne d'Alsace est cette passerelle vers l'avenir, parce qu'elle répond aux défis de son temps.
Elle fait écho, à travers sa dimension européenne et transfrontalière, à la volonté de renforcer la coopération franco-allemande inscrite dans le traité d'Aix-la-Chapelle. Elle répond au souhait de renforcer les politiques de proximité qui s'est cristallisé, et parfois exprimé avec force, à l'occasion du grand débat. Elle se projette dans la logique de différenciation que le Président de la République souhaite voir inscrite dans la Constitution. Non, la Collectivité européenne d'Alsace n'est pas un avatar du projet soumis au referendum en 2013 : c'est bel et bien un projet nouveau, qui devra être mis en oeuvre à partir de 2021.
À ceux qui ne souhaitent y voir qu'un « département plus », je réponds que toute l'originalité de la démarche réside précisément dans ce « plus ». Alors qu'Édouard Philippe nous faisait part, il y a deux semaines à peine, de sa volonté de proposer au Parlement une loi de décentralisation en 2020, la Collectivité européenne d'Alsace n'est-elle pas le bon exemple à suivre, celui d'une collectivité classique exerçant ses compétences légales, à laquelle viennent s'ajouter des compétences adaptées aux spécificités territoriales ?
Prenons l'exemple de la lutte contre le chômage, grande cause de tous les gouvernements depuis des décennies. En Alsace, vous ne pouvez pas traiter ce sujet sans considérer le bassin d'emploi dans sa globalité, des deux côtés du Rhin : rive gauche, le taux de chômage est comparable à celui du reste de la France, avec des jeunes qui, malgré leurs diplômes, ne trouvent pas d'emploi. Rive droite, en Allemagne, le mot-clef est fachkräftemangel : manque de main d'oeuvre qualifiée.
Le Rhin, qui n'est guère plus large que la Seine à Paris, est pourtant une frontière de plus en plus infranchissable pour ceux qui voudraient tenter leur chance en face. Les raisons en sont pourtant bien connues : le problème de la langue, les différences entre les systèmes scolaires, les obstacles administratifs et les problèmes de transport.
Ces vérités, nous les constatons depuis bien longtemps ; et pour y remédier, les discours sont restés bien peu efficaces. Or c'est précisément à ce niveau que la Collectivité européenne d'Alsace doit apporter une plus-value : le chef de filat en matière transfrontalière ou la compétence accrue sur le bilinguisme sont les leviers qui doivent lui permettre d'agir d'autant plus efficacement que ses élus seront proches du terrain et comptables devant l'opinion.
C'est dans cet esprit que les deux présidents de département ont souhaité mettre l'accent sur la compétence plurilingue. Comme vous l'avez rappelé, madame la ministre, ils souhaitent également recruter des personnels de bon niveau pour enseigner en allemand.
Gardons enfin à l'esprit qu'à ces nouvelles compétences pourront s'en agréger d'autres, issues de l'État ou d'autres collectivités. L'intelligence du présent texte est précisément de ne fermer aucune porte. Il est, finalement, un compromis équilibré, qui répond à une aspiration populaire tout en visant une organisation administrative cousue main
Gardons enfin à l'esprit qu'à ces nouvelles compétences pourront s'en agréger d'autres, issues de l'État ou d'autres collectivités. L'intelligence du présent texte est précisément de ne fermer aucune porte. Il est, finalement, un compromis équilibré, qui répond à une aspiration populaire tout en visant une organisation administrative cousue main, en vue d'une meilleure adaptation aux réalités locales. L'Alsace pourra ainsi devenir un laboratoire d'avant-garde de cette République décentralisée, proche des gens et ouverte sur l'Europe à laquelle les élus d'Agir souscrivent pleinement.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-I. – MM. Vincent Thiébaut et Bruno Fuchs applaudissent aussi.
En préambule, je veux saluer le travail de notre collègue rapporteur, Rémy Rebeyrotte : je puis témoigner de l'écoute et de la ténacité dont il a fait preuve pour entendre et prendre en compte les positions des élus et des acteurs locaux, des parlementaires et des élus de la région Grand Est ainsi que des membres du Gouvernement, tout en affirmant la place et le rôle de l'Assemblée nationale.
Comme lui j'ai entendu, lors de notre déplacement à Strasbourg, et ici même, les aspirations, les envies et les craintes, parfois exprimées de façon contradictoire. Je souhaite rassurer tous les élus – même si je ne suis pas sûre d'y parvenir – , quels que soient leurs bancs ou leurs terres d'élection : il n'y a ici ni démembrement de la République, ni mise en concurrence des territoires, ni – encore moins – cadeau fait à quelques-uns.
Permettre à un territoire de se saisir de certaines compétences pour répondre à des spécificités locales, ce n'est pas l'avantager par rapport à d'autres, où que ces derniers se trouvent en France, dans la région Grand Est ou ailleurs ; ce n'est pas non plus empêcher d'autres territoires, où qu'ils se trouvent en France, dans la région Grand Est ou ailleurs, d'exercer les mêmes compétences, ou d'autres encore si leurs représentants en expriment la volonté.
Je le dis donc tout net : ce texte ne lèse aucun territoire, ne retire aucune possibilité à personne. Il doit être compris, et c'est ainsi que le groupe majoritaire le comprend, comme un signal que la différenciation est possible et comme un encouragement à se mettre d'accord sur les moyens de répondre aux enjeux particuliers d'un territoire.
Se différencier, nous y insistons, ce n'est pas s'éloigner ou couper les liens qui font la nation française : c'est agir au plus près du terrain et de ses spécificités ; c'est faire valoir l'intelligence des territoires. Les compétences dont se verra dotée la nouvelle Collectivité européenne d'Alsace sont – à l'exception de la compétence tourisme, qui a pour ce territoire une marque et un caractère spécifiques – des compétences de l'État : les routes, la coopération transfrontalière, le bilinguisme. Je le redis donc avec force : personne n'est lésé, chacun est encouragé à s'inspirer de cet exemple.
Nous permettons ainsi aux départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin de se constituer en Collectivité européenne d'Alsace, elle-même composante de la région Grand Est au sein de la République. Ce texte est la première illustration concrète de la politique de développement territorial engagée par le Gouvernement en matière de différenciation, politique que la majorité parlementaire soutient. Une collectivité territoriale constitutionnellement reconnue, le département, recevra ainsi les compétences adaptées aux circonstances locales.
Sur la base de la déclaration commune de Matignon du 29 octobre 2018, nous allons faire confiance, tous ensemble – en tout cas ceux d'entre nous qui voteront le texte – , aux acteurs alsaciens en leur donnant des responsabilités différenciées. Différenciées, elles ne le sont peut-être pas assez pour certains ; mais, si Mme la présidente me permet une citation en français, « Patience et longueur de temps Font plus que force ni que rage ».
Parce que ce projet de loi maintient l'équilibre institutionnel de notre République, parce qu'il permet aux acteurs locaux de se saisir de leur destin et parce qu'il est un texte de responsabilité et d'ouverture, le groupe LaREM le soutient et le votera.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Sans revenir sur l'ensemble des points abordés – qui ont d'ailleurs fait l'objet d'interventions intéressantes – , je m'arrêterai sur deux ou trois d'entre eux.
Tout d'abord, avec ce projet de loi, le Gouvernement, je le rappelle, vous invite à légiférer à droit constant. C'est le caractère spécifique du territoire alsacien qui, au-delà des compétences exercées par les deux départements fusionnés, justifie de confier à la Collectivité européenne d'Alsace les compétences dont le texte fait mention. Beaucoup ont évoqué le droit à la différenciation, mais chacun sait qu'il n'est pas encore inscrit dans notre loi fondamentale : en la matière, seul existe, à ce jour, un droit à l'expérimentation. Reste que le droit à la différenciation ouvrira bien entendu d'autres fenêtres, pour l'Alsace comme pour d'autres territoires.
L'orateur qui s'est exprimé pour le groupe FI n'est plus dans l'hémicycle, mais je veux lui dire que le fait d'agiter, au moyen d'une dialectique assez connue, l'argument selon lequel la France n'est pas un État fédéral, que des Länder n'y auraient pas leur place, …
… cet argument n'est ni sérieux, ni, si je puis dire, très sain. Il s'y mêle parfois, d'ailleurs, une critique de l'Allemagne, et même du traité d'Aix-la-Chappelle, qui me semble un peu déplacée. Assez curieusement, tout cela me rappelle des critiques que l'on a pu entendre à l'autre extrémité de l'hémicycle. Je passe sur les critiques du Concordat et du droit alsacien : elles témoignent d'une méconnaissance des territoires concernés.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM. – MM. Bruno Fuchs et Raphaël Schellenberger applaudissent aussi.
Il m'est revenu à l'esprit en écoutant MM. Wulfranc et Potier qu'en 1877, la IIIe République avait diffusé dans toutes les écoles de France un livre prétendument écrit par un certain M. Bruno et dont l'auteur était en réalité une femme qui utilisait un pseudonyme : Le Tour de la France par deux enfants.
J'ai bien compris que la théorie de M. Wulfranc était l'unité de la République, et c'est un souci que je partage, mais je rappelle que Le Tour de la France par deux enfants a été écrit à la suite du rattachement de l'Alsace à la Prusse et que les enfants héros de ce livre, qui vivaient à Phalsbourg…
… et étaient donc, bien sûr, d'origine lorraine, ont traversé la France entière. Je me souviens que, dans les années 1960, Le Tour de la France par deux enfants était encore très présent dans les écoles. On apprenait à lire dans ce livre, mais on y apprenait aussi la richesse de la diversité de nos territoires, leur histoire et celle de leurs métiers et de l'agriculture. Cette IIIe République, qui est tout de même le symbole de la République, n'hésitait pas à reconnaître la diversité, l'originalité et l'identité des territoires, et j'ai toujours pensé que cela n'était pas contradictoire avec l'idée républicaine que l'on se fait de la France unitaire. M. Potier, qui n'est plus là, devrait donc réfléchir au vote qu'il formulera à la fin de l'examen du texte.
Pour revenir sur ce qu'ont très bien dit de nombreux orateurs, que je ne citerai pas tous, ce que nous proposons avec ce texte, c'est l'existence institutionnelle de l'Alsace. J'ai beaucoup aimé, à cet égard, les propos de M. Becht, qui a relevé que c'était la première fois qu'on votait un texte sur l'Alsace en dehors de circonstances dramatiques. C'est là aussi quelque chose de très positif.
Bien sûr, comme beaucoup d'entre vous l'ont dit sur tous les bancs – et je les en remercie – , tout cela fait penser au bassin rhénan, à l'humanisme et à l'Europe. J'espère qu'il y aura, comme l'a dit Bruno Fuchs, un avant et un après.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
Cet article nous donne l'occasion d'entrer progressivement dans le fond du texte. Il est clair, comme nous venons de le rappeler en discussion générale, qu'il existe en Alsace une attente d'une collectivité alsacienne de plein exercice, ce qui signifie pour nous une collectivité qui pourra exercer les compétences d'un département, mais aussi celles d'une région, ainsi que celles que l'État acceptera de transférer ou de déléguer.
En fait, nous ressentons aujourd'hui un goût amer, car nous avons beaucoup insisté sur le fait que nos concitoyens s'attendent à ce que nous allions plus loin et, lorsqu'on discute avec eux dans nos circonscriptions, il nous reprochent de jouer avec la lassitude des Alsaciens. Il est donc important de dire clairement et solennellement ce soir qu'il ne peut s'agir que d'un premier pas et qu'il y aura une attente plus forte : celle d'une collectivité alsacienne qui pourra aussi être une collectivité régionale de plein exercice.
Comme nous l'avons rappelé, et contrairement à ce qu'on a pu entendre parfois, les spécificités alsaciennes sont une richesse, comme la diversité des territoires de la nation en est une pour l'ensemble de la nation. Vouloir nier cette diversité serait très largement contre-productif. Ce goût amer que j'évoquais tient à ce que, tandis que le préambule de Matignon affirme des choses très fortes, le projet de loi est, quant à lui, fortement en recul, hélas, par rapport à ces affirmations. C'est dommage.
Je ne partage pas du tout les analyses de M. Hetzel. Ce texte comprend en effet de très fortes avancées en termes de compétences, qui ont été citées tout à l'heure et sur lesquelles nous reviendrons tout au long de son examen, en matière par exemple de coopération transfrontalière ou de bilinguisme.
Pour ce qui est du bilinguisme, les avancées sont très importantes, avec une volonté très affirmée de pouvoir gérer ce champ de la politique publique. Notre groupe du MODEM souhaite pouvoir préciser certaines choses. Comme je le disais au début, en effet, les intentions sont louables, intéressantes et marquées, mais pour qu'elles se concrétisent en termes de politiques publiques et produisent des résultats immédiats pour nos concitoyens, il faut des moyens, de la méthode et des outils, et c'est ce que nous nous efforcerons de préciser dans la discussion qui aura lieu, avec plusieurs amendements.
Nous avons ainsi proposé la création d'un pôle d'excellence, proposition malheureusement jugée irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution, ainsi que la possibilité de développer des centres de recrutement franco-allemands. Ce sont là quelques outils et quelques moyens destinés à permettre très concrètement de développer rapidement des politiques publiques ayant des effets rapides.
Je rappelais en effet tout à l'heure qu'au-delà des discours, nous rencontrons, dans la réalité, un déficit en matière de bilinguisme par comparaison, par exemple, avec le Pays basque, où 40 % des jeunes apprennent le basque, tandis qu'ils sont moins de 20 % en Alsace. Ainsi, alors qu'un nombre important d'emplois sont à pourvoir en Suisse et en Allemagne, on ne trouve pas de jeunes Alsaciens pour y aller, comment c'était le cas auparavant, principalement par défaut de maîtrise de la langue. Nous allons donc nous efforcer de préciser dans cet article un certain nombre de moyens et d'outils
Pour ce qui est du bilinguisme, il faut rester raisonnable et comparer des choses comparables : on ne saurait comparer le Pays basque, collectivité qui consiste aujourd'hui en une communauté d'agglomération, à la Collectivité européenne d'Alsace de demain, qui comptera près de 2 millions d'habitants. Lorsque nous parlons de statistiques, comparons des choses comparables.
Ensuite, j'entends que des postes seraient à pourvoir de l'autre côté de la frontière, mais ce n'est pas d'abord pour cela que je défends le bilinguisme. Cette manière de percevoir les choses démontre une méconnaissance des territoires car, des postes du même genre sont souvent disponibles aussi en France, sans nécessiter de compétences linguistiques particulières à l'Alsace. J'invite donc certains collègues à être peut-être plus présents sur le territoire avant d'évoquer de tels sujets dans l'hémicycle.
Pour ce qui est de ce premier article, je profite de cette discussion liminaire pour souligner que nous ne pourrons pas débattre de certaines de nos propositions dans l'hémicycle, alors que cela me semblait pourtant important.
La première de ces propositions était un amendement tendant à sortir l'Alsace de la région Grand Est, qui a été refusé au titre de l'article 40 de la Constitution, ce que je trouve regrettable. Le deuxième amendement tendait à proposer un référendum aux Alsaciens pour leur permettre, comme en 2013 et de la même manière qu'ils se sont exprimés alors, de se prononcer sur l'appartenance ou non au Grand Est. Un troisième amendement qui m'aurait semblé intéressant tendait à proposer l'attribution de la clause de compétence générale à cette collectivité particulière que sera demain la Collectivité européenne d'Alsace. Il est également regrettable que certains de nos amendements soient écartés d'un texte qui concerne les compétences d'une collectivité territoriale au titre de l'article 40, alors même qu'ils évoquent justement les compétences des collectivités territoriales. C'est une forme d'incohérence de notre droit.
Au-delà de ce qui a pu être dit en discussion générale et pour reprendre les propos que vient de tenir mon collègue, je crains que ce projet de loi ne nous fasse entrer dans une période d'incohérence juridique et ne soit la porte ouverte à beaucoup d'instabilité et d'incertitudes, bien au-delà du territoire qui nous préoccupe.
Le texte qui nous est présenté, madame la ministre, s'il devait constituer une étape durable sur le plan institutionnel, ne satisfera finalement personne, et c'est ce que je crains qu'il advienne au terme de nos débats.
En effet, il laissera insatisfaits une grande partie des Alsaciens, pour qui, comme nous venons de l'entendre, il ne va pas assez loin. De fait, leur désir d'Alsace leur fait souhaiter, concrètement, une revoyure totale de la loi NOTRe et une région indépendante du Grand Est – et on peut les comprendre. Le texte ne satisfait pas davantage les partisans et les adeptes d'une République solide, une et indivisible, qui regrettent qu'un projet de loi émanant du Gouvernement lui-même porte ainsi au débat public le sort d'une partie du territoire national – et on peut les comprendre aussi.
Puisque nous allons parler, à propos de cet article 1er A, du nom, c'est-à-dire de l'origine et du sens de ce projet de loi, il faut dire ce qui est : le projet de loi NOTRe n'a jamais été accepté par personne sur le territoire national et il exigerait d'être rapidement revu, plutôt que de chercher à apporter çà et là des réponses baroques qui, in fine, comme je l'ai dit, ne satisferont personne et provoqueront un effet boomerang dans de nombreux domaines.
Avant de mettre la main dans un engrenage institutionnel qui pourrait déboucher sur je ne sais quoi, il conviendrait de soutenir clairement l'idée d'un nouvel acte de décentralisation.
C'est ce dont notre pays a besoin, avant tout bricolage de la loi NOTRe. Mais je crains que ce ne soit pas le cas. Je tenais donc à exprimer toutes mes réserves au moment d'aborder le débat sur l'article 1er A, consacré à l'origine de ce texte.
Je note avec beaucoup de bonheur que les députés alsaciens qui se sont exprimés ont dit que ce texte était une étape et que l'objectif était la sortie du Grand Est, ce qu'on ne disait pas voilà encore trois ou quatre mois. L'idée mûrit donc dans les esprits.
La difficulté tient à ce que le Président de la République est contre cette idée. Est-ce donc un homme tout seul qui décide unilatéralement qu'on ne peut pas sortir du Grand Est ? J'ai l'impression qu'on a complètement oublié la crise des gilets jaunes et l'évolution indispensable du mode de fonctionnement de notre démocratie. Un homme tout seul peut-il prendre de telles décisions ? Il est vrai que François Hollande avait lui aussi décidé tout seul et que sa majorité l'avait suivi aveuglément…
Mon collègue élu des Vosges a parfaitement raison de rappeler que 67 % des habitants du Grand Est sont mécontents de la grande région – ils sont 62 % en Lorraine, 67 % en Champagne-Ardenne et 82 % en Alsace. Nous aurions pu faire dès maintenant un travail propre en sortant tout simplement du Grand Est pour éviter les difficultés juridiques, notamment constitutionnelles, qui nous attendent. Je crains en effet beaucoup la censure du Conseil constitutionnel pour ce texte.
Monsieur Straumann, il y a au moins un député alsacien qui ne souhaite pas la sortie de l'Alsace du Grand Est, et c'est mon cas. En effet, quelle que soit l'histoire difficile de la loi NOTRe, l'effet de taille de la région Grand Est est important pour certaines réalisations, en matière notamment de développement économique et d'innovation. Je tenais à le rappeler.
Sur le fond, et pour réagir aux positions qui se sont exprimées, cet article relatif à la vocation européenne d'une collectivité européenne d'Alsace fixe un certain niveau d'ambition, qui est tout à fait positif. Soyons clairs cependant, monsieur Viry : il va falloir faire un choix. Si, en effet, nous entrons dans une logique de différenciation, en acceptant que l'Alsace ait des spécificités – par exemple que, compte tenu de son caractère frontalier avec l'Allemagne et des enjeux que cela représente, il soit légitime qu'elle ait des spécificités et des responsabilités particulières dans le domaine du transfrontalier – , il ne s'agit pas d'une décentralisation uniforme, dans laquelle telle compétence serait décentralisée de manière homogène. Or, c'est précisément la philosophie que nous sommes en train de déployer. L'époque de la décentralisation uniforme, avec des mesures importantes, comme les décentralisations Defferre ou Balladur, a marqué des étapes importantes, mais nous entrons, selon moi, dans une logique de différenciation qui répond aujourd'hui pleinement à la spécificité des territoires.
Il est donc vrai que nous traitons d'un sujet d'importance, qui nous donne l'occasion d'appréhender différemment la décentralisation. Et c'est bien cette nouvelle façon de voir que nous tâchons d'appliquer au cas alsacien.
Les débats sont déjà vifs alors que l'article 1er A ne concerne que le nom de la future collectivité alsacienne : « Collectivité européenne d'Alsace » !
Je rappelle à notre collègue Straumann que cette collectivité s'inscrira dans le cadre de la région Grand Est, mais avec son particularisme, et donc avec une différenciation. Comme je l'ai dit en commission, nous partagerons à plusieurs les problèmes transfrontaliers : la Moselle avec le Luxembourg et l'Allemagne, la Meurthe-et-Moselle avec la Belgique et le Luxembourg, les Ardennes avec la Belgique… C'est pourquoi, demain, vous serez un exemple à suivre pour le reste de la région en matière de différenciation, mais dans le cadre de la région Grand Est.
Le désir d'Alsace existe, comme existe un désir équivalent dans de nombreux départements de la région Grand Est. Mais si votre objectif est de faire en sorte que le projet de loi soit rejeté et de rentrer en Alsace pour évoquer un échec du Gouvernement et de la majorité présidentielle, …
Notre collègue nous a mal entendus. Le présent débat permet au moins à chacun de s'exprimer clairement. Il y a un projet de loi, et nous avons décidé de prendre position sur ce texte. Il peut y avoir des visions différentes de l'avenir. Les lois évoluent, notre travail le montre, et la vérité du Grand Est n'est pas intangible. Les enfants de Mitterrand auraient dû se souvenir que la décentralisation, c'était d'abord la proximité ! Or quand on crée des collectivités plus grandes que les Pays-Bas, que la Suisse ou que la Belgique, la proximité cède le pas à la technocratie, à la mauvaise dépense publique – celle du fonctionnement – , au bilan carbone négatif. Voilà, votre Grand Est. Ce n'est pas le nôtre, mais je n'en respecte pas moins votre point de vue.
Nous faisons semblant de croire que la France est uniforme. Nous avons le même droit qui s'applique à peu près partout. Mais l'organisation institutionnelle de la France n'est pas uniforme ! Il y a un statut dérogatoire pour Paris, Lyon et Marseille ; nous avons fait évoluer le statut de Paris en fusionnant la ville et le département ; nous avons fait évoluer le statut de l'agglomération de Lyon, désormais à la fois agglomération et département ; nous avons fait évoluer le statut de la Corse par une loi ordinaire ; les territoires d'outre-mer, qui font pleinement partie de la République, font l'objet d'un statut particulier. La République est notre maison commune mais la tapisserie peut être légèrement différente d'une pièce à l'autre.
Comme je l'ai déclaré lors de la discussion générale, le présent texte constitue une étape. Quelque 85 % des Alsaciens, quand on les interroge, veulent sortir du Grand Est. Les Alsaciens sont pour moi parfaitement fondés à définir eux-mêmes la collectivité dans laquelle ils souhaitent vivre.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
Cela ne les empêchera pas de faire partie de la République ni d'être des citoyens français comme les autres.
Vaut-il mieux un mauvais compromis ou une bonne querelle ? Si nous votons le présent texte, nous choisirons un mauvais compromis, mais optimiste comme je suis, je pense que c'est toujours préférable à une bonne querelle.
Le nom de la future collectivité n'est pas qu'un symbole : il dit le sens du combat que nous allons mener ici, dans le respect mutuel. Comme l'a plus ou moins dit Camus, mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. Il n'est pas ici question de créer une communauté mais bien une collectivité européenne. Or subsiste une ambiguïté sur le mot « collectivité » : il s'agit en fait d'un département. Et, je le dis avec beaucoup de respect, ce département n'est ni plus ni moins européen que ceux de la Lorraine, que ceux de la Champagne-Ardenne, que les départements occitans voisins de l'Espagne, etc.
Ce qui sera décidé aujourd'hui pour l'Alsace a-t-il vocation à préfigurer une loi de différenciation ? Dans ce cas, il faut imaginer l'extension de cette différenciation à tous les départements pourvus des mêmes caractéristiques. Je vous interpelle donc, madame la ministre, sur la cohérence de l'action à venir. Le présent texte est-il le laboratoire de la future loi de décentralisation ? Puisque doit prévaloir un principe d'égalité dans la République, on appellerait dès lors « européen » un futur département lorrain, ou les Pyrénées-Atlantiques… Il faut aller au bout de cette démarche.
On ne corrige pas une politique de Gribouille, en l'occurrence celle de 2015, par une autre politique de Gribouille ; or c'est ce que nous en sommes en train de faire. Nous rejetterons donc le nom de la nouvelle collectivité, non pas par jalousie vis-à-vis de nos amis alsaciens, mais parce que nous devons avoir des idées précises sur le sujet : depuis trop longtemps nous manquons d'une boussole et d'une vision claire sur ce que doit être ce couple puissant composé, d'une part, de l'agilité et de la différenciation, et d'autre part de l'unité républicaine.
M. Potier m'a devancé. Tout le monde aura compris qu'à travers le nom de la future collectivité, c'est un débat de fond que nous menons. Nous ne sommes pas hors sujet.
Comme vient de le souligner M. Potier, le texte ne règle rien. Il introduit même une spécificité qui va au-delà de celle revendiquée par nos collègues LR, dont il nous faudrait discuter. On ne voit pas très bien l'utilité du particularisme que vous voulez instituer : s'agit-il d'un département de droit commun ou non ? Du reste, pour être juridiquement solide, un tel statut a vocation à se développer : on ne comprendrait pas bien l'inverse. Pourquoi un seul territoire en France devrait-il s'appeler « collectivité européenne » ? Au nom de quel argument n'y aurait-il pas une collectivité européenne ailleurs ? Ce n'est pas la spécificité culturelle de nos amis alsaciens qui doit conduire à ce qualificatif. On voit bien que ce projet est très mal taillé, et qu'il ne satisfait même pas nos collègues qui voudraient aller beaucoup plus loin que je ne le voudrais moi-même.
Bastien Lachaud, tout à l'heure, s'est exprimé dans un style, disons… très « principiel ».
Sourires sur les bancs du groupe LR.
Mais entendez que ce courant d'opinion existe ! La question du droit local, la question de la spécificité sur la laïcité, débat qui touche tout le pays, vous devez l'entendre. En effet, comment justifier que, dans vos territoires, des religions soient financées par des fonds publics mais qu'une religion ne le soit pas ? Au nom de quoi ?
Et pourtant vous savez très bien que des gens, dans votre territoire, appartiennent à cette religion – je pense à l'islam.
Exclamations sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
C'est bien la question au contraire ! En maintenant ce droit local, on risque un embrasement du pays.
Si, parce que vous ne pourrez justifier auprès d'un Alsacien de confession musulmane que son culte ne pourra bénéficier de fonds publics.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Mais si ! Et quand nous vous disons qu'il faut travailler à l'unité des lois dans l'ensemble du territoire plutôt que d'exalter des spécificités, nous parlons bien du fond du problème. J'y reviendrai tout à l'heure.
Permettez-moi d'en revenir au contexte. Le nom de la future collectivité a été choisi par les présidents des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, qui ont décidé de fusionner les deux collectivités. Je ne saurais donc contester, pour ma part, un nom choisi par des élus locaux tout à fait fondés à le faire. Nous devons donc tenir compte du décret pris en la matière.
Ensuite, j'entends nos collègues discuter du caractère particulier de la collectivité en question. Tout débat est bon, mais je rappelle tout de même qu'en moins de deux ans, cette majorité, ce gouvernement, ont permis l'innovation territoriale, ainsi que l'a souligné Olivier Becht.
Il me semble que la dernière collectivité à statut particulier en date a mis plus de dix ans pour se mettre en place. Le présent texte est le fruit d'un accord. Nous avons été entendus par le Gouvernement, qui a trouvé une solution de consensus en souhaitant attribuer des compétences spécifiques à cette collectivité née, je l'ai dit, de la fusion de deux départements. Le Gouvernement apporte des réponses concrètes, ce qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait fait. Je pense par exemple au transfert de la gestion des routes, compétence que n'avait pas la région Alsace – dût-on regretter sa disparition.
Nous pouvons bien discuter de la forme pendant des heures, mais ce qui m'intéresse est l'attribution à la nouvelle collectivité de compétences qui répondent aux problèmes quotidiens des Alsaciens. Je dis cela pour remettre le débat sur ses rails. La question à se poser, c'est : pourquoi faisons-nous ceci ou cela ?
Il y a plusieurs types de personnes : ceux qui voudraient obtenir tout et tout de suite, sachant que ce n'est pas possible, ceux qui voudraient que l'Alsace n'ait rien du tout au nom de l'uniformité de la République, ce que nous ne souhaitons pas non plus, et enfin ceux qui pensent que le texte est un compromis acceptable en l'état parce qu'il constitue une étape d'un chemin qui pourrait être encore long – pas trop, j'espère.
Pourquoi qualifier cette collectivité d'européenne ? Parce que, vous l'ignorez peut-être, l'Alsace se situe au coeur géographique culturel, historique et autres de l'Europe. Strasbourg est à la fois la capitale de l'Alsace mais aussi celle de l'Europe – y siègent le Conseil de l'Europe et le Parlement européen – et elle entend bien le rester.
Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-I, LaREM et MODEM et sur quelques bancs du groupe LR.
C'est un symbole. C'est pourquoi il est prévu d'appeler la nouvelle collectivité « Collectivité européenne d'Alsace ».
J'en viens pour finir à la nature de cette collectivité. Certains auraient souhaité, moi le premier, que ce soit clairement une collectivité à statut particulier. Certains affirment qu'il s'agit d'un département – j'entends Mme la ministre. La réalité est que, juridiquement, il est probable que ce ne sera ni complètement l'un ni complètement l'autre : elle aura l'organisation administrative d'un département mais des compétences particulières qui ne sont pas celles d'un département. Nous faisons donc ici de l'innovation politique, pour l'Alsace et pour nous, Alsaciens. Il n'y a pas lieu de bouder notre plaisir.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.
Nous avons évidemment le droit d'avoir des avis différents, c'est ce qu'on appelle la démocratie. Reste qu'il ne faudrait pas laisser penser que les uns, gentils, veulent plein de choses pour l'Alsace et que les autres ne veulent rien lui donner.
Peut-être que certains veulent l'égalité pour tous, qu'on soit Alsacien, Occitan, Breton ou autres.
Pour ce qui est du nom de la future collectivité, devrait-il changer au cas où le Parlement européen ne siégerait plus à Strasbourg ? C'est une éventualité qui semble faire l'objet de certaines discussions, que personne ici ne souhaite je pense.
En tout cas, nous devons faire attention : pourquoi ne discuterions-nous pas, après ce texte, d'un projet de loi sur la ville de Verdun – en étant native, j'en serais très fière – qui la renommerait « collectivité mondiale de Verdun », la ville étant la capitale mondiale de la paix ? Les spécificités ne sont pas qu'alsaciennes, elles sont partout en France, car nous habitons un beau pays caractérisé par des milliers de spécificités.
J'appelle également votre attention sur des mots qui parfois dépassent la pensée, en particulier quand certains évoquent la sortie de la région Grand Est. Certains collègues n'ont pas trop apprécié d'être fusionnés avec les Lorrains. La manière dont ils l'ont dit peut être très vexante pour les Lorrains.
Protestations sur les bancs du groupe LR.
Je le dis avec gentillesse : il faut faire attention aux propos qu'on tient. Les spécificités alsaciennes existent, mais celles de tous les autres départements également.
La parole est à M. Alexis Corbière, pour soutenir l'amendement no 112 .
Nous souhaitons supprimer l'article. Nous avons déjà fait valoir nos arguments, mais j'insiste sur un point : si nous jugeons que la création en 2015 de la région Grand Est était regrettable, discutable – nous n'y étions pas favorables – , le présent texte ne règle pas le problème.
Pour en revenir au fond, permettez-moi de dire que personne dans cet hémicycle n'a le monopole de l'Alsace, pas même nos collègues alsaciens.
Nous avons tous le droit d'avoir une opinion. Je connais le poids des mots – j'ai déjà eu maille à partir avec Paul Molac ! – et peut-être me suis-je parfois mal exprimé. Il y a évidemment une tradition, une identité de l'Alsace, comme cela est aussi vrai pour la Bretagne ou la Corse. En matière de bilinguisme, je suis d'ailleurs favorable à ce que le service public de l'éducation nationale permette une transmission des langues : cela ne me pose pas de problème.
En revanche, comme vous tous d'ailleurs, j'ai l'oreille fine : j'entends que pour certains, il y a d'autres choses derrière ce débat. Ils disent par exemple que ce n'est qu'une étape… Tout le monde exalte des spécificités, pour parler finalement de taxe sur les autoroutes. Mais où est l'intérêt général ?
Lorsqu'on discute avec les collègues d'autres départements, on sait très bien ce qui se produit lorsqu'une autoroute gratuite devient payante : le transport risque de se déplacer sur d'autres routes.
L'objet de notre discussion doit être l'intérêt général, lequel, même si la question alsacienne est importante, ne peut pas être une succession de plaidoyers de chaque élu qui se sent obligé de défendre les spécificités de son seul territoire. La question doit être réglée de façon générale. En effet, les particularités se trouvent partout, de même que le sentiment de maltraitance qu'a causé le découpage de la France en neuf grandes régions.
Certes, mais la façon dont le débat est engagé ne règle rien, et introduit même un coin dans l'unité de la République, vous ne pouvez pas le nier. D'autres discussions s'ouvriront. Je respecte ceux qui, parmi vous, disent qu'il faut même évoluer vers des expérimentations locales sans savoir jusqu'où cela ira : elles pourraient concerner la fiscalité, et, pourquoi pas, le droit du travail ou je ne sais quels autres sujets encore…
Voilà pourquoi nous demandons la suppression de l'article. Nous exprimons ainsi une opposition radicale à ce projet de loi.
Mme Caroline Fiat applaudit.
Vous avez raison, monsieur Corbière, parlons intérêt général ! Nous n'avons pas la même conception de la République.
Nous, nous pensons que, dans la République, il faut d'abord respecter l'histoire des territoires…
… et, ensuite, adapter les politiques aux réalités de ces territoires, et faire confiance aux élus locaux. C'est notre conception de la République décentralisée.
Nous pensons que la République respire aussi à travers ses territoires, que les élus locaux ont une place particulière dans son expression, à travers leur travail sur le territoire. C'est notre conception.
Il se trouve que les deux présidents de département ont proposé le nom « Collectivité européenne d'Alsace », sans aucun doute parce qu'ils voulaient aussi rappeler la dimension européenne de Strasbourg, capitale européenne. Ils sont fortement attachés à cette idée, tout comme au fait que l'Alsace porte l'idée européenne. Nous avons décidé de tenir compte de leur point de vue, comme l'a fait le Gouvernement. Je donne donc, évidemment, un avis défavorable à votre amendement.
Avis défavorable. Le 27 février dernier, les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ont été regroupés par décret. L'article 1er A du projet de loi a donc pour seul effet de préciser le nom de la « Collectivité européenne d'Alsace », qui est donc un département avec des compétences complémentaires ou spécifiques.
Le projet de loi ajoute au livre IV de la troisième partie du code général des collectivités territoriale, relative au département, le titre « Collectivité européenne d'Alsace ». L'ensemble des articles ainsi créés visent explicitement la Collectivité européenne d'Alsace. Par conséquent la nature juridique de département ainsi que le nom de la Collectivité européenne d'Alsace ne font aucun doute.
Alexis Corbière défend son amendement de suppression en expliquant que nous contribuerions à démanteler la République. Nous ne partageons pas ce point de vue. Nous ne faisons que prendre en compte une réalité géographique et humaine, réalité qui peut justifier un certain nombre de dispositions.
La décentralisation peut constituer un point de désaccord entre nous, monsieur Corbière. Vous avez un ADN très centraliseur, je dirais même « jacobin », si vous n'avez rien contre ce terme.
Pour notre part, nous sommes Girondins, et nous pensons qu'il faut aller au plus près du terrain. Nous estimons que la décentralisation a été une très bonne chose et, pour l'efficacité de notre pays, nous souhaitons aller encore plus loin dans ce processus. Nous ne pouvons donc qu'être opposés à votre amendement fondé sur l'idée que tout doit être centralisé.
Nous ne partageons pas ce point de vue. Vous le dites vous-mêmes, l'Alsace a aujourd'hui un certain nombre de spécificités – plusieurs, comme le droit local, sont partagées par le département de la Moselle. Tout cela est désormais inscrit dans la Constitution. Le débat a donc déjà eu lieu. Nous sommes extrêmement attachés à ce que l'on ne touche pas aux spécificités qui peuvent contribuer à enrichir la République, comme l'Alsace l'a largement montré.
Je ne vais pas m'appesantir sur la dette que la République peut avoir à l'égard de l'Alsace. Le traité de Francfort n'a pas été un accord magnifique pour les territoires cédés à l'empire prussien ! Cela s'est fait dans la douleur, et d'autres événements du siècle passé justifient aussi un certain nombre de spécificités.
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce texte ne fait pas l'objet de la procédure du temps législatif programmé. Autrement dit, vous ne pouvez pas vous exprimer plus de deux minutes lors de la discussion des amendements.
La parole est à M. Hubert Wulfranc.
Monsieur le rapporteur, il n'y a pas d'un côté les élus de La République en marche, qui respectent, écoutent et sont au petits soins avec les élus locaux, et de l'autre les affreux jacobins que nous serions, centralisateurs et parisiens – la plupart du temps, vous aurez d'ailleurs bien du mal à me trouver à Paris !
Que s'est-il passé depuis des années ? On a substitué au pouvoir des communes, des départements et de la nation – c'est-à-dire aux politiques de proximité et aux politiques nationales à portée universaliste sur le territoire national, autrement dit aux politiques régaliennes – un deuxième niveau institutionnel : le pouvoir des métropoles, des régions et de l'Europe. Résultat, nous avons aujourd'hui un éloignement des citoyens par rapport à des politiques publiques dominées par un versant libéral.
Évitez donc d'utiliser le mot « jacobin », vous le salissez. Traitez-nous plutôt de « centralisateurs » ! Pour notre part, nous continuons de penser que les politiques publiques d'égalité – c'est-à-dire d'équité, y compris dans leur approche spécifique – , les politiques des libertés, car il y a plusieurs libertés, et les politiques de fraternité renvoient directement aux enjeux dont nous causons aujourd'hui : le patrimoine national, la santé et la culture. Je parle de patrimoine national car jusqu'à preuve du contraire, les routes nationales et les autoroutes non concédées en font partie !
Certes, cette conception est radicalement opposée à celle à laquelle vous adhérez, à laquelle les politiques adhèrent depuis un certain temps, mais ne venez pas sans arrêt nous faire la leçon !
J'insiste sur le fait que l'article 1er A, que nous voulons supprimer, concerne le nom de la collectivité. Les présidents des deux départements ont longuement travaillé pour se mettre d'accord sur un nom : nous ne revenons pas sur leur travail, nous ne le contestons pas, et nous les félicitons même pour leur implication.
Nous demandons la suppression de l'article car, comme le Conseil d'État l'a souligné, il existe une ambiguïté avec l'attribution de ce nom, qui serait susceptible d'engendrer une double méprise sur la nature juridique de la nouvelle collectivité. Notre amendement de suppression vise donc à éviter un problème juridique.
L'amendement no 112 n'est pas adopté.
Il s'agit d'une sorte d'amuse-bouche, avant les amendements beaucoup plus consistants proposant une collectivité à statut particulier.
À l'origine de ce projet de loi, il y a la déclaration de Matignon du 29 octobre 2018 et le décret du 27 février 2019 qui crée la Collectivité européenne d'Alsace, sur l'initiative des deux conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Le député Thierry Michels, notre Hans im Schnòckeloch, aurait sans doute préféré l'AEM, l'Alsace En Marche, mais ce serait prendre ses désirs pour des réalités !
Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Alors, à l'image de la métropole de Strasbourg, connue et reconnue, je propose le nom « Eurocollectivité d'Alsace ». En effet, le nom « Collectivité européenne d'Alsace » n'est pas très heureux et « CEA » encore moins. J'aurais pu pousser ma démarche au bout de sa logique en proposant la substitution de ces termes pour toutes les occurrences de « Collectivité européenne d'Alsace » dans le projet de loi. Je ne l'ai pas fait pour montrer que j'aborde ce débat de manière bienveillante, mais je tenais à faire cette proposition pour cette nouvelle collectivité d'Alsace souhaitée par 83 % des Alsaciens.
J'ai la chance d'en être à mon deuxième mandat de parlementaire et, comme je suis intéressé par les questions relatives aux collectivités territoriales, j'ai toujours choisi de suivre les textes sur ce sujet.
Lorsque nous avons voté un statut particulier pour Paris, je n'ai pas le souvenir que quiconque ait eu le sentiment que nous mettions en danger l'unicité de la République – pourtant ce statut n'existe que pour Paris. Lorsque nous avons voté un statut particulier pour Lyon, personne n'a dit que nous mettions la République en danger – pour ma part, j'y voyais, au contraire, une expérimentation intéressante pour l'ensemble de la République. Lorsque nous avons voté un statut particulier pour la Corse – l'hémicycle était encore moins rempli que ce soir – personne n'a pensé que nous mettions en danger les valeurs de la République, son unité et son unicité.
Alors, parfois, je me demande pourquoi certains propos ou jugements ressortent lorsque l'on parle de l'Alsace. L'histoire de l'Alsace, si douloureuse pour les Alsaciens dérange-t-elle aujourd'hui encore ?
Mon amendement vise à résoudre un problème de droit en faisant référence à l'article 72 de notre Constitution. Je m'appuie sur les arguments de M. Becht, qui nous expliquait qu'entre le statut juridique de la collectivité et les compétences exercées, il y a une différence. L'article 72 de la Constitution me semble de nature à sécuriser l'ensemble du dispositif.
L'objectif de cet amendement est très clair : sécuriser juridiquement l'article qui nous est soumis. En effet, le Conseil d'État s'est prononcé sur la dénomination, mais aussi et surtout, comme l'a dit Laurent Furst à l'instant, il a rappelé très nettement que deux structures juridiques sont définies par la Constitution : les départements d'une part, les collectivités à statut particulier d'autre part. On voit bien que même s'il s'agit d'une fusion de départements, le texte attribue en plus à ce territoire des compétences spécifiques. Les termes mêmes de « Collectivité européenne d'Alsace » font bien référence à autre chose qu'un département. Allons jusqu'au bout de cette logique et inscrivons clairement dans la loi qu'il s'agit d'une collectivité à statut particulier au sens de l'article 72 de la Constitution. Comme l'a rappelé Mme la ministre, cela peut se faire à droit constant.
La parole est à M. Raphaël Schellenberger, pour soutenir l'amendement no 30 .
Après avoir entendu Vincent Thiébaut dans la discussion générale, je crois bon de préciser que nous ne sommes pas en train de réinventer le b. a. -ba de la politique de décentralisation de l'État : ce texte propose une petite avancée qui répare une injustice profonde qu'a subie l'Alsace, pas d'instituer la spécificité de l'administration territoriale – qui ne date d'ailleurs pas d'aujourd'hui. Il faut donc relativiser. Laurent Furst a bien listé plusieurs exemples qui doivent nous amener à réfléchir davantage sur les logiques que notre assemblée doit adopter : nous serions ainsi prêts à créer des collectivités à statut particulier pour certains territoires, mais pas pour d'autres ? Voilà qui pose question.
Cet amendement tend donc à faire de la collectivité européenne nouvellement créée une collectivité à statut particulier. Il a une vocation : celle de sécuriser le dispositif. Le Conseil d'État a rendu un avis relativement critique sur le texte, ce qui nous inquiète. Les compétences nouvelles attribuées à droit constant ne peuvent l'être que s'il y a justification d'une spécificité, ce qui peut être difficile à établir. La création d'une collectivité à statut particulier permettrait d'écarter cette difficulté.
Et puis, quoi qu'on veuille, cette collectivité sera particulière car même si elle reprend l'organisation administrative et politique d'un département, c'est-à-dire des conseillers départementaux élus en binôme paritaire par canton, eux-mêmes élisant leur exécutif, cela n'empêche pas que cette collectivité aura au moins comme première spécificité par rapport aux autres départements de couvrir le territoire de deux départements, entendus comme circonscriptions administrative de l'État. Elle ne sera donc nécessairement pas un département comme les autres.
Il faut donc sécuriser le dispositif, et le meilleur moyen pour y parvenir nous semble de le caler sur le statut de la collectivité à statut particulier prévu par l'article 72 de la Constitution. C'est d'autant plus envisageable que rien n'empêche une collectivité à statut particulier d'avoir une organisation politique et administrative semblable à une autre collectivité, avec d'autres particularités.
Il s'agit donc d'un amendement de sécurisation.
En complément des arguments que viennent de défendre mes collègues, j'ajouterai que depuis la mission de réflexion sur la question territoriale et institutionnelle en Alsace confiée au préfet Marx, dont est tiré le remarquable rapport de juin 2018, je ne cesse de dire que l'Alsace n'a pas vocation à être un département : la réduire à un département serait une régression. Certes, on nous promet des compétences spécifiques en plus de celles des départements, mais en ce début de discussion, alors que la plupart de nos collègues voient dans ce texte une première étape ou au moins un verre à moitié plein, je n'y vois pour ma part qu'un verre ne comportant qu'une dose homéopathique de compétences. Et pour éviter toute confusion, pour éviter la double méprise évoquée par le Conseil d'État, mon amendement propose de faire des deux départements une collectivité à statut particulier au sens de l'article 72 de la Constitution.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?
Une remarque préalable : le territoire de Belfort est bien un département alors qu'il ne porte pas le nom de département.
Ensuite, pour répondre à M. Reiss, je rappelle que le nom de « Collectivité européenne d'Alsace » est l'expression de la volonté des deux présidents des conseils départementaux. Ils l'ont choisi parmi d'autres et ont souhaité, à la demande des acteurs locaux, sécuriser cette dénomination, ce que notre commission a approuvé en l'inscrivant à l'article 1er A.
Cela étant précisé, je rappellerai simplement, pour répondre aux différents auteurs des amendements, le cadre choisi : celui de la déclaration commune. Cette nouvelle collectivité aura pour cadre la région Grand Est et regroupera les deux départements, pour constituer certes un département, mais doté de compétences particulières, ce qui, comme on l'a rappelé, justifie sa dénomination particulière. Ce département, qui sera avant tout ce que ses acteurs en feront, pourra ainsi user de ses compétences propres. C'est là que réside l'originalité du texte. Pour toutes ces raisons, l'avis est défavorable.
L'avis est bien sûr défavorable, aussi bien sur le nom que sur la nature de la collectivité.
Pour ce qui est du nom, comme vient de le rappeler le rapporteur, il s'agit d'une proposition des présidents des départements. Le Gouvernement a accepté bien volontiers le choix des deux présidents ainsi que des deux conseils départementaux, puisqu'il est cité dans les délibérations de chacun d'entre eux. Je rappelle aussi que ce nom est mentionné dans le décret du Conseil d'État ainsi que dans le protocole d'accord que nous avons signé tous ensemble. Je peux comprendre que certains auraient préféré une autre dénomination, mais on ne va pas recommencer la discussion alors qu'il y a eu un accord général.
Quant à la possibilité de créer une collectivité à statut particulier, j'ai répété dans mon propos liminaire que le Gouvernement avait bien précisé dès le départ que ce n'était pas sa volonté d'aller jusque-là, mais que la collectivité nouvelle valait reconnaissance du caractère spécifique de l'Alsace, reconnaissance confirmée par le Conseil d'État, et que des compétences supplémentaires pouvaient de ce fait lui être transférées.
Par ailleurs, cher Raphaël Schellenberger, j'ai entendu ce que vous avez dit sur le rapprochement entre la délimitation de la nouvelle collectivité et les découpages départementaux, mais faisons attention : cela pourrait justifier de ne pas maintenir deux préfets départementaux en Alsace.
Or je ne crois pas que ce soit ce que souhaitent l'ensemble des Alsaciens, pour de nombreuses raisons fort compréhensibles d'ailleurs. On peut à cet égard comparer la nouvelle collectivité à celle de Corse, qui dispose toujours de deux circonscriptions administratives d'État.
Je vais voter les amendements qui proposent une collectivité à statut particulier, pour trois raisons. La première raison est de cohérence : non pas avec l'ensemble du texte mais avec moi-même puisqu'en décembre 2014, quand la loi sur les grandes régions a été votée et l'intégration de l'Alsace dans le Grand Est ainsi actée, j'avais prôné qu'elle devienne une collectivité à statut particulier, pour retrouver son statut de collectivité locale.
La deuxième raison, c'est que les Alsaciens sont attachés à ce que la collectivité qui représente l'Alsace ne soit pas seulement un département. Il faudrait veiller à ne pas entendre demain « Vous avez certes recréé l'Alsace, mais en l'abaissant au rang d'un département alors qu'elle était auparavant une région ».
La troisième raison est d'ordre juridique. Ayant été magistrat administratif dans une vie antérieure et étant encore professeur de droit dans une vie parallèle, je pense vraiment que nous sommes face à un objet hybride : certes, la Collectivité européenne d'Alsace aura le statut d'un département puisqu'elle en aura l'organisation administrative – le conseil départemental, l'exécutif – mais lui donner des compétences différentes en fait bien une collectivité à compétences particulières. Or c'est aussi la caractéristique d'une collectivité à statut particulier.
Je ne vois pas ce qu'on risque à faire de l'Alsace une collectivité à statut particulier au sens de l'article 72 de la Constitution. C'est déjà le cas de Lyon ou de Paris. Deux départements fusionnant pourraient très bien être soumis à un statut spécial. Je comprends d'autant moins cette opposition que le Conseil d'État a recommandé de choisir entre un département, avec des compétences de département, et une collectivité à statut particulier, aux compétences particulières. Le risque juridique de votre solution existe donc, selon le Conseil d'État.
Et puis je rappelle en aparté que, depuis la loi NOTRe, le département n'a plus la compétence générale. Cela veut dire que si la nouvelle collectivité d'Alsace est confrontée à un problème qui n'est pas prévu dans la loi, on sera obligé de revoter. Voilà qui n'est pas très souple !
Créer une collectivité à statut particulier dotée à ce titre de la compétence générale me semblerait intéressant.
M. Patrick Hetzel applaudit.
Les arguments du rapporteur et de la ministre plaident dans le sens de la création d'une collectivité à statut particulier. Se référer à la déclaration commune de Matignon ne me convient pas parfaitement, mais si c'est la base de la discussion, allons-y – tout en rappelant que le Conseil d'État estime que le moyen juridique choisi n'est pas le plus à même de sécuriser le processus ! Sécurisons-le alors, en créant une collectivité à statut particulier, même si le texte d'aujourd'hui ne lui confère pas plus de compétences que prévu dans ladite déclaration.
Et puis, madame la ministre, je note qu'il n'existe pas de collectivité départementale couvrant un territoire correspondant à deux circonscriptions administratives de l'État appelées « départements ».
Mais si !
C'est bien pourquoi il faut faire de l'Alsace une collectivité à statut particulier, comme c'est le cas pour la Corse, qui couvre deux circonscriptions administratives de l'État.
Tout d'abord, il faut faire attention, monsieur Becht, au fait que la collectivité départementale est une collectivité à part entière dans nos institutions, même si l'ancien gouvernement avait eu à un moment l'intention de la supprimer. Les grandes régions ont en fait conforté les départements. Vous avez parlé tout à l'heure d'« abaisser » l'Alsace au rang d'un département. Il est de mon devoir de corriger ces termes, qui ne sont pas justes et que je trouve même condescendants à l'égard des départements.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe LaREM.
Deuxièmement, le décret en Conseil d'État, je le rappelle, n'a pas été attaqué, et ne peut plus l'être. Il n'y a donc aucune ambiguïté : le nouveau département qui résulte de la fusion des deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin se nomme Collectivité européenne d'Alsace.
Je ne voudrais pas qu'un jour, à leur réveil, les Alsaciens découvrent que les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ont disparu. J'ai donc déposé cet amendement pour qu'il soit bien clair que ces départements seront conservés en tant que divisions territoriales et administratives, ainsi que leurs préfectures respectives : Colmar pour le Haut-Rhin et Strasbourg pour le Bas-Rhin. Le Conseil d'État a relevé que la dénomination « Collectivité européenne d'Alsace » était susceptible de créer, au plan juridique, un certain nombre de confusions. Cet amendement a pour objet d'éviter toute confusion en la matière.
Il faut bien distinguer, Mme la ministre pourra le confirmer, les services déconcentrés de l'État, dont l'organisation demeurera distincte dans le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, de la nouvelle collectivité, qui regroupe bien les deux départements pour n'en faire qu'un, doté de compétences particulières – d'où le projet de loi qui nous réunit ce soir. Ainsi qu'Olivier Becht l'a indiqué en commission, l'important, ce sont ces nouvelles compétences, qui doivent pouvoir être exercées le plus rapidement possible.
Par ailleurs, vous me permettrez de saluer le travail et l'engagement des présidents des deux départements, car ce qu'ils ont fait n'était pas chose facile, y compris politiquement.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et UDI-I ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LR.
Avis défavorable. Par ailleurs, je confirme le maintien des deux circonscriptions administratives de l'État.
Nous avons tout de même quelques craintes. Lors de l'examen du texte en commission des lois, l'un de nos collègues a demandé ce qui justifiait le maintien de deux préfectures dans un département unique. Si la loi ne le précise pas, il est possible que, demain, à l'occasion d'une réforme du réseau des préfectures, celle du Haut-Rhin, par exemple, disparaisse purement et simplement. Du reste, je le rappelle, l'Alsace est à cet égard une terre d'expérimentation, puisque c'est là, …
… en Alsace et en Moselle, qu'ont été supprimées les premières sous-préfectures.
Monsieur le rapporteur, le département, en tant qu'élément de l'organisation déconcentrée de l'État, fait partie des gènes de la République. On ne peut donc pas considérer la préfecture comme un simple élément susceptible d'ajustement au même titre que d'autres services déconcentrés. Cette précision me paraît importante à ce stade du débat car, même si la modification de l'organisation dépend du pouvoir réglementaire, et peut donc être décidée très rapidement par l'exécutif, on ne peut pas toucher aux départements comme on touche, c'est le cas actuellement, à des sous-préfectures ou à des trésoreries.
L'ambiguïté tient au fait que le mot département recouvre deux réalités : il désigne à la fois une collectivité territoriale et une circonscription administrative de l'État. Jamais, je le précise, les départements en tant qu'élément de l'organisation administrative de l'État n'ont été découpés par la loi : cela relève du pouvoir réglementaire. C'est la raison pour laquelle je m'oppose à cet amendement. Mais, je le répète haut et fort, le Gouvernement s'est engagé à maintenir deux départements en tant que circonscriptions administratives de l'État.
L'amendement no 103 n'est pas adopté.
On voit bien que la confusion évoquée par le Conseil d'État persiste. Pour ma part, je considère que la dénomination proposée, « Collectivité européenne d'Alsace », est sujette à discussion et ne va pas dans le sens de la clarification et de la légitimité que j'appelle de mes voeux. Elle donne, en effet, à penser que l'on glisserait vers une collectivité à statut particulier prévue à l'article 72 de la Constitution, alors que tel n'est pas, me semble-t-il, l'intention du Gouvernement ni l'esprit du projet de loi.
Pour sortir de l'ambiguïté, je vous propose de retenir tout simplement le mot « département », que vous-mêmes, madame la ministre, monsieur le rapporteur, avez utilisé pour expliquer votre avis défavorable sur nombre d'amendements. De fait, l'emploi de ce terme simplifiera et clarifiera les choses, et légitimera probablement cette nouvelle collectivité.
La parole est à M. Hervé Saulignac, pour soutenir l'amendement no 274 .
Notre débat est une démonstration évidente que les choses ne sont pas claires. Or, si elles ne le sont pas pour nous, elles le seront encore moins pour les Alsaciens. À cette heure, il est très important que l'on ne se préoccupe pas de faire plaisir à deux présidents de département qui ont négocié le terme « collectivité », ou à ceux de nos collègues qui veulent à tout prix le conserver parce que se joue là l'hypothèse d'une collectivité à statut particulier. Nous devons privilégier la clarté ; nous le devons à nos concitoyens, s'agissant d'une collectivité qui a des missions majeures en matière d'action sociale, de gestion des collèges et de gestion des routes.
La vérité, c'est que demain, mes chers collègues, vous aurez un département, un conseil départemental qui délibérera, un président de conseil départemental et une place au sein l'Association des départements de France. Rien d'autre qu'un département ! On peut donc toujours se payer de mots en le nommant « Collectivité européenne d'Alsace », mais cette dénomination entretient une confusion et relève, d'une certaine manière, de la manipulation envers les Alsaciens, qui vont se demander quelle est cette collectivité européenne d'Alsace.
Ce n'est pas parce que l'on modifie son périmètre géographique ou qu'on lui confie quelques compétences supplémentaires que l'on modifie la nature juridique d'une collectivité. Nous estimons qu'il est très important, pour les Alsaciens, que nous soyons précis. C'est pourquoi nous vous proposons de baptiser tout simplement cette collectivité « département d'Alsace ».
S'il s'agissait d'un département au sens classique du terme, nous ne serions pas là et la question du nom ne se serait pas posée. En l'espèce, cette collectivité est dotée de compétences particulières, c'est le moins que l'on puisse dire, dans des domaines extrêmement importants, qui tiennent compte de la spécificité du territoire alsacien ; d'où le nom « Collectivité européenne d'Alsace ».
M. Olivier Becht applaudit.
L'avis du Gouvernement est bien entendu défavorable. Je ne vais pas répéter ce que j'ai dit tout à l'heure. Le département est une collectivité ; la collectivité est un département doté de compétences liées à sa spécificité. Les Alsaciens, me semble-t-il, sauront l'expliquer car, le plus important, comme cela a été dit par tous à plusieurs reprises, c'est qu'une collectivité alsacienne réapparaisse.
Cette discussion est symptomatique du fait que l'on a tendance à regarder l'objet « Collectivité européenne d'Alsace » comme si la logique de la différenciation n'existait pas. En réalité, les responsabilités, qu'il s'agisse par exemple de l'enseignement de la langue régionale – en l'espèce, de la langue du voisin, l'allemand – , des politiques transfrontalières ou du transfert d'autoroutes nationales, peuvent, comme le nom, évoluer dans le cadre législatif actuel. Du reste, le Conseil d'État indique que beaucoup de choses sont d'ores et déjà possibles en matière de différenciation.
Pour ma part, je suis attaché à la dénomination « Collectivité européenne d'Alsace », qui traduit une réalité nouvelle, c'est-à-dire des responsabilités nouvelles pour l'Alsace, qui correspondent à ses spécificités.
Comme je l'ai déjà dit, mal nommer les choses, c'est ajouter à la confusion. Madame la ministre, peut-on considérer que le département qui le souhaite pourra se nommer « territoire », comme Belfort, ou « collectivité », et se qualifier d'européen ? De fait, beaucoup – dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ou la région Auvergne-Rhône-Alpes notamment – peuvent prétendre à une telle dimension – et c'est sans aucun doute le cas des Lorrains. Ce texte est-il un laboratoire de la loi de différenciation ? Autrement dit, tout ce qui est acquis par la collectivité d'Alsace a-t-il vocation à s'appliquer à tous les départements dans une situation équivalente, ou s'agit-il d'un leurre politique qui créera de la confusion au sein de notre République et de la déception en Alsace ?
Comme l'a bien souligné M. Waserman, nous sommes face à un problème dont la solution, évidente, consistait à créer une collectivité à statut particulier. Ainsi, nous aurions eu toute liberté nécessaire pour créer l'accord politique formalisé dans la déclaration de Matignon. Mais, comme le Gouvernement veut absolument justifier l'introduction dans la Constitution d'une différenciation – qui, au demeurant, n'est pas utile si l'on crée des collectivités à statut particulier – nous sommes bloqués.
On ne veut pas autre chose qu'un département, au motif qu'il va y avoir la différenciation – peut-être ! Car, pour l'instant, ce n'est qu'un pari sur la discussion à venir d'une révision constitutionnelle. Et tous ceux qui étaient là l'an dernier savent à quoi peut ressembler une discussion constitutionnelle…
Je rejoins bien volontiers Dominique Potier lorsqu'il évoque une porte ouverte. Élu de la région Lorraine, j'ai beaucoup d'attaches avec l'Alsace et je considère que la Lorraine a également vocation, à terme, à revendiquer une dénomination européenne. De fait, nous avons une frontière et une histoire avec des pays européens, nous menons des politiques transfrontalières...
La difficulté, et sur ce point je rejoins M. Schellenberger, est due au fait que l'on reste au milieu du gué. Ainsi ce projet de loi créera davantage de problèmes qu'il n'apportera de solutions.
Ce débat est surréaliste. Nous nous trouvons face à des gens, dans le même hémicycle et le même parti politique, qui sont pour un département qui n'aurait pas de compétences spécifiques, ou à d'autres qui, au contraire, en distinguent suffisamment pour réclamer un statut particulier.
Il ne faut pas aborder ce débat sous l'angle institutionnel, identitaire ou administratif mais sous celui des compétences : il faut exercer les compétences, se les approprier, trouver les ressources nécessaires, et obtenir des résultats.
Les compétences existent. Elles ont été transférées, ou le seront grâce à ce projet de loi, à la Collectivité européenne d'Alsace. Partons donc du concret, et des avantages que nos concitoyens pourront en retirer. Dès lors, nous pourrons prendre conscience des réelles avancées que représente ce texte pour nos concitoyens.
S'agissant de l'Europe, notre position est arrêtée. La nouvelle collectivité représente une nouvelle étape dans l'intégration européenne. Le nom que nous lui avons donné correspond à la réalité d'aujourd'hui et sera encore plus vrai dans cinq ou dix ans, lorsque nous aurons été pilotes en matière d'intégration européenne.
Je me demande parfois à quoi sert la loi. Nous travaillons justement à préciser un texte qui doit proposer un cadre, répondre à des attentes, apaiser des inquiétudes légitimes. Nous essayons d'évoluer vers une nouvelle forme de collectivité, basée sur le modèle du département et de ses compétences, qui restent intactes, que je sache. Nous y ajoutons de nouvelles compétences au sujet desquelles nous devons légiférer pour qu'elles puissent être correctement exercées par la nouvelle collectivité. Ces compétences sont le souhait des élus alsaciens, dont nous respectons les volontés. L'accord passé a été validé par un décret, qui n'a pas été remis en cause.
Nous pouvons certes écouter les inquiétudes, mais il faut aussi faire confiance à la loi, d'autant plus que nous la votons nous-mêmes.
Le débat sémantique, s'il est important, n'est pas essentiel. Des collectivités à statut particulier peuvent être soumises à une organisation différente et ne détenir que peu de compétences particulières. Or ce que les Alsaciens attendent, c'est les compétences : c'est cela l'essentiel ! Ce n'est pas parce qu'une collectivité sera dotée d'un statut particulier qu'elle pourra résoudre les problèmes qui se posent sur l'autoroute A35, favoriser l'apprentissage de l'allemand chez les jeunes Alsaciens ou développer des projets avec nos voisins suisses et allemands !
Le débat est intéressant et le Conseil d'État, voire le Conseil constitutionnel, via une question prioritaire de constitutionnalité, s'en saisiront peut-être un jour pour décider de la nature exacte de cette collectivité. Mais ce qui est important pour les Alsaciens, c'est de savoir quelles compétences particulières ils exerceront. C'est ce que nous allons examiner dans les prochains articles.
Je vais donner la parole aux deux orateurs qui souhaitent encore s'exprimer, car le débat est important. Mais je vous rappelle qu'il reste 250 amendements et que nous ne sommes pas en temps programmé : respectez vos temps de parole !
La parole est à M. Thierry Michels.
La raison essentielle pour laquelle la collectivité est dite européenne a été rappelée : siège du Parlement européen, siège du Conseil de l'Europe ! Avec Éric Straumann, j'ai déposé récemment une proposition de résolution européenne, adoptée à l'unanimité par la commission des affaires européennes et la commission des affaires étrangères, relative à l'action des autorités françaises en faveur de l'attractivité de Strasbourg. Il est important que cette collectivité porte le nom qui lui a été choisi.
Merci pour votre concision, monsieur le député.
La parole est à M. Laurent Furst.
Je n'étais pas enchanté par cette dénomination au premier abord, car j'aimerais que l'Alsace sorte un jour du Grand Est. Mais un nom reste un nom : l'essentiel se trouve dans les compétences qui seront exercées, ou non, par la collectivité. Songez au département de Mayotte, qui exerce des compétences régionales malgré son nom, ou au territoire de Belfort !
Cependant, ce nom présente un avantage : Strasbourg est l'une des trois capitales européennes. La France oublie souvent qu'elle compte deux capitales. À Strasbourg, grosso mode 20 000 emplois sont liés à l'Europe. Ce n'est pas rien. Au moment où Strasbourg est contestée en tant que capitale européenne, la réaffirmation de ce titre n'est pas inutile, en ce qu'il rappelle la dimension de notre collectivité. Peu d'Alsaciens s'y opposent.
Enfin, les mesures que nous prenons aujourd'hui en faveur de l'Alsace n'interdisent rien pour d'autres départements ou d'autres régions. Je rêve de voir renaître la Lorraine que j'aime, je rêve de voir renaître l'extraordinaire Champagne-Ardenne. La France est riche de ses diversités, elle est forte de son unicité.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – MM. Bruno Fuchs, Olivier Becht et Vincent Thiébaut applaudissent également.
Je remercie M. Furst pour ses propos. Le Gouvernement a été interpellé à plusieurs reprises, mais il ne fait que répondre à une demande des Alsaciens. Nous n'avons pas été imaginer la fusion entre les deux départements : ils l'ont eux-mêmes demandée. Dès lors, nous avons décidé de travailler avec eux pour les accompagner et réfléchir aux modalités de cette fusion afin de leur transférer, dans le cadre législatif actuel et en fonction des spécificités de l'Alsace, certaines compétences. J'ajoute qu'un troisième partenaire a signé : la région.
Tout a été négocié et je me tiens à la disposition de ceux qui, en France, auraient des velléités de développer leur territoire. Je travaille ainsi avec le Sillon lorrain, qui aspire à une démarche analogue, quoique moins institutionnelle.
Récemment, nous avons passé un accord concernant les transports entre les départements frontaliers et le Luxembourg. Le traité d'Aix-la-chapelle a été signé le 22 janvier 2019. Bref, nous travaillons avec tous les territoires ! En l'espèce, le projet de 2013 a été suffisamment rappelé pour que vous compreniez aisément que nous ne faisons que répondre à une sollicitation des territoires.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi relatif à la collectivité européenne d'Alsace.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures dix.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra