La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice.
Cet après-midi, l'Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s'arrêtant aux amendements identiques nos 526, 773 et 864 à l'article 51 ter.
Avant que nous n'en venions à cet article, je donne la parole à M. Olivier Becht, qui souhaite s'exprimer au nom de l'ensemble des députés.
En tant que député alsacien, avec l'ensemble de mes collègues, je tiens à faire part de la solidarité de l'Assemblée nationale aux Strasbourgeois, victimes d'une attaque qui a coûté la vie à plusieurs personnes et qui en a blessé d'autres, sans que l'on n'en connaisse en l'état la nature exacte. Nous sommes évidemment dans la peine et la tristesse, nous sommes solidaires de l'ensemble des victimes, de leurs familles, des habitants et nous sommes en pensée avec les forces de l'ordre qui font tout ce qu'elles peuvent pour appréhender le tireur dans des circonstances déjà très compliquées.
Notre solidarité est totale avec la ville de Strasbourg et l'Alsace.
Mmes et MM. les députés se lèvent et applaudissent
Je m'associe aux propos de M. le député au nom de la représentation nationale. Nous avons en effet appris voilà moins d'une heure que des coups de feu ont été tirés sur le marché de Noël de Strasbourg ou aux alentours. Il semble que l'on doive déplorer un mort et des blessés, dont certains grièvement atteints. Les chiffres ne sont pas encore stabilisés. La police judiciaire est saisie et des opérations sont évidemment en cours. Il faut faire preuve de la plus grande prudence quant à l'interprétation qui pourrait être donnée de ce drame mais je tenais absolument à m'associer à vos propos, monsieur le député.
Mmes et MM. les députés applaudissent
Je vous remercie, madame la ministre, monsieur le député. Nous sommes très sensibles à ce que vous venez de dire.
Nous en venons à l'article 51 ter.
La commission a supprimé l'article 51 ter.
Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 526, 773 et 864, tendant à le rétablir.
La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l'amendement no 526.
Il est défendu.
Je souhaite à mon tour exprimer notre plus vive émotion, ce soir, face au drame qui, une nouvelle fois, frappe notre pays, frappe Strasbourg, frappe les alentours du Parlement européen. C'est notre démocratie, manifestement, qui est une nouvelle fois prise pour cible.
Au nom du groupe Les Républicains – mais nous partageons tous, au-delà de nos appartenances, le même sentiment – je tiens à faire part de notre émotion et de notre indignation. Nous adressons tout notre soutien aux victimes, à leurs familles, de même qu'aux forces de l'ordre, que nous assurons de toute notre confiance alors qu'elles sont en ce moment même engagées dans la traque du tireur responsable de ce drame.
Avant de poursuivre notre discussion de ce projet de loi sur la justice, je tiens à dire combien nous sommes émus, indignés, et solidaires.
Applaudissements sur les bancs des groupes LR, MODEM et LaREM.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 773.
Je m'associe au message de solidarité qui vient d'être exprimé envers nos compatriotes alsaciens.
Mon amendement vise à rétablir l'article 51 ter adopté par le Sénat, qui permet aux établissements pénitentiaires de prendre des mesures plus strictes de contrôle des visiteurs.
Cette précision de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ne semble pas superflue au regard de la situation dans les prisons françaises : on y trouve de tout – alcool, drogue, téléphones et même, parfois, des armes.
Nos prisons sont parfois de véritables passoires et se transforment en marché souterrain de la délinquance. En 2017 – j'ai eu l'occasion de le rappeler tout à l'heure – ce sont plus de 40 000 téléphones portables qui ont été retrouvés dans l'ensemble des prisons françaises. Alors que ces objets sont prohibés, ils sont la plupart du temps introduits par les visiteurs des détenus.
Face à ce problème, on ne peut que comprendre la lassitude du personnel pénitentiaire car le manque de moyens, aussi bien matériels que légaux, ne lui permet pas de prendre les mesures nécessaires pour faire respecter l'ordre.
C'est dans cet état d'esprit que le Sénat a souhaité préciser la loi du 24 novembre 2009 mais la commission a jugé ce nouvel article disproportionné. J'entends qu'il conviendrait de préciser ces mesures de contrôle des visiteurs. Toutefois, ne pas regarder la réalité en face et nier que, trop souvent, les visiteurs de détenus sont des passeurs d'armes, de drogue, d'alcool, c'est se montrer bien naïf.
Il suffit de jeter un oeil sur internet pour s'en rendre compte : de nombreux sites et forums regorgent de conseils pour introduire différents objets en prison. Ces plateformes s'adressent notamment aux familles et aux compagnes des détenus – lesquelles sont parfois la cible de trafiquants qui les utilisent pour faire passer des paquets en tout genre.
Il faut donc faire preuve de lucidité et donner aux gardiens de prison les moyens d'assurer le bon ordre et la sécurité.
La parole est à M. Antoine Savignat, pour soutenir l'amendement no 864.
En effet, donner des moyens à l'administration pénitentiaire, c'est évidemment lui donner les moyens d'agir et c'est ce qu'elle souhaite. Il y va de la sécurité de ses personnels comme de celle des détenus. Un tel amendement permettrait de faciliter l'action quotidienne de l'administration et de protéger l'ensemble des intervenants, tant intérieurs qu'extérieurs. La mesure adoptée par le Sénat nous semble bonne.
La parole est à M. Didier Paris, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour donner l'avis de la commission.
La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l'avis du Gouvernement.
Même avis. Je précise que les mesures de contrôle des visiteurs sont absolument nécessaires mais, une fois de plus, cela relève du pouvoir réglementaire.
Les amendements identiques nos 526, 773 et 864 ne sont pas adoptés.
Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 493 et 1010, portant article additionnel après l'article 51 ter.
La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l'amendement no 493.
Les personnes condamnées doivent participer aux frais de détention. La détention coûte très cher : en moyenne, 106 euros par jour et, en fonction des types d'établissement, jusqu'à 700 euros. Elle revient en moyenne à 36 000 euros par an à la collectivité.
Par cet amendement, je propose de suivre l'expérimentation qui a eu lieu, notamment, aux Pays-Bas : la formation de jugement doit pouvoir contraindre une personne condamnée ou son représentant légal lorsqu'il s'agit d'un mineur à participer aux frais de détention.
Il appartiendrait au juge, à la formation de jugement, d'évaluer la contribution aux frais de détention de la personne condamnée en fonction de ses ressources et de son patrimoine.
Aujourd'hui, à l'hôpital, un patient s'acquitte d'un forfait journalier ; or, c'est la collectivité qui finance – très fortement – l'incarcération d'un détenu.
Madame la ministre, alors que vous avez du mal à nous proposer un budget digne pour la justice de notre pays, nous vous suggérons une solution pour être rapide, efficace, plus exemplaire face à la commission des crimes et délits : nous pourrions ainsi construire un plus grand nombre de places de prison et nous émettrions un signal fort, alors que des trafiquants de drogue sont au coeur de systèmes de détournement de plusieurs millions d'euros et que sont commis des délits financiers très graves. Les conséquences financières de ces délits sont très lourdes. Les personnes qui les ont commis doivent participer aux frais de leur détention.
La parole est à Mme Emmanuelle Anthoine, pour soutenir l'amendement no 1010.
Mon collègue Éric Ciotti l'a très bien dit : compte tenu du nombre de places de prison qui est insuffisant en France, et compte tenu des coûts de construction des établissements pénitentiaires, il n'est pas anormal que les détenus puissent participer aux frais de leur incarcération, lesquels seraient bien évidemment déterminés par le juge en fonction de leur patrimoine et de leur revenu.
Sourires
… mais comme il était présent en commission, il sait très bien de quoi il retourne, et ce pour deux ou trois raisons principales.
Tout d'abord, il n'est pas inconcevable de faire participer un condamné à des frais – c'est déjà le cas pour les stages – mais, s'agissant d'une incarcération, cela constituerait une double peine totalement disproportionnée.
Ensuite, beaucoup de détenus seraient insolvables et on voit donc mal ce qu'il en serait d'éventuelles participations.
Enfin, lorsqu'il existe un pécule ou des moyens financiers, sans doute est-il préférable de les réserver en priorité à l'indemnisation des victimes.
Même avis. J'ajoute que l'idée de faire contribuer les détenus aux frais d'incarcération n'est pas nouvelle puisqu'elle a déjà figuré dans un certain nombre de dispositions réglementaires. Ce dispositif a été abrogé en 2003 par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin pour les raisons que vient d'indiquer M. le rapporteur.
Lorsqu'un détenu peut constituer un pécule grâce, par exemple, à son travail, il n'est pas absurde qu'il le reverse, d'une part, aux victimes et, d'autre part, qu'il puisse en conserver une partie dans la perspective de sa sortie, où cela pourra l'aider à se réinsérer.
Les amendements identiques nos 493 et 1010 ne sont pas adoptés.
Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 976 et 1059.
La parole est à M. Dimitri Houbron, pour soutenir l'amendement no 976.
Cet amendement fait suite à la mission d'information que nous avons conduite avec mon collègue Xavier Breton sur le régime des fouilles en détention et aux auditions des acteurs de terrain qui nous ont fait part de difficultés lorsque des individus se positionnent, dans des phénomènes de projection, aux abords de l'établissement pénitentiaire : il n'est pas possible d'intervenir et la nécessité d'attendre les forces de l'ordre interdit de fait toute action, les individus ayant eu dans l'intervalle le temps de s'enfuir.
Cet amendement vise donc, d'une part, à clarifier les conditions d'usage de la force par les équipes de sécurité pénitentiaire à l'encontre des personnes contrôlées sur le domaine pénitentiaire et, d'autre part, à étendre le périmètre d'application de l'article 12-1 de la loi pénitentiaire de 2009 aux abords immédiats des établissements et, dans un souci de clarification et d'efficacité opérationnelle, à substituer à la notion d'« emprise foncière affectée au service public pénitentiaire » celle de « domaine affecté ».
La parole est à M. Stéphane Mazars, pour soutenir l'amendement no 1059.
Cet amendement est donc identique et je fais miennes, au nom du groupe La République en marche, les explications données par notre collègue Dimitri Houbron.
Je profite de cette prise de parole pour témoigner, au nom du groupe auquel j'appartiens, de notre solidarité avec les Alsaciens à la suite des événements qui sont en cours à Strasbourg. Notre groupe, à l'instar des autres groupes parlementaires, est solidaire. La représentation nationale est bien évidemment de tout coeur avec les Strasbourgeois et avec les forces de l'ordre qui, au moment où je parle, recherchent les auteurs de cet acte dont on peut penser, même si nous n'en sommes pas encore certains, qu'il relève du terrorisme.
Ces deux amendements sont l'aboutissement d'un travail de fond mené par nos deux excellents collègues Dimitri Houbron et Xavier Breton, que je tiens à saluer. Ils ont été pleinement validés par la commission.
Le Gouvernement est également très favorable à ces amendements.
Les amendements identiques nos 976 et 1059 sont adoptés.
Sur l'amendement no 287, je suis saisie par le groupe La France insoumise d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir cet amendement.
Je voudrais tout d'abord m'associer aux messages de solidarité envers l'Alsace que mes collègues viennent de formuler. J'espère que nous pourrons rapidement appréhender l'auteur des faits et que tout rentrera dans l'ordre. Je partage évidemment l'émotion des familles des victimes et des blessés.
J'en viens à mon amendement, qui propose d'interdire le recours, dans les établissements pénitentiaires, à des matelas au sol. Autrefois, les matelas au sol n'étaient pas comptabilisés et la surpopulation carcérale était un secret de Polichinelle. Un jour, on s'est dit qu'il fallait les comptabiliser, afin de savoir combien de personnes étaient condamnées, et même « sur-condamnées » à des conditions de détention inadmissibles. Puis, du fait de cette transparence, les matelas au sol sont entrés dans les moeurs et font désormais l'objet d'une ligne comme une autre dans les statistiques pénitentiaires. On suit maintenant l'évolution de leur nombre et l'on s'en émeut à échéances régulières, en dénonçant ces conditions de détention indignes.
Avec cet amendement, nous proposons tout simplement d'interdire les matelas au sol. Je ne me fais pas d'illusions sur les conséquences qu'aurait son adoption : je ne doute pas que l'administration pénitentiaire ferait preuve de réactivité et les remplacerait par des lits picot ou des lits de camp, bref modifierait la dénomination. Si l'on estime que ces situations sont dégradantes et ne respectent pas les droits des personnes détenues, alors il ne faut pas se contenter de faire la transparence sur ces pratiques ou de les comptabiliser : il faut les interdire. Tel est le sens de notre amendement.
Les conditions de détention dans certains établissements pénitentiaires méritent que l'on ait un débat. Nous avons eu l'occasion de visiter des sites dont le taux d'occupation atteint 180 ou 200 %, avec des cellules de 9 mètres carrés qui comptent trois lits superposés. Cela doit tous nous interpeller. Contrairement à ce que l'on entend parfois dire, les conditions de détention, dans notre pays, sont indignes et je pense que l'on ne peut pas se contenter de ces avis défavorables.
Le chemin sera long, mais il suffit de visiter des établissements comme ceux que j'évoquais pour se rendre compte que ces conditions de vie sont contraires à la dignité humaine. Vous n'accepteriez pas que vos enfants vivent dans 9 mètres carrés, sur trois lits superposés, avec une douche et un wc communs, à la vue de tous. Il n'est pas possible de vivre dans de telles conditions.
Sans tomber dans des excès, nous devons avoir un débat sur ce sujet, et cet amendement, relatif aux matelas au sol, doit nous interroger sur les conditions de détention dans notre pays.
Monsieur Bernalicis, monsieur Breton, il est bien évident que je partage votre objectif et que je souhaite, comme vous, qu'il n'y ait plus de matelas au sol dans les cellules. Il me semble néanmoins qu'inscrire cela dans la loi relève d'une pétition de principe. Ce qui est essentiel, c'est de faire en sorte qu'il n'y ait plus de matelas au sol. Or l'ensemble du projet de loi pénitentiaire que je vous propose devrait permettre d'atteindre cet objectif, à la fois par le réaménagement de l'échelle des peines qu'il propose – dont nous attendons d'importants résultats – et par la construction de nouvelles places de détention. J'ai donc émis un avis défavorable sur cet amendement, parce que je n'aime pas souscrire à des pétitions de principe, mais tout l'objet de ce projet de loi est bien d'atteindre l'objectif que vous décrivez.
Il est des pétitions de principe, et même des pétitions « tout court » qui mériteraient qu'on leur prête un peu plus d'attention. En réalité, nous avons un profond désaccord sur les objectifs de votre texte, et je crains notamment que la suppression des aménagements que vous avez décidée pour certaines peines n'entraîne un plus grand nombre d'incarcérations et des détentions plus longues, ce qui est à l'opposé des objectifs que vous vous êtes vous-même fixés. Telle est la réalité de la politique contenue dans ce projet de loi. Les peines d'emprisonnement inférieures à un mois représentent 200 à 800 personnes et les peines inférieures à six mois, en général, sont déjà aménagées. Puisque nous ne touchons pas au code pénal en la matière, nous n'allons pas non plus changer radicalement la population carcérale.
Je crains d'avoir un désaccord majeur avec vous, madame la ministre, sur les objectifs que vous poursuivez, comme sur les résultats que l'on peut escompter de votre texte. C'est pourquoi je préfère que l'on inscrive dans la loi l'interdiction des matelas au sol. Il faut en faire un impératif : cela nous obligera à mettre en place rapidement le système de régulation carcérale que nous vous avons déjà proposé dans un autre amendement. Vous l'avez rejeté, mais je pense qu'il serait sage d'y revenir.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 66
Nombre de suffrages exprimés 61
Majorité absolue 31
Pour l'adoption 8
Contre 53
L'amendement no 287 n'est pas adopté.
Sur l'amendement no 286, lequel fait l'objet d'un sous-amendement no 1668 , je suis saisie par le groupe La France insoumise d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l'amendement.
Cet amendement vise à renforcer et assurer l'effectivité de l'article 36 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, relatif à la possibilité pour toute personne détenue de bénéficier d'une unité de vie familiale – UVF – ou d'un parloir.
Les UVF sont un sujet extrêmement important. Nous nous sommes fixé un certain nombre d'objectifs dans cette loi, et vos prédécesseurs avaient fait des promesses avant vous, madame la ministre. Je songe aux matelas aux sols, aux unités de vie familiale, aux cantines pour les femmes détenues, à la question du travail ou des activités en détention. Votre budget, tel qu'il est construit, va essentiellement servir à construire des places de prison, alors qu'il faudrait surtout améliorer les conditions de détention et faire sortir de prison ceux qui n'ont rien à y faire, en leur proposant une peine alternative.
Il faudrait au moins atteindre les objectifs que l'État s'est lui-même fixés au sujet des unités de vie familiale. On l'a dit, les liens familiaux sont l'un des éléments qui favorisent la réinsertion des détenus et la prévention de la récidive. C'est pour cette raison qu'il faut tout faire pour développer ces unités. J'ai visité les unités de vie familiale du centre pénitentiaire pour femmes de Rennes. Elles fonctionnent très bien et peuvent servir de modèle : c'est la preuve que nous savons faire cela dans ce pays. Maintenant, il faut mettre les moyens pour les généraliser. Tel est l'objet de cet amendement : maintenir les liens familiaux des détenus pour éviter la récidive, et donc la délinquance.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir le sous-amendement no 1668.
Monsieur le député, le programme immobilier pénitentiaire que nous allons lancer prévoit la création d'unités de vie familiale dans l'ensemble des établissements, afin que chaque personne détenue puisse en bénéficier une fois par trimestre. S'agissant de l'existant, cinquante-six établissements sont aujourd'hui équipés d'UVF et un effort budgétaire est consenti pour faire évoluer favorablement cette situation. Près de 6 millions d'euros ont été votés dans le budget de 2018, ce qui nous a permis d'ouvrir des UVF dans trois établissements supplémentaires. Nous allons évidemment continuer ces opérations d'amélioration de l'existant, tout en créant des UVF dans les établissements nouveaux que nous allons construire.
Je dois toutefois dire dès aujourd'hui qu'il est des établissements dans lesquels nous ne pourrons pas en implanter : je veux parler de ceux où l'espace est contraint. C'est le cas notamment des petits établissements anciens de centre-ville, pour lesquels il est difficile de prévoir de telles UVF. Je répète toutefois que cela fait partie des objectifs que nous défendons. Avis défavorable.
Vous dites que 6 millions d'euros vont être consacrés à cette question, madame la ministre. Quand on sait qu'on va investir 1,7 milliard dans la construction de nouvelles places de prison, on voit bien la disproportion ! Nous aurions les moyens de faire mieux. S'agissant des petits établissements, il est peut-être possible de créer des unités de vie familiale à proximité, même si cela pose des problèmes d'organisation. En tout cas, cette question appelle de nouveau notre attention : nous aurions certainement intérêt à réaménager les établissements existants et à en construire de nouveaux, à taille humaine, dans les centres-villes ou en proche périphérie, mieux insérés dans le tissu économique et social, afin de favoriser la réinsertion des personnes incarcérées et de prévenir ainsi la récidive.
Le plan pénitentiaire dont nous avons besoin, ce n'est pas un plan qui prévoit la construction de 7 000 places de prison, mais un plan qui garantisse un maillage territorial de prisons et d'établissements pénitentiaires à taille humaine, permettant une prise en charge optimale, en termes d'activités comme de vie familiale. Malheureusement, ce n'est pas ce que nous sommes en train de faire. Nous sommes, une nouvelle fois, dans la fuite en avant du « tout carcéral », où il ne s'agit que de construire, construire, construire.
Il est vrai que les unités de vie familiale permettent de maintenir un lien entre le détenu et sa famille. Il est vrai aussi que certaines contraintes architecturales s'imposent à nous. Dans les centres pénitentiaires que l'on construit aujourd'hui, ces UVF sont prévues dès le départ et trouvent toute leur place. Même si des points pourraient sans doute être améliorés, les UVF fonctionnent bien, en termes de taux d'occupation comme de gestion des demandes. En revanche, il semble peu réaliste de vouloir modifier profondément l'architecture des prisons plus anciennes. Je suis donc très gêné par cet amendement, qui a le mérite d'ouvrir le débat, mais qui ne serait pas réaliste, d'un point de vue architectural, aussi bien que budgétaire. Concrètement, il y aurait aussi un problème de délais.
Je veux juste dire, d'un mot, combien ces unités de vie familiale sont essentielles, et je voudrais partager mon expérience. Nous avons une superbe unité de vie familiale dans la prison de Varennes-le-Grand, mais celle-ci ne fonctionne pas, faute de moyens d'encadrement en personnels. Nous le regrettons régulièrement et je tenais à le signaler. L'équipement est une chose, mais il faut aussi songer au fonctionnement.
Le sous-amendement no 1668 n'est pas adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 75
Nombre de suffrages exprimés 65
Majorité absolue 33
Pour l'adoption 7
Contre 58
L'amendement no 286 n'est pas adopté.
Je suis saisie de plusieurs amendements, nos 977, 1063 et 1367, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 977 et 1063 sont identiques.
La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l'amendement no 977.
J'ai déposé cet amendement avec M. Houbron à la suite de la mission d'information que nous avons conduite, relative au renforcement de la sécurité dans les établissements pénitentiaires et à l'amélioration du régime des fouilles en détention. Il vise à lutter efficacement contre l'introduction d'objets dangereux ou illicites en détention et à sécuriser davantage les établissements pénitentiaires en complétant les dispositions de l'article 57 de la loi pénitentiaire de 2009, relatif au régime des fouilles des personnes détenues.
Entre la poursuite d'un idéal de fouille systématique, impossible à atteindre pour des raisons tenant au manque de moyens mais aussi au respect de certains droits, et la passivité par rapport à la situation actuelle, il existe une voie médiane pour améliorer le système actuel. C'est dans cet esprit que nous avons rédigé notre rapport d'information.
Cet amendement tend à autoriser les fouilles systématiques dans le seul cas des personnes accédant à l'établissement après une période sans surveillance constante des forces de sécurité intérieure ou des personnels pénitentiaires, l'arrivée depuis l'extérieur d'une personne détenue constituant le moment le plus sensible pour l'introduction d'objets prohibés. D'autres pays européens recourent ainsi systématiquement aux fouilles intégrales lors de l'écrou, ainsi que lors des retours d'extraction judiciaire ou de permission de sortie.
Dans le prolongement des recommandations de notre mission d'information, cet amendement vise à intégrer dans la loi le régime dérogatoire des fouilles intégrales systématiques, consacré par la jurisprudence du Conseil d'État compte tenu des nécessités de l'ordre public et des contraintes du service public pénitentiaire.
Il exclut explicitement la fouilles des locaux du champ d'application de l'article 57 de la loi pénitentiaire afin que les surveillants puissent réaliser des fouilles de cellule de façon inopinée. En effet, ces fouilles, qui permettent de renforcer la sécurité dans les établissements pénitentiaires et de limiter les trafics en détention, ne portent pas atteinte à la dignité de la personne détenue.
Enfin, il précise le champ d'application de l'article 57 en le restreignant aux fouilles intégrales : les fouilles par palpation sont en effet moins attentatoires à la dignité et à l'intimité de la personne humaine et doivent pouvoir être pratiquées de façon plus souple par les personnels pénitentiaires.
La parole est à M. Dimitri Houbron, pour soutenir l'amendement no 1063.
Je défends l'amendement identique déposé par notre groupe, qui découle de cette mission d'information. Dans un souci d'efficacité que nos collègues ont rappelé, tout en respectant les principes de la Convention européenne des droits de l'homme, nous voulons inscrire dans la loi un régime consacré par la jurisprudence du Conseil d'État, celui de la fouille systématique de certains profils très déterminés et particulièrement dangereux. Nous prévoyons par ailleurs que la situation du détenu puisse être revue tous les trois mois afin de respecter les principes de proportionnalité et de nécessité.
La parole est à M. Sébastien Jumel, pour soutenir l'amendement no 1367.
Nous avons déjà abordé ce sujet au détour d'un amendement de M. Ciotti, rejeté pour des raisons liées au principe de non-discrimination dans la pratique des fouilles. En l'espèce, la situation est bien différente puisque la mesure proposée est conforme au droit et tend à assurer une réelle sécurité des fouilles, dans des cas bien précis, rappelés par MM. Breton et Houbron, de danger objectif, ou de rupture dans la prise en charge ou la surveillance des détenus. Avis extrêmement favorable aux deux amendements nos 977 et 1063 ; en revanche, avis défavorable à l'amendement no 1367.
C'est avec gravité et solennité que je prends la parole pour commenter ces amendements soutenus par la majorité. Je comprends l'enjeu du débat, la position des surveillants pénitentiaires quant à ces fouilles, quant aux objets susceptibles d'entrer dans les prisons, au risque de troubler l'ordre public. Je sais également que la mission d'information a été demandée par la ministre, sollicitée par le syndicat majoritaire – lequel ne l'est plus, d'ailleurs – , à la suite du mouvement de janvier dernier. Les deux autres syndicats demandaient paralèlement que l'on réfléchisse à la réglementation des fouilles en détention. Il est contradictoire de vouloir systématiser les fouilles dans certains cas, pas dans d'autres. En effet, c'est bien le caractère systématique des fouilles que plusieurs cours, en particulier la Cour européenne des droits de l'homme, ont dénoncé, le jugeant dégradant. Or, par une astuce sémantique, vous réintroduisez ces fouilles systématiques
Je ne suis pas certain que l'équilibre qu'avait su trouver la précédente majorité socialiste donnait satisfaction à tous mais il s'agissait d'un bon équilibre. Vous le rompez en allant encore plus loin alors qu'il aurait été sage et prudent d'en rester à la situation actuelle, d'autant plus que d'autres mesures pourraient être prises, plus respectueuses de la dignité des personnes, à la fois des surveillants qui procèdent aux fouilles et des détenus qui se font fouiller, pour contrôler les objets qui entrent en prison.
Je vous invite à faire preuve de mesure pour ne pas dégrader encore davantage les conditions de la détention. Mme la ministre voudrait proposer d'installer des téléphones fixes dans les cellules. Voilà un exemple de mesure respectueuse de la dignité humaine. Réfléchissons à des dispositions de ce genre plutôt que de chercher à modifier l'article en question.
Sans surprise, je plaiderai contre l'avis de M. Bernalicis, en me ralliant à l'excellente analyse de M. Breton, qui a beaucoup travaillé ce sujet pour lequel il a été missionné. Il faut écouter les professionnels du secteur pénitentiaire, qui se sentent désarmés, en l'état actuel du droit. Cette modification ne me semble pas de nature à faire peser sur la France le risque d'une condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme. En revanche, elle améliorera l'efficacité de notre dispositif. Rappelons que, par hypothèse, une personne détenue a commis un crime ou un délit et est potentiellement dangereuse. Nous devons penser à protéger notre personnel pénitentiaire en lui accordant les moyens nécessaires lorsqu'une situation, en toute objectivité, l'impose. Partir du principe que de telles mesures sont, par nature, vexatoires ou attentatoires à la dignité, c'est aussi insulter un personnel pénitentiaire qui essaie, tant bien que mal, de faire son travail. Nous souhaitions aller plus loin grâce aux amendements de M. Ciotti, mais cette mesure, déjà, améliorera substantiellement le dispositif actuel.
Les amendements identiques nos 977 et 1063 sont adoptés, et l'amendement no 1367 tombe.
La parole est à M. Alexis Corbière, pour soutenir l'amendement no 584 rectifié.
Nous serons tous d'accord pour reconnaître que les conditions d'emprisonnement ne doivent pas porter atteinte à la dignité des détenus. Notre amendement tend par conséquent à inscrire dans la loi un principe qui devrait tous nous rassembler : aucun détenu ne doit être fouillé par un personnel de sexe différent du sien et la fouille des protections périodiques des femmes doit être interdite. Certes, une circulaire précise ces dispositions et la pratique contraire reste minoritaire, sinon marginale. Il est cependant arrivé, notamment en raison de problèmes de personnel, que de telles situations se produisent, comme l'a rappelé le Contrôleur général des lieux de privation de liberté en 2016. Si nous inscrivions ce principe dans la loi, et que nous nous donnions les moyens d'en assurer le respect sur l'ensemble de notre territoire, malgré les obstacles liés au manque de personnel, nous aurions progressé vers une situation où l'emprisonnement ne s'accompagnerait plus d'une perte de la dignité.
Nous partageons évidemment cet objectif mais l'article R57-7-81 du code de procédure pénale dispose que les personnes détenues ne peuvent être fouillées que par des agents de leur sexe dans des conditions qui, tout en garantissant l'efficacité du contrôle, préservent le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. Je vous invite à retirer votre amendement qui est pleinement satisfait. À défaut, avis défavorable.
Je suis d'accord avec vous, monsieur le rapporteur, l'amendement semble satisfait par la loi mais en pratique, la situation est bien différente puisque les nécessités de service peuvent justifier que des fouilles soient réalisées par une personne de sexe différent de celui du détenu. Comment pourrait-on se prévaloir des « nécessités de service » si la loi était si claire ? Elle ne l'est pas tant que cela, aussi proposons-nous de la clarifier. Il n'est pas possible, même pour raisons de service, de faire procéder à des fouilles par une personne d'un autre sexe que la personne fouillée. Point final. Cela me semble limpide. Si tout le monde estime que les choses sont sont parfaitement claires, je ne doute pas que nous voterons à l'unanimité cet amendement de bon sens.
Cette question renvoie à d'autres débats que nous aurons à l'occasion de l'examen d'autres textes. Le raisonnement par sexe est insuffisant quand on entend développer les notions de genre et tenir compte des sexualités dans la législation. Ce n'est pas votre appartenance à l'un des deux sexes qui, selon les théories du genre, détermine votre désir d'avoir ou non des rapports avec une personne du sexe opposé. Disant cela, je veux simplement vous montrer qu'à force de raisonner à partir de notions floues, on aboutit à des inepties. La réalité corporelle est quelque chose d'objectif mais qu'en serait-il par exemple des personnes transgenres que votre groupe évoquait il y a peu ? Les concepts que vous développez sont contradictoires.
Je suis favorable à votre amendement qui laisse à l'écart de la loi, et c'est heureux, les notions de genre et de sexualité qui n'ont rien à y faire et s'appuie sur la réalité corporelle qui fonde la réalité des sexes.
L'amendement no 584 rectifié n'est pas adopté.
La parole est à M. Sébastien Jumel, pour soutenir l'amendement no 1369 rectifié.
L'amendement no 1369 rectifié, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Il découle, lui aussi, des travaux de la mission d'information sur le régime des fouilles en détention. L'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a créé un régime législatif applicable aux fouilles intégrales réalisées en détention. Concrètement, elles doivent être inscrites dans le logiciel Genesis et les données devraient pouvoir être accessibles aux avocats des détenus sur demande motivée. Il existe toutefois une difficulté pratique : si des directeurs d'établissement indiquent sans difficulté, sur demande de son avocat, la liste des fouilles auxquelles a été soumis un détenu, ce n'est pas le cas dans tous les établissements.
L'amendement vise donc à permettre aux avocats, qui en font la demande motivée auprès du directeur d'établissement, d'accéder aux informations contenues dans le registre des fouilles. En effet, comme nous avons étendu le régime des fouilles et donné plus de moyens aux acteurs de terrain, il revient aux avocats d'exercer une mission de contrôle.
Je tiens de nouveau à vous remercier, messieurs Houbron et Breton, pour le rapport d'information que vous avez remis sur le régime des fouilles en détention. Vos travaux ont servi de base à certains amendements, qui ont été adoptés tout à l'heure – ce qui prouve d'ailleurs bien, monsieur Ciotti, que ne le sont pas seulement des amendements issus du groupe majoritaire !
En revanche, je suis moins encline à vous suivre sur le présent amendement, relatif à la communication aux avocats des informations relatives aux fouilles. En effet, cette obligation résulte déjà du droit commun, puisque le code des relations entre le public et l'administration pose le principe de l'obligation de communiquer les documents administratifs aux personnes qui en font la demande. Les décisions de fouille et la liste des fouilles pratiquées sont déjà communiquées, à leur demande aux avocats des personnes concernées. Nous n'avons du reste pas de contentieux sur le sujet.
Il ne me semble donc pas pertinent de prévoir de dispositions spécifiques en sus. Un tel démembrement du dispositif instauré par la loi CADA – Commission d'accès aux documents administratifs – n'est pas souhaitable, parce qu'il pourrait aboutir à imposer l'élaboration d'un texte spécifique pour chaque hypothèse de communication des pièces à un avocat.
En revanche, je suis très sensible à votre préoccupation d'équilibrer les mesures opérationnelles et la garantie des droits. Je vous propose, en conséquence, que la circulaire d'application, qui viendra à l'appui des modifications qui ont été apportées à l'article 57 de la loi pénitentiaire, explicite très clairement l'obligation de communication aux avocats des documents relatifs aux fouilles et en rappelle de manière tout aussi claire les modalités pratiques.
C'est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi j'y donnerai un avis défavorable.
Je laisserai M. Houbron décider du sort de cet amendement. Je ne voudrais toutefois pas laisser croire qu'après la publication de notre rapport, tout est devenu idyllique. Nous avons fait des propositions dans le cadre du projet de loi de finances, qui visaient à renforcer la sécurité dans les établissements pénitentiaires, notamment en matière d'équipements cynotechniques, de brouillage des ondes des téléphones portables ou de filets antiprojection. Tous ont été refusés, ce que j'ai personnellement regretté.
Cet amendement-ci reflète bien l'équilibre que nous avons cherché à préserver au cours des travaux de notre mission d'information. Aujourd'hui, chacun le sait, le personnel pénitentiaire souhaite un renforcement opérationnel des fouilles, de façon qu'elles permettent de lutter plus efficacement contre l'entrée inacceptable de trop nombreux objets dans les prisons. Au-delà des déclarations de principe, il convient d'adopter de telles mesures opérationnelles, tout en veillant à protéger les libertés et la dignité des personnes. Tel est l'objet de cet amendement.
Je suis prêt à le soutenir, voire à le sous-amender pour la nouvelle lecture, n'ayant pas eu le temps de le faire pour la première. En effet, je ne vois pas pourquoi la demande de l'avocat devrait avoir un caractère motivé, d'autant que la motivation sera toujours la même : connaître les informations contenues dans le registre des fouilles, parce que son client se sera fait fouiller.
Ne soyons pas hypocrites : soit on donne à l'avocat le droit d'accéder à ces informations, soit on ne le lui donne pas, mais il ne faut pas s'arrêter au milieu du gué. Je suis favorable à l'amendement.
Compte tenu des explications de Mme la ministre et de l'engagement, qu'elle a pris, de rappeler, par voie de circulaire, cette obligation, je retire l'amendement.
L'amendement no 391 n'est pas adopté.
La commission a supprimé l'article 52 bis.
Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 645 et 866, tendant à le rétablir.
La parole est à M. Thibault Bazin, pour soutenir l'amendement no 645.
Cet amendement, dont notre collègue Jean-Louis Masson est le premier signataire, vise à rétablir, dans la rédaction du Sénat, la contribution pour l'aide juridique, supprimée, par la majorité socialiste, dans le cadre de la loi de finances pour 2014. Cette contribution serait désormais modulée, de 20 à 50 euros, en fonction du type de l'instance engagée.
La parole est à M. Dimitri Houbron.
La parole est à M. Julien Dive, pour soutenir l'amendement no 866.
Mon explication vaut aussi bien pour les amendements à l'article 52 bis et ceux y portant article additionnel, que pour les amendements aux articles 52 ter, 52 quater et 52 quinquies, qui tous visent à rétablir des dispositions introduites par le Sénat et relatives à l'aide juridictionnelle.
Ce texte, me semble-t-il, n'est pas le véhicule approprié pour revoir la question de l'aide juridictionnelle, car il ne saurait y apporter que des réponses partielles. Je rappelle que l'Inspection générale de la justice a remis un rapport à Mme la garde des sceaux sur l'aide juridictionnelle, qu'une concertation a été lancée par le ministère de la justice et qu'une mission d'information sur le sujet a été décidée par la commission des lois. Enfin, nous avons modifié le rapport annexé au présent texte : il prévoit désormais que l'ensemble de ces réflexions nourriront la préparation, en concertation avec les avocats, des mesures et dispositifs adéquats « accompagnant les évolutions de la loi de programmation de la justice, dans la perspective d'une réforme de l'aide juridictionnelle en 2020 ».
Tous ces éléments me semblent de nature à autoriser une refonte complète de l'aide juridictionnelle. C'est pourquoi j'émets un avis défavorable non seulement sur ces deux amendements mais également sur tous ceux qui seront présentés par la suite sur le sujet. Je ne reprendrai donc pas mes explications.
Avis défavorable exactement pour les mêmes raisons.
Cette contribution a effectivement été supprimée par la loi de finances pour 2014, même si le Sénat a essayé de la réintroduire en octobre 2017. Je tiens à souligner que très peu de personnes bénéficient de l'aide juridictionnelle, le plafond de revenus pour y être éligible avoisinant 1 200 euros. Avec votre amendement, de nombreux justiciables issus des classes moyennes, ne disposant pourtant que de moyens limités, seraient obligés de s'acquitter d'une contribution pour une aide ne bénéficiant finalement qu'à très peu de personnes. Ce ne serait ni juste ni efficace. C'est la raison pour laquelle le groupe Socialistes et apparentés s'opposera à cet amendement.
Je tiens à combattre les deux types d'argumentation que nous avons entendus.
Madame la ministre et madame la rapporteure, je ne suis pas du tout d'accord avec vous. Alors que nous examinons un texte sur l'avenir de la justice, voilà que vous nous expliquez que nous n'avons pas à débattre dans le cadre de celui-ci de l'aide juridictionnelle. S'il y a bel et bien un sujet sur lequel nous avons appelé votre attention, c'est celui de la modification de la carte judiciaire : lorsque vous éloignez la justice du contribuable, vous créez des problèmes d'accès à la justice, notamment pour ceux qui n'ont pas les moyens de se payer les services d'un avocat ou qui, demain, devront parcourir des kilomètres supplémentaires, parce que vous aurez supprimé des tribunaux de proximité et les aurez regroupés en un tribunal judiciaire au chef-lieu. S'il y a bel et bien un sujet important dans le cadre de ce texte, c'est bien celui de la justice sociale dans l'accès à la justice, et cela passe évidemment par le pouvoir d'achat.
Je ne suis pas non plus du tout d'accord avec vous, madame Karamanli, qui êtes opposée à toute contribution. Madame la députée, il ne faut plus laisser les gens croire que les services publics sont gratuits, alors qu'ils sont payés par les contribuables. Une participation, minime ou fût-ce même par un écot symbolique, au financement des services publics, permettrait de faire prendre conscience à nos concitoyens que ces services ne sont pas illimités et donc de les responsabiliser dans leur utilisation. En effet, ignorer le prix d'un produit ou d'un service fait courir le risque d'en abuser. Dans un supermarché où aucun prix ne serait affiché, les caddies seraient vite pleins !
Il faut, non pas faire payer le prix réel du service, mais faire prendre conscience que l'aide juridictionnelle, laquelle constitue un progrès social, a un coût, auquel les justiciables doivent contribuer en fonction de leurs revenus et non, indirectement, de leur patrimoine.
Un amendement, qui n'a finalement pas été examiné, évoquait le cas de personnes qui passent par des associations pour avoir recours à cette aide.
En commission, nous avons eu un débat sur l'ardente nécessité d'augmenter les crédits consacrés à l'aide juridictionnelle. Nous, parlementaires communistes, ne pouvons tolérer que certains de nos concitoyens renoncent à exercer leurs droits, faute de moyens. Nous avons déjà dénoncé le fait que votre texte, en externalisant vers des opérateurs privés un grand nombre de contentieux et en éloignant le justiciable des lieux de justice, aggravera la fracture territoriale et sociale dans l'accès au droit – et en alourdira la facture !
Je m'oppose totalement à notre collègue Aubert. Oui, la gratuité est consubstantielle à la notion de service public ; oui, il est essentiel de garantir à tous les justiciables l'accès au droit, quelle que soit leur origine territoriale ou sociale. Il n'est donc pas possible d'accepter le rétablissement d'une contribution, telle que cet amendement la prévoit.
Monsieur Bernalicis, je vous donne la parole, tout en vous rappelant que je n'ai pas besoin de recevoir la menace d'un rappel au règlement pour le faire.
Il ne s'agit pas d'une menace, madame la présidente. Je souhaite, non pas tant évoquer les amendements en discussion, que trois autres que notre groupe avait déposés sur le même sujet et qui ont été jugés irrecevables, alors qu'ils visaient seulement à autoriser une expérimentation en matière d'aide juridictionnelle. Le rappel au règlement me semblait le moyen le plus adéquat pour aborder cette question.
Un de ces trois amendements visait à porter à 1 200 euros le plafond de ressources ouvrant droit à l'aide juridictionnelle, de façon qu'une personne touchant le SMIC, hors prime d'activité, bénéficie d'une aide à 100 %, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, où la prise en charge n'est dans ce cas que de 55 %, ce qui n'est pas acceptable.
Les deux autres portaient sur l'accès, sans conditions de revenus, à l'aide juridictionnelle, dans le cas d'infractions et de délits bien précis, notamment les violences sexuelles et sexistes, afin de lever tout frein dans l'accès à un avocat pour les victimes concernées.
Je regrette que le président de la commission des finances ait jugé que le caractère expérimental de la mesure revienne à détourner l'article 40 de la Constitution. Chaque expérimentation est objectivement un détournement de l'article 40 : c'est un secret de polichinelle ! C'est une nouvelle preuve de la restriction de notre droit d'amendement sur des sujets très importants, comme de hhfaciliter l'accès direct et immédiat des justiciables à un avocat. Quel sujet est plus en lien avec le texte que nous examinons ? Voilà comment l'Assemblée nationale se voit rabougrie et transformée en chambre d'enregistrement, ce que je déplore, parce que les débats sur tous ces sujets pourraient être magnifiques.
J'ai bien compris vos explications relatives à un éventuel rappel au règlement, monsieur le député.
Les amendements identiques nos 645 et 866 ne sont pas adoptés. En conséquence, l'article 52 bis demeure supprimé.
Je suis saisie de deux amendements portant article additionnel après l'article 52 bis.
La parole est à M. Thibault Bazin, pour soutenir l'amendement no 222.
Cet amendement, dont M. Schellenberger est le premier signataire, tend à compléter le deuxième alinéa de l'article 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, lequel permet aux personnes morales à but non lucratif ayant leur siège en France de bénéficier de l'aide juridictionnelle. Il serait précisé que cette aide ne peut leur être accordée dans le cadre de procédures relevant de juridictions administratives.
L'argumentation me semble un peu courte ! En n'adoptant pas cet amendement, on subventionne le recours abusif. On sait pourtant que nos tribunaux, en particulier nos tribunaux administratifs, sont engorgés, et que, parfois, ce type de recours est en cause. Des associations se créent uniquement dans ce but, et nous viendrions leur accorder en plus la possibilité de bénéficier de l'aide juridictionnelle !
Je profite du fait que j'ai la parole pour répondre aux affirmations de notre collègue selon lesquelles la gratuité serait consubstantielle au service public. C'est complètement faux, monsieur Jumel. Vous payez bien vos timbres, et l'électricité ou le train non plus ne sont pas gratuits !
Où avez-vous vu que la gratuité était consubstantielle au service public ? La logique du service public à la française, ce n'est pas la gratuité : c'est le fait que tout le monde bénéficie du même service, et que l'on ne contribue pas nécessairement à la hauteur de ce que cela coûte – ce qui ne signifie pas qu'il y ait gratuité !
La gratuité, c'est ce qui permet d'avoir accès à des droits matériellement mis en oeuvre par des services publics. Si on ne va pas vous chercher des pouilles sur votre revenu lorsque vous souhaitez accéder à ces services, c'est grâce à la gratuité – et cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de redistribution, de solidarité ou d'impôts. Évidemment cela a un coût. En passant par l'impôt, on obtient un système progressif dans lequel ceux qui ont moins paient moins, et ceux qui ont plus paient plus.
Pour ce qui est de la responsabilité, argument souvent invoqué, par exemple, pour s'opposer au passage à la gratuité des transports publics – choix qu'ont pourtant fait de nombreuses municipalités – , il faut s'interroger : y a-t-il plus d'incivilités dans les bus des villes où les transports publics sont gratuits ? Non, il y en a même moins ! Aussi étrange cela puisse-t-il vous paraître, monsieur Aubert, la gratuité ne génère pas automatiquement de la délinquance. Évidemment les gens sont bien plus intelligents que cela : ils ne sont pas uniquement des homo economicus, préoccupés par leur seul intérêt financier et disposés à ne faire davantage attention que s'ils ont payé. La conscience collective va au-delà de cela.
La conscience collective dans ce qu'elle a de meilleur se traduit par le fait que chacun s'acquitte de l'impôt en fonction de ses moyens, et que tout le monde consent à l'impôt. L'injustice fiscale fait perdre le sens de la notion de service public, et celui de l'intérêt général, qui font pourtant de nous un grand pays dont la devise est « Liberté, égalité, fraternité ». La gratuité correspond bien à la notion de service public à la française.
La devise des libéraux serait plutôt « Liberté, égalité, si t'as du blé » ! Je comprends que les exemples cités par notre collègue de droite de services publics industriels et commerciaux puissent servir de « jurisprudence » pour rendre payants des biens fondamentaux qui relèvent des fonctions régaliennes de l'État. Pour nous, l'éducation a vocation à être totalement gratuite. Force est pourtant de constater que c'est de moins en moins le cas, et que la gratuité se raréfie encore lorsque l'on avance dans les études.
Les questions de l'accès au droit, de l'égalité de cet accès et de sa continuité, ainsi que celle du renoncement à des droits nous ont occupés depuis plusieurs jours. Le fait que l'insuffisance de l'aide juridictionnelle ne permette pas à certains de nos concitoyens de faire valoir leurs droits constitue un sujet pour la République une et indivisible que nous sommes. Je conçois que des libéraux ne partagent pas cet état d'esprit ; c'est ce qui fait la richesse de notre hémicycle !
Monsieur Aubert, si vous souhaitez renforcer le sentiment d'injustice, adoptons votre amendement : c'est une bonne mesure ! Si vous souhaitez rassembler les Français autour d'un service public de la justice, ce que vous proposez est inéquitable et inacceptable.
Sourires.
C'est bien la première fois que cela m'arrive. Monsieur Jumel, vous confondez l'éducation nationale et le soutien scolaire. L'éducation nationale est gratuite ; le soutien scolaire est payant.
Protestations sur les bancs des groupes SOC, GDR et FI, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LREM.
Demandez à vos enfants s'ils ne paient pas des professeurs à côté du collège ou du lycée pour les aider lorsqu'ils n'ont pas le bon niveau !
Vous confondez la gratuité et le service public, et contrairement à ce que vous avez dit, chère madame, il est faux que l'on scinde les Français en deux camps lorsqu'on les fait participer au financement d'un service afin qu'ils en connaissent le prix. Avec ce choix, vous donnez aux gens la fausse impression qu'ils vivent dans une société où tout est gratuit. Vous créez un sentiment de division avec, d'un côté, ceux qui paient des impôts, mais qui ne bénéficient pas toujours de services publics, et, de l'autre, ceux qui ne s'aperçoivent pas du coût parce que tout est payé par les autres…
Je retire ce que j'ai dit : M. Aubert n'est pas libéral, il est ultralibéral !
L'amendement no 222 n'est pas adopté.
Pour lutter contre le non-recours et s'assurer que nos concitoyens exercent bien leurs droits, cet amendement vise à créer l'obligation pour les notaires, les huissiers de justice, les greffiers titulaires de charge, les commissaires-priseurs et les avocats, d'indiquer à ses bénéficiaires potentiels l'existence de l'aide juridictionnelle et les modalités pour en faire la demande.
Je ne relance pas le passionnant débat qui vient de s'interrompre, mais il existe, hélas ! de nombreux droits qui ne sont pas exercés car, souvent, nos concitoyens ne savent même pas qu'ils existent. Il serait bon que ceux qui ont la charge de l'exécution de la justice leur rappellent ces droits. Certes cela a un coût, mais c'est la matérialisation concrète de l'existence de la République, n'en déplaise à ceux qui veulent nous faire payer jusqu'à notre devise. Après tout, la liberté a un prix, l'égalité et la fraternité également, mettons-les aux enchères pour voir qui a les moyens de se les offrir !
M. Ugo Bernalicis applaudit.
Madame la rapporteure, vous avez déjà donné un avis défavorable que vous maintenez ?
Même avis. Les auxiliaires de justice signalent déjà très spontanément l'existence de l'aide juridictionnelle. Le nombre très élevé de demandes d'aide en témoigne. Je ne vois pas ce que cette obligation législative apporterait. Avis défavorable.
Notre discussion est très intéressante, mais nous aurions pu nous en passer si nous avions mis auparavant sur la table la réforme de l'aide juridictionnelle. Nous avons un vrai souci avec l'accès au droit dans notre pays. Il passe par l'aide juridictionnelle, mais pas uniquement. D'autres questions se posent sur les conseils départementaux de l'accès au droit, sur leur composition, sur leurs missions, sur l'implication, le cas échéant, des collectivités locales. Notre débat est donc une nouvelle fois un peu tronqué : nous n'en serions pas là à défendre des positions de principes antagonistes si le texte avait traité ce sujet, car je pense que nous aurions pu nous retrouver sur le fond.
Madame la rapporteure, je n'oublie pas qu'une mission d'information est en cours, que d'autres conclusions majeures ont été publiées ces dernières semaines par la Cour des comptes, une mission d'inspection générale… Il reste que nous avions besoin, au coeur du dispositif, d'une justice plus inclusive, une justice plus ouverte, une justice qui sache être à l'écoute, dont l'aide juridictionnelle constitue un élément essentiel – je l'ai dit dès le premier jour de nos débats sur ces textes, je le répète ce soir.
Sourires.
Madame la ministre, vous nous répondez, un peu comme tout à l'heure au sujet des fouilles en détention, qu'il est inutile d'inscrire dans la loi ce qui existe déjà en pratique. Je pense au contraire qu'il faut inscrire une mesure dans la loi pour être certain qu'elle s'applique bien partout. Il est curieux et même suspect de refuser de légiférer sous prétexte qu'une disposition serait déjà en usage. Pourquoi ne pas être clair ? Je pense, comme Boileau, que « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ». Toutes les professions citées ne sont pas des auxiliaires de justice : si vous estimez qu'elles ont un devoir d'information, inscrivons l'obligation prévue par l'amendement dans la loi ! Ce sera le meilleur moyen de faire reculer le non-recours – car vous dites que les demandes sont nombreuses, mais vous savez, comme moi, que les non-recours aussi.
L'amendement no 292 n'est pas adopté.
La commission a supprimé l'article 52 ter.
Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 646 et 1597, tendant à le rétablir.
La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour soutenir l'amendement no 646.
Il vise à prévoir la consultation obligatoire d'un avocat préalablement au dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle, à l'exception des actions pour lesquelles le justiciable est défendeur ou, en matière pénale, des demandes relevant de l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle en raison de leur caractère urgent.
Il s'agit de rendre effectif le filtre actuellement prévu par l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, qui n'est jamais appliqué en pratique. Cet article prévoit que l'aide juridictionnelle est accordée à la personne dont l'action n'apparaît pas, manifestement, irrecevable ou dénuée de fondement.
La parole est à M. Patrice Verchère, pour soutenir l'amendement no 1597.
Pour compléter les propos de mon collègue Jean-Louis Masson, j'indique que la mise en oeuvre de ce dispositif devrait améliorer grandement le contrôle de l'attribution de l'aide juridictionnelle. Cette attribution obéit aujourd'hui à une logique de guichet, comme cela a été dit par notre collègue Philippe Gosselin. En effet 90 % des demandes formulées en première instance, donnent lieu à une admission, alors même que ce taux est de 23,5 % en cassation, car l'aide juridictionnelle est refusée aux demandeurs si aucun moyen de cassation sérieux ne peut être relevé.
Ce système de contrôle du bien-fondé de la recevabilité de la demande a également d'autres vertus. En Allemagne, par exemple, il permet d'orienter les demandes qui le justifient vers des procédures de conciliation et d'aboutir à un accord amiable pour une partie importante des affaires traitées.
On nous explique qu'il faut améliorer et rationaliser le fonctionnement de la justice. Ces amendements visent précisément à faciliter la tâche des bureaux de d'aide juridictionnelle en demandant aux auxiliaires de justice que sont les avocats de jouer un rôle de premier filtre. Cela permettrait d'éviter des saisines parfois abusives, saisines qui, en plus d'engorger les juridictions, ont un coût en matière d'aide juridictionnelle.
Le texte que nous examinons devrait permettre à des justiciables de saisir une juridiction par le biais d'une plateforme informatisée, laquelle n'aura aucune obligation de conseil ou d'information sur les tenants et les aboutissants de la procédure – c'était notre souhait, mais vous ne l'avez pas voulu. Dans le même temps, on refuse que l'avocat, auxiliaire de justice, oeuvre à un meilleur fonctionnement du bureau d'aide juridictionnelle en permettant un désengorgement des juridictions, leur évitant d'avoir à connaître de dossiers inutiles. Il s'agit d'une nouvelle marque de défiance à l'égard de l'ensemble des auxiliaires de justice et intervenants de la justice. Je tenais à appeler votre attention sur ce point, parce que l'on nous dira encore qu'il n'y a dans ces réformes ni déshumanisation ni déconnexion avec notre système judiciaire !
Les amendements identiques nos 646 et 1597 ne sont pas adoptés. En conséquence, l'article 52 ter demeure supprimé.
La commission a supprimé l'article 52 quater.
Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 647 et 1599, tendant à le rétablir.
La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour soutenir l'amendement no 647.
Par cet amendement, nous proposons de rendre obligatoire la consultation, par les bureaux d'aide juridictionnelle, des services ou des organismes sociaux compétents pour apprécier les ressources des demandeurs. Cette possibilité, prévue par la loi du 10 juillet 1991, n'est que peu utilisée en pratique. Il n'est pas rare que les bureaux d'aide juridictionnelle se contentent simplement de déclarations sur l'honneur signées par les justiciables, ce qui explique en partie le taux de 90 % d'admission à l'aide juridictionnelle observé en première instance.
Ce n'est pas le métier des personnels judiciaires, notamment des magistrats, que d'apprécier le niveau de ressources des demandeurs de l'aide juridictionnelle : cela représente une perte de temps coûteuse pour la justice. Ce travail d'évaluation des ressources est déjà accompli par des administrations spécialisées : c'est pourquoi nous proposons, par cet amendement, de mutualiser ces informations.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement no 1599.
Dans le même état d'esprit, et sans anticiper sur les conclusions des missions en cours, je rappelle qu'il est obligatoire de mieux maîtriser les dépenses d'aide juridictionnelle. Il ne s'agit pas de diminuer tel ou tel taux de prise en charge, mais d'améliorer l'accès au droit pour ceux qui en ont le plus besoin.
Il y a aujourd'hui, dans notre pays, des zones de non-droit ; certains de nos concitoyens restent à l'écart de la justice, faute de moyens et d'information sur l'aide juridictionnelle. Certes, il y a une obligation de conseil des huissiers, des notaires, des avocats : on l'a dit tout à l'heure. Mais cette obligation ne va pas assez loin : c'est pourquoi il faut réformer l'ensemble du système. Au-delà de l'aide juridictionnelle, c'est tout l'accès au droit qui est en jeu. Or ce projet de loi n'aborde pas cette question : votre réforme est ainsi amputée d'une part essentielle.
Mme la rapporteure a rappelé tout à l'heure les raisons pour lesquelles ce texte ne traite pas de l'accès au droit – ni, par voie de conséquence, de l'aide juridictionnelle. Je me suis engagée devant vous à plusieurs reprises, en commission des lois et dans l'hémicycle, à faire de l'accès au droit ma priorité pour l'année 2019. Il est indispensable, en effet, de traiter cette question de façon globale, en envisageant les différents modes d'accès au droit, notamment par les maisons de la justice et du droit. Il s'agit aussi d'inventer d'autres mécanismes afin de toucher les personnes qui sont très éloignées du droit. Il sera évidemment question, dans ce cadre, de l'aide juridictionnelle.
Sur tous ces points, nous oeuvrerons à partir du rapport conjoint de l'Inspection générale de la justice et de l'Inspection générale des finances, des travaux qui seront conduits par vos représentants, et des négociations que nous mènerons avec les avocats. Tout cela prend du temps : j'ai besoin d'au moins six à huit mois pour aborder l'ensemble de ces questions, y compris celle que vous avez soulevée, monsieur Masson, par l'amendement no 646 relatif à la consultation obligatoire des avocats.
L'accès au droit forme un tout : nous ne pouvons pas l'aborder de façon segmentée. C'est pourquoi je donne un avis défavorable à ces amendements.
J'ai bien compris vos impératifs techniques, madame le ministre. Je reste cependant convaincu qu'une réforme de la justice, que l'on dit être globale, doit aborder l'accès au droit. Les avocats se sont mobilisés contre votre réforme ; il eût été intéressant de débattre, avec eux, de l'aide juridictionnelle : ils auraient eu beaucoup de choses à vous dire à ce sujet.
Sur le fond, nous en revenons au débat que nous avons eu tout à l'heure. Un droit que l'on accorde à tout le monde, sans discrimination, est un droit qui risque de manquer à ceux qui en ont le plus besoin. On le voit avec le droit d'asile : celui-ci est tellement instrumentalisé que les véritables demandeurs d'asile sont traités de la même manière que ceux qui n'y ont pas droit. Cela cause des engorgements, des files d'attente, d'où résultent des cas de déni de droit. Il en va de même pour l'aide juridictionnelle : nos collègues proposent simplement, par ces amendements, de la réserver à ceux qui en ont véritablement besoin.
En ouvrant l'aide juridictionnelle à tout le monde, sans aucun filtre, vous mettez sur le même plan ceux qui en ont vraiment besoin et ceux qui risquent d'en abuser. Il était question, tout à l'heure, d'enchères : en l'espèce, le risque est que celui qui remporte l'enchère, en l'espèce accède à cette aide, ne soit pas celui dont le dossier le justifie le mieux. Il convient donc d'instituer des critères pour le recours à ce droit, des mécanismes de conseil et d'orientation, sinon de filtrage, afin de l'optimiser et d'éviter qu'il soit dévoyé.
Les amendements identiques nos 647 et 1599 ne sont pas adoptés. En conséquence, l'article 52 quater demeure supprimé.
La commission a supprimé l'article 52 quinquies.
Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 648 et 1600, tendant à le rétablir.
La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour soutenir l'amendement no 648.
Cet amendement vise à améliorer le taux de recouvrement des sommes versées au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, auprès de celui-ci, dans le cas d'une décision de retrait de l'aide, ou auprès de la partie condamnée aux dépens, dès lors que celle-ci n'est pas elle-même bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, en confiant ce recouvrement au Trésor public.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement no 1600.
Je viens de croiser le regard un peu amusé de Mme la rapporteure et celui de Mme la garde des sceaux : je ne fais preuve d'aucune naïveté, je ne me fais pas d'illusions sur le sort qui sera réservé à ces amendements. J'ai toutefois la faiblesse de penser que notre insistance, sur ce sujet, est justifiée.
Par ces amendements, nous lançons un appel désespéré en faveur d'une justice inclusive, en faveur d'un véritable accès au droit pour ceux qui en ont le plus besoin. On peut diverger quant aux remèdes propres à résorber l'engorgement des bureaux d'aide juridictionnelle, quant aux difficultés de telle ou telle instance, mais personne ne peut nier que l'accès au droit soit un élément fondamental de la citoyenneté dans une société démocratique.
Les amendements identiques nos 648 et 1600 ne sont pas adoptés. En conséquence, l'article 52 quinquies demeure supprimé.
La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour soutenir l'amendement no 594 rectifié.
Je vais défendre cet amendement dont Mme Trastour-Isnart est la première signataire et qu'elle a rédigé.
L'unique but du terrorisme est la destruction de la société française, l'anéantissement de ce que nous sommes. Aussi le terroriste, en raison des actes de terreur et d'intimidation qu'il a commis, ne peut-il être considéré comme un criminel ou un délinquant ordinaire.
Or de nombreux Français ont appris, avec consternation et répugnance, que le seul rescapé du commando terroriste du 13 novembre 2015 bénéficiera de l'aide juridictionnelle. Il convient de s'interroger sur le bien-fondé de ce bénéfice accordé aux terroristes, même si cette situation est peu fréquente, car il est indéniable que l'aide juridictionnelle n'a pas pour vocation de procurer une assistance à des individus qui se sont érigés en ennemis de la nation française. C'est d'autant plus choquant que c'est la collectivité qui finance cette aide : les citoyens et contribuables peinent à comprendre qu'elle puisse bénéficier aux terroristes.
On peut par ailleurs s'interroger sur l'insolvabilité d'une personne accusée d'actes terroristes : ne disposait-elle pas d'importants moyens financiers afin d'accomplir ses desseins meurtriers ? Il convient donc de retirer le bénéfice de l'aide juridictionnelle aux auteurs d'actes de terrorisme.
Madame la ministre, madame la rapporteure, j'ai cosigné cet amendement. Vous vous êtes contentées de dire « défavorable », sans développer les raisons de cet avis. La question que soulève cet amendement peut vous sembler superfétatoire dans ce texte, mais les parlementaires que nous sommes se la posent, nos concitoyens également – d'autant plus vu les événements qui frappent notre pays ce soir. J'aimerais donc que vous nous donniez plus d'explications.
L'amendement no 594 rectifié n'est pas adopté.
J'en reviens au raisonnement dont j'ai développé tout à l'heure la première partie.
Le Président de la République a annoncé que de nombreux débats auront lieu au cours des trois mois à venir. Or la justice est au coeur des inquiétudes de notre peuple. Dans le cadre de l'examen de ce projet de loi, nous passons des heures à débattre de certains points : c'est toujours utile, mais puisqu'ils seront inclus dans la grande réflexion décidée, avec beaucoup de bon sens, par le Président de la République, je trouve cela un peu dommage. Il aurait fallu retirer ce texte de l'ordre du jour.
Une chose est certaine : il faudra s'interroger sur le nouveau profil des casseurs, et pas seulement pour sévir. La France est devenue un pays violent – j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises – parce qu'elle est désespérée et résignée. Un des éléments positifs du mouvement des « gilets jaunes » est de la faire sortir de cette résignation. C'est une bonne chose, même si leur colère a été très dommageable aux commerçants des Champs-Élysées. Mais comment punira-t-on les coupables qui appartiennent à des catégories que l'on n'avait jamais rencontrées dans de telles circonstances ? Il y a des chefs d'entreprise, par exemple, qui jusque-là faisaient tranquillement leur travail, et qui se sont tout à coup fâchés. Il y a beaucoup de violences aussi dans les banlieues ; et la même violence commence à apparaître dans nos campagnes.
La parole est à Mme Laetitia Avia, pour soutenir l'amendement no 1661 quatrième rectification.
Cet amendement réécrit intégralement l'article 56, afin de tirer les conséquences des diverses modifications apportées au projet de loi quant à l'entrée en vigueur des différentes dispositions.
Avis favorable. Je précise que l'adoption de cet amendement fera tomber les amendements nos 1199 et 1176 du Gouvernement. Je les retire donc.
Les amendements nos 1199 et 1176 sont retirés.
L'amendement no 1661 quatrième rectification est adopté. En conséquence, l'article 56 est ainsi rédigé et l'amendement no 323 tombe.
Avis favorable. De la même manière que pour l'amendement précédent, je précise que l'adoption de celui-ci fera tomber l'amendement no 1201 du Gouvernement. Je le retire donc.
L'amendement no 1201 est retiré.
L'amendement no 1665 est adopté. En conséquence, l'article 57 est ainsi rédigé, et l'amendement no 951 tombe
Rappel au règlement
Seulement pour préciser, madame la présidente, que l'amendement no 1201 du Gouvernement est indiqué sur nos tablettes comme étant tombé alors qu'il a été retiré.
Mme la garde des sceaux l'avait en effet indiqué. Je vous remercie de suivre aussi attentivement l'examen des amendements, monsieur Gosselin.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Je suis saisie de plusieurs amendements portant article additionnel après l'article 57.
La parole est à Mme Emmanuelle Anthoine, pour soutenir l'amendement no 402.
Cet amendement vise à garantir un dialogue entre les principaux acteurs du service public de la justice et ses usagers, et à améliorer le service rendu aux justiciables. En effet, l'insatisfaction de nos concitoyens à l'égard du fonctionnement de la justice est connue : des délais trop longs, des procédures compliquées, un manque d'information en général, le sentiment qu'a une part croissante de la population d'absence de réponse judiciaire pour le traitement de la délinquance et une forte déconnexion entre le prononcé des peines et leur exécution. Cette insatisfaction nourrit un sentiment d'irresponsabilité de la part de la justice qui n'est pas souhaitable. C'est pourquoi notre collègue Olivier Marleix, premier signataire de cet amendement, propose la création dans chaque département d'un conseil des usagers du service public de la justice auprès de chaque tribunal de grande instance.
Défavorable. Je renvoie aux conseils de juridiction que nous avons longuement étudiés dans le cadre de l'examen de ce texte.
Exactement le même avis.
L'amendement no 402 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 942.
Il s'agit de compléter l'article 513 du code de procédure pénale par un alinéa ainsi rédigé : « Sur demande expressément formulée, la cour entend le conseil des parties civiles dans ses observations. » Ce dispositif permettrait aux parties civiles de prendre la parole en audience devant la cour d'appel alors qu'actuellement, seul le prévenu a la parole, et les éventuels témoins si la cour a ordonné leur audition. Les victimes auraient ainsi la place qui leur revient de droit. Elles ont trop souvent l'impression d'être des acteurs de second plan dans des affaires qui les touchent au contraire au premier chef.
Si la partie a interjeté appel, elle a évidemment droit à la parole à l'audience, et si elle ne l'a pas fait, elle peut s'exprimer si elle est citée à témoin par le ministère public. L'avis est donc défavorable.
L'amendement no 942, repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Sur l'amendement 75 rectifié, je suis saisie par le groupe La France insoumise d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Danièle Obono, pour soutenir cet amendement.
Cela fait référence à un débat que nous avons eu, il y a plusieurs semaines maintenant, sur le service public notarial. Il est ici demandé au Gouvernement de remettre « un rapport évaluant le fonctionnement et la qualité du service notarial directement assuré par l'État à l'étranger pour ses administrés ». Ce rapport analyserait « l'adéquation entre les tarifs réglementaires des notaires fixés par le ministre chargé de la justice et les revenus et patrimoines moyens et médians des administrés, notamment de ceux ayant recours aux services notariaux ». Il nous semble que ce rapport pourrait être la base d'une expérimentation sur le territoire national d'un service public du notariat, à l'instar de ce qui existe à l'étranger, expérimentation qu'il conviendrait de mener à la fois dans des zones correctement dotées en offices notariaux et dans des zones peu dotées.
En commission, Mme la ministre avait objecté l'existence d'un rapport de la Cour des comptes de 2013 sur l'évolution des missions et de l'organisation des consulats français à l'étranger, mais avec une interprétation quelque peu abusive de ses conclusions puisque le rapport ne contenait pas de préconisations particulières en la matière, proposant, en sa page 9, une diminution des missions consulaires eu égard aux « limites qu'a atteintes aujourd'hui ce modèle en expansion dans un cadre budgétaire contraint ». Cette appréciation étant de notre point de vue marquée par le seul critère comptable, il serait important de disposer d'un nouveau rapport évaluant, en dehors du prisme de l'austérité budgétaire, la nécessité d'un service public notarial. Cela répondrait en effet aux besoins d'un certain nombre de justiciables car les manques en ce domaine sont certains.
Cet avis vaudra pour toutes les demandes similaires de rapports dans les amendements portant article additionnel après l'article 57. Nous avons voté à l'article 1er ter plusieurs rapports d'application, d'ailleurs enrichis par des amendements émanant de l'ensemble des bancs, et donc aussi des diverses oppositions. S'agissant des rapports que vous proposez ici, je renvoie à la mission de contrôle qui nous incombe en tant que parlementaires. Je donnerai donc un avis défavorable à toutes ces demandes de rapport – hors rapports d'application mais ceux-là, nous les avons déjà votés.
Je comprends que Mme la rapporteure ait visiblement épuisé son quota de rapports, étant donné qu'il était déjà assez extraordinaire qu'une demande de rapport ait pu être votée, et je comprends bien aussi l'astuce consistant à approuver une demande de rapport émanant de chacune des oppositions quand elle n'est pas contraignante, …
… pour pouvoir dire à la fin que ce texte a été enrichi d'amendements émanant de tous les groupes parlementaires. On connaît la musique ! J'indique d'emblée qu'il ne sert à rien de raconter de pareilles balivernes. Cela ne changera pas notre vote : le groupe La France insoumise est totalement et définitivement opposé à ce texte.
Cela ayant été dit, cette demande de rapport est tout à fait fondée. La question d'instituer un service public notarial se pose parce que depuis plusieurs années, et encore avec ce texte, les notaires se voient confier de plus en plus d'attributions auparavant exercées directement par le tribunal à titre gratuit et qui le seront donc demain à titre payant – parfois pour une somme modique, encore que cela dépende du point de vue où l'on se place car 50 euros, ce n'est pas rien quand on en est à 50 euros près à la fin du mois. Il faut donc que ce service puisse être rendu en tant que service public afin de garantir l'accès au droit pour tous les justiciables de sorte que la déjudiciarisation et l'extension des attributions des notaires ne portent pas préjudice pécuniairement au justiciable qui, lui, n'a rien demandé – surtout pas que l'on vote cette loi. J'espère que nous pourrons en reparler lorsque nous aborderons l'aide juridictionnelle – si le débat a lieu et qu'il n'est pas trop tard.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 108
Nombre de suffrages exprimés 94
Majorité absolue 48
Pour l'adoption 21
Contre 73
L'amendement no 75 rectifié n'est pas adopté.
Je suis saisie de deux amendements, nos 105 et 914, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Véronique Louwagie, pour soutenir l'amendement no 105.
Cet amendement de notre collègue Philippe Gosselin demande la remise d'un rapport sur l'aide juridictionnelle, laquelle est déterminante pour l'accès de tous au droit et à la justice. En effet, malgré quelques améliorations ces dernières années, force est de constater que l'aide juridictionnelle est à bout de souffle : trop de citoyens modestes en sont exclus et les critères de son attribution comme les modalités de sa gestion sont complexes. Cela pose, je le répète, la question de l'accès au droit et de la justice pour tous, une nécessité dans une société démocratique. La loi du 10 juillet 1991, texte fondateur, doit être adaptée aux nécessités et aux besoins de notre temps. Il serait important, madame la ministre, de pouvoir dresser un état des lieux et poser un diagnostic. C'est pourquoi l'amendement propose que dans un délai de six mois après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement présente un rapport au Parlement sur les conditions de la nécessaire réforme de l'aide juridictionnelle.
La parole est à Mme Émilie Bonnivard, pour soutenir l'amendement no 914.
Madame la ministre, trop de citoyens renoncent à ester en justice, notamment les plus modestes. L'aide juridictionnelle, qui permet de bénéficier d'une prise en charge totale ou partielle par l'État des honoraires et frais de justice – dus à l'avocat ou à l'huissier – ne remplit plus, en raison de ses conditions d'attribution, sa vocation initiale qui était de permettre à tous un accès à la justice. C'est pourquoi il convient de repenser et d'adapter l'aide juridictionnelle. L'amendement propose à cet effet que le Gouvernement remette au Parlement dans les trois mois après promulgation de la loi, un rapport sur la nécessaire réforme de l'aide juridictionnelle.
M. Maxime Minot applaudit.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?
Défavorable, d'autant plus que nous attendons le rapport de nos collègues Philippe Gosselin et Naïma Moutchou qui sera, j'en suis convaincue, complet et très intéressant.
Votre modestie naturelle vous empêche d'avoir la moindre opinion sur le fond, madame la rapporteure !
Même avis, d'autant qu'au rapport très attendu évoqué par Mme la rapporteure s'ajoutent les rapports remis chaque année au cours des différentes étapes de l'élaboration de la loi de finances.
Je ne résiste pas à répéter que nous fonctionnons encore et toujours à l'envers : nous devrions d'abord examiner comment garantir l'accès au droit avant de modifier les dispositions existantes, d'abord discuter de l'aide juridictionnelle et de son extension avant d'envisager une représentation obligatoire plus étendue, et ainsi de suite. Je dois vous dire, mes chers collègues, que c'est insupportable pour les gens concernés, entre le moment où la loi est votée et celui où l'aide juridictionnelle sera peut-être modifiée, car ils ont dans l'intervalle des difficultés pour accéder à la justice. Je sais bien que vous vous en moquez globalement parce que tout cela est noyé dans la masse et que les jours passent, mais ce sont ainsi quantité d'injustices qui s'accumulent et qui poussent à un moment les gens à se mobiliser, en revêtant un gilet jaune ou par toute autre méthode qui les rende visibles. Voilà à quoi on arrive à force de fonctionner comme cela. Je le déplore.
Les amendements nos 105 et 914, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement no 106.
Notre collègue de La France insoumise a raison : sur le plan théorique, intellectuel mais aussi pratique, il eût été préférable que l'on se posât d'abord la question de l'accès au droit, des critères et des conditions d'attribution de l'aide juridictionnelle, avant de se poser celle des procédures, puis, pour couronner le tout, celle de la révision de l'organisation juridictionnelle. Or on a inversé le processus. Je n'en fais pas grief personnellement à la garde des sceaux, mais à l'exécutif.
On a mis la charrue avant les boeufs : on revoit la structure avant de déterminer les conditions dans lesquelles les justiciables peuvent accéder au droit.
L'amendement no 106 porte sur un élément parmi d'autres de l'accès au droit, à savoir les compétences des conseils départementaux de l'accès au droit. Ces derniers fonctionnent depuis quelques années, cahin-caha, plus ou moins bien et avec plus ou moins de moyens selon les départements. Bref, il est grand temps de remettre tout cela à plat. Encore une fois, c'est le souffle démocratique qui est en cause : on voit ici qu'il manque de vigueur.
L'amendement no 106, repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement no 107.
Certains d'entre nous se souviennent que Jean-Luc Warsmann, Jean-Jacques Urvoas et d'autres présidents de la commission des lois avaient développé une jurisprudence hostile aux demandes de rapports. Cela étant, l'amendement no 107 vise également à demander un rapport, toujours sur le même sujet. Si notre droit de pétition, si je puis dire, ne se limite pas à cette pratique, les demandes de rapports constituent un moyen d'interpeller le Gouvernement sur un sujet qui, je l'espère, retiendra votre attention. J'entends par anticipation les avis défavorables de la rapporteure et de la garde des sceaux, mais cela ne m'empêche pas de plaider vigoureusement pour un meilleur accès au droit.
L'amendement no 107, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement no 108.
Avec les membres de la commission des lois, sous la houlette de notre présidente Yaël Braun-Pivet, nous avons réalisé un travail très intéressant sur la détention. Notre rapport, intitulé Repenser la prison pour mieux réinsérer, appelle à une meilleure réinsertion des détenus et à une meilleure prise en compte de l'activité et de la formation professionnelles de ces derniers.
Nous avons mis en lumière un certain nombre de carences. Ainsi, plusieurs régions semblent méconnaître – de bonne foi, ce qui est assez dramatique – un certain nombre de leurs obligations en matière de formation professionnelle, alors que la loi leur confère des compétences dans ce domaine.
L'adoption de cet amendement permettrait de mieux évaluer et d'améliorer la situation, sur un sujet qui doit nous réunir. Il y a un temps pour la sanction, qui doit être exemplaire, complète et assumée, mais il y a aussi un temps pour la réinsertion, dans l'intérêt du détenu et de la société. La prévention de la récidive est un sujet qui peut nous réunir – je n'en doute pas un seul instant – sur l'ensemble des bancs de notre assemblée.
Ma réponse sera très brève. Il s'agit d'un sujet important, sur lequel nous avons été interpellés : nous devons donc y travailler. Comme tout à l'heure, je vous renvoie vers nos missions d'information, puisque c'est dans ce cadre que nous pouvons mener de tels travaux. J'ai bien entendu votre plaidoyer, monsieur Gosselin, mais je donne à votre amendement un avis défavorable.
Je suis très heureux que Mme la rapporteure ait entendu mon plaidoyer, mais j'aurais aimé qu'elle l'écoute davantage et qu'elle lui donne une traduction concrète.
La commission des lois a fait son travail sur ce sujet et a approuvé à l'unanimité la publication de notre rapport – je parle sous le contrôle de M. le rapporteur, de Stéphane Mazars et d'autres collègues ici présents.
Nous avons déposé un certain nombre d'amendements, qui ont été rejetés. À un moment, le Gouvernement doit s'emparer du sujet. Pour notre part, nous avons un droit d'alerte, car la Constitution, notamment ses articles 40 et 45 – je pense à la fameuse règle de l'entonnoir – , contraint nos moyens d'action.
Madame la garde des sceaux, je sais que vous êtes sincère. Pouvez-vous vous engager à approfondir cette question ? À l'évidence, les compétences en la matière sont partagées entre la Chancellerie et le ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, à la tête duquel se trouve Mme Gourault. Ne nous renvoyons pas la balle ! Il faut que nous parvenions à travailler et à formuler des propositions concrètes sur ce sujet de la réinsertion et de la prévention de la récidive : c'est non seulement l'intérêt des détenus, mais aussi celui de la société.
M. Xavier Breton applaudit.
Sur cette question, monsieur le député, je suis pleinement mobilisée, avec la direction de l'administration pénitentiaire. J'ai l'occasion de rencontrer régulièrement les présidents de région. Récemment, j'ai échangé assez longuement avec la présidente de la région Île-de-France sur ce sujet. Par ailleurs, je travaille avec Muriel Pénicaud pour insérer dans le plan d'investissement compétences des appels d'offres qui permettraient de valoriser tant le travail en détention que la formation professionnelle. Pour moi, cet objectif est vraiment prioritaire. Pour autant, je ne donne pas un avis favorable à votre demande de rapport, pour les raisons de principe que j'ai exposées tout à l'heure.
J'ai bien entendu la réponse de Mme la garde des sceaux. Effectivement, la région Île-de-France mène une politique exemplaire en la matière. Charité bien ordonnée commence par sa propre région : je cite donc également la région Normandie qui, sous la houlette de David Margueritte et d'Hervé Morin, travaille ardemment sur ce sujet. Cependant, il en est d'autres qui, sans doute en toute bonne foi, n'ont pas pris le problème à bras-le-corps.
Je suis un homme de parole et de confiance. Si Mme la ministre s'engage sur ce point, je suis prêt à retirer l'amendement no 108 afin de ne pas polluer le projet de loi par des demandes de rapports surabondantes. Ce serait un échange de bons procédés !
Monsieur Gosselin, puis-je considérer que votre amendement est retiré ?
L'amendement no 108 est retiré.
La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l'amendement no 253.
L'amendement no 253, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l'amendement no 254 rectifié.
L'amendement no 254 rectifié, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Guillaume Gouffier-Cha, pour soutenir l'amendement no 425 rectifié.
Il s'agit d'une demande de rapport issue de la recommandation no 2 du rapport d'information de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Le rapport demandé, qui devrait être remis au Parlement dans un délai d'un an à compter de l'entrée en vigueur de la loi, porterait sur la formation de l'ensemble du personnel judiciaire et préciserait comment celle-ci prend en compte les questions de violences faites aux femmes et d'égalité entre les femmes et les hommes.
Monsieur Gouffier-Cha, je vous demande de retirer votre amendement. En effet, il existe aujourd'hui des formations sur le thème que vous évoquez, non seulement dans le cadre de la formation initiale et des sessions de formation continue organisées à l'École nationale de la magistrature, mais aussi à l'École nationale des greffes. J'ai demandé à la haute fonctionnaire à l'égalité entre les femmes et les hommes de multiplier ces formations, de les rendre pluridisciplinaires et de faire intervenir d'autres personnes sur ces sujets – je pense par exemple aux enquêteurs. Nous disposerons par conséquent de formations plus nombreuses et sans doute mieux adaptées.
Je remercie Mme la ministre et pense que nous pourrons poursuivre, dans les prochains mois, nos échanges au sein de la délégation aux droits des femmes sur ce sujet. Je retire donc mon amendement.
L'amendement no 425 rectifié est retiré.
La parole est à M. Joachim Son-Forget, pour soutenir l'amendement no 790 rectifié.
Nous demandons un rapport sur le développement des modes de règlement amiable des litiges.
Les articles 2 et 3 permettront d'instaurer une culture plus forte de la médiation, mais ils me semblent insuffisants. J'ai rédigé une proposition de loi plus ambitieuse sur ce sujet, que je déposerai au moment opportun.
Au préalable, il convient d'évaluer ce qui existe déjà, car la législation actuelle comporte des points faibles. Les textes s'empilent : après l'adoption d'une loi en 1995, une ordonnance a été publiée en 2011 afin de transposer une directive de 2008. Un nouveau titre sur la médiation conventionnelle a été inséré dans le code des procédures civiles d'exécution. Quant aux dispositions relatives à la médiation judiciaire, elles sont éclatées entre la loi de 1995, les articles 131-1 et suivants du code de procédure civile révisés par un décret de 2015, la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle... Il n'y a aucune unité de pensée, aucun véritable socle commun en matière de statut et de devoirs du médiateur, aucun moyen de trouver dans la loi une définition de la médiation ou de connaître les spécificités de la médiation judiciaire ou conventionnelle.
La médiation présente néanmoins des avantages : c'est pourquoi le présent projet de loi vise à la développer. Elle permet de lutter contre l'hyperjudiciarisation, de raccourcir les délais de règlement des litiges et donc de faire des économies.
Il s'agit simplement de redonner toute sa place au tiers réglant le litige de manière sensée, qui constitue à mes yeux le dernier rempart du contrat social.
Défavorable également.
Je salue l'optimisme de notre M. Son-Forget, non sur le fond, car cette question ne prête évidemment pas à rire, mais sur la forme. Demander un rapport à la fin du premier trimestre de 2022, alors que les travaux du Parlement seront suspendus du fait de la campagne électorale, c'est faire preuve d'optimisme – à moins qu'il s'agisse de préparer des éléments de langage…
Sourires.
Je voulais le faire remarquer en toute amitié à notre collègue de la majorité.
Indépendamment de la question de la date, qui pourrait être corrigée – je suis d'accord sur ce point avec notre collègue Philippe Gosselin – , cette demande de rapport émanant du groupe La République en marche me paraît fondée. Elle mériterait que l'on y porte davantage d'attention. Si nous nous engageons résolument à encourager le règlement amiable des litiges, l'évaluation des dispositions existantes fait cruellement défaut. L'amendement no 790 rectifié ouvre donc une perspective intéressante. Mais lorsqu'il s'agit de demandes de rapports, l'espoir luit dans cet hémicycle comme un caillou dans un creux.
L'amendement précise que le rapport devra être remis « au plus tard à la fin du premier trimestre 2022 ».
Il est urgent d'évaluer les dispositifs de règlement amiable des litiges, qui sont vraiment intéressants. Les corpus législatifs de pays comme l'Allemagne et le Canada sont très en avance sur ce sujet. Même si les articles 2 et 3 du présent projet de loi sont ambitieux, parce qu'ils nous permettent d'aller un peu plus loin en la matière, il faut à mon sens revoir la définition des modes de règlement amiable ainsi que leur encadrement.
Je le répète, un rapport d'évaluation – bien plus précoce, je l'entends – serait nécessaire. Je suis à votre disposition pour m'y atteler, comme nombre de nos collègues qui semblent également s'intéresser à cette question.
Je vous redonne la parole, monsieur Gosselin, pour une brève intervention.
Même s'il est présomptueux de le dire ainsi, ce sujet est important. Sur tous ces sujets abordés au travers d'amendements portant article additionnel après l'article 57, nos échanges sont très intéressants.
Vous voyez bien que nous en sommes réduits à quelques expédients : un rapport par ici, un rapport par là… Sur tous les bancs, nous en sommes à demander des rapports.
En réalité, s'agissant de l'évaluation des politiques publiques, nous ne devrions même pas avoir la possibilité de déposer de tels amendements. Toute politique publique nouvelle, comme celle relative à la médiation et aux modes alternatifs de règlement des litiges, que nous avons votée dans des articles précédents, devrait systématiquement faire l'objet d'une évaluation.
Dans le contexte actuel où le jaune est très prégnant et où, même sans jaune, l'on voit très bien dans quel état d'esprit se trouvent nos concitoyens, il serait nécessaire d'évaluer systématiquement les politiques publiques afin de savoir à quoi sert chaque euro d'impôt prélevé et si les dépenses publiques sont efficaces ou non.
En ce sens, M. Son-Forget a tout à fait raison de parler d'évaluation : c'est une ardente obligation.
L'amendement no 790 rectifié n'est pas adopté.
Le présent amendement avait été adopté par le Sénat en première lecture. Il vise à ce qu'on puisse prendre en considération juridiquement les données issues d'objets connectés dans le cadre d'une enquête judiciaire, au titre de l'accusation ou de la défense. Il s'agit d'une adaptation aux nouvelles technologies en vue d'une meilleure résolution des affaires.
Il est vrai que les capacités d'évaluation de l'Assemblée nationale et, plus généralement, du Parlement, posent question. Moi qui suis membre du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques, en train de conduire une évaluation, je vois bien quels sont les moyens mis à notre disposition : il s'agit de cinq administrateurs, qui suivent tous les dossiers en même temps. J'ai beaucoup de plaisir à travailler avec eux, mais ils font ce qu'ils peuvent ! Ce ne sont pas des moyens suffisants pour conduire des évaluations dignes de ce nom.
Dans mes rêves les plus fous, j'imagine qu'il existe au sein de l'Asssemblée nationale un service chargé de l'évaluation, et que l'on peut discuter entre parlementaires des sujets soumis à évaluation à l'initiative de notre assemblée. En réalité, pour toutes les demandes de rapport que nous adressons à l'exécutif, nous dépendons du bon vouloir de celui-ci. Il ne s'agit pas des résultats d'une évaluation externe à l'exécutif, dont la production serait entre les mains de l'Assemblée nationale. Cela pose problème. J'espère que nous autres parlementaires disposerons un jour de moyens d'évaluation importants et que nous pourrons avoir de grandes discussions sur ces sujets.
L'amendement no 847 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Fadila Khattabi, pour soutenir l'amendement no 1062.
Je ne ferai pas preuve d'originalité en défendant cet amendement d'appel, qui vise à demander au Gouvernement un rapport établissant un diagnostic sur les conditions de détention en milieu carcéral des femmes. Il s'agit aussi de proposer des pistes d'amélioration de l'accès aux aménagements de peine, afin d'assurer un meilleur accès à la formation professionnelle. Je rappelle que la formation professionnelle des détenus a été transférée aux régions depuis maintenant trois ans. Voilà qui mériterait une évaluation.
Il faut le dire : la situation est grave, et même très grave. Les femmes détenues n'ont pas accès aux mêmes droits que les hommes, que ce soit en matière de rapprochement familial ou d'accès aux dispositifs de réinsertion. Il paraît donc très urgent d'aborder cette question et de réfléchir à des solutions concrètes en ce qui concerne l'organisation et la mise en oeuvre de la formation professionnelle dans les établissements pénitentiaires. J'ai récemment consulté la direction interrégionale des services pénitentiaires de ma circonscription sur ce sujet. Il semblerait qu'il s'agisse d'un problème récurrent dans de nombreux territoires. Aussi, mes chers collègues, nous faudrait-il définir une politique dédiée à la formation professionnelle des femmes détenues, en vue d'élargir l'offre très réduite qui leur est actuellement proposée. Une telle démarche serait cohérente avec les précédentes réformes que nous avons votées.
En conséquence, le présent amendement tend à engager une réflexion visant à mettre fin à cette rupture d'égalité entre les femmes et les hommes au sein de l'institution carcérale. Surtout, il s'agit de définir un plan national d'actions à mettre en oeuvre dans chaque région, afin de donner à toutes les femmes détenues les moyens nécessaires à la réussite de leur réinsertion.
Chère collègue, la commission a saisi tout l'intérêt de la demande que vous formulez. Nous devons être pleinement attentifs à cette question. C'est pourquoi nous avons adopté un amendement à l'article 1er ter visant à ce que le rapport d'exécution de la loi comprenne une évaluation de la situation des femmes en détention au regard des droits fondamentaux et quant à leur accès aux aménagements de peine et alternatives à l'incarcération.
Il est vrai que ce n'est pas tout. C'est un sujet sur lequel il convient de travailler plus avant. Par conséquent, une fois encore, je vous renvoie à nos travaux en commission, tout en insistant sur le fait qu'il s'agit d'une question à l'étude de laquelle nous devons pleinement nous consacrer.
Madame la députée, je ne peux qu'abonder dans le sens de Mme la rapporteure. Nous avons déjà accepté, parce que le sujet est extrêmement important et que nous devons en effet lui accorder une attention soutenue, que le rapport sur l'exécution de la loi porte pour partie sur lui. Je ne verrais pour ma part que des avantages à ce que le Parlement se saisisse, dans telle ou telle commission – la commission des lois, la commission des affaires économiques ou la commission des affaires sociales, par exemple – , de la question pour l'approfondir. Toutefois, pour le principe, j'émettrai un avis défavorable sur votre amendement.
J'ai pris bonne note des remarques qui m'ont été faites. Nous saisirons la commission parce que le sujet est important. Je retire l'amendement.
Exclamations sur les bancs des groupes LR et FI.
L'amendement no 1062 n'est pas adopté.
Nous demandons au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur l'application du secret de l'instruction. Il s'agit d'un sujet important.
L'article 11 du code de procédure pénale dispose que « la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète ». Or ce secret est régulièrement violé – je pense que nous déplorons tous cette situation. Des fuites ont lieu et elles sont largement médiatisées, ce qui entame la confiance de nos concitoyens dans la justice et nuit à la présomption d'innocence des personnes mises en cause.
Nous avions abordé la question avec la ministre lors de l'examen du texte en commission. Répondant à nos questions, Mme la garde des sceaux a indiqué ne pas être fermée « à l'idée de travailler sur ce sujet avec ceux qui le souhaiteraient, étant entendu qu'il faudra être vigilant – et nous en sommes d'accord – sur ce que nous pourrions proposer dans le cadre de la loi : on doit être très attentif à la liberté de la presse et au travail des avocats ».
Cela étant, la violation répétée du secret de l'instruction pose la question de la présomption d'innocence des personnes mise en cause et fragilise la confiance que nos concitoyens doivent avoir dans la justice. C'est pourquoi il nous semble important de travailler sur le sujet ; à cette fin, nous proposons la remise au Parlement d'un rapport dans les six mois suivant la promulgation de la loi.
Même avis. Je réitère mon intérêt pour ce sujet, que j'avais affirmé en commission, mais je crois qu'il faut que nous y réfléchissions un peu ensemble avant de faire des propositions.
Le secret de l'instruction est régulièrement violé, au point que c'est devenu un secret de Polichinelle ! Tout est sur la place publique. C'est un réel problème.
Ce que Mme la garde des sceaux a dit en commission devrait être redit avec solennité en séance publique. Bien évidemment, il ne s'agit pas de remettre en cause la liberté de la presse, pas plus que le travail des avocats ou la présomption d'innocence : tout cela doit être rappelé avec force et vigueur. Il reste que trop souvent on s'essuie les pieds sur le secret de l'instruction. Il convient, même si j'ai bien conscience qu'il n'existe pas une seule et unique solution, de travailler sur le sujet – mais encore faudrait-il, je le dis avec insistance, en avoir une ardente envie, et ne pas le faire au détour d'un rapport, si engagé soit-il. Je suis prêt non pas à retirer cet amendement, dont mon collègue Breton est le premier signataire, mais à solliciter de vous, madame la garde des sceaux, un engagement similaire à celui que vous avez pris il y a quelques minutes.
Pour prolonger les propos de mon collègue Gosselin, nous avons bien entendu, madame la garde des sceaux, votre volonté de travailler. Nous allons proposer la création d'une mission d'information sur la violation du secret de l'instruction. Nous aurons donc l'occasion d'en discuter dans ce cadre – je parle sous le contrôle de Mme la présidente de la commission des lois. Dans ces conditions, je retire l'amendement.
Vous devriez demander le même engagement que tout à l'heure, cher collègue !
L'amendement no 1074 est retiré.
Mes chers collègues, avant de passer à l'amendement suivant, je vous informe que, sur le vote de l'ensemble du projet de loi, je suis saisie par les groupes Les Républicains, Socialistes et apparentés, La France insoumise et Libertés et territoires d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 1175.
Il s'agit encore une fois d'une demande de rapport, qui concerne les mineurs et jeunes radicalisés – sujet brûlant, vous en conviendrez.
Depuis fin 2016, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a mis en place le dispositif d'accueil spécialisé et individualisé, le DASI, qui propose une prise en charge éducative individuelle, renforcée et thérapeutique des jeunes filles et garçons poursuivis pour des faits d'association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste ou en situation de radicalisation.
Alors que plus de 400 enfants radicalisés revenant de la guerre irako-syrienne arrivent en France, il convient d'établir un rapport sur la façon dont ils sont ou vont être accueillis, pour savoir si le DASI est efficace. Dans le prolongement de ce rapport, le Gouvernement devra rédiger un projet de loi extrêmement clair sur la façon dont ces enfants, dont certains sont appelés les « lions du Califat » ou sont en voie de radicalisation, seront pris en charge.
L'amendement no 1175, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Laurence Vichnievsky, pour soutenir l'amendement no 1256 rectifié.
L'amendement no 1256 rectifié, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Erwan Balanant, pour soutenir l'amendement no 1257 rectifié.
Il s'agit là encore d'une demande de rapport.
Les chiffres concernant la maltraitance infantile sont accablants : en France, deux enfants meurent sous les coups et les tortures chaque semaine ; 73 000 cas de violences sur mineurs sont identifiés chaque année, soit 200 par jour ; 300 000 enfants sont pris en charge par l'aide sociale à l'enfance ; 7 000 viols sur des mineurs sont officiellement recensés chaque année, soit presque 20 par jour, ce qui représente 44 % des viols commis sur notre territoire.
Je vous épargne la litanie des chiffres, qui révèlent l'échec de notre politique de protection de l'enfance. Le présent amendement tend à prévoir l'évaluation régulière des dispositifs de protection des enfants, afin de pouvoir les réformer efficacement.
L'amendement no 1257 rectifié, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Rappel au règlement
Je souhaiterais obtenir une information, madame la présidente. Le rythme des débats s'accélère, et nous avons compris qu'il n'y aurait pas de vote solennel – ce que nous regrettons. Du coup, comment cela va-t-il se passer pour les explications de vote ? Y aura-t-il deux explications de vote de deux minutes chacune ou bénéficierons-nous d'une explication de vote globale pour les deux textes ? Pour être franc, je n'y comprends pas grand-chose !
Déjà, nous avons l'impression que ce texte si important sera voté en catimini.
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Eh oui, il est minuit moins le quart, chers collègues ! Les avocats seront en grève demain, parce qu'ils s'attendaient à un vote solennel. Or chacun va maintenant battre le rappel, nous n'aurons que quelques secondes pour nous exprimer et des députés qui n'ont pas suivi l'examen du texte se contenteront d'appuyer sur un bouton. J'aimerais donc en savoir un peu plus sur les explications de vote.
Monsieur Jumel, il y aura une explication de vote par groupe, comme sur chaque projet de loi.
Exclamations sur les bancs des groupes FI et GDR.
Après l'article 57
La parole est à M. Erwan Balanant, pour soutenir l'amendement no 1260 rectifié.
Il a pour objectif de demander un rapport étudiant la création d'un véritable statut juridique des médiateurs.
En effet, alors que le projet de loi étend les possibilités de recours aux modes alternatifs de règlement des différends, dont la médiation, les conditions pour exercer l'activité de médiateur restent particulièrement souples. Ainsi, l'article 131-5 du code de procédure civile dispose notamment que toute personne exerçant cette activité doit justifier « d'une formation ou d'une expérience adaptée à la pratique de la médiation », sans préciser davantage le niveau ou le contenu de la formation requise, son type, ni les modalités de contrôle de l'activité des médiateurs. Enfin, il convient d'étudier s'il est pertinent de compléter les dispositions juridiques relatives à la rémunération des médiateurs.
L'amendement rejoint mes propos sur le manque de clarté de la définition de la médiation, lequel affecte aussi la question de la formation. On a parlé des plateformes en ligne, mais la formation des médiateurs m'inquiète davantage que la certification des plateformes. Nous n'avons aucun intérêt à créer une nouvelle profession réglementée ; j'en ai bien conscience, et j'approuve à cet égard les arguments formulés il y a quelque temps par Mme la ministre. Mais il y a une formule à trouver pour homogénéiser la formation des médiateurs et conciliateurs, car un flou subsiste qui inquiète les représentants des différentes professions réglementées pratiquant la médiation. En outre, je ne sais au nom de quels arguments ma propre proposition de rapport a été repoussée et j'aimerais obtenir des éclaircissements sur ce point.
L'amendement no 1260 rectifié n'est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne, pour soutenir l'amendement no 1288.
Primordial pour la réinsertion, indispensable à l'effectivité des droits de l'homme, le respect des droits fondamentaux des personnes détenues subit pourtant des atteintes récurrentes et très préoccupantes. La liste des exemples est longue, de la violence psychologique des fouilles à nu – très répandues et le plus souvent inefficaces, mais toujours humiliantes – , qui conduit certains détenus à renoncer à leur droit de visite, à l'accès aux soins d'urgence en passant par les procédures disciplinaires, le traitement de la correspondance ou encore les sorties sous escorte. Les droits des détenus sont trop souvent bafoués. Porter plainte ou saisir les autorités de contrôle suppose souvent, pour les détenus, un parcours très dissuasif tant la peur des représailles est pesante. L'énumération de ces pratiques d'un autre âge s'allonge sans cesse au gré des témoignages de ceux qui les constatent, les vivent, les subissent au quotidien.
C'est tout l'univers carcéral, des détenus aux professionnels, qui est victime de flux ultratendus qui mènent au pire. Les hommes, les femmes, les mineurs placés en détention ne sont pas des sous-humains. C'est donc le devoir de la République – notre devoir – d'assurer le respect de leurs droits et de ceux de leur famille, dont l'isolement actuel n'est pas admissible.
Voilà pourquoi nous proposons que soit étudiée la possibilité d'installer dans chaque prison ou centre de rétention un référent permanent pour les droits fondamentaux, chargé d'accompagner les détenus comme l'administration sur la voie du respect effectif des droits, sous l'autorité indépendante du contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui est précisément à l'origine d'une recommandation en ce sens.
Nous proposons également la création d'un comité d'éthique au sein de chaque établissement, chargé de contrôler les pratiques professionnelles de l'administration et d'en produire des évaluations indépendantes.
L'amendement no 1288, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Pierre Dharréville, pour soutenir l'amendement no 1294.
Notre système pénitentiaire n'échappe pas au constat de l'état catastrophique de la psychiatrie en France ; au contraire, il en est l'une des illustrations les plus désolantes. Ainsi, près de 25 % de celles et ceux qui peuplent les prisons françaises sont atteints de pathologies psychiatriques.
Le repérage et le traitement médical de ces détenus est dramatiquement défaillant. La contrôleure générale des lieux de privation de liberté souligne cette aberration. Aucune étude épidémiologique globale visant à évaluer les véritables besoins en la matière n'a été effectuée auprès de la population carcérale depuis près de quinze ans.
Syndromes dépressifs, anxiété généralisée, troubles psychotiques et schizophrénie se sont hélas massivement installés en cellule. Nos prisons ont servi de palliatif à un accueil psychiatrique qui s'est désintégré : en quarante ans, le nombre de lits en psychiatrie a été divisé par deux et le nombre de non-lieux prononcés pour des raisons psychiatriques par quatre. Les unités spéciales qui ont ouvert depuis une dizaine d'années ne sont pas en état d'apporter une réponse suffisante, cohérente et systématique au phénomène de la maladie psychiatrique en prison, qui mène trop souvent au suicide.
La criminalisation croissante de la psychiatrie n'est pas sérieuse : c'est un non-sens. Elle met en danger la société comme les détenus, ne garantissant ni les soins nécessaires, ni la réussite de la réinsertion, ni l'efficacité de la lutte contre la récidive.
Par cet amendement, nous proposons donc la réalisation cette année d'un grand état des lieux de la santé mentale en prison et de son traitement, pour aller vers une vision nouvelle. Il est urgent de mettre fin à l'incarcération, telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui, des malades mentaux et de celles et ceux qui souffrent de troubles psychiatriques, car aucune peine d'enfermement ne saurait se substituer à une thérapie médicale ni en faire office.
Défavorable. Nous avons eu l'occasion d'expliquer tout au long du débat en quoi consistent l'ensemble des dispositifs que nous allons instaurer pour prendre en charge les détenus concernés.
L'amendement no 1294 n'est pas adopté.
Selon les données de la Chancellerie, plus de 14 000 détenus dans les prisons françaises sont étrangers. Nous demandons donc un rapport sur les accords bilatéraux conclus avec les pays dont des ressortissants sont emprisonnés en France, afin que tout étranger purge sa peine dans son pays d'origine.
Avis défavorable à cette vingt et unième demande de rapport.
L'amendement no 1578 n'est pas adopté.
Rappels au règlement
À la différence de notre collègue Jumel, nous n'avons pas baissé les bras.
Nous arrivons au terme de plusieurs dizaines d'heures de débat ; nous avons examiné des centaines d'amendements à ce projet de loi de programmation et de réforme pour la justice – ce n'est pas de la supériorité de l'eau chaude sur l'eau froide qu'il s'agit, mais bien de régir à l'avenir les relations entre nos concitoyens et d'assurer la paix dans notre pays. Or, de manière honteuse – il faut le dire – , c'est à minuit que nous allons passer au vote du texte puis à l'examen du suivant, alors même que l'ordre du jour a été bouleversé à de multiples reprises,
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM – « Il a raison ! » sur les bancs du groupe LR
N'agitez pas la main ainsi ! Vous avez choisi d'introduire une modification de l'ordonnance de 1945 en plein milieu de l'examen du texte,
Mêmes mouvements
après nous avoir dit en commission que cela ne ferait pas l'objet d'un débat !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR, sur plusieurs bancs du groupe FI et parmi les députés non inscrits.
Nous voulons un vote solennel sur ce texte ! Vous parlez d'une loi humaine, mais vous l'avez déshumanisée en ne permettant à personne de s'organiser !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Exclamations.
Tant que le mauvais règlement en préparation qui prive l'opposition de ses droits fondamentaux,
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI et LR, sur plusieurs bancs du groupe SOC et parmi les députés non inscrits
qui limite les rappels au règlement et qui ampute le droit d'amendement – bref, La République en marche au comble de la confiance en elle, et même de l'arrogance ! – n'est pas entré en vigueur, nous nous autorisons à faire des rappels au règlement puisque notre règlement l'autorise encore !
Le débat a été sérieux, je crois pouvoir le dire. La ministre a pris le soin et le temps de répondre à nos questions ; les discussions en commission ont été riches et intéressantes. Mais force est de constater que, sur plusieurs sujets, la majorité n'est pas parvenue à convaincre l'opposition,...
... notamment s'agissant des garanties de préservation de la justice, fonction régalienne de l'État, dans nos territoires.
Sur un texte aussi important, à la veille d'un jour où l'ensemble des avocats de France seront en grève – certains viendront d'ailleurs manifester devant l'Assemblée nationale – , il nous semble légitime et respectueux du peuple qui lutte, notamment des « robes noires », d'envisager un vote solennel. Ce vote, public, permet aux députés de se prononcer en toute connaissance de cause.
J'ai entendu des parlementaires de la majorité, une fois rentrés dans leur circonscription, dire que le texte est mauvais ; j'en connais même qui ont signé avec moi des courriers à Mme la garde des sceaux
Exclamations sur les bancs du groupe LR
... pour dire qu'ils ne laisseraient pas dépecer des tribunaux de plein exercice. J'aimerais qu'ils puissent joindre leur voix aux nôtres à l'occasion d'un vote solennel !
Sur un texte de cette importance, sur un projet de loi organique, un vote solennel s'impose.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.
Dans le prolongement des interventions de nos collègues et des nombreux rappels au règlement que nous avons pu entendre, notamment de la part d'Ugo Bernalicis et du président Mélenchon, nous tenons à appeler de nouveau la ministre et la majorité à être à la hauteur d'un projet de loi de programmation qui a été présenté comme fondamental et porteur d'une grande ambition pour la justice, donc à ne pas permettre qu'il soit voté dans ces conditions.
D'emblée, le débat parlementaire a été conçu de manière totalement déraisonnable. La durée qui lui a été attribuée au départ était de toute façon insuffisante. Nous l'avons dit dès la fin de la première semaine, lorsqu'il a été clair que nous ne parviendrions pas à en achever l'examen dans les délais qui nous étaient impartis, en tout cas pas de manière sereine et dans des conditions respectueuses du travail que nous avions toutes et tous fourni.
Nous vous avons prévenus, mais vous vous êtes entêtés dans votre vision selon laquelle ce que vous avez décidé doit s'appliquer sans plus de discussion.
Nous ne pouvons que constater de nouveau que le texte que nous allons voter aura d'importantes conséquences, très négatives, sur la vie de nos concitoyens, même s'ils ne s'en rendent pas nécessairement compte, ce sujet n'étant pas le plus facile à appréhender. Il me semble important...
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Non, je suis désolée, il ne vous reste rien du tout ! Vous deviez faire un rappel au règlement, mais vous parlez du fond.
Protestations sur les bancs du groupe FI.
C'était bien un rappel au règlement et il me restait plusieurs secondes !
Je vous rappelle qu'une conférence des présidents s'est tenue ce matin et qu'aucun président de groupe n'a alors demandé un vote solennel.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Protestations sur les bancs du groupe FI.
Arrêtez de nous ressortir toujours le même argument ! Nous avons demandé tout à l'heure que la conférence des présidents se réunisse en urgence !
J'applique le règlement, madame Obono ! Je ne suis pas d'accord avec vous !
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – M. Thierry Benoit applaudit également. – Exclamations sur les bancs du groupe FI.
Il est exactement minuit – minuit, précisément – , j'oserais dire : l'heure du crime.
Sourires.
Nous n'allons pas obtenir, je ne suis pas naïf, madame la présidente, un vote solennel. Nous avons demandé, à tout le moins, avec d'autres groupes, un scrutin public qui conférera tout de même un caractère solennel à ce vote. Mais l'histoire retiendra qu'après un long processus, des heures et des heures de débat, à minuit nous voterons cette réforme qui est sans doute la plus importante de la Ve République,
Protestations sur plusieurs bancs du groupe LaREM
au moins pour ce qui est de la réorganisation de la carte judiciaire, nous y reviendrons au moment des explications de vote.
Madame la présidente, au nom de mon groupe et pour marquer une césure entre les débats et le vote, je vous demande une suspension de séance d'une minute symbolique, pour ne pas prolonger la discussion – c'est la minute de silence que nous observerons pour cette justice mise à mal et sacrifiée.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupe LaREM et MODEM.
La séance, suspendue pendant une minute, est immédiatement reprise.
J'ai le sentiment que la présidente de la commission des lois était en train de vous dire qu'elle partageait pleinement notre analyse, madame la présidente.
Cela fait trois semaines en effet que l'ensemble des groupes le réclament.
Protestations sur quelques bancs du groupe LaREM.
Vous avez fait un autre choix, c'est votre droit le plus strict.
En politique, tout se paie. Et ce genre de vote en catimini, vous le paierez devant l'ensemble de la communauté judiciaire, …
… vous le paierez aussi devant les Français qui, ces derniers temps, ont exprimé avec force le désir de voir revisitées nos moeurs politiques.
Ce que la majorité fait ce soir, c'est immanquablement une erreur qu'elle devra assumer. Demain, il y aura une grève des avocats. N'ayez aucune crainte : nous irons les voir, …
… nous irons leur dire ce que vous avez décidé de faire, nous irons leur dire à quel point vous avez choisi de mettre à mal le service public de la justice et, une fois de plus, vous essayerez, trop tard, trop peu, avec un trop grand flou, de corriger cette énième erreur.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et LR et quelques bancs du groupe GDR.
Madame la ministre, nous parvenons à l'issue de l'examen du projet de loi. Quand je vous ai signalé que les professions judiciaires, les avocats, le conseil national des barreaux avaient déclaré que vous n'aviez retenu aucune de leurs propositions, vous m'avez répondu que vous alliez me prouver le contraire. Donc, je vous écoute.
Dans les explications de vote, la parole est à M. Stéphane Mazars, pour cinq minutes, comme pour chaque orateur.
M. Habib déclarait à l'instant que, demain, il irait rencontrer les avocats.
Je les ai pour ma part rencontrés hier, plus précisément à l'occasion de l'assemblée générale des avocats de mon barreau. Et, franchement, quand nous avons repris, autour de la table, les dispositions prévues par le projet de loi, les unes après les autres, tous les a priori, les idées arrêtées, les fantasmes se sont dissipés. Tous.
Vous nous disiez la même chose au sujet des gilets jaunes : « Tout va bien ! »…
On reproche aujourd'hui l'absence de vote solennel. Vous l'avez dit à l'instant, madame la présidente, et je ne fais que vous paraphraser : il suffisait pour les présidents des groupes de le demander en conférence des présidents.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes SOC, FI, GDR et LR.
Le groupe La République en marche va voter ce texte qui, il faut le dire, a intéressé assez peu de députés. En effet très technique, il n'en a pas moins été examiné de près par les membres de la commission des lois, presque tous très impliqués. En revanche, quand nous avons abordé l'organisation territoriale, l'opposition est venu grossir les bancs de l'hémicycle, se prévalant d'arguments selon lesquels nous allions créer de véritables déserts judiciaires. Je vais mettre tout le monde à l'aise – c'est un sujet qui a particulièrement retenu mon attention.
Je viens d'un département qui a été l'un des plus affectés par la réforme que vos prédécesseurs sur ces bancs – vous-mêmes, pour certains – ont votée il y a plusieurs années, la fameuse réforme Dati…
… qui y a en effet créé un véritable désert judiciaire. Dès que vous êtes venue en commission pour présenter votre projet de loi, madame la garde des sceaux, nous vous avons interpellée sur la nécessité de conserver un maillage judiciaire cohérent, efficient, sur la nécessité de ne plus créer de ces déserts judiciaires – situation à laquelle a partiellement remédié la garde des sceaux Taubira, il y a quelques années.
Nous y avons été attentifs et je puis vous rassurer, chers collègues, comme je l'ai fait avec mes confrères hier, comme je le fais aujourd'hui avec ceux qui nous écoutent et comme je le ferai avec mes confrères qui se mettront en grève demain : je vous l'assure, aucun lieu de justice ne sera fermé, ce que d'ailleurs la garde des sceaux a dit déjà et répété à de multiples reprises,
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM – Exclamations sur les bancs du groupe LR
ce qui avait également été souligné au cours des travaux préparatoires et lors de l'examen du texte en commission. Il y a à ce sujet un véritable fantasme, alimenté à l'envi par tout un chacun pour créer un trouble sur ce texte alors que, franchement, il n'y a pas matière à s'inquiéter de la création d'un quelconque désert judiciaire.
Ensuite, nous éloignerions le justiciable du juge, nous déshumaniserions la justice. Quand on crée la possibilité, demain, de déposer des plaintes en ligne, cette procédure n'a rien d'exclusif, on offre seulement une nouvelle porte d'entrée aux victimes, si je puis dire. On permet de porter plainte à des gens qui ne veulent pas ou ne peuvent pas aller dans un commissariat ou une gendarmerie, des gens pour lesquels cette démarche n'est pas facile.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Je pense aux femmes victimes de violences conjugales ou d'agressions sexuelles, qui pourront ainsi saisir un procureur des faits. C'est cela, le texte, et rien d'autre.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LaREM.
Nous créons la cour criminelle départementale, qui s'intercalera entre le tribunal correctionnel et la cour d'assises et qui permettra demain de juger des femmes victimes de viol et qui aujourd'hui sont obligées de passer…
… devant un tribunal correctionnel pour des crimes qui sont correctionnalisés.
On coupe son micro à M. Stéphane Mazars dont on n'entend pas les derniers mots. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Je commencerai, au nom du groupe Les Républicains, par quelques mots sur la forme. On l'a dit, ce texte a été examiné de façon laborieuse, très laborieuse, non pas que vous ayez été absente des débats, madame la garde des sceaux, on peut même saluer, et je le fais bien volontiers, une forme d'écoute, votre courtoisie, votre conscience, bref, aucun procès ne pourrait vous être intenté sur ce plan et, j'y insiste, je le dis vraiment sincèrement.
Reste que l'examen du texte, à cause des événements, a été saucissonné et, faute d'une sérieuse évaluation de ce qu'est le travail parlementaire, sans cesse repoussé, alors qu'il était évidemment prévisible que quelque 1 600 amendements ne pourraient être examinés en trois jours et deux ou trois nuits. Un peu d'expérience aurait permis d'éviter ce genre de saucissonnage. On aurait pu le comprendre il y a dix-huit mois, on le comprends un peu moins facilement dix-huit mois plus tard. Cela s'appelle l'apprentissage, le recul…
J'en viens au fond. Si le sujet ne prêtait pas à autant de sérieux, je pourrais presque paraphraser Henri Rochefort…
… qui, du temps de Napoléon III, disait que la France comptait 36 millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement – le chiffre serait aujourd'hui de 65 millions. Eh bien, par ce texte, vous ajoutez du mécontentement au mécontentement dans une période qui déjà n'en manque pas.
Vous dites vouloir rapprocher la justice de nos concitoyens. En réalité, l'essentiel du texte l'en éloigne. Ce n'est pas le recours au numérique en tant que tel qui pose problème mais son recours excessif qui va laisser au bord du chemin un nombre important de nos concitoyens.
Pas seulement les plus modestes, ceux qui maîtrisent éventuellement mal internet, pas seulement ceux qui ne possèdent pas l'installation nécessaire, mais une partie, aussi, de ceux qui, aujourd'hui, habitent dans un désert numérique, mais une partie, encore, de ceux qui préfèrent avoir un contact direct, même si, je l'entends bien, il y a des solutions alternatives, parce que, face à certaines difficultés, à des dépôts de plainte, on préfère avoir affaire à quelqu'un plutôt qu'au clavier, à l'écran ou à la souris.
L'article 53 renforcera du reste cet éloignement : à ressort constant un tribunal judiciaire résultera de la fusion entre les tribunaux d'instance et les tribunaux de grande instance – une réforme comme on n'en a pas vu depuis 1958 ! On nous a asséné que la réforme Dati avait été une réforme importante de la carte judiciaire, sans doute, mais la carte était précise.
Nous avons en préparation, peut-être pas pour demain matin, peut-être pas pour demain soir – je rappelle que, demain, les avocats manifesteront dans tous les barreaux, depuis l'Aveyron jusqu'à Paris, place Édouard-Herriot et ailleurs – , une disparition programmée, vraisemblablement, d'un certain nombre de points de justice. Une disparition, oh, rassurez-vous, chers collègues, lente, qui ne se verra presque pas. C'est la disparition par évaporation. C'est le fameux syndrome de la grenouille, vous savez, ce petit animal qui, parfois, n'en déplaise à ceux qui entendent qu'on respecte les animaux, doués de sensibilité, ce petit animal, donc, qui, plongé dans l'eau bouillante, va se débattre mais qui, plongé dans une eau froide qu'on chauffera tout doucement, s'endormira… Eh bien, j'ai l'impression que vous prenez les Français pour des grenouilles qui vont se laisser endormir. Tout cela pour dire que nous considérons que vous organisez un vrai éloignement entre le justiciable et le juge. Par évaporation, la carte judiciaire risque d'être révisée.
Ajoutons-y un éloignement assez fort parce que la justice n'est pas inclusive, et je terminerai dans quelques instants, madame la présidente…
Le micro de M. Philippe Gosselin est coupé, si bien que l'on n'entend pas la fin de son intervention. – Protestations sur les bancs du groupe LR.
Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés relève que trois sujets de ce texte méritent vigilance.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Outre la vidéo-audience, dont nous avons largement débattu et à propos de laquelle nous avons exprimé notre désaccord, nous nous interrogeons sur le système s'appuyant sur la CAF pour la révision des pensions, ainsi que sur les compositions pénales.
Toutefois, ce texte comporte de vraies avancées, et d'abord – je m'étonne que nos amis des Républicains ne l'aient pas souligné – une véritable avancée budgétaire : les crédits de la justice augmenteront de presque 25 % d'ici la prochaine échéance présidentielle. Ce n'est pas anodin ! C'est un vrai effort qui, dans ce contexte difficile pour nos finances publiques, doit être salué.
Par ailleurs, je me pose des questions sur l'attitude des Républicains.
Vives protestations sur les bancs du groupe LR.
J'ai retrouvé sur internet le programme du candidat Fillon, ce qui n'est pas facile car le site officiel n'existe plus. Dans le programme de M. Fillon, …
Mêmes mouvements.
… j'ai vu des dispositions sur lesquelles, pendant les longs débats que nous avons eus, leur opposition a été acharnée, alors qu'elles s'y trouvaient écrites noir sur blanc !
Protestations prolongées sur les mêmes bancs.
Il faut montrer un peu de cohérence !
Je vous parlerai aussi du choix fait par le Gouvernement et la majorité de ne fermer aucun tribunal dans notre territoire. Ce texte conserve le maillage que vous aviez, les uns et les autres, au cours des années, largement abîmé.
Mêmes mouvements.
Je suis issu d'un territoire qui, jusqu'à récemment, avait un tribunal d'instance. Je regrette que la philosophie de cette réforme, qui est de ne fermer aucun lieu de justice, n'ait pas inspiré Mme Dati
Protestations véhémentes sur les bancs du groupe LR
car chez moi, à Quimperlé, j'aurais la chance d'avoir encore un tribunal !
Brouhaha.
Alors oui, madame la garde des Sceaux, en dépit des quelques divergences que nous avons, nous allons voter ce texte qui conporte des avancées et qui permet, contrairement aux mensonges qui ont été assénés
Mêmes mouvements.
et ne feront jamais une vérité, de rapprocher le citoyen du juge, parce que celui-ci aura plus de temps disponible, que la carte sera mieux organisée et que les nouvelles technologies feront gagner du temps pour aller plus vite dans certains contentieux.
Madame la garde des Sceaux, je vous remercie pour ce texte que nous voterons avec enthousiasme.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Protestations sur les bancs du groupe LR.
Nous avons dernièrement voté un texte relatif au droit à l'erreur : si les membres de la conférence des présidents en avaient fait usage, un vote solennel aurait pu être organisé. Vous voyez donc que vous êtes vous aussi contraints par des règlements que vous ne parvenez pas à alléger, car se priver d'un tel vote pour un texte de cette nature est extrêmement regrettable.
Les observations que je fais au nom du groupe Socialistes et apparentés portent d'abord sur la méthode : non seulement l'agenda a été bouleversé et le rythme a été bousculé, mais l'opposition comme le Sénat ont été exclus du débat. Au bout du compte, ce texte d'administration, dépourvu d'âme, creuse le sillon de ce que nous avions fait en 2015 et 2016, retenant certes parfois quelques éléments positifs mais aussi, hélas, ceux auxquels nous aurions aimé mettre un frein. Je pense en particulier à la médiation que nous avions envisagée de manière facultative et à laquelle vous donnez un caractère obligatoire.
Vous étendez par ailleurs les déserts juridiques. Si on ne les voit encore, les dispositifs que vous avez adoptés en dépit de nos mises en garde permanentes conduiront à terme à la suppression d'un TGI sur deux dans les départements concernés ainsi qu'à la disparition de chambres détachées. Cela transparaît dans ce texte et c'est ce qui nous inquiète.
Contrairement à ce que vous prétendez, ce projet de loi écarte du juge les justiciables, particulièrement les plus modestes, et éloigne de la justice les citoyens, en remplaçant la cour d'assises par la cour criminelle. Quelle erreur, au moment même où les citoyens expriment dans la rue leur volonté de participer à la vie publique !
Nous aurions aimé voter ce texte mais nos espérances se sont brisées sur plusieurs éléments sur lesquels vous n'avez pas voulu bouger. Le premier d'entre eux est la CAF : vous avez creusé le sillon qui sépare le justiciable du juge en organisant la possibilité d'une décision administrative en cas de désaccord entre deux parties. C'est là un point de départ vers une justice qui s'éloigne du justiciable.
Nous regrettons le recours au notaire pour des actes payants qui pouvaient trouver leur sens auprès de greffes renouvelés. Là aussi, nous avions fait en 2016 une erreur que nous aurions aimé vous voir corriger.
Enfin, nous déplorons la dématérialisation sans véritable garantie, en dépit de nos demandes, d'une présence humaine alternative.
Au pénal, plus grave encore est l'extension des techniques exceptionnelles d'enquête aux délits et aux crimes punis de trois ans de prison. Le référent des chantiers de la justice sur ce point, procureur général honoraire, proposait plutôt un seuil de cinq ans. Nous sommes sur cette ligne, mais vous avez refusé de nous suivre.
Je citerai encore le recours à la visio-conférence sans l'accord du détenu, l'élargissement du champ de la composition pénale et le hiatus entre la volonté de proposer d'autres possibilités au juge et l'absence de moyens suffisants pour lui garantir d'y recourir rapidement.
Ce texte déstructure l'organisation de la justice.
Les greffiers, grands professionnels, chevilles ouvrières indispensables aux magistrats, sont aussi les principaux oubliés de ce plan de programmation. Le rôle du juge est recentré sans prise en considération des autres acteurs de la justice que sont les avocats…
En abordant l'examen de ce texte, les députés du groupe UDI, Agir et indépendants avaient beaucoup d'espoirs car vous semblez désireuse, madame la garde des sceaux, d'aborder un grand nombre de sujets concernant notre organisation judiciaire.
Malheureusement, nos espoirs ont été déçus, d'abord à cause de l'organisation de nos débats qui ont été tellement saucissonnés et hachés que nous n'avons pu prendre toute la mesure de ce texte. Nous l'avons dit à de nombreuses reprises : les travaux de cette assemblée méritent mieux qu'une organisation au jour le jour ne permettant pas de savoir si la discussion d'un texte sera poursuivie le lendemain ! Nous devons tous ensemble nous efforcer de corriger cela.
Vous avez passé du temps, madame la garde des Sceaux, à participer à nos travaux, j'en conviens, mais tout au plus une vingtaine d'amendements de l'opposition, sur les 1600 qu'elle avait déposés, ont été adoptés. C'est très peu, d'autant que les amendements retenus concernaient le plus souvent des dispositions assez marginales.
Pour ces raisons, nous sommes déçus. Je vais maintenant revenir sur certains points de ce texte, et d'abord sur la réforme de l'ordonnance de 1945. Passé l'effet de surprise et au vu de l'urgence de réformer, nous ne nous sommes pas opposés à la procédure d'habilitation. Toutefois, j'insiste sur le fait que nous n'aboutirons qu'à la condition que tout le monde soit associé et que les ordonnances soient préparées de façon véritablement collective par vos services et par le parlement. Ce sujet mérite que nous montrions par un travail collaboratif que nous sommes capables de travailler tous ensemble.
Malgré tous les écueils dont nous avons longuement débattu, et au-delà de la multiplicité des thèmes abordés, nous ne devons pas perdre de vue que ce sont in fine les libertés individuelles, la protection des plus vulnérables et le maintien de l'égalité entre les justiciables qui sont en jeu. Une seule question doit primer : quelle justice voulons-nous pour notre pays ? Souhaitons-nous une justice sans juge, éloignée des justiciables et obéissant à des impératifs de management ? Ou voulons-nous une justice à la hauteur de sa mission, qui se présente comme un pouvoir régalien fort et respectable ?
À la lecture de ce texte, et d'après ce qui est ressorti de nos débats, la réponse à cette question ne peut être que nuancée. Certains éléments concourent à rendre la justice plus efficace et plus moderne : la numérisation est ainsi une bonne chose, de même que la simplification du parcours procédural des victimes de terrorisme, un certain allégement de la charge du juge, principalement par des transferts de compétence et, surtout l'amélioration des moyens de la justice au travers d'une loi de programmation longtemps attendue.
Toutefois, de nombreuses lacunes demeurent, qui font pencher la balance du mauvais côté. Si nous reconnaissons que des efforts sont faits, nous aurions souhaité que le budget alloué à la justice soit supérieur. Cela aurait été l'occasion de nous placer au niveau de nos voisins européens : je pense que nous aurions pu financer notre justice au même niveau que nos voisins espagnols.
Au-delà, le problème majeur de ce projet de loi tient à ce qu'il ne dit pas. En effet, sa philosophie générale et de long terme pose question. Les objectifs présentés paraissent satisfaisants pour corriger les difficultés d'une justice à bout de souffle mais, à y regarder de plus près, de nombreuses zones d'ombre subsistent. Quelle conséquence de l'échec d'une médiation pour les étapes suivant un litige ? Quel contrôle des médiations en ligne pour assurer que les droits des parties sont respectés ? Quelle garantie d'accès au juge ? Que deviendront les tribunaux vidés de leur substance par la spécialisation et la fusion ? Jusqu'où seront banalisées des techniques d'enquête qui n'auront finalement plus rien d'exceptionnel ?
Je ne poursuis pas cet inventaire. Je l'ai dit, nous avions beaucoup d'espoirs et ils ont été déçus. Les députés du groupe UDI, Agir et indépendants ne voteront pas ce texte en l'état, dans l'espoir que nos travaux futurs nous permettront d'améliorer ensemble notre justice.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI, Agir et indépendants.
Nous arrivons au terme de la discussion de ce texte, dont l'examen a été long et fastidieux, notamment en raison d'une organisation de nos travaux que je déplore, comme de nombreux collègues.
Les premières interrogations du groupe la France insoumise portent sur le budget. Jamais un budget du ministère de la justice n'a été aussi élevé : 5 % d'augmentation par an, 3 milliards en quatre ans, c'est extraordinaire ! Pourtant, lors des débats, vous n'avez eu de cesse de faire diminuer le nombre de dossiers, de faire en sorte que le justiciable aille moins devant la justice et passe plutôt par le notaire ou ait recours à une médiation. Comment cela se fait-il ? Où va l'argent ? Où vont ces 3 milliards ? Eh bien, dans les prisons : 1,7 milliard pour les prisons, 0,5 milliard pour le logiciel qui manque cruellement au ministère de la justice – il était temps ! – , et il reste quelque 800 millions pour payer l'inflation, les charges de fonctionnement des futures prisons et les rénovations des prisons existantes. Finalement, il ne restera plus grand-chose pour la justice elle-même…
L'enjeu aurait pourtant été, plutôt que de construire des places de prison, de revoir l'échelle des peines et de mettre en place le triptyque nécessaire et moderne constitué par l'amende, la peine de probation autonome et la peine de prison. Or, nous nous arrêtons au milieu du gué, faisant comme s'il existait une peine de probation autonome, alors qu'il n'y a que le bracelet électronique et un sursis probatoire dont le nom dit bien qu'on a du mal à rompre avec cette monnaie virtuelle et interne au code pénal et au code de procédure pénale qu'est la prison.
Par ailleurs, votre texte éloigne le justiciable de la justice et du juge, à cause, tout d'abord, de toutes les médiations rendues obligatoires. Personne dans cet hémicycle n'est opposé aux médiations et au fait que les gens se mettent d'accord, mais nous convenons aussi qu'il faut avoir un accès direct au juge, sans frein ni filtre et, surtout, qu'il ne faut pas renvoyer à des systèmes payants des procédures qui étaient auparavant gratuites. La voie de la conciliation, qui est la seule gratuite, est finalement la plus encombrée et on refuse de se fixer dans ce texte des objectifs en la matière, les amendements déposés en ce sens ayant été rejetés.
De la même manière, on renvoie vers le notaire des procédures qui étaient précédemment gratuites et on donne à la Caisse d'allocations familiales – CAF – la possibilité de modifier la décision initiale d'un juge, ce qui est une première dans notre droit – et je crains que cette trouvaille ne laisse la porte ouverte à d'autres.
La visio-audience ou visioconférence éloigne elle aussi le justiciable de la justice, sans compter la réorganisation judiciaire, qui passera, dans un premier temps, par une spécialisation concernant des procédures à haute technicité et à faible volumétrie, pour amadouer le badaud – « amadouer la grenouille », comme dirait un de nos collègues. Finalement, certains contentieux ne seront plus traités au tribunal proche de chez vous, et peu importe que cela ne concerne que de faibles volumes. Je ne suis pas ici pour faire la loi pour 95 % des Français, en laissant de côté les 5 % restants. Ça ne m'intéresse pas. Nous faisons la loi pour tout le monde, pour toute la justice et pour l'accès de tous au droit.
Qui plus est, cette réorganisation éloigne le justiciable – ou, plutôt, le citoyen – de la justice, avec la création de la cour criminelle départementale, qui met purement et simplement fin à l'intervention des jurés. Vous verrez qu'à la fin, la cour d'assises n'existera plus que comme un vestige, dans un coin, pour nous rappeler qu'il fut un jour où la justice n'était pas seulement rendue au nom du peuple français, mais avec lui, ce qui permettait à cette devise de s'incarner parfaitement.
Nous venons de modifier par ordonnance l'ordonnance de 1945, ce qui est peut-être un comble, et avec des méthodes étranges – au moyen d'un amendement déposé en cours de débat. On vient en outre nous dire que c'est pour discuter de choses qui arriveront dans six mois en vue d'un texte qui s'appliquera dans un an. Pourquoi fonctionner ainsi ? Pourquoi tant de violence et de précipitation ?
Enfin, le code de procédure pénale fait de l'exceptionnel la généralité, avec les techniques spéciales d'enquête qui font des procureurs de la République des personnages tout-puissants, qui peuvent se livrer à un certain arbitraire.
Finalement, madame la ministre, il s'agit d'un texte de boutiquière de la justice, où l'austérité rejoint l'autoritaire, et même le sécuritaire. On n'y trouve pas d'idée de la justice, mais seulement une gestion comptable d'un ministère comme un autre. C'est pourquoi, parce que nous nous avons une haute idée de la justice et de la lutte contre les injustices, nous voterons contre ce projet de loi.
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.
Je ne sais pas si vous connaissez Orelsan, ce rappeur normand qui a grandi loin des métropoles.
Sous forme de clin d'oeil, je vais vous tenir, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, un discours simple, où je vous dirai des choses simples.
Face à un service public de la justice en état d'urgence absolue, un véritable plan Marshall s'impose. De grèves reconductibles en journées mortes dans la justice, la mobilisation inédite des professionnels s'est amplifiée pour vous alerter, jusqu'à demain. « Simple ».
L'augmentation du budget d'ici 2022 et la ventilation des crédits ne sont pas satisfaisantes. La France consacre moins de 66 euros par an et par habitant à son système judiciaire, contre 122 euros pour l'Allemagne, et 48 euros seulement par an et par habitant aux tribunaux. « Basique ».
Il faut augmenter le nombre de magistrats et de personnels de la justice pour assurer l'accès de tous les citoyens au droit. Si la déjudiciarisation peut être opportune dans quelques situations, elle ne peut en aucun cas s'effectuer au profit d'opérateurs privés. Simple.
La réforme prévoit la restriction du périmètre d'intervention du juge, en limitant et en amputant des contentieux de masse. Au lieu de pallier le manque de personnel essentiel aux activités de médiation et de conciliation, votre projet de loi développe des modes alternatifs au règlement en ligne et consacre l'ouverture d'un marché du règlement des litiges. Basique.
La numérisation ne permet ni une justice de proximité ni une justice plus simple, mais elle aggrave les inégalités. Elle devrait garantir à tous les citoyens une alternative aux procédures dématérialisées. La fracture numérique, comme l'ont montré nos débats, est de nature à aggraver les difficultés d'accès au droit pour le citoyen en fonction de son origine sociale, de son handicap ou de son illettrisme. Simple.
Le projet de loi porte atteinte au principe de gratuité et d'accessibilité du service public. Il préconise la mise en oeuvre de procédures dématérialisées et numériques dès le stade du pré-contentieux. Il instaure pour les litiges du quotidien, les petits litiges, une procédure entièrement dématérialisée. Il crée une juridiction nationale des injonctions de payer, qui confiera à cinq magistrats le soin de traiter annuellement 500 000 dossiers d'injonction de payer. C'est symptomatique de votre logique déshumanisée, éloignée et désincarnée. Basique.
Lorsque le contrôle du juge recule, la loi du plus fort s'installe. La pension alimentaire ayant été fixée par le juge en fonction d'une situation donnée, des besoins de l'enfant et des revenus du père ou de la mère, il nous apparaît nécessaire qu'un nouveau débat judiciaire s'ouvre entre les parties devant le juge pour modifier cette pension alimentaire. Simple.
Le Gouvernement transfère à la CAF le pouvoir de réviser le montant des pensions alimentaires. Cela constituera, nous le craignons, une entrave à l'accès au juge et rien n'indique que les CAF départementalisées seront plus rapides pour assurer un service aux usagers. Basique.
L'ordonnance de 1945 donne la priorité à l'éducatif, sans éluder le besoin de sanctions et en consacrant le rôle du juge pour enfants. Cette ordonnance exprime tout l'esprit de l'approche adoptée par notre pays dans le traitement de l'enfance en danger et de l'enfance délinquante, une approche dont nous devons être fiers. Simple.
Madame la garde des sceaux, vous annoncez subitement une réforme, sans débat au Parlement, pour accélérer les jugements des mineurs. Vous considérez les enfants comme des adultes en miniature, alors que l'ordonnance de 1945 les voit comme des adultes en devenir. Basique.
Une vraie justice de proximité implique le maintien des tribunaux d'instance comme une juridiction autonome, afin de de garantir leur rôle de médiateur social. Les juges d'instance sont spécialisés dans les contentieux sans gloire, comme nous les avons appelés, où la précarité économique et psychologique est déterminante. Cette justice populaire doit être à tout prix conservée. Cela paraît simple.
La mutualisation des contentieux au sein des TGI aboutira à la dégradation des délais de traitement, à la complexification de l'accès au juge et à une réorganisation qui videra de leur substance nos tribunaux. Basique.
Votre réforme, en un mot, est loin de répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés. Elle restreint, en pratique, l'égalité devant la loi. Un vote simple et basique : un vote contre.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.
Je commencerai par relever qu'au-delà de la rigueur du règlement, derrière lequel vous vous réfugiez, c'est, en refusant le symbole du vote solennel, un manque de considération que nous exprimons à tous ceux qui assurent le fonctionnement quotidien de notre justice. Nous leur devions cette solennité. Vous la refusez.
Applaudissements et approbations sur les bancs du groupe LT et sur plusieurs bancs du groupe LR.
Au nom du groupe Libertés et territoires, je veux aussi vous faire part de notre déception face à ce rendez-vous manqué qui aurait dû rendre notre justice plus proche des justiciables, plus efficace et propre à garantir les libertés publiques. Guidée par la logique de Bercy, vous soumettez au vote de l'Assemblée nationale une réforme marquée par une approche essentiellement comptable et technocrate, déconnectée de la vie des Français et de ceux qui la font vivre au quotidien.
Madame la garde des sceaux, comment ne pas être inquiets de la justice de demain qui vous est finalement imposée ? Elle restreint l'accès de nos concitoyens à la justice et renforcera, à terme, la désertification judiciaire. Vous vous en êtes défendue tout au long des débats mais, en réalité, ce n'est pas vous qui, demain, dessinerez les futures cartes judiciaires – qui, de surcroît, évolueront au gré des humeurs des chefs de juridiction. En fusionnant les tribunaux d'instance et les TGI, vous piétinez délibérément et de manière assumée la justice de proximité, et donc la notion même de service public de la justice.
M. Ugo Bernalicis applaudit.
De plus, en instaurant une dématérialisation des procédures et, plus largement, de la justice, vous mettrez également certains de nos compatriotes dans l'incapacité d'accéder à la justice, ou en situation de n'y accéder que très difficilement. En effet, si la fracture numérique diminue dans un nombre croissant de territoires, celle des usages est bien réelle. Tout le monde n'est pas en mesure d'être un justiciable 2. 0.
Approbations sur les bancs du groupe LT.
Le groupe Libertés et territoires insiste également sur la nécessité de bien encadrer l'utilisation des décisions de justice, notamment en appliquant un principe de transparence dans l'élaboration des algorithmes de justice prédictive. En effet, si vous rendez les décisions de justice accessibles à tous en ligne, les legaltech s'engouffreront dans cet open data judiciaire pour proposer une justice prédictive, avec tous les risques que cela peut comporter en termes d'accès à la justice et de respect des libertés publiques. Ces technologies doivent rester des outils au service de la justice, et non pas nous conduire vers une justice virtuelle, déshumanisée, biaisée et peu transparente. L'humain doit garder la main.
Par ailleurs, notre groupe ne peut accepter de voir mis à mal les droits de la défense, alors que, comme le relevait justement Guy Carcassonne, les respecter n'est pas une charité, mais un devoir ; pas un don, mais une obligation. Au cours de nos débats, notre assemblée a eu l'occasion de vous alerter sur les effets potentiellement attentatoires de ces mesures à ce droit fondamental. Avec le remplacement des jurés d'assises par des juges dans les tribunaux criminels départementaux, on oublie que la justice est rendue au nom du peuple français – et je ne parle même pas du renforcement des pouvoirs du parquet.
Nous sommes le pays des droits de l'homme à l'exportation, comme sait le rappeler justement Me Dupont-Moretti. Je crains que nous ne renforcions cette position avec ce texte. C'est pourquoi le groupe Libertés et territoires ne peut cautionner une réforme qui contribue à l'éloignement des justiciables et des juridictions, et porte atteinte à l'efficacité de la justice dans chaque territoire. Nous ne pouvons soutenir une réforme qui affecte le service public de la justice, ne reconnaît pas et n'accompagne pas l'engagement des professionnels du droit et affaiblit les droits des justiciables.
Madame la garde des sceaux, votre réforme n'est pas celle d'un juste équilibre entre prévention, répression, réinsertion et réparation. Elle n'est pas celle d'une justice digne d'une démocratie moderne.
Je terminerai en relevant que j'ai du mal à comprendre les arguments défendus par mes collègues de la majorité qui ont exercé ou exercent encore ce beau métier. Nous n'avons pas la même conception de celui-ci, qui est de défendre d'abord les plus fragiles. C'est la raison pour laquelle nous voterons contre ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT et sur plusieurs bancs des groupes LR, SOC, FI et GDR.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 177
Nombre de suffrages exprimés 171
Majorité absolue 86
Pour l'adoption 88
Contre 83
Le projet de loi est adopté.
Mouvements divers.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue le mercredi 12 décembre 2018 à zéro heure quarante-cinq, est reprise à zéro heure cinquante.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions (nos 1350, 1397).
Ce texte a fait l'objet d'une présentation et d'une discussion générale communes avec le projet de loi de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi organique.
Par cet amendement d'appel, nous proposons de renforcer les garanties d'indépendance des magistrats, en particulier du parquet, durant le déroulement de leur carrière. Il est proposé qu'après cinq ans d'exercice dans des fonctions au siège ou au parquet, les magistrats choisissent définitivement l'une ou l'autre de ces fonctions.
Cet amendement d'appel, qui permet donc de mieux garantir l'indépendance des magistrats dans leur carrière, vise à soulever le même débat que notre amendement proposant que l'aller-retour entre siège et parquet ne soit possible qu'après un sas d'exercice au siège ou au parquet de cinq années.
L'objectif est d'éviter une confusion liée aux allers-retours entre la fonction de procureur de la République, qui requiert la justice, et celle de juge, qui rend la justice. Une fois ces cinq années passées, l'intégralité de la carrière d'un magistrat devra ainsi être effectuée au sein du siège ou au sein du parquet. Cette mesure permettra d'éviter que, lors de ces allers-retours, un magistrat du parquet voie son avancement de carrière facilité par sa proximité avec le pouvoir exécutif, par exemple.
La parole est à Mme Laetitia Avia, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour donner l'avis de la commission sur cet amendement.
Protestations.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à zéro heure cinquante-cinq, est reprise à zéro heure cinquante-huit.
Rappels au règlement
Ce rappel au règlement porte sur le déroulement de nos débats. Que Mme la rapporteure ait envie de sortir est une chose, mais il semblerait que la majorité soit un peu à la peine et que les groupes d'opposition soient majoritaires dans notre hémicycle. Nous n'allons peut-être pas suspendre la séance régulièrement pour que la majorité puisse se réunir !
Je reconnais que le score assez extraordinaire de quatre-vingt-huit voix pour et quatre-vingt-trois voix contre, lors du scrutin public sur l'ensemble du projet de loi ordinaire, a marqué les esprits. Nous avons bien senti que la majorité avait les yeux qui piquaient un peu et qu'elle n'en revenait pas !
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Il faut sans doute appeler les réservistes de la majorité qui étaient à l'Élysée ce soir – peut-être les derniers ne sont-ils pas encore rentrés…
Alors que nous restons, dans cette enceinte, disciplinés et prêts à travailler, il serait bon que la majorité, elle aussi, fasse le job et continue le travail à cette heure avancée, à laquelle nous suspendons habituellement nos travaux.
Le projet de loi ordinaire a été adopté à quatre-vingt-huit contre quatre-vingt-trois : il s'en est fallu de peu !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs des groupes SOC et LT. – M. Jean Lassalle applaudit également. – Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Vous auriez vraiment mieux fait d'accepter un vote solennel : vous auriez eu l'air moins ridicule ! Franchement !
Cela aurait été moins ridicule que de demander des suspensions de séance parce que vous n'êtes pas à l'heure !
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
« Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes », ai-je entendu tout à l'heure. Alors ?
Vives exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Je demande une suspension de séance pour que les uns et les autres retrouvent leurs esprits et que nous puissions continuer tranquillement le débat !
Mêmes mouvements.
Mes chers collègues, je veux bien donner la parole aux représentants des différents groupes pour des rappels au règlement, à condition qu'il s'agisse réellement de rappels au règlement.
Monsieur Bernalicis, j'ai donné la parole à M. Jumel, mais vous pourrez bien entendu demander une suspension de séance.
Monsieur Jumel, vous avez la parole.
Mon rappel au règlement porte sur l'organisation de nos débats : c'est le bordel organisé !
Applaudissements et rires sur les bancs des groupes GDR, FI et LR.
Elle a complètement perdu le cap, incapable de défendre un texte aussi déterminant.
Protestations sur les bancs du groupe LaREM.
Quatre-vingt-huit contre quatre-vingt-trois, c'est vraiment un très mauvais score pour vous ! C'est le début de la fin !
Je demande une suspension de séance pour permettre aux députés de la majorité de reprendre leurs esprits.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à une heure, est reprise à une heure deux.
La séance est reprise.
La parole est à M. Olivier Falorni, pour un rappel au règlement.
Nous venons de vivre à nouveau un moment assez hallucinant. Après un vote où la majorité est apparue extrêmement étriquée, la séance était reprise depuis à peine une minute que l'on demandait une suspension de séance, pour commodité de groupe : il fallait empêcher l'adoption de l'amendement de M. Bernalicis en laissant aux députés du groupe majoritaire le temps de revenir.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT et sur plusieurs bancs des groupes LR et FI.
De qui se moque-t-on ? Nous avons voté à plus de minuit une réforme de la justice censée être très importante. Elle est passée à une infime majorité, et voilà que l'on suspend la séance dès que les députés de La République en marche ne sont plus assez nombreux dans l'hémicycle ! C'est scandaleux !
Je demande une suspension de séance de deux minutes.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à une heure quatre, est reprise à une heure cinq.
La séance est reprise.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour un rappel au règlement.
Qui se fonde sur l'article 58, alinéa 1, de notre règlement relatif à l'organisation de nos débats.
Je voudrais connaître, madame la présidente, votre interprétation des articles 49-1 et 50 de notre règlement, qui figurent au chapitre XII intitulé « Tenue des séances plénières ». Il y est précisé que l'Assemblée tient séance jusqu'à une heure du matin et qu'il ne peut être dérogé à cette règle que si l'examen d'un texte est en cours. Etant donné que nous examinons désormais le projet de loi organique, et non plus le projet de loi ordinaire, j'aimerais connaître votre interprétation du règlement.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Pour vous laisser le temps d'examiner tout cela, je vous demande une suspension de séance d'au moins dix minutes – c'est le temps nécessaire, me semble-t-il.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à une heure six, est reprise à une heure huit.
La séance est reprise.
En réponse à votre question, monsieur Gosselin, je vous indique que nous avons commencé la discussion des articles du projet de loi organique – vous n'étiez peut-être pas dans notre hémicycle tout à l'heure. Nous étions en train d'examiner l'amendement no 3 , qui a été défendu par M. Bernalicis.
Je vous propose justement de reprendre la discussion des articles du projet de loi organique.
Si vous le souhaitez, monsieur Gosselin. Mais il y a un moment où nous devrons reprendre le cours de nos débats.
Vous avez la parole, pour un rappel au règlement.
Madame la présidente, ces deux textes font l'objet d'une discussion commune. Je vous demande donc avec solennité à quelle heure nous avons commencé l'examen des articles du projet de loi organique.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
C'est très important, puisque c'est de cette heure que dépend notre possibilité de siéger !
Comme vous le savez, monsieur Gosselin, la discussion générale sur ces deux textes s'est tenue il y a une quinzaine de jours. Ce soir, à minuit cinquante, nous avons commencé la discussion de l'amendement no 3 portant article additionnel avant l'article 1er, qui a été soutenu par M. Bernalicis. Nous attendons maintenant l'avis de la commission et du Gouvernement sur cet amendement.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.
Avant l'article 1er
Mon explication vaudra pour nombre d'amendements qui seront soumis à notre examen.
Ce projet de loi organique n'a d'autre vocation que d'adapter le statut des magistrats aux dispositions du projet de loi de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice. Tous les amendements visant à introduire dans la loi organique des dispositions n'ayant qu'un lointain rapport avec le texte que nous venons d'adopter recevront un avis défavorable de la commission.
La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l'avis du Gouvernement.
Comme l'a dit Mme la rapporteure, ce projet de loi organique vise à tirer les conséquences des réformes que vous avez adoptées en votant le projet de loi ordinaire. Je pense notamment à la constitution de la cour criminelle, à la fusion des tribunaux d'instance et des tribunaux de grande instance, ou encore à la création du parquet national antiterroriste. Voilà pour la philosophie générale du projet de loi organique.
Quant à l'amendement de M. Bernalicis, j'y suis opposée car je prône un rapprochement des statuts des magistrats du siège et du parquet, en considération de l'unité de la magistrature. Avis défavorable.
Madame la rapporteure, vous ne pouvez pas aborder l'examen des articles du projet de loi organique en disant que vous émettrez des avis défavorables sur les amendements, sous prétexte que ce texte se bornerait à exécuter le projet de loi ordinaire que nous venons de voter. Les amendements déposés sur ces textes importants proposent de vrais débats de fond. Essayer ainsi de passer en force est d'autant plus inacceptable que Mme la garde des sceaux vient de nous donner une vraie réponse sur l'amendement no 3 .
Comprenez que cette méthode ne passe plus. Vous répétez le mot « pédagogie » à longueur de discours ; or nous n'avons pas besoin de pédagogie, mais de politique !
Prenez le temps d'expliquer les mesures que vous proposez : nous en débattrons, puis nous voterons. Votre texte sera peut-être adopté à cinq voix près, mais vous ne pouvez pas passer en force.
Il est plus de minuit : le vote sur le projet de loi ordinaire a donc quand même eu lieu le même jour que la manifestation des avocats et des personnels de justice. Ces derniers pensaient se mobiliser avant le vote. Finalement, ils manifesteront après le vote. De toute façon, il y aura une nouvelle lecture : j'espère que nous serons alors nombreux à nous opposer à ce texte et que nous serons majoritaires.
J'en reviens à mon amendement. Je vous remercie, madame la ministre, d'avoir précisé que vous étiez favorable à l'unité de la magistrature. Ce n'est pas mon cas. D'ailleurs, un certain nombre d'instances européennes dénient le titre de magistrat aux procureurs français, précisément parce qu'ils requièrent la justice mais ne jugent pas. Vous ne voulez pas reconnaître cette distinction, qui justifie une différence d'appréciation en fonction des rôles des uns et des autres. Être procureur ou être juge, ce n'est pas la même chose ! Certes, le juge d'instruction et le procureur peuvent tous deux mener des enquêtes, mais après cette phase, les deux rôles sont complètement distincts.
Nous n'avons donc pas du tout la même conception de la justice, et c'est bien le problème. Il n'y a pas d'idée de la justice dans ce projet de loi organique, qui ne sert qu'à encadrer la loi ordinaire.
Pour que tout le monde ait bien le temps de réfléchir à cette question, je demande une suspension de séance.
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Monsieur Bernalicis, il est inutile de suspendre la séance avant de mettre aux voix l'amendement no 3 .
L'amendement no 3 n'est pas adopté.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à une heure quinze, est reprise à une heure seize.
Rappel au règlement
Je souhaiterais revenir à l'article 61 du règlement de notre assemblée.
Cet article dispose en son alinéa 1 que « L'Assemblée est toujours en nombre pour délibérer et pour régler son ordre du jour. » ; en son alinéa 3, que « La demande personnelle du président d'un groupe n'est recevable que si la majorité des députés qui constituent ce groupe est effectivement présente dans l'hémicycle. » – tel est bien le cas ce soir pour le groupe Libertés et territoires ; en son alinéa 4, enfin, que « Lorsqu'un vote ne peut avoir lieu faute de quorum, la séance est suspendue après l'annonce par le Président du report du scrutin qui ne peut avoir lieu moins de quinze minutes après ; [… ] ».
Sur un texte de l'importance de celui qui nous examinons et alors qu'il a fallu battre le rappel pour le vote de l'amendement précédent afin que les députés de La République en marche puissent parvenir à constituer une majorité, la vérification du quorum s'impose. Vous pourrez vérifier que la majorité de notre groupe est présente.
Applaudissements sur les bancs des groupe LT, LR, SOC, GDR et FI.
Uniquement lors d'un vote, comme en dispose l'article 61 du règlement, et ce n'est pas encore le cas.
Avant l'article 1er
Sur le territoire de Wallis et Futuna, la population est peu nombreuse de sorte que, rapidement, se développent des relations contraires à l'efficacité, à l'impartialité et à la sérénité de la justice. De nombreux exemples illustrent cette dérive et il est nécessaire de garantir la confiance des populations en la justice. Je demande donc que nul magistrat ne puisse y être affecté plus de quatre années consécutives.
L'article 2 du décret du 26 novembre 1996 prévoit que la durée d'affectation dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française, de Wallis et Futuna est limitée à deux ans. Cette affectation peut être renouvelée une seule fois, à l'issue de la première.
Je pense que ces dispositions répondent à vos préoccupations et je vous prie donc de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, l'avis sera défavorable.
Même avis que Mme la rapporteure.
Sur l'amendement no 18 , je suis saisie par le groupe Libertés et territoires d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Je suis saisie par le président du groupe Libertés et territoires d'une demande faite en application de l'article 61 du règlement tendant à vérifier le quorum avant de procéder au vote sur l'amendement no 18 .
Conformément au troisième alinéa de cet article 61, je vérifie que la majorité des députés du groupe Libertés et territoires, dont vous êtes le président, monsieur Vigier, est effectivement présente dans l'hémicycle. Afin de faciliter cette opération, je demande aux membres de ce groupe de se lever
Mmes et MM. les membres du groupe Libertés et territoires se lèvent
Le nombre de membres du groupe étant de seize et, après vérification, le nombre de présents étant de dix, je constate que la majorité des députés du groupe Libertés et territoires est présente en séance.
Conformément à l'article 61 du règlement, le vote aura donc lieu dans quinze minutes, c'est-à-dire à une heure trente-cinq.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à une heure vingt, est reprise à une heure trente-cinq.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 101
Nombre de suffrages exprimés 91
Majorité absolue 46
Pour l'adoption 20
Contre 71
L'amendement no 18 n'est pas adopté.
Rappels au règlement
Ce rappel au règlement est le dernier que je ferai au nom de mon groupe. Il concerne, évidemment, le déroulement de nos débats. Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, je voudrais, en quelques mots, expliquer ce qui s'est passé tout à l'heure. Le vote qui a eu lieu tout à l'heure sur l'ensemble du projet de loi de programmation a été extrêmement serré et il est évident que la majorité n'avait pas anticipé ce résultat. Parce que ce vote n'était pas solennel, il nous a semblé logique, normal, de faire sentir combien ce moment était particulier. Les choses sont désormais actées.
Je me suis engagé il y a déjà quelques heures, au nom de mon groupe, à ce que nos travaux puissent se terminer. Les travaux se termineront donc et il n'y aura, de notre part, aucun autre rappel au règlement.
« Ah ! » sur les bancs du groupe LaREM.
Nous avons marqué le coup comme nous souhaitions le marquer, c'est tout. Cela fait aussi partie des droits de l'opposition, qui me paraissent respectables.
Je tenais à dire les choses très clairement, pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté. Au moment où nous vivons des heures graves
« Ah ! » sur quelques bancs du groupe LaREM
en France, particulièrement à Strasbourg, notre intention n'est évidemment pas d'ajouter du chaos au chaos.
Compte tenu de l'état d'urgence dans lequel se trouve notre pays, il aurait peut-être été bon de suspendre nos travaux pendant quelques heures. Nous ne l'avons pas fait et il n'est plus temps de le faire : l'examen de ce texte est entamé, il est sur des rails et il aboutira d'ici à une heure ou une heure et demie.
Telle est la déclaration que je voulais faire au nom de mon groupe, qui vaut explication sur ce qui s'est passé. Ni plus, ni moins. Il n'y a aucune raison de dramatiser, mais il convient de respecter les droits de l'opposition, qui sont assez limités, en dehors de ces rappels au règlement.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. M. Ugo Bernalicis applaudit également.
Je vous remercie, monsieur Gosselin, pour la sagesse de vos propos.
La parole est à M. Philippe Vigier, pour un rappel au règlement.
Mes chers collègues, j'ai fait un seul rappel au règlement depuis le début de l'examen de ce texte.
Mme Marie Lebec s'exclame.
Vous n'étiez pas là, chère collègue ! Je redis que je n'en ai fait qu'un seul et je l'ai fait pour deux raisons. Premièrement, nous avons demandé à deux reprises, en conférence des présidents, que ce texte fasse l'objet d'un vote solennel. Ce ne sera pas le cas et je le regrette vivement, madame la ministre, compte tenu de l'importance de ce texte. Deuxièmement, si j'ai fait référence tout à l'heure à l'article de notre règlement que peu d'entre vous connaissaient, ce n'était pas pour faire obstacle à l'examen de ce texte – j'indique d'ailleurs que nous ne ferons plus de rappel au règlement, car nous souhaitons terminer l'examen de ce texte. Nous avons simplement voulu montrer que nous sommes capables de nous mobiliser et d'agir ensemble.
Je regrette que le président du groupe La République en marche ne soit pas là, lui qui dépense beaucoup d'énergie pour faire en sorte que nous soyons toujours éclatés, deux mois après la constitution de notre groupe. Nous avons montré que, sur un texte aussi important, nous étions capables d'être présents et rassemblés. Je regrette que les choses se soient passées ainsi et je souhaite que nos débats puissent à présent se dérouler dans la sérénité.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT et sur plusieurs bancs du groupe LR. M. Ugo Bernalicis applaudit également.
Je vous remercie pour vos propos, monsieur Vigier.
La parole est à M. David Habib, pour un rappel au règlement.
Pour notre part, nous n'allons pas nous excuser de faire des rappels au règlement, car c'est un droit qui est inscrit dans notre règlement. Il nous semble normal que l'opposition utilise les procédures à sa disposition pour exprimer ses interrogations, mais aussi son désir de voir un vote solennel conclure l'examen de ces deux textes – ce désir a été exprimé avec force tout à l'heure par tous les groupes d'opposition.
J'ai bien écouté mes collègues et je remercie M. Vigier d'avoir fait la démonstration de l'imperfection des dispositions qu'il a lui-même votées en 2008. En effet, de façon assez surréaliste, on demande une vérification de quorum, sans procéder à ladite vérification. C'est le règlement qui a été adopté en 2008, par des personnes qui connaissaient manifestement bien la procédure parlementaire…
Nous avons contribué activement à l'examen de ce texte, par notre participation au débat et au travail parlementaire, mais aussi par nos interpellations à Mme la ministre et à la majorité. Par notre présence dans cet hémicycle à près de deux heures du matin, nous avons aussi souhaité donner au vote sur ce texte la solennité que votre majorité lui a refusée. Ce faisant, nous entendons faire savoir à l'opinion publique que notre pays s'engage dans une voie que nous n'acceptons pas, celle du démantèlement du service public de la justice. Nous avons dit ici que c'était une erreur et nous continuerons à le dire, demain, dans la société civile.
Pour le reste, je rejoins pleinement M. Gosselin. Compte tenu des circonstances et des événements de ce soir, il aurait peut-être été heureux que l'ensemble des groupes parlementaires manifestent, d'une manière ou d'une autre, que la priorité, aujourd'hui, est d'exprimer notre confiance à nos autorités publiques, à nos autorités politiques et à nos forces de l'ordre pour assurer la sécurité des Français. Nous n'avons pas trouvé, jusqu'à présent, le moyen de le faire, mais ces rappels au règlement nous donnent au moins l'occasion de dire que, face à l'adversité et face à ce risque, nous sommes unis. Nous sommes derrière celles et ceux qui ont légitimement été désignés par le peuple français et nous soutenons, bien évidemment, les forces de sécurité dont notre pays a la chance de disposer.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe LR.
Madame la présidente, permettez-moi de vous féliciter pour vos nerfs d'acier : vous vous en êtes bien sortie depuis trois quarts d'heure !
Sourires.
Je dois avouer que je n'ai pas tout compris, mais cela semblait intéressant.
Sourires.
Merci, madame la présidente, pour votre stoïcisme.
Pour ma part, je pense que le Président de la République aurait dû retirer ces projets de loi lundi soir, dans la mesure où un trop grand nombre de demandes des gilets jaunes vient interférer avec ces textes. En les faisant voter ce soir, le Président de la République s'ôte lui-même une grande partie de sa capacité à réunir et à rassembler les Français. Surtout, il n'est pas normal de continuer d'en débattre, quand on sait ce qui se passe à Strasbourg.
En préambule, je voudrais m'associer à l'ensemble de la représentation nationale pour assurer de notre soutien les forces de l'ordre lancées à la poursuite du terroriste qui a frappé à Strasbourg ce soir. Ce soutien est, je le sais, unanime sur tous les bancs de cette assemblée. Merci à nos policiers et aux forces militaires de l'opération Sentinelle dont l'action déterminante aura sans doute permis que le nombre de victimes ne soit pas encore plus lourd.
Madame la ministre, le Conseil national des barreaux, qui représente l'ensemble des avocats et les 164 barreaux locaux, s'est plaint de ce que vous n'ayez pas pris en compte leurs recommandations et leurs avis. Lorsque j'ai relayé ces remarques, vous vous en êtes offusquée, et m'avez assuré que ce n'était pas vrai. Je vous crois sincère mais il est 1 heure 45 du matin et vous n'avez toujours pas apporté la preuve de votre sincérité en donnant quelques éléments attestant que vous avez entendu leurs propositions.
La parole est à M. Sébastien Jumel.
Je veux, moi aussi, au nom de mon groupe, réaffirmer notre émotion et notre solidarité avec les familles et appeler à la solidarité nationale, à l'unité nationale pour faire face à des événements comme ceux qui ont eu lieu ce soir à Strasbourg.
Nous avons eu l'occasion de dire combien une justice sans juges, dématérialisée, désincarnée, pouvait limiter l'accès au droit. Nous continuons à voir dans cette restriction de l'accès au juge le principal défaut de votre texte. À coups de privatisations, de transferts de compétences à des officiers ministériels publics autres que les juges, il rend payants des actes jusqu'à présent gratuits, ce qui complique encore davantage l'accès au droit.
Et j'apprends à présent, en lisant Le Monde, que le numéro d'appel mis à la disposition de nos concitoyens qui souhaiteraient s'informer des conséquences de l'attentat à Strasbourg est payant ! Six centimes d'euro la minute ! Nos concitoyens qui voudraient s'informer de l'évolution de la situation doivent payer le service ! C'est très révélateur.
Où va le monde ? , dirait Jean Lassalle. Dans une mauvaise direction.
Je voulais tout simplement appeler votre attention, madame la garde des sceaux, sur les mesures qui nous heurtent.
L'article 1er est adopté.
Je suis saisie de plusieurs amendements portant article additionnel après l'article 1er .
La parole est à M. Ludovic Pajot, pour soutenir l'amendement no 19 .
L'amendement no 19 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Cet amendement tend à consacrer le droit de grève pour les magistrats, tout en instituant le principe d'une continuité du service public. À l'heure où tous les professionnels de la justice sont mobilisés contre le projet de loi, notre amendement se révèle très pertinent en ce qu'il autoriserait les magistrats, très mobilisés eux aussi, à exercer ce droit. Certes, celui-ci doit être encadré mais ces professionnels, qui sont des citoyens comme les autres, doivent pouvoir exprimer leur opposition et leurs revendications.
Il est bien dommage que les magistrats n'aient pas le droit de faire grève car ils auraient pu renforcer les rangs des avocats demain en exprimant ce que vous vous refusez de voir et de croire : l'essentiel des professionnels de la justice, en particulier les magistrats, désapprouvent votre réforme. Vous gouvernez contre tous, en vous appuyant sur une base sociale et politique minoritaire. Ne vous étonnez pas, à présent, de voir déferler dans les rues les gilets jaunes, les robes noires, les blouses blanches, les ambulanciers, etc.
Vous détricotez l'État, vous détruisez le pays, ce qui me désole. Je préférerais que les magistrats vous alertent par eux-mêmes.
L'amendement no 6 n'est pas adopté.
Par cet amendement, afin de garantir que l'institution judiciaire rende bien la justice « au nom du peuple français », nous proposons que le collège de déontologie des magistrats de l'ordre judiciaire prévu par l'ordonnance du 22 décembreorganique de 1958, composé actuellement de cinq membres magistrats, soit élargi à deux membres supplémentaires, un justiciable et une justiciable.
Du fait de la composition actuelle du conseil de déontologie, restreinte à des magistrats, l'apport intellectuel et le regard de deux justiciables ne pourra que renforcer la légitimité d'une telle instance et le fait que la justice soit rendue « au nom du peuple français ».
De même qu'en matière de justice pénale, des citoyens sont tirés au sort – plus pour longtemps, semble-t-il – afin d'exercer les fonctions de jurés d'assises, de jurés populaires, nous proposons d'ouvrir la composition du collège de déontologie de l'ordre judiciaire à un justiciable et une justiciable. Pour ce faire, et eu égard au rôle du Conseil de déontologie qui exerce un rôle consultatif et non des prérogatives de souveraineté nationale, nous proposons que ces deux justiciables soient tirés au sort.
Si le conseil de déontologie est garant de la déontologie des magistrats de l'ordre judiciaire, son rôle diffère de celui du conseil supérieur de la magistrature. Il n'a pas de pouvoir décisionnel, il rend des avis. En outre, nous prévoyons des incompatibilité calquées sur les jurés populaires d'assises prévus par l'article 257 du code de procédure pénale.
Même avis. La composition du conseil de déontologie est équilibrée. Il sert avant tout à donner des avis aux magistrats.
Pas seulement : deux personnalités extérieures y siègent également.
Des personnalités extérieures ! Eh bien, nous proposons que ces personnalités soient des justiciables tirés au sort ! Dans le même esprit, nous souhaiterions réformer l'Inspection générale de la police nationale qui fonctionne en vase clos malgré la présence de personnalités extérieures. La présence d'associations, de citoyens, permettrait que soient exprimées des opinions différentes. La justice doit être rendue au nom du peuple français.
L'amendement no 4 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l'amendement no 24 .
J'ai conçu moi-même cet amendement, qui vise à proposer des mesures soutenues par le conseil national des barreaux, à partir de mon expérience de magistrate et de l'intérêt que j'ai trouvé à travailler en collégialité avec des avocats qui avaient intégré la juridiction administrative. J'ai pu mesurer combien il était difficile, pour un avocat, de choisir d'embrasser la carrière de magistrat, ce qui m'a semblé profondément injuste. Les magistrats n'ont aucune difficulté à devenir des avocats contrairement aux avocats qui doivent franchir toute une série d'obstacles avant de devenir magistrats.
La justice a intérêt à nourrir cette diversité aussi ai-je déposé deux amendements pour faciliter les passerelles entre les carrières de magistrat et d'avocat, pour le bien de la justice.
L'avocat qui souhaite devenir magistrat doit s'engager dans une course d'obstacles intenable. Pendant deux ans, il doit vivre de rien, sans avoir la moindre garantie d'être ensuite intégré au corps des magistrats.
Vous me répondrez que ce sujet n'a pas sa place dans la loi organique mais je voudrais que vous profitiez des prochains états généraux pour lancer cette réflexion.
Vous avez répondu à ma place : ces dispositions n'ont pas leur place dans le projet de loi mais les états généraux qui seront menés au prochain semestre avec le conseil national des barreaux permettront d'y réfléchir.
Je suis du même avis que Mme la rapporteure. Une refonte complète des voies de recrutement vers la fonction de magistrat est en cours. Nous reverrons dans ce cadre la durée minimale d'exercice professionnel tout en prévoyant une voie d'accès privilégié pour les avocats. Je l'ai dit clairement à Mme la présidente du conseil national des barreaux. J'ai pris cet engagement car nous devons revoir les voies d'accès des avocats vers la magistrature.
À ce propos, monsieur Diard, je regrette que vous exigiez des preuves de ma sincérité car, par hypothèse, l'on croit une personne que l'on pense sincère et on ne lui demande pas de preuve. Pour vous être agréable, je veux bien faire une exception à cette règle de confiance. Dans le cadre du travail que j'ai conduit avec le conseil national des barreaux mais aussi la conférence des bâtonniers de province et le barreau de Paris, j'ai modifié plusieurs articles du projet de loi originel. Ainsi, vous ne retrouverez plus l'article relatif aux saisies immobilières car les avocats m'ont expliqué qu'une telle mesure ne pouvait figurer dans le projet de loi. De même, la cause du divorce a évolué grâce aux avocats, qui ont également fait évoluer la notion de spécialisation, par l'introduction des critères de technicité et de volumétrie. Ils nous encore aidés à réécrire le texte relatif aux plateformes en ligne. Je pourrais multiplier les exemples. Oui, monsieur Diard, j'ai travaillé avec les représentants de la profession des avocats. Je les ai écoutés et j'ai tenu compte de leurs remarques, y compris en matière pénale – la visioconférence en première comparution ne figure plus, ainsi, dans le texte car les avocats nous ont expliqué pourquoi cette mesure ne serait pas pertinente.
Beaucoup de mesures ont évolué grâce aux conversations que j'ai eues avec eux. Je pourrais vous citer bien d'autres exemples. Je les ai écoutés comme j'ai écouté les magistrats et leurs représentants syndicaux ou les autres professions du droit. Eux-mêmes ne pourraient pas le nier.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Sans vouloir faire de mauvais esprit, il est fort probable que les avocats aient été mieux écoutés que l'opposition.
Ne transformons pas cette passerelle en une course d'obstacles et ne faisons pas de l'Ecole nationale de la magistrature un passage obligé et très long. C'est un problème majeur auquel ils sont confrontés et que nous n'avons pas réussi à résoudre.
S'agissant des juristes assistants, le niveau est trop exigeant : on aurait pu s'abstenir du doctorat en droit. Je compte sur vous pour faciliter les passerelles : dans tous les pays de l'Union européenne, la justice est faite d'avocats et de magistrats qui doivent travailler ensemble, dans un va-et-vient qui soit à leur convenance.
Madame la garde des sceaux, malgré l'heure tardive, je tiens à réagir à vos propos, qui me surprennent un peu. Vous avez écouté le CNB et la Conférence des bâtonniers ; il n'en demeure pas moins qu'ils ont lancé un appel national à la grève pour demain. Manifestement, ils ne sont pas satisfaits de l'écoute. S'ils ont été écoutés, ils n'ont pas été entendus.
Surtout, comme Mme Untermaier l'a souligné avant moi, si nous sommes ravis que vous ayez écouté le CNB et la Conférence des bâtonniers, il est en revanche dommage que vous n'ayez pas écouté les députés de l'opposition, qui sont membres à part entière de la représentation nationale.
Le CNB et la Conférence des bâtonniers ont participé aux discussions pour formuler des propositions visant à limiter les dégâts, à l'image des députés qui déposent des amendements de repli. Telle est la réalité des échanges que vous avez eus avec eux, madame la garde des sceaux. C'est d'ailleurs peut-être pour cela que vous ne comprenez pas pourquoi ils font grève ! Ils ont travaillé, je le répète, à limiter les conséquences des mesures auxquelles ils sont opposés, afin d'éviter le pire. Ces mesures n'en demeurent pas moins désastreuses.
C'est pourquoi ils seront nombreux à se mobiliser au Châtelet, ce matin, à onze heures – je rappelle le rendez-vous à l'attention de ceux qui souhaiteraient les rencontrer, discuter avec eux ou manifester à leurs côtés. L'ambiance sera certainement très sympathique. Nous serons sans doute fatigués mais eux seront mobilisés et nous les soutiendrons.
L'amendement no 24 n'est pas adopté.
De même que l'amendement précédent, il vise à promouvoir une passerelle entre les professions d'avocat et de magistrat et à faciliter les conditions d'accès au corps judiciaire.
Comme vous le savez, l'article 22 de l'ordonnance de 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature prévoit que peuvent intégrer directement le corps judiciaire les personnes âgées d'au moins 35 ans, remplissant les conditions prévues à l'article 16 de l'ordonnance en matière de nationalité, de diplôme et de moralité, et justifiant de sept années au moins d'exercice professionnel les qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires.
Nous proposons que les avocats puissent intégrer directement le corps judiciaire, sans condition d'âge, après avoir exercé durant au moins cinq années. Il est clair, en effet, que ces deux corps ont de nombreux points communs.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour soutenir l'amendement no 34 .
Je partage l'argumentation développée par Mme Anthoine. Cet amendement est frappé au coin du bon sens.
Je constate que le rapport entre les magistrats et les avocats, qui était par le passé un rapport de confiance, chacun assumant son rôle, s'est distendu au fil du temps, si bien que les avocats ne croisent plus les magistrats. Lorsqu'on se rend dans certains palais de justice, on a l'impression que ces deux corps forment deux mondes, alors que l'institution judiciaire fonctionne avec, d'un côté, la défense, et de l'autre, la magistrature.
Il est temps d'irriguer ces deux corps de passerelles autorisant des passages plus rapides. Ils suivent les mêmes formations juridiques. De plus, la société est devenue suffisamment complexe pour que les magistrats ne soient plus cantonnés dans une formation où ils resteront toute leur vie. Au contraire, leur corps a besoin d'être fortement irrigué par celui des avocats, voire par d'autres professions. Ces cinq années d'exercice seraient largement suffisantes pour renouveler le corps des magistrats.
Défavorable, pour les raisons évoquées à propos de l'amendement précédent.
Quelques députés, dont M. Clément et moi-même, ont eu la chance de discuter ce soir avec le célèbre avocat pénaliste Éric Dupond-Moretti, qui nous a confié que les avocats font souvent d'excellents magistrats. Il est donc important de favoriser les passerelles entre ces deux corps.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l'amendement no 23 .
L'amendement no 23 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Les articles 1er bis, 1er ter, 1er quater, 1er quinquies, 1er sexies, 1er septies et 1er octies ont été supprimés par la commission.
L'article 2 est adopté.
La parole est à M. Ludovic Pajot, pour soutenir l'amendement no 20 portant article additionnel après l'article 2.
L'amendement no 20 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Les articles 2 bis, 2 ter, 2 quater et 2 quinquies ont été supprimés par la commission.
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l'amendement no 7 , qui vise à supprimer l'article 3.
Nous proposons de supprimer cet article qui permet à des magistrats honoraires et à des magistrats à titre temporaire de siéger dans une formation collégiale dès lors que les magistrats de carrière y demeurent majoritaires.
Comme pour le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, nous refusons que soient comblés de façon précaire des déficits de moyens. En effet, même si les magistrats ont des garanties statutaires, une telle pratique remet en cause, de manière structurelle, leur inamovibilité, qui est un élément constitutif d'une bonne justice.
Certes, cette possibilité n'est ouverte que si la formation collégiale est majoritairement constituée de magistrats de carrière. Toutefois, il n'y faudrait que des juges statutaires. Les magistrats temporaires préféreraient bénéficier de garanties statutaires ; quant aux magistrats honoraires, ils ont peut-être des choses plus intéressantes à faire durant leur retraite que de poursuivre leur carrière de magistrat. On a suggéré qu'ils feraient d'excellents conciliateurs de justice, dont le nombre est insuffisant. Cette piste est à creuser.
L'amendement no 7 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté.
L'article 4 est adopté.
Cet amendement a été rédigé dans le même esprit que le précédent : il prévoit de mettre fin au recours à des magistrats honoraires ou exerçant à titre temporaire. Vous l'aurez compris, notre opposition est de principe. Nous n'avons rien contre les magistrats à titre temporaire ni contre les magistrats honoraires, mais les premiers préféreraient êtres statutaires et les seconds exercer d'autres fonctions ou profiter d'une retraite paisible. Serait-ce qu'ils doivent arrondir leur fin de mois en continuant d'exercer, à cause de l'augmentation de la CSG ? Ils seraient plus utiles à la société civile en employant leur temps autrement.
Défavorable. Les magistrats à titre temporaire sont très précieux.
L'amendement no 5 n'est pas adopté.
L'article 5 est adopté.
Sur le vote de l'ensemble du projet de loi organique, je suis saisie par le groupe Socialistes et apparentés, par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine et par le groupe Libertés et territoires d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Les articles 6, 7, 7 bis, 7 ter et 8 A sont successivement adoptés.
L'amendement no 36 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 8, amendé, est adopté.
L'article 9 est adopté.
L'amendement no 37 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 9 bis, amendé, est adopté.
L'amendement no 38 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 9 ter, amendé, est adopté.
La parole est à Mme Laetitia Avia, pour soutenir l'amendement no 39 portant article additionnel après l'article 9 ter.
L'amendement no 39 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 10 est adopté.
J'emploierai utilement les cinq minutes auxquelles j'ai droit en revenant sur le dispositif intégral instauré par le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et le projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions, en vue de préciser certains de leurs aspects.
Il serait intéressant d'approfondir leurs dispositions dans leur rapport à l'idée de justice dans notre pays. Les justiciables ont, en effet, un sentiment général d'injustice, car ils ont l'impression d'un deux poids, deux mesures, entre la justice des puissants, telle qu'elle s'accomplit ou plutôt telle qu'elle ne s'accomplit pas, et celle des plus faibles, qui les frappe parfois durement.
Nous l'avons tous vu aux informations : celui qui a volé un paquet de pâtes et celle qui a volé une boîte de sauce tomate sont lourdement condamnés, parfois à des peines d'emprisonnement, tandis que d'autres sont l'objet de procédures moins coercitives. Je pense notamment à un certain Alexandre B qui, clairement, n'a pas subi dans toute sa rigueur la justice appliquée aux simples gens.
Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM.
Quid du code de procédure pénale dans les perquisitions dont son logement a été l'objet ?
En revanche, des militants syndicaux et associatifs subissent une répression très dure.
Mêmes mouvements.
Je pense notamment à celle qui s'est abattue sur les militants d'une cause d'intérêt général à Bure. Un avocat a même subi une perquisition dans le mépris du code de procédure pénale, qui prévoit la présence obligatoire du bâtonnier, lequel n'avait pas été prévenu. La mobilisation des avocats a permis de rétablir le droit.
Je n'évoquerai même pas les procédures employées à l'encontre des gilets jaunes : nous atteignons là des sommets ! Or les textes dont nous avons débattu, loin de répondre à ces injustices, les aggravent.
S'agissant de l'organisation de la justice, nous avons tous déploré, plus ou moins brillamment, les effets de la réforme Dati de la carte judiciaire sur le maillage territorial de la justice : la fermeture pure et simple de tribunaux a eu pour conséquence d'éloigner le justiciable de la justice. C'est pourquoi, nous dites-vous, vous n'en supprimerez pas davantage. Merci bien, messieurs, dames ! Mais le compte n'y est pas : avec l'augmentation du budget de la justice, nous devrions discuter de la réouverture de tribunaux de proximité. Notez bien que je parle de « tribunaux » et non de « lieux de justice », car cette expression ne veut rien dire sinon qu'il y aura quatre murs et un toit – du moins je le suppose.
Ces textes sont complètement déconnectés de ce qu'attendent les gens en matière de justice. On n'y trouve rien sur la délinquance financière que l'on pourrait frapper plus durement – je ne vous parle même pas de cette délinquance financière spécifique que constitue la fraude fiscale – , rien sur les implantations territoriales, rien sur l'accès au droit – l'aide juridictionnelle fera l'objet d'une réforme ultérieure.
Il est en revanche des sujets sur lesquels il faut se précipiter, comme la justice des mineurs, en donnant une sorte de blanc-seing à l'exécutif dont on voit bien la volonté de faire de la protection judiciaire de la jeunesse une répression judiciaire de la jeunesse. C'est votre tentation, comme le montre votre proposition de créer vingt centres éducatifs fermés, centres dont nous savons qu'ils ne remplissent pas leurs objectifs. Ils sont surtout l'antichambre de la détention et de l'incarcération : les jeunes passent de l'enfermement à l'incarcération.
Nous aurions dû discuter du code pénal et du sens des peines. Le triptyque amende, probation et peine de prison aurait pu ouvrir la voie à la déflation carcérale liée à la déflation pénale. Dans tel domaine, il faudrait pouvoir dire que la peine de prison ne doit pas prévaloir et que la peine de probation permet au magistrat de faire son office. C'est de cela que nous aurions dû discuter pendant des heures au lieu d'une réforme technocratique, boutiquière, comptable, minable.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.
Sourires.
Je ne chercherai pas à utiliser nécessairement les cinq minutes qui me sont imparties : je sais être raisonnable et ne pas ajouter de difficultés à la difficulté.
Les deux textes dont nous avons débattu ne nous paraissent pas aller dans la bonne direction. Sur la forme, le projet de loi organique aurait mérité un vote solennel. La loi organique a une place particulière dans la hiérarchie des normes : excusez du peu, elle constitue le texte d'application de la Constitution. En l'espèce, le texte dont nous discutons vise à fixer le statut des magistrats, ce qui n'est pas rien dans une République éprise de justice et de liberté.
Nous votons ce texte à une heure tardive, alors que le calendrier s'est étalé, faute d'une bonne organisation des débats. Je n'ai cessé de le répéter, comme d'autres députés appartenant à d'autres groupes. Mais c'est ainsi.
Il reste que la justice s'éloigne des citoyens et que ce mouvement s'amplifie avec votre réforme, qui consacre une forme de justice qui n'est pas celle que nous voulons. L'accès au droit régressera vraisemblablement.
Sans qu'il soit besoin d'en ajouter davantage, pour les raisons que nous avons déjà exposées à maintes reprises au cours de ces dizaines d'heures de débats, nous ne voterons pas ce projet de loi organique. Certes, certains points peuvent sembler positifs, mais le bilan coûts-avantages n'est décidément pas en faveur de notre justice.
Malgré l'heure tardive, les députés de la majorité voteront avec enthousiasme le projet de loi organique.
Nous avons débattu d'un projet de loi de programmation qui s'inscrit dans le cadre d'une hausse substantielle des crédits alloués à la justice : 1,6 milliard d'euros permettront de créer 6 500 emplois équivalents temps plein et de consacrer 500 millions d'euros à la numérisation d'une justice qui en a bien besoin.
Ces textes et le chantier de la justice en cours sont le fruit d'une concertation inégalée. À bien des égards, ils procéderont à un véritable changement de paradigme. Je ne citerai qu'un exemple, celui des modes alternatifs de règlement des litiges au bénéfice des justiciables – on ne fait pas un texte de loi pour le Conseil national des barreaux ni pour certains syndicats de fonctionnaires ou de magistrats, mais bien dans l'intérêt des justiciables.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Pour les litiges du quotidien, il ne sera plus nécessaire de s'enfermer dans des procédures longues et coûteuses. Grâce à des conciliations et à des médiations, les uns et les autres pourront résoudre leurs différends beaucoup plus rapidement et sereinement que dans le cadre d'une procédure judiciaire contentieuse.
Pour ces raisons et toutes celles que nous avons déjà évoquées, je répète que les députés du groupe La République en marche voteront le projet de loi organique.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – M. Erwan Balanant applaudit également.
Je suis surprise d'entendre que le tribunal d'instance est une juridiction coûteuse ; c'est tout le contraire. Le tribunal d'instance, proche des justiciables et accessible en raison de son mode de saisine, rend des jugements dans des délais satisfaisants au terme d'une procédure simple et peu coûteuse.
Si le Gouvernement affiche officiellement une volonté de simplifier l'accès de l'usager à la justice et de s'assurer de sa lisibilité, il est permis de s'interroger sur la confusion dans laquelle cette réforme va plonger le justiciable et sur la difficulté que ce dernier éprouvera pour identifier le tribunal de son ressort. Les organisations professionnelles de magistrats et les représentants des avocats ont émis des doutes sur l'opportunité de la disparition des tribunaux d'instance et des craintes quant à l'accès du public au juge, en particulier dans les zones rurales. Nous déplorons aussi l'absence d'une réelle évaluation des effets de ce texte, qui nous conduit à ne pas le voter, en tout cas pas aujourd'hui. De surcroît, la réorganisation de la justice, mise en perspective avec le développement de la dématérialisation, emporte un risque important d'éloignement des justiciables par rapport au juge.
Tous ces éléments, que nous rappelons depuis plusieurs jours, conduisent le groupe Socialistes et apparentés à ne pas voter le projet de loi organique. Nous regrettons de ne pas avoir pu travailler dans de meilleures conditions, et nous déplorons de devoir voter ce texte à deux heures du matin parce qu'il n'a pas été possible d'obtenir un vote solennel.
Quelle que soit l'heure, quel que soit le jour, il est toujours assez déconcertant de voir avec quelle assurance les députés du groupe La République en marche tombent dans l'autosatisfaction et l'arrogance.
Protestations sur les bancs du groupe LaREM.
Je ne connais aucun corps qui accepte aujourd'hui de soutenir cette politique. Même dans la majorité, on se demande s'il y a encore des gens pour le faire !
Mêmes mouvements.
On trouve évidemment toujours le porte-parole de service, qui tombe dans l'autosatisfaction.
Mêmes mouvements.
La question des moyens est évidemment la grande absente de ces textes. Tout semble avoir été conçu pour dissuader nos concitoyens d'accéder au juge afin de résorber l'embouteillage des tribunaux. Vous n'avez pas été en situation de doter la République des moyens à la hauteur des besoins que nous avons signalés. C'est vrai pour ce qui concerne l'aide juridictionnelle ; c'est vrai pour les moyens qu'il aurait fallu consacrer aux recrutements de greffiers, d'agents de la protection judiciaire de la jeunesse et de magistrats.
Dès lors que vous refusez d'accorder les moyens nécessaires en juges ou en greffiers, vous multipliez les occasions de se passer d'eux et de tout ce qui rend la justice humaine. Nous répétons qu'en supprimant les tribunaux d'instance peu coûteux, qui fonctionnent bien et jugent dans des délais satisfaisants, vous creusez la fracture territoriale.
En promouvant le numérique, qui remplace le juge au lieu de l'assister, vous creusez la fracture sociale – vous ne tenez même pas compte les difficultés d'accès au numérique que connaissent un certain nombre de nos concitoyens les plus vulnérables. Cette fracture sociale se creuse aussi lorsque vous instaurez une procédure totalement dématérialisée, lorsque vous privez les parties d'un débat contradictoire et lorsque vous organisez le recours à des services payants alors qu'ils étaient gratuits hier encore.
Sans posture, sans cinéma, sans théâtre, toutes ces raisons nous conduisent à voter contre le projet de loi organique, sans ambiguïté, en ayant à nos côtés l'ensemble des membres de la communauté judiciaire, ne vous en déplaise. Vous avez l'audace de considérer que vous avez raison, seuls contre tous, mais à force d'être seuls sur tous les sujets, vous allez finir par dévisser.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Le mouvement est déjà en marche accélérée. Nous allons voter contre ce projet de loi organique avec enthousiasme, et même avec une certaine force de conviction.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Vous ne serez pas surpris d'apprendre que le groupe Libertés et territoires ne votera pas non plus le projet de loi organique. L'écrivain et magistrat Casamayor disait : « La justice est une erreur millénaire qui veut que l'on ait attribué à une administration le nom d'une vertu. » Je crains qu'avec ce qui se dessine aujourd'hui, cette remarque soit encore plus vraie demain.
Je ne reviendrai pas sur la dématérialisation et la déshumanisation de la justice, mais je pense que nous ferions une erreur en transformant la justice en une administration. En effet, qu'est-ce que la justice ? C'est d'abord ceux qui la rendent. Les conditions dans lesquelles elle est rendue sont déterminantes. Il suffit de regarder ce texte et la façon dont il a été conçu pour comprendre que, dans les conditions dans lesquelles la justice sera rendue demain, le citoyen sera le grand absent. Nous serons donc totalement opposés à ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 117
Nombre de suffrages exprimés 117
Majorité absolue 59
Pour l'adoption 75
Contre 42
Le projet de loi organique est adopté.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Je veux remercier l'ensemble des députés qui ont assisté aux séances pour la qualité des débats, même si ces derniers ont parfois manqué de fluidité compte tenu des interruptions que l'examen de ce texte a pu connaître. Je remercie tout particulièrement les deux rapporteurs, Laetitia Avia et Didier Paris, ainsi que Mme la présidente de la commission des lois. Je remercie également Stéphane Mazars, Jean Terlier et Erwan Balanant, qui nous ont soutenus, chacun dans leur groupe.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer ;
Discussion de la proposition de loi visant à sécuriser l'exercice des praticiens diplômés hors Union européenne ;
Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la réforme de la Caisse des Français de l'étranger.
La séance est levée.
La séance est levée, le mercredi 12 décembre 2018 à deux heures trente.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra