La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
Cet après-midi, l'Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s'arrêtant à l'amendement no 208 à l'article 3.
Cet amendement tend donc à supprimer l'article 3. Pendant la discussion préalable sur cet article, presque tout a été dit sur le risque induit par la mise en place de tels services, qui pose en effet un double problème. D'abord, nous allons créer ce faisant une justice commerciale et un système judiciaire parallèle à celui qui existe, ce qui porte évidemment atteinte au principe d'inaliénabilité de la justice et aux prérogatives essentielles exercées par l'État. Ce sera aussi, évidemment, une atteinte au périmètre du droit. On sait en effet que, depuis l'avènement d'internet, tous les professionnels du droit se sont battus contre ce qu'on appelle communément les « braconniers du droit », qui empiètent sur les prérogatives des professions réglementées et des officiers ministériels.
Ce système posera encore un autre problème : s'il est prévu la labellisation d'un certain nombre de ces prestataires de services par le ministère de la justice, ce qui est évidemment de nature à nous rassurer, il n'en demeure pas moins que, du fait de la liberté qui existe en la matière, de nombreux sites qui ne seront pas labellisés et ne bénéficieront pas de cet agrément pourront tout de même proposer leurs services en ligne. La rapide consultation d'un moteur de recherche suffit pour constater qu'il existe aujourd'hui des web-tribunaux, des justices incroyables qui lavent tous plus blanc que blanc et sont tous plus performants que leurs voisins.
Le problème de cette labellisation est qu'elle suppose aussi que vous mettiez en oeuvre des moyens pour contrôler les sites qui ne seront pas labellisés et pour faire connaître à l'opinion publique l'existence et l'importance du label. Sans doute avez-vous tous reçu un jour ou l'autre dans votre boîte aux lettres un carton bleu-blanc-rouge semblant émaner d'une mairie et qui propose, en fait, les services de tel ou tel artisan. L'escroquerie est développée dans notre pays – 350 000 par an – et la crainte est grande quant au respect du périmètre du droit.
La parole est à M. Hubert Wulfranc, pour soutenir l'amendement no 458 .
Cet amendement va dans le même sens. Selon nous, en effet, si la déjudiciarisation peut être légitime, le fait de livrer cette démarche à des opérateurs privés ne va en aucun cas, si je puis dire, dans le sens de l'histoire. Cela se traduira par une aggravation des coûts pour les usagers, du fait de l'appropriation lucrative du service public par quelques entreprises, mécanisme dont mon collègue a souligné les faiblesses. À cela s'ajouteront des difficultés d'accès au service public, du fait des barrières infranchissables que dressent certaines plateformes de ce type.
Pour toutes ces raisons, nous continuons de considérer qu'il y a là une entorse majeure au principe de la justice telle qu'elle est régie aujourd'hui. Si vous n'abondez pas dans le sens de cet amendement, nous proposerons au moins un amendement de repli tendant à imposer une certification dûment labellisée dans cette ouverture du marché du règlement des litiges.
La parole est à Mme Laetitia Avia, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour donner l'avis de la commission.
Nous avons en la matière un point d'accord et il importe de le souligner, car c'est bien le seul : la nécessité d'une certification des plateformes de services juridiques en ligne. Il faut les certifier, car cette certification permet de mieux orienter nos concitoyens – les justiciables – et de donner plus de lisibilité au système. Voilà le point d'accord qui se dégage des différentes prises de parole que nous avons entendues, que ce soit avant la pause ou à l'instant.
Dès lors, la question est de savoir de quelle certification et de quel système nous parlons. Je viens d'entendre, et permettez-moi de le citer, que nous serions sur le point de créer un « système judiciaire parallèle », et même une « justice commerciale ». Premièrement, on ne crée rien : les plateformes, les legaltech existent et existeront. Elles sont là.
Quant à l'idée d'un système judiciaire parallèle, ou commercial… Il n'est pas ici question d'un système judiciaire, mais de plateformes qui proposent divers services, comme l'aide à la saisie de formulaires CERFA et bien d'autres, pouvant aller jusqu'à la médiation, et que nous encadrons. Il ne s'agit nullement ici de l'office du juge. Le système judiciaire reste dans l'office du juge et, contrairement à ce que j'ai pu entendre précédemment, aucune délégation du service public de la justice à ces sociétés n'est prévue. Pour nous, il ne s'agit pas et il ne s'agira jamais de l'activité du juge.
J'ai également entendu évoquer tout à l'heure une difficulté qui pourrait exister quant au périmètre du droit. C'est précisément parce que cette difficulté existe aujourd'hui que nous encadrons les legaltech ! Un amendement de suppression aurait finalement pour effet de laisser les choses en l'état, c'est-à-dire de laisser ces services, qui sont effectivement libres, sans aucun contrôle, sans aucune certification et sans aucune protection du périmètre du droit. Avis défavorable, donc, sur ces amendements de suppression.
La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l'avis du Gouvernement.
Je n'ajouterai pas grand-chose à ce que vient de dire Mme la rapporteure mais, puisque je n'ai pas pris la parole sur ce sujet à l'issue de la discussion qui a eu lieu tout à l'heure, je tiens tout de même à dire quelques mots.
Les services de résolution de litiges en ligne existent, aujourd'hui, et sont d'ailleurs utilisés. Peut-être, du reste, beaucoup d'entre nous les utilisent-ils lorsqu'ils ont fait des achats chez Darty, chez Boulanger ou ailleurs et qu'à la suite d'une difficulté, ils négocient en ligne une restitution ou un avoir. Tout cela existe et beaucoup de gens utilisent des services de ce type. Il s'agit d'un fait objectif, né de l'expansion d'internet et des progrès incessants des nouvelles technologies.
Avec ces dispositions, nous n'entendons absolument pas ouvrir un nouveau marché ni, comme l'a souligné Mme la rapporteure, créer un système judiciaire parallèle, ou commercial. Cependant, nous n'entendons pas nier la réalité de l'existence de ces plateformes. Au contraire, nous entendons en réguler le développement et c'est là pour nous l'important : nous voulons réguler et sécuriser ce mécanisme pour les justiciables, et donc permettre à celles des plateformes qui le souhaiteraient d'obtenir une certification qui donne confiance aux usagers. Cette certification répondra évidemment à certains critères – nous aurons l'occasion d'y revenir tout à l'heure.
M. le député Bazin a employé tout à l'heure la terminologie qui convient en évoquant un « système de défiance » : en proposant cette certification, nous introduisons au contraire de la sécurité et de la confiance. Voilà ce que nous voulons faire. L'adoption de ces amendements de suppression aurait l'effet inverse : ce serait accepter de laisser ce marché s'autoréguler et cela n'apporterait aucun outil à l'usager pour se protéger. C'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable.
Il me semble souvent important d'examiner les textes en fonction du contexte. Or, chacun conviendra avec moi que la République est aujourd'hui interrogée, car elle est abîmée. Nous pensons, pour notre part, qu'il n'est pas ringard de considérer que « la loi qui protège » est une expression qui a du sens. Au moment où il convient de réconcilier nos concitoyens avec la République, l'idée d'une République qui prend soin, y compris dans ses fonctions régaliennes, nous semble aussi avoir du sens.
Vous auriez donc parfaitement pu envisager, par exemple, que ce marché des services en ligne, qui existe en effet, puisse faire l'objet d'une appropriation publique, dans un but de neutralité, de gratuité et d'appropriation par le plus grand nombre, afin que la loi du plus fort ne l'emporte pas sur le plus faible.
Madame la garde des sceaux, depuis que le monde est monde et que le libéralisme a fait son oeuvre, l'autorégulation de la loi du marché ne fonctionne pas : lorsque le marché s'autorégule, il n'y a pas de place pour tout le monde au banquet de la nature – pas de protection du plus faible. Comme me le soufflait à l'instant Jean-Philippe Nilor, vous dites que vous ne créez pas le marché, puisqu'il existe, mais votre texte, habité de la volonté de désembouteiller les tribunaux, et donc de dessaisir les juges d'un grand nombre des prérogatives qu'ils exerçaient jusqu'à présent au nom du peuple, transfère au privé une clientèle qui était auparavant constituée des citoyens protégés par la loi et par le juge. Il s'agit donc d'un marché en expansion, en extension, avec le risque d'aggraver les inégalités dans l'accès au droit et de créer en ce domaine des fractures sociales et numériques.
Nous avons en effet un point d'accord : le constat est fait que le marché et les plateformes existent, et que nous ne pouvons pas faire sans. Il faut donc absolument une régulation et une certification. Nous discuterons ensuite des critères de certification et des éventuels préalables, mais nous ne pouvons raisonnablement pas demander la suppression de cet article, car cela reviendrait à ne pas protéger nos concitoyens. Nous devons absolument disposer, avec la certification, d'une protection.
Nous ne voterons donc pas ces amendements de suppression. Nous aurons cependant, parce qu'elle est nécessaire, une discussion sur les critères de certification et sur la question de savoir si elle doit être préalable ou a posteriori, obligatoire ou non. Toujours est-il que les plateformes existent, qu'elles existeront toujours et que la suppression de l'article n'apporterait pas de sécurité en la matière.
La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour soutenir l'amendement no 4 .
Le présent amendement vise à mieux distinguer les obligations applicables aux plateformes proposant des services en ligne de conciliation ou de médiation et celles applicables aux plateformes proposant des services en ligne d'arbitrage, car les prestations de résolution amiable ne sont pas de même nature que l'arbitrage, qui est une justice conventionnelle. Il énonce également plus clairement la règle excluant que de tels services puissent résulter exclusivement d'un traitement par algorithme. En outre, il apporte quelques précisions à la rédaction du projet de loi, sans en modifier la portée. Enfin, le présent amendement prévoit l'encadrement des plateformes proposant des services en ligne d'aide à la saisine des juridictions, en précisant notamment que ces services ne peuvent pas conduire à réaliser des actes d'assistance ou de représentation sans le concours d'un avocat.
Avis défavorable. Votre amendement reprend la rédaction exacte du Sénat, à laquelle nous avions apporté des précisions en première lecture, en indiquant notamment que cela concerne les personnes physiques comme les personnes morales. Tous les éléments que vous avez évoqués – distinction entre la médiation et l'arbitrage, compétences… – ont été affinés dans le cadre de nos débats en première lecture.
L'amendement no 4 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l'amendement no 651 .
Chacun dans cet hémicycle conviendra qu'il faut être particulièrement vigilant sur l'usage abusif qui pourrait être fait, par des personnes physiques ou morales proposant des services en ligne de règlement extrajudiciaire des litiges, des données à caractère personnel et confidentiel. Ces personnes doivent donc être clairement informées de leurs responsabilités et des sanctions encourues au titre des codes pénal et civil en cas de manquement à ces obligations. Il n'est pas superfétatoire de le leur rappeler.
Je ne pense pas que cela soit superfétatoire : c'est pourquoi l'alinéa 9 de l'article 3 indique de manière expresse que l'article 226-13 du code pénal leur est applicable, ce qui est précisément l'objet de votre amendement. Celui-ci est donc satisfait, et je vous demande de bien vouloir le retirer.
Même demande de retrait, pour les mêmes raisons, si M. le député l'accepte.
Je le retire… mais d'autres ne seront pas retirés ! J'espère que vous ferez preuve tout à l'heure de la même ouverture d'esprit que moi.
Sourires.
L'amendement no 651 est retiré.
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l'amendement no 652 .
L'amendement no 652 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour soutenir l'amendement no 6 .
Le présent amendement vise à rendre obligatoire la certification afin d'offrir au public un service en ligne de résolution amiable des litiges, d'arbitrage ou d'aide à la saisine des juridictions présentant de réelles garanties pour les justiciables. Pour la même raison, il propose que la certification soit réalisée par le ministère de la justice lui-même et non par des organismes certificateurs accrédités par le Comité français d'accréditation – COFRAC.
Nous allons en effet débattre de cette question de la certification. Je prendrai le temps de revenir sur les arguments, déjà évoqués en première lecture, concernant la certification, et sur notre volonté d'être les plus efficaces et pragmatiques possibles.
L'objectif aujourd'hui est de nous assurer que nos concitoyens seront bien orientés vers des plateformes de qualité, remplissant l'ensemble des obligations prévues à l'article 3. Pour cela, nous devons prendre en considération tant notre cadre législatif national que les dispositions européennes auxquelles nous sommes soumis. Or, rendre cette certification obligatoire présenterait un véritable risque dans le cadre du contrôle de conventionnalité. En effet, cette activité n'étant pas réglementée, il n'est pas possible de prévoir une interdiction de ces services sur le territoire français.
Au préalable, je ne vois pas comment nous pourrions, concrètement, interdire à un service de ce type d'exister, comme Erwan Balanant le rappelait tout à l'heure. Surtout, comment pourrait-on interdire à une entreprise de services juridiques en ligne qui serait basée à Bruxelles d'exercer son activité sur le territoire français ? Le droit européen nous empêche d'interdire une activité, sauf si c'est une réponse proportionnée et si nous n'avons pas d'autre moyen d'atteindre l'objectif visé – or la certification que nous proposons permet d'atteindre cet objectif. Bref, dans le cadre d'un contrôle de conventionnalité, nous prendrions un risque considérable avec votre proposition.
Ont été évoqués en première lecture le cas des contrôles techniques. Philippe Latombe par exemple nous avait demandé pourquoi ce type de certification était possible pour les contrôles techniques et pas pour les plateformes de legaltech : c'est justement parce que les contrôles techniques sont une activité réglementée à l'échelle européenne. Nous ne pouvons pas fonctionner de la même manière à l'échelle française pour les plateformes : le caractère inopérant de cette disposition, la difficulté en termes de contrôle de conventionnalité risqueraient de faire tomber tout le dispositif que nous sommes en train de préparer.
Parce que notre mécanisme est efficace, parce qu'il permet de mieux orienter nos justiciables et parce qu'il permet de rester dans le cadre des dispositions qui nous sont applicables, l'avis est défavorable sur cet amendement comme sur tous les autres amendements proposant une certification obligatoire.
Je veux rappeler très simplement ce que contient cet article. Ces plateformes de médiation et de conciliation en ligne ont toutes l'obligation de respecter un certain nombre d'éléments figurant à l'alinéa 4-2 de cet article 3 : l'obligation relative à la protection des données, l'obligation de confidentialité… Toutes ces plateformes doivent les respecter, faute de quoi leur responsabilité civile, voire pénale lorsqu'il y a une question liée au secret, pourrait être engagée.
Au-delà de ces obligations s'imposant à toutes les plateformes, celles-ci peuvent, si elles le souhaitent, demander une certification, que nous nous engageons à leur délivrer si l'organisme certificateur considère qu'elles remplissent un certain nombre de critères. Nous proposons cette certification parce que l'économie du net est une économie particulière, fondée sur la bonne réputation et la crédibilité. Or cette certification assure cette crédibilité, cette bonne réputation. C'est cela qui nous permet de rassurer et de garantir la sécurité de celles et ceux qui voudront utiliser ces plateformes.
Face à la réalité de la multiplication des plateformes, notre texte de loi impose à chacune d'entre elles des obligations. Si elles ne les respectent pas, elles engagent leur responsabilité civile, voire pénale. Et celles qui le souhaitent auront la possibilité d'obtenir une certification facultative, en fonction d'un certain nombre de critères, qui viendra crédibiliser leur action. Ainsi, nous avons un système qui fonctionne, parfaitement adapté aux besoins des justiciables et à la réalité de l'économie du net. C'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable.
J'aimerais que nous débattions sur le fond de ce problème de conformité : sur quelles bases juridiques vous fondez-vous pour dire que la certification obligatoire poserait un problème de conformité ? Nous avons déjà parlé des organismes de contrôle technique, alors je vais prendre un autre exemple, relevant de l'économie du net : la formation des DPO – délégués à la protection des données. Il existe une obligation de certification des organismes de formation des DPO – cela vient de la CNIL. Ils doivent être certifiés ISOCEI 17024: 022. Voilà bien une certification préalable obligatoire, dans l'économie du net ! J'aimerais donc que l'on nous explique pourquoi l'on ne peut imposer une certification préalable obligatoire aux plateformes – je sais bien que le caractère préalable ne figure pas dans l'amendement no 6 , mais nous avons là une discussion plus générale.
La proposition de loi de Philippe Bas, enregistrée à l'Assemblée nationale le 25 octobre 2017, prévoyait en son article 8 la régulation des offres en ligne des modes alternatifs de résolution des litiges : des travaux ont été faits, des auditions ont été menées, et le problème du contrôle de conventionnalité n'a jamais été soulevé ! Vous avez parlé en première lecture d'un problème de constitutionnalité ; maintenant il ne s'agit plus de cela, mais la rapporteure nous parle d'un problème de conformité avec nos obligations européennes…
Dans un article en date du 15 octobre 2018 présentant des échanges croisés avec le directeur des affaires civiles et du sceau, celui-ci disait que c'était une question de réalisme économique, et que c'est la solution de la certification facultative qui avait été retenue.
Aujourd'hui, l'économie doit être ouverte. Oui, le net existe et les plateformes aussi, mais nos concitoyens nous demandent de la sécurité. Cette sécurité leur est assurée par le code de la consommation pour de nombreux de services, et je ne vois pas pourquoi l'on ne pourrait pas le faire dans le cadre de l'économie du net. Nous devons donc avoir ce débat au fond car il y a vingt-cinq amendements sur ce sujet, émanant de tous les bancs. J'en défendrai un à titre personnel, mais je suis rejoint par de nombreux collègues d'autres bancs.
L'amendement no 6 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l'amendement no 247 .
L'amendement no 247 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l'amendement no 596 .
Il est utile de préciser que l'obligation d'information et de consentement doit être garantie à tous les stades d'une procédure faisant appel intégralement ou partiellement à un traitement algorithmique ou automatisé. Nous proposons donc une nouvelle rédaction de l'alinéa 5, apportant la garantie que les justiciables seront informés et que leur consentement sera sollicité à tous les stades de la procédure dès lors que, partiellement ou intégralement, leur litige donnera lieu à un traitement algorithmique ou automatisé.
Vous avez dit, madame la ministre, que des obligations étaient imposées à ces plateformes. Mais certaines obligations se justifient aussi au regard des justiciables, qui doivent savoir comme ils sont traités, ou mal traités, par qui, par quoi.
Monsieur Nilor, l'alinéa 5 de l'article 3 satisfait pleinement votre demande. Il prévoit en effet que lorsque le service est rendu à l'aide d'un traitement algorithmique ou automatisé, les parties doivent en être informées par une mention explicite et doivent expressément y consentir. Votre amendement étant satisfait, je vous demande donc de bien vouloir le retirer.
Même avis et même demande.
Je ne me risquerai pas à le retirer alors que je ne dispose pas de la moindre garantie. Je n'ai rien entendu dans ce qui vient d'être dit qui laisse supposer un changement d'approche.
Je souhaite m'assurer que les exigences en matière de consentement et d'information ne concernent pas uniquement les cas de traitements intégralement automatisés, mais aussi les traitements algorithmiques partiels.
Les services en ligne ne peuvent pas proposer un traitement 100 % algorithmique. La première phrase du nouvel article 4-3 est d'ores et déjà ainsi rédigée : « Les services en ligne mentionnés aux articles 4-1 et 4-2 ne peuvent avoir pour seul fondement un traitement algorithmique ou automatisé de données à caractère personnel. » Donc le traitement algorithmique est toujours partiel.
L'amendement no 596 est retiré.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement no 427 .
Tout le monde devrait être d'accord pour que les services en ligne délivrent une information détaillée sur les conséquences des actions en justice qu'ils permettent de réaliser. Cela poserait d'autant moins de problème dans le cadre d'une certification. Je ne comprends d'ailleurs toujours pas pourquoi vous y faites obstinément obstacle. J'ai l'impression de prêcher un peu dans le vide sur ce sujet.
Défavorable. Monsieur le député, en écrivant que « le service en ligne délivre une information détaillée sur les conséquences des actions en justice qu'il permet de réaliser », vous empiétez, si je puis dire, sur des prestations réservées aux seuls avocats par la loi de 1971. C'est la raison de cet avis défavorable.
Voilà un élément intéressant, madame la ministre. Je regrette qu'il ne soit pas apparu de façon plus claire en première lecture : nous aurions pu chercher une autre rédaction. Mais ces indications précieuses serviront à n'en pas douter à nos collègues sénateurs.
Je le maintiens, monsieur le président. J'avoue que je n'ai pas les capacités de retrait de M. Nilor !
Sourires.
Ça se travaille, monsieur le député !
L'amendement no 427 n'est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l'amendement no 659 .
Monsieur Gosselin, l'art du retrait, lorsqu'il est maîtrisé, permet parfois d'éviter des catastrophes !
Sourires.
Mon amendement propose une nouvelle rédaction de l'alinéa 7 de l'article 3 afin d'apporter des garanties s'agissant de la certification : « Seul un opérateur de plateforme en ligne détenu et opéré par des personnes physiques exerçant une profession visée à l'article 56 de la loi no 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ou par des personnes morales détenues exclusivement par celles-ci peut se voir accorder une certification leur permettant d'être raccordé au système d'information du service public de la justice. »
Cet amendement nous pose une véritable difficulté. Il va totalement à l'encontre de ce que le projet de loi propose. Monsieur Nilor, vous souhaitez réserver les services en ligne aux seules professions réglementées, alors que nous proposons un encadrement des professionnels qui ne sont pas suffisamment encadrés aujourd'hui. Les professions réglementées sont déjà suffisamment encadrées : elles n'ont pas besoin d'un texte, les obligations ont déjà été posées. Notre objectif doit être d'encadrer les professionnels qui ne sont pas déjà encadrés aujourd'hui. Avis défavorable.
Avis défavorable. Le périmètre du droit étant protégé, l'amendement ne se justifie pas.
Dans le cadre d'une éventuelle certification, la meilleure garantie sera de montrer patte blanche, de démontrer que l'on dispose d'une formation à la hauteur des exigences du service proposé.
Nous ne parlons pas d'une certification technique, comme celles qui concernent les véhicules ou même les experts de diverses disciplines : nous parlons de rendre la justice en court-circuitant un juge ! Ce n'est pas une activité privatisable. À cet égard, la philosophie de ce projet de loi nous pose un véritable problème de fond, en particulier son article 3.
Madame la rapporteure, vous estimez que mon amendement est en contradiction avec la philosophie du texte. Je l'assume. J'estime en effet que l'on ne peut pas délester en permanence la justice au profit de sociétés privées sans imposer des garde-fous et un contrôle. Qui aura la responsabilité des services en lignes ? La question reste posée. Là comme ailleurs, les escrocs prospéreront, vous le savez. D'une certaine manière, votre texte leur donne un encouragement tacite.
Pour une fois qu'un amendement de M. Nilor n'est pas retiré, j'en profite pour m'exprimer ! Cela vient d'être parfaitement expliqué : la conception que l'on peut avoir des professions du droit et de la place du droit dans notre pays est une question essentielle. Nous avions déjà eu ce débat à propos de la loi Macron pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. On nous expliquait à l'époque que les professions réglementées de notaire ou d'avocat étaient finalement des professions comme les autres, qui pouvaient être mises en concurrence. Nous revenons à ce schéma s'agissant de la médiation ou de l'aide juridique. Or nous sommes pourtant bel et bien dans le domaine du droit, et si l'on met en place une certification, il faut faire attention à ne pas laisser entrer n'importe qui sur ce marché.
Je rappelle qu'il existe des professions qui souffrent aujourd'hui de ne pas être suffisamment réglementées. Discutez donc avec les professionnels du secteur de l'immobilier ! Ils vous le diront eux-mêmes : il y a des aigrefins.
L'idée de l'amendement est de réserver les services en ligne à des personnes certifiées parce qu'elles appartiennent à des professions juridiques. Cela va au-delà de la certification envisagée jusqu'à maintenant. Il s'agit bien d'un débat de fond pour savoir si la médiation est totalement détachable de l'action judiciaire ou si elle participe du service public de la justice. Si tel est bien le cas, il n'y a pas d'autre possibilité que de réserver ce type d'activité à des acteurs reconnus et sérieux. Sans cela, on favorisera la création d'un marché parallèle sur lequel prospéreront des sociétés dont on ne saura même pas où elles seront implantées, sociétés qui proposeront des services gérés largement par des algorithmes. En fait, nous aurons en partie externalisé la fonction judiciaire. En conséquence, je voterai en faveur de l'amendement.
L'amendement no 659 n'est pas adopté.
L'amendement no 703 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l'amendement no 660 .
La loi doit préciser clairement que ces personnes morales assurent des missions de service public quand le recours à elles est imposé par la procédure.
Je rappelle que, selon l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration, « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. »
Ainsi, les algorithmes auxquels il sera recouru pour la médiation en ligne deviendront pleinement des documents administratifs auxquels chacun pourra accéder. Nous proposons là une garantie qui enrichira le texte. Ce garde-fou supplémentaire renforce la pertinence du projet de loi.
À vingt-deux heures dix, M. Sylvain Waserman remplace M. Hugues Renson au fauteuil de la présidence.
Avis défavorable. Cet amendement qui pose de nombreux problèmes s'applique aux services en ligne « Sauf quand les parties y recourent librement ». Mais il n'existe pas de situation dans laquelle les parties seraient contraintes d'avoir recours à ces services, elles sont toujours libres !
J'ai effectivement entendu dire que nous instaurerions une médiation obligatoire, menée par des services en ligne, mais ce n'est absolument pas le cas. Nous proposons seulement un encadrement des services existants afin que ceux qui veulent y avoir recours puissent le faire. Il n'y a pas de cas de figure où les parties n'agissent pas librement. Vous laissez entendre qu'il y pourrait y avoir une obligation, en citant l'article 4 je ne sais trop à quel propos, mais ce n'est aucunement le cas. Elles pourront le faire si elles le souhaitent, mais cela ne pourra jamais, au grand jamais, être ni ordonné ni contraint.
L'amendement no 660 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'amendement no 352 est retiré.
La parole est à M. Raphaël Schellenberger, pour soutenir l'amendement no 118 .
Je souhaite renforcer les contraintes imposées pour la labellisation des plateformes de médiation en ligne. Nous devons nous garder de ne considérer notre système juridique que comme un outil servant à faire appliquer la loi. Malheureusement, aujourd'hui, le droit est aussi devenu un outil au service de certaines batailles d'influence, en particulier de batailles économiques.
Je ne peux pas imaginer que notre système juridique remette entre les mains de puissances étrangères la souveraineté de notre État en permettant que soient hébergées sur des plateformes étrangères les données juridiques relatives aux affaires françaises. L'actualité apporte parfois son lot d'exemples surprenants. Aujourd'hui paraît Le Piège américain, de Frédéric Pierucci, qui montre à quel point le droit est devenu une arme de la guerre économique. Je sais que vous connaissez bien ce dossier, madame la ministre.
Si nous laissons se développer des plateformes sans imposer suffisamment de contraintes pour protéger nos données et notre droit, nous risquons de donner aux Américains dès aujourd'hui, et demain à la Chine et pourquoi pas à d'autres puissances étrangères, les moyens d'appliquer en France leur propre droit.
Je souhaite que nous fassions du droit un outil de protection de nos concitoyens qui permette d'assurer la justice sur nos territoires, sans négliger leur développement économique et la protection de nos entreprises.
Avis défavorable en raison du principe de liberté d'établissement au sein de l'Union européenne. Quant au critère de compétences, il est bien visé dans les dispositions de cet article.
Même argumentation. J'ajouterai que le réinvestissement de l'État dans la régulation, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, sera vraiment le moyen de garantir les éléments indispensables à la protection de nos libertés individuelles.
Je tiens à exprimer mon soutien à cet amendement. Tout d'abord, lorsque la plateforme est basée à l'étranger, je ne sais pas qui ira vérifier l'algorithme utilisé, mais je lui souhaite bonne chance. Et si cet algorithme a pour conséquence de déformer les décisions de médiation parce qu'il sert d'autres intérêts économiques, on s'en rendra compte trop tard.
Et puis il y a une vraie question d'ordre intellectuel : ces fonctions de résolution amiable des conflits sont-elles détachables du service public de la justice ? Pour moi, elles lui sont rattachables, et je rappelle que la justice est exercée au nom du peuple, et que celui-ci est français. Par conséquent, ces entreprises doivent être basées en France. En outre, quelqu'un qui hier faisait du commerce de poireaux ne doit pas pouvoir du jour au lendemain créer une société qui aurait un impact en matière de droit. Ce serait extrêmement dangereux. Mais c'est le reflet d'une certaine vision de la société où les gens n'ont « qu'à traverser la route » et sont parfaitement interchangeables, ce qui n'est pas la société dans laquelle je souhaite éduquer mes enfants.
L'amendement no 118 n'est pas adopté.
Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 246 , 156 et 428 , pouvant être soumis à une discussion commune.
Sur l'amendement no 246 , je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Serge Letchimy, pour défendre cet amendement.
Madame la ministre, nous avons le sentiment sur un certain nombre de bancs que votre doctrine est faite.
Je me souviens de nos nombreux débats autour de la politique du logement, avec la loi ELAN par exemple : nous avons défendu des amendements pour essayer de vous faire sortir de la marchandisation de l'espace public, et nous n'y avons pas réussi. Et j'ai l'impression qu'il en sera de même ici.
Madame la rapporteure, je vois une contradiction. Vous proposez une certification facultative, ce qui veut dire que les personnes qui souhaitent en obtenir une doivent la demander. Vous avez en même temps évoqué des difficultés en termes de contrôle de conventionnalité au regard des règles européennes. Bref, une certification obligatoire créerait des problèmes de conventionnalité, mais pas une certification facultative ? Pouvez-vous m'expliquer cette équation que je trouve compliquée ?
Seconde chose : ce qu'il s'agit d'éviter, c'est que vous privatisiez la justice et que vous la mettiez en concurrence. La privatisation et la mise en concurrence, que vous le vouliez ou non, c'est une approche que nous ne partageons pas.
C'est pourquoi notre amendement tend à rendre obligatoire la certification. Je demande à l'ensemble de mes collègues de bien prendre conscience de l'importance du problème. C'est pourquoi nous avons demandé un scrutin public. Chacun pourra ainsi exprimer son vote en son âme et conscience.
La parole est à M. Philippe Latombe, pour soutenir l'amendement no 156 .
C'est un amendement déposé à titre personnel
Comme je l'ai déjà dit, j'aimerais vraiment avoir une explication sur la raison pour laquelle il n'est pas possible de prévoir une certification préalable obligatoire. C'est vraiment le point d'achoppement, et il a déjà prêté à débats. Je ne suis pas forcément fan de tout ce que fait le Sénat, mais la proposition de loi Bas que j'ai déjà évoquée abordait déjà le sujet, à son article 8, et aucun argument portant sur un problème de conventionnalité ou de constitutionnalité n'avait été opposé.
Par la suite, nous pourrons avoir une discussion de principe sur la nécessité de protéger ou non nos concitoyens quand ils recourront à ces plateformes. Mais pour l'instant, je constate que votre argumentation a évolué dans le temps, et en fonction des interlocuteurs.
Il y a eu d'abord l'argument de la constitutionnalité, puis celui de la conventionnalité… C'est une question juridique que je vous pose : nous ne savons pas pourquoi vous avez pris ces deux arguments, surtout alors qu'ils n'étaient jamais apparus dans les discussions qui avaient lieu depuis plusieurs années. Et cette question traverse nos bancs, même si pour ma part je la pose à titre personnel, non au nom de mon groupe, qui n'a pas déposé d'amendement sur le sujet.
Le code de la consommation nous permet de protéger les consommateurs. Pourquoi le domaine des plateformes juridiques, des legaltech, serait-il en dehors de cette protection ? C'est une activité nouvelle et nous souhaitons instaurer une protection des consommateurs concernés, en l'occurrence les personnes qui auront recours à ces services. Nous pourrons toujours abroger ultérieurement l'obligation de certification préalable si celle-ci s'avère inutile, mais il faut dans un premier temps protéger les utilisateurs de ces nouveaux outils, d'autant qu'on sait bien qu'existe tout de même une fracture numérique et que le marché n'est pas organisé. Dans un premier temps, il y a besoin de garde-fous.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement no 428 .
Je monte au créneau avec le même enthousiasme. Les plateformes doivent être certifiées, elles doivent répondre à des critères qualitatifs qui protègent les consommateurs, qui sont en l'espèce presque des justiciables. Sinon, quoi : notre code nous permettrait de protéger le simple consommateur, mais pas le justiciable ? A minima, le justiciable est un consommateur, même si c'est d'un type particulier puisque le cadre est un litige juridique !
Il ne s'agit pas seulement de fracture numérique, de possibilité d'accès aux plateformes pour des raisons de connexion ou de maîtrise de l'outil : il s'agit surtout de la qualité du service rendu. Tout le monde n'est pas docteur en droit, avocat ou juriste – et quand bien même : les juristes eux-mêmes ne sont pas compétents sur tous les sujets ! Il faut au moins pouvoir aller en confiance sur ces plateformes. Sinon on tombera dans ce que l'on dénonce aujourd'hui, par exemple, les grands groupes qui manipulent leurs algorithmes pour influencer tel ou tel pays. Je ne veux pas faire de procès d'intention, mais nous le voyons partout autour de nous en ce moment et je ne vois pas pourquoi cela irait en diminuant. Il faut donc être très prudent.
Je ne vois pas en quoi les arguments qui nous sont opposés, qui effectivement ont évolué, sont fondés. On peut démontrer, jurisprudence du Conseil constitutionnel à l'appui – celle de 1982 et d'autres – que cette certification ne poserait pas de difficulté, et en matière de contrôle de conventionnalité non plus. Je crois que le Gouvernement a surtout la volonté de ne pas entraver un développement qui, au final, va faire le jeu des forbans et des margoulins. Voilà ce qui va se passer. Ce sera un échec dont vous porterez la responsabilité, madame la ministre. Je ne vois pas au nom de quoi vous refusez cette certification qui est un gage de qualité et donc un gage de respect du justiciable, même s'il est aussi consommateur.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?
Monsieur Gosselin, c'est justement parce que nous souhaitons un encadrement qui soit efficace, parce que nous trouvons que c'est de notre responsabilité, que nous recherchons la meilleure solution possible.
Exclamations sur les bancs des groupes LR et SOC.
C'est pourquoi la commission est d'accord sur le principe qu'il y ait une certification, et en a déterminé les conditions.
Elle sera en effet facultative, pas obligatoire. En effet, une certification obligatoire aurait pour conséquence l'interdiction d'exercer cette activité hors certification, nous sommes bien d'accord ?
La question n'est pas ce que je veux ou pas : le but est que les choses fonctionnement mieux et que si quelqu'un se rend sur internet pour utiliser les services d'une legaltech, il ne se retrouve pas sur une plateforme qui ne répondrait pas à certains critères. Ces critères, nous les posons.
Exclamations sur les bancs des groupes SOC et FI.
Mêmes mouvements.
Donc nous prévoyons une certification, parce que celle-ci sera un repère pour le justiciable, pour le consommateur, un repère qui permettra de l'aiguiller vers ce qui est de qualité et contrôlé par les services de l'État.
Ce n'est pas contrôlé par l'État, mais par un organisme ! C'est nous les législateurs !
Oui, nous sommes les législateurs, et c'est pourquoi nous devons aussi prendre en compte des considérations d'ordre juridique.
Vous avez évoqué, monsieur Latombe, monsieur Gosselin, une évolution des arguments, mais non : je n'ai pas arrêté de répéter qu'il y avait un vrai problème au regard du cadre européen. On ne peut pas, s'agissant de services non réglementés à l'échelle européenne, décider que la France pourra, elle, fixer des conditions et interdire certains de ces prestataires, on ne peut pas penser que ce sera opérant, et validé par les institutions européennes ! Chacun sait très bien que ce ne sera pas le cas. Si vous voulez voter un texte pour le brandir comme un étendard en clamant qu'on a, nous, interdit les legaltech pour réaliser ensuite que cela ne fonctionne pas, libre à vous, mais sans moi. Je ne veux pas être responsable de cela.
Mme Caroline Abadie applaudit.
Quant au fondement légal de notre argument sur la jurisprudence européenne, je renvoie à l'article 56 du traité, qui exige la suppression de toute restriction à la libre prestation des services lorsqu'elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre où il fournit légalement des services analogues. Enfin, c'est un service libre, aujourd'hui ! Je suis désolée, mais ce fondement légal existe, et il n'est pas nouveau.
Vous avez évoqué, monsieur Gosselin, comme en première lecture, la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1982, mais il ne vous a pas échappé que de l'eau a coulé sous les ponts et que d'autres décisions du Conseil lui ont succédé, notamment celle du 16 janvier 2001, où il considère « qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre [… ] des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ». Dès lors qu'il existe d'autres moyens d'atteindre l'objectif poursuivi, on courrait un risque d'anticonstitutionnalité.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Sourires.
Les dispositions proposées ne visent ni à une privatisation ni même, comme vous le disiez à l'instant monsieur Letchimy, à « libérer le marché ». Le marché est déjà là, libre, foisonnant, et parfois vraiment anarchique. Je répète que le marché des plateformes est constitué d'entreprises privées, et je le dis clairement : le Gouvernement n'a pas l'intention de prévoir des autorisations administratives pour chaque entreprise qui souhaiterait s'y implanter.
Nous n'en avons pas l'intention pour deux raisons. La première est d'ordre constitutionnel. Monsieur Latombe, nous ne changeons pas de raisonnement sur ce point : nous avons toujours relevé l'obstacle constitutionnel comme conventionnel – les mêmes textes sont repris – lié à la liberté d'entreprendre, que Mme la rapporteure vient d'énoncer. La seconde est d'ordre matériel, car il est absolument illusoire d'envisager la certification de l'ensemble des opérateurs présents sur le marché. Mais je redis que certaines obligations s'imposeront à toutes les plateformes, toutes, et que leur responsabilité sera engagée. Celles qui par ailleurs le souhaiteront pourront obtenir une certification, qui supposera des compétences spécifiques – c'est inscrit dans le texte – , une expérience certaine, l'impartialité, l'indépendance et la diligence.
Ce sera, madame la députée, le COFRAC, qui est l'organisme certificateur de l'État. Ensuite, chacune de ces plateformes pourra mettre sur internet le label qu'elle aura reçu.
Il y aura celles qui seront certifiées et celles qui seront seulement labellisées !
Label ou certification, ne me faites pas un procès en nominalisme, vous comprenez très bien ce que je veux dire ! Avec cette certification, comme je l'ai expliqué, dans l'économie du net telle qu'elle est, les citoyens iront vers ces plateformes, parce qu'ils auront confiance.
Telle est la logique dans laquelle s'inscrit le Gouvernement. Avis défavorable.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LaREM.
Je vois mon collègue Dufrègne qui rumine, car il n'aime pas cette société que l'on est en train de nous imposer !
Madame la rapporteuse, madame la garde des sceaux, nous avons retenu de vos propos que les usagers ne seraient pas obligés de recourir aux services en ligne, et que ces services en ligne n'auraient pas l'obligation de recourir à la certification. Voilà qui nous entraîne clairement vers des prestations à plusieurs vitesses, à la carte, et vers un développement du marché juteux qu'est le marché de la conciliation et de la médiation judiciaires.
Votre ultime argument, après avoir été mises un peu en difficulté sur l'Europe et sur la Constitution, a été l'argument éthique : l'économie du net ferait que, pour améliorer son image auprès des consommateurs, l'entreprise serait presque naturellement amenée à faire une demande de labellisation. Là encore, on est dans un monde de Bisounours très éloigné de la réalité, au dire même de nos collègues de droite qui, en la circonstance, ont une bonne connaissance de la matière.
Madame la rapporteure, la jurisprudence de 2001 n'est absolument pas en contradiction avec ce qui a été dit lors de nos débats de l'an passé ! Il n'y a pas de problème de constitutionnalité !
C'est amusant, si j'ose dire, de vous voir brandir l'atteinte à la Constitution quand cela vous arrange. Eh bien, quand bien même il y aurait une difficulté, étant donné que certains d'entre nous saisiront vraisemblablement le Conseil constitutionnel avant la promulgation de cette loi, nous le saurons vite ! Que risquons-nous, de nous faire éventuellement taper sur les doigts ? Mais c'est un risque pris pour la défense des justiciables ! Cela vaut la peine de défendre les justiciables !
Applaudissements sur les bancs des groupes LR, SOC, FI et GDR.
Cela vaut la peine d'avoir un service de qualité !
Vous dites, Mme la garde des sceaux, que les gens ne sont pas idiots et qu'ils verront bien quelles sociétés ont un label de qualité. Pas du tout ! Parler ainsi, c'est méconnaître le phishing, et le fait que des sociétés apparaissent aujourd'hui en première ligne sur les pages de moteurs de recherche parce qu'elles ont payé, bien que leur site ne soit pas forcément le plus recommandable !
On sait qu'en matière d'état civil, des milliers de personnes se font ainsi avoir, tous les jours ! La délivrance des actes d'état civil et des copies est gratuite, mais nombreux sont ceux qui se font coincer, qui déboursent 30 ou 35 euros sur des sites très intelligemment faits, dont le nom ressemble à service-public. fr…
Tout est fait pour que les gens se fassent attraper, c'est pourquoi j'ai utilisé le terme anglo-saxon de phishing. Bref, je souhaite obtenir une copie d'acte d'état civil et, bingo, cela me coûte 35 euros ! J'ai vu des gens intelligents se faire avoir, et pourtant ils avaient été avertis !
Ce sera exactement la même chose avec votre projet de loi. Vous vous arc-boutez sur une vision idyllique des choses, qui est aussi une vision consumériste, que je ne partage nullement. J'ai le sens de la justice, le sens de l'égalité, le sens de l'honnêteté. Or ces plateformes ne seront pas honnêtes, ne seront pas équitables et donc ne seront pas justes.
Applaudissements sur les bancs des groupes LR, SOC, GDR et FI.
Je rejoins ce qu'a dit M. Gosselin : la vraie difficulté, dans le monde numérique, est le référencement. Qu'il s'agisse de Google, de Qwant ou de tout autre moteur de recherche, des personnes sont référencées en haut de page parce qu'elles ont payé.
Elles ont payé parce qu'elles ont compris que leur intérêt est d'être référencées en tête de liste. C'est pourquoi la certification doit absolument être obligatoire, et qui plus est préalable.
Je reviens sur vos arguments concernant la conventionnalité et la constitutionnalité : dans tous les débats et auditions qui ont entouré la proposition de loi de Philippe Bas, aucun problème de ce type n'avait été soulevé !
Et je pose une nouvelle fois la question : pourquoi la CNIL se permet-elle de demander que les entreprises qui forment des DPO, qui leur font passer leur QCM, soient certifiées ISOCEI 17024: 022 ?
Une telle certification est possible, elle existe ! Si la CNIL se le permet, pourquoi ne pourrions-nous pas établir, dans le cadre de la loi, une certification préalable et obligatoire ?
Je rejoins les propos clairs et précis de mes collègues. Je réagirai juste sur trois points des interventions de Mme la rapporteure et de Mme la garde des sceaux.
S'agissant du risque constitutionnel ou conventionnel, il me semble que notre agenda prévoit une révision constitutionnelle qui permettrait de résoudre et d'anticiper l'une des difficultés soulevées par la rapporteure. Il me semble par ailleurs qu'il est de notre devoir, de notre responsabilité d'aller plus loin, de prendre l'initiative, quitte à risquer l'inconstitutionnalité.
Mme la garde des sceaux, vous avez également fait référence à l'économie du net, mais elle est justement fondée sur le jeu sur les algorithmes, l'hameçonnage et toutes ces pratiques existant malgré les marques repères ou les labels !
L'économie du net se base en grande partie sur les pratiques de plateformes de margoulins, comme dirait notre collègue Gosselin, qui font leur beurre non seulement sur l'ignorance mais sur la nature même du net, sur le foisonnement incalculable des données.
Dernier argument : l'Europe. Nous avons commencé le débat à propos du Brexit, et ce n'est pas fini. S'appuyer sur l'Europe pour dire qu'on ne peut pas protéger les citoyens, qu'on ne peut pas faire des lois qui vont dans le sens de l'intérêt général et de la justice, ça va tout de même à l'encontre des propos de la majorité sur l'Europe qui protège ! Où est-elle, l'Europe qui protège, quand elle permet ces pratiques ultralibérales qui trompent les citoyens ? Il serait votre intérêt de défendre ces arguments et de porter le débat au niveau européen, pour montrer que l'Europe peut protéger. Si vous ne le faites pas, vous conforterez l'idée qu'elle ne protège pas.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Mme la ministre, on a du mal à comprendre pourquoi vous insistez pour rendre obligatoire une telle médiation alors que vous n'imposez pas la certification, au moins au commencement, ce qui permettrait aux uns et aux autres de s'engager dans ce processus avec clarté, confiance et volonté de réussir. Pour l'instant, il y a doute.
Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit, notamment par M. Latombe, sur le point central qu'est la protection des justiciables – la protection des femmes et des hommes qui vont utiliser ces plateformes, comme c'est la volonté du Gouvernement, et à qui notre assemblée doit donc donner des garanties leur permettant de le faire dans des conditions optimales.
Aujourd'hui, cette protection n'est pas assurée. Nous savons que nous allons être confrontés à des phénomènes dus au seul l'appât du gain et à une concurrence vraisemblablement excessive. De grandes sociétés qui se sont déjà imposées sur d'autres marchés internationaux avec ce type d'activité vont également chercher à nous imposer leur modèle, leur vision des plateformes. Nous devons imposer une vision française de la matière.
Mme la ministre, dans le débat qui vient de s'ouvrir, la grande critique qui est faite à votre majorité est d'avoir confondu numérique et économie, en considérant que le seul modèle de développement économique était le modèle numérique. Si vous n'apportez pas aux Français des garanties dans la diffusion du numérique, vous allez créer encore plus de tensions dans notre pays.
Enfin, parce qu'il s'agit de droit, de justice, d'égalité, de protection, notamment des plus faibles, il est de notre responsabilité collective d'offrir des garanties.
Je sais, Mme la garde des sceaux, que vous y êtes sensible et je ne comprends pas que vous donniez ainsi le sentiment de céder à un groupe de pression, celui de l'économie du net.
Mme la rapporteure et Mme la ministre ont très bien expliqué notre positionnement sur ce sujet. Il existe un problème de constitutionnalité qui est lié à la liberté d'entreprendre, ainsi que madame la rapporteure l'a dit. On ne peut entraver la liberté d'entreprendre qu'à certaines conditions, qui ne sont pas réunies ici : l'argument sur la constitutionnalité est donc pertinent.
M. Gosselin, lui, a donné à mon avis un argument qui est un contre-exemple. Il a parlé d'un certain nombre de margoulins qui créent des sites faits pour ressembler à service-public. fr, dans le but de tromper. Cependant, certifier l'ensemble de ces plateformes n'empêchera pas de tels comportements : les mêmes margoulins imiteront les certifications que vous voulez rendre obligatoires !
Donc l'idée que la certification est le gage exclusif d'une bonne maîtrise du processus n'est pas recevable.
Nous vous avons expliqué que la certification serait un gage de qualité, permettant aux justiciables de s'y retrouver entre plateformes certifiées et non certifiées. C'est mieux que de vouloir tout réglementer et tout réguler !
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 73
Nombre de suffrages exprimés 73
Majorité absolue 37
Pour l'adoption 26
Contre 47
L'amendement no 246 n'est pas adopté.
Dans la même ligne, il vise à rendre obligatoire la certification des organismes proposant des prestations en ligne de médiation, de conciliation et d'arbitrage. Ces organismes privés doivent faire l'objet d'un contrôle afin d'éviter les dérives potentielles.
En première lecture, ainsi que cela a été dit, l'argument principal de rejet des nombreux amendements proposant cette certification était la possibilité d'une atteinte à la liberté d'entreprendre. Or le Conseil constitutionnel a toujours admis des restrictions légales à cette liberté quand elles étaient justifiées par l'intérêt général et qu'il n'en résultait pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
Nous pensons donc que la certification des services en ligne fournissant de telles prestations correspond bien à cette double condition puisqu'elle permet de s'assurer que les citoyens bénéficieront d'un service de qualité. Il n'y a donc pas d'obstacle à cette demande de certification.
Sur l'amendement no 464 , je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d'une demande de scrutin public.
Sur les amendements identiques suivants, nos 74, 335 et 715, je suis saisi par le groupe La France insoumise d'une demande de scrutin public.
Ces scrutins sont annoncés dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Hubert Wulfranc, pour soutenir l'amendement no 464 .
Cet amendement d'Arnaud Viala revient sur le sujet de l'automaticité de la certification. On voit bien, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure, que cette question vous embête. En réalité, le bon amendement à adopter était celui d'Antoine Savignat qui tendait à supprimer cet article 3. On voit bien qu'en fait, nos amendements sur l'automaticité de la certification sont pour vous un moindre mal. Vous nous les refusez parce que vous êtes butés.
Madame la rapporteure, je reprends votre argument selon lequel vous ne voulez pas interdire ces plateformes en ligne. Inversez juste votre logiciel : partez d'une autre logique, celle de l'autorisation, au lieu de l'interdiction. Ainsi, toute plateforme qui souhaitera proposer ses services pourra solliciter ces certifications et donc ces autorisations. Il ne s'agira plus d'interdiction et vous ne courrez plus le risque de surtransposition que vous évoquiez tout à l'heure.
La parole est à M. Fabien Di Filippo, pour soutenir l'amendement identique no 335 .
Je vais abonder dans le sens de mes collègues avec un amendement qui, je le crois, peut mettre tout le monde d'accord, même s'il s'agit d'un accord a minima.
La mise en place de telles plateformes de conciliation et de médiation directement par internet ne place pas les justiciables dans une situation de sécurité. Vous avez dit que vous vouliez que ces organismes soient certifiés : au lieu donc d'écrire « peuvent faire » dans la loi, ce qui signifie qu'ils n'ont aucunement l'obligation d'être certifiés, écrivons qu'ils « font » l'objet d'une certification. Ça, c'est une garantie, quelle que soit la méthodologie que vous déciderez d'employer ensuite.
C'est une garantie minimale que vous avez la possibilité, par ce simple changement sémantique, d'apporter à tout le monde.
La parole est à Mme Danièle Obono, pour soutenir l'amendement identique no 715 .
Dans la même ligne, notre amendement propose de garantir que seules peuvent proposer des services en ligne de conciliation ou de médiation, ou tout autre mode de résolution amiable des litiges, notamment l'arbitrage, les personnes faisant l'objet d'une certification obligatoire.
Celle-ci doit en outre comporter plus de garanties explicites que ce que propose le projet du Gouvernement. Nous défendrons des amendements proposant que ce certificat ait une durée de validité de cinq ans, avec en outre des contrôles réguliers et aléatoires dans des conditions de droit commun.
Mais pour l'instant, l'amendement no 715 vise uniquement, à l'alinéa 10, à substituer aux mots « peuvent faire » le mot « font », afin, a minima, que seuls ces services ainsi certifiés puissent proposer aux justiciables leur diagnostic. Il est entendu que nous ne croyons pas que cela va faire disparaître les pratiques frauduleuses du jour au lendemain : ce n'est pas le but. En revanche, il est de notre responsabilité de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger effectivement les citoyens et les justiciables. Il nous semble que c'est le minimum. Sinon, on se paie de mots, on arbore un petit badge « certification » sans se donner les moyens d'assurer cette protection, qui est, en tant que parlementaires, l'un de nos premiers devoirs.
Ces amendements identiques demandent donc cette simple modification, qui ne crée pas de difficulté monstrueuse. Leur adoption montrerait que vous n'êtes en la matière pas juste dans la posture, mais dans l'action concrète.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?
Également défavorable.
Nous avons, en 2004, voté une très belle loi : la loi pour la confiance dans l'économie numérique. Nous disposons aussi – nous avons tout à l'heure évoqué la CNIL – d'une belle loi sur la protection des droits et libertés ainsi que des données personnelles, même si à l'époque on ne les appelait pas ainsi. Cette loi du 6 janvier 1978 reste, aujourd'hui encore, l'un des grands textes de la Ve République, qui fonde quasiment des droits fondamentaux – du reste, certains éléments de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ont fait droit à cette lecture. La loi de 2004 est venue à juste titre compléter cette loi de 1978 et nous avons aujourd'hui en France un ensemble juridique qui permet d'assurer la protection des consommateurs, des citoyens et également, donc, des justiciables.
L'occasion est à mon sens donnée ici, avec ce projet de loi de programmation et, d'une certaine façon, de confiance dans la justice, d'avoir, madame la garde des sceaux, une belle loi dont vous pourriez être fière. Une loi pour la confiance dans la justice numérique.
Banco, bingo, chiche : je ne sais comment vous le dire. Votre loi a pour objectif d'acter la numérisation de la société. Je n'ose dire, pour reprendre le titre d'une autre loi, qu'elle veut nous faire passer à la justice du XXIe siècle, parce qu'à ce compte-là, nous en sommes au moins au quatrième millénaire ! Mais vous avez l'occasion d'inscrire dans l'histoire judiciaire et juridique française une page intéressante, avec une loi pour la confiance dans une justice numérique.
Ayez un peu confiance dans le travail de l'opposition. D'ailleurs, cela devrait vous interpeller : quand vous avez des Viala, des Di Filippo et des Bernalicis qui se retrouvent sur un même sujet, …
Sourires.
… c'est que celui-ci mérite d'être partagé et qu'on n'attend plus que vous !
Même sur les bancs du groupe La République en marche, chacun est convaincu que la certification ne doit pas être optionnelle, mais bien obligatoire. Au nom de quelle liberté d'entreprendre permettrait-on tout et n'importe quoi ?
Je prends l'exemple de la pratique illégale de la médecine : les articles L. 4161-1 à L. 4161-6 du code de la santé publique la sanctionnent pénalement, de deux ans d'emprisonnement et d'une amende jusqu'à 30 000 euros, au nom de la salutaire sécurisation du patient.
Au nom de quoi la pratique illégale, ou illégitime, de la justice ne serait-elle donc pas sanctionnée ? Or non seulement vous refusez de la sanctionner, mais, quelque part, vous l'encouragez. Le justiciable lui aussi mérite de voir sa sécurité garantie !
Ce n'est pas la peine de brandir le principe de la liberté d'entreprendre : cet argument ne doit pas s'appliquer à ce secteur, pas plus qu'à celui de la santé et de la médecine. Il y a des enjeux importants autour des personnes non compétentes pratiquant une activité de santé. Ils sont tout aussi importants et cruciaux lorsqu'ils sont liés aux personnes non compétentes, malintentionnées, non systématiquement bien intentionnées, non formées qui pratiquent l'exercice illégal de la justice, se substituant en réalité à une décision de justice.
Ce sont des amendements de repli par rapport à ce que nous avions proposé tout à l'heure. Je veux juste revenir sur le référencement. Selon vous, il s'agit d'un marché qui va s'autoréguler avec la certification optionnelle.
Allez taper « vol retardé » sur Google, Qwant ou n'importe quel autre moteur de recherche : des plateformes à foison vous proposeront de demander aux compagnies aériennes, parce que votre vol a été retardé, une éventuelle indemnisation. Certaines ne sont référencées que parce qu'elles ont acheté de la publicité de référencement, ce qui leur permet ensuite de gagner de l'argent – étant capitalistes, elles ont envie d'en gagner ! Le référencement leur coûte moins cher que ne leur rapportera le client.
Enfin, un dernier point me chiffonne dans votre article 3 : vous êtes obligés de demander à ce que les plateformes respectent le règlement général sur la protection des données – RGPD. Mais cela devrait être automatique, systématique, obligatoire ! Les données qui seront traitées sont des données à caractère personnel.
Sensibles effectivement, pour un certain nombre d'entre elles, en matière de santé ou d'indemnisation par exemple. Pourquoi êtes-vous donc obligés de faire figurer cette précision à plusieurs reprises dans cet article 3, alors que cela devrait se faire d'office ? Il me semble que nous avons tous un souci de protection du consommateur vis-à-vis de ces plateformes. Le fait que vous mentionniez le RGPD me conforte dans l'idée qu'il faudrait une certification préalable et obligatoire, puisque nous souhaitons bien la protection des consommateurs de ces plateformes.
Avec le RGPD, c'est l'inverse.
Or le marché n'est aujourd'hui pas suffisamment régulé pour que nous puissions nous permettre de lui faire confiance.
1,7 million : c'est le nombre d'arnaques déclarées en 2018, dont 50 % sont passées par internet.
Ça va cinq minutes, c'est bon ! Monsieur le président, je souhaiterais que vous fassiez la police, ce n'est pas la première fois que cela se passe depuis hier soir.
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Sourires.
S'il vous plaît, chers collègues !
Poursuivez, monsieur Bernalicis. Soit vous prenez la parole, soit nous passons au vote.
J'aimerais pouvoir la prendre, monsieur le président, mais c'est compliqué !
Bref, 850 000 personnes se plaignent donc d'une arnaque sur internet – et je pense que c'est clairement sous-évalué, car il ne s'agit que de ce qui a été déclaré. Comment cela se passe-t-il ?
Certaines plateformes se prévalent de l'accomplissement d'une mission d'intérêt général et de service public, puis proposent ensuite d'autres services. Cela a été dit tout à l'heure à propos de l'état civil : certaines font payer 30 euros un service qui est gratuit. Or les gens concernés ne déposent pas plainte et ne demandent pas à être indemnisés : autant d'argent perdu qui atterrit dans les poches de quelques margoulins, pour reprendre un terme qu'apprécie Philippe Gosselin.
Faire du conseil juridique dans ce pays est vraiment, vraiment, vraiment encadré. Tout le monde ne peut pas se dire, au coin d'une rue, que tiens, il va faire du conseil juridique. Et il est bien normal que cette activité soit encadrée. Sauf qu'on dirait que, sur internet, vous trouveriez normal que certains agissent sans certification, sans être encadrés ! Sans parler du fait que même la certification ne donne pas la garantie qu'ils respectent des règles de bon sens, qu'ils ne sont pas motivés par le seul enrichissement.
On peut vous proposer un package : on vous fait la conciliation, et si ça n'aboutit pas, on vous fera même l'assignation directement auprès du tribunal. C'est du tout en un. Et on vous proposera même l'avocat ensuite, pour vous aider en cas de souci, et on vous offrira 10 % de réduction si vous optez pour l'offre intégrée ! Voilà comment cela fonctionnera demain
Nous sommes en train de parler du justiciable, pas du consommateur qui va acheter un paquet de pâtes !
Soit on installe des protections et on permet les choses, soit, comme vous, on permet l'escroquerie. Voilà ce que vous êtes en train de faire.
L'amendement no 313 n'est pas adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 67
Nombre de suffrages exprimés 67
Majorité absolue 34
Pour l'adoption 26
Contre 41
L'amendement no 464 n'est pas adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 68
Nombre de suffrages exprimés 68
Majorité absolue 35
Pour l'adoption 26
Contre 42
Nous souhaiterions, avec cet amendement, aborder un autre aspect de la certification : celui de sa durée et de son contrôle.
Nous proposons que cette certification soit limitée dans le temps, à cinq ans, et aussi que des contrôles aléatoires soient menés, de sorte que la certification ne constitue pas un blanc-seing qui permette aux sites internet d'arborer une belle Marianne pour ensuite évoluer et vivre sans aucun contrôle.
Le diable se cachant dans les détails, ou plutôt, sur internet, dans les algorithmes, nous courons le risque qu'un certain nombre de structures se prévalent d'avoir obtenu une certification, et donc d'une certaine autorité naturelle de l'État pour agir pour le justiciable, afin ensuite de pouvoir ensuite lui extorquer ici ou là quelques euros, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, notamment en proposant des services intégrés.
Je parle au futur, mais c'est déjà ce que font les plateformes. Sollicitez une médiation en ligne, puisque cela existe déjà, et l'on vous proposera dès aujourd'hui des services intégrés, avec des prix variables et des garanties plutôt « ésotériques » !
Nous proposons donc une certification valable pour cinq ans et soumise à des contrôles aléatoires.
Monsieur Bernalicis, je n'organise pas l'escroquerie ; ce n'est ni dans mon intention, ni dans mon tempérament. Je l'organise si peu que, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, la certification sera délivrée par le Comité français d'accréditation, qui est l'unique instance d'accréditation en France. Elle sera délivrée au terme d'une procédure rigoureuse, sérieuse, éprouvée, qui présentera toutes les garanties de qualité. En outre, comme l'a expliqué Mme la rapporteure, les conditions de délivrance et de retrait de la certification seront précisées par décret en Conseil d'État et un cahier des charges sera publié par arrêté du garde des sceaux. Dans le cadre de cette procédure, qui est, je le répète, de niveau réglementaire, il n'est pas exclu et il est même probable que la certification sera délivrée pour une durée limitée, avec une possibilité de renouvellement. Avis défavorable, donc.
Madame la ministre, vous prenez donc l'engagement devant la représentation nationale que l'organisme – que nous ne contrôlons pas, puisqu'il est visiblement indépendant : tout juste pourra-t-on, puisque, fort heureusement, un représentant de l'État y siège, user en son sein d'un droit de veto – n'accordera qu'une certification limitée dans le temps et effectuera des contrôles ? Vous nous le garantissez ?
On trouve d'ailleurs dans cette structure de nombreux professionnels du droit, qui seront à même d'analyser les plateformes, d'évaluer leur pertinence juridique, et de vérifier qu'elles ne proposent pas des services all inclusive. De toute façon, j'imagine que vous êtes opposée à ce type d'organismes qui prétendent que ce qu'ils proposent est obligatoire ou assurent qu'il vaut mieux faire appel à eux pour le reste de la procédure au prétexte que cela simplifiera les choses.
Du coup, je ne comprends pas pourquoi on ne prévoirait pas une plateforme de médiation en ligne publique, qui serait gérée par le ministère de la justice. Ce dernier serait-il à ce point incompétent ? Je ne le crois pas. On sait y faire de belles et grandes choses.
Je pense donc qu'il y a chez vous un certain dogmatisme. Oui, je suis au regret de vous le dire, vous permettez l'escroquerie, vous l'organisez en quelque sorte.
Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.
Peut-être est-ce inconscient, peut-être n'est-ce pas délibéré – je n'ose croire que cela le soit : ce serait le comble, de la part de la ministre de la justice, garde des sceaux !
Monsieur le président de séance, il y a tout de même des limites !
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 63
Nombre de suffrages exprimés 57
Majorité absolue 29
Pour l'adoption 14
Contre 43
L'amendement no 716 n'est pas adopté.
Par cet amendement d'appel, nous proposons de lancer une expérimentation afin que la certification des services en ligne proposée pour les modes alternatifs de règlement des litiges soit assurée par une commission composée de praticiens et d'usagers et usagères. Des commissions de certification seraient créées dans les ressorts des cours d'appel concernées, et les services en ligne ne pourraient y exercer qu'après avoir obtenu ladite certification.
Madame la garde des sceaux, vous venez de nous expliquer ce que vous prévoyiez de faire par voie réglementaire. Or il nous semble important d'assurer la transparence de la procédure de certification et de diffuser au maximum les informations pour faire en sorte que les usagers et usagères aient conscience tant des bonnes pratiques que des pratiques frauduleuses. Qu'ils soient eux-mêmes impliqués dans les commissions de certification permettrait de donner au dispositif une dimension pédagogique.
En outre, vu le contexte actuel et sachant qu'avec la majorité et le Président de la République, vous êtes désireux d'être à l'écoute du pays et de trouver des solutions à la crise démocratique, les citoyens et citoyennes se sentant dessaisis des institutions, une telle expérimentation en matière de justice numérique serait un bon exemple de la manière dont on peut à la fois réconcilier les usagers et usagères avec les institutions et améliorer ces dernières.
Il s'agit donc d'une proposition vertueuse à plus d'un sens et je ne doute pas que vous y accorderez l'attention nécessaire. Si vous la repoussez, vous saurez nous expliquer pourquoi vous ne voulez même pas lancer une expérimentation, alors que celle-ci permettrait d'encadrer les choses et ne pourrait donner que de bons résultats, vu qu'elle montrerait à la fois les limites du dispositif et les bonnes pratiques à développer.
Avis défavorable : le débat que nous venons d'avoir montre qu'il faut au contraire que le mécanisme de contrôle et de certification soit assuré par des professionnels chevronnés, et non par un comité consultatif d'usagers.
Avis défavorable.
Je voudrais revenir sur la discussion qui vient d'avoir lieu. Monsieur Bernalicis, on peut ne pas être d'accord sur le fond, vouloir la certification préalable obligatoire, mais on n'est pas obligé d'utiliser les termes que vous avez employés au sujet de la garde des sceaux.
« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.
Madame la rapporteure, vous dites que les professionnels du droit dont nous prévoyons la présence au sein de ces commissions ne sont pas des gens compétents ? Je savais que vous aviez une aversion pour eux depuis qu'ils se mobilisent, mais tout de même !
Si les usagers aussi vous posent problème, cela ne fait qu'aggraver les choses !
Que voulez-vous de mieux que des professionnels du droit pour accorder de bonnes accréditations et vérifier que le service rendu par les plateformes est bien conforme ? Le COFRAC certifie plein de choses. D'ailleurs, comme je l'ai déjà dit, le seul pouvoir dont dispose le Gouvernement en la matière est un pouvoir de veto ; il n'a même pas celui d'examiner comment se fait l'accréditation. Pour ma part, je ne sais pas ce que renferme cette boîte noire qu'est le COFRAC.
Toujours est-il que des entreprises qui y participent se sont fait épingler pour les publicités plus ou moins hasardeuses – pour rester poli – qu'on trouvait sur leur site. Je m'interroge donc. Je vois bien que votre objectif n'est pas la défense du justiciable et qu'il n'est pas non plus de permettre aux professionnels du droit d'encadrer les plateformes. Ce sont pourtant eux qui seraient à même de savoir si l'on est en train d'escroquer les gens ou si on leur rend un réel service en ligne, dématérialisé.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 70
Nombre de suffrages exprimés 61
Majorité absolue 31
Pour l'adoption 16
Contre 45
L'amendement no 717 n'est pas adopté.
L'article 3, amendé, est adopté.
L'article 4 du projet de loi prévoit de rendre obligatoire la représentation par un avocat pour les contentieux de la sécurité sociale et de l'aide sociale. Loin de favoriser l'accès à la justice, cela vient encore une fois menacer la justice sociale. Aucune étude d'impact n'a été présentée, mais il est évident qu'en l'état, l'aide juridictionnelle ne pourra jamais financer une telle réforme. Comment les plus défavorisés, les plus pauvres pourront-ils se défendre si les associations des accidentés de la vie, par exemple, se voient empêchées de les accompagner ? Vous allez creuser le fossé entre ceux qui auront les moyens de payer un avocat et ceux qui seront contraints de renoncer à leurs droits. C'est pourquoi cet amendement, dont Vincent Descoeur est le premier signataire, tend à supprimer l'article.
La parole est à M. Raphaël Schellenberger, pour soutenir l'amendement no 119 .
La parole est à M. Hubert Wulfranc, pour soutenir l'amendement no 459 .
On note un cruel défaut de corrélation entre l'obligation d'assistance par un avocat, qui semble parfaitement légitime, et l'absence de revalorisation de l'aide juridictionnelle, qui est reportée à une date ultérieure. En pratique, cela va plomber l'accès à un certain nombre d'assistances pour les publics les plus éloignés du service public de la justice.
Vous êtes pris là en flagrant délit d'improvisation. Nous nous opposons à ce que cette disposition ne soit pas corrélée à la revalorisation de l'aide juridictionnelle.
L'article 4 étend la représentation obligatoire.
Accordons-nous sur le fait que personne n'est opposé par principe à celle-ci : il est évident qu'être accompagné dans ses démarches juridiques peut être une plus-value. Néanmoins, cela peut aussi avoir des répercussions économiques. Avant, on n'était pas obligé de prendre un avocat ; désormais, la représentation sera obligatoire : la différence est de taille.
En outre, on m'a expliqué que cela engendrerait des frais supplémentaires en appel, pour les avoués.
Certes, mais des droits leur sont rétrocédés et il y a un petit quelque chose à payer. Cela coûtera donc beaucoup plus cher qu'on ne le croit.
Vous n'avez pas engagé de réflexion sur l'aide juridictionnelle avant de présenter ce texte. Vous dites qu'elle sera menée dans un second temps. Encore une fois, on fait les choses à l'envers !
De surcroît, la réforme constitutionnelle en cours a été reportée à plus tard. Au vu des événements actuels, il est tout à fait imaginable que le calendrier soit de nouveau bouleversé et qu'on finisse par examiner le texte sur l'aide juridictionnelle non pas en 2019, mais début 2020 – c'est une hypothèse qui se tient. Il y aura donc une longue période durant laquelle on n'aura pas progressé sur la question de l'aide juridictionnelle alors qu'on aura étendu la représentation obligatoire, ce qui, concrètement, reviendra à éloigner certaines personnes de la justice parce qu'elles n'auront tout simplement pas les moyens d'y avoir recours.
D'abord, les dispositions contenues dans cet article sont corrélées à celles de l'article 53 : plutôt que d'une extension du champ de la représentation obligatoire, il s'agit d'une application des dispositions actuelles aux tribunaux judiciaires. Aujourd'hui, il n'y a pas de représentation obligatoire pour les litiges portant sur des sommes inférieures à 10 000 euros – quoiqu'il existe des exceptions, mais je n'entrerai pas dans les détails. L'idée est de maintenir cette règle.
L'application de la représentation obligatoire à certaines matières que vous avez évoquées, monsieur Bazin, comme le contentieux de la sécurité sociale et de l'aide sociale, pose problème. Adrien Taquet défendra tout à l'heure un amendement visant à y remédier, auquel je donnera, je le dis d'ores et déjà, un avis favorable.
En ce qui concerne l'aide juridictionnelle, une réflexion doit avoir lieu. C'est pourquoi nous avons adopté en première lecture un amendement visant à engager une réflexion en vue de la refonte complète de l'aide juridictionnelle et de l'accès au droit d'ici le 1er janvier 2020, notamment dans le cadre des missions qui seront menées par nos collègues Naïma Moutchou et Philippe Gosselin et à la lumière des différents rapports qui ont déjà été remis à la garde des sceaux.
Avis défavorable, donc.
La suppression proposée par ces amendements est contraire à l'objectif d'extension de la représentation obligatoire qui trouvera en grande partie sa traduction dans des textes réglementaires qui seront postérieurs à la loi, mais dont certains aspects figurent dans le texte qui vous est soumis.
Je voudrais rappeler l'économie principale de la réforme de la représentation obligatoire, pour ne reprendre que brièvement la parole ensuite.
Actuellement, en première instance, les contentieux qui relèvent du tribunal d'instance, du tribunal de commerce, du conseil de prud'hommes, du tribunal des affaires de sécurité sociale – TASS – , du tribunal du contentieux de l'incapacité, de la cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail, la CNITAAT, et du tribunal paritaire des baux ruraux sont sans représentation obligatoire, au contraire de la plupart des contentieux attribués aux tribunaux de grande instance.
Pour améliorer la qualité de la justice, il nous a paru important de faire bouger ces lignes, à des fins d'harmonisation mais aussi dans le but d'étendre le périmètre de la représentation par avocat à des contentieux techniques dans lesquels il est précieux de bénéficier de cet appui. Nous y procédons tout en maintenant un accès direct au juge pour tout ce qui relève soit de la protection, soit de la proximité – les deux allant d'ailleurs souvent ensemble.
Ainsi, en première instance, je propose d'étendre la représentation obligatoire au contentieux de l'exécution au-delà de 10 000 euros, au contentieux douanier, à la matière fiscale ou encore aux référés qui relèvent actuellement du tribunal de grande instance. À l'inverse, pour les demandes inférieures à 10 000 euros – surendettement, baux d'habitation, notamment – , la représentation par avocat restera facultative. Nous choisissons ainsi de maintenir la justice de proximité. Il n'y aura pas de représentation obligatoire pour les contentieux relevant aujourd'hui du tribunal d'instance.
Quant à l'appel, j'insiste beaucoup sur le fait qu'il doit se concentrer sur les questions de droit, et éventuellement sur les erreurs commises en première instance. L'extension de la représentation obligatoire doit donc valoir également en appel, sauf certaines exceptions tenant compte de la situation financière des parties, par exemple en matière de surendettement, de procédure collective ou d'appel contre les décisions du juge des libertés et de la détention.
Ainsi, nous étendons la représentation obligatoire en faisant exception pour les contentieux de la protection et de la proximité et, en même temps, nous garantissons la prise en considération de la technicité du droit.
En outre, comme la rapporteure, s'agissant de l'appel en matière de sécurité sociale, je suis favorable à une évolution du texte qui vous a été proposé en première lecture ; nous en redirons un mot tout à l'heure.
Quant à l'aide juridictionnelle, je le réaffirme devant vous, ses évolutions trouveront leur traduction dans le budget pour 2020.
Avis défavorable.
Madame la ministre, nous avons une opposition de principe à l'extension de la représentation obligatoire. Si nul n'est censé ignorer la loi, notre travail, à nous, est de la rendre intelligible. Si nous en venons à parler de la technicité des contentieux ou de l'obligation d'une représentation pour garantir la qualité de la justice, c'est parce que nous sommes incapables d'écrire des lois intelligibles : les lois étant de plus en plus techniques et complexes, si l'on veut que la justice soit compréhensible pour les justiciables, il faut assurer à ces derniers l'assistance d'un professionnel du droit. C'est en vertu de ce principe que j'ai déposé notre amendement de suppression.
Ensuite, dans votre dernière intervention, un élément m'a fait bondir de mon banc : en appel, dites-vous, on juge en droit. Non : en appel, on juge en fait et en droit ; tout étudiant en première année de droit l'apprend dès son premier cours ! Si votre intention est de faire de l'appel une procédure où l'on ne juge qu'en droit, vous nous trouverez face à vous, fermement déterminés à lutter contre votre réforme.
« Il est institué un droit d'un montant de 225 euros dû par les parties à l'instance d'appel lorsque la constitution d'avocat est obligatoire devant la cour d'appel », dit l'article 1635 bis P du code général des impôts. En d'autres termes, en étendant la représentation obligatoire en appel, vous dites aux gens : « Ça fera 225 euros de plus ! »
Chose intéressante, les administrations, elles, n'ont pas de représentation obligatoire, donc pas de frais à débourser. Cela peut se comprendre : l'état des finances de la plupart d'entre elles les empêche de se payer des avocats. Mais le justiciable est à peu près dans la même situation.
Il faudrait donc peut-être réfléchir avant d'imposer aux gens des voies payantes.
La parole est à M. Philippe Latombe, pour soutenir l'amendement no 161 .
Je reprends votre argumentation, madame la garde des sceaux, pour vous demander d'étendre la représentation obligatoire par avocat au tribunal paritaire des baux ruraux.
Deux raisons le justifient. Premièrement, il s'agit d'une matière extraordinairement technique dont la portée est substantielle. Quand un agriculteur ne paie pas ses fermages, cela entraîne des conséquences sur la résiliation de son bail ; le cas échéant, il peut être dans l'impossibilité de céder son bail, donc son exploitation agricole, au moins en partie. Quand il décide de changer de culture et que ce n'est pas possible pour le propriétaire, les discussions sont très techniques. Aujourd'hui, dans ce domaine, les avocats sont des spécialistes en tout petit nombre ; il faudrait pouvoir recourir à leurs services.
Deuxièmement, un problème d'objectivité et d'impartialité se pose au sein de ces tribunaux où les justiciables – débiteurs, créditeurs – , les juges, qui sont des professionnels, et les personnes qui représentent les justiciables ou leur apportent une assistance juridique sont presque tous des agriculteurs, issus de syndicats agricoles. La présence d'avocats améliorerait la transparence des audiences.
Avis défavorable. La disposition en discussion a évolué à la suite des débats au Sénat. Il apparaît clairement que, dans cette matière, la procédure actuelle fonctionne. Tous les acteurs peuvent intervenir, y compris les syndicats pour oeuvrer à la protection des intérêts des parties. La matière est technique, c'est vrai, mais le fonctionnement actuel est satisfaisant. Il n'y a donc pas de raison d'étendre à cette matière le champ de la représentation obligatoire.
Même avis.
Comme j'ai certainement eu l'occasion de le dire en première lecture, votre proposition, monsieur le député, correspond au projet initial du Gouvernement ; mais, après avoir entendu l'ensemble des acteurs, il nous est apparu, ainsi que l'a dit la rapporteure, que les organisations agricoles et toutes les parties prenantes souhaitaient le statu quo.
Je suis d'accord avec Mme la rapporteure : malgré des variations selon la situation locale dans tel ou tel département, globalement, notre système de tribunal des baux ruraux fonctionne plutôt bien et de manière assez équilibrée – sans sous-estimer la technicité des sujets ni certaines bizarreries qui font qu'en 2019, dans notre pays, un bail rural peut être verbal, ce qui montre qu'en matière de preuve les choses ne sont pas si simples.
Je profite de l'occasion – je voulais prendre tout à l'heure la parole à ce sujet mais M. le président, sans doute à juste titre, ne me l'a pas donnée… – pour réagir à ce qu'a dit la ministre : la réforme de l'aide juridictionnelle se traduirait dans le budget pour 2020. Compte tenu de la période à laquelle le projet de loi de finances est connu et discuté, cela veut dire que l'on traduirait budgétairement en septembre ou en octobre prochain une réforme à laquelle nous devons procéder avant le 31 décembre au plus tard. Quand allons-nous donc travailler ? Quand allons-nous voter la réforme de l'aide juridictionnelle si vous anticipez déjà sa traduction budgétaire ? Tout cela est un peu flou. Soit la réforme est déjà décidée, auquel cas on peut l'anticiper budgétairement et ma remarque tombe à plat ; soit nous avons un vrai travail à faire, dont je ne vois pas comment nous pourrions l'intégrer dès le mois d'octobre au projet de loi de finances pour 2020. Pourriez-vous nous éclairer sur ce qui apparaît comme une petite contradiction, madame la ministre ?
Notre collègue Latombe a invoqué deux arguments à l'appui de la représentation par avocat devant les tribunaux paritaires des baux ruraux.
D'abord, la matière serait très technique. C'est exact, mais les syndicats agricoles s'en sont emparés depuis des années et assistent bailleurs et preneurs avec une grande compétence.
Ensuite, il y aurait un problème d'impartialité. En effet, les syndicats agricoles peuvent assurer la défense de leurs clients – bailleurs ou fermiers – , mais aussi jouer le rôle d'assesseurs au sein de l'un des deux collèges – de bailleurs et de preneurs – et représenter le syndicat lui-même. Mais le fait que la présidence soit assurée par le président du tribunal d'instance garantit l'impartialité.
Il n'y a donc pas lieu de rendre la représentation obligatoire dans ce contentieux.
Il est clair que vous n'accepterez pas les amendements, madame la ministre. Il n'en est pas moins utile de comprendre le mécanisme que vous instaurez : vous anticipez sur l'article 53, qui va fusionner tribunal d'instance et tribunal de grande instance, en redistribuant les cartes en matière de représentation obligatoire. Or, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, vous restreignez la possibilité d'accès aux avocats. Vous avez cité le tribunal paritaire des baux ruraux, le juge de l'exécution, le contentieux de la sécurité sociale et de l'action sociale. En outre, un décret d'application viendra certainement définir l'utilité de la représentation par avocat.
L'élément central est le suivant : la fusion à laquelle vous procédez implique des économies. Et ces économies, dans les « petits » cas, pour les populations les plus démunies, se feront sur l'aide juridictionnelle. Pouvez-vous garantir, en effet, que l'aide juridictionnelle ne sera pas fondamentalement remise en cause par le fait d'étendre à ce point l'éventail des contributeurs susceptibles d'assister les parties ? Vous ouvrez à l'épouse ou au syndicat la possibilité de représenter les intéressés ; le nombre d'avocats auprès des parties en sera réduit. La réforme va ainsi vous permettre une économie budgétaire considérable. C'est le coeur du débat.
L'amendement no 161 n'est pas adopté.
Par cet amendement, mon collègue Masson propose d'introduire le dispositif dans la loi de 1971, qui pose le principe du monopole de l'avocat, plutôt que de modifier la loi de 2007 relative à la simplification du droit. Cela permettrait selon lui de rendre la loi plus accessible.
Défavorable. La loi de 1971 fixe le statut des avocats. Les présentes dispositions n'ont rien à voir avec ce statut.
Monsieur Letchimy, mon objectif n'est pas de réduire la représentation obligatoire, mais, au contraire, de la développer. Je n'ai pas bien compris comment vous parveniez à inverser la proposition que j'ai explicitée devant vous.
L'amendement no 7 n'est pas adopté.
Madame la ministre, il va tout de même falloir nous lâcher quelques amendements ! Or celui-là, que nous devons à Vincent Descoeur, est vraiment bien : il a le mérite de graver dans le marbre ce que vous nous annoncez oralement.
Je veux parler du fameux montant de 10 000 euros de litige. Le texte actuel indique que la valeur des litiges sera prise en compte ; il est préférable de nous rassurer sur ce point sans attendre un décret – la confiance a ses limites, surtout dans la période actuelle… Il vous est donc proposé ici d'inscrire clairement dans le texte la valeur plancher de 10 000 euros.
On ne peut pas tout écrire dans la loi. Ce point est d'ordre réglementaire.
Même avis. Il en a toujours été ainsi : le principe est dans la loi, le montant est dans le règlement.
L'amendement no 33 n'est pas adopté.
Afin de rendre la justice plus proche et accessible, ainsi que le préconise un rapport d'information du Sénat d'avril 2017, intitulé Cinq ans pour sauver la justice, le présent amendement vise à inscrire dans le code de la consommation la possibilité pour les associations de consommateurs d'assister les justiciables dès lors qu'un litige relève du droit de la consommation et que la représentation par un avocat n'est pas obligatoire. Ces associations disposent de véritables spécialistes, qu'ils soient bénévoles ou salariés, qui se sont formés en travaillant sur des cas concrets au point, dans leur domaine, d'être des références qui conseillent eux-mêmes les avocats qui n'ont plus qu'à mettre en forme les éléments qui leur sont ainsi donnés. Nous souhaitons donc, après l'alinéa 8, insérer l'alinéa suivant : « 6° Une association de consommateurs, lorsque la représentation par avocat n'est pas obligatoire. »
Il est défavorable, même si je tiens à saluer le travail des associations de consommateurs qui assistent autant que possible les parties dans la préparation de leurs dossiers. Il s'agit néanmoins de ne pas étendre outre mesure la dérogation au monopole de la représentation par ministère d'avocat. Je tiens à préciser qu'en matière de contentieux de la consommation, le juge peut se saisir d'office d'un certain nombre d'arguments, ce qui est susceptible de renforcer la protection des consommateurs.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 55
Nombre de suffrages exprimés 51
Majorité absolue 26
Pour l'adoption 19
Contre 32
L'amendement no 627 n'est pas adopté.
La parole est à M. Philippe Latombe, pour soutenir l'amendement no 163 .
L'amendement no 163 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'amendement no 609 ne remet pas en cause l'extension de la représentation obligatoire. Il concerne cette extension seulement en matière de contentieux social. Je comprends le souci d'homogénéiser et de simplifier les procédures mais nous devons veiller à ce qu'il ne conduise pas à un recul des droits. Or il y a clairement un risque ici puisque le dispositif concerne de fait les personnes en situation de handicap et en particulier le contentieux né des décisions de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, la CDAPH, qui octroie à ces personnes des droits visant à compenser leur handicap.
Vous le savez, les personnes en situation de handicap sont encore, en France, dans une situation de vulnérabilité sociale. Le Défenseur des droits a d'ailleurs lui-même relevé que la présente disposition pourrait constituer pour elles un obstacle à l'accès au juge et créer un déséquilibre entre les parties, cela d'autant que, sauf erreur, cette obligation de représentation par ministère d'avocat en appel ne pèse pas sur les administrations elles-mêmes.
Il est donc essentiel à mes yeux que les personnes en situation de handicap puissent continuer d'être représentées en appel par des associations dont la compétence, l'expertise sont, je crois, largement reconnues par les juridictions françaises.
L'objectif du texte est de renforcer la lisibilité du système judiciaire afin qu'il soit le plus uniforme possible. C'est pourquoi il prévoit une représentation obligatoire par un avocat pour toutes les procédures d'appel. La situation que vous évoquez n'en est pas moins réelle et les justiciables auxquels vous faites ici référence sont les plus vulnérables, si bien que l'extension de l'obligation de la représentation peut leur causer des difficultés. Si la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, je suis très sensible à la cause que vous venez de défendre. Par conséquent, puisque vous proposez un accès plus simple et direct au juge pour les personnes les plus vulnérables, je donne, à titre personnel, un avis favorable.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Comme je l'ai déclaré dans mon propos introductif, je reste persuadée que l'intervention d'un professionnel du droit est opportune en appel. Toutefois, la matière sociale, comme vous l'expliquez, est particulière, notamment en ce que les personnes concernées se trouvent souvent en situation de précarité. Or les personnes lourdement handicapées, qui, par exemple, bénéficient à la fois du versement de l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, et d'un complément de ressources, peuvent voir leurs revenus dépasser le seuil d'octroi de l'aide juridictionnelle et, de ce fait, ne pas pouvoir en bénéficier. Aussi la représentation obligatoire, en raison de la charge financière qu'elle pourrait faire supporter dans ce cas, ne me semblerait-elle pas une bonne chose en ce qu'elle pourrait conduire les justiciables en question à renoncer à exercer un recours. Ce n'est évidemment pas ce que nous souhaitons, je l'ai dit, et c'est pourquoi le Gouvernement est favorable à l'évolution du texte telle que vous la proposez.
Mêmes mouvements.
L'article 4, amendé, est adopté.
L'article 5 confie au notaire la rédaction de l'acte de notoriété constatant la possession d'état en matière de filiation, relevant actuellement de la compétence du juge du tribunal d'instance, cela dans un souci de traitement plus rapide des demandes des usagers et afin d'uniformiser les règles du code civil régissant les actes de notoriété. Or il convient selon nous de maintenir la compétence judiciaire en matière de filiation. Un tel acte établit en effet la filiation d'un enfant et le juge a un pouvoir d'appréciation que n'a pas le notaire.
La tendance, depuis quelques années, associant la déjudiciarisation à la contractualisation du droit de la famille – je pense à plusieurs textes qui vont nous être soumis en matière de bioéthique – entraîne une fragilisation des familles, une augmentation des contentieux, contrairement à l'objectif affiché de diminution des coûts, et un recul de la protection judiciaire des enfants et des intérêts du plus faible. En outre, le rôle du juge n'est pas nécessairement de trancher un litige. La juridiction gracieuse a précisément pour objet l'introduction d'un contrôle judiciaire en raison de la nature de l'affaire ou de la qualité du requérant. S'agissant de la filiation d'un enfant et de l'appréciation d'un mode de preuve l'établissant, le contrôle du juge est indispensable.
L'acte établissant la filiation d'un enfant nécessite un pouvoir d'appréciation – mais aussi une expérience – dont est doté le juge. Le faire rédiger par les notaires risquant de faire peser sur ces professionnels une pression considérable, nous proposons de supprimer l'article 5.
La parole est à M. Hubert Wulfranc, pour soutenir l'amendement no 477 .
Nous ne sommes pas opposés par principe à la déjudiciarisation d'un certain nombre d'actes. Il n'en reste pas moins que confier la rédaction de ces actes à un acteur privé, en l'occurrence le notaire, se traduira par un coût supplémentaire pour le justiciable, qui peut aller jusqu'à une soixantaine d'euros, ce qui n'est pas négligeable. L'ensemble des actes, conformément au principe de service public, doivent être gratuits et nous nous opposons donc au transfert prévu qui ne sert pas l'intérêt des justiciables.
Nous devons tenir compte d'événements nouveaux depuis l'examen du texte en première lecture : je pense aux conséquences qu'auraient l'adoption, dans plusieurs mois, de certaines conclusions de la mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique – des évolutions hasardeuses pourraient susciter des contentieux, notamment dans le cas d'une multiparentalité, cas pour lequel la filiation est une question sérieuse. Je reprends l'image filée par notre collègue Xavier Breton : c'est un peu comme le jeu du Mikado où l'on risque de déstabiliser l'ensemble en retirant un seul bâtonnet. Laisser à la compétence du juge la rédaction des actes en matière de filiation, c'est faire preuve de prudence, d'autant plus que, nous le savons bien ici, le juge dispose de moyens qui ne sont pas ceux du notaire. Supprimer l'article 5 relève donc du bon sens.
Nous sommes ici au coeur de la déjudiciarisation qui implique l'absence de l'office du juge. On pourrait croire qu'ici le juge bénéficie d'une marge d'appréciation, mais ce n'est pas le cas. Les matières prévues à l'article 5 sont précisément des matières au sujet desquelles le juge doit se borner à constater. J'émets donc un avis défavorable. J'ajoute à l'attention de M. Wulfranc que les notaires ne sont pas des acteurs privés mais bien des officiers publics et ministériels.
Nous sommes bien dans l'idée de recentrer le juge sur son office. Autrement dit, il s'agit de faire en sorte que le juge intervienne quand il apporte une plus-value, ce qui est le cas quand il a à trancher un contentieux.
Or s'agissant des divers actes dont il est question ici, qu'il s'agisse des actes de notoriété en matière de filiation ou d'actes d'état civil ou du recueil du consentement des couples dans le cadre d'une procréation médicalement assistée, l'office du juge n'apporte pas de plus-value réelle. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons que ces actes puissent être réalisés par d'autres professionnels du droit, notamment par les notaires, officiers ministériels pleinement compétents en matière de filiation.
Je ferai observer par ailleurs que moins de dix actes de notoriété sont délivrés par an en matière d'état civil ou de filiation.
Ce transfert de compétence aux notaires s'inscrit incontestablement dans le cadre de leurs compétences. Je n'ignore pas que la délivrance de ces actes aura un coût mais je rappelle ce que nous avons évoqué en première lecture, notamment pour le recueil du consentement pour la PMA : les droits d'enregistrement ne seront pas pris en compte, ce qui fera baisser substantiellement ces coûts. Pour ces raisons je suis défavorable à ces amendements.
L'article 317 du code civil prévoit que chacun des parents ou l'enfant peut demander au juge du tribunal d'instance du lieu de naissance ou de leur domicile que lui soit délivré un acte de notoriété qui fera foi de la possession d'état jusqu'à preuve contraire.
À ce jour, l'acte de notoriété établi par le tribunal d'instance constate l'état de fait que constitue la possession d'état et est créateur de droits de filiation, donc de vocation successorale à terme. C'est là que le bât blesse : charger un notaire de la responsabilité à la fois de constater un lien de filiation entre un défunt et une personne envers laquelle il s'est comporté comme un parent et de déterminer les droits de cette personne, ainsi que le patrimoine sur lequel il peut les exercer pose indéniablement question sur le plan déontologique.
C'est pourquoi cet amendement vise à laisser cette prérogative au juge du tribunal d'instance.
Il est important de maintenir la compétence judiciaire en matière de filiation. Le juge a un pouvoir d'appréciation que le notaire n'a pas. À ce titre, par exemple, madame la rapporteure, le juge peut ordonner une enquête. D'une façon générale, le notaire n'est pas un juge. Il ne peut donc pas décider en conviction que la filiation déclarée est la filiation véritable de l'enfant et il ne peut pas apprécier la qualité du témoignage de ceux qui contribuent à prouver la possession d'état. Surtout, en effet, la possession d'état doit être prouvée. Or le notaire ne peut pas apprécier les preuves ni les évaluer, ce n'est pas son rôle.
On voit bien que le mouvement de déjudiciarisation que le Gouvernement veut engager risque d'être préjudiciable aux justiciables. C'est pourquoi nous vous proposons la suppression des six premiers alinéas.
Nous restons sur le même sujet, qui consiste à dessaisir le juge pour des actes de notoriété au profit des notaires. L'intention du Gouvernement est louable puisqu'il s'agit de traiter plus rapidement les dossiers mais d'abord il n'est pas certain que les actes de notoriété encombrent les tribunaux. Il n'est pas certain non plus que confier cette tâche aux notaires constituera un gain de temps étant donné les délais d'attente dans certaines études du fait du nombre de dossiers qu'elles traitent.
C'est pourquoi nous supprimons de supprimer les six premiers alinéas.
Étant donné le très faible nombre de ces cas, comme vous venez de le mentionner, madame la ministre, ce transfert de compétence ne se traduira pas par un gain de temps énorme pour le juge. En outre ce constat est évident aujourd'hui où notre code est cohérent sur ces questions de filiation mais sans vouloir faire de la science-fiction, cela risque d'être différent demain en raison de tout ce que la science pourra imaginer dans les prochaines décennies. Il paraît donc plus prudent de maintenir le caractère judiciaire de cette compétence en supprimant ces alinéas.
Avis défavorable sur l'ensemble de ces amendements. Je rappellerai que la possibilité pour le notaire d'établir ces actes de notoriété, que vous semblez mettre en cause, existe d'ores et déjà. Dans un objectif de simplicité, nous ne faisons que réserver aux notaires l'exercice de cette compétence.
Je reprends à mon compte l'argument que Mme la rapporteure vient d'exposer. Je tiens à nouveau à insister sur le fait que l'acte de notoriété, de même que le recueil du consentement, sont de simples constats qui ne supposent aucune compétence juridictionnelle. Comme Mme la rapporteure vient de le rappeler, les notaires effectuent déjà de tels actes, notamment les recueils du consentement pour la PMA. Ces derniers actes sont les plus nombreux, puisque ce ne sont pas plus de dix actes de notoriété qui sont établis annuellement en matière de filiation et d'état civil – je crois qu'en 2017 il y en a eu quatre en matière de filiation, ce qui est très peu.
Le recueil du consentement en matière de PMA est peut-être appelé à se développer mais la compétence judiciaire n'apporterait aucune plus-value. C'est la raison pour laquelle nous préférons harmoniser tout cela.
L'amendement no 593 n'est pas adopté.
La parole est à M. Philippe Latombe, pour soutenir l'amendement no 164 .
L'amendement no 164 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Il s'agit de substituer à toutes les occurrences de l'article 317 du code civil aux mots « L'acte notarié », les mots : « L'acte judiciaire déclaratif de possession d'état ». À l'article 317 il s'agit d'établir une filiation par jugement. Les autres articles du code civil tiennent compte de cet établissement par jugement. C'est pourquoi nous vous proposons cette substitution.
L'amendement no 85 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'amendement no 98 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Cet amendement vise à ce que les actes effectués par les notaires en la matière soient gratuits. Ce n'est peut-être pas plus mal que ce soit les notaires qui en soient chargés puisqu'il est plus facile de trouver un notaire qu'un tribunal près de chez soi. Néanmoins ce qui était gratuit jusqu'ici sera désormais payant, même si cela ne coûtera pas forcément cher.
De plus, s'il est important pour les notaires d'avoir cette clientèle, rendre ces actes gratuits leur permettrait de toucher une nouvelle clientèle. Tout le monde s'y retrouverait. Ou alors il faudrait que l'État compense ce coût. En tout cas, il nous tient à coeur que ce qui est gratuit aujourd'hui le reste demain.
Défavorable : il me semble difficile de demander à un notaire ou à tout autre officier public ministériel d'effectuer des actes gratuitement.
Je rappelle qu'en ce qui concerne le recueil du consentement dans le cadre d'une PMA, dont le coût aurait pu être excessif pour les futurs parents, nous avons obtenu que cet acte soit exonéré des droits d'enregistrement, ce qui se traduira pour les couples concernés par une économie de 125 euros.
Je voudrais à nouveau préciser ici qu'il ne s'agit pas d'inventer une procédure inédite mais de renforcer une compétence des notaires qui s'inscrit dans la continuité de leurs missions actuelles. Les notaires recueillent déjà aujourd'hui divers consentements, tels que le consentement à l'adoption. Ils dressent la plupart des actes de notoriété, notamment en matière de mariage, de prescription immobilière, d'indivision, de succession. Certes nous augmentons le nombre des tâches qui leur incombent, mais sans excéder le champ de compétence qui est le leur.
Cela a évidemment un coût, il n'est pas question ici de le nier, mais depuis la loi Macron, ce coût est fixé par le code de commerce à 57,69 euros pour les actes de notoriété et 76,92 euros pour le recueil du consentement. Je rappelle qu'il a été décidé après débat en commission que l'État ne percevrait aucun droit d'enregistrement, ni sur les actes de notoriété en matière d'état civil ni sur les recueils de consentement.
Voilà la raison pour laquelle je suis défavorable à ces amendements.
Je n'ai jamais prétendu qu'on inventait une nouvelle procédure mais elle deviendra la seule possible alors que jusqu'ici, on avait le choix entre le notaire et le juge. On sera donc obligé de payer, si j'ai bien compris ce que vous venez de dire, madame la ministre, 57 ou 76 euros, alors qu'aujourd'hui on peut choisir une procédure certes plus longue mais qui ne coûte rien !
Je pensais que des officiers publics ministériels pouvaient remplir une mission de service public qui ne coûte rien à l'usager, charge à l'Etat de compenser, pourquoi pas ? On va finir par mettre des gens en difficulté pour quelques euros supplémentaires. La crise que notre pays connaît actuellement est née de la mobilisation contre une augmentation de quelques centimes du prix du litre de carburant, qui se traduisait par une perte mensuelle d'une cinquantaine d'euros. Toute cette histoire pour 50 euros par mois ? Eh bien oui ! pour beaucoup de Françaises et de Français, une dépense de 50 euros, de 76 euros qui n'était pas prévue dans leur budget, c'est une difficulté et vous ne cessez d'aggraver leurs difficultés.
Voilà encore un service que vous rendez payant. La médiation, c'est payant. Tout devient payant avec ce projet de loi. On se demande ce qui va rester gratuit, madame la ministre !
Je souhaite vraiment mettre l'accent là-dessus : pour que cela puisse être un droit, ce service doit pouvoir être accessible gratuitement.
Nous avons là encore une illustration très éloquente du fait que ce texte aurait dû attendre le grand débat national. Cet article aura en effet un impact négatif sur le pouvoir d'achat puisqu'il se traduira par une dépense supplémentaire. Quand les gens qui manifestent dans nos rues, qu'ils portent un gilet jaune ou non, se rendront compte que ce qu'on leur donne d'une main on le leur reprend de l'autre, leur mobilisation ne fera que se renforcer.
Vous devez comprendre que le monde réel n'épouse pas exactement les contours du monde des bobos parisiens. Je crois que vous êtes suffisamment intelligents pour le comprendre ! Vous devez avoir l'humilité de comprendre que les 60 euros d'honoraires à payer à un notaire représentent pour certains un pourcentage élevé de leur budget. Or, on ne peut pas impunément et systématiquement « braquer » – je suis volontairement excessif parce que, finalement, nous n'avons plus rien à perdre – les plus vulnérables.
Cela illustre à nouveau le fait que ceux qui le peuvent obtiendront les documents et que les autres devront prendre le temps d'économiser les sommes nécessaires aux honoraires du notaire.
J'ajoute que la disponibilité des notaires n'est pas extensible : les délais de rendez-vous rallongent les procédures. Certains pourront aller très vite ; d'autres devront aller très lentement…
L'amendement no 719 n'est pas adopté.
Faites-moi confiance, le vote par assis et levé n'est pas nécessaire ! Nous verrons l'arbitrage vidéo !
Sourires
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement no 430 .
Beaucoup de choses ont été dites à ce sujet. Les notaires disposent déjà dans leur escarcelle d'un certain nombre de compétences mais faut-il rappeler qu'en l'occurrence, ils ne sont pas particulièrement demandeurs ?
Si certains se présentent devant les tribunaux et non chez les notaires, c'est pour des raisons précises : facilité, reconnaissance, légalité, apparence, etc. Je ne suis pas sûr que cette attribution de compétence exclusive aille dans le bon sens.
Je n'irai pas plus loin dans la défense de cet amendement, qui a été défendu dans le cadre du débat que nous venons d'avoir.
Défavorable également.
Entre 2016 et 2020, nous aurons augmenté le nombre de notaires de 53 %.
Non, en effet, mais je tenais à répondre à l'argument selon lequel il faut attendre longtemps avant d'avoir un rendez-vous chez un notaire – c'est ce que vous avez dit tout à l'heure, me semble-t-il, monsieur le député Nilor. Une libéralisation de l'installation du nombre de notaires est en cours puisque nous en avons recruté 1 650 en deux ans et que nous continuerons donc pour atteindre le pourcentage que j'ai dit.
L'amendement no 430 n'est pas adopté.
J'ai également le souci de maintenir une alternative entre juges et notaires, même si je comprends que le juge soit uniquement chargé de trancher les litiges – nous verrons d'ailleurs à l'article 6 que ce ne sera même plus le cas !
En l'occurrence, ce ne sont pas des actes banals mais de reconnaissance civile. Comme le législateur l'a fait auparavant, il n'était pas absurde de maintenir une alternative : le notaire – pourquoi pas – et le juge. Nous aurions dû maintenir cette double voie.
J'ajoute, pour avoir rencontré des notaires et leur avoir parlé, qu'ils ne sont pas demandeurs d'une telle exclusivité – j'imagine que les gains ne sont pas à la hauteur de ce qu'ils peuvent attendre en faisant fonctionner une étude.
En outre, les compétences judiciaires des juges expliquent que, dans des situations difficiles et complexes, les intéressés se dirigent préférentiellement vers eux plutôt que vers un notaire.
Il est dommageable que, dans un domaine extrêmement sensible – il s'agit, je le rappelle d'une reconnaissance civile – on soit privé d'une alternative utile et de pouvoir se diriger vers un juge.
Nous regrettons qu'il n'y ait pas eu de bilan de la réforme que nous avons réalisée en 2016 sur le divorce par consentement mutuel car l'enregistrement par le notaire n'est pas sans soulever de problème. Par précaution, nous aurions dû attendre la réalisation d'un tel bilan afin d'évaluer les conséquences de cette importante réforme auprès des notaires.
La question du délai est majeure et je vous entends, madame la ministre, lorsque vous évoquez la création de 1 650 postes…
… et de 700 autres. Néanmoins, personne ne vérifie ce qu'il en est des délais.
Lorsque l'on dispose d'un notaire de famille, il n'y a pas de problème ; lorsque ce n'est pas le cas, il en est autrement et c'est là que le service public de la justice joue pleinement son rôle.
La parole est à M. Philippe Latombe, pour soutenir l'amendement no 165 .
Votre amendement propose de substituer une alternative à une autre alors que cet article tend à uniformiser, à unifier. Avis défavorable.
Avis également défavorable.
Trois points.
La mission de recueil du consentement me semble plus proche de l'activité du notaire avec, par exemple, l'information en matière de filiation, les activités liées aux successions, aux contrats – je pense par exemple au PACS. La proximité avec la fonction notariale me semble donc évidente.
Par ailleurs, vous confiez « au greffier habilité par le président du tribunal » le recueil du consentement.
Or, les greffiers ont perdu cette compétence à l'adoption au profit des notaires en 2010. Nous ne pensons donc pas qu'il est aujourd'hui utile de leur confier à nouveau cette mission pour les PMA avec tiers donneur.
Enfin, vous connaissez très bien le dossier du nombre de notaires puisque vous travaillez sur l'évaluation de la loi Macron, qui a créé ce dispositif.
Avis défavorable.
Nous n'avions aucune illusion quant à la suite réservée à cet amendement. Nous avons sciemment désigné les greffiers parce que nous considérons qu'ils sont de grands professionnels, sans lesquels le service public de la justice ne fonctionnerait pas. Or, ils sont les grands oubliés de nos réformes ! Il nous semble tout à fait intéressant de maintenir la possibilité d'une alternative entre juge et notaire dans les affaires complexes pour les raisons que j'ai dites et parce que la gratuité est totale mais il est tout aussi intéressant, dans un amendement d'appel, de mentionner les greffiers : n'oubliez pas ces grands professionnels ! Vous pouvez leur confier des missions qui ne sont pas celles devant être nécessairement effectuées par les juges.
Certes, l'installation de 1 650 nouveaux notaires, donc, une certaine libéralisation est une bonne chose. Pour autant, cela signifie-t-il que ces derniers seront répartis harmonieusement sur l'ensemble du territoire ?
Oui, des zones seront déterminées.
Nous n'en savons rien.
En outre, l'augmentation du nombre de notaires ne suffira pas, mathématiquement, à réduire les délais d'attente. Pour un notaire, il existe en effet bien d'autres actes à réaliser, beaucoup plus lucratifs que la possession d'état et la perception de 60 euros avec obligation de recevoir les gens, d'enquêter et de se renseigner afin de ne pas signer n'importe quoi à la chaîne ! Il s'agit d'un acte particulièrement personnalisé, qui exige du temps de travail, et ce n'est pas pour un montant pareil que les notaires se précipiteront pour exercer de tels actes. L'équation n'est donc pas entièrement résolue, loin de là !
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement no 429 .
L'amendement no 429 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'article 5 est adopté.
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article.
La parole est à Mme Emmanuelle Anthoine.
Cet article prévoit une expérimentation pour une durée de trois ans confiant aux directeurs des caisses d'allocations familiales la possibilité de révision du montant des pensions alimentaires.
Les professionnels de la justice s'inquiètent grandement de cette mesure et c'est ce qu'ils sont venus d'ailleurs dire hier après-midi. En effet, une telle décision requiert par souci de transparence pour les parties des garanties d'indépendance et d'impartialité que seul le juge, garant de l'intérêt supérieur de l'enfant, est en mesure d'offrir.
Ce ne sont certainement pas les CAF, organismes de droit privé, qui offrent les assurances nécessaires pour que les parties puissent considérer que leurs droits sont respectés.
Le droit européen précise d'ailleurs que seule une autorité indépendante peut régler des questions relatives aux obligations alimentaires en matière familiale.
En outre, la neutralité qui s'impose ne peut être garantie par les CAF qui, dans le cas des pensions alimentaires, ont le pouvoir de se substituer au débiteur en cas de non-paiement. Le directeur de la CAF, disposant de l'ensemble des informations sensibles, serait ainsi tout à la fois juge et partie, ordonnateur et payeur dans certaines situations, ce qui vous en conviendrez n'est pas acceptable.
Autre sujet d'inquiétude avec cet article : la barémisation des pensions alimentaires. Cette mesure risque effectivement de conduire à une automatisation de la procédure sans que la diversité et la complexité des situations personnelles ne soient prises en considération.
Une fois encore, c'est la proximité de la justice qui est remise en cause avec ce texte et c'est pourquoi, avec de nombreux collègues du groupe Les Républicains, nous nous opposons à cet article
MM. Maxime Minot et Xavier Breton applaudissent.
Avec cet article 6, vous voulez confier aux directeurs des caisses d'allocations familiales le soin de réévaluer les pensions alimentaires. Certes, cela ne concernera que cinq départements ; certes, vous avez souhaité un meilleur encadrement, mais c'est une question de principe. Si nous pensons que cette expérimentation n'est pas bonne, nous devons aussi préserver les personnes concernées de ces cinq départements.
Par cet article, vous porterez atteinte à la séparation des pouvoirs puisqu'il permettra la modification du contenu d'un jugement. Si les caisses d'allocations familiales délivrent les prestations familiales, elles n'ont pas le pouvoir de modifier un jugement car cela est contraire à la séparation des pouvoirs. Il est ainsi question de permettre une modification du montant de la contribution, donc, une modification du jugement, par un organisme de droit privé sur la base d'un barème et sans garantie d'assistance du justiciable.
Cette disposition est contraire à la réglementation européenne et au principe d'impartialité du juge, le directeur de la CAF étant placé dans la position d'être à la fois juge et partie. La seule possibilité serait de permettre la délivrance d'un titre exécutoire. Or, c'est déjà le cas du jugement dans le domaine de la réforme envisagée.
Votre article est donc incohérent car si l'on enlève les mots « la modification du montant » au premier alinéa de l'article 6, ce dernier n'a plus d'objet. Il y a là une atteinte à la séparation des pouvoirs.
Aujourd'hui, vous le savez bien, les juges aux affaires familiales prennent en compte une multitude de facteurs, et pas seulement les revenus – imaginez les changements de domicile ! Les CAF, demain, ne disposeront pas des moyens humains pour faire du sur-mesure.
Nous vous l'avons dit en première lecture, madame la ministre, et nous vous le répétons – nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls, les professionnels aussi : cette expérimentation est une erreur. Le juge aux affaires familiales doit continuer à statuer au cas par cas.
Avec cet article, madame la ministre, vous cherchez à régler un problème mais vous ne faites que le déplacer. En cherchant à régler un problème d'engorgement des juges aux affaires familiales, vous n'allez qu'engorger davantage les CAF, lesquelles le sont déjà notablement.
Nous comprenons bien que vous cherchez ainsi à faire apparaître la justice comme étant plus fluide, plus rapide et plus efficace mais cela n'apportera aucune amélioration concrète au quotidien pour le justiciable. À cela s'ajoute un problème de principe que mes collègues Emmanuelle Anthoine et Thibault Bazin viennent de souligner : cette disposition porte atteinte à la séparation des pouvoirs. On ne peut pas demander au directeur d'une CAF de revenir sur la décision d'un juge aux affaires familiales. Ce n'est juste pas pensable dans notre droit aujourd'hui.
Vous nous objecterez qu'un directeur de CAF a du recul sur les situations qui lui sont soumises. En réalité, il ne prendra pas forcément en considération les mêmes éléments que le juge pour réviser le montant de la pension alimentaire, tout simplement parce qu'il a à sa disposition des éléments auxquels le juge n'a pas accès ou que celui-ci ne demande pas pour prendre sa décision. Et si l'on pense que le directeur de la CAF statuera seul, on se trompe profondément : comme s'il avait le temps de se pencher sur chaque cas ! Il va confier les dossiers à des collaborateurs, qui seront le plus nombreux possible pour que la procédure aille le plus rapidement possible. Et pour encadrer tout cela, on établira des barèmes et, finalement, on se retrouvera avec un traitement à la chaîne de situations individuelles qui nécessitent une attention particulière.
Je ne reviendrai pas sur les éléments de fond et de principe évoqués par mes collègues et me concentrerai sur des points formels. Le Gouvernement est animé ici d'une double ambition : contribuer à une bonne administration de la justice et être au plus près de nos concitoyens en leur rendant un service efficace et rapide à travers un parcours plus accessible que le parcours strictement judiciaire. Mais il faut bien voir dans quel contexte ces dispositions s'appliqueront. Les caisses d'allocations familiales sont en ce moment en grande difficulté. Depuis quelques semaines, elles ont à gérer la prime d'activité qui vient compléter les revenus des personnes touchant le SMIC, mesure votée à la fin de l'année dernière. Des dizaines de milliers de demandes affluent et perturbent des services déjà surchargés qui se trouvent parfois dans l'obligation de fermer des antennes et des points d'accueil du public pour traiter ces dossiers.
Par ailleurs, je tiens à rappeler que la convention d'objectifs et de gestion signée cet été entre l'État et la Caisse nationale des allocations familiales a permis il y a quelques semaines seulement que les budgets généraux et d'action sociale de 2018, je dis bien de 2018, soient adoptés. Elle prévoit la suppression de 2500 emplois, alors que les CAF ont déjà connu quelques coupes claires et une diminution de 25 % des charges de fonctionnement hors charges de personnel. Autrement dit, les caisses sont déjà exsangues et on leur confie des missions supplémentaires. Je ne sais pas où sont la bonne administration et la proximité avec nos concitoyens !
Sous couvert d'une volonté de déjudiciarisation, cet article 6, qui veut donner aux directeurs de CAF la possibilité de réviser le montant des pensions alimentaires, fait couler beaucoup d'encre. Quelle drôle d'idée dans notre époque moderne que de vouloir absolument mélanger les métiers en permettant aux notaires de jouer aux avocats et aux directeurs de CAF de jouer aux juges ! Imagine-t-on un directeur de prison aménager une peine prononcée par un juge pénal ? Non. Imagine-t-on l'administration fiscale revenir sur la décision du juge de l'impôt en amodiant une peine ? Non plus. Ce serait créer un nouveau verrou alors que nous avons quasiment supprimé le verrou de Bercy.
En outre, ces dispositions posent le problème des garanties du justiciable. Je ne vois aucune référence à l'article L. 731-1 du code de l'organisation judiciaire qui permet de récuser un juge à certaines conditions. Si un directeur de CAF ou son conjoint a un intérêt personnel à la révision de la pension, sera-t-il en droit de le faire ? S'il est parent ou allié de l'une des deux parties, sera-t-il possible de le récuser ? Nous savons qu'un justiciable peut récuser un juge aux affaires familiales s'il découvre qu'il a partie à son affaire. Comme, à ma connaissance, vous n'élargissez pas ce mécanisme de protection des justiciables aux directeurs de CAF, j'en déduis qu'il n'y a plus aucune protection juridique à même d'assurer l'impartialité des décisions. Mais vous m'indiquerez peut-être au cours de la discussion à quel niveau du texte vous avez introduit des garde-fous.
Cette expérimentation est un enjeu en soi et nous considérons que le désengorgement des tribunaux auquel elle contribue ne doit pas constituer un objectif à part entière. Nous estimons en outre que l'application d'un barème pour la révision des pensions alimentaires ne permettra pas de tenir compte des problématiques complexes. C'est pourquoi nous avons déposé un amendement de suppression de l'article.
Je vous ferai ici une suggestion. Prenons le cas d'une mère élevant deux enfants qui ne peut toucher la pension alimentaire de 300 ou 400 euros à laquelle elle a droit, par exemple, parce que le père ne travaille pas. Elle doit se livrer à un parcours du combattant particulièrement tortueux pour obtenir cet argent et pendant toute la durée de la procédure judiciaire, elle ne peut donner suffisamment à manger à ses enfants, les vêtir, leur fournir un cartable pour aller à l'école ou les faire soigner par un médecin. Il serait très intéressant de faire en sorte que la CAF aille chercher l'argent dans la poche de celui qui ne se conforme pas à la décision du juge. Ce serait une magnifique façon de permettre à de nombreuses mères de famille de s'extraire de leurs difficultés. Puisque vous avez prévu une habilitation, je vous propose de l'élargir afin d'aider les familles privées de pensions alimentaires.
Je tiens à préciser que c'est à titre personnel que je vais m'exprimer. La position de mon groupe sera présentée dans quelques instants par Erwan Balanant. Aux arguments détaillés dans l'exposé sommaire de l'amendement de suppression que j'ai déposé avec une de mes collègues, j'aimerais ajouter les arguments suivants.
Premièrement, le barème national ne permettra pas de tenir compte des différences territoriales. Les coûts de logement varient selon que l'on habite dans une grande agglomération ou en milieu rural, dans des zones tendues ou pas. Cela pose un problème pour prendre en compte chaque situation individuelle.
Deuxièmement, cette disposition provoque des effets de bord délétères. Admettons qu'un directeur de CAF révise le montant d'une pension alimentaire pour l'augmenter de 500 à 750 euros et que le juge qui aura été saisi parce que l'une des parties est en désaccord décide, douze ou dix-huit mois après, de ramener ce montant à 650 euros. Quelles seront les conséquences pour la personne qui touche la pension alimentaire ? Devra-t-elle rembourser les 100 euros qu'elle aura perçus en trop durant cette période ? Le versement de la pension sera-t-il suspendu pendant quelque temps ? Un de mes collègues situé à l'opposé de l'hémicycle a déjà évoqué ces difficultés pratiques.
Rappelons une chose importante : la procédure de révision du montant de la pension alimentaire prend en moyenne six mois et, comme l'a dit notre collègue Letchimy, pendant ces six mois, il faut continuer à nourrir ses enfants. Il est donc important de trouver une solution. En première lecture, le groupe MODEM avait émis quelques réserves sur l'article 6 et nous avons continué à travailler pour savoir comment aboutir à une rédaction plus satisfaisante.
Nous considérons qu'il est intéressant d'expérimenter de nouvelles procédures pour apporter des solutions concrètes à nos concitoyens. Si cela ne marche pas, il faudra sans doute de nouveau légiférer et trouver un système qui fonctionne parfaitement.
Nous avons déposé deux amendements à l'article 6.
Le premier procède à une clarification sémantique. L'alinéa 5 évoque des pièces « permettant à l'organisme compétent d'apprécier la réalité de ces évolutions ». Au terme « apprécier », nous préférons le terme « constater ». Le directeur de la CAF apparaît ainsi moins comme un juge par défaut.
Le deuxième amendement vise à permettre au directeur de la CAF de se dessaisir d'un dossier s'il considère qu'il est trop complexe, ce qui répond aux préoccupations de mon collègue Latombe.
Si ces deux amendements trouvaient la faveur de notre assemblée, notre groupe voterait l'article 6.
Il est vrai que c'est une expérimentation qui nous est proposée mais on ne sait pas dans combien de départements ni lesquels. J'espère que le Nord ne sera pas encore une fois touché par les expérimentations diverses et variées. J'ai cru comprendre qu'il accueillerait déjà une expérimentation portant sur la cour criminelle départementale. De grâce, ne nous accablez pas trop ! Il faut quand même le répéter, la convention d'objectifs et de gestion signée avec la CNAF ne prévoit pas d'augmenter les moyens de gestion des CAF. En 2019, à effectifs constants, elles devront gérer ces dossiers de pension alimentaire en plus de ceux concernant la prime d'activité.
Une fois le décor planté, parlons du fond. On va donner à un organisme privé, certes chargé d'une mission de service public, la charge de revenir sur l'autorité de la chose jugée, de modifier une décision prise par un juge, ce qui est tout de même extraordinaire. Vous essayez de revenir en arrière en insistant sur le fait qu'il s'agira ni plus ni moins d'appliquer un barème. Mais je vous renvoie à ce qui est en train de se passer. Toutes les décisions d'application bête et méchante de barèmes en matière prud'homale sont remises en cause par les avocats et ce, à juste titre, car il faut pouvoir apprécier au cas par cas. C'est le fond de toute cette affaire : cette expérimentation n'en est pas une. En confiant cette tâche aux CAF, vous pensez que la procédure sera plus rapide : hop, elles appliqueront un barème et feront de l'abattage en masse, ce qui permettra de dégager du temps aux juges afin qu'ils se consacrent à leur office. Ce faisant, vous vous trompez. Il faut au contraire augmenter le nombre de juges afin qu'ils puissent prendre ces décisions en tenant compte de tous les aspects de la situation des personnes concernées. C'est de ça que nous devrions être en train discuter, pas de techniques pour augmenter, en bons technocrates, les rendements et la rentabilité du système. Ce n'est pas l'idée que nous nous faisons de la justice !
Je suis saisi de plusieurs amendements de suppression, nos 43, 90, 140, 249, 343, 460, 518, 565, 592, 613, 628 et 720.
La parole est à M. Maxime Minot, pour soutenir l'amendement no 43 .
Cet amendement tend à supprimer l'article 6 dont les dispositions comportent certains risques, en particulier la barémisation qui pourrait conduire à automatiser la procédure sans tenir compte ni de la diversité ni de la complexité des situations personnelles.
Lorsque les revenus sont complexes et les situations disparates, la fixation de ce montant peut s'avérer compliquée et les barèmes inadaptés. Surtout, une révision du montant de la pension alimentaire n'est rarement qu'une question d'argent et résulte souvent d'un changement de vie pour l'une ou l'autre des parties.
En supprimant le recours au juge, on prive ainsi les parents d'un espace de discussion pourtant indispensable. Les garanties d'indépendance et d'impartialité ne sont donc pas respectées.
Je ne reprendrai pas les arguments présentés mais j'inviterai Mme la garde des sceaux à écouter le message des professionnels qui, depuis la première lecture, expriment leur mécontentement face au risque que fait courir le mécanisme prévu. Leur message est très fort et il faut d'autant plus l'entendre qu'il est né de leur expérience. Tous pensent que l'adoption de ce dispositif serait source de dysfonctionnements dans notre administration.
La parole est à M. Antoine Savignat, pour soutenir l'amendement no 140 .
Nous avons bien compris et bien entendu ce que vous essayez de nous démontrer. M. Balanant nous expliquait ainsi que les délais devant le juge aux affaires familiales sont particulièrement longs et qu'il faut trouver des solutions pour répondre beaucoup plus rapidement aux justiciables. Manque de chance pour vous, vous vous êtes fait couper l'herbe sous le pied par vos collègues de Bercy puisque la prime d'activité vient de faire exploser les CAF. Il suffit aujourd'hui d'ouvrir la presse quotidienne régionale pour constater que plus aucune caisse d'allocations familiales n'est en mesure de fonctionner normalement compte tenu de ce surplus d'activité. C'est, hélas, du bon sens. Vous partiez du principe que les CAF avaient du temps et qu'elles pourraient traiter rapidement ces dossiers mais elles ont littéralement explosé aujourd'hui.
La question de l'impartialité du directeur de la CAF qui se retrouvera juge et partie pose un deuxième problème. Débiteur de droits à l'égard des enfants, il devient également, par votre réforme, garant du paiement de cette contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants, ce qui est extraordinaire ! Si le débiteur est défaillant ou n'est pas en mesure de contribuer à l'entretien et à l'éducation de ses enfants, la CAF se substitue à lui et verse cette contribution. Tant au regard de l'obligation d'impartialité que du respect du règlement européen en la matière, cette disposition posera vite un problème.
Madame la ministre, je vous propose un compromis intéressant. Nous sommes disposés à retirer notre amendement de suppression si vous acceptez d'étudier notre proposition. En l'espèce, l'exécution du jugement par les CAF est la mesure qui nous préoccupe le plus. Je connais cette réalité de la mère de famille qui ne reçoit plus de pension alimentaire durant plusieurs mois, voire plusieurs années, et doit se livrer à un véritable parcours du combattant pour en obtenir le versement. Entre-temps, l'enfant doit vivre, manger, s'habiller, aller à l'école.
Pourquoi ne pas prévoir également dans l'expérimentation la possibilité de revoir l'exécution ? Vous seule, madame la ministre, pouvez sous-amender en incluant cette nouvelle disposition dans le décret prévu au premier alinéa de l'article 6. Dans ces conditions, nous serions prêts à travailler avec vous autour du sujet de l'exécution pour éviter ces drames des enfants abandonnés par leur père ou leur mère.
Dans le prolongement de ce qui vient d'être dit, nous présentons nous aussi un amendement de suppression. En effet, confier aux CAF la révision des pensions alimentaires comporte des risques. Il est indispensable que cette décision soit neutre et objective. Le juge est le vrai garant de ce critère essentiel, sur le fond. Enfin, cette décision doit être pleinement acceptée par les personnes concernées, les bénéficiaires comme les obligés. Aucun doute ne doit entacher le jugement, aussi proposons-nous d'en rester au statu quo et de supprimer cet article.
La parole est à M. Hubert Wulfranc, pour soutenir l'amendement no 460 .
Nous avons auditionné ce matin, en commission, des représentants des CAF et d'autres services dits au public. Les CAF se retrouvent aujourd'hui dans une situation extrêmement difficile, prises dans une logique où tout le monde est amené à faire tout et n'importe quoi, comme l'a justement dénoncé M. Aubert. Chacun est conduit à remplacer l'autre en exerçant son métier, des expérimentations sont lancées en ce sens aux quatre coins du territoire. Ainsi, chez nous, en Normandie, on demande au facteur de surveiller l'état des gares TER, de s'assurer qu'il n'y ait pas de carreau cassé ou de fil qui pende ! La Poste en est à faire le travail des cheminots ! Cela devient infernal.
Nous avons dénoncé, sur tous les bancs, cette mesure dilatoire, qui n'obéit qu'à une logique de réduction des moyens du ministère. Plus personne ne s'en sortant, chacun défend son pré carré, ou bien cherche à se reporter sur les autres, et tout cela au détriment de la qualité du service. M. Letchimy vous a fait une proposition pour sauver l'essentiel : l'entretien et l'éducation des enfants. Il faut que le fric tombe !
Et qu'il tombe vite ! Soit il faut former plus de juges, soit il faut prendre des mesures qui, dans le respect des règles de droit, permettent de s'adapter à la situation des enfants.
Je voulais achever de développer mes arguments. Vous voyez bien où est le problème, madame le ministre : d'une justice publique, on passe à une justice confiée à un organisme privé. Je ne parle pas de justice privée mais le principe reste choquant.
Par ailleurs, vous proposez de fixer des barèmes. Soit, mais la conjugaison des barèmes et du manque de temps conduira immanquablement à la standardisation des process, à l'automatisation et aux algorithmes. Il ne faut pas se cacher derrière le petit doigt. Ces missions dont on déleste la justice seront mécaniquement automatisées. Or, il s'agit d'affaires très sensibles, qui touchent à l'humain, et qui doivent être analysées par des hommes, non par des machines. Le droit doit tenir sa place dans la décision et surtout, il ne faut pas en venir à de l'abattage, de la standardisation, de l'automatisation. On ne doit pas accepter de juger en gros, il faut continuer à juger dans le détail car chaque situation doit être étudiée avec la finesse qu'elle requiert.
Voilà pourquoi je défends cet amendement de suppression en espérant que vous pourrez aussi nous répondre au sujet de l'article du code de l'organisation judiciaire et de la possibilité de récuser un directeur de CAF.
Les rangs sont clairsemés alors que nous abordons un sujet essentiel. La situation des CAF est très inquiétante. On leur a confié des missions supplémentaires alors qu'elles n'en ont pas les moyens. Par cet article, vous prévoyez encore de nouvelles missions en espérant que les logiciels feront le travail grâce à un barème national. Or, la déjudiciarisation des pensions alimentaires n'est ni pertinente, ni efficiente, ni juste, quand bien même elle ne serait menée par expérimentation que dans cinq départements. Cette question doit être traitée en fonction du contexte du litige, connu avec précision.
La CAF ne pourra pas, à travers un logiciel, connaître avec précision l'ensemble des facteurs. Finalement, vous retirez au juge l'une de ses compétences, qui est de trancher un litige entre les parties, y compris celui concernant les pensions alimentaires qui n'ont pas été décidées d'un commun accord. Si le juge a dû trancher pour la fixer, il doit pouvoir réexaminer au cas par cas la situation lorsque celle-ci évolue.
Enfin, le transfert de cette compétence à la CAF ne permet pas de garantir le principe d'indépendance de la justice auquel nous sommes très attachés. C'est pourquoi nous sommes nombreux, sur tous les bancs, à vouloir supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l'amendement no 592 .
Là encore, nous tenons un exemple de déjudiciarisation. Le transfert du contentieux de la révision de la pension alimentaire au directeur des CAF est contestable à plus d'un titre, comme cela a été répété sur tous les bancs de cette assemblée. De mémoire de parlementaire, j'ai rarement vu autant d'amendements de suppression d'un article venant de tous les bancs de l'assemblée. Cela veut quand même dire quelque chose ! Ne soyez ni aveugles ni sourdes, madame la rapporteure, madame la ministre. Une quelconque étude a-t-elle démontré que les décisions rendues par le juge en ce domaine étaient inefficaces et qu'elles gagneraient à être confiées à un directeur de CAF ?
Certes, l'article L582-2 du code de la sécurité sociale permet à la CAF de donner force exécutoire aux accords intervenus entre parents non mariés en matière de pension alimentaire mais la CAF ne prend aucune décision et se borne à homologuer des accords déjà intervenus, ce qui n'est pas du tout le cas dans le dispositif que l'article 6 prétend instituer et dans lequel la CAF jouerait un véritable rôle décisionnaire. Ainsi, le directeur de la CAF serait à la fois juge et partie, ordonnateur et payeur. De surcroît, un rapport de la Cour des comptes d'octobre 2018 a épinglé la gestion des CAF dans un certain nombre de territoires, notamment en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, relevant des erreurs et des retards de versement des prestations ainsi que des problèmes de recouvrement, pointant des équipements informatiques obsolètes. Croyez-vous que des CAF déjà aussi dépassées soient en mesure de faire face à cette charge supplémentaire ? Je vous laisse répondre.
La parole est à M. Philippe Latombe, pour soutenir l'amendement no 613 .
Je présente cet amendement à titre personnel. Il n'engage que ma responsabilité et celle de la personne qui le cosigne avec moi. Beaucoup de choses ayant déjà été dites, j'ajouterai simplement, sur la territorialisation et l'uniformisation de la décision, que le barème national ne prendra pas en compte l'ensemble des éléments pris en compte par les juges aux affaires familiales.
Les magistrats tiennent compte, par exemple, de la situation de logement des deux parents : l'un peut être locataire et avoir un loyer à payer, l'autre non. Certains éléments de passif sont également pris en compte par les juges, et ne le seront pas par le barème, ou pas de la même façon : à côté des revenus professionnels, les remboursements d'emprunts, suite à des achats de parts de société, par exemple, sont pris en compte par les juges, et ne le seront pas par le barème. Cela pose un problème d'individualisation, en plus de celui de la territorialisation.
Sur le principe, enfin, je rejoins ce qui a été dit. Vous proposez la réformation d'une décision de justice par un organisme privé : une CAF n'est pas une administration, même si elle remplit une mission de service public de distribution d'allocations. Elle n'est pas une autorité administrative indépendante. Pour ces motifs, je souhaite que ces amendements de suppression soient adoptés.
La parole est à M. Michel Castellani, pour soutenir l'amendement no 628 .
Nous allons dans le sens de ce qui a été dit : les organismes de sécurité sociale ne disposent pas, à notre sens, d'un statut qui garantisse leur indépendance et leur impartialité, ni même d'ailleurs des compétences nécessaires dans ce domaine.
La seule chose qui compte, dans cette affaire, c'est l'intérêt supérieur des enfants, et seul le juge nous semble le garantir. La fixation de la pension alimentaire est un exercice difficile, on le sait. Elle peut s'avérer complexe, et seul le juge, gardien des libertés, est en mesure de fixer son montant, en tenant compte de l'ensemble des éléments. Ce sont les raisons pour lesquelles nous sommes très réservés face à cette expérimentation et à cette substitution de procédure : car, sur le fond, il s'agit bien de remplacer une procédure judiciaire par une procédures administrative. Et nous savons bien que tout cela est motivé par un manque de moyens de l'autorité judiciaire. Cela, c'est un problème majeur.
Applaudissements sur les bancs des groupes LT et MODEM
Il s'inscrit dans la lignée des précédents amendements de suppression qu'ont défendus tous les groupes de l'opposition, et même certains députés de la majorité. L'article 6 prévoit, par ordonnance, une expérimentation : le transfert de la révision des pensions alimentaires, actuellement assurée par le service public de la justice aux CAF, ou à des officiers publics ou ministériels, comme les notaires.
Cela pose deux difficultés majeures. Les CAF, d'une part, présentent un risque problématique de défaut d'impartialité, puisque ce sont elles, notamment, qui versent les allocations de soutien familial. Quant à la révision des pensions par les notaires, elle constituerait un nouvel acte payant pour de nombreux ménages.
En plus de tous les arguments qui ont été présentés, la question que j'aimerais poser à Mme la rapporteure et à Mme la ministre est : qu'est-ce qui justifie cette volonté de déjudiciarisation ? Vous avez souvent justifié plusieurs des mesures que vous défendiez en expliquant qu'il s'agissait d'alléger et de simplifier le travail des administrations et des services, et de recentrer les magistrats sur leur coeur de métier. L'allègement des procédures, il pourra bénéficier à la justice, mais pas aux CAF, comme cela a été dit et répété : elles sont déjà débordées, et n'auront pas les moyens de traiter correctement ces dossiers.
Quant à l'idée de recentrer les magistrats sur leur coeur de métier, voilà ce qu'en dit l'Union syndicale des magistrats dans un communiqué de mars 2018 : « La fixation du montant de la contribution à l'entretien des enfants mineurs est difficilement détachable du contexte général, c'est-à-dire du lieu de la résidence de l'enfant et de ses modalités de vie. En outre, trancher un litige entre les parties, arbitrer le montant d'une pension rentre pleinement dans l'office du juge. Celui-ci doit bénéficier d'une équipe autour de lui pour l'aider à traiter efficacement et rapidement ce type de contentieux de masse, mais le pouvoir de juger ne doit pas être transféré à une autorité qui ne présente pas les garanties d'indépendance du juge judiciaire. »
Les professionnels eux-mêmes vous disent que c'est leur coeur de métier, et tout montre que vous allez alourdir les procédures pour d'autres services. Pourquoi tenez-vous donc tellement à défaire l'office du juge et à alourdir les procédures des CAF ? Nous vous demandons instamment, comme beaucoup d'autres, de renoncer à cet article.
J'ai bien écouté, avec toute l'attention nécessaire, l'ensemble des arguments que vous avez présentés, tant dans le cadre de la discussion liminaire sur cet article 6 que dans la présentation de ces douze amendements de suppression.
Vous ne m'entendrez pas vous dire tout de suite que cette mesure va révolutionner la révision des pensions alimentaires. Je vous dirai en revanche que nous remplissons pleinement nos fonctions et notre office de parlementaires en essayant de trouver les meilleures solutions possibles pour gérer une situation qui, aujourd'hui, pose difficulté.
De quelle situation s'agit-il ? De celle de nombreuses personnes dont les revenus évoluent. Certaines décisions de révision de pensions alimentaires se font attendre plusieurs mois, et ce sont souvent des femmes qui font face à cette difficulté, devant attendre six mois, parfois neuf, avant que le montant de la pension ne soit adapté à l'évolution des revenus. Voilà le coeur de situation visé par cette disposition.
Nous ne visons pas les situations plus complexes, plus difficiles, dans lesquelles l'office du juge est évidemment nécessaire pour apprécier les éléments en présence et pour trancher.
C'est donc une expérimentation que nous vous proposons. Elle durera trois ans, au terme desquels, sauf erreur de ma part, nous serons là pour en tirer les conséquences. Dans trois ans, nous légiférerons, en appréciant les conséquences de cette expérimentation et en jugeant si la solution que nous avons tentée était bonne, ou si au contraire elle n'a pas porté ses fruits.
Cette expérimentation, nous la conduirons dans cinq départements, je crois. La ministre le rappellera. Dans ces départements, nous essaierons d'appliquer une procédure qui existe déjà au Québec et y donne satisfaction.
J'entends certaines réticences. Nous avons travaillé, lors de la première lecture, puis de cette nouvelle lecture, en en tenant compte, pour affiner et préciser au maximum ce mécanisme. Mais parmi les divers arguments que j'entends, il y en a un que j'ai du mal à comprendre, à savoir que le directeur de la CAF serait à la fois juge et partie. Soyons clairs. Lorsque le directeur de la CAF de Montreuil, par exemple, révisera une pension alimentaire pour l'adapter, mettons, à la situation d'un débiteur défaillant auquel la CAF devra se substituer pour verser la pension alimentaire – c'est sans doute le cas auquel vous pensez – , il ne sera pas juge et partie, parce qu'il ne s'agira pas d'attribuer l'argent de la CAF de Montreuil, mais toujours de l'argent public. Je ne comprends vraiment pas pourquoi il serait juge et partie…
… et il y a là pour moi un énorme point d'interrogation.
J'ai entendu d'autres éléments, sur lesquels nous avons en effet travaillé. Ainsi, les questions des revenus complexes et des situations complexes. Il n'est pas question de conférer à un directeur de CAF des prérogatives d'ordre judiciaire. C'est pourquoi le groupe La République en marche et le groupe MODEM, les députés de la majorité, donc, ont proposé un amendement précisant qu'en présence de revenus complexes, le directeur de la CAF refusera de délivrer un titre exécutoire. On en reviendra donc à l'office du juge.
Les situations que nous visons par ce dispositif sont bien les cas les plus simples, dans lesquels une évolution de revenus appelle une évolution de la pension alimentaire. Dès lors que les choses seront plus compliquées, elles ne seront plus du ressort du directeur de la CAF. Nous l'avons expressément précisé dans le texte afin de prévenir toute difficulté.
Absolument pas. C'est un aveu d'encadrement. Nous faisons ce que nous devons faire…
… c'est-à-dire travailler les textes et les affiner, afin de pouvoir répondre précisément à l'objectif visé. D'ailleurs, lors de nos débats en commission en décembre, nous avons eu cette discussion, des plus fructueuses, en effet, sur le terme « apprécier » qui figurait dans le texte. Il était effectivement écrit que le directeur de la CAF devait apprécier un certain nombre d'éléments. Encore une fois, il n'était pas question de donner à un directeur de CAF des prérogatives s'assimilant à l'office du juge, et ce n'est pas en ce sens que ce terme était employé. C'est pourquoi, par l'amendement déposé par nos collègues du MODEM, nous préciserons bien qu'il s'agit uniquement de constater les éléments. Le directeur de la CAF ne remplit qu'une mission administrative : il constate une évolution de revenus et délivre en conséquence un titre exécutoire pour l'évolution de la pension alimentaire. Ce mécanisme se veut ainsi encadré, et une voie de recours est bien sûr prévue.
J'ai aussi entendu, ici et là, que le juge administratif serait compétent. Que nenni ! Ce sera bien le juge aux affaires familiales, comme cela a été précisé dans le texte, depuis sa première version. Il n'y a donc pas de difficulté en la matière.
Le recours s'effectuera devant le juge aux affaires familiales. Et, pour répondre à une interrogation de notre collègue Savignat en commission des lois, je vous indique d'ores et déjà que ce sera un recours sur requête adressée au président du TGI, ce qui est la procédure la plus rapide pour obtenir la suspension des effets du titre exécutoire.
Je pense donc que, sur chacun des éléments, nous avons placé l'ensemble des garde-fous nécessaires, de façon à encadrer le plus possible le mécanisme. Ces éléments d'amélioration résultent aussi des débats que nous avons eus ici en première lecture, puis de nouveau ici, en commission des lois. Je voudrais donc saluer les propositions faites sur tous les bancs, qui ont permis d'arriver à cette solution suffisamment construite et équilibrée. Elle me semble propre à permettre une expérimentation fructueuse, comme je l'ai dit, dans cinq départements. Avis défavorable, donc, à l'ensemble des amendements de suppression.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM
En dépit de l'heure tardive, étant donné l'intérêt du sujet, je tiens à développer les raisons qui nous ont poussés à vous proposer ce dispositif.
Madame Obono, pourquoi le proposons-nous ? Ce n'est évidemment pas pour offrir un service dégradé aux couples parentaux qui souhaitent faire réviser une pension alimentaire : il est de l'intérêt de l'enfant qu'une décision rapide puisse être rendue. Nous l'avons souligné à plusieurs reprises : avec ce dispositif, le délai pourra être ramené de six à deux mois environ, ce qui est également dans l'intérêt des mères – ce sont souvent elles qui demandent la révision de la pension alimentaire. Nous prenons d'ailleurs appui sur des exemples étrangers : ce dispositif existe déjà dans différents pays, notamment au Québec, où il donne toute satisfaction.
Le Gouvernement n'est pas non plus dans une logique gestionnaire. Si le fait de confier aux CAF la révision des pensions alimentaires à titre expérimental peut aboutir à décharger les juges aux affaires familiales, en revanche, ce n'est pas pour décharger les JAF que nous proposons cette expérimentation. Ce ne sera qu'une conséquence.
Comme Mme la rapporteure, j'ai entendu vos réticences, qui portent sur la mise en oeuvre d'un dispositif qui confie, à titre expérimental, à un organisme comme la CAF, il est vrai chargé d'une mission de service public, la possibilité de moduler les pensions alimentaires. Plusieurs éléments me conduisent à juger que ces réticences ne sont pas fondées.
Sur le plan juridique, tout d'abord, cette expérimentation ne bouscule en aucune façon les principes établis. Il est possible de confier une telle mission à une autorité non judiciaire : le Conseil constitutionnel l'a reconnu à plusieurs reprises, notamment en 1999, lors de son examen de la loi instituant la CMU. Je rappelle également que, depuis 2018, le directeur de la CAF peut émettre un titre exécutoire en matière d'allocations familiales, lorsque les deux parents sont d'accord.
Vous avez argué, également, d'un risque de partialité des CAF. Cette crainte est à mes yeux infondée. Comme je l'ai déjà souligné en première lecture, toute personne morale chargée d'une mission de service public, comme la CAF, est soumise au principe d'impartialité, qui s'impose. Les conditions de nomination des directeurs des caisses, nomination qui suppose un agrément ministériel, impliquent ce professionnalisme, cette compétence, cette responsabilité et cette impartialité, qui me paraissent de nature à constituer de sérieuses garanties pour l'exercice de cette mission.
Troisième élément : le nouveau montant de la pension sera fixé par application d'un barème national. Celui-ci existe déjà, vous le savez, et il est très utilisé par le juge. Nous le proposons aux CAF, en appui à leurs décisions, en précisant qu'elles n'auront aucune marge d'appréciation. Un amendement parlementaire proposera d'inscrire dans la loi que la CAF « constate » simplement l'évolution des ressources. Sur la base de ce constat, elle fixera le nouveau montant de la pension alimentaire en s'appuyant sur le barème. Dès que la situation sera considérée comme complexe, il conviendra de retourner devant le juge : la CAF n'interviendra donc que dans les situations les plus simples.
J'entends également que la CAF aura intérêt à surévaluer le montant de la pension alimentaire. Ce raisonnement ne me semble pas pertinent, puisqu'une majoration de la pension alimentaire pourrait avoir pour effet un défaut de paiement du débiteur. Or, dans le cas d'un parent défaillant, la CAF doit verser l'allocation de soutien familial. Elle n'aura donc aucun intérêt à moduler, dans un sens ou dans l'autre, le niveau des pensions sans tenir compte de la réalité.
D'aucuns ont par ailleurs invoqué le droit européen, pour en déduire que seul le juge devrait intervenir en la matière. Or la notion de juridiction, mentionnée dans le règlement européen relatif aux obligations alimentaires, permet d'inclure les autorités administratives comme la CAF, lorsqu'elles remplissent les conditions, notamment, d'impartialité et de respect du contradictoire.
L'argument le plus fort, que j'ai pu entendre, est que nous créerions un dispositif qui permettrait de revenir sur la décision d'un juge. Je n'ai pas ce sentiment. Si une telle affirmation me paraît erronée, c'est que les CAF auront pour mission de constater une évolution, non de trancher un litige. Les CAF ne reviendront pas sur la décision du juge : elles auront pour mission de l'adapter à une nouvelle situation, sur la base d'un fait nouveau. Leur rôle ne sera pas de revenir sur l'autorité de la chose jugée.
Pour terminer, je tiens à souligner, comme en première lecture, que ce dispositif n'est pas nouveau dans son principe. Les commissions de surendettement, dont le statut peut être considéré comme analogue à celui des CAF, peuvent déjà modifier un plan de surendettement ordonné par le juge, si un changement important dans la situation du débiteur le met dans l'impossibilité d'exécuter le plan. Des dispositifs en ce sens existent donc déjà.
La construction de ce dispositif, son caractère expérimental et la possibilité d'un recours devant le juge, la possibilité donc que la décision de la CAF ne soit pas exécutoire, constituent des garanties suffisantes pour envisager cette expérimentation avec grand intérêt. J'émets donc un avis défavorable sur les amendements de suppression.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Exclamations sur les bancs des groupe LR et SOC.
Rappel au règlement
Ce rappel au règlement concerne la bonne organisation de nos débats.
La règle qui a été appliquée depuis le début de la soirée prévoit une ou deux interventions par groupe. Nous avons bien compris la crainte et donc la tentative de manipulation de nos collègues : ils sont minoritaires. La majorité n'est pas majoritaire à l'heure où nous parlons. Comme nos collègues viennent de s'en rendre compte avec un peu de retard, chacun demande la parole pour gagner du temps.
De même, alors que la garde des sceaux ne lit jamais intégralement ses notes, elle l'a fait : personne n'a été dupe. Madame la garde des sceaux, vous faites preuve, d'ordinaire, d'un plus grand talent : or vous avez lu avec application vos notes, et nous pourrons, dans le compte rendu, lire, à la virgule près, le texte que vos services ont préparé.
Mme la présidente de la commission des lois a également bien fait le travail en passant dans les rangées, même s'il appartient plutôt au président de groupe d'assumer cette tâche.
Monsieur le président, ne recourez pas à des moyens dilatoires. Le vote doit avoir lieu et les demandes de prise de parole ne sauraient se faire au fil du débat. Respectons les règles qui ont été énoncées au début de la soirée.
Article 6
MM. Bernalicis, Savignat et Bazin, Mmes Obono et Mirallès, MM. Terlier et Aubert, Mmes Lebec et Lazaar et M. Gouffier-Cha ont demandé la parole. Maintenez-vous tous vos demandes de parole ? J'ai omis M. Potier.
Cela peut être une solution.
J'ignore quel groupe est minoritaire ou ne l'est pas.
Vous n'allez pas faire une suspension de séance, monsieur le président, pas cela !
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Il est une heure dix : compte tenu de l'ébullition dans l'hémicycle, une seule prise de parole par groupe me semble raisonnable.
La parole est à M. Antoine Savignat.
Peu importe l'heure qu'il est : le sujet mérite d'être débattu parce qu'il est important.
Une fois n'est pas coutume, les propos de Mme la rapporteure m'ont rassuré. Alors que je craignais qu'elle ne fût convaincue par cette mesure, elle nous a bien fait comprendre qu'elle ne l'est absolument pas et que cette expérimentation n'engage à rien, ce qui est évidemment très inquiétant pour la stabilité de la justice et l'uniformité des décisions qui seront rendues sur le territoire.
Toutefois, le débat sur les 80 kilomètres à l'heure, réamorcé hier, nous a déjà fait comprendre que vous avez mis la main sur un groupe de 60 millions de cobayes, sur lequel vous feriez des expérimentations. Ce n'est évidemment pas ce qu'on attend ni d'un législateur ni d'un gouvernement.
S'agissant du directeur de la CAF, vous avez recouru au même argument que le précédent président de la République : ce n'est pas son argent, c'est celui des impôts, il n'a donc aucun intérêt à bien le gérer !
J'ai simplement souligné qu'il ne serait l'objet d'aucun conflit d'intérêt.
Le directeur de la CAF est le garant du débiteur de la contribution à l'entretien et à l'éducation. En qualité de garant, il aura évidemment tout intérêt à échapper au paiement.
Un des arguments avancés est qu'il faudrait rendre la décision plus rapidement : attendre six ou neuf mois celle d'un juge serait trop long. Or, compte tenu de l'engorgement actuel des CAF, j'ai du mal à croire qu'elles rendront des décisions plus rapides. D'ailleurs, lorsque les décisions sont simples à prendre, elles sont rendues rapidement.
Si c'est une simple question de rapidité, prévoyez un plus grand nombre de juges : vous aurez alors résolu l'équation. Comment accepter de telles reculades pour des arguments technocratiques de délai ? Je n'ignore évidemment pas l'impact des délais sur les gens, mais la solution n'est pas d'expérimenter le recours à la CAF, c'est de créer un nombre suffisant de juges. D'accord ? Votre mission n'est pas de tenter de contourner les juges.
S'agissant des contentieux, vous voyez large ! Pour contester ce qui sera devenu la décision administrative d'un organisme privé, il faudra retourner devant le JAF ou recourir au TGI pour obtenir un sursis à exécution. Cela signifie bien que la voie judiciaire doit primer. Vous créez simplement un machin administratif pour tenter de gagner du temps. Un tel procédé est pathétique et, surtout, contraire à toute idée de justice.
J'ai été, comme un grand nombre de mes collègues sans doute, très sensible à l'argumentation de M. Letchimy. Il nous a décrit les situations critiques dans lesquelles tombent des personnes qui se voient privées du versement de leur pension alimentaire. Or ce dispositif tente de régler de telles situations.
Laissez-moi prendre l'exemple d'une mère divorcée qui perçoit une pension alimentaire de 100 euros par mois pour l'entretien de son enfant – les revenus des deux parents étaient quasiment identiques lorsque le jugement de divorce a été prononcé. Si la mère perd son travail, elle ne pourra plus faire face à l'entretien et à l'éducation de son enfant. Il sera donc urgent pour elle de saisir le juge aux affaires familiales – c'est la procédure « JAF 2 » – : or l'urgence, ce sera tout de même un délai de six mois minimum, durant lesquels elle ne disposera quasiment d'aucunes ressources pour assurer l'entretien et l'éducation de son enfant. L'intervention de la CAF, prévue à l'article 3, a pour vocation précise de régler de telles situations.
Plusieurs collègues, principalement sur les bancs du groupe Les Républicains, viennent de nous rétorquer que la CAF ne serait pas capable de réduire ce délai de six mois. C'est tout l'enjeu de cette expérimentation.
En tant que professionnel du droit – je suis avocat – , je peux vous dire que, dans le cadre de ces procédures de révision du montant des pensions alimentaires, la présence de l'avocat et même du juge, qui se borne à appliquer un barème, a assez peu d'intérêt.
Je le répète, l'enjeu est de réduire au maximum ce délai de six mois pour faire face à des situations d'urgence, à des situations critiques pour les personnes les plus vulnérables.
Nous ne proposons pas cette nouvelle procédure à l'aveugle : nous l'avons encadrée par des garde-fous. Tout d'abord, nous l'avons confiée à la CAF, plus précisément à son directeur. Certes, nous avons entendu beaucoup de critiques sur cet organisme, mais il faut rappeler que la CAF est une personne de droit privé chargée d'une mission de service public.
« Deux minutes ! » sur plusieurs bancs des groupes LR et SOC.
Le directeur de la CAF n'intervient pas au doigt mouillé : il prend en compte une décision de justice qui a été rendue.
Permettez-moi d'ajouter un autre élément, monsieur le président, car je suis le seul orateur de mon groupe et nous ne sommes pas intervenus sur l'article.
Protestations sur les bancs des groupes LR et SOC.
Ne vous inquiétez pas, mes chers collègues, nous allons bientôt passer au vote.
Monsieur Terlier, je vous demande de conclure tout de suite.
Autre garde-fou : cette procédure n'est engagée que si le directeur de la CAF constate une évolution des ressources des parents.
Si l'une des parties conteste cette décision, elle pourra saisir le juge.
Le caractère exécutoire de la décision pourra être contesté dans le cadre…
Exclamations sur les bancs des groupes LR et SOC
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 62
Nombre de suffrages exprimés 62
Majorité absolue 32
Pour l'adoption 28
Contre 34
Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :
Suite de la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, et du projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions.
La séance est levée.
La séance est levée, le jeudi 17 janvier 2019, à une heure quinze.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra