La réunion débute à 21 heures 35.
Présidence de M. Stéphane Mazars, vice-président.
La Commission entame l'examen des articles du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace (n° 911) (M. Richard Ferrand, rapporteur général, Mme Yaël Braun-Pivet et M. Marc Fesneau, rapporteurs).
Mes chers collègues, je vous propose d'entamer l'examen des articles du projet de loi constitutionnelle.
Avant l'article 1er
La Commission est saisie de l'amendement CL623 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Nous proposons d'introduire un article avant le préambule de la Constitution afin d'organiser les conditions pacifiques et démocratiques de changement de régime constitutionnel, en permettant à un cinquième des citoyens et des citoyennes de demander à convoquer une assemblée constituante.
Un tel article ne serait pas le premier du genre dans une constitution : le Costa-Rica a par exemple déjà mis en place un mécanisme similaire. Selon nous, cet article serait non seulement utile, mais il serait aussi le garant de la pérennité du projet constitutionnel, au-delà d'un texte donné, en ce qu'il permet au peuple de se saisir d'une nouvelle ambition de société commune formulée et donc garanti par une loi fondamentale.
L'histoire constitutionnelle française est celle d'une instabilité. La plus longue de nos Républiques s'est fondée sur un texte constitutionnel a minima : les trois lois constitutionnelles de 1875 n'avaient pas vocation à durer. À l'inverse, nos plus belles déclarations des droits, au premier rang desquelles il faut ranger la Déclaration de 1793, ont rarement eu à s'appliquer. L'article que nous proposons d'introduire constitue un clin d'oeil à cette déclaration dont l'article 28 dispose : « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. »
Organiser juridiquement la possibilité d'une révolution constitutionnelle, c'est permettre qu'elle ne se fasse pas par la violence et que demeure l'idéal constitutionnel. À l'inverse, ne pas donner les moyens au peuple de se saisir d'un texte qu'il juge désuet pour enclencher le processus permettant sa modification, c'est ne pas prévenir un rejet plus violent encore, non seulement des institutions mais d'un monde oligarchique fermé sur lui-même qui verrouille toutes les voies de changement fondamental. La Iére et la IIe Républiques se sont terminées par des coups d'État bonapartistes, la IIIe par une guerre, tout comme la IVe. De notre point de vue, la Ve République est à bout de souffle.
Vous proclamiez vouloir une démocratie plus représentative, efficace et responsable ; adopter cet amendement constituerait un premier pas en ce sens.
Madame Obono, je vous invite à présenter l'amendement suivant avant de laisser la parole au rapporteur général.
Nous entrons, avec ce premier amendement, au coeur de la discussion sur la place et le rôle du pouvoir constituant. Madame Obono, je salue l'esprit de la Déclaration des droits de l'homme de 1793 qui souffle encore dans la rédaction que vous proposez, tout comme l'inspiration de Thomas Jefferson…
Néanmoins, le peuple a déjà, aujourd'hui, le droit de réformer sa Constitution, en suivant une voie démocratique et conforme à notre tradition républicaine. Ce qui suppose de satisfaire plusieurs conditions, et pour commencer d'élire démocratiquement un Président de la République et une majorité parlementaire dont le programme comporte un tel projet : c'est précisément ce qui fait que nous sommes réunis ce soir. Ce pouvoir constituant que nous exerçons présentement, avec le mandat de la majorité des Français qui nous a portés aux responsabilités, correspond parfaitement à ce que vous défendez dans votre amendement.
Par ailleurs, permettre à un cinquième des électeurs de prendre l'initiative d'une révision constitutionnelle, comme vous le proposez, serait contraire à un principe ancien et fondateur du régime républicain qui remonte à 1789, date aussi heureuse que 1793, selon lequel aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'attribuer l'exercice de la souveraineté nationale.
Votre proposition pourrait donc être à nos yeux – du moins nous posons-nous la question – de nature, dans des contextes troublés, à déstabiliser profondément les institutions, voire à permettre de revenir sur le caractère démocratique de notre régime.
En conséquence, je suis défavorable à cet amendement.
Vous laissez entendre que nous proposons qu'une fraction du peuple s'arroge l'exercice de la souveraineté nationale : il n'en est pas question. Nous proposons seulement que, sur demande d'un cinquième des électeurs, un référendum relatif à la convocation d'une assemblée constituante soit organisé. Cela équivaut à un droit de pétition, à la différence que, au lieu d'aboutir à une décision de l'Assemblée nationale, on provoquerait un référendum qui permettrait bien à l'ensemble du peuple de se prononcer.
Je pense aussi que vous vous méprenez lorsque vous expliquez qu'une réforme constitutionnelle adoptée par le Parlement serait équivalente à une révision élaborée par une assemblée constituante. Les exemples des assemblées constituantes qui ont siégé dans notre pays montrent bien les différences entre une assemblée constituante dédiée à la rédaction d'une nouvelle Constitution avec l'ensemble des débats que cela permettrait, et un Parlement qui, en même temps qu'il remplit sa tâche de législateur, met en oeuvre une révision constitutionnelle qui ne sort pas des enceintes de ses deux chambres.
L'idée de permettre au peuple de nourrir un processus constituant en convoquant une Assemblée nationale constituante est, sur le principe, très séduisante. Elle se heurte cependant à trois catégories de difficultés majeures sur lesquelles j'appelle votre attention.
Tout d'abord, il existe déjà une procédure de révision de la Constitution qui est principalement entre les mains des représentants élus démocratiquement dans le cadre du système constitutionnel en vigueur.
Ensuite, vous mélangez le fond et la forme. Vous présupposez que la réunion d'une assemblée constituante permettra d'aller dans le sens que vous pressentez comme étant le bon pour le peuple. Pourtant, rien ne peut préjuger de ce que fera le constituant originaire. À chaque fois qu'il a été saisi en France, il a doté le pays d'une Constitution dont on n'avait pas du tout vu a priori les tenants et les aboutissants.
Enfin, si nous introduisions dans la Constitution une disposition comme celle que vous proposez, nous serions condamnés à un constitutionnalisme permanent, dans la mesure où la partie perdante aurait à chaque fois pour objectif de mobiliser un quart des électeurs de façon à nourrir un autre processus constituant puisqu'on ne peut aliéner par ses propres décisions les générations futures… Vous nous condamneriez à un processus constituant permanent, et vous institueriez un système dans lequel le flottement ne pourra pas être évité.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL624 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Il s'agit d'une sorte d'amendement de repli, dans la lignée du précédent. Il vise à ce que l'Assemblée nationale convoque une assemblée constituante. La compétence en la matière est donc cette fois attribuée aux députés qui devront se prononcer à la majorité absolue pour enclencher la procédure.
En fait, cet amendement n'est pas concurrent du précédent, mais plutôt complémentaire – il le sera peut-être véritablement si les deux sont adoptés en séance publique. Il n'octroie en effet aucune compétence aux parlementaires qui ne soit partagée avec les citoyens et les citoyennes qu'elles et ils ont vocation à représenter. Dans le cadre de cette procédure, si des députés ont l'initiative de la convocation, c'est bien le peuple qui a le dernier mot, puisque la nouvelle Constitution ne peut être adoptée que par référendum. Comme vous le savez, à La France insoumise, nous pensons qu'une VIe République est nécessaire car les institutions de la Ve République étouffent et bâillonnent le peuple.
Nous ne croyons pas que notre programme serait nécessairement adopté dans le cadre d'une constituante ou de cette VIe République, mais nous croyons en l'intelligence collective et nous croyons au débat démocratique. Il ne saurait se refermer sur lui-même dans ce type de processus dans lequel il aurait plutôt tendance à s'épanouir. Nous sommes un peuple conscient, éclairé et éduqué qui est en capacité de faire des choix dans l'intérêt général. C'est le cas des députés ; c'est aussi celui de tous les citoyens.
De notre point de vue, votre projet vise à ce que les députés soient encore plus aux ordres de l'exécutif. Nous vous donnons la possibilité de vous libérer, et de libérer vos énergies démocratiques en votant notre amendement. Nous soutenons l'idée d'une démocratie au service des citoyens qui donne véritablement les clés du débat constitutionnel et du débat sur la loi fondamentale au peuple. Nous pensons que la démocratie signifie, comme l'a formulé le philosophe américain John Dewey, la croyance en une culture humaniste, et qu'en cela les principes qui fondent la délibération, le contradictoire et le débat permettraient à l'ensemble des citoyens de voter et de refonder l'ensemble de nos institutions.
Avant toute chose, je veux rassurer Mme Obono : nos énergies démocratiques sont parfaitement libérées, et en plein mouvement !
Je suis défavorable à cet amendement. En vertu de l'article 89 de notre Constitution, les membres du Parlement, dont les députés, peuvent être à l'initiative d'une révision constitutionnelle qui, pour aboutir, doit donner lieu à un référendum, c'est-à-dire à une ratification populaire. Il n'est donc pas utile de créer un arsenal superfétatoire alors que les intentions que vous exposez sont déjà pleinement satisfaites.
Monsieur le rapporteur général, je pense que nous ne nous comprenons pas, mais nous ne désespérons pas d'avancer et de clarifier notre point de vue.
Certes, nous sommes dans un régime parlementaire représentatif où les citoyens et les citoyennes délèguent aux parlementaires un pouvoir de décision, de vote, etc. Pour notre part, nous proposons d'instaurer une forme de démocratie directe. Cela existe déjà dans un certain nombre d'États démocratiques de par le monde : cela ne sort pas simplement de la tête des Insoumis et des Insoumises.
Ce type de procédure complète le régime parlementaire. Il ne le remet pas en cause, pas davantage que les autres voies de la délibération et du choix démocratique.
Avec ces amendements, nous lançons un appel afin que la majorité entre dans le nouveau monde qu'elle appelle de ses voeux, un nouveau monde dans lequel on donnerait davantage de pouvoirs directs, et pas seulement de délégation, aux citoyens et aux citoyennes. C'est l'avenir de la démocratie au XXIe siècle, si nous voulons qu'elle vive, qu'elle se développe, et qu'elle s'enracine au moment où nous faisons tous et toutes le constat d'une crise démocratique profonde.
Une simple révision des institutions de la Ve République ne permettra pas de résoudre cette crise. Au contraire, de notre point de vue, cela l'accentuera.
Nous vous proposons une vision d'avenir, nouvelle et rénovée, qui refonde et construit une nouvelle tradition républicaine française en introduisant la démocratie directe et en donnant un pouvoir direct aux citoyens de faire la loi, surtout la loi fondamentale.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient aux amendements CL1412, CL1411, CL1425, et CL1413 de M. Paul-André Colombani.
En préambule, permettez-moi de commenter les propos d'un collègue qui, cet après-midi, s'étonnait que des députés corses aient déposé deux cents amendements. Les députés corses ont été élus démocratiquement : ils participent à la vie de cette assemblée depuis un an, et ils comptent bien faire entendre leur voix lors d'une révision de la Constitution si importante pour l'avenir de notre île. Cela dit en toute amitié…
L'amendement CL1412 vise tout à la fois à affirmer le destin européen de la France et à enrichir le bloc de constitutionnalité.
S'agissant du destin européen de la France, il serait souhaitable d'affirmer dans le préambule que le peuple français est une composante des peuples de l'Europe qui ont formé l'Union.
S'agissant du bloc de constitutionnalité, outre la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946, les juges français appliquent quotidiennement deux grands textes pour protéger les droits fondamentaux : la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH). Leur intégration dans le bloc de constitutionnalité permettrait au Conseil constitutionnel d'unifier les contrôles de constitutionnalité et de conventionalité. Le Conseil deviendrait de facto le seul maillon entre l'ordre interne et l'ordre public européen. Ce serait plus cohérent, et c'est ce que fait l'Italie depuis 2001.
Je comprends l'attachement de notre collègue à rappeler que chaque député est membre de la représentation nationale, et que c'est bien à ce titre qu'il dépose des amendements.
Si je comprends le symbole fort que constituerait l'inscription dans le préambule de la Constitution de l'ancrage européen de la République, je ne partage pas l'idée qu'il y ait une nécessité en la matière.
Le texte actuel de la Constitution porte déjà, au titre XV, la marque d'une adhésion profonde à l'idée européenne. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs rappelé la pleine portée normative de l'article 88-1, en évoquant « l'existence d'un ordre juridique communautaire intégré à l'ordre juridique interne ».
Cette situation est génératrice d'obligations constitutionnelles extrêmement importantes, en particulier l'exigence de conformité avec les principes européens, parmi lesquels figure la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui a la même valeur juridique que les traités européens.
L'évolution proposée risquerait sans doute de faire de la participation de la France à l'Union européenne une partie de l'identité constitutionnelle de la République, empêchant de faire prévaloir, dans certaines circonstances, nos règles constitutionnelles essentielles. C'était aussi la conclusion à laquelle était arrivé le comité présidé par Simone Veil sur la modification du préambule de la Constitution.
Il est par ailleurs proposé de substituer à la notion de souveraineté nationale celle de souveraineté du peuple, alors que la souveraineté nationale est un principe fondateur de notre République, qui figure à l'article 3 de la Déclaration de 1789.
Quant à la CEDH, elle relève de traités distincts de ceux de l'Union européenne. Les droits qu'elle consacre sont très proches de ceux présents dans le bloc de constitutionnalité ; les y intégrer créerait une certaine confusion dans la hiérarchie des normes en plaçant sur un pied d'égalité des normes internationales et des normes constitutionnelles, alors que les secondes ont vocation à primer les premières. C'est pourquoi je suis défavorable à l'ensemble de ces amendements.
La Commission rejette l'amendement CL1412.
Je vous invite dans ce cas à répondre aux arguments du rapporteur général pour les trois amendements qui n'ont pas encore été mis aux voix.
Inscrire l'Europe dans le préambule de la Constitution aurait été symboliquement beaucoup plus fort que de la voir reléguée au titre XV. Parler des peuples de l'Europe est beaucoup plus démocratique que de parler des institutions de l'Union européenne. Vous savez combien la construction européenne est critiquée en ce moment. Il nous semblait logique de mettre en valeur l'Europe dans le préambule.
Pour ce qui concerne la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, j'insiste sur le fait que l'articulation entre le Conseil constitutionnel et contrôle de conventionnalité n'est pas satisfaisante. L'inscription de la Charte dans la Constitution serait une simplification.
La Commission rejette successivement les amendements CL1411, CL1425, et CL1413.
Elle est saisie de l'amendement CL1053 de M. Michel Castellani.
Nous proposons de remplacer les premiers mots du préambule de la Constitution « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'Homme et aux principes de la souveraineté nationale […] » en écrivant que « Les peuples de France proclament solennellement leur attachement… »
Dans sa décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991 relative à la loi dite Joxe portant statut de la collectivité territoriale de Corse, le Conseil constitutionnel considère que « l'expression "le peuple", lorsqu'elle s'applique au peuple français, doit être considérée comme une catégorie unitaire insusceptible de toute subdivision en vertu de la loi ». Il s'agit d'une approche juridique qui relève du droit et non des faits historiques et culturels qui sont pour nous très importants. L'unité de la citoyenneté n'induit pas, selon nous, une homogénéité des faits culturels et géographiques, du sentiment d'appartenance…
Cet amendement a évidemment une importance symbolique. Il vise une reconnaissance constitutionnelle de la diversité des peuples : ce n'est pas neutre. Pour nous le peuple, ce sont des gens qui vivent sur un territoire, avec des frontières, géographiquement et historiquement définies, avec des pratiques culturelles propres, une langue, un sentiment d'appartenance… C'est la richesse de la France. Mais, que les choses soient claires : dans notre esprit, cela n'est pas opposable à l'unité de fait du pays.
J'ajoute que la notion que nous mettons en avant n'est pas discriminante. Nous en apportons la preuve, chez nous, en Corse. J'aurais mauvaise grâce à donner une autre définition que celle que nous avons toujours donnée, c'est-à-dire une définition ouverte. Depuis des siècles, en Corse, nous recevons tous les jours des gens qui viennent se fondre dans notre communauté : c'est le sentiment d'appartenance qui prime.
Nous voudrions que cette diversité qui fait la richesse de la France soit reconnue dans la Constitution.
Le fondement de notre ordre constitutionnel procède aujourd'hui de l'idée que le peuple français est un et indivisible. Cette unité et cette indivisibilité, garantes de la communauté nationale, sont au fondement de la souveraineté nationale et du régime républicain que nous avons en partage. Cette construction n'empêche ni une organisation décentralisée de la République, ni la reconnaissance d'une plus grande autonomie pour certains territoires, ni l'introduction de notions de différenciation et de réalités territoriales diverses. Nous savons que des langues et des cultures existent sur nos territoires, et qu'elles sont les richesses de la France.
Cependant, l'enjeu de l'exercice auquel nous nous livrons n'est pas de nous lancer dans une reconnaissance hypothétique des peuples de France, qui viendrait finalement fragiliser tout notre édifice républicain et démocratique, fruit d'une longue histoire dont nous sommes collectivement fiers.
C'est la raison pour laquelle, sans remettre en cause ce que sous-tend l'exposé sommaire de votre amendement, je suis conduit à émettre un avis défavorable.
Je remercie le rapporteur général pour sa position équilibrée, mais il n'en demeure pas moins que la devise européenne est la suivante : « Unie dans la diversité ». Je rappelle également que la République n'est plus « une et indivisible », elle est « indivisible », ce qui ne veut pas dire que tous les individus qui la composent sont strictement les mêmes.
Il s'agit effectivement d'une conception défendue par le Conseil constitutionnel, mais que certains responsables politiques voulaient changer. Je vous rappelle que le texte relatif au statut de la Corse présenté par M. Pierre Joxe, alors ministre de l'intérieur, évoquait le peuple corse, partie intégrante du peuple français. Pour ce qui me concerne, les matriochkas me vont très bien : le peuple corse et le peuple breton peuvent être parties intégrantes du peuple français, et même citoyens européens.
J'ai bien compris que cette tentative n'est pas la bonne, mais la France n'a pas à avoir peur des peuples qui la composent depuis longtemps. Si nous avons eu une histoire conflictuelle, il est aujourd'hui important, me semble-t-il, de passer à autre chose. C'est dans cet esprit que je plaide pour que l'on reconnaisse les peuples qui composent la République.
« Un et indivisible », cela ne veut pas dire « uniforme ». Cela ne signifie pas que l'on ne reconnaît pas les différences constitutives d'un peuple : n'allons pas faire dire à des concepts juridiques ce qu'ils ne veulent pas dire en matière de reconnaissance de la réalité des diversités.
Nous parlons d'une construction républicaine et constitutionnelle qui prend en compte les richesses de notre pays. Dire que, fondamentalement, le peuple français est un et indivisible, cela signifie qu'il est uni et qu'il est unitaire ; cela ne veut pas dire qu'il ne serait pas divers. Ce serait une lecture soit naïve – ce que je ne peux pas croire –, soit caricaturale de laisser entendre que le constituant ne reconnaîtrait pas la diversité des composantes des Françaises et des Français en rappelant que le peuple français est un et indivisible.
La Commission rejette l'amendement.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL1372 de Mme Stella Dupont et CL409 de Mme Marie-Pierre Rixain.
L'amendement CL1372 vise à remplacer dans le préambule de la Constitution, les termes « droits de l'Homme » par les termes « droits humains ».
La terminologie actuelle se réfère à la Déclaration universelle des droits de l'Homme, et à la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen. Elle ne nous semble plus adaptée aujourd'hui, car, même si elle vise l'Homme en général, avec un H majuscule, et non le genre masculin, elle ne permet pas l'inclusion des femmes.
Cet amendement d'ordre symbolique vise à permettre aux femmes tout autant qu'aux hommes de se sentir incluses dans la République et protégées par la Constitution. Il reprend une recommandation du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes dans son avis relatif au projet de loi constitutionnelle, intitulé « Pour une Constitution garante de l'égalité entre les femmes et les hommes ».
L'amendement CL409, que je défends au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale, reprend la recommandation n° 5 du rapport d'information sur le projet de loi constitutionnelle qu'elle a adopté à l'unanimité le 20 juin dernier. Il vise à remplacer dans le préambule de notre Constitution l'expression « droits de l'Homme » par l'expression « droits humains ».
Nous souffrons encore d'un phénomène « d'invisibilisation » des femmes auquel participe l'emploi de la formule : droits de l'Homme. Si, à l'écrit, l'initiale majuscule du mot « Homme » permet de savoir que cette expression désigne l'humanité, cela ne s'entend pas à l'oral. Nous devons aujourd'hui privilégier l'expression « droits humains » qui ne laisse aucun doute, à l'écrit comme à l'oral, sur le fait que sont bien concernés les droits de l'ensemble de l'humanité.
Je précise que la Délégation aux droits des femmes ne propose pas de faire cette modification dans la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, car ce texte historique doit être préservé dans sa version d'origine. En revanche, sa transcription contemporaine peut et doit être adaptée. C'est pour cela qu'il nous semble aujourd'hui tout à fait nécessaire de privilégier l'expression « droits humains ». Cette formulation nous semble la plus adaptée ; elle permettra de bien montrer que, désormais, nous n'oublions plus la moitié de l'humanité, lorsque nous parlons des droits humains.
Vous nous expliquez, madame Rauch, qu'il faut modifier la terminologie contemporaine, mais ne pas toucher à la formulation historique. De deux choses l'une : ou bien l'on modifie tout, parce qu'il y a quelque chose d'infondé…
ou mal codifié, ou bien on ne modifie rien.
Je comprends parfaitement votre intention, tout comme la nécessité de combattre, partout où ils se trouvent, les stéréotypes sexistes ou les marques révélatrices d'une conception un peu datée de la société. Mais faut-il voir dans la notion de « droits de l'Homme », avec un H majuscule, l'expression de tels stéréotypes ? Je ne le crois pas : c'est l'homme en tant qu'espèce qui est ici visé. Comme le disait mon instituteur, il y a l'homme, l'animal et les plantes…
L'insertion dans la Constitution de la notion de « droits humains » serait une modification symbolique à la vérité assez peu importante, mais bel et bien troublante au regard d'une définition symbolique qui, elle, a la chance de bénéficier de l'épaisseur, de la densité, de la portée de l'histoire. En pratique, cette modification ne changerait rien à la protection des droits. Nous ne gagnerions rien, me semble-t-il, à transformer un substantif en adjectif en touchant à un objet si fortement symbolique et universel que la Déclaration des droits de l'Homme, texte asexué, si je puis dire, destiné à l'ensemble de l'humanité.
Je suis défavorable à ces deux amendements, car je ne voudrais pas qu'une évolution contemporaine porte atteinte à quelque chose qui a conquis une force historique. L'histoire vaut parfois mieux que l'actualité ou l'humeur du temps.
Au-delà de la présence des majuscules, qui montre bien que la Déclaration de 1789 concerne évidemment les femmes et les citoyennes, je rappelle que les choses évoluent aussi avec la pratique politique et la façon dont on exerce le pouvoir.
Le fait qu'il y ait autant de députées dans cette salle ce soir, et qu'elles soient désormais si présentes sur les bancs de l'Assemblée nationale en dit beaucoup sur la façon dont on peut gommer l'invisibilité dont vous parliez. La parité, telle qu'elle est mise en oeuvre au sein du Gouvernement et dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, est bien plus forte que tout ce qui pourrait être écrit et tout ce qui pourrait être fait, parce qu'elle permet d'assurer la pleine représentation des femmes de notre pays – cela vaut aussi évidemment dans les autres pays.
Je souhaite que ces amendements soient retirés, ou sinon que l'on suive la position du rapporteur général.
Monsieur le rapporteur général, ces amendements ne traitent pas seulement une question d'actualité : ils s'attaquent à une réalité dans un monde encore inégal aujourd'hui.
Monsieur Houlié, méfions-nous des apparences : certes, les élus de cette législature à l'Assemblée nationale tendent vers la parité, et c'est très bien, mais notre société est très loin d'être égalitaire pour ce qui concerne les hommes et les femmes.
Cette affaire de « droits humains » qui remplaceraient les « droits de l'Homme » est symbolique. Comme tous les symboles, celui-là amènerait un petit changement qui ferait avancer les choses. Il s'agit des premiers amendements que nous examinons sur ce sujet : il y en aura d'autres – j'aurai d'ailleurs l'occasion de vous raconter une très intéressante anecdote un peu plus tard sur le titre II de notre Constitution.
Je note en lisant précisément l'amendement CL1372 qu'il vise également à modifier le premier alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, où « de l'homme » est écrit avec un h minuscule… Cela fait toute la différence.
Il faut respecter le symbole de la Déclaration intégrée au bloc constitutionnel telle qu'elle a été rédigée en 1789, en revanche, pour ce qui concerne le préambule de la Constitution, nous pourrions ce soir dire ensemble avec une certaine force notre volonté d'évoluer, tout en respectant, je le répète, les droits de l'Homme, tels qu'ils ont été proclamés en 1789. Cela permettrait d'ouvrir le débat et de marquer le coup.
Un travail en ce sens est effectué depuis de nombreuses années dans le monde entier. Nous sommes plus de trois cents parlementaires à avoir signé la déclaration appelant à utiliser, à compter d'aujourd'hui, l'expression non plus des « droits de l'Homme », mais des « droits humains ». Nous ne parlons pas que des droits des femmes : je trouve que vous avez une vision bien réductrice ce soir en analysant ces amendements à l'aune exclusive de la féminisation des textes. Il n'y a pas que les femmes derrière les droits humains : nous portons de façon globale la question des droits de l'humanité en général.
Je suis favorable à un amendement qui ne modifie pas « de l'Homme » avec un h majuscule, mais « de l'homme » avec un h minuscule.
La Commission rejette successivement les amendements.
Elle en vient à l'amendement CL740 de M. Bastien Lachaud.
Cet amendement vise à inscrire dans notre Constitution la référence à la Déclaration des droits de l'homme de 1793. Si la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 est un texte fondamental qui consacre l'universalisme de la Révolution française, on ne saurait oublier que de 1789 jusqu'à 1792, la France est encore une monarchie : la République s'installe seulement avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1793.
Il ne serait donc que justice d'intégrer ce texte dans le bloc de constitutionnalité. Il s'agit d'une déclaration qui, en avance sur son temps, réaffirmait le droit à l'instruction, la nécessité des secours publics, et du droit à l'insurrection contre les gouvernements tyranniques, autant d'avancées que nous retrouvons, sous d'autres termes, dans le Préambule de la Constitution de 1946 et qui sont, à ce titre, constitutionnalisées. Inscrire la Déclaration de 1793 dans le bloc de constitutionnalité ne serait que rendre justice à notre héritage révolutionnaire et républicain.
Avis défavorable. Le bloc de constitutionnalité comprend déjà la Déclaration de 1789, dont nul ne peut douter de l'universalité. Elle fonde l'édifice constitutionnel de notre régime, et elle constitue la source essentielle de la protection des libertés fondamentales.
La dimension sociale, culturelle et internationale des droits fondamentaux est également inscrite dans ce bloc, à travers notamment le Préambule de la Constitution de 1946 qui protège, par exemple, le droit d'asile pour toute personne persécutée, le droit d'obtenir un emploi, l'égal accès à l'instruction, ou le caractère gratuit et laïc de l'enseignement.
Je ne crois pas nécessaire d'y ajouter la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1793, dont les dispositions recoupent en grande partie celles déjà contenues dans le bloc de constitutionnalité et pourraient parfois les contredire, au risque de déstabiliser tout cet édifice dont nous pouvons chaque jour mesurer la solidité.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est saisie, en discussion commune, des amendements CL666 de Mme Delphine Batho, CL1309 de Mme Maina Sage, et CL667 de Mme Delphine Batho.
L'amendement CL666 propose de modifier le Préambule de la Constitution afin qu'il puisse faire référence aux considérants de la Charte de l'environnement. Lors de l'intégration de ce texte dans la Constitution, il a seulement été fait mention des « droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004 », ce qui ne permet pas de donner une portée constitutionnelle aux considérants de ce texte.
Si certains d'entre eux sont des constats – comme le fait que « l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel » –, les deux derniers considérants sont d'une autre nature. Il y est ainsi indiqué « que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation », et « qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».
Aujourd'hui, le Conseil constitutionnel ne peut donc pas attribuer une portée constitutionnelle à ces deux considérants, alors qu'ils devraient en avoir une. D'éminents juristes ayant analysé les décisions du Conseil constitutionnel faisant mention de la Charte de l'environnement ont acté le fait que peut-être, un jour, ces deux derniers considérants auront à trouver une application, mais que, pour l'instant, cela n'était pas le cas.
Nous souhaitons supprimer la référence aux « droits et devoirs » afin que l'ensemble de la Charte, articles et considérants, soit pris en considération.
Dès l'intégration de la Charte au Préambule de la Constitution, de nombreuses questions relatives à sa force juridique et à sa portée ont été soulevées. En 2008, le Conseil constitutionnel se voulait plutôt rassurant à cet égard ; toutefois certaines décisions ont depuis contribué à entretenir une incertitude.
Le Conseil d'État lui-même considère qu'il n'est pas certain que la décision de 2008 du Conseil constitutionnel tranche aussi nettement qu'on l'aimerait la question de l'invocabilité directe de la Charte à l'égard des décisions administratives. Le Conseil constitutionnel a ainsi interprété de façon restrictive la Charte de l'environnement, en considérant que ce texte consacre des dispositions de portées différentes : des droits, des devoirs, des principes, ou des objectifs de valeur constitutionnelle.
Certains peuvent n'y voir qu'une affaire de police des mots, et penser qu'enlever un mot par ci pour en ajouter deux autres par là est une question de détail. Pourtant, je vous assure que ces amendements sont le fruit d'un combat mené depuis près d'une décennie sur la valeur juridique de la Charte. Une grande partie des spécialistes estiment qu'en supprimant les mots « droits et devoirs », on renforcera la valeur constitutionnelle de la totalité de la Charte. L'adoption de mon amendement CL1309 aurait une haute signification juridique.
Mon amendement CL667 est de repli, pour le cas où le CL666 ne serait pas adopté. Plutôt que de supprimer les termes « droits et devoirs », je propose d'ajouter le mot « principes », ce qui donnerait : « ainsi qu'aux principes, droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement ».
Vous l'avez rappelé, la Charte a désormais valeur constitutionnelle, puisqu'elle a été intégrée dans le Préambule de la Constitution par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Cela étant, le préambule de la Charte est essentiellement déclaratoire. Dans une décision de 2008, le Conseil constitutionnel a indiqué que l'ensemble des droits et des devoirs définis dans la Charte de l'environnement avaient valeur constitutionnelle et qu'ils s'imposaient aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs. Depuis cette décision, le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de répondre à de nombreux griefs tirés de la méconnaissance de cette Charte.
Toutes les dispositions de la Charte ont valeur constitutionnelle, mais toutes n'instituent pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit et ne peuvent donc être invoquées à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Le juge constitutionnel opère une distinction entre les droits constitutionnels, les principes constitutionnels et les objectifs à valeur constitutionnelle, faisant varier les types de contrôles qu'il opère en fonction de la valeur normative des dispositions de la Charte.
En 2014, le Conseil constitutionnel a précisé que les sept alinéas qui précèdent les dix articles de la Charte de l'environnement ont valeur constitutionnelle, mais qu'aucun d'entre eux n'institue un droit ou une liberté que la Constitution garantit (Société Casuca – Plantations en limite de propriétés privées). Il s'est déjà emparé de l'un des considérants de la Charte lors de l'examen de plusieurs dispositions du code de procédure pénale relatives au secret défense.
Pour conclure, nous avons auditionné plusieurs personnes sur la question climatique et certaines différences d'appréciation doctrinaire sont perceptibles, madame Sage, contrairement à ce que vous indiquez.
Pour toutes ces raisons, mon avis sur ces amendements sera défavorable.
Madame la rapporteure, malgré vos explications, nous soutiendrons les amendements présentés : c'est le rôle du législateur que d'actualiser la rédaction de la Constitution afin de clarifier l'interprétation de nos textes de référence par le Conseil constitutionnel. Au nom de notre groupe, M. André Chassaigne précisera, voire actualisera la rédaction de certains articles de la Charte de l'environnement, dont l'élaboration avait été consensuelle. Nous souhaitons que les droits, devoirs, objectifs et principes constitutionnels de la Charte soient pleinement opposables.
Je ne connais aucun juriste opposé à cet amendement… Le débat sur la portée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel concernant la Charte de l'environnement n'est pas récent. La jurisprudence est désormais abondante sur certains articles, mais pas sur les considérants.
En 2008, quand le Conseil constitutionnel ne se réfère qu'aux droits et devoirs garantis par la Charte, c'est précisément parce que l'article préambule ne fait référence qu'à ces droits et devoirs !
Le débat sur les QPC – y compris la décision du Conseil constitutionnel de 2014 – est un autre débat puisqu'il est lié à l'article 61-1 de la Constitution qui les encadre : elles ne peuvent porter que sur les dispositions législatives susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Je parlais quant à moi de l'interprétation du Conseil constitutionnel au sens large : quand une loi lui est déférée, il n'analyse pas sa constitutionnalité au regard des deux derniers considérants de la Charte, qui ne sont pourtant pas simplement déclaratoires – contrairement à ce que vous affirmez – puisqu'ils disposent notamment que « la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ».
Nous allons ultérieurement débattre du contenu de l'article 1er. Mais avant cela, nous pourrions tout simplement étendre l'opposabilité de la Charte aux considérants, afin de guider les futures jurisprudences du Conseil constitutionnel.
La Commission rejette successivement les amendements CL666, CL1309 et CL667.
Puis elle en vient à la discussion commune de l'amendement CL210 de la commission du Développement durable et de l'aménagement du territoire et des amendements identiques CL583 de M. Christophe Arend et CL689 de Mme Delphine Batho.
Aujourd'hui, le climat ne figure pas dans la Constitution, ni dans la Charte de l'environnement de 2004. Pour faire écho à l'action internationale de la France dans ce domaine, mais aussi face à l'évolution des connaissances scientifiques, à la prise de conscience croissante de l'urgence climatique et à l'évolution des accords internationaux dans ce domaine, il est important d'aménager les considérants de la Charte de l'environnement, c'est-à-dire les constats sur lesquels elle se fonde.
L'amendement CL210 vise à ajouter un considérant, après celui sur la biodiversité, qui reprendrait les termes de l'accord de Paris en précisant que le climat est affecté par des changements qui représentent une menace immédiate et potentiellement irréversible pour les sociétés humaines et la planète.
L'amendement CL583 est légèrement différent puisqu'il propose d'insérer que les changements climatiques représentent une menace immédiate et potentiellement irréversible pour les sociétés humaines et la planète.
Mon amendement CL689 a le même objet : il s'agit d'inclure les changements climatiques dans les considérants de la Charte de l'environnement, conformément à l'alinéa 6 de la décision d'adoption de l'accord de Paris.
La thématique des changements climatiques sera abordée ultérieurement : plusieurs amendements proposent de l'inscrire soit à l'article 1er, soit à l'article 34, afin que le Conseil constitutionnel puisse s'appuyer sur ces dispositions.
Par ailleurs, nous ne souhaitons pas modifier la Charte de l'environnement pour plusieurs raisons. Elle traduit un moment donné de notre histoire, la prise de conscience des enjeux climatiques et des enjeux liés à l'environnement. Il faut la figer dans le temps, de la même façon que nous avons figé le Préambule de 1946 ou la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Ce texte se suffit à lui-même ; en ajoutant de nouveaux principes, nous le dénaturerions. Cela pourrait même être dangereux de rouvrir le débat : nous pourrions être amenés à redébattre de l'ensemble des dispositions qui y figurent, ce que ni vous ni moi ne souhaitons.
Pour conclure, il me semble que la mention du climat sera beaucoup plus efficace au sein du texte constitutionnel plutôt que dans le préambule de la Charte.
Je suis donc défavorable à ces amendements.
Je partage l'analyse de la rapporteure. Le groupe Nouvelle Gauche estime juridiquement pertinent et prudent de ne pas toucher à la Charte de l'environnement et de nous concentrer sur les articles 1er et 34.
Le groupe La République en Marche partage également cette appréciation. Nous souhaitons sanctuariser le bloc constitutionnel tel qu'il résulte du Préambule de la Constitution. La préservation de l'environnement, de la diversité biologique ou la lutte contre le changement climatique seront introduites à l'article 1er de la Constitution. Cela traduira notre volonté d'inscrire ces notions dans un article extrêmement symbolique de la Constitution, celui des grands principes.
C'est pourquoi nous sommes défavorables à tous les amendements qui toucheront à la Charte de l'environnement et plus généralement à tout le Préambule ; nous présenterons évidemment un amendement tendant à inscrire ces principes un peu plus loin dans la discussion.
Comparaison n'est pas raison… Nous ne sous-estimons pas la portée symbolique de la Charte de l'environnement, puisque nous proposons de renforcer son opposabilité et d'en préciser le contenu. Mais la Charte n'a tout de même pas la même portée symbolique que la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ou le préambule de 1946 !
D'autre part, le consensus qui a conduit à l'élaboration de la Charte de 2004 était issu de connaissances qu'il nous faut actualiser. La lutte contre le réchauffement climatique doit être intégrée à la Charte. De la même manière, nous y reviendrons, la notion d'environnement équilibré et respectueux de la santé nous semble insuffisamment précise et opposable : la dimension de la biodiversité, par exemple, n'est pas prise en compte.
Il est surprenant que vous sacralisiez à ce point la Charte, pour finalement la vider de sa substance…
La Charte de l'environnement n'a pas été adoptée dans des circonstances consensuelles ; elle a même été combattue avec virulence. Elle n'a donc pas été votée dans des circonstances historiques comparables à la Déclaration des droits de l'Homme. Mais je ne partage pas l'argument selon lequel une réouverture du débat pourrait aboutir à des reculs ou de nouvelles attaques contre le principe de précaution.
Vous ne souhaitez pas toucher à la Charte, madame la rapporteure : c'est une position qui se tient politiquement, même si elle est juridiquement discutable. Je la comprends, mais cela va vous obliger à être ambitieuse et cohérente dans la suite de nos débats. À défaut, nous risquons d'aboutir à une Constitution à deux vitesses sur les questions d'environnement : les dispositions de l'article 1er d'un côté, et une Charte de l'environnement affaiblie de l'autre, car elle n'aura été ni complétée, ni enrichie.
Je partage le point de vue de M. Jumel et Mme Batho. Les dispositions de la Charte de l'environnement ne peuvent pas être mises au même niveau que les droits fondamentaux inscrits dans le préambule de la Constitution de 1946.
Par ailleurs, depuis l'adoption de la Charte, la prise de conscience environnementale a évolué, tout comme les données scientifiques. En ne prenant pas en compte ces évolutions, on affaiblit sa portée et son efficacité, c'est évident ! Pourquoi ne pourrait-on pas inclure la nouvelle approche des équilibres écosystémiques, la question de la biodiversité ou faire évoluer le concept de développement durable dans la Charte ?
Nous en avons parfaitement conscience. C'est précisément la raison pour laquelle nous proposons de l'inscrire dans l'article 1er de notre Constitution, et non de modifier la Charte de l'environnement. Il n'est pas utile de répéter certains principes à l'infini pour leur donner plus de force. Leur inscription à l'article 1er marquera plus fortement notre engagement à les défendre.
Quand notre commission a rédigé puis adopté cet amendement, nous ne disposions pas des éléments fournis par la rapporteure. Je prends acte de votre projet ambitieux d'inscrire le climat à l'article 1er de notre Constitution. Je ne peux pas retirer cet amendement, car il a été adopté par la Commission, mais je partage votre ambition.
Ces débats sont symptomatiques : quand on veut trop la toucher, la Constitution perd sa force… La Charte de l'environnement existe, elle est le symbole d'une prise de conscience historique. Il ne faut pas la modifier, même si, vous avez raison, le mot « biodiversité » n'y figure pas explicitement. Inscrire ces principes à l'article 1er, en utilisant des mots simples, efficaces et qui auront une valeur constitutionnelle, sera bien plus protecteur des environnements, des écosystèmes et de la biodiversité.
Les amendements CL583 et CL689 sont retirés.
La Commission rejette l'amendement CL210.
La Commission passe à l'amendement CL1001 de M. André Chassaigne.
Il s'agit de faire évoluer la définition incomplète de la notion du droit à un « environnement équilibré et respectueux de la santé ». Nous proposons de préciser : « qui préserve les équilibres écosystémiques, la biodiversité et la santé humaine », afin de mieux correspondre aux prises de conscience opérées depuis 2004.
Même avis défavorable que pour les précédents amendements concernant la Charte de l'environnement. La notion de biodiversité sera inscrite à l'article 1er, afin de prendre en compte ces évolutions.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement CL757 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Notre amendement vise à protéger les biens communs : l'eau, l'air, le vivant ou l'énergie ne doivent pas être considérés comme des marchandises. À Vittel, par exemple, la nappe phréatique est en train d'être asséchée par la multinationale Nestlé qui pompe allègrement l'eau pour la vendre sous la marque Vittel. Les habitants ne peuvent même plus l'utiliser : on est en train de construire des aqueducs pour les approvisionner alors qu'ils habitent au-dessus des nappes phréatiques les plus importantes de notre pays !
La menace sur nos biens communs est donc réelle et immédiate. C'est pourquoi nous souhaitons les constitutionnaliser, afin de les protéger.
Je comprends le souci qui vous anime mais, pour les mêmes raisons que précédemment, j'émettrai un avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL786 de Mme Danièle Obono.
Cet amendement vise à indiquer dans la Constitution que les êtres vivants ne peuvent faire l'objet d'aucun brevetage et que la République ne reconnaît aucun brevet de ce type.
L'Équateur, en 2008, a été le premier pays à introduire un droit à la nature à exister par et pour elle-même dans sa Constitution. Cette dernière dispose que « la nature ou Pachamama, où la vie est reproduite et existe, a le droit au respect intégral de son existence, du maintien et de la régénération de ses cycles vitaux, de sa structure, de ses fonctions et de ses processus évolutifs. » Les implications d'un tel droit vont bien au-delà d'un droit à un environnement sain et des impératifs de conservation et de protection de la nature au bénéfice des êtres humains ou de la richesse qu'ils peuvent en tirer.
Face à l'urgence climatique, nous considérons que l'intérêt écologique doit prévaloir sur l'intérêt économique. Il s'agit de refuser les destructions autant que l'appropriation des écosystèmes. Cet amendement serait une première pierre à l'inversion de la hiérarchie des normes, inspirée de la Constitution équatorienne.
Pour les mêmes raisons que précédemment, j'émettrai un avis défavorable : nous ne souhaitons pas rouvrir la Charte de l'environnement. Pour mémoire, le Conseil constitutionnel a rappelé que le caractère non appropriable du vivant est lié au principe de dignité de la personne humaine, qui a rang constitutionnel.
À partir du moment où la jurisprudence du Conseil constitutionnel reconnaît certains principes, la constitutionnalisation de ces principes n'est pas nécessaire. Soyons rigoureux et économes dans les modifications que nous apportons à notre Constitution. En l'espèce, cet ajout ne me paraît ni utile ni efficace.
La Commission rejette l'amendement.
La Commission passe à l'amendement CL787 de M. Jean-Hugues Ratenon.
L'ambition de « l'Avenir en Commun », le programme de La France insoumise, est celle d'une transition complète vers un projet agricole et alimentaire d'intérêt général. Nous défendons une agriculture écologique et paysanne reposant sur un nouveau pacte entre les agriculteurs et l'ensemble de la société, ainsi que sur un système alimentaire durable garantissant le droit de toutes et tous à une alimentation de qualité. Cette agriculture écologique et paysanne doit être fondée sur la conversion progressive de l'ensemble de l'agriculture aux principes de l'agriculture écologique et biologique, débarrassée du poids des lobbies et des intérêts financiers.
L'interdiction de la commercialisation des organismes génétiquement modifiés sur le territoire national est un préalable indispensable pour faire de l'agriculture un pilier de la transition écologique. Il convient de l'inscrire dans la Constitution.
Une agriculture durable est avant tout une agriculture compétitive. Nos agriculteurs ont déjà fait énormément d'efforts. C'est en renforçant leur compétitivité que nous leur permettrons d'en faire encore davantage. Ils doivent relever des défis majeurs afin de nourrir des continents en pleine explosion démographique. Constitutionnaliser ces principes les placerait dans une situation dramatique par rapport à la concurrence internationale. Les marchés mondiaux évoluent parfois dans des conditions bien différentes des nôtres et leurs produits se déversent abondamment sur le marché français. À titre personnel, je suis opposé à l'idée de leur imposer de telles contraintes.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL789 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Notre amendement CL789 vise à introduire dans la Charte de l'environnement l'interdiction de l'usage et de l'introduction de toutes les substances pouvant altérer de manière définitive le patrimoine génétique et la diversité biologique.
Depuis des années, plusieurs études dénoncent l'implication des pesticides dans des pathologies et des maladies neurologiques ou cancéreuses. Les impacts de ces produits sur la biodiversité ne sont par ailleurs plus ignorés du grand public. Nos débats récents sur le glyphosate démontrent que les intérêts commerciaux et économiques prévalent systématiquement, au détriment de la santé et de la biodiversité. La population fait le même constat. En inscrivant cette interdiction dans la Charte de l'environnement, nous pourrions mettre un terme aux dégâts causés par ces pesticides sur la biodiversité et sur la santé humaine, conformément au principe de précaution d'ailleurs consacré par la Charte. Ce faisant, nous donnerions l'exemple, à la suite d'autres pays qui l'ont déjà fait, comme l'Équateur.
Même avis que précédemment. Par ailleurs, la diversité biologique sera inscrite à l'article 1er, si l'amendement déposé est adopté.
La Commission rejette l'amendement.
Elle passe à l'amendement CL788 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Il s'agit d'un amendement d'humanité, même s'il concerne les animaux. Nous souhaitons affirmer que tout acte de cruauté envers les êtres doués de sensibilité est interdit. La loi de 1963 a créé le délit de cruauté et la loi de 1976 dispose que tout animal est un être sensible. Enfin, depuis 2015, les animaux sont considérés comme des êtres doués de sensibilité par le code civil, qui les classait auparavant parmi les biens meubles.
Toutefois, les animaux restent soumis au régime des biens corporels. Les conditions déplorables d'abattage ou certaines pratiques ludiques comme la chasse à courre ne sont donc pas remises en cause. Tous nos amendements en faveur du bien-être animal ont été repoussés par la majorité lors des débats sur le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable. Nous ne désespérons pas de vous faire entendre sagesse et raison. La transition écologique n'est pas envisageable sans reconsidérer notre rapport au vivant et aux êtres sensibles.
Madame la rapporteure, sans doute allez-vous me répondre que cet amendement n'a pas sa place dans la Charte de l'environnement ; mais je souhaiterais une réponse de fond. Au besoin, lors de l'examen en séance publique, nous pourrons éventuellement le déplacer dans l'un des articles de la Constitution pour vous satisfaire.
Ce sont des raisons de fond qui nous poussent à ne pas vouloir modifier la Charte de l'environnement, monsieur le député.
Par ailleurs, vous l'avez rappelé dans votre exposé, la cruauté envers les animaux est un délit. Nous n'allons pas insérer dans la Constitution l'ensemble du code pénal et les délits et crimes qu'il réprime. Nous sommes tous préoccupés par la cruauté envers les animaux, les débats récents sur le projet de loi agricole précité l'ont démontré. Mais ces débats ont également souligné qu'il s'agissait d'une question de niveau législatif et non constitutionnel. Mon avis sera donc défavorable.
Je crois au contraire que les débats sur le projet de loi agricole ont démontré le manque d'intérêt et de compréhension de ces enjeux par la majorité ! Nous reprendrons ce débat en séance, en reformulant et en repositionnant notre amendement.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL1181 de M. Arnaud Viala.
Notre amendement vise à remplacer le mot « précaution » du principe de précaution inscrit dans la Charte de l'environnement par le mot « responsabilité ». Depuis 2005, la mise en oeuvre de ce principe a donné lieu à une série de blocages dans la mesure où la précaution est avant tout une aversion au risque : cela peut même conduire à un certain immobilisme, créer des peurs ou une méfiance généralisée, au-delà même du seul secteur de l'environnement. On l'a vu s'agissant des vaccins : certaines réactions alimentaient une forme d'obscurantisme et un refus du progrès scientifique.
L'affirmation d'un principe de responsabilité permettrait de limiter les blocages et responsabiliserait les générations présentes vis-à-vis des générations futures, tout en évitant de voir s'affronter l'innovation, le développement économique, efficace et responsable, et les risques environnementaux. Cela nous permettrait de prendre en compte les risques, mais aussi les opportunités.
C'est bien la preuve que rouvrir les débats sur la Charte de l'environnement risquerait d'entraîner une remise en cause de tous les principes et règles qui y figurent… C'est la raison de notre opposition à toute modification.
Monsieur Dumont, le principe de précaution est un principe d'action et non d'abstention ; je ne souscris donc pas à votre analyse. Mon avis sur votre amendement sera défavorable.
Je partage l'analyse de la rapporteure : le principe de précaution est encore extrêmement mal compris et interprété. C'est bel et bien un principe qui incite à l'action, en particulier par la recherche, dès lors qu'il s'agit de prévenir un dommage irréparable qui pourrait survenir pour l'environnement. Il est très encadré et de bon sens. Ce n'est pas un principe de prudence, mais d'audace.
Voilà exactement ce que nous voudrions éviter : une remise en cause du principe de précaution. Il faudra bien un jour sortir de cette contradiction ! Loin d'être un obstacle au progrès, le principe de précaution est un puissant promoteur de progrès scientifique dans la mesure où il nous oblige à nous transcender.
J'observe tout de même que les meilleurs auteurs se sont, il y a quelques années, interrogés sur la portée de ce principe. Ainsi, le rapport de la commission chargée d'examiner les conditions d'une libération de la croissance française, présidée par M. Jacques Attali en 2008, proposait déjà de faire évoluer la rédaction de l'article 5 de la Charte de l'environnement, considérant que les termes du principe de précaution constituaient probablement un frein à la croissance. Or ce rapport était bien écrit puisque le rapporteur général adjoint de la commission n'était autre qu'un jeune inspecteur des finances du nom d'Emmanuel Macron… Dix ans plus tard, le groupe Les Républicains propose en fait un amendement post-macroniste ! Au-delà de l'anecdote, la jurisprudence issue du principe de précaution peut légitimement poser question.
Enfin, madame Braun-Pivet, il me paraîtrait plus légitime de traiter les questions d'environnement dans la Charte de l'environnement – véhicule idoine – plutôt que de modifier l'article 1er de la Constitution au risque, pardonnez-moi l'expression, de le polluer…
Ceux qui attaquent le principe de précaution seraient bien en peine de citer un seul exemple dans lequel il aurait fait obstacle à la connaissance scientifique… Au contraire, la défense de l'environnement, de la santé publique, du climat ou de la biodiversité sont issues de connaissances scientifiques. C'est la négation du principe de précaution – le fait Donald Trump – qui est une forme d'obscurantisme !
Une seule décision d'application du principe de précaution issue de Charte de l'environnement a été rendue et elle est récente. Elle concernait un nouveau néonicotinoïde – le sulfoxaflor – dont l'autorisation de mise sur le marché avait été délivrée sans que l'on dispose de données concernant son impact sur les abeilles. En conséquence, en application du principe de précaution, le Conseil d'État a considéré que cette autorisation n'aurait pas dû être délivrée.
Nous n'avons rien à craindre du débat sur le principe de précaution – à moins que l'actuelle majorité ne songe à voter sa remise en cause, ce que je ne veux pas croire.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite en discussion commune les amendements CL223 de la commission du Développement durable et de l'aménagement, CL820 de Mme Delphine Batho et CL1003 de M. André Chassaigne.
À la suite de l'entrée en vigueur de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le principe de non-régression est inscrit à l'article L. 110-1 du code de l'environnement en ces termes : « le principe de non-régression, selon lequel la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».
Par sa décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016, le Conseil constitutionnel a validé cette disposition, tout en limitant sa portée aux normes de nature réglementaire. Le législateur reste donc libre d'apprécier l'opportunité de modifier ou d'abroger des dispositions de nature législative. Dans son arrêt n° 404391 (Fédération Allier Nature) du 8 décembre 2017, le Conseil d'État a appliqué ce principe de manière nuancée, reconnaissant ainsi sa pleine valeur juridique.
Une constitutionnalisation de ce principe permettrait de l'appliquer non plus uniquement aux règlements, mais également aux lois. Le principe de non-régression produirait ainsi une sorte « d'effet cliquet », consacré dans la décision du Conseil constitutionnel n° 84-181 DC du 11 octobre 1984 qui dispose que, « s'agissant d'une liberté fondamentale, […] la loi ne peut en réglementer l'exercice qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ».
La constitutionnalisation de ce principe assurerait une protection renforcée de l'environnement. J'ai entendu les arguments de la rapporteure sur le fait de ne pas modifier la Charte, mais je ne peux retirer cet amendement CL223 que je présente au nom de la Commission.
Je n'ai pas pu rectifier mon amendement CL820 pour une raison de doctrine propre à la commission des Lois mais, sur le fond, il est identique à celui du rapporteur de la commission du Développement durable et de l'aménagement du territoire. Cet amendement est très important. Nous pouvons nous accorder pour ne pas modifier la Charte mais, dans ce cas, il faut introduire le principe de non-régression à l'article 1er de la Constitution. En effet, ce principe figure dans le Pacte mondial pour l'environnement défendu par la France dans les différentes instances internationales. Nous ne saurions le défendre au niveau international si nous ne sommes pas capables de l'appliquer dans notre pays et de l'inscrire dans notre Constitution. Ce verrou empêchera les régressions environnementales.
Notre amendement CL1003 répond au même souci de constitutionnaliser le principe de non-régression en l'insérant dans la Charte de l'environnement ; nous proposerons finalement de l'insérer dans l'article 1er.
Nous pouvons nous entendre pour ne pas modifier la Charte de l'environnement. Nous pourrions peut-être débattre du sujet lorsque nous aborderons la question du climat, de la biodiversité et la protection de l'environnement à l'article 1er ?
Je n'ai pas dit cela… Je dis seulement que des amendements prévoient l'inscription du principe de non-régression à l'article 1er. Nous n'allons donc pas débattre de cette question à deux reprises.
La rapporteure vous invite à retirer vos amendements. M. le rapporteur de la commission du Développement durable et de l'aménagement du territoire n'en a pas la possibilité.
La Commission rejette l'amendement CL223.
Madame la rapporteure vient de préciser sa pensée… Dans un premier temps, elle nous a dit que la Charte de l'environnement était sacrée et qu'il ne fallait ni la modifier, ni l'enrichir, ni la préciser. Mais quand on la pousse un peu, elle nous explique qu'elle donnera un avis défavorable à notre volonté de graver dans le marbre de l'article 1er un certain nombre de principes !
Vous n'avez pas dit le contraire… Dites-nous que le principe de non-régression sera inscrit à l'article 1er, nous gagnerons du temps !
Monsieur Jumel, tenez-vous en à votre amendement. Il a reçu un avis négatif de la rapporteure.
Pardonnez-moi, monsieur le président, mais jusqu'à ce que vous ayez amoindri notre capacité à défendre nos amendements, j'ai le droit d'intervenir sur celui que nous avons déposé !
L'inscription de principes fondamentaux dans le préambule de la Charte a une valeur symbolique, et même normative, forte. Elle marque l'intérêt que nous attachons à ces principes fondamentaux. C'est loin d'être neutre. La valeur normative de l'article 1er est incontestable, mais la valeur symbolique d'un préambule l'est tout autant. Sinon, les constitutions n'auraient pas besoin de préambule ! C'est une indication de l'adhésion de la société et de ses représentants à des principes qui font consensus à un moment donné.
Nous maintenons nos amendements et nous serons vigilants : votre refus de modifier la Charte ne doit pas reposer sur des motifs fallacieux.
Il est dommage de ne pas débattre sur fond de ces amendements… Nous pourrions peut-être appeler les amendements concernant la Charte de l'environnement après les articles, afin de pouvoir juger des évolutions et décider en conscience de retirer ou de maintenir nos amendements.
Je n'ai pas demandé la parole tout à l'heure, lorsqu'il était question d'inscrire le changement climatique ; et pourtant, vous le savez, quatre-vingt-quatre atolls de Polynésie sont en première ligne face à ce phénomène majeur. Nous ne pouvons passer à côté de ce débat, notamment outre-mer. La commission des Lois doit étudier ces amendements et prendre position, quitte à en réserver le débat.
La Commission rejette les amendements CL820 et CL1003.
Monsieur le président, je vous saurai gré de me donner la parole lorsque je souhaite répondre à la rapporteure et indiquer si je souhaite retirer ou maintenir mon amendement.
Je ne m'étais absolument pas prononcée sur cette question ! Je tiens donc à dire que j'ai bien entendu les arguments développés par la rapporteure à propos de la Charte de l'environnement, mais que je maintiens néanmoins mon amendement, car aucun de ceux qui sont déposés à l'article 1er ne prévoit l'inclusion du principe de non-régression.
La Commission examine ensuite, en discussion commune, l'amendement CL790 de M. Jean-Hugues Ratenon et l'amendement CL1002 de M. André Chassaigne.
L'actuel article 6 de la Charte de l'environnement indique que les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social.
À l'heure de l'urgence écologique, l'emploi systématique du terme « développement durable » n'est plus acceptable. En effet, ce terme sous-entend que les principes économiques actuels, mus par un objectif perpétuel de croissance, sont compatibles avec le respect de la biodiversité, la gestion soutenable des ressources, des modes de production et de consommation en adéquation avec les écosystèmes. Or une croissance infinie, dans un monde aux ressources finies, est impossible.
Le terme « développement durable » est de fait un oxymore. Il est indispensable et urgent d'acter l'ère de la transition écologique. Un développement soutenable, fidèle aux objectifs de transition écologique, c'est-à-dire harmonieux et respectueux de la finitude des ressources, de la fragilité des espaces et des espèces, est aujourd'hui indispensable. Le terme « développement durable » est donc à bannir du vocabulaire et des projets de loi du Gouvernement.
C'est pourquoi nous vous demandons, par l'amendement CL790, d'adopter cette nouvelle rédaction de l'article 6 de la Charte de l'environnement.
Notre amendement CL1002 va dans le même sens. Notre groupe considère lui aussi qu'il conviendrait de substituer aux mots « développement durable » les mots : « transition écologique ». Cela constituerait une transformation de l'article 6 de la Charte de l'environnement, dont le libellé nouveau serait : « Les politiques publiques doivent promouvoir la transition écologique. À cet effet, elles concilient le progrès social avec la protection et la mise en valeur de l'environnement. »
Le fait que la notion de développement durable repose sur trois pieds, l'environnement, l'économie et le progrès social, aboutit en fait à remettre en cause l'idée même de la transition écologique dans la mesure où les grandes orientations politiques du système politique qui domine aujourd'hui la planète sont en contradiction, par la nature même des intérêts que celui-ci défend, avec l'intérêt général de protection de l'environnement et le progrès social.
C'est pourquoi j'espère que notre amendement pourra faire bouger notre rapporteure. Faute de quoi la Charte de l'environnement perdra progressivement toute sa valeur.
Il me semble que ce n'est pas avec des dispositions de ce genre qu'on lutte pour la protection de l'environnement, mais en conduisant quotidiennement des politiques publiques de préservation de l'environnement et des enjeux climatiques et de biodiversité. C'est pourquoi je reste opposée à la réouverture de la Charte de l'environnement ; mais cela ne signifie pas que nous négligions ces enjeux ou que nous ne mettions pas tout en oeuvre pour en assurer le respect. Avis défavorable.
Permettez-moi de vous dire que vous vous trompez complètement, madame la rapporteure ! Vous voulez nous démontrer que la Charte de l'environnement ne servirait à rien et que des bonnes pratiques et des politiques publiques suffisent. Ce n'est pas vrai, car il faut bien des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution.
Pourquoi voulons-nous amender la Charte de l'environnement, sans la laisser gravée dans le marbre ? Tant en matière de transition écologique que de dérèglement climatique, des avancées importantes ont lieu chaque jour, les connaissances progressent quotidiennement, ce qui permet de mener des politiques beaucoup plus adaptées à la réalité du changement climatique. Vous ne semblez pas comprendre ce qui se passe à l'échelle planétaire, en considérant que cette charte ne doit pas évoluer ; ce positionnement réactionnaire vous empêche d'anticiper ces changements incessants et d'adapter nos pratiques à une réalité en perpétuelle évolution. C'est précisément l'attitude qu'il faut proscrire en matière environnementale.
Le débat parlementaire doit nous permettre de chercher à nous convaincre, les uns les autres, sur le fond des questions examinées. Il y a donc un problème de fond et un problème de forme à refuser ainsi que les lignes bougent dans un domaine où les choses sont aussi évolutives.
Nos positions bougent en effet tous les cinq ans ou tous les ans… Je suggère donc à notre collègue Danièle Obono que nous révisions la Charte de l'environnement tous les ans ! Plus sérieusement, il me semble que nous devons au contraire avoir un texte de portée suffisamment générale et protectrice pour n'être pas continuellement périmé.
Si c'est le cas, inscrivons plutôt, comme c'est prévu, un certain nombre de principes forts dans l'article 1er, plutôt que de nous retrouver à devoir modifier la Charte de l'environnement à chaque fois que l'état des savoirs scientifiques évolue. Voilà ce qui apportera la protection qui fait défaut aujourd'hui.
La Commission rejette, successivement, les deux amendements.
Puis elle examine l'amendement CL791 de Mme Danièle Obono.
L'article 7 de la Charte de l'environnement indique que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. » Avec notre amendement, nous proposons de passer d'une dimension facultative à une dimension obligatoire, afin que les grands opérateurs économiques et politiques ne puissent plus s'arranger avec les impératifs démocratiques à l'heure d'une urgence climatique qui implique rigueur et mesure.
Nous pensons qu'il est important que les citoyens et les citoyennes puissent s'emparer de ces sujets. C'est pourquoi nous proposons, dans cet amendement, que « les autorités garantissent, dans le cadre de l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement, la participation et la consultation des populations concernées. »
Même avis que précédemment. Au demeurant, l'article 7 de la Charte de l'environnement prévoit déjà la participation du public à l'élaboration des décisions ayant une incidence sur l'environnement.
Par ailleurs, il s'agit du champ de compétences de la commission nationale du débat public. La participation citoyenne est déjà prévue par les textes ; il n'est nul besoin de la renforcer.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement CL801 de M. Bastien Lachaud.
Cet amendement vise à garantir l'accès à l'eau et à l'énergie pour chacune et chacun d'entre nous. Il réaffirme que nul ne peut en être privé, en prévoyant que les premiers m3 et premières quantités indispensables à la vie seront gratuits et garantis par les autorités publiques.
Il s'agit de rien de moins que d'une transcription de l'article 1er de la Charte de l'environnement, qui prévoit que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». L'eau constitue une partie indispensable de ce patrimoine commun de l'humanité. Elle doit être protégée comme ressource et accessible inconditionnellement à toute personne. Nous devons nous assurer que l'eau ne devient pas une marchandise, source de profit, alors même qu'elle apparaît naturellement dans la nature.
Cet amendement permettrait ainsi d'instaurer une tarification progressive sur l'eau et sur la consommation d'énergie, en incluant la gratuité des quantités indispensables à une vie digne et en permettant de pénaliser les mésusages et les gaspillages.
Monsieur Lachaud, vous aviez déposé il y a quelque temps une proposition de loi constitutionnelle qui avait le même objet. Vous ne serez donc pas étonné que notre position soit encore négative sur ce sujet. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL807 de M. Bastien Lachaud, CL1048 de Mme Delphine Batho, et les amendements identiques CL840 de Mme Paula Forteza et CL885 de Mme Cécile Untermaier.
Mon amendement CL807 vise à instaurer la mention d'une charte des droits et libertés numériques dans notre Constitution. Notre siècle est celui de la révolution numérique, qu'on le veuille ou non.
Le numérique ne doit plus être considéré comme un outil au service de l'homme ou comme un danger qui le menacerait. Il fait partie intégrante de notre vie quotidienne et nous suit tout au long de nos vies. Chaque organisme de l'État, chaque industrie, chaque entreprise est concerné par cette évolution qui structure nos vies. Ne suivons-nous pas nous-mêmes ce soir les amendements sur des tablettes numériques, et non plus sur du papier ?
À ce stade, il est donc important de réaffirmer les droits et les libertés qui découlent de ces nouveaux modes de vie. Car le numérique touche à l'essence même de l'individu : ses données personnelles, son nom, son prénom, ses biodata. Les libertés d'expression et d'information, définies en 1789, sont également concernées dans la mesure où elles sont remises en question par ces nouvelles technologies.
Nous partageons tous, au-delà des clivages partisans, le souci d'intégrer ces droits et libertés numériques dans la Constitution.
Les bonnes idées trouvent toujours leur chemin. Adosser à la Constitution une charte des droits numériques est une idée que j'avais défendue au cours de l'examen du projet de loi relatif à la République numérique, mais aussi du projet de révision constitutionnelle qui a avorté après les attentats.
Cela me paraît indispensable. En effet, on pourrait dire que les droits et garanties consacrés dans la Constitution s'appliquent partout – mais ce n'est pas le cas. Aujourd'hui, ils ne s'appliquent pas dans le cyberespace, non que nous ayons décidé qu'il en soit ainsi, mais parce qu'une situation de fait s'est créée : le réseau numérique, les données qui y circulent et la valeur qu'elles génèrent échappent à l'exercice de la souveraineté nationale.
Avant même de débattre du contenu de cette charte numérique, ce serait un acte constitutionnel très fort que d'approuver le principe d'en adosser une à la Constitution. Ce serait une grande avancée. Tel est l'objet de mon amendement CL1048.
Mon amendement CL840 vise également à faire référence à une charte du numérique. Je me suis déjà exprimée à ce sujet au cours de la discussion générale. J'ai participé aux travaux d'un groupe de travail transpartisan désigné par les présidents des deux assemblées, qui ont débouché sur cette charte du numérique. Il y a quelques années, nous avons commencé à envisager d'élever l'environnement au niveau des principes constitutionnels ; aujourd'hui, il est temps d'affirmer des droits du numérique.
C'est une attente de nos concitoyens, c'est un des enjeux de notre temps. Si nous voulons une Constitution moderne, nous devons pouvoir traiter ce sujet. Beaucoup de droits et de libertés fondamentaux sont conditionnés aujourd'hui par l'accès au numérique et par la maîtrise de cet instrument : la liberté d'expression, la liberté de communication, l'accès aux savoirs, l'accès au service public – à l'heure où l'on envisage leur dématérialisation complète –, la liberté d'entreprendre, le droit à la participation, etc. Le sujet du numérique doit donc être traité au niveau constitutionnel.
La vision française du numérique est définie par les valeurs d'ouverture, de neutralité, de décentralisation, d'éthique et de protection des personnes. Or celles-ci sont aujourd'hui remises en cause au niveau international, comme l'a prouvé l'affaire de Cambridge Analytica ; aux États-Unis, la neutralité du net est également remise en cause. En France, nous devons pouvoir protéger ces bases fondamentales d'un internet ouvert face au modèle des États-Unis et à celui de la Chine, et inspirer un modèle européen au niveau constitutionnel.
De plus en plus de textes de loi traitent du numérique. Il s'agit d'un sujet transversal, qui touche à toutes les politiques publiques et au quotidien des citoyens. C'est pourquoi nous devons pouvoir acter une doctrine, un socle de droits qui puisse encadrer notre action législative. Nous devons aussi pouvoir réaffirmer la souveraineté du peuple français et l'indépendance de nos institutions face aux géants du numérique.
Mon amendement CL885 est identique. Nous avons en effet beaucoup travaillé, depuis un an, sur les questions de la démocratie numérique et de la participation citoyenne. Ces amendements sont donc issus des réflexions d'un groupe de travail transpartisan mis en place, conjointement par l'Assemblée nationale et par le Sénat, pour réfléchir au contenu de cette charte numérique.
L'ère du numérique crée des attentes et des inquiétudes. Les droits et obligations qui découlent du numérique doivent être définis et garantis auprès des citoyens. Une loi fondamentale a précisément pour objet de protéger les citoyens. Nous pensons que le XXIe siècle doit répondre à cet enjeu numérique.
Je ne m'étais pas exprimée sur les amendements précédents, mais je tiens à dire que l'inscription à l'article 1er du principe de non-régression participerait de cette démarche avancée. La charte du numérique répond à cette même exigence de modernité.
Le Sénat et l'Assemblée nationale ont effet constitué un groupe de travail conjoint, qui a effectué un travail très intéressant et très riche. Il marque l'importance accordée aux enjeux du numérique.
Mais les travaux de ce groupe n'ont abouti que très récemment, dans les jours qui ont précédé l'examen de ce texte par la commission des Lois. Il nous paraît aventureux de les adopter tels quels, alors que nous ne pouvons pas encore en mesurer les conséquences et les implications. Car je rappelle que rien, dans la Constitution, n'a de portée exclusivement symbolique : au contraire, le Conseil constitutionnel s'efforce de toujours tirer des conséquences de chacune des dispositions du texte constitutionnel. À cet égard, nous devons donc être particulièrement rigoureux dans tout ce que nous inscrivons dans la loi fondamentale.
Par ailleurs, nos débats, aussi brefs aient-ils été, sur la Charte de l'environnement montrent que des dispositions relatives au numérique risqueraient d'être tout aussi vite dépassées. Cela montre combien il est dangereux de graver dans le marbre d'un texte de nature constitutionnelle des principes relatifs à un domaine où les choses évoluent à une vitesse aussi effarante et dont on ne mesure pas les conséquences ni les enjeux. C'est pourquoi j'émets un avis défavorable sur tous ces amendements.
Je salue le travail utile qui a été effectué par le groupe conjoint à l'Assemblée nationale et au Sénat. Les sujets examinés amènent à poser des questions pratiques, mais aussi des questions plus lourdes sur le sens que nous voulons donner à notre démocratie.
Mais j'appelle à la même prudence. Maintenant que nous avons posé la question numérique, il s'agit de voir comment évoluer sur le sujet. J'attire votre attention sur le fait que nous ne disposons pas de l'expertise nécessaire pour mesurer les conséquences et les limites de l'exercice. À vouloir trop bien faire, n'a-t-on pas, en 2004, oublié la question climatique dans la Charte de l'environnement ? C'est dire à quelle vitesse les choses ont évolué depuis : 2004, cela ne nous ramène pourtant pas aux époques antédiluviennes… Prenons le temps d'approfondir et de voir dans quelles conditions le sujet du numérique doit être intégré dans le débat constitutionnel.
Pour moi, cette charte ne saurait se réduire à une simple proclamation ou à une mesure d'affichage. Il s'agirait de créer de vrais droits, ayant de vraies conséquences juridiques.
S'agissant de la Charte de l'environnement, je n'ai jamais dit que ses principes étaient dépassés, mais qu'ils étaient incomplets et qu'ils méritaient d'être complétés. Tout à l'heure, vous nous disiez qu'il ne fallait pas y toucher… Et voilà maintenant qu'on la décrit comme obsolète afin de prouver qu'une charte du numérique n'est pas souhaitable !
Dans le débat de ce soir, la dimension transpartisane des propositions avancées me paraît tout de même assez exceptionnelle. Je n'avais pas connaissance du travail qui a été réalisé. D'ici à la séance publique et d'ici à l'examen au Sénat, il me semble que nous avons le temps pour vérifier un certain nombre de points. Le débat de ce soir pose une question de principe : soit nous avons la volonté politique, soit nous ne l'avons pas. J'ai donc peur que nous ne manquions une occasion.
Je comprends la prudence de la rapporteure. Nous avons dû en effet travailler dans un calendrier restreint. Néanmoins, nous avons travaillé avec des experts du droit constitutionnel et du numérique, de même qu'avec des associations spécialisées et les régulateurs du numérique.
Les droits que nous proposons de constitutionnaliser trouvent leur source dans une jurisprudence stable. Ils sont aussi très consensuels, comme nous le constatons ce soir. Pour ma part, je serais prête à retirer mon amendement pour travailler de nouveau sur le sujet d'ici à la séance publique, mais j'aimerais, madame la rapporteure, un engagement de votre part, afin que nous puissions avancer ensemble sur ce sujet.
J'avoue ne plus comprendre. Comment pouvons-nous avaliser des propositions de loi à la va-vite sans étude d'impact, alors que, sur la question du numérique, vous n'envisagez même pas que nous discutions d'un texte issu des travaux d'un groupe transpartisan et bicaméral, si perfectible soit-il ? Si les constituants de 1789 avaient eu les mêmes réticences et partagé la même volonté de disposer d'études d'impact approfondies, jamais la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen n'aurait vu le jour !
Nous nous heurtons aujourd'hui à de vrais problèmes sur la question du numérique et des géants du numérique. Des questions de souveraineté et de sécurité se posent, mais aussi de cyberdéfense, de droits humains fondamentaux, de propriété, de contrôle des biodata. Et tout cela serait balayé d'un revers de main ? À quoi sert une réforme de la Constitution si nous ne sommes pas capables d'avancer sur des droits fondamentaux nouveaux pour les citoyens ?
J'avoue ne pas comprendre le jeu de dupes de la majorité : d'un côté, on discute, au sein d'un groupe de travail, pendant un mois entier ; de l'autre, on balaie le résultat de ces réflexions en quelques minutes… Que la majorité trouve un accord en son sein et cesse de nous prendre pour des dupes !
En réalité, on constate l'obsolescence programmée des chartes qui ont été adoptées à un moment donné : c'est le cas aujourd'hui de la Charte de l'environnement, comme cela peut être le cas, demain, d'une charte du numérique.
Pour éviter de rencontrer les mêmes difficultés, nous préférons dire que le sujet n'est pas encore mûr pour notre commission. Sans oublier la nécessité d'une étude d'impact – d'ordinaire, les études d'impact vous sont chères – sur la jurisprudence constitutionnelle, sur l'application d'une telle charte par le juge et sur son effet sur la législation.
Enfin, tous les textes qui concernent aujourd'hui le numérique ont un impact européen. En vertu de l'article 55 de la Constitution, nous sommes tenus de veiller à leur bonne articulation avec les traités européens.
Nous attirons donc l'attention sur les limites d'amendements qui consacreraient le principe d'une charte du numérique et en définiraient le contenu. À ce stade, il me semble donc plus naturel, plus judicieux ou encore plus prudent de retirer ces amendements, afin de voir si nous pouvons avancer sur le sujet d'ici à la séance publique, ou du moins d'ici à une nouvelle lecture. Mais, en l'état, un tel texte ne saurait être adopté dans notre Constitution.
En effet, la Constitution n'est pas un texte qu'on révise tous les quatre matins. Lorsqu'on aborde les éléments à y inclure, il faut les concevoir dans une vision relativement intemporelle. Aujourd'hui, en 2018, une charte des droits et des libertés du numérique nous parle. Mais, il y a vingt ans, nous n'aurions pas utilisé ces termes et parlé plutôt d'informatique. Et dans vingt ans, les termes proposés aujourd'hui sont-ils ceux qui correspondront encore à la réalité des outils de communication qui seront utilisés ? Je n'en suis pas sûre.
J'en veux pour exemple la loi sur la confiance dans l'économie numérique de 2004, qui est déjà obsolète. L'économie numérique d'aujourd'hui n'est plus celle de l'époque où elle fut adoptée : les plateformes de communication que nous utilisons quotidiennement n'existaient pas, du moins pas à l'échelle que nous connaissons aujourd'hui ; tous les éléments de technologie et de communication ont amené sur la table des sujets, tels les risques liés aux big data et aux blockchains, qui n'étaient pas alors mis en avant. Autant de domaines dans lesquels nous devons nous entourer de précautions, en particulier lorsqu'il s'agit de graver dans le marbre d'une Constitution une formulation fixée une fois pour toutes.
Je comprends les hésitations qui s'expriment. Mais nous avons travaillé sur ce sujet et, dans ce cadre, avons entendu beaucoup de personnes nous dire qu'il fallait inscrire dans la Constitution ces droits et obligations.
Cela étant dit, nous pouvons, dans un esprit constructif, envisager de travailler à nouveau sur cette question en vue de la séance publique, soit en réfléchissant à une charte, soit en prévoyant que, dans les articles de la Constitution, un dispositif soit ajouté, qui aille plus loin que les dispositions actuelles de l'article 34.
Je propose donc que nous retirions nos amendements, en échange de l'engagement moral de votre part que nous retravaillions ensemble sur cette question pour trouver une position d'atterrissage qui, sans aller nécessairement jusqu'à l'édiction d'une charte du numérique, permette cependant de prendre en considération les attentes et les inquiétudes de nos concitoyens.
Je trouve agréable d'entendre, au détour de ces amendements, chanter les louanges, sur tous les bancs, du travail transpartisan, lorsqu'il sait dépasser les clivages… Cela donne le sentiment de faire parfois oeuvre utile.
J'entends également qu'on découvre soudain les vertus du bicamérisme constructif. Voilà encore une satisfaction nocturne d'un genre nouveau…
J'entends également dire qu'on n'aurait jamais réformé la Constitution s'il avait fallu faire des études d'impact, par les mêmes qui, d'ordinaire, en dénoncent l'insuffisance ! En règle générale, la réversibilité des arguments les invalide. Et c'est bien le cas en l'espèce.
S'agissant du fond des questions soulevées, il va de soi que, aussi intéressant que puisse être le sujet évoqué, il n'est pas encore mûr. Comme je l'ai dit dans ma première intervention, on ne peut pas improviser ainsi une révision de la Constitution, au motif qu'on aurait travaillé pendant trente jours, de manière bicamérale et transpartisane, sur un sujet extrêmement important. Ce serait faire montre d'une grande légèreté. Je partage donc l'ensemble des arguments développés par notre collègue Yaël Braun-Pivet. Mon avis est lui aussi défavorable.
Cela étant dit, il n'est jamais interdit de travailler ; il n'est jamais interdit de s'engager soi-même à travailler et à devenir plus convaincant.
Je ne suis pas d'accord sur la façon dont on nous répond. D'abord, cela ne fait pas trente jours seulement que nous travaillons dans le cadre de ce groupe transpartisan. En outre, nous répondons à une invitation conjointe de l'Assemblée nationale et du Sénat. Je ne vois pas en quoi cela offrirait matière à raillerie. Je m'étonne d'entendre des propos aussi déplaisants dans la bouche du rapporteur général.
Nous avons travaillé sur une charte du numérique parce qu'on nous a demandé de le faire et parce que nous sommes des députés qui travaillent. Nous vous proposons une base de réflexion. Si vous n'en voulez pas, n'hésitez pas à nous le dire très franchement au lieu de nous faire des réponses de Normand !
Nous considérons que c'est une question qui s'impose. On l'écarte ou on ne l'écarte pas. Mais abstenez-vous de nous donner des leçons qui laisseraient penser que nous sommes conquises par la façon dont vous nous demandez de travailler… Nous essayons d'apporter notre pierre à l'édifice, parce que nous considérons que nous avons le devoir de le faire. Sachez que je suis particulièrement choquée de la façon dont vous pouvez traiter le travail que nous avons pu mener ensemble, depuis un an, à l'Assemblée nationale, à la demande de son président, sur la question de la démocratie numérique et de la participation citoyenne. Je trouve que c'est choquant. Nous avons besoin, nous aussi, de considération.
Je retire mon amendement CL840, avec l'engagement de travailler à trouver un autre point d'attache d'ici à la séance.
Les amendements CL840 et CL885 sont retirés.
La Commission rejette successivement les amendements CL807 et CL1048.
En conséquence, les amendements identiques CL844 de Mme Paula Forteza, CL886 de Mme Cécile Untermaier et CL1007 de M. Philippe Latombe, et les amendements CL1222 de Mme Delphine Batho et CL1203 de M. Bastien Lachaud n'ont plus d'objet.
La Commission examine ensuite les amendements identiques CL1078 de M. Michel Castellani, CL1388 de M. Jean-Félix Acquaviva et CL1417 de M. Paul-André Colombani.
Cet amendement propose d'insérer la Corse aux côtés des territoires d'outre-mer dans les territoires pouvant prétendre à l'autonomie dans un cadre démocratique et consenti. Nous nous situons ce soir dans un exercice de style qui porte sur le droit fondamental. Nous ne discutons pas ici de loi ordinaire, ni même de loi organique ; nous participons à un débat solennel, portant sur des questions de long terme, où des preuves de confiance et des actes d'amour peuvent être échangés entre la République et ses territoires, en particulier entre la République et la Corse.
Nous considérons que les spécificités géographiques, telles qu'elles sont déjà reconnues dans la loi relative à la montagne, ajoutées à la dimension insulaire, à la dimension culturelle – malgré une histoire tumultueuse, la Corse a en effet toujours une langue et des valeurs culturelles propres –, à la dimension transfrontalière, à la dimension historique des relations entre le centre et la périphérie, rendent la Corse plus proche des territoires d'outre-mer que des régions de droit commun.
C'est pourquoi nous proposons que la Corse soit désormais explicitement mentionnée dans cette phrase du préambule, telle que nous proposons de la rédiger : « En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre à l'île de Corse et aux territoires d'outre-mer qui manifestent la volonté d'y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l'idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique ». Voilà une proclamation qui pourrait valoir son pesant d'or, me semble-t-il, dans les relations de confiance qu'il nous reste à construire dans la loi ordinaire ou dans la loi organique. Nous aimerions vous entendre sur cette proposition que nous vous soumettons par l'amendement CL1078.
Nous vous proposons en effet, par l'amendement CL1388, de mentionner, dans le second alinéa du Préambule, l'île de Corse aux côtés des populations d'outre-mer.
Pour nous, l'insularité n'est pas un détail. Il faut en tirer les conclusions politiquement et, osons-le dire, juridiquement. Vivre sur une île affecte en effet la mentalité et la manière de penser.
La Corse est la seule île de la métropole à dimension régionale. Cela a justifié, en 2002, l'octroi d'un statut particulier, après des années mouvementées, qui ont même vu de nombreux morts. Aujourd'hui, il y a la paix. Il ne faut pas la gâcher.
Les Corses veulent seulement voir leur spécificité reconnue en droit. Cela signifie que les gens doivent croire dans le droit. Cela mérite d'être relevé dans une île où l'état de droit n'a pas souvent régné. D'où le besoin d'inscrire les populations corses aux côtés des populations d'outre-mer, afin qu'elles bénéficient, comme l'indique le Préambule, des institutions nouvelles en vue d'une évolution démocratique.
Mon amendement CL1417 a le même objet. Chaque mot pèse et le Préambule de la Constitution dispose que « la République offre aux territoires d'outre-mer qui manifestent la volonté d'y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l'idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique ». Nous souhaitons que la Constitution puisse offrir à la Corse des institutions nouvelles, auxquelles nous manifestons la volonté d'adhérer démocratiquement : la Corse l'a voté de façon répétée et c'est sur ce programme que les électeurs nous ont envoyés ici. Nous désirons, par ce projet de loi constitutionnelle, que soient reconnus à la Corse les moyens de son avenir ; la Corse a besoin de compétences, et il est urgent d'agir en matière fiscale, en matière linguistique, en matière de lutte contre la spéculation. C'est pourquoi nous demandons que la Corse soit à parité avec les territoires d'outre-mer. Je ferai d'ailleurs remarquer que, sinon en droit, du moins sur le plan géographique, la Corse est indiscutablement un territoire d'outre-mer.
Sur la forme, le second alinéa du Préambule, que vous souhaitez modifier, a quelque peu perdu de son intérêt puisqu'il est l'héritage de l'époque de la décolonisation, au moment où la Communauté française proposait une association politique entre la France et son empire colonial en voie de décolonisation.
Sur le fond, notre objectif est bien de reconnaître une spécificité à la Corse dans notre République, dans le respect de l'indivisibilité de celle-ci ; pour ce faire, le choix s'est porté sur l'article 16 du projet de loi créant un nouvel article constitutionnel, l'article 72-5. J'entends votre appel à des preuves d'amour, monsieur Acquaviva, et la nécessité de vous montrer notre intérêt ; nous en débattrons longuement dans le cadre de l'article 16 – ce débat n'est qu'un préambule, sans mauvais jeux de mots. L'article 16 répond à la question, d'une part, de l'insularité en général et, d'autre part, de l'insularité de la Corse et à votre exigence de voir vos spécificités prises en compte. C'est pourquoi, à moins que vos amendements ne soient retirés, j'émets un avis défavorable, dans la mesure où vous aurez la réponse à l'article 16.
Ce que demandent les Corses, c'est ce qui existe chez nos voisins, à savoir au moins l'adaptation du pouvoir réglementaire, quelquefois la possibilité de faire des lois de pays. Je ne parle pas de pays exotiques mais de l'Espagne, de l'Italie, de l'Allemagne, de la Belgique et même du Royaume-Uni. Les Corses demandent ce qu'ont déjà les territoires d'outre-mer français, et qui est le standard européen. Je trouve donc ces amendements tout à fait bienvenus.
La Commission rejette ces amendements.
Elle examine ensuite les amendements identiques CL1077 de M. Michel Castellani, CL1319 de M. Jean-Félix Acquaviva et CL1415 de M. Paul-André Colombani.
Au second alinéa du Préambule de la Constitution, après le mot « territoires », mon amendement CL1077 insère les mots « insulaires et », pour lire « territoires insulaires et d'outre-mer ». Il s'agit de prévoir dans la Constitution la possibilité pour les territoires insulaires de s'administrer largement dans le domaine interne que j'ai cité et qui est très prégnant en Corse : fiscalité, linguistique, lutte contre la spéculation.
Mon amendement CL1319 a le même objet. La question de la clause d'insularité existe au niveau européen puisque l'article 74 du traité de Lisbonne la reconnaît. Il ne manque plus qu'au droit fondamental français de l'inclure, en vue de permettre l'adaptation des politiques publiques. L'article 16 du projet de loi, monsieur le rapporteur, n'empêche pas de reconnaître la Corse dans le Préambule, au même titre que les outre-mer qui ont leur article 73 de la Constitution. Cette reconnaissance politique majeure serait une preuve de confiance.
Les mêmes arguments valent évidemment pour mon amendement CL1417. La Constitution du Portugal, un pays unitaire comme la France, proclame « les immémoriales aspirations à l'autonomie des populations insulaires ». C'est un argument en faveur de la mention des territoires insulaires dans le préambule.
Dans son discours cet été à Versailles, le Président Macron a parlé d'hexagone et d'outre-mer. Et nous ? Où nous situez-vous ? C'est pourquoi nous avons besoin de cette reconnaissance, qui nous paraît logique. Si nous sommes ici, mes deux collègues et moi, c'est que les choses ont changé en Corse, et qu'il existe une demande forte.
Sans parler pour la Corse, car chaque territoire a son histoire et ses particularités, je souhaite apporter mon soutien à ces amendements. En tant qu'ultramarine et insulaire, c'est pour moi une évidence qu'il est beaucoup plus pratique pour ces territoires de bénéficier de l'autonomie. Pour beaucoup dans l'hexagone, se cache derrière ce mot le spectre d'un risque de démantèlement de la nation française. Il faut dédiaboliser ce sujet : permettre ces adaptations au plus près des particularités des territoires, c'est permettre l'épanouissement de la population. L'autonomie renforcée est gage de gestion beaucoup plus efficace de ces territoires. Le risque d'un effet boule de neige auprès d'autres régions est limité en raison de l'existence d'une réelle discontinuité géographique liée à la situation insulaire, que l'on soit à 200 ou à 20 000 kilomètres du continent, qui impose d'être en mesure de se gérer soi-même. Il me semble pertinent de distinguer l'île de Corse, aux côtés des outre-mer, dans le préambule.
Ces amendements ne parlent plus de l'île de Corse en tant que telle mais de son caractère insulaire. D'une certaine façon, les arguments avancés tout à l'heure affaiblissent la justification de ces nouveaux amendements dans la mesure où ils ne peuvent se prévaloir d'une spécificité corse : il y a d'autres îles en France… C'est moins de symboles dont vous avez besoin, monsieur Castellani, que de capacités d'agir : or elles sont prévues à l'article 16 et je ne pense pas qu'il y ait besoin d'être redondant en affirmant deux fois la même chose. Pour la première fois dans la Constitution, et dans un article spécifique, la spécificité insulaire de la Corse est reconnue.
Je suis assez d'accord avec madame Sage et je ne crois pas que nous abordions ce débat avec un esprit de défiance à l'égard des compétences des collectivités, puisque, au contraire, les articles 15, 16 et 17 approfondissent les compétences aux différents niveaux de territoires : l'article 16 pour la Corse, l'article 17 pour certains outre-mer et l'article 15 pour tous les autres territoires parties de l'espace national. Nous avançons donc bien dans la reconnaissance des spécificités.
Monsieur Molac, effectivement, les Allemands ont leur mode de fonctionnement, les Italiens le leur, les Espagnols aussi, chacun a son histoire comme nous avons la nôtre. Je demande le droit à la différenciation nationale. Nous avons nos spécificités. Je respecte l'histoire nationale des Allemands, des Italiens, des Espagnols, et je trouve bon qu'on respecte celle de la France…
Je vous préviens que nous contesterons l'article 16, dont la rédaction ne nous satisfait pas du tout et ne correspond pas à l'aspiration de l'assemblée de Corse dans sa grande majorité ni à celle des Corses en général.
Vous parlez de différenciation nationale mais, pendant des décennies, la France a montré de la défiance envers la Corse. Mentionner la Corse dans le Préambule, où sont déjà les outre-mer, serait une preuve de confiance. Qui peut le plus – l'article 16 selon vous – peut le moins : l'inscription d'un symbole dans le Préambule.
La Commission rejette ces amendements.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CL792 de M. Jean-Luc Mélenchon et CL185 de M. M'Jid El Guerrab.
L'amendement CL792 vise à constitutionnaliser l'accès gratuit à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Le texte de la Constitution de 1958 est assez pauvre – c'est une litote – en énumération des droits. Certes, depuis 1971, le Conseil constitutionnel juge, à l'aune du préambule de 1946 et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de la validité d'une norme par rapport aux droits et libertés contenus dans ces textes. Néanmoins, il y a une grande absente : l'indisponibilité du corps humain. À tous les stades de la vie, la loi peut venir priver des femmes et des hommes des libertés les plus fondamentales. Il faut donc consacrer ces droits dans la Constitution.
Pour ce qui est de l'IVG, fin 2017, le Conseil de l'Europe a tiré la sonnette d'alarme, en constatant des reculs en matière de droit à l'avortement et à la contraception dans de nombreux pays d'Europe. On pensait cette bataille définitivement gagnée mais force est de constater, Irlande mise à part, un recul de ces droits. Le rapport du Conseil de l'Europe relève des problèmes de santé sexuelle, d'autonomie, d'intégrité des femmes, ainsi que des atteintes à leurs droits sexuels et reproductifs. Il est important d'affirmer ce droit dans la plus haute norme de notre pays, pour être sûr qu'il ne se produise en France de reculs comparables à d'autres pays européens.
Alors que Simone Veil est sur le point de faire son entrée au Panthéon, il serait opportun de rendre un hommage particulier à cette figure incontournable de la Ve République en constitutionnalisant notamment le droit à la contraception et à l'avortement, ainsi que le droit à une vie sans violences sexistes et sexuelles. Il existe en effet une continuité entre ces divers droits, qui ne sont que la lutte pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Mon amendement CL185 n'a d'autre but que de renforcer cette égalité dans la Constitution. C'est là une préconisation du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes.
Dans votre rédaction, monsieur Lachaud, vous indiquez que « le corps humain est indisponible » et que « ce droit implique un accès gratuit à la contraception ». J'avoue que je ne vois pas le lien entre les deux. Mais sans doute pourrez-vous m'éclairer.
Le droit à la contraception et le droit à l'IVG sont évidemment des droits fondamentaux qu'il nous incombe de protéger. Je ne crois pas que la France puisse être suspectée de les remettre en cause ; au contraire, nos politiques publiques oeuvrent au quotidien pour leur préservation. Je ne crois donc pas utile de les inscrire dans la Constitution.
Je vous renvoie au Comité Veil qui a aussi pointé, en 2008, le danger qu'il y aurait de constitutionnaliser, je cite, « des principes qui peuvent apparaître aujourd'hui comme intangibles mais qui pourraient fort bien se révéler ne plus l'être demain ». Les sujets de bioéthique ne gagneraient pas à être inscrits ainsi dans la Constitution, au risque d'interdire tout débat et toute évolution en la matière. Avis défavorable.
Vous n'avez pas répondu à mon amendement, et je n'ai pas non plus compris votre argumentation sur la possibilité de revenir sur ces droits.
Je suis très inquiet de votre réponse, madame la rapporteure, car vous nous expliquez que les politiques publiques en France n'entendent pas remettre en cause l'avortement et l'IVG et en même temps que ce ne sont pas des droits intangibles, et que des lois bioéthiques pourraient revenir dessus.
Non, j'ai seulement relevé que votre rédaction mêlait deux choses qui n'ont rien à voir entre elles : l'indisponibilité du corps humain, qui est un principe de bioéthique, et le droit à la contraception et à l'IVG, qu'il n'est pas question de remettre en cause et qu'au contraire nos politiques publiques mettent en oeuvre au quotidien, mais qui ne sont pas non plus de niveau constitutionnel.
La Cour de cassation a jugé que « l'indisponibilité du corps humain est un principe essentiel du droit français ». Comment pouvez-vous expliquer que l'on reviendra sur un principe essentiel dans le cadre d'une loi bioéthique ?
Monsieur El Guerrab, vous voudriez garantir le droit à la contraception et à l'avortement, sur lequel j'ai déjà répondu, mais également le droit à une vie sans violences sexistes et sexuelles. Je ne pense pas que la Constitution soit l'endroit approprié pour une telle mention qui relève du domaine législatif ; nous venons du reste d'examiner dans l'hémicycle une loi relative aux violences sexuelles et sexistes.
S'agissant de l'indisponibilité du corps humain, il y a en effet un arrêt de la Cour de cassation, mais vous avez raison tous les deux, d'une certaine façon, mais vous n'êtes pas sur la même longueur d'onde… C'est un principe qui dépasse largement la bioéthique : il renvoie à l'article 16 du code civil, duquel découlent des conséquences sur la gratuité et l'anonymat du don, l'impossibilité de marchandiser les éléments du corps humain, etc. L'indisponibilité du corps humain est un principe auquel je suis également très attaché, mais je vois cependant mal le lien tel qu'il apparaît dans l'amendement de M. Lachaud.
Cet amendement est en effet juridiquement assez mal écrit : les phrases auraient tendance à se contredire.
Pour répondre à M. El Guerrab, la Constitution est là pour protéger les libertés et assurer à l'État de droit les moyens de protéger la population, mais ce n'est pas le lieu des détails. La loi constitutionnelle risque de devenir une loi toute simple… Les violences sexistes et les agressions sexuelles sont désormais des éléments importants dans le débat public mais nos citoyens n'en seraient pas mieux protégés du fait de leur constitutionnalisation. Enfin, j'ai énormément de respect pour les combats de Simone Veil et son travail législatif, mais également pour la Constitution, qui n'est pas un outil destiné à rendre hommage à des législateurs, aussi brillants soient-ils.
La Commission rejette successivement ces amendements.
La Commission est saisie de l'amendement CL793 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Par cet amendement, nous proposons de constitutionnaliser le droit à mourir dans la dignité selon les modalités définies par son propre choix, en précisant qu'une loi organique fixera les conditions dans lesquelles ce droit pourra s'exercer.
Des débats sont prévus à l'agenda législatif, mais il nous semble fondamental que ce soit inscrit dans la Constitution. Une majorité de concitoyens et de nos concitoyennes sont résolus à défendre l'idée de ce droit à mourir dans la dignité, qui procède de valeurs philosophiques progressistes telles que le principe de l'indisponibilité du corps humain, qui interdit de le soumettre à des traitements inhumains ou dégradants, et celui du libre arbitre, déjà défendu par les constituants de 1789. Cette dimension, qui fait la force, la richesse et l'universalité des principes constitutionnels, mérite d'être comprise et transmise dans le reste de la société. Ce serait une réelle avancée culturelle et démocratique, un pas fondamental, répondant à un enjeu tout à la fois individuel et collectif de civilisation, que de transcrire ce droit dans la Constitution, ce qui ne préjuge pas des modalités qu'il nous appartiendra de mettre en oeuvre dans les lois bioéthiques.
Comme vous le savez, les questions de bioéthique, sujets fondamentaux et graves qui nous concernent tous, ont déjà commencé à faire l'objet d'un débat, avec les états généraux qui se sont tenus dans toute la France. L'Assemblée nationale s'est également emparée de ces questions avec des auditions conjointes de la commission des Lois et de la commission des Affaires sociales, et une mission d'information a été créée à l'initiative de la Conférence des présidents de l'Assemblée. Graver ce principe dans le marbre de la Constitution empêcherait, limiterait ou obérerait les débats que notre institution et la société dans son ensemble doivent avoir. Avis défavorable.
J'ai bien précisé qu'il ne s'agissait pas d'obérer le futur débat, mais de lui donner une direction claire. Ce débat ne date pas d'hier, ni d'il y a un mois, il n'est pas mené dans la précipitation ; cela fait des années qu'une majorité de la population a avancé sur le sujet. Comme vous l'avez dit, c'est un sujet fondamental et il doit donc, à ce titre, être inscrit dans la loi fondamentale, tout en laissant au législateur la possibilité de s'en emparer, dans le cadre de la discussion de la loi, afin de continuer à enrichir le débat démocratique et en arrêter les modalités. Ce faisant, nous ne ferions que nous mettre au diapason de la société qui, sur cette question comme sur bon nombre de droits fondamentaux, a évolué.
Le droit constitutionnel n'est pas le lieu de traiter l'actualité de l'évolution de l'opinion publique sur ce qu'on nous présente comme un droit humain fondamental. Qui plus est, la rédaction de l'amendement est catastrophique car elle se contredit totalement : la première partie de votre phrase pose le principe que vous ne disposez pas de votre corps, autrement dit que vous n'êtes pas libre d'un certain nombre de choix liés à votre corps, et la seconde partie en déduit que vous pouvez choisir comment allez mourir ! Il faut être beaucoup plus clair dans des débats aussi complexes, que l'on ne saurait trancher par une rédaction maladroite introduite dans le texte de la Constitution. Ce ne serait pas faire avancer la cause. De tels sujets exigent que l'on prenne du temps et du recul.
La Commission rejette cet amendement.
Elle examine ensuite l'amendement CL806 de M. Bastien Lachaud.
Cet amendement vise à apporter de nouveaux droits à toute une partie de notre population qui ne se reconnaît pas ou plus dans le sexe ou le genre qui lui est attribué, en permettant à chacune et chacun de modifier gratuitement son état civil sur simple demande. Des avancées légales ont eu lieu récemment : les personnes transgenres ne sont plus obligées de se faire stériliser pour obtenir le changement d'état civil, mais elles doivent toujours passer devant un juge. Il semble nécessaire de constitutionnaliser ce droit : il est important que toute personne puisse gratuitement changer son identité de genre.
Le principe de changement d'état civil est déjà encadré par la Cour de cassation. Quant au principe de gratuité de la procédure judiciaire sur un aspect particulier, il me semble injustifié : au nom de quoi une procédure judiciaire serait-elle gratuite pour un changement de sexe et non pour toute autre démarche d'état civil ?
L'objectif de l'amendement est justement de déjudiciariser la procédure de changement d'état civil, en posant le principe du libre changement sans passer par le juge.
Cela relève du code civil, non de la Constitution. Du coup, mon avis sera résolument défavorable.
Il existe en droit français le principe d'intangibilité ou d'immuabilité de l'état civil, sauf exceptions particulières déjà prévues au niveau législatif pour le changement de prénom et le changement de nom dans certaines conditions : le but, on le comprend bien, est de protéger la société de micmacs compliqués à gérer. Si ce n'est qu'une question de gratuité, cela n'a rien à voir dans le texte de la Constitution, dont je rappelle qu'elle est notre grande charte, le texte que certains qualifiaient autrefois de sacré, qui fixe le fonctionnement des pouvoirs publics et des institutions. Mais le présent sujet relève, au mieux, du niveau législatif. Et encore : cela reste à discuter.
Votre intervention, monsieur Gosselin, confirme la nécessité d'une constitutionnalisation, du fait du principe même de l'intangibilité de l'état civil. En outre, notre loi fondamentale protège les droits fondamentaux des individus, et garantir ce droit dans la Constitution est une forme de reconnaissance de l'identité transgenre et le moyen de permettre à ces personnes de revendiquer leurs droits fondamentaux.
Si vous trouvez que cet amendement est mal écrit, alors que nous avons travaillé cette rédaction avec des associations qui portent ces revendications depuis longtemps, n'hésitez pas à proposer un sous-amendement, sur celui-ci comme sur tous les autres. Mais nous parlons bien de la Constitution, d'une philosophie et de droits fondamentaux.
La Commission rejette cet amendement.
Puis elle se saisit de l'amendement CL750 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Cet amendement réaffirme le rôle de la France au service de la paix dans le monde et le rôle principal de l'Organisation des Nations unies pour l'établissement et le renforcement de la sécurité collective. La France doit se porter aux avant-postes d'une nouvelle alliance universelle pour la paix en choisissant la voie d'un nouvel indépendantisme qui lui permettrait d'être, non plus une nation occidentale mais bien une république universaliste, donc internationaliste, comme le proclame sa devise. Elle redéploierait son action vers ses zones d'intérêt et surtout réaffirmerait qu'elle n'est pas le faire-valoir des intérêts états-uniens dans le cadre de l'OTAN, qu'elle ne peut servir ces intérêts dans des interventions aux quatre coins du monde, dont on voit aujourd'hui les conséquences. Seule l'ONU est garante de la paix et de la sécurité collective, et c'est seulement dans le cadre de ses missions que la France pourrait intervenir à l'étranger.
L'objectif de cet amendement est d'affirmer dans le préambule que l'ONU serait le seul organe légitime pour la sécurité collective. Or le Préambule de 1946, qui figure dans notre bloc de constitutionnalité, prévoit déjà que la République « se conforme aux règles du droit public international, n'entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple. » Il ne me paraît pas utile d'aller au-delà et de figer dans la loi fondamentale l'existence et le rôle d'un organe international qui peut évoluer à tout moment. Les engagements constitutionnels de la République sont clairs, nets et suffisants, et satisfont d'une certaine manière l'intention de l'amendement.
Peut-être n'ai-je pas bien compris mais, quand on me dit que la France est une république universelle et internationaliste, j'y vois le côté messianique à la française : le jour où la France sera sur le monde entier, on aura la paix… La France est un État, avec ses faiblesses et ses forces. Nous avons parlé de son histoire tout à l'heure avec M. Fesneau, mais lui et moi n'avons probablement pas la même histoire.
Peut-être, mais moi, j'ai dû lutter pour que mes enfants aient le droit d'apprendre ma langue, le breton, à l'école, et je pourrais vous raconter la façon dont nous avons été traités. Notre histoire est aussi conflictuelle, ne l'oubliez pas. Nous pouvons nous inspirer de ce qui se fait dans d'autres pays européens pour différentes choses, y compris pour l'organisation territoriale.
Si la Constitution se met à réaffirmer en permanence les principes déjà affirmés, elle en deviendra redondante. Je rappelle que le Préambule de 1946, au lendemain de la guerre, commence par les mots : « Le peuple français réaffirme… » Il n'est sans doute pas nécessaire de réaffirmer la réaffirmation…
Par ailleurs, la reconnaissance de l'ONU comme unique source de sécurité serait une atteinte à la souveraineté de la France, qui peut parfaitement signer des conventions internationales reconnaissant d'autres organes internationaux. Une telle autolimitation ne pourrait être suivie d'effets sur le plan international.
La Commission rejette cet amendement.
Elle examine ensuite l'amendement CL797 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Les droits de la nationalité, en Europe, tendent à s'uniformiser pour éliminer progressivement le droit du sol.
En Allemagne, par exemple, s'il a été décidé, en 2000, d'intégrer quelques éléments constitutifs du droit du sol, les conditions d'obtention de la nationalité sont toutefois suspendues à des conditions de résidence exigeantes qui font échec à un réel droit du sol.
En France, l'octroi de la nationalité dépend de la naissance des parents. Deux régimes coexistent : d'un côté, celui du double droit du sol, qui fait qu'un enfant né d'un parent étranger lui-même né en France est Français de naissance ; de l'autre, le droit du sol simple différé, pour l'enfant né en France de parents étrangers nés à l'étranger, qui le rend Français automatiquement et de plein droit à sa majorité, moyennant certaines conditions de résidence.
Face à cela, nous proposons de compléter le Préambule de la Constitution par un alinéa ainsi rédigé : « Tout enfant né sur le territoire de la République est Français dès sa naissance. »
Toutefois, un enfant qui souhaiterait renoncer à sa nationalité française, dès lors que ce renoncement n'aurait pas pour effet de le rendre apatride, le pourrait à sa majorité.
Je ne suis pas favorable à cet amendement car le droit du sol n'est qu'une modalité d'acquisition de la nationalité française parmi d'autres : pourquoi ne faudrait-il constitutionnaliser que celle-là ? Paradoxalement, votre proposition risquerait d'être discriminatoire pour les Français nés à l'étranger d'au moins un parent français – dont la nationalité se trouverait in fine moins protégée – et d'instaurer une hiérarchie entre les personnes qui prennent la nationalité française.
En matière d'acquisition de la nationalité, les règles essentielles sont anciennes et stables – elles datent de 1889 et de 1927 –, ce qui conduirait le Conseil constitutionnel à contrôler plus étroitement les dispositions qui les modifient. Dès lors, l'hypothèse d'une remise en cause soudaine et sans justification du droit du sol – à quoi revient finalement votre proposition – n'est pas établie.
D'autant plus qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, les règles concernant la nationalité relèvent de la loi.
Vos arguments, monsieur le rapporteur général, nous ont convaincus de retirer l'amendement pour le réécrire en vue de la séance publique.
L'amendement est retiré.
La Commission passe à l'amendement CL800 de M. Bastien Lachaud.
Cet amendement vise à renforcer le droit au logement en ajoutant l'alinéa suivant au préambule de la Constitution : « Le logement est une condition indispensable de l'épanouissement de chacune et chacun. Le droit à un logement digne et pérenne est inaliénable et nul ne peut en être privé, quelle que soit sa condition. L'autorité publique est garante de ce droit et met l'ensemble des moyens dont elle dispose pour le faire respecter ».
En l'état, la mention qui est faite de ce droit fondamental et constitutionnel est insuffisante : il n'est qu'à voir les statistiques du mal-logement et du nombre de personnes sans domicile fixe. Selon nous, la Constitution doit garantir que tous les citoyens et citoyennes doivent pouvoir être logés de manière décente.
Le droit au logement fait déjà l'objet d'une reconnaissance constitutionnelle : les alinéas 10 et 11 du préambule de 1946 prévoient que « la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et qu'elle « garantit à tous […] la sécurité matérielle ». En outre, dans sa décision du 19 janvier 1995, le Conseil constitutionnel a considéré que « la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle ».
Il ne semble donc pas opportun d'aller plus loin, a fortiori dans les termes que vous proposez, car le droit au logement doit être concilié avec d'autres libertés et droits fondamentaux. De surcroît, cela ne relève pas de la mission du constituant mais plutôt de celle du législateur, notamment dans le cadre de lois relatives au droit opposable au logement et à l'habitat digne. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL809 de M. Bastien Lachaud.
Cet amendement vise à préciser dans le préambule de la Constitution que le droit à l'instruction et à la formation tout au long de la vie est égal sur tous les territoires de la République, et que l'État assure la gratuité de tous les éléments qui entourent et conditionnent la scolarité. Étant donné les énormes disparités qui existent dans le système scolaire, il faut graver cet objectif dans le marbre afin que l'État prenne en charge tous les éléments constitutifs de l'instruction et de la formation pour assurer l'égalité entre tous les citoyens et citoyennes. Je ne doute pas que cet amendement corresponde à une volonté largement partagée dans cette assemblée.
Au fond, l'objet de cet amendement consiste à constitutionnaliser la gratuité de l'école. Or, le préambule de 1946 qui, je le répète, fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité au même titre que celui de 1958, prévoit déjà explicitement que « la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction » et que « l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous degrés est un devoir de l'État ». Votre proposition est donc satisfaite, et une telle consécration dans la Constitution ne semble pas nécessaire. Certes, des progrès doivent être accomplis en matière d'égal accès à l'école et à la formation, mais c'est à travers des dispositions autres que constitutionnelles et de politiques publiques ambitieuses que nous y parviendrons. J'émets donc un avis défavorable à cet amendement – même si, sur le fond, je conviens que des progrès restent à faire.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement CL1421 de M. Paul-André Colombani.
Cet amendement vise à réécrire non plus le préambule mais l'article 1er de la Constitution dans une perspective europhile, girondine et écologique. Il affirme tout d'abord que la France est une République membre de l'Union européenne et que son organisation est dévolutive, conformément au principe de subsidiarité. Ce libellé s'inscrit dans la perspective fédéraliste des États-Unis d'Europe, chère à Victor Hugo.
Ensuite, l'amendement distingue entre les trois éléments qui composent la République : la société civile, l'État et les collectivités territoriales. La dimension écologique de la République est affirmée et la référence à la race est supprimée – car il n'existe qu'une seule race humaine. S'y ajoute la dimension méritocratique de la République, dont l'ascenseur social est un élément fondamental – même s'il est sans doute en panne en ce moment. Enfin, il est fait mention de l'obligation de conformité des cultes et opinions religieuses aux valeurs républicaines.
La définition des grands principes de la République tels qu'ils figurent à l'article 1er de la Constitution ne doivent être modifiés qu'avec la plus grande prudence. Ils sont le fruit d'une longue histoire ; toute modification terminologique emporte donc des conséquences lourdes.
Or la réécriture du premier alinéa que vous proposez remet en cause bon nombre de ces principes, en particulier l'indivisibilité de la République – de ce point de vue, je vous accorde une forme de constance, que je partage d'ailleurs, même si nos points de vue diffèrent.
Par ailleurs, l'ancrage européen est déjà pris en compte dans la Constitution, tout comme l'engagement en faveur de l'environnement. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL1054 de M. Michel Castellani.
L'article 1er de la Constitution définit la France comme une « République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Nous suggérons d'y ajouter le terme « unie ». La notion d'unicité est complémentaire de celle d'indivisibilité et traduit l'idée de souveraineté commune exercée via l'État par des peuples différents qui ont fait le choix de s'unir.
Mon amendement précise par ailleurs la notion de décentralisation : unicité, indivisibilité et déconcentration seraient ainsi consacrées comme principes de base – à l'image de la Constitution italienne dont l'article 5 précise que la République, une et indivisible, reconnaît et favorise les autonomies locales. En outre, l'amendement reprend la notion de citoyenneté européenne figurant dans le traité de Maastricht, qui suppose ipso facto un processus d'union dans la diversité.
Vous souhaitez introduire dans l'article 1er la notion d'unicité de la République afin de reconnaître implicitement la diversité des peuples. J'ai déjà eu l'occasion de rappeler notre attachement à l'unité du peuple français – l'unité n'étant pas synonyme d'uniformité. La République est décentralisée et certains territoires disposent déjà d'une large autonomie de compétences ainsi qu'un droit à l'expérimentation, qui sera bientôt transformé en droit à la différenciation, dans une version encore plus aboutie pour l'île de Corse. D'autre part, la diversité s'exprime par la reconnaissance des langues régionales. Il n'en demeure pas moins que la République est une et indivisible, comme le peuple français. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine les amendements identiques CL1075 de M. Michel Castellani et CL1205 de M. Jean-Félix Acquaviva.
L'amendement CL1075 vise à ajouter l'adjectif « territoriale » après « République » au premier alinéa de l'article 1er de la Constitution. Le principe d'indivisibilité de la République est parfois brandi de manière abusive, et le libellé que nous proposons correspond davantage à la réalité d'une France composée d'identités territoriales plurielles. L'indivisibilité ne doit pas être synonyme d'unicité. En outre, la notion de décentralisation – que nous défendons – est trop restrictive dans la mesure où elle ne porte que sur l'organisation. Nous proposons donc de modifier les principes figurant dans la Constitution afin de reconnaître davantage la diversité territoriale et culturelle de la France.
Comme l'ont dit plusieurs orateurs ce soir, la République se compose d'identités territoriales plurielles. Ce qui se pense clairement s'énonce aisément et s'écrit tranquillement, d'où la notion de « République territoriale » que nous proposons, par l'amendement CL1205, d'ajouter.
Nous ne sommes et ne serons jamais partisans de la divisibilité de la République, monsieur Fesneau. En revanche, nous sommes des chasseurs de postures concernant les autonomies qui n'en sont pas vraiment dans le droit constitutionnel français et européen. Comme chacun ici, nous défendons des populations et des citoyens ; si nous évoquons l'autonomie, c'est parce qu'elle est le meilleur moyen de répondre aux besoins de la vie quotidienne des gens, notamment en Corse.
Puisque la volonté d'une nouvelle gouvernance et d'une prise en compte des territoires est affichée, nous jugeons opportun de préciser en toutes lettres que la République décentralisée est aussi territoriale, tout en étant indivisible.
Je ne vous ai fait aucun procès en divisibilité, monsieur Acquaviva ; j'ai simplement rappelé que, pour nous, la République est indivisible. Ce qui s'énonce clairement doit aussi se comprendre clairement ; nous pourrons alors avoir un débat serein en dépit des désaccords, étant entendu que je respecte vos points de vue comme vous respectez sans doute les miens.
La République s'incarne dans ses institutions et, naturellement, dans des territoires, sans qu'il soit pour autant nécessaire d'affirmer qu'elle est territoriale. L'article 1er prévoit que son organisation est décentralisée, et je reconnais comme vous sa dimension territoriale. Je serai aussi vigilant que vous à garantir la différenciation territoriale, édifiés comme nous devons l'être par les expériences passées dont il faut aussi tirer les enseignements. Cela étant, cette dimension territoriale est déjà présente dans la Constitution, en particulier au titre XII – nous en reparlerons le moment venu – sans qu'il soit nécessaire d'adopter votre proposition. Avis défavorable aux deux amendements.
La Commission rejette les amendements.
Elle examine l'amendement CL715 de M. Erwan Balanant.
Cet amendement vise à consacrer le profond ancrage européen de la République dans la Constitution. La rédaction actuelle ne fait aucune référence à l'Europe : et il faut attendre le titre XV pour que soient envisagés certains aspects juridiques relatifs à l'Union européenne.
En visant à inscrire la dimension européenne de la France à l'article 1er de la Constitution, cet amendement traduit notre attachement profond aux valeurs de démocratie et de liberté, de paix et d'humanisme qu'incarne l'Europe. Il permettra aussi d'envoyer un signal fort à nos partenaires européens en affirmant le rôle central que la France entend jouer dans la construction européenne.
Sans surprise, je rendrai le même avis défavorable que précédemment : si chacun comprend le symbole fort que constituerait l'inscription à l'article 1er de la Constitution de l'ancrage européen de la République, nous n'en partageons pas la nécessité. Encore une fois, le titre XV de la Constitution porte la marque d'une adhésion profonde à l'idée européenne et le Conseil constitutionnel a rappelé la pleine portée normative de l'article 88-1 en évoquant « l'existence d'un ordre juridique communautaire intégré à l'ordre juridique interne » – c'est une disposition très forte. Cette situation produit des obligations constitutionnelles très importantes, notamment l'exigence de conformité avec les principes européens parmi lesquelles figure la Charte des droits fondamentaux de l'Union, qui a la même valeur juridique que les traités européens.
La modification que vous proposez risquerait de faire de la participation de la France à l'Union une partie de l'identité constitutionnelle de la République, empêchant dans certaines circonstances de faire prévaloir nos propres règles constitutionnelles essentielles. C'est aussi la conclusion à laquelle avait abouti le comité naguère présidé par Simone Veil sur la modification du préambule.
J'avais écouté le discours que notre bon Président avait prononcé place Saint-Corentin à Quimper, nous demandant d'être des acteurs de l'Europe… Il me semble donc judicieux d'insérer cette mention à cet endroit. Cependant, j'entends également vos arguments, monsieur le rapporteur général.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CL433 de Mme Cécile Untermaier et CL683 de Mme Delphine Batho.
L'amendement CL433 vise à ajouter l'adjectif « écologique » après le mot « démocratique » dans la première phrase de l'article 1er de la Constitution qui, ainsi que nous l'ont rappelé plusieurs spécialistes du droit de l'environnement, a une place à part, entre le Préambule et les titres. Il comporte des énoncés généraux qui peuvent être considérés comme fondamentaux. Il importe donc de faire de la préservation de l'environnement un principe constitutionnel inscrit dans cet article. Nous défendrons d'autres amendements allant dans le même sens, mais il nous semblait opportun d'insérer à cet endroit cette mention essentielle qui donnera du poids à la Charte de l'environnement et qui aidera le Conseil constitutionnel à régler les contentieux dont il est saisi.
En clair, nous proposons d'affirmer solennellement les responsabilités de la République et du législateur en matière de préservation de l'environnement et de diversité biologique.
L'amendement CL683, que j'ai déjà défendu devant la commission du Développement durable, vise à insérer le terme « Écologique » à la fin de la première phrase de l'article 1er de la Constitution, afin de faire entrer cette notion dans l'identité de la République française en allant au bout du chemin emprunté en 2004 lors de l'adoption de la Charte de l'environnement. Nous examinerons aux alinéas suivants de l'article le contenu que nous entendons donner à la notion de République écologique, mais il est important que le terme soit employé d'emblée, dès le premier alinéa.
Nous avons hésité à employer le terme « écologique » à l'article 1er, mais il nous est apparu que ce n'était pas adapté, pour deux raisons majeures.
D'une part, cet adjectif est trop flou et ne possède pas de consistance précise lui permettant d'être érigé en principe fondamental au premier alinéa du premier article de la Constitution, qui fonde notre République.
D'autre part, nous avons fait un choix différent en inscrivant à l'article 1er une exigence beaucoup plus explicite – car contrairement à vous, madame Batho, nous estimons que ce choix est exclusif de votre proposition – et plus précise sur laquelle le juge constitutionnel pourra s'appuyer et qui emporterait ainsi des conséquences juridiques. Nous souhaitons donc inscrire à l'article 1er les objectifs de défense de l'environnement et de la biodiversité et de lutte contre le changement climatique, qui nous paraissent mieux adaptés pour faire respecter ces principes. Avis défavorable.
Le terme « écologique » est précis : il figure dans le titre d'un ministère de la République depuis de nombreuses années ainsi que dans l'intitulé d'une politique publique, entre autres.
En réalité, la première phrase de l'article 1er est politique. Elle s'est enrichie des différents combats qui ont jalonné l'histoire de France : le combat pour la démocratie, le combat pour la laïcité, le combat social et le mouvement ouvrier – la République est donc « laïque, démocratique et sociale ». Depuis les années 1960 et 1970, le mouvement politique de l'écologie a conduit à des avancées constitutionnelles. C'est pourquoi l'affirmation politique de ce principe doit figurer dans la première phrase de l'article 1er de la Constitution.
Votre argumentaire, madame la rapporteure, ne tient pas debout : l'emploi du terme « laïque » dans la première phrase n'empêche pas de préciser que la République assure l'égalité de tous « sans distinction de religion » et qu'elle « respecte toutes les croyances ». L'emploi du terme « écologique » dans la première phrase n'empêche donc aucunement de revenir dans les phrases suivantes sur la teneur de cette notion – qui correspond à celle de la Charte de l'environnement améliorée. Cette mention est importante non seulement en tant que symbole, mais également en tant qu'acte politique touchant à ce qu'est l'identité de la République française à l'ère anthropocène.
Le terme « écologique » est précis. L'emploi en 1946 de la formule « dignité de la personne humaine », pourtant floue et générale, s'est traduit par des effets juridiques. Le sens des termes « démocratique » et « écologique » est parfaitement compréhensible.
Cela étant, j'ai déposé cet amendement car j'étais très incertaine des avancées que le Gouvernement – puisque c'est avant tout lui qui donne son feu vert – pouvait consentir dans ce domaine. C'est parce que nous pourrons discuter plus en détail des termes à employer dans cet article 1er – le ou les changements climatiques, la biodiversité ou la diversité biologique, le droit à l'environnement – que j'accepte de retirer mon amendement.
Je vous remercie et je comprends le processus qui vous a conduite à déposer cet amendement. Nous aussi avons cheminé dans notre raisonnement : nous nous étions d'abord interrogés sur l'article 34 avant de préférer l'article 1er, afin de donner à cette notion une véritable portée juridique. Nous reparlerons de ce travail collectif accompli entre votre proposition, la nôtre et celle du Gouvernement.
J'entends l'argument du symbole, mais nous devons avant tout nous employer à rédiger un article efficace sur lequel le juge constitutionnel pourra réellement s'appuyer. Je vous remercie une nouvelle fois, madame Untermaier, d'accepter de retirer votre amendement. La version de l'article 1er que nous proposons – même si nous débattrons de la terminologie précise à employer – me semble déjà beaucoup plus aboutie au regard des objectifs que vous défendez.
L'amendement CL433 est retiré.
La Commission rejette l'amendement CL683.
La réunion s'achève à 1 heures 05.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Vincent Bru, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Philippe Dunoyer, M. Jean-François Eliaou, M. Christophe Euzet, Mme Élise Fajgeles, M. Richard Ferrand, M. Marc Fesneau, Mme Isabelle Florennes, Mme Paula Forteza, M. Raphaël Gauvain, Mme Marie Guévenoux, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Jumel, M. Mansour Kamardine, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, Mme Marie-France Lorho, M. Stéphane Mazars, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Éric Poulliat, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Thomas Rudigoz, Mme Maina Sage, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, Mme Cécile Untermaier, Mme Laurence Vichnievsky, M. Cédric Villani, M. Jean-Luc Warsmann
Excusés. - M. Jean-Michel Fauvergue, M. Philippe Latombe, M. Manuel Valls, M. Guillaume Vuilletet
Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Félix Acquaviva, M. Christophe Arend, Mme Delphine Batho, Mme Huguette Bello, M. Christophe Blanchet, M. Jean-Louis Bricout, M. Moetai Brotherson, M. Michel Castellani, M. André Chassaigne, M. Jean-Michel Clément, M. Paul-André Colombani, M. Pierre Cordier, M. Charles de Courson, M. Fabien Di Filippo, Mme Virginie Duby-Muller, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Stella Dupont, M. M'jid El Guerrab, M. Christophe Jerretie, M. Bastien Lachaud, M. Marc Le Fur, M. David Lorion, M. Jean-Philippe Nilor, M. Bertrand Pancher, Mme Christine Pires Beaune, Mme Barbara Pompili, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Isabelle Rauch, M. Olivier Serva, Mme Hélène Vainqueur-Christophe