La réunion débute à 21 heures 10.
Présidence de Mme Laurence Vichnievsky, Vice-présidente.
La Commission poursuit l'examen des articles du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace (n° 911) (M. Richard Ferrand, rapporteur général, Mme Yaël Braun-Pivet et M. Marc Fesneau, rapporteurs).
Après l'article 1er (suite)
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL1045 de M. Vincent Bru et CL1491 de M. Guy Bricout.
Nous souhaitons prévoir un statut pour les suppléants de députés. En effet, l'élargissement prévu des circonscriptions va logiquement entraîner une organisation nouvelle aussi bien à l'Assemblée qu'en circonscription. La loi organique visée à l'article 25 de la Constitution évoque les conditions de remplacement du député par son suppléant mais il faudrait aussi qu'elle fixe le statut du remplaçant éventuel afin qu'il agisse sous l'autorité du député titulaire et ainsi le seconde utilement.
L'amendement CL1491 est un amendement de repli, le CL137 étant tombé. L'objectif est de consolider le rôle des suppléants des députés et des sénateurs. En effet, on minimise l'importance du rôle qu'ils peuvent jouer pendant la campagne électorale mais aussi après. Quand on vit à 20 000 kilomètres de Paris, il est d'autant plus important d'avoir un suppléant à même d'assurer une représentation, d'où la nécessité de lui accorder les moyens nécessaires.
Nous souhaitons donc, après le deuxième alinéa de l'article 25 de la Constitution, insérer un alinéa ainsi rédigé : « Le règlement de chaque assemblée précise les conditions dans lesquelles les personnes mentionnées au deuxième alinéa assurent la représentation des députés et des sénateurs. »
L'amendement que nous avons adopté tout à l'heure prévoit le remplacement temporaire d'un député en cas d'empêchement provisoire et il n'avait pas pour objet de couper en deux le mandat parlementaire entre le suppléant et le député. Le mandat parlementaire est évidemment unique et c'est bien le député ou le sénateur sur le nom duquel se sont prononcés les électeurs qui l'exerce.
J'ajoute qu'un éventuel statut du suppléant relève de la loi organique et non de la Constitution. Je ne pense donc pas qu'il soit sage d'en discuter plus avant ici.
Avis défavorable aux deux amendements.
Je n'entends pas me substituer aux deux précédents orateurs mais je tiens à souligner qu'il ne s'agit pas d'élire deux députés au lieu d'un seul. Reste que vouloir diminuer le nombre des parlementaires implique qu'on prévoie un statut du remplaçant.
La remarque qui vient d'être formulée est de bon sens : si on diminue le nombre de députés, il va falloir donner un statut au suppléant ; ce qui montre bien qu'en réalité on va plutôt multiplier par deux le nombre de députés et qu'au lieu d'en avoir 404, nous en aurons 808, soit davantage que les 577 actuels !
Je rejoins M. Gosselin. Nous ne sommes pas contre le principe d'une réduction du nombre des parlementaires mais elle est tout de même ici de 30 % ! Dès lors, d'une certaine façon, on essaie de se raccrocher aux branches : on insiste sur la nécessité qu'il y ait au moins un député et un sénateur dans chaque département et on se rend compte maintenant que le suppléant pourrait être utile dans une circonscription de grande taille… Tout cela montre en tout cas la faiblesse de l'argumentation censée justifier la baisse du nombre de députés.
Si vous examinez l'activité de vos collègues, vous vous rendrez compte que depuis très longtemps, et pas seulement depuis le début de la présente législature, nous sommes nombreux à travailler en binôme avec notre suppléant. Je rappelle par ailleurs qu'au sein des groupes de travail que vous avez lancés, vous avez prôné une meilleure prise en considération du suppléant, notamment pour ce qui est des frais de transport. C'est donc en toute logique et en toute cohérence que sont proposés ces amendements. En effet, la réduction du nombre des parlementaires va alourdir la charge du député qui devra couvrir un espace plus grand. Réfléchir à un vrai statut du suppléant ne signifie pas qu'on découpe le mandat en deux mais qu'on donne les moyens nécessaires à une représentation officielle effective.
La Commission rejette successivement ces amendements.
Elle en vient à l'amendement CL969 de M. Sébastien Jumel.
Les propositions que nous défendons dans le cadre de la réforme constitutionnelle visent à renforcer les pouvoirs du Parlement et de l'opposition face à l'hypertrophie du pouvoir exécutif. Mettre fin à ce déséquilibre des pouvoirs est indispensable pour corriger le déficit démocratique du régime. Dans cet esprit, nous proposons également de renforcer les droits de participation démocratique. Enfin, une réforme de la Constitution ne peut se concevoir sans qu'y soient inscrits des principes essentiels qui en sont aujourd'hui absents.
Dans ce cadre, nous proposons de préciser la composition de la commission chargée de prononcer un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou sénateurs. En effet, la notion de commission « indépendante » ne garantit en rien le caractère pluraliste et représentatif des différentes sensibilités politiques. Cette commission devra donc comprendre, au minimum, un membre de chaque groupe parlementaire.
Une représentation pluraliste ne garantirait pas l'indépendance de la commission non plus. C'est pourquoi je donne un avis défavorable : il me semble préférable de prévoir, comme c'est le cas actuellement, que la commission consultative sur les délimitations de circonscriptions soit indépendante plutôt que composée de représentants de chaque groupe parlementaire.
Je vous rappelle en effet qu'en application du code électoral, la commission consultative indépendante sur les projets de redécoupage des circonscriptions électorales comprend : une personnalité qualifiée nommée par le Président de la République ; une personnalité qualifiée nommée par le président de l'Assemblée nationale ; une personnalité qualifiée nommée par le président du Sénat ; un membre du Conseil d'État ; un membre de la Cour de cassation ; enfin un membre de la Cour des comptes.
Il nous paraît que cette pluralité institutionnelle, comme la pluralité d'origine des personnalités qualifiées, garantit l'indépendance et l'objectivité de ladite commission.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement CL559 de Mme Cécile Untermaier.
Nous souhaitons éviter une régression démocratique et donc maintenir une représentation paritaire des femmes et des hommes quels que soient les éventuels changements des modes de scrutin à venir. Une baisse substantielle de la représentation des femmes poserait problème. Nous y avons travaillé pendant cinq ans et vous avez transformé l'essai, si j'ose dire, à l'occasion des dernières élections législatives, c'est pourquoi nous entendons poser un principe que j'appellerais de non-régression.
C'est parce que nous montrons l'exemple que nous ne comptons pas régresser. Si tous les groupes politiques pouvaient avoir la même démarche, la progression dont vous vous félicitez serait garantie. Même s'il reste, certes, des progrès à faire, nous ne pensons pas que c'est l'inscription dans la Constitution d'un principe de non-régression dans la composition des assemblées parlementaires qui changera les choses mais plutôt des dispositions législatives adaptées, à la portée plus générale, et, surtout, une évolution des pratiques. Nous avons démontré, vous l'avez souligné, que c'était possible. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur général, elle rejette l'amendement CL473 de Mme Cécile Untermaier.
Elle examine l'amendement CL630 de M. François Ruffin.
Nous souhaitons permettre aux députés de s'exprimer par tous les moyens qu'ils jugent bons alors qu'ils n'ont le droit, aujourd'hui, de s'exprimer que par la parole. Il serait plus moderne, novateur de pouvoir montrer un graphique, depuis la tribune de l'Assemblée, et même, pourquoi pas, de se servir d'un PowerPoint (diaporama), de brandir un objet si on l'estime nécessaire. Notre fonction consiste à intéresser le maximum de personnes au débat public. Au XVIIIe siècle, époque où est institué le Parlement, cette fonction passait par l'écrit : on envoyait des motions, des résolutions à travers le pays… Heureusement, depuis, la vidéo a été introduite à l'Assemblée, mais je pense qu'on peut aller plus loin en permettant au député d'utiliser toutes les armes, tous les outils à même, selon lui, d'intéresser la population – et je n'ai aucune honte, pour ma part, à chercher à intéresser le maximum de citoyens aux débats qui se tiennent à l'Assemblée.
S'ils estiment de telles pratiques inappropriées, clownesques… les électeurs en puniront les députés. Ce serait là la sanction à un comportement qui leur paraîtrait déplacé. Je suis donc favorable, dans une perspective de modernisation, à la possibilité d'utiliser d'autres outils que la parole comme, je l'ai dit, des graphiques et autres moyens de représentation visuelle du discours.
Je n'ai pas le sentiment, de manière générale, que l'expression des uns et des autres soit ici réellement bridée. Par ailleurs, les dispositions que vous défendez n'ont pas leur place dans la Constitution mais dans les règlements des assemblées, les présidents de séance veillant au bon déroulement des travaux. Avis défavorable.
Je ne suis pas le plus qualifié pour trancher sur le fait de savoir si ce que je propose relève du règlement de chaque assemblée ou de la Constitution mais il me semble que préciser que les parlementaires peuvent s'exprimer par tous les moyens qui leur p les plus pertinents, dans le respect de leurs collègues, peut très bien être ajouté à l'article 27 de la Constitution.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL632 de M. François Ruffin.
Il s'agit ici d'aller à l'encontre de la discipline de groupe, donc de permettre à chaque parlementaire de s'exprimer en son âme et conscience sans risquer de sanction. Pour cela, nous souhaitons ajouter à l'article 27 de la Constitution l'alinéa suivant : « Toute atteinte à l'indépendance de pensée, de travail, de proposition, et de vote d'un membre du Parlement fait l'objet de sanctions. Une loi organique fixe les conditions d'application du présent alinéa. »
On peut se référer au règlement intérieur du groupe majoritaire qui, dans son article 16, menace ses membres de sanctions : « Les députés membres et apparentés du groupe ne cosignent aucun amendement ou proposition de loi ou de résolution issus d'un autre groupe parlementaire. En cas de manquement, les sanctions mentionnées à l'article 19 peuvent s'appliquer. » On a d'ailleurs constaté, à l'occasion de l'examen de certains textes, que des menaces avaient été brandies pour que le groupe continue à faire corps. Or, ces dispositions sont de nature à transformer l'Assemblée en assemblée de godillots.
Cette pratique n'est malheureusement pas propre au groupe La République en Marche aujourd'hui, encore que, n'ayant pas eu de corpus commun pendant des années, c'est comme si la discipline devait s'y appliquer depuis l'extérieur. Aucune discipline chez vous n'est en effet possible à partir d'un corpus idéologique commun.
Je rappelle que l'article 27 de la Constitution dispose que tout mandat impératif est nul et que le droit de vote des membres du Parlement est personnel. Dans le même ordre d'idées, nous voulons dissoudre la discipline de groupe.
Aucun groupe, et certainement pas celui de La République en Marche, ne peut avoir la vanité de penser que son règlement intérieur aurait rang constitutionnel. Par ailleurs, votre amendement porte atteinte à la capacité des groupes à rédiger leur propre règlement, atteinte insupportable à la vie démocratique et à la liberté d'association. Avis défavorable.
Pour mémoire, et pour répondre à M. Ruffin, son amendement est déjà satisfait puisque tout mandat impératif est nul. De tels règlements sont donc nuls. En outre, la République en Marche n'a pas inventé ce type de disposition ; il s'agirait plutôt du groupe communiste ! À l'époque, les députés devaient rendre compte au parti de leurs votes à l'Assemblée nationale. J'espère que les choses ont changé depuis.
Le parti socialiste a également inscrit cela dans son règlement. Cela a abouti à d'ubuesques pantalonnades : même lorsque nous déposions la même proposition de loi, nous étions obligés de le faire séparément… Il me semble que c'est toujours le cas au sein du groupe Nouvelle Gauche.
Il est donc inutile de constitutionnaliser de telles dispositions puisque ces règlements seraient annulés si quelqu'un venait à faire valoir ses droits devant le Conseil constitutionnel.
Monsieur Lagarde, vous nous parlez d'un « temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître »…
Certes, mais je n'ai pas connu la période que vous évoquez. La liberté de vote est consubstantielle au fonctionnement de notre groupe. D'ailleurs, les députés ultramarins qui en font partie défendent parfois des amendements de sensibilité différente.
La Constitution interdit le mandat impératif. L'amendement de François Ruffin a le mérite de préciser que ce principe constitutionnel s'applique également aux groupes. C'est une manière de protéger les groupes « à l'insu de leur plein gré », comme disait Richard Virenque.
Monsieur Lagarde, je n'ai jamais été membre du Parti communiste ! Monsieur le rapporteur général, je n'ai jamais prétendu que vous vouliez constitutionnaliser le règlement de votre groupe. Il est plutôt inconstitutionnel ! Nous souhaitons juste que le groupe majoritaire se conforme à la Constitution.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CL1326 de Mme Marielle de Sarnez et CL735 de M. Jean-Christophe Lagarde.
L'amendement CL1326 est le premier d'une série de trois amendements, dont l'objet est de modifier de manière cohérente l'organisation du temps parlementaire, pour que le Parlement puisse travailler mieux et plus efficacement.
En effet, l'organisation actuelle n'est pas satisfaisante. Plusieurs constats sont partagés : les sessions extraordinaires de juillet et de septembre sont devenues systématiques. Nous en prenons acte, proposons d'allonger la session ordinaire et de supprimer le verrou des cent vingt jours.
Les sessions extraordinaires ne pourront quant à elles être ouvertes que pour répondre à des circonstances exceptionnelles.
Enfin, nous proposons de procéder à un nouveau découpage sur la base d'un cycle de cinq semaines, mais nous y reviendrons.
L'amendement CL735 vise à résoudre un phénomène ubuesque. À l'origine, nous travaillions du 1er octobre au 31 décembre, puis du 1er avril au 30 juin. Philippe Seguin a pensé que l'Assemblée nationale sortirait renforcée de la mise en place d'une session unique, du premier jour ouvrable d'octobre au 30 juin. En réalité, cette session unique commence le 15 septembre – quand les gouvernements sont raisonnables ! –, et se termine le 31 juillet. La rentrée prochaine aura même lieu le 4 septembre, c'est-à-dire fin août pour les parlementaires, alors que nous terminons le 4 août. Arrêtons avec ces sessions extraordinaires, elles n'ont plus d'extraordinaire que le nom ; elles sont systématiques tous les ans, au début du mois de septembre et à partir de fin juin !
Il serait plus logique de modifier la Constitution pour indiquer que nous commençons à travailler en même temps que tous les Français – le dixième jour ouvrable du mois de septembre – ce qui nous permettrait au préalable de débattre en commission. Nous terminerions le 31 juillet car, de toute façon, nous ne finissons jamais avant – sauf, peut-être, les années électorales.
Mettons-nous au diapason de la réalité de l'exercice parlementaire ! Les dates que nous proposons peuvent être modifiées, mais inscrivons dans la Constitution ce qui fait notre réalité.
Nous comprenons votre objectif de mieux organiser le travail parlementaire, toutefois la modification de l'organisation de l'ordre du jour semble une meilleure solution que l'allongement de la session ordinaire. En effet, ce dernier ne nous permettra pas nécessairement de dégager du temps pour débattre des textes du fait des contraintes pesant sur l'ordre du jour, les semaines de contrôle par exemple. Mon avis sera donc défavorable à vos amendements.
Ces amendements introduisent parfaitement la réflexion plus globale que nous devons mener sur notre calendrier parlementaire : nous devons mieux prévoir nos travaux et mieux organiser ce calendrier ; nous devons retrouver la maîtrise de notre ordre du jour ; enfin, Jean-Christophe Lagarde l'a dit, nous devons sortir de l'hypocrisie dans laquelle nous vivons depuis de très nombreuses années. Nous n'avons pas assez de jours… La question du verrou des cent vingt jours est centrale dans ce contexte – nous ne sommes pas le 30 juin et les avons déjà dépassés.
Nous devons trouver le moyen de répondre aux exigences légitimes du Gouvernement – il veut que ses projets de loi soient examinés – et mettre en conformité la Constitution et la pratique. D'où l'importance d'être en mesure d'anticiper l'examen des textes, pour procéder aux auditions dans des conditions favorables et mieux organiser nos travaux – nous en aurons encore la démonstration ce week-end – entre nos obligations en circonscription, dans l'hémicycle, en commission et, éventuellement, hors circonscription et hors les murs. Cela nous permettra de mieux effectuer le travail de contrôle et d'évaluation – c'est d'ailleurs un des objectifs du projet de loi.
Nous prenons les choses dans le mauvais sens… Monsieur Fesneau, vous l'avez indiqué, nous devons retrouver la maîtrise de notre ordre du jour. Mais quelle est la réalité ? L'Assemblée nationale ne le maîtrise pas. C'est bien le Gouvernement qui a décidé qu'il fallait faire voter autant de textes à cette échéance.
Nous devons inverser le rapport de forces entre l'exécutif et le Parlement. Ici, nous ne faisons que de la mécanique ! Actuellement, 75 % de l'initiative législative est gouvernementale. Le Parlement et les députés ne font que s'adapter au rythme voulu par les gouvernements. Au final, nous ne maîtriserons plus rien et nous courrons encore plus après le temps si nous ne nous attaquons pas à ce problème de fond. La qualité du travail législatif risque de s'en ressentir.
Ces questions ont été abordées par le groupe de travail « Moyens de contrôle et évaluation » qui a remis son rapport la semaine dernière, comme tous les autres groupes de travail.
Avant de modifier la Constitution, nous devons nous interroger sur notre façon de faire la loi. L'embouteillage législatif est certes lié à la très large maîtrise de l'ordre du jour par le Gouvernement, mais également à la taille des projets de loi. Nous votons des lois extrêmement bavardes, aux thématiques multiples, qui donnent donc lieu à quantité de débats. Nous venons de le vivre et le vivons encore ! En outre, ces lois sont peu lisibles pour nos concitoyens, malgré leur titre souvent extrêmement racoleur. Cela doit nous interroger.
Je suis sûr que le rapporteur général a vu l'ensemble de nos amendements. Ils sont parfaitement cohérents : nous souhaitons allonger la durée de la session, réduire les semaines de contrôle parlementaire qui ne servent à rien et faire sauter le verrou des cent vingt jours, pour retrouver du temps et en redonner au Gouvernement, car il est légitime qu'un Gouvernement veuille faire voter ses projets de loi – encore qu'aux États-Unis, seuls les groupes parlementaires présentent des projets de loi.
Nous déplorons tous l'inflation législative, tout en plaidant pour de nouvelles lois. Nous proposons donc que le temps parlementaire additionnel ne soit plus fictif – comme le sont actuellement les semaines de contrôle – mais effectif – consacré à moitié à l'initiative parlementaire, à moitié au Gouvernement. Le travail parlementaire retrouvera ainsi sa qualité.
Madame la présidente, monsieur le rapporteur général, je souhaiterais que nous débattions plus globalement de cette nouvelle vision de nos travaux, plutôt que d'aborder cette thématique amendement par amendement.
Ce débat est intéressant ; il pose la question de notre rythme de travail, qui est moins un problème en termes de charge de travail que pour la démocratie. Combien de temps consacrons-nous à l'élaboration juste, efficace et pertinente de la loi ?
J'ai bien peur que ces amendements soient en contradiction avec le projet du Gouvernement et de la majorité. La nouvelle rédaction des articles 8 et 9 ne revient pas sur le principe du partage – deux semaines pour le gouvernement, une semaine pour l'Assemblée et une semaine de contrôle – mais permet néanmoins au Gouvernement – cela n'a échappé à personne – d'inscrire l'examen de textes dans les deux semaines qui lui échappent. C'est la preuve que cette réforme cherche surtout à renforcer les pouvoirs du Gouvernement.
Je ne crois pas au hasard : la volonté d'accumuler l'examen de textes et de nous asphyxier participe d'une approche réfléchie…
La maîtrise de notre temps passe par des situations plus saines et plus organisées, à l'échelon annuel. Ces cent vingt jours ne correspondent plus à aucune réalité ; pire, ils nuisent à la programmation annuelle. Les amendements présentés sont cohérents et j'y suis très favorable.
Monsieur Viala évoquait les multiples thématiques des projets de loi dont nous débattons. Ce point fera l'objet d'une discussion à l'article 3. Monsieur Jumel, vous indiquez que le calendrier de la semaine de contrôle va nous échapper. Nous en discuterons à l'article 10. Vous vous inquiétez que le Gouvernement reprenne la main sur les textes fondamentaux – économiques ou socioenvironnementaux – de notre République. C'est l'objet de l'article 8. Ne les réécrivez pas avant d'y arriver, puisque nous en discuterons le moment venu.
Ces prises de parole d'une minute maximum sont frustrantes pour l'opposition. Une telle règle n'est pas de nature à favoriser la bonne défense des amendements. Pour respecter le principe d'égalité, je propose que l'on applique la même règle aux rapporteurs.
La Commission rejette les amendements.
Elle en vient à l'amendement CL931 de M. André Chassaigne.
Nous entendons restreindre l'utilisation des sessions extraordinaires par l'exécutif. Elles ne permettent pas des débats sereins.
Je souhaite pointer une difficulté méthodologique. Nous discutons de la fin potentielle des sessions extraordinaires, du verrou des cent vingt jours et, plus globalement, de l'organisation du Parlement. Or, nous n'avons aucun débat avec les oppositions et la majorité n'est pas totalement au point sur tous ces sujets.
Dans cette même salle, mercredi dernier, le président de l'Assemblée nationale assistait à la remise des conclusions des travaux des groupes de travail de l'Assemblée nationale. Des propositions de réforme constitutionnelle ont été formulées. Qu'en avez-vous fait ? Comment pouvons-nous débattre si nous ne savons pas ce vers quoi vous voulez tendre ? Nous mettons tout simplement la charrue avant les boeufs…
Le rapporteur général a répondu en deux secondes ; cela me laisse du temps supplémentaire ! Notre amendement est simple : si le Gouvernement veut ouvrir une session extraordinaire, le Parlement doit la valider. C'est logique puisque nous sommes concernés par cette convocation. Au bout du compte, le rythme qui est le nôtre, la manière dont on appréhende les textes, le temps que l'on souhaite y consacrer en fonction de leur importance doivent être de la responsabilité du Parlement. Le président de l'Assemblée ne peut pas parler de burn out, déclarer que cela ne peut plus durer et faire continuellement allégeance à l'exécutif !
Je soutiens cet amendement. Beaucoup d'interventions soulignent la nécessité de maîtriser notre ordre du jour et notre calendrier. Cet amendement nous donne les moyens de cette maîtrise, grâce à une capacité collective retrouvée de décider. Je ne comprends d'ailleurs pas l'absence d'explication du rapporteur général sur son avis défavorable. Pourquoi balayer cet amendement d'un revers de la main quand vous proclamez vouloir renforcer les pouvoirs du Parlement et lui permettre de retrouver la maîtrise de son temps ?
Ma culture communiste est limitée, mais je vais soutenir cet amendement : comment expliquez-vous que nous puissions modifier la Constitution avec une majorité de trois cinquièmes, mais que nous ne puissions nous réunir de notre propre initiative – sauf quand le Président de la République utilise l'article 16 – d'autant plus que les sessions débutent désormais début septembre et se terminent le 31 juillet. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas nous réunir au mois d'août si nous en avons envie !
Par ailleurs, je suis surpris que l'amendement de Mme de Sarnez n'ait pas été adopté, car ces sessions extraordinaires de juillet et septembre offrent deux possibilités de plus au Gouvernement de recourir à l'article 49 : vous venez ainsi de consentir à un abaissement supplémentaire du Parlement…
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL1327 de Mme Isabelle Florennes.
Cet amendement est le deuxième d'une série concernant le calendrier parlementaire. Nous souhaitons délimiter les sessions ordinaires de manière réaliste et ajouter que seules des circonstances exceptionnelles justifient les sessions extraordinaires. Nous travaillerions de manière plus prévisible de septembre à juillet, ce qui correspond à une année scolaire, ou à la période d'activité de la plupart des entreprises.
Mon avis sera défavorable. Les sessions extraordinaires sont prévues pour apporter de la souplesse à la session ordinaire. Il s'agit de pouvoir réagir à l'actualité, notamment internationale, comme c'est le cas lors de l'intervention des forces armées à l'extérieur, mais également de mener à bien des travaux législatifs de grande ampleur, comme la révision constitutionnelle de 2008 ou celle qui nous occupe aujourd'hui, ou encore de prolonger la session ordinaire en vue de l'adoption de textes qui sont en navette. Il n'est pas opportun de rigidifier cet outil.
Nous avons un problème de méthode, je le dis sans polémique. Pourrait-on avoir connaissance des propositions de la majorité et, à partir de là, faire valoir nos observations ? Nous pourrions être d'accord avec votre projet si nous le connaissions ! J'ai beaucoup de mal à travailler de la sorte, à l'aveugle, amendement après amendement…
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL631 de M. François Ruffin.
Il s'agit à nouveau d'affirmer le rôle politique, et non uniquement législatif, de l'Assemblée nationale. Nous souhaitons renouveler les formes du débat pour intéresser l'opinion publique.
Je suis d'accord avec l'esprit de réforme qui anime la majorité sur un point : le droit d'amendement est malheureusement notre seul outil pour faire de la politique. C'est dommage et – nous pouvons tous le constater… – un peu long. En outre, je ne suis pas sûr que ce soit la manière la plus efficace d'intéresser nos concitoyens.
Nous proposons donc un débat d'une demi-heure avec un ministre chaque semaine, à la demande des groupes politiques, qui disposeraient d'un droit de tirage : le ministre de l'Éducation nationale pourrait ainsi venir débattre de la rentrée prochaine.
Le droit d'interroger le Gouvernement en séance a été consacré par la Constitution de 1958. Il a été renforcé lors des modifications constitutionnelles de 1995 et 2008. Mon cher collègue, vous pouvez interroger les ministres lors des questions au Gouvernement, lors des questions orales sans débat – questions posées par un député à un ministre, d'une durée de deux minutes, qui entraînent une réponse de même durée – et, lors des auditions des ministres par les commissions.
Je suis défavorable à votre amendement : il n'est ni utile ni nécessaire.
Au contraire, on gagne à renouveler les formes de ces interpellations. Nos formes sont relativement figées. Vous évoquez les questions au Gouvernement. Je ne souhaite pas les supprimer, mais ces deux minutes de temps de parole du député d'un côté et ces deux minutes de réponse du ministre de l'autre ne sont pas un échange, pas plus que les bien nommées questions orales sans débat ! La situation n'est pas différente en commission : chacun vient faire son « numéro », évolue dans deux mondes parallèles et on ne peut véritablement débattre. Afin de moderniser la vie démocratique française, nous devons inventer de nouvelles formes de débat, sans nous limiter d'ailleurs à la forme proposée par cet amendement.
Cet amendement illustre la nécessité de changer de méthode dans la gestion de nos débats ! Cette minute maximum pour intervenir m'est insupportable. Les textes débattus en temps programmé le démontrent également. Les débats ont été particulièrement riches sur les derniers grands textes que nous avons votés. Pourquoi ? En l'absence de cet effet couperet, chacun a eu le temps d'exposer son point de vue et d'échanger. Je suis d'accord, nous devons renouveler nos méthodes : débattre uniquement des amendements n'est pas satisfaisant.
Nous nous proposons de répondre à la demande de M. Ruffin par l'organisation d'un débat d'orientation lorsqu'un projet de loi, présenté en conseil des ministres, est déposé sur le bureau de notre Assemblée. Par ailleurs, l'amendement de rénovation des questions au Gouvernement porté par le groupe UDI, Agir et Indépendants et M. Lagarde est intéressant. Enfin, nous souhaitons auditionner le ministre six mois après l'adoption d'une loi, afin qu'il nous rende compte de sa mise en oeuvre.
Ces mesures permettront de rénover les méthodes de travail du Parlement. Vous aurez noté que je suis intervenu en trente secondes !
Le débat est la base de la vie démocratique. Je tiens à souligner que l'expérience du temps contrôlé est traumatisante quand on assiste à des débats, que l'on a des choses intéressantes à dire et qu'on se trouve dans l'impossibilité de le faire… J'ai donc beaucoup de sympathie pour cet amendement, même si je ne peux pas le voter, car je ne suis pas membre de la commission.
Puisque notre collègue Sacha Houlié est capable de nous fournir des explications en moins de trente secondes, à défaut d'une réponse du rapporteur général à la question posée par notre collègue Untermaier, nous pouvons lui laisser une trentaine de secondes de plus pour qu'il nous explique quels sont les projets de la majorité s'agissant de l'organisation du temps parlementaire, des sessions extraordinaires, des cent vingt jours, etc. Nous ne sommes pas dans une opposition frontale et systématique. Nous sommes prêts à nous associer à un projet collectif dans l'intérêt de tous. Mais encore faudrait-il qu'il y ait un projet… Nous tournons en rond : ces amendements ont leur pertinence et leur cohérence, j'en donne crédit à La France Insoumise, même si je ne partage pas toujours son point de vue. J'aimerais retrouver cette cohérence au sein de la majorité…
Devant le silence assourdissant de la majorité, je me risque à fournir une explication : le projet qui nous est présenté est parfaitement cohérent, il consiste à affaiblir systématiquement les pouvoirs du Parlement, à priver l'opposition de sa capacité à résister aux mauvais coups, à priver le député intuitu personae de sa capacité à amender les textes et à priver les territoires de leur voix. C'est une forme de cohérence que nous ne partageons pas !
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL946 de M. Sébastien Jumel.
Le président de Rugy a tenté de faire le bilan de sa première année de mandat – peut-être un mi-mandat d'ailleurs ? Toute l'opposition a quitté l'hémicycle. Le symbole est fort… Chacun, avec ses mots et sa sensibilité, a considéré que le président de l'Assemblée nationale n'avait pas su résister au déséquilibre des pouvoirs que subit le Parlement. Pourquoi ? Parce qu'il appartient à la majorité et semble confiné dans un mandat impératif : faire allégeance au Président de la République.
Notre amendement propose donc de confier la présidence de l'Assemblée nationale à un membre de l'opposition pour remédier à cette situation. Cela permettrait à l'Assemblée de résister à ce déséquilibre, conséquence de l'exercice majoritaire du pouvoir.
Votre amendement est contraire à la logique des institutions de la Ve République. Le président de l'Assemblée nationale est élu à la majorité des voix. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL474 de Mme Cécile Untermaier.
Je persiste, ces débats, amendement par amendement, sont difficiles à suivre…
Notre amendement concerne le compte rendu intégral des débats dans les commissions permanentes. Nous considérons que le travail en commission n'est pas anodin. C'est pourquoi le compte rendu intégral des débats des commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat devrait être publié au Journal officiel, selon des modalités prévues par les règlements des assemblées. Cette publication garantirait une bonne information du citoyen, faciliterait le travail des élus de la Nation et permettrait aux chercheurs de disposer d'informations. Les assemblées réglementeraient en leur sein la question du huis clos.
Madame Untermaier, l'amendement de M. Jumel concernait l'article 32, le vôtre concerne l'article 33. Il est donc logique qu'ils soient examinés l'un après l'autre.
Le compte rendu des débats en commission est disponible sur le site de l'Assemblée et du Sénat et cela est suffisant : il n'est pas besoin de le publier au Journal officiel en complément. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL489 de Mme Cécile Untermaier.
Cet amendement concerne la pétition citoyenne. Un dispositif de pétition existe, la commission des Lois de l'Assemblée Nationale en fait l'expérience, mais il ne fonctionne pas.
Cet amendement est le fruit de la réflexion que nous avons menée collectivement pendant un an. Ce droit de pétition mérite attention et ne doit pas s'exercer de la façon dont il s'exerce actuellement. Bien entendu, il faut l'encadrer pour éviter tout risque – en particulier la prise en main par des lobbies et le mandat impératif qui pourrait en résulter. À partir d'un certain nombre de signatures, la pétition devrait être examinée par l'Assemblée nationale, dans des conditions fixées par le Règlement.
Le citoyen prendra ainsi conscience qu'il s'agit d'un contrat « gagnant-gagnant ». Une pétition qui reçoit suffisamment de signatures pourra faire l'objet d'un débat, d'une proposition de loi ou d'un amendement. C'est un moyen constructif d'ouvrir l'Assemblée nationale et le Sénat, les outils numériques garantissant l'effectivité du dispositif.
Vous l'avez indiqué, il existe de très nombreux moyens de faire prospérer l'idée que vous défendez, sans forcément la constitutionnaliser.
Le droit de pétition auprès des assemblées parlementaires est apparu en France sous la Révolution. Ses modalités d'exercice ont varié dans le temps. En l'état actuel du droit, il est organisé par l'article 4 de l'ordonnance de 1958 et par les règlements des assemblées. Des pétitions collectives ou individuelles peuvent être adressées aux présidents des assemblées.
Par conséquent, si vous souhaitez faire évoluer ce droit, afin qu'il soit mieux pris en compte, nul besoin de modifier la Constitution. Il serait en revanche utile de saisir le bureau de notre assemblée, afin que son règlement soit modifié, le cas échéant. Avis défavorable.
J'entends vos arguments, monsieur le rapporteur général. Loin de me décourager, cela m'incitera au contraire à solliciter le bureau de l'Assemblée.
Pouvez-vous me confirmer que nous n'avons pas besoin de modifier la Constitution pour que l'Assemblée nationale soit obligée de répondre à ces pétitions par un débat, une proposition de loi, un amendement ou tout autre véhicule idoine ? Si ce n'est pas nécessaire, je suis de celles et ceux qui considèrent qu'il ne faut pas surcharger la loi fondamentale et je retire donc mon amendement.
L'amendement est retiré.
La Commission en vient à l'amendement CL633 de Mme Danièle Obono.
Lors d'une audition devant la commission des affaires économiques, M. Maxence Bigard, fils du président-directeur général Jean-Paul Bigard du groupe Bigard, a refusé de répondre à quasiment toutes nos questions, qu'elles portent sur la santé de ses salariés ou sur ses comptes. De la même façon, Patrick Kron, fossoyeur d'Alstom, a refusé de se présenter devant une commission d'enquête. En 2012, Frédéric Oudéa, directeur général de la Société Générale, a menti en affirmant que sa banque n'avait plus d'activité dans les paradis fiscaux.
Nous souhaitons disposer d'un moyen de pression supplémentaire pour effectuer nos missions de contrôle, en renforçant les sanctions contre les personnes qui refusent de répondre aux questions, omettent volontairement des informations, dissimulent ou mentent devant l'Assemblée nationale.
Il n'y aurait pas un grand intérêt à inscrire la mesure proposée dans la Constitution, dont l'article 34 précise qu'il revient à la loi de fixer les règles concernant les crimes et délits, ainsi que les peines qui leur sont applicables et la procédure pénale. Par ailleurs, l'arsenal législatif est aujourd'hui suffisant : en cas de faux témoignage ou de subornation de témoin, le code pénal prévoit, à son article 434-13, cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende ; d'autres articles prévoient 100 000 euros d'amende et d'autres encore trois mois d'emprisonnement.
Toutes ces dispositions du code pénal sont applicables, dans le cadre de poursuites exercées à la requête du président de la commission ou, lorsque le rapport de la commission a été publié, à la requête du bureau de l'Assemblée nationale.
Ainsi, aujourd'hui, sans même attendre que nous adoptions ensemble cette révision constitutionnelle, votre volonté de sanctionner les menteurs est déjà exaucée. J'émets donc un avis défavorable à votre amendement.
Aujourd'hui, lorsqu'une personne vient devant une commission d'enquête, elle est passible de sanctions pénales. Je pense que, non pas dans la Constitution, mais dans nos règlements ou dans une loi organique, nous devrions pouvoir recourir au même type de dispositifs pour les missions d'information et les missions d'évaluation. Une personne entendue dans ce cadre peut en effet parfaitement mentir ou tromper la Représentation nationale, ce qui serait dommage, car nous aurions les moyens d'imposer sur le plan législatif qu'une personne entendue par le Parlement dise la vérité.
Si l'argument défendu par François Ruffin emporte la conviction de tout le monde, notamment du rapporteur général, qui lui répond que sa préoccupation est déjà satisfaite par les dispositions pénales actuelles, le président du groupe majoritaire peut-il s'engager, d'une part, à ce que le bureau de l'Assemblée nationale fasse jouer les sanctions prévues lorsque le flagrant délit de mensonge est constaté – ce qui n'a malheureusement pas été fait jusqu'à présent, alors que les circonstances l'auraient justifié –, d'autre part, à ce qu'il soit transcrit dans le règlement intérieur de notre assemblée – ainsi, peut-être, que dans une loi ordinaire ou organique – que l'obligation pour les personnes entendues de dire la vérité ne soit pas limitée aux commissions d'enquête, mais s'étende aux missions d'information et d'évaluation ?
M. le rapporteur général nous dit que toutes les sanctions que nous demandons existent déjà, mais on trouve déjà dans la Constitution de nombreuses choses qui, en réalité, ne sont jamais appliquées – ce qui montre bien la nécessité de donner plus de pouvoir au Parlement. Quand une personne est auditionnée devant le Congrès des États-Unis, quel que soit son statut – il peut même s'agir d'un responsable politique ou économique, tel Mark Zuckerberg –, elle ne se risque pas à mentir ! Il en va tout autrement devant le Parlement français qui, lui, n'est pas suffisamment pris au sérieux, ce qui montre bien la nécessité de renforcer les sanctions.
La Commission rejette l'amendement.
Article 2 (art. 34 de la Constitution) : Inscription dans le domaine de la loi de l'action contre les changements climatiques
La Commission examine l'amendement CL213 de M. Philippe Gosselin.
L'article 2 modifie l'article 34 de la Constitution, en y ajoutant que la loi définit les principes fondamentaux de l'action contre les changements climatiques.
Nous avons déjà abordé la thématique du changement climatique il y a quelques longues heures. Alors que le Gouvernement avait fait le choix d'intégrer cette problématique à l'article 34 de la Constitution, le rapporteur général et la majorité ont souhaité introduire ces éléments dans l'article 1er. Pour notre part, il nous semblait plus cohérent de compléter la Charte de l'environnement, où figurent déjà la quasi-totalité des dispositions relatives au changement climatique, plutôt que de créer un droit ex nihilo.
L'amendement CL213 propose donc de supprimer l'article 2 du présent projet de loi.
J'émets un avis défavorable à votre amendement de suppression, au profit de l'amendement de réécriture globale de l'article 2 que nous avons nous-mêmes déposé. Il est en effet nécessaire, comme le propose d'ailleurs la commission du Développement durable, de tirer les conséquences de l'inscription à l'article 1er de la Constitution de l'action pour la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques en supprimant l'inscription dans le domaine de la loi de l'action contre les changements climatiques – qui apparaît en réalité, comme l'a souligné le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi constitutionnel, comme une simple reconnaissance de l'état du droit. Toutefois, comme l'a proposé le groupe La République en Marche, il apparaît également nécessaire d'inscrire le service national au sein de l'article 34 de la Constitution, afin de permettre la mise en oeuvre du service national universel.
Pour ce qui est du sujet de la protection des données personnelles, sur lequel le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés a déposé un amendement, je vous renvoie aux travaux d'approfondissement sur le numérique qui doivent être menés d'ici à l'examen du texte en séance.
Pour toutes ces raisons, nous vous proposerons une réécriture globale de l'article 2.
La réponse de M. le rapporteur général ne me surprend pas.
J'estime que nous pourrions faire autrement au sujet de l'environnement, mais je n'y reviendrai pas. Pour ce qui est du service national, on voit bien que le sujet est loin d'être clos, en dépit des annonces récentes dans la presse.
Quant à la charte du numérique, il s'agit aussi d'un sujet important et je regrette que les arbitrages attendus ne soient pas encore rendus. En commission des Lois, on a l'impression de n'être face qu'à un brouillon de révision, ce qui me paraît fâcheux.
J'aimerais simplement souligner que la lutte contre le changement climatique, qu'elle soit inscrite ou non dans la Constitution, est une priorité intangible et incontournable.
Avec votre permission, madame la présidente, je voudrais rappeler que vous aviez déposé au nom du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés un amendement CL1325 visant à compléter le troisième alinéa de l'article 34 de la Constitution par les mots : « et la protection des données personnelles ; ».
J'ai bien compris qu'il y aurait, avant la séance, une réflexion sur l'inclusion de la charte du numérique dans le texte. Nous n'avons pas encore la certitude que cela répondra à notre préoccupation mais, dans la mesure où tous les amendements suivant celui de M. le rapporteur général vont tomber après l'adoption de celui-ci, il est assez vain de se poser des questions à ce sujet…
Nous avons déjà parlé du numérique et, puisque la majorité devait nous présenter un amendement à ce propos, il me paraît assez curieux qu'on ne puisse pas en connaître la teneur.
Nous avons vu tout à l'heure que le thème de l'environnement était rétabli à l'article 1er, ce qui nous permettait d'avoir ensuite une discussion sur le contenu de l'article 34, au sein duquel nous avions proposé d'inscrire le service national – M. le rapporteur général en reparlera tout à l'heure.
Pour ce qui est du numérique, il est ressorti de notre discussion que la charte du numérique, telle qu'elle était rédigée et inscrite à l'article 1er, portait sur un trop grand nombre de sujets pour être adoptée en l'état. Si cela ne signifie pas que la protection de la vie privée ne peut pas être étudiée, voire retenue, en l'état actuel des choses, ni les rédactions ni les discussions ne sont suffisamment abouties pour permettre une inscription de ce sujet dans la Constitution.
M. le rapporteur général nous a indiqué qu'un amendement allait réécrire tout l'article 2. J'aimerais savoir s'il s'agit de l'amendement CL1534 car, si c'est le cas, tous les amendements suivants vont tomber, et notre Commission va dès lors se trouver privée de toute discussion sur le reste de l'article 34 de la Constitution, qui est un article essentiel. Ce serait là une situation exceptionnelle, qui justifierait que nous disposions d'un peu plus de temps pour évoquer en séance publique tous les amendements que nous n'aurons pas pu présenter en commission : est-il possible que nous obtenions des assurances sur ce point ?
Je m'associe totalement aux propos de notre collègue Lagarde et, si j'estime que le sujet du numérique mérite que l'on s'y intéresse, je constate que l'on s'apprête à nous faire siéger vendredi, samedi et lundi sur un texte qui n'est absolument pas prêt. Nous serions tout à fait disposés à vous laisser huit jours supplémentaires – voire à ne reprendre qu'à la rentrée de septembre, compte tenu de l'arrivée prochaine du projet de loi PACTE et du retour du projet de loi sur l'asile et l'immigration – afin de vous permettre de rendre vos arbitrages.
Je trouve stupéfiant de constater qu'alors que nous sommes censés débattre de la révision de la Constitution, rien n'est finalisé : nous n'en sommes qu'aux balbutiements, aux réflexions inabouties, aux arbitrages restant à rendre au sein de la majorité… tout cela ressemble furieusement à de l'amateurisme !
Pouvons-nous obtenir une réponse de la part du rapporteur général, madame la présidente ? L'article 34 de la Constitution précise tout ce qui relève de la loi, ce qui n'est pas rien !
Nous suivons la procédure habituelle d'examen des amendements et, compte tenu de votre expérience, vous n'êtes pas sans savoir que le débat se poursuivra dans l'hémicycle
Mes chers collègues, je vous propose de voter sur l'amendement de M. Gosselin et qu'ensuite chacun prenne un peu plus de temps que d'ordinaire pour présenter ses amendements.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL1534 du rapporteur général, CL1005 de M. André Chassaigne, CL557 et CL558 de M. Dominique Potier.
J'ai déjà présenté l'objet de l'amendement CL1534, et expliqué la méthode consistant à tirer les conséquences de l'inscription à l'article 1er de la Constitution de l'action pour la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques. Par ailleurs, comme l'a proposé le groupe La République en Marche, cet amendement vise à inscrire dans le domaine de la loi le service national, afin de permettre la mise en place du service national universel.
Les enjeux de la lutte contre les changements climatiques n'étant pas seulement environnementaux, il convient de leur réserver une place spécifique. C'est ce que nous proposons de faire avec l'amendement CL1005 en insérant, après le quinzième alinéa de l'article 34 de la Constitution, un nouvel alinéa consacré à l'action contre les changements climatiques. Quoique rédactionnel, cet amendement a une portée symbolique.
Les amendements CL557 et CL558 visent à prévoir, à l'article 34 de la Constitution, que la loi détermine les mesures propres à assurer que l'exercice du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre respecte le bien commun – c'est l'amendement CL557 – ainsi que l'intérêt général – c'est l'amendement CL558. En d'autres termes, il s'agit pour la loi de déterminer les conditions dans lesquelles les exigences constitutionnelles ou l'intérêt général justifient des limitations à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété.
Le groupe Nouvelle Gauche, qui a déposé ces amendements, a été rejoint dans son combat par des parlementaires d'autres formations politiques. Les dispositions proposées s'inspirent de l'expérience tirée de l'observation de certaines lois adoptées durant la précédente législature, notamment de la loi Sapin 2, qui prévoyait des dispositions destinées à lutter contre le dumping fiscal, mais aussi d'une loi votée en mars 2017, relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle. À plusieurs reprises en effet, nous avons été confrontés à la mise en oeuvre d'une sorte de verrou constitutionnel invoquant une sorte de sacralisation du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre – ce qui nous paraît totalement déplacé, en ce que l'application d'un tel principe a pour effet de protéger les puissants contre les faibles et contrevient en cela à l'esprit des Lumières, qui avait fait de l'émancipation et du droit des sociétés une liberté, certes, mais une liberté pour tous, et non un principe favorisant le despotisme de la toute-puissance économique des multinationales, qui s'abritent derrière leur statut de société pour mieux se permettre de déroger au droit commun.
Nous proposons une réforme mesurée, qui permette de rouvrir le débat démocratique et de rendre droit à cette réforme constitutionnelle. Le grand sujet du XXIe siècle, ce n'est pas le nombre de députés ou de sénateurs, mais l'équilibre à trouver entre la puissance publique et la puissance privée : en l'occurrence, la Constitution actuelle aboutissant à une limitation de la puissance publique destinée à favoriser le bien commun et l'intérêt général, nous devons saisir l'occasion qui nous est donnée de la réformer.
La portée de ces amendements est telle qu'ils ont été soutenus par une tribune signée par cinquante intellectuels, dont de nombreux constitutionnalistes ayant fait le constat de cette déformation de l'esprit de la Révolution française et de la Constitution de 1958. Pour eux comme pour nous, cette réforme mesurée serait à même de redonner au Parlement sa pleine capacité de délibérer et de concourir à l'égalité des droits devant l'impôt et la possession de biens communs – je pense notamment au foncier et au renouvellement des générations.
Je reviens tout juste du forum Planet A qui vient de se tenir à Châlons-en-Champagne avec la participation de Benoist Apparu et de nombreux parlementaires, et où il a été affirmé à maintes reprises que l'enjeu des biens communs, consistant notamment à nourrir la planète, ne peut pas s'effondrer devant la toute-puissance privée telle que la défend actuellement notre Constitution.
Nous avons déjà débattu à plusieurs reprises des biens communs au sein de notre Commission, et nous émettons toujours un avis défavorable à ce type d'amendements, car ils prévoient que la loi détermine les mesures à même de concilier le droit de propriété et la liberté d'entreprendre avec le bien commun et les conditions dans lesquelles les exigences constitutionnelles ou d'intérêt général justifient des limitations à ces droits et libertés.
Or, le « bien commun » que vous mentionnez est une notion suffisamment vaste et floue pour se prêter aisément à tous les détournements politiques. Sous cette expression, les injustices les plus criantes et les exactions les plus arbitraires peuvent être légalement perpétrées.
Par ailleurs, votre amendement revient à confier au législateur le rôle dévolu au Conseil constitutionnel de veiller au respect de l'équilibre entre des principes constitutionnels opposés, voire contradictoires. Pour toutes ces raisons, j'émets un avis défavorable à vos deux amendements.
L'abus de puissance privée fait de réelles victimes, qu'il s'agisse de paysans spoliés de leurs terres, de la difficulté à renouveler les générations d'agriculteurs et à partager la terre comme bien commun, ou encore à l'égalité fiscale dont s'exonèrent les multinationales dans le cadre de la loi Sapin 2, en vertu d'une déformation du droit. Les limitations que nous proposons sont très mesurées et relèvent de nos assemblées ; résultant d'un dialogue entre la Constitution d'une part, la loi issue du Parlement d'autre part, elles ne peuvent donner lieu à aucun dérapage.
En fait, j'aimerais que vous répondiez à cette simple question, madame la rapporteure : doit-on continuer à accepter, en vertu de la Constitution, la pratique du dumping fiscal, et à fermer les yeux quand les sociétés étrangères accaparent le foncier français ?
Je vous fais simplement observer, mes chers collègues, que si la Commission avait adopté l'amendement de M. Gosselin, cela aurait eu pour conséquence de faire tomber tous les amendements suivants – exactement ce qui va se passer si nous adoptons l'amendement de M. le rapporteur général.
Je vous propose donc que chaque groupe prenne maintenant la parole deux minutes, afin de compenser le fait que les amendements suivant celui de M. le rapporteur général ne pourront pas être défendus.
Si j'ai bien compris, l'adoption de l'amendement de M. Gosselin aurait eu, comme celle de l'amendement de M. Ferrand, pour conséquence de faire tomber tous les amendements suivants à l'article 2. Moi qui suis un jeune député encore inexpérimenté, je me pose deux questions à ce sujet. Premièrement, je ne comprends pas pourquoi cela concerne des amendements qui ne sont pas en lien avec l'article 2 ; deuxièmement, j'aimerais savoir si la même chose risque de se reproduire lors de l'examen de l'article 2 en séance publique.
J'ai l'impression que vous avez en réalité fort bien compris le mécanisme que vous évoquez, monsieur Balanant. Il nous appartiendra, aux uns et aux autres, de sous-amender l'amendement de la commission ou, si cela est possible, de rédiger des articles additionnels avant ou après l'article 2.
Je constate, madame la présidente, qu'après avoir demandé aux groupes s'ils étaient d'accord avec la solution que vous avez proposée, vous n'avez pas attendu leur réponse.
J'ai proposé que chaque groupe puisse disposer d'un temps de parole un peu supérieur à celui convenu hier – en votre absence, monsieur Lagarde – afin que personne, y compris moi-même, ne se sente frustré de ne pouvoir défendre ses amendements. Mais en cas de refus, nous pouvons revenir au temps de parole initial, à savoir une minute par intervenant et par groupe.
Pour répondre à M. Balanant, je dirai qu'il est assez rare que les amendements de suppression de l'opposition soient adoptés ; quant au fait qu'un amendement de la majorité le soit et fasse tomber tout le reste, cela arrive de temps à autre – mais assez rarement dans le cadre d'un débat constitutionnel, a fortiori sur l'article 34, qui définit le domaine de la loi, c'est-à-dire la totalité de ce que nous avons le droit de faire dans cette assemblée !
Nous avons dit au début du débat que nous souhaitions moderniser ensemble le fonctionnement de cette assemblée. Il me semble que ce n'est pas trop demander que de souhaiter pouvoir bénéficier d'une plus grande largesse en séance publique, dans la mesure où le débat ne pourra pas avoir lieu en commission : en effet, dans quelques secondes, plus aucun débat ne sera possible sur l'article 34 de la Constitution. Certes, on peut penser qu'un jeudi soir à vingt-deux heures trente, il n'y aura pas grand monde pour s'en émouvoir, mais nous qui sommes attachés au Parlement ne pouvons que déplorer cet état de fait. Pour y remédier, c'est-à-dire pour être certains qu'un amendement de la majorité ne fasse pas à nouveau tomber tous les autres, nous allons devoir redéposer la totalité de nos amendements avant ou après l'article 2. Le problème, c'est qu'en procédant de la sorte, nous allons perdre beaucoup de temps – ce qui est injuste à l'égard des groupes d'opposition, qui n'ont pas exagéré dans le nombre d'amendements déposés et cherchaient simplement à ce que le débat puisse avoir lieu.
Je reconnais que ce qui est en train d'arriver ne résulte sans doute pas d'une démarche volontaire des membres de la majorité : cela provient simplement du fait qu'ils tenaient à faire figurer le sujet du service national dans la Constitution et que, l'amendement contenant cette disposition aboutissant au texte le plus éloigné du texte initial, c'est celui-ci qui devait être examiné et voté en premier – avec cette conséquence de faire tomber tous les autres. Cela étant, la situation particulière où nous nous trouvons justifie, à mon sens, que chacun de nous puisse s'exprimer plus longuement que la minute réglementaire – je pense surtout à Mme Sage ou à M. Dunoyer, qui viennent de loin pour défendre des amendements importants –, et je ne vois pas ce qui justifierait de ne pas faire droit à cette demande raisonnable.
Très franchement, je suis affligé de voir la tournure que prennent nos débats. Il ne s'agit pas ici de défendre des positions dogmatiques et tranchées, mais simplement de se mettre d'accord sur une méthode de travail qui satisfasse tout le monde. Mes chers collègues, j'appelle votre attention sur le fait que nous sommes en train de toucher au coeur de réacteur de la révolution juridique qu'a représentée la Constitution de 1958 avec ses articles 34 et 37, par lesquels le Parlement devenait un peu moins souverain – ce que nous avons corrigé avec la révision de 2008.
Aujourd'hui, en triturant l'article 34 de la Constitution, nous nous sabordons nous-mêmes, sans que la majorité paraisse s'en émouvoir. Dans les rangs des députés Les Républicains, cela provoque du désarroi, de l'incompréhension et du dépit devant cette façon de procéder, car ce n'est pas d'un texte ordinaire que nous parlons, mais bien de la Constitution, qui régit les pouvoirs publics dans notre pays.
Je vous rappelle que vous avez vous-même déposé un amendement de suppression, monsieur Gosselin…
Il y a quelque paradoxe à vous entendre vous indigner ainsi, monsieur Gosselin. En effet, si nous avons proposé un amendement de réécriture qui va produire les effets que vous semblez déplorer, vous aviez vous-même proposé un amendement de suppression qui, non content d'avoir les mêmes effets, aurait également fait tomber d'autres amendements. Finalement, je ne regrette qu'une chose, c'est de ne pas avoir proposé d'adopter votre amendement, qui aurait abouti au même résultat ! En tout état de cause, vous ne pouvez pas nous reprocher à la fois de ne pas vous avoir suivi et d'avoir proposé un amendement de réécriture qui a des effets de moindre portée que votre propre amendement – et maintenant, je suggère que nous passions à autre chose, car il serait bon que nous avancions.
Si nous souhaitions supprimer l'article 2, c'était pour en rester à l'épure des articles 34 et 37, constituant le coeur de réacteur de la Constitution de 1958 : il s'agissait là d'une démarche très cohérente, que je revendique.
La majorité est prise en flagrant délit de limitation des pouvoirs du Parlement, ce qui donne lieu à un débat absolument délirant, où on ne peut même pas discuter de l'article 34 de la Constitution. Dominique Potier, qui vient de rentrer du forum Planet A, aurait eu des choses importantes à nous rapporter au sujet du bien commun. De son côté, Huguette Bello, qui a l'ardente obligation et la volonté d'ouvrir le débat sur les préoccupations de l'outre-mer, s'en trouve également empêchée, puisqu'on ne peut débattre de l'article 34. Au moment où vous cherchez à affaiblir le Parlement (Protestations)…
Que vous protestiez ne m'étonne pas : je sais que ça vous embête qu'on dise ça ! Mais c'est bien à un déni de démocratie que vous vous livrez en vous asseyant sur le Parlement, que vous méprisez, en bâillonnant l'opposition et en refusant que l'on débatte au sujet de l'article 34, qui constitue le coeur des prérogatives du Parlement.
Aucun groupe de l'opposition ne peut accepter cela et, quand je vois la majorité avancer à marche forcée sur ce terrain, je me dis que cela nous éclaire sur le sens qu'il convient de donner à cette réforme constitutionnelle : ça commence comme ça, l'abus de position dominante – et je dis cela pour éviter d'employer un autre mot.
… me paraît tout à fait déplacée, car nous avons examiné près de 350 amendements après l'article 1er, portant sur de nombreux sujets tels que le numérique, l'environnement, les compétences du Parlement, les droits de l'homme ou la parité. Après un amendement de suppression de l'article 2, qui a été rejeté, nous examinons un amendement consistant à réécrire cet article et, dans la mesure où vous êtes des députés bien plus expérimentés que nous, vous connaissez suffisamment la procédure parlementaire pour savoir que vous aurez la possibilité de réintroduire vos amendements en séance publique. Maintenant, pourrions-nous avancer et aborder l'examen de l'article 3 ?
Monsieur Jumel, vous êtes un parlementaire chevronné, possédant un talent d'orateur connu de tous, qui confine parfois à un don de manipulateur…
Ce n'est pas une attaque personnelle : au contraire, je rends hommage à votre talent d'orateur !
Vous aviez déposé un amendement CL1005, dont l'adoption aurait également fait tomber tous les amendements qui suivaient, portant sur des sujets extrêmement intéressants. Si vous vouliez que le débat ait lieu sur ces sujets, pourquoi n'avez-vous pas placé votre amendement après l'article 2 ?
Pour conclure, si vous estimez offensant d'avoir été félicité pour votre talent d'orateur, je m'en excuse auprès de vous.
Puisque mon amendement CL1164 ne pourra pas être soutenu, j'aimerais dire quelques mots du sujet sur lequel il porte, à savoir les mers et océans, qui constituent le plus grand écosystème mondial, dont il serait restrictif de faire une sous-catégorie des enjeux liés à l'environnement.
Par ailleurs, même si les problématiques de la lutte contre les dérèglements climatiques et en faveur de la préservation des mers et des océans sont liées et convergentes, elles ne se recoupent pas totalement. L'amendement que je voulais présenter vise donc précisément à la préservation des mers et des océans qui, du fait de leur importance vitale, des enjeux qui leur sont liés, de l'exploitation et de la pollution exacerbée dont ils font l'objet, exigent une mobilisation et un engagement spécifiques.
Mon amendement présente en outre l'avantage d'inscrire pour la première fois dans la Constitution française, les mots « mer » et « océan » qui n'y ont jamais figuré jusqu'à présent, pas plus que dans la Charte de l'environnement. Cette longue absence n'est pas anodine, et je pense que le temps est venu de prendre en compte solennellement la dimension maritime de la France qui, avec une zone économique exclusive de 11 millions de km2, est la première puissance maritime européenne, et la deuxième du monde. Avec cette inscription dans la loi fondamentale, la puissance maritime de la France serait soulignée, ainsi que les responsabilités que cette place implique au niveau européen et international.
Je veux commencer par remercier Mme Bello pour sa très belle initiative en faveur d'une meilleure reconnaissance des enjeux océaniques. Nous portons une lourde responsabilité en la matière, puisque nous possédons le deuxième domaine maritime mondial.
Ce qui me dérange dans votre amendement, monsieur le rapporteur général, c'est qu'il a pour conséquence de substituer au thème initial de l'article 2 un tout autre sujet, celui du service national. Si nous sommes tout à fait d'accord sur le fond, nous aurions préféré que ce thème ne vienne que s'ajouter à la question environnementale.
Lorsque nous avons entamé ce débat, vous nous avez affirmé que la préoccupation environnementale était prise en compte, et promis que nous en reparlerions au moment d'aborder l'article 34 de la Constitution, c'est-à-dire l'article 2 de ce projet de loi. Aujourd'hui, nous avons le sentiment que votre amendement joue le rôle d'un couperet, qui nous empêche de nous exprimer. L'amendement de Mme Bello était très intéressant, et je trouve préoccupant que l'on accuse d'obstruer le débat en évoquant des problématiques telles que la préservation des mers et océans ou l'égalité entre les femmes et les hommes.
Vous aviez proposé, madame la présidente, que l'on regroupe les sujets par thèmes. Or, si on peut le faire pour certains articles, ce n'est pas le cas pour l'article 34.
Puisque je ne peux défendre mon amendement, je n'y reviendrai pas.
Monsieur le rapporteur général, vous avez dit tout à l'heure à M. Gosselin que vous ne compreniez pas son indignation, puisque l'adoption de son amendement de suppression aurait eu sensiblement les mêmes effets que celle de l'amendement de réécriture de l'article 2. Or, vous ne pouvez nous opposer le même argument, puisque le groupe UDI, Agir et Indépendants n'avait pas déposé d'amendement de suppression. Au contraire, nous vous avions entendu lorsque vous nous aviez dit, au début de l'examen de texte, partager nos préoccupations relatives au changement climatique et lorsque le Président de la République, à qui Mme la ministre des outre-mer a remis aujourd'hui le Livre bleu, synthèse des travaux des Assises des outre-mer, a déclaré que si la Charte de l'environnement ne pouvait pas être intégrée à l'article 1er, elle pouvait l'être à l'article 34, et donner lieu à un débat à ce titre.
En tant que jeune député, je prends cet épisode comme une leçon, mais une leçon qui gardera un goût amer compte tenu de tous les sujets importants qui ne pourront pas être évoqués aujourd'hui, alors qu'ils relevaient de la loi.
Tout à l'heure, on demandait qu'il y ait des poursuites contre ceux qui viendraient faire oeuvre de dissimulation devant le Parlement. Or, nous sommes devant une oeuvre de dissimulation organisée. Nous faisons face à une volonté d'affaiblissement déguisé de l'Assemblée nationale, particulièrement criante à ce moment du débat et accomplie, évidemment, avec des complicités internes.
J'en viens au fond du débat – la question des biens communs soulevée par Dominique Potier. Mme la rapporteure disait tout à l'heure que le Conseil constitutionnel proposait une approche équilibrée du droit de propriété, de la liberté d'entreprendre, de l'intérêt général et du bien commun. Or, sur les thèmes évoqués par Dominique Potier et d'autres, sur l'accaparement des terres, sur le devoir de vigilance, sur la transparence des holdings, on peut lire le dernier livre de Christian Eckert, ancien ministre du budget, qui s'est heurté, sur de nombreux sujets, au verrou qu'opposait le Conseil constitutionnel au nom du droit de propriété. Il est donc nécessaire que nous indiquions au Conseil constitutionnel qu'il a un outil pour passer outre le droit de propriété et la liberté d'entreprendre quand ils mettent en péril l'intérêt général ou les biens communs. Lors d'une conférence de presse, on a entendu des constitutionnalistes dire que la génération précédente avait eu pour mission de limiter les pouvoirs publics face aux régimes totalitaires. Notre responsabilité à nous est d'assurer un rééquilibrage entre la puissance publique et la puissance privée.
Vous admettrez, madame la présidente, qu'il soit un peu difficile de débattre, compte tenu de la probable adoption de l'amendement CL1534. Nous avons pourtant déposé un amendement soulevant un enjeu constitutionnel structurant : celui des rapports entre la puissance publique et la puissance privée. Il faut s'émanciper du pouvoir totalitaire et donner de la liberté aux individus – c'est le mouvement révolutionnaire – mais il y a aujourd'hui une toute puissance privée qui s'affranchit du droit commun, nous en avons donné de nombreux exemples. Madame la rapporteure, continue-t-on à se laisser déposséder du sol national par des sociétés privées protégées par notre Constitution ? Permet-on à des milliards d'euros d'être détournés par le dumping social alors que nos PME et nos sociétés continuent à payer l'impôt ? Nos multinationales, dont les chaînes de valeurs provoquent parfois de l'esclavage ou des écocides à l'autre bout du monde, peuvent-elles continuer à travailler dans l'impunité ? Je pose des questions extrêmement précises auxquelles vous ne nous répondez pas. J'ai envie de dire au nom du groupe Nouvelle Gauche avec un peu de solennité, alors que j'ai une réputation plutôt modérée dans ces rangs, que cette réforme constitutionnelle, si vous ne répondez pas à cette question, est dure avec le peuple et douce avec les puissants.
Je le dis devant le rapporteur général : le débat ne peut pas continuer ainsi. Il faut que chacun puisse s'exprimer. Nos amis corses ont des choses à dire.
Je crois que chacun a eu la possibilité de s'exprimer largement. Je ferai une dernière exception pour M. Castellani. Ensuite, je serai ferme et mettrai l'amendement CL1534 aux voix.
Si l'amendement CL1534 est adopté, beaucoup d'autres tomberont parmi lesquels les amendements relatifs à l'équilibre des compétences entre collectivités territoriales et État central. Ces amendements nous semblent très importants. Ils ne mettent pas du tout en cause l'unité nationale mais la répartition des compétences. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles 15, 16 et 17.
Je vous remercie tous, chers collègues, d'avoir fait en sorte que nous puissions nous apaiser.
L'amendement CL1534 est adopté et l'article 2 est ainsi rédigé.
En conséquence, les amendements CL1005, CL557, CL558, CL3, CL1442, CL1081, CL1082, CL190, CL1190, CL4, CL532, CL1095, CL685, CL686, CL1087, CL1085, CL1086, CL1287, CL1325, CL895, CL884, CL1489, CL932, CL802, CL803, CL804, CL546, CL547, CL548, CL549, CL552, CL553, CL966, CL1079, CL458, CL520, CL499, CL762, CL977, CL1083, CL1164, CL1317, CL25, CL28, CL145, CL903, CL950, CL1088, CL754, CL410, CL191, CL606, CL1089, CL1011, CL1014, CL1015, CL170, CL1239, CL519, CL665, CL716, CL574, CL390, CL681, CL165, CL391, CL682, CL581, CL696, CL306, CL192, CL892, CL690, CL823, CL505, CL749 et CL394 deviennent sans objet.
Après l'article 2
La Commission examine l'amendement CL694 de M. Olivier Véran.
Tandis que la logique sous-jacente à chacune de nos politiques sociales et sanitaires est restée la même depuis la création de la sécurité sociale, les défis sociaux et sanitaires auxquels nous sommes confrontés ne sont plus ceux de l'après-guerre. La population vieillit. L'enjeu de la dépendance prend une importance forte dans l'opinion. Le boom des maladies chroniques suppose une adaptation de notre système de santé. La période de vie à la retraite s'est elle aussi allongée. Les retraites complémentaires ont pris une place plus importante comme complément de revenu. Notre vie professionnelle n'est plus linéaire comme elle a pu l'être il y a quelques décennies, nous mettant au défi de la reconversion, de la mobilité professionnelle et de la prise de risques. Le chômage n'est plus tant un problème conjoncturel auquel il faudrait suppléer transitoirement qu'un enjeu structurel nécessitant des réformes structurelles.
Le financement de ces dépenses a lui aussi évolué dans le temps. La solidarité nationale s'est étendue, non plus aux seuls travailleurs, mais à l'ensemble de la population. Face au chômage de masse et à l'émergence d'une véritable mobilité professionnelle des individus, née d'une reconversion, d'une période d'inactivité ou d'une formation continue, les seules cotisations sociales n'ont plus été à même, à elles seules, d'assurer un financement pérenne de notre système de sécurité sociale. Le début du XXIème siècle marque un momentum dans l'histoire de la sécurité sociale. Le financement de nos dépenses sociales par l'impôt est devenu de plus en plus important.
Cependant, le cadre juridique inhérent à notre système de protection sociale n'a pas connu de transformation similaire.
Cet amendement vise donc à étendre le champ de la loi de financement de la sécurité sociale à la protection sociale de façon globale. Nous avons par exemple besoin de cette modification constitutionnelle pour répondre à l'objectif annoncé par le Président de la République d'intégrer demain le risque dépendance au sein de la protection sociale. Cela nous permettra notamment d'avoir une vision plus globale des questions de dépendance puisqu'aujourd'hui, il y a d'un côté la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), les dépenses de vieillesse et les dépenses relevant du département qui finance l'allocation personnalisée d'autonomie (APA).
Nous pourrons avoir d'autres débats lors de l'examen de projets de lois organiques qui feront évidemment appel aux corps intermédiaires et à la négociation avec les organisations syndicales pour faire évoluer progressivement le droit et étendre le champ de la protection sociale au-delà du socle qui a été le sien en 1945.
L'amendement qui nous est proposé consiste à rebaptiser les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) « lois de financement de la protection sociale ». C'est un pas vers l'élargissement du champ des LFSS – champ qui devra faire l'objet de définitions précises dans le cadre d'une loi organique. L'amendement proposé s'inscrit dans une logique consistant à aborder l'ensemble des questions – singulièrement celle de la dépense, que vous évoquez. J'émets donc un avis favorable.
La Commission adopte l'amendement.
M. Philippe Gosselin, vice-président, remplace Mme Laurence Vichnievsky.
La Commission est saisie de l'amendement CL822 de M. Jean-Christophe Lagarde.
Je voudrais d'abord revenir sur ce qui s'est passé concernant l'article 34 de la Constitution. J'avais engagé ce débat avec l'espoir, pour que cette révision constitutionnelle aboutisse, que majorité et opposition parviennent à s'entendre. Les attitudes que je viens de voir m'interpellent quant à la réelle portée de ce débat. Nous allons néanmoins continuer à examiner les amendements dans le même esprit, même si je ne suis plus convaincu que ce soit en réalité l'objet de l'exercice. Je le dis pour prendre date.
Il s'agit en l'occurrence d'une disposition qui a été introduite en 2008 à la demande du Président de la République de l'époque mais qui n'a pas pu être menée au bout de sa logique. Il s'agissait de faire en sorte que les résolutions ne puissent pas comporter d'injonction. Cependant, une résolution qui ne comporte pas d'injonction à l'égard du Gouvernement n'est qu'un signe de plus de l'asservissement du Parlement vis-à-vis du Gouvernement. Je précise que l'injonction n'a aucun caractère juridique : sa portée est purement politique. Sans possibilité d'injonction, les parlementaires se voient limités dans leur capacité de proposition.
Vous proposez de supprimer la disposition qui limite la possibilité d'inscrire à l'ordre du jour une résolution dont le Gouvernement estime qu'elle constituerait une injonction à son égard. Je ne suis pas favorable à cet amendement. D'abord, parce que la limite qui a été posée par le constituant de 2008 vise à prévenir le risque que ces résolutions, qui avaient d'ailleurs été réintroduites dans la Constitution après en avoir été bannies en 1958, ne servent à mettre en cause l'autorité du Gouvernement, comme sous la IIIe ou la IVe République. Cette restriction est parfaitement cohérente avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui sanctionne de telles injonctions lorsqu'elles figurent dans des lois dont il est saisi. Avis défavorable.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel s'explique précisément par le fait que la Constitution interdise les injonctions ! Cela veut dire que lorsqu'un traité international est en cours de négociation – le TAFTA (Trans-Atlantic free trade agreement, soit Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement) en son temps, le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement, soit Accord économique et commercial global) aujourd'hui –, l'Assemblée nationale ne peut pas donner mandat de négociation au Gouvernement, comme le font tous les autres parlements sans aucune exception dans les démocraties occidentales. Voilà ce qu'est le Parlement français !
La Commission rejette l'amendement CL822.
Elle étudie l'amendement CL933 de M. André Chassaigne.
Demain, au réveil, nous indiquerons à l'opinion publique qu'il n'a pas été possible ici de discuter de l'article 34 de la Constitution qui fixe pourtant les prérogatives pleines et entières du Parlement. Cela va colorer d'une certaine manière le projet de loi de révision constitutionnelle que vous nous proposez, qui consiste à museler le Parlement, tout le monde, désormais, l'a bien compris. Vous avez eu tort de nous priver de débattre de l'article 34, monsieur le rapporteur général ; c'est une faute politique. Nous déposerons donc des amendements portant article additionnel avant l'article 2. N'étant pas plus stupides que la moyenne, nous trouverons le moyen de nous exprimer en séance publique sur les prérogatives du Parlement.
J'en viens à l'amendement CL933 qui vise à renforcer sensiblement le contrôle du Parlement sur les opérations extérieures. Le droit d'information du Parlement sur les interventions des forces armées françaises à l'étranger et son autorisation pour la prolongation d'une intervention lorsque sa durée excède quatre mois ne constitue pas un dispositif suffisant pour permettre au Parlement d'exercer un contrôle effectif.
Or, l'envoi de troupes à l'étranger est une décision qui peut avoir de graves conséquences. On se souvient, dans l'histoire récente, du courage politique dont avait fait preuve le Président Chirac au moment de l'intervention en Irak. Il est légitime, dans une démocratie, que le Parlement, en tant que représentant de la Nation, autorise ce type d'intervention et soit informé des accords de défense et des engagements d'assistance militaire souscrits par la France. Jean-Paul Lecoq qui siège à la commission des Affaires étrangères était très enthousiasmé par cet amendement que je me devais de défendre devant vous.
Permettez-moi simplement de constater qu'après vingt heures de débat, nous avons franchi l'article premier. Pour une commission muselée, je me demande bien quels borborygmes nous aurions pu émettre pendant vingt heures s'il ne s'agissait de véritables débats au cours desquels chacun a pu s'exprimer…
En ce qui concerne l'amendement, il convient plutôt de garder le mécanisme de l'article 35 dans sa rédaction actuelle qui est simple et compatible avec la réactivité que le Gouvernement est en droit d'attendre de nos forces armées lorsqu'il décide d'engager des opérations militaires – puisque la décision initiale d'engagement appartient toujours à l'exécutif. Une opération doit parfois être mise en oeuvre très rapidement – je pense notamment à l'opération Serval de janvier 2013. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement CL933.
Elle en vient à l'amendement CL744 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Excusez-nous d'exercer nos droits, monsieur le rapporteur général ! Ce n'est pas une faveur qui nous faites que de nous laisser débattre en commission : c'est un droit ! Ce n'est pas en faisant des manoeuvres pour empêcher que le débat ait lieu que la majorité grandira le Parlement. Nous y reviendrons en séance publique, n'en doutez pas.
Par l'amendement CL744, nous souhaitons étendre le rôle décisionnaire du Parlement en matière de déclaration de guerre et d'intervention des forces armées à l'étranger.
Nous considérons qu'un débat parlementaire doit avoir lieu en amont de l'intervention, et non a posteriori comme cela a été le cas récemment, afin de permettre une décision éclairée de la Représentation nationale. Ce débat serait suivi d'un vote qui déterminerait si l'intervention peut avoir lieu ou non. Il n'est pas légitime que les questions internationales et de défense soient le domaine réservé du Président. Dans d'autres démocraties, il faut l'aval du Parlement pour s'engager dans des opérations ayant des conséquences extrêmement graves. Ce sont effectivement des questions stratégiques importantes mais, à moins de considérer que le Parlement est incapable d'en saisir les enjeux et de mener rapidement ces débats, à moins de considérer que la Représentation nationale est illégitime à décider de ce type d'interventions, il nous semble important de lui donner la faculté de débattre et d'assumer les conséquences de ces interventions.
Pour les mêmes raisons que celles invoquées précédemment, je suis défavorable à cet amendement.
La raison principale invoquée à l'encontre de l'amendement précédent, et qui semble prévaloir contre celui-ci, est la rapidité avec laquelle nous devons entrer en guerre. Cependant, le Parlement est capable de se réunir en urgence pour débattre. Peut-être allons-nous réunir en commission ce dimanche pour débattre d'enjeux qui ne paraissent pas de toute urgence. Je pense donc que les représentants de la Nation que nous sommes galoperaient pour venir discuter de l'entrée ou non sur un nouveau de champ de bataille. Nous serions au rendez-vous car ce type de décisions a des conséquences qui se font encore sentir des années plus tard. Je pense en particulier au choix d'entrer en guerre en Libye qui continue à avoir des conséquences sur le terrain migratoire. Quand il peut y avoir des conséquences en cascade pendant des années, la moindre des choses serait qu'il y ait une consultation et un vote du Parlement.
Intervenir peut parfois avoir des conséquences mais ne pas intervenir peut aussi en avoir. La décision d'intervenir au Mali, sous la présidence de François Hollande, a été prise en quelques heures à la suite d'une urgence absolue. Nous avons attaqué directement un ennemi clairement identifié : les djihadistes. Ils ont été interceptés à la suite de cette offensive au Sud-Mali. En Syrie, nous sommes intervenus afin de détruire des armes chimiques. Si nous avions passé trop de temps à discuter avec le Parlement, nous aurions annulé l'effet de surprise produit par cette intervention et nous aurions eu encore plus de morts à déplorer. Néanmoins, je tiens à vous rassurer : ce n'est pas un pouvoir absolu puisqu'un débat et un vote sont bien prévus au Parlement.
Je n'interviendrai qu'une seule fois dans ce débat, en dehors de l'amendement que nous présentons, pour expliquer la position de notre formation. La Ve République a donné – parce que c'est celle du Général de Gaulle – tous pouvoirs à un seul homme non pas de déclarer la guerre – puisque selon la Constitution, c'est théoriquement nous qui la déclarons – mais de la faire. Cela peut choquer mais cela répond à des enjeux qui n'étaient sans doute d'ailleurs pas les mêmes du temps du Général de Gaulle. On ne déclare plus la guerre mais on est malheureusement régulièrement conduit à la faire. Simplement, il n'est pas possible de demander qu'un débat parlementaire ait lieu avant une intervention telle que celle qui vient d'être évoquée.
Si l'exécutif était moins monarchique dans notre pays – je ne parle pas du Président de la République actuel mais de tous ceux qui se sont succédé –, il accepterait le débat. Au Royaume-Uni, il y a eu débat parlementaire avant les bombardements en Syrie – pas ici. Sous le mandat de François Hollande, des interventions militaires des États-Unis et du Royaume-Uni ont parfois pu être évitées car dans ces pays, il y a eu débat. Je ne prétends pas qu'il faille qu'il y ait toujours débat mais, si nous avions successivement à la tête de l'État des Présidents de la République qui acceptent que le Parlement soit autre chose qu'un croupion, ils accepteraient aussi de débattre avec les parlementaires de ce genre de sujets. Enfin, il est curieux de trouver préférable que nous soyons informés une fois, tardivement, d'une intervention militaire alors que nous pourrions l'être beaucoup plus rapidement. Je rappelle qu'aux États-Unis d'Amérique, le Président américain peut décider seul mais que les quatre chefs d'état-major, qui sont des militaires, sont capables d'empêcher M. Trump de mener une opération militaire s'ils la jugent inopportune. Rien de tel dans notre pays – aucune forme de contrôle.
Je voudrais dire au nom du groupe Les Républicains que je ne voterai pas ces amendements car je crois que l'équilibre de l'article 35, issu non seulement de la rédaction de 1958 mais surtout de celle de 2008 qui avait été suggérée par le Président Nicolas Sarkozy, permet de concilier – en même temps, si j'ose dire – l'exigence de rapidité qui incombe au seul chef des armées et l'exigence de débat qui nous revient.
Néanmoins, je ne suis pas statique. Je pense qu'une question devrait être traitée en modifiant non pas l'article 35 mais l'ordonnance qui régit le pouvoir des assemblées. C'est la raison pour laquelle, il y a quelques mois, j'ai déposé une proposition de loi visant à la création d'un office parlementaire relatif à la sécurité nationale. Cet organe bicaméral aurait un pouvoir d'accès à l'information stratégique classifiée – ce qui n'est pour l'instant pas possible. Moi qui suis parlementaire depuis six ans, j'essaie de m'intéresser aux questions de sécurité nationale : à aucun moment, je n'ai eu accès à de l'information stratégique classifiée. Nous aurions donc intérêt, parallèlement au débat constitutionnel proprement dit, à nous interroger sur nos pouvoirs d'information et d'évaluation sur les matières qui tiennent à la sécurité nationale et qui ne peuvent être traitées sans qu'un organe ad hoc ait accès à l'information stratégique classifiée.
La Commission rejette l'amendement.
Elle aborde l'amendement CL996 de M. André Chassaigne.
Cet amendement de repli dispose que lorsque la participation des forces françaises à des opérations de guerre ou de maintien de la paix ne résulte pas d'une décision du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies ni de l'application d'un accord de défense, elle doit faire l'objet d'une autorisation préalable du Parlement. Il s'agit d'assurer une certaine collégialité dans la prise de décision.
Cet amendement propose aussi que les accords de défense soient transmis, dès leur signature, à la commission compétente de chaque assemblée. Cette disposition serait de nature à nous éclairer sur des éléments stratégiques dans ce domaine.
Pour les mêmes raisons que celles invoquées à l'amendement CL933, j'émets un avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement CL970 de M. Sébastien Jumel.
C'est, là aussi, un amendement de repli qui a pour objectif de rendre obligatoire le débat qui suit l'information du Parlement en cas d'opération militaire. Cette proposition vise à renforcer les pouvoirs du Parlement.
Avis défavorable. La rédaction actuelle de l'article 35 me paraît satisfaisante en ce qu'elle prévoit une information dans les trois jours au plus tard, une fois prise la décision d'agir, et la sollicitation, au bout de quatre mois, d'une autorisation.
La Commission rejette l'amendement.
Elle étudie l'amendement CL1441 de M. Paul-André Colombani.
Cet amendement va faire appel au sentiment europhile de la majorité et de notre rapporteur. Il introduit l'obligation, pour le Gouvernement, d'informer le Parlement européen et la Commission européenne en cas d'opérations extérieures. L'objectif est de renforcer l'intégration européenne. Personne ne pourra mieux le faire que la première puissance militaire européenne. Cet amendement exprime notre volonté d'une coordination renforcée dans le cadre de la construction d'une défense commune européenne. Face aux menaces qui peuvent peser sur l'Europe, les États doivent s'efforcer de renforcer leur coopération, de cultiver un sentiment d'appartenance commun et de travailler à construire l'Europe de demain qui doit définitivement s'éloigner des intérêts personnels pour se diriger vers une Union plus sûre et plus forte.
Prévoir ce type d'information ne relève pas de notre texte suprême mais plutôt d'un traité qui pourrait éventuellement être conclu au plan européen et qui devrait imposer, à tout le moins, une parfaite réciprocité. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine les amendements identiques CL971 de M. Sébastien Jumel et CL1494 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Lorsque nous avons proposé de renforcer les prérogatives du Parlement en prévoyant une autorisation préalable à une intervention militaire sur un sol étranger, on nous a opposé les principes de réalité, d'urgence et de confidentialité de l'intervention et de ses modalités. Cet argument n'a pas emporté ma conviction mais je peux aisément le comprendre. Il s'agit donc ici d'un amendement de repli prévoyant qu'en cas de prolongation de l'intervention militaire, il y ait obligation, tous les quatre mois, de solliciter une nouvelle autorisation du Parlement. Ce serait très utile lorsqu'un conflit dure longtemps.
Nous souhaitons aussi que le Gouvernement soumette la prolongation d'une intervention à l'autorisation du Parlement tous les quatre mois. Comme on va nous présenter les mêmes objections, je voudrais souligner que pour une majorité qui se prétend en marche dans le XXIème siècle et très moderne, c'est là s'accrocher à une vision très ancienne de la démocratie. C'est considérer que nous ne sommes pas un peuple mûr que de laisser un seul homme décider de telles opérations. Nous ne pourrions pas, comme les parlementaires britanniques, prendre la mesure d'une situation très grave, discuter très sérieusement de ses enjeux ni décider, en notre âme et conscience, de voter ou non en faveur de l'intervention militaire. L'argument de Marie Guévenoux, selon lequel on n'aurait pas pu intervenir au Mali si on avait procédé à un débat, ne vaut pas. Le Parlement aurait pu prendre la décision d'intervenir car il aurait eu conscience des enjeux et de l'urgence de la situation. Un tel argument relève d'une vision très martiale de la guerre alors qu'au XXIème siècle, on devrait en avoir une vision plus collective et plus mûre et considérer que, sur des questions qui engagent la sécurité même de la nation, la décision doit être prise de façon collective et démocratique. On voit à quel point vous vous inscrivez dans une Ve République à bout de souffle.
La commission de la Défense de l'Assemblée nationale exerce le contrôle du Gouvernement en la matière, notamment dans le cadre de l'examen du budget. En outre, prévoir un bilan d'étape tous les quatre mois me semble une périodicité trop courte et mal fondée. Les opérations ont besoin d'une certaine visibilité pour le déploiement optimal des ressources et l'engagement des différentes actions nécessaires. Avis défavorable.
Je ne comprends pas la réponse du rapporteur général quand il nous dit que quatre mois correspondent à un délai trop court. L'idée n'est pas forcément de faire cesser toutes les opérations au bout de quatre mois mais de discuter pour savoir si on les prolonge ou pas.
Plus largement, moi qui suis un jeune député, j'espérais qu'il y aurait au sein de l'Assemblée nationale des débats réguliers sur les engagements de la France à l'étranger. Nous sommes engagés sur de nombreux terrains militaires en ce moment et nous n'en débattons pas. Il est vraiment problématique que nous ne sachions pas où sont engagées nos troupes exactement et ce qu'on fait dans le cadre de ces opérations et pendant combien de temps. Encore une fois, il ne s'agit pas pour moi de faire cesser ces opérations mais de m'interroger sur la validité de certaines d'entre elles.
La Commission rejette les amendements identiques.
Elle examine en discussion commune les amendements CL758 de M. Jean-Christophe Lagarde et CL934 de M. André Chassaigne.
Je voudrais d'abord dire que l'article 35 a été profondément modifié par la réforme de 2008. On ne rappelle pas assez que, jusqu'en 2008, jamais le Parlement n'avait son mot à dire sur les interventions militaires. C'était une avancée – à laquelle j'ai contribué puisque je suis, moi, un vieux député et que j'en suis à ma troisième révision constitutionnelle. L'objectif de cet amendement est de tirer le bilan de ces dix dernières années – au cours desquelles la France a malheureusement dû intervenir militairement. Notre conviction est qu'évidemment, le Président de la République doit pouvoir déclencher une action militaire sans débat au Parlement, ne serait-ce que pour des raisons de secret. Imaginez le résultat militaire si on avait annoncé en direct sur BFM TV aux djihadistes qui envahissaient le Mali qu'on allait bientôt les attaquer. En revanche, quatre mois, avant que la prolongation soit autorisée par le Parlement, me semblent excessifs : deux mois me sembleraient plus raisonnables, c'est l'objet de cet amendement.
La durée prévue aujourd'hui par les textes semble convenir. Je ne vois donc pas pour quelle raison on la modifierait.
D'abord, parce que l'avancée que Nicolas Sarkozy a voulue en faveur des droits du Parlement pourrait être partagée et amplifiée par la majorité actuelle qui est sans doute plus moderne. Ensuite, puisque nous siégeons tout le temps, excepté au mois d'août, je ne vois pas pourquoi, pendant quatre mois, le Parlement devrait être privé de débat. Aujourd'hui, le mécanisme est simple : le Président décide d'une intervention ; il en informe le Parlement ; il décide avec son Gouvernement si, oui ou non, il y a un débat et quatre mois après, seulement, il est obligé de demander l'autorisation de prolonger l'action militaire. Je pense qu'un délai de deux mois, étant donné que l'action peut être déclenchée au mois de juillet et que nous nous retrouvons au mois de septembre, serait suffisant. Il n'y a aucune raison que nous siégions pendant plus de deux mois supplémentaires comme s'il ne s'était rien passé. Un tel débat renforcerait même une intervention militaire française. Quand une intervention n'est pas ressentie comme légitime parce qu'elle n'a pas été approuvée par les représentants de la Nation, cela peut finir par fragiliser l'action militaire de la France.
La Commission rejette successivement les amendements.
Elle est saisie de l'amendement CL779 de M. Jean-Christophe Lagarde.
Cet amendement a un objet différent du précédent. Vous venez de refuser que le Parlement s'exprime pendant les quatre mois qui suivent le début d'une intervention. Là, il s'agit de faire en sorte que, quand cette intervention perdure après autorisation du Parlement, il puisse y avoir un débat tous les six mois dans l'hémicycle ou en commission de la Défense – qui a l'habitude d'avoir ce genre de discussion, éventuellement à huis clos pour éviter que certaines informations filtrent à l'extérieur. Si nous étions un Parlement digne de ce nom, comme ceux de toutes les démocraties occidentales, il y aurait des débats sur la prolongation d'une action militaire. Vous vous rendez quand même compte que nous sommes maintenant engagés depuis plusieurs années au Mali, que nous avons tous des informations sur ce qui est en train de se passer dans ce pays – sur l'échec de l'opération militaire et sur l'échec politique, alors que des élections ont lieu au mois de juillet. C'est comme si la France était au Mali comme les États-Unis étaient au Vietnam mais qu'il n'y avait pas eu de débat au Congrès américain. Une fois que le débat a eu lieu, quatre mois après, il n'y en a plus jamais. D'ailleurs, depuis que la nouvelle majorité est arrivée au pouvoir, y a-t-il eu un seul débat sur l'intervention militaire française au Mali ? La plupart d'entre vous n'étiez pas députés sous la dernière législature : vous n'avez ainsi pas eu l'occasion de débattre de cette intervention. Je propose donc que la Constitution prévoie la possibilité pour le Parlement de débattre de ces interventions tous les six mois, à huis clos si nécessaire. Il serait normal que les parlementaires français, comme les parlementaires de toutes les démocraties occidentales, puissent se prononcer régulièrement lorsque nos enfants sont en train de faire la guerre en notre nom ailleurs.
Je comprends votre préoccupation et je pense que le débat a lieu dans notre assemblée sur ces questions – peut-être pas là où vous le souhaiteriez. La commission de la Défense a cette compétence et y siège quiconque s'intéresse à ces questions. On peut participer aux débats, aux auditions et aux déplacements.
Il est inutile de souligner l'extrême gravité des interventions militaires. Nous venons donc en appui de tous les amendements qui ont été déposés sur le sujet. Il est fondamental que le Parlement soit non seulement informé mais également associé à ces interventions.
Je voudrais également apporter mon soutien plein et entier à l'amendement de notre collègue Lagarde et dire à Mme la rapporteure que son dernier propos me paraît empreint d'une grande inexactitude. Il n'y a aucun débat, où que ce soit à l'Assemblée nationale, sur l'opération qui a été citée par notre collègue. Il n'y a aucune possibilité non plus pour les parlementaires de se déplacer sur le théâtre des opérations. Or, le conflit au Mali est effectivement en train de poser des problèmes qui doivent être portés à la connaissance des Français. Cette révision constitutionnelle est l'occasion de replacer le Parlement à sa juste place dans le contrôle des opérations militaires extérieures et autres.
Étant membre de la commission de la Défense, je confirme ce que dit M. Viala. J'appelle l'attention de la majorité sur le fait que, si elle est majorité aujourd'hui, elle sera opposition un jour. Or, la Constitution est faite pour préserver les droits de l'opposition. Vous pouvez user et abuser des prérogatives de la majorité aujourd'hui mais, si vous n'adoptez pas cet amendement et que, demain, un pouvoir autoritaire advenait en France et décidait de faire la guerre, vous n'auriez pas le droit de savoir ce qui se passe. Vous n'avez pas l'obligation habituelle d'être solidaires de votre majorité lorsqu'il s'agit d'une révision constitutionnelle ou de ces sujets-là. Je le redirai dans l'hémicycle. Ce ne sont pas pour moi des sujets anecdotiques. Je me suis battu il y a dix ans à ce propos et la France n'est toujours pas une démocratie. Elle ne se protège toujours pas contre les majorités abusives. Majorité après majorité, ce sont les majorités de l'Assemblée nationale qui consentent à l'abaissement du Parlement et au risque que cela fait peser sur nos libertés.
C'est un sujet sérieux que notre collègue Lagarde défend avec justesse et pertinence. On a peut-être là le moyen de vérifier qu'on n'a pas de mandat impératif, en se laissant convaincre par les arguments développés qui visent à protéger non seulement la majorité qui sera l'opposition demain mais aussi l'opposition d'aujourd'hui qui sera la majorité de demain.
Pour aller dans le sens des interventions précédentes, je voudrais citer le cas de notre collègue Bastien Lachaud qui a demandé à pouvoir se rendre sur les théâtres d'opération au Mali mais qui s'est vu refuser ce déplacement. Il n'est pas vrai que les parlementaires ont aujourd'hui les moyens et la possibilité de faire leur travail de contrôle et d'évaluation. Ce n'est pas le cas, madame la rapporteure, et c'est un problème. La commission de la Défense ne devrait d'ailleurs pas être la seule à avoir ces prérogatives car la question des interventions militaires la dépasse et concerne l'Assemblée nationale toute entière. Nous aurions l'occasion de donner un peu plus de pouvoir aux parlementaires en adoptant cet amendement. Ce n'est malheureusement pas le choix que vous faites.
Monsieur Lagarde, vous avez dû assister le 8 mars à l'audition par votre Commission de la ministre de la Défense, qui lui a permis de faire un point sur l'opération Barkhane. Les parlementaires, y compris ceux qui ne sont pas membres de la Commission, ont eu certainement tout loisir de l'interroger à cette occasion.
Tous les députés ne peuvent pas, au nom de l'Assemblée nationale, se déplacer à l'étranger pour contrôler les opérations. J'ai participé, dans un autre cadre, à une délégation qui s'est rendue au Mali.
Vous appartenez à la majorité ! L'opposition, elle aussi, souhaiterait effectuer ce travail…
… mais pas dans n'importe quel cadre, madame Obono. Les missions d'information, les opérations de contrôle ne sont pas ouvertes n'importe quand, à n'importe qui.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL746 de M. Bastien Lachaud.
Bastien Lachaud n'est pas n'importe qui, c'est un parlementaire sérieux qui s'est donné les moyens de faire son travail. Vous donnez l'impression qu'il a vu de la lumière et frappé à la porte ! Notre groupe, qui s'exprime souvent, est très impliqué sur ce sujet, non dans un esprit d'opposition systématique, mais parce qu'il souhaite participer à un débat qui concerne l'ensemble de la nation. Cela transparaît aussi dans nos demandes de création de commissions d'enquête.
Nous demandons par cet amendement que le Parlement, dans des conditions fixées par une loi organique, contrôle et supervise l'exportation de matériels de guerre et matériels assimilés, ainsi que de produits liés à la défense. Ce contrôle est fondamental car la France est devenue la troisième puissance exportatrice d'armes en 2017 et que le pouvoir exécutif a récemment procédé, sans contrôle parlementaire, à des autorisations d'exportation qui ont pu le rendre complice de crimes de guerre, ainsi que le dénoncent un certain nombre d'associations.
En nous inspirant de la procédure en oeuvre aux États-Unis, qui implique une information du pouvoir législatif par le pouvoir exécutif sur les ventes d'armes envisagées, ainsi que la possibilité pour le pouvoir législatif d'interdire ces ventes par une motion de désapprobation, nous avons déjà proposé un mécanisme d'application qui serait transposable en France. Nous le soumettons à nouveau.
Concrètement, les autorisations préalables d'exportation, ainsi que les décisions de suspension, modification, abrogation ou retrait de telles autorisations prévues par les articles L. 2335-3 et L. 2335-4 du code de la défense pourraient être contrôlées par le Parlement.
Le rôle accru du Parlement dans un domaine aussi fondamental pour la République que l'exportation d'armes à des États tiers découle des articles 34 et 35 de la Constitution
Les dispositions que vous visez ne sont pas de rang constitutionnel. Ce régime relève actuellement de dispositions législatives et réglementaires puisqu'aux termes de l'article L. 2335-3 du code de la défense : « l'autorisation préalable d'exportation, dénommée licence d'exportation, est accordée par l'autorité administrative, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. » Cela me semble le bon niveau de norme. Avis défavorable.
L'article 34 de la Constitution dispose que la loi détermine les principes fondamentaux de l'organisation générale de la défense nationale ; l'article 35 vise les opérations extérieures. La question du militaire est donc dans la Constitution, mais elle ne relève que de l'exécutif. C'est bien ce que nous voulons changer. Grâce à cet amendement, les parlementaires pourraient exercer leur contrôle sur des ventes qui ont des conséquences ; la guerre au Yémen devrait nous interpeller sur les enjeux de ce débat.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL443 de Mme Cécile Untermaier.
Il existe plusieurs régimes de crise, parmi lesquels l'état de siège semble, et de loin, le moins bien adapté. L'article 16 et les dispositions relatives à l'état d'urgence suffisent. Quelle que soit la situation de crise, le pouvoir exécutif dispose de moyens considérables pour défendre le territoire national. Rien ne justifie le transfert des pouvoirs de police de l'autorité civile à l'autorité militaire. Nous proposons de supprimer l'article 36, qui nous paraît anachronique.
Notre état de droit prévoit des dispositifs qui varient en fonction de la gravité de la situation. Ainsi, l'état d'urgence a été déclaré pour faire face à des émeutes urbaines en 2005 et répondre à la situation post-attentats de novembre 2015, tandis que l'état de siège a été utilisé lors des deux précédentes guerres mondiales, et jamais depuis.
Même si l'état de siège appartient à un passé lointain, la disposition est toujours nécessaire dans notre arsenal. Elle est en outre encadrée, puisque l'état de siège doit être autorisé par le Parlement à partir du douzième jour. Avis défavorable.
Je suis opposé à la suppression de cet article. Le fait qu'une disposition soit tombée en désuétude n'est en rien un argument : si elle figure dans la Constitution, c'est pour qu'elle puisse être utilisée. Toutefois, elle doit être complétée et nous défendrons des amendements en ce sens en séance. C'est quand même le seul moment où un Conseil des ministres – l'instance la moins démocratique puisque nommée par le chef de l'État – décide seul de prendre tous les pouvoirs pendant douze jours ! Et il n'est pas précisé, par exemple, que les parlementaires ne peuvent être mis aux arrêts ou incarcérés pendant cette période ! Tout en maintenant la possibilité de décréter l'état de siège, et même si l'on espère ne jamais connaître les circonstances qui l'exigeraient, le Parlement gagnerait à encadrer cette disposition. Contrairement à l'article 16, l'article 36 ne prévoit aucune limite, si ce n'est une limite de temps.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL1012 de M. Sébastien Jumel.
Nous ne proposons pas de supprimer l'état de siège, mais d'en encadrer l'utilisation en complétant le premier alinéa de l'article 36 par les mots « en cas de péril imminent résultant d'une guerre ou agression étrangère sur le territoire national ». Nous nous sommes inspirés des limites fixées au recours à l'état d'urgence.
Votre amendement reprend certaines dispositions en vigueur du code de la défense, comme l'article L. 2121-1 qui prévoit que l'état de siège ne peut être déclaré, par décret en Conseil des ministres, qu'en cas de péril imminent résultant d'une guerre étrangère ou d'une insurrection armée.
Vous proposez cependant de restreindre les hypothèses de déclenchement de l'état de siège. En restreignant ainsi l'état de siège à la guerre étrangère, vous interdiriez à notre pays de réagir, par exemple, aux tentatives de déstabilisation d'une puissance étrangère armant des mouvements indépendantistes locaux.
Il ne faut pas tomber dans la paranoïa ! Vous avez bien vu que nous avons limité la possibilité de déclencher l'état de siège aux périls imminents résultant d'une guerre ou d'une agression étrangère sur le territoire national, en excluant l'insurrection.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL627 de Mme Danièle Obono.
Cet amendement prévoit que le Parlement peut mettre fin à l'état d'urgence. Actuellement l'état d'urgence est décrété en Conseil des ministres pour une durée qui ne peut excéder douze jours. Au terme de cette période, le Parlement autorise la prolongation pour une durée déterminée. Il n'a pas le pouvoir d'y mettre fin. Pourtant, l'état d'urgence n'est pas neutre pour les libertés fondamentales, puisqu'il organise une sortie temporaire du cadre normal de l'état de droit par le renforcement des pouvoirs de l'administration et des restrictions importantes à certaines libertés publiques. Il est par nature temporaire et fonction de la permanence d'un péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public ou d'une calamité publique.
Nous proposons de renforcer le pouvoir du Parlement en lui permettant de mettre fin, à tout moment, à l'état d'urgence, en dehors des débats sur son renouvellement. Le renforcement des pouvoirs du Parlement implique qu'il puisse se saisir et décider souverainement, à tout moment, de l'application de ce droit d'exception.
Je ne suis pas favorable à la constitutionnalisation de l'état d'urgence pour plusieurs raisons.
D'abord, cela n'est pas nécessaire juridiquement, puisque l'absence de cadre constitutionnel n'empêche pas le législateur de définir un régime d'état d'urgence. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 décembre 2015 sur les assignations à résidence pendant l'état d'urgence a confirmé cette interprétation d'une manière très claire : « Considérant que la Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence ; qu'il lui appartient, dans ce cadre, d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. »
Ensuite, cela ne paraît pas utile puisque le régime de l'état d'urgence tel qu'il est défini par la loi du 3 avril a été considérablement rénové au cours du précédent état d'urgence. De nombreuses garanties nouvelles ont pu être apportées : contrôle parlementaire, suppression de la possibilité de transférer à la juridiction militaire la compétence pour se saisir des crimes et des délits connexes relevant de la cour d'assises, suppression des mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales, meilleur encadrement des perquisitions…
Enfin, la possibilité pour le Parlement de mettre fin à l'état d'urgence existe de facto au-delà de douze jours puisque, en application de l'article 2 de la loi de 1955, la prorogation de l'état d'urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi. Lors de chaque prorogation, le Parlement peut rejeter le texte. Ce qu'une loi fait, une loi peut le défaire.
Le Parlement a pu se saisir de ce débat et de la raison d'être de la prorogation. Je vous indique aussi que le contrôle parlementaire de l'état d'urgence s'est déroulé de façon extrêmement fluide et que l'opposition y a été associée. Nous n'avons pas besoin de constitutionnaliser l'état d'urgence pour l'encadrer. Avis défavorable
Il est exact que le contrôle parlementaire a été fluide mais je regrette, madame la présidente de la commission des Lois, qu'il ne constitue pas un droit, tout comme, d'ailleurs, l'association de l'opposition à ce contrôle – M. Gosselin en sait quelque chose. Certes, ce n'est pas d'ordre constitutionnel, mais il me paraît nécessaire de garantir un droit de l'opposition sur l'état d'urgence. La précédente majorité l'a refusé, la vôtre, me semble-t-il, pourrait l'accepter.
Le contrôle de l'état d'urgence, sous ma présidence, s'est effectué en association avec l'opposition. Nous effectuons actuellement un contrôle parlementaire de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT), auquel participent MM. Ciotti et Gauvain. Pour le contrôle de l'état d'urgence, je me souviens m'être rendue avec M. Ciotti à Nice et à la préfecture de police de Paris et avoir effectué avec lui des auditions. L'opposition est donc associée depuis le début de cette législature au contrôle de l'état d'urgence, puis au contrôle de la loi SILT. Croyez que j'y veille particulièrement.
Je ne peux que vous en féliciter. Je vous demande d'en faire un droit pour qu'une majorité malavisée ne puisse pas l'empêcher.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL736 de M. Jean-Christophe Lagarde.
L'information du Parlement avant la prise de décrets d'application est un sujet qui retiendra particulièrement notre attention dans les débats et in fine, orientera notre vote.
Il n'est pas question de revenir sur le domaine réglementaire, sur lequel nous n'avons pas à légiférer. Mais force est de constater que bien peu de ministres lisent les décrets d'application que l'administration leur fait signer. Si les ministres étaient auditionnés devant les commissions pour expliquer quels décrets ils entendent prendre – sans que nous ayons, bien sûr, droit d'amendement, esprit des institutions oblige –, ils retrouveraient du pouvoir auprès de leur administration, dont ils exigeraient quelques explications. Il n'est pas rare, en effet, que les décrets d'application finissent par dire le contraire ou pervertissent la volonté du législateur, même lorsqu'elle a été précisée dans les débats. Rendre du pouvoir aux ministres en les incitant à interpeller leur administration serait sain. Après tout, le pouvoir administratif est si important dans notre pays qu'en rendre un peu à ceux qui sont censés le diriger ne serait pas un mal !
Je ne comprends pas si l'information du Parlement concerne ici les dispositions législatives visées au second alinéa de l'article 37, c'est-à-dire ayant fait l'objet d'un déclassement par le Conseil constitutionnel, ou les décrets d'application des lois.
L'exposé des motifs me semble assez clair : « cet amendement vise à prévoir une information du Parlement avant la prise de décrets d'application par le Gouvernement. Les conditions de cette information sont déterminées par la loi organique. »
Lorsque les décrets d'application sont prêts, et avant qu'il les signe, le ministre est auditionné par la Commission. Cela lui permet d'expliquer pourquoi il a pris les décrets dans telle ou telle orientation. Trop souvent, les décrets ne sont pas conformes à la volonté du législateur, exprimée dans les débats et les votes.
Placer l'amendement au second alinéa de l'article 37 relatif au déclassement de dispositions législatives crée une confusion. Il n'est pas nécessaire de modifier la Constitution pour que nos commissions puissent auditionner les ministres sur les décrets d'application qu'ils ont pris – ou pas –, ou qu'ils entendent prendre, et exercer ainsi leur pouvoir de contrôle. Avis défavorable.
Le débat sur le contrôle des mesures d'application de la loi, qui ne pourra avoir complètement lieu car de nombreux amendements ne sont pas défendus, a une limite, celle de la séparation des pouvoirs. Pour autant, M. Lagarde a raison de souligner que les mesures d'application dénaturent parfois la loi : ainsi, alors que la loi pour la croissance et l'activité avait prévu de le réserver aux jeunes notaires, les décrets ont ouvert le tirage au sort aux notaires déjà installés. Le ministre de l'Économie de l'époque avait prévu des mesures de contrôle de cette loi afin de permettre aux parlementaires, dans le cadre de comités de suivi, d'être associés à l'application des dispositions. Nous défendrons un amendement prévoyant que le ministre qui a fait voter une loi soit systématiquement auditionné par la Commission et rende compte des mesures prises.
Madame la rapporteure, ainsi que vous y invite Sacha Houlié en parlant de systématicité, il vous faut, à l'occasion de ce texte, créer des droits. Je vous adjure de le faire. Dans le cas d'espèce, cela permettrait de rendre du pouvoir aux ministres. Nombre de ceux que j'ai vus passer se font bouffer par leur administration lors de la rédaction des décrets d'application. M. Houlié, en un an d'expérience, a déjà constaté que les administrations pouvaient faire le contraire de ce que nous souhaitions. Lorsque le ministre viendra ici et sera interpellé par la Commission, il secouera à son tour son administration et la volonté du législateur sera mieux respectée.
Le mot-clé, c'est bien celui de systématicité. Nous avons tous des exemples de décrets qui ne respectent pas l'esprit des lois qui ont été votées. Ce qui compte à nos yeux, c'est le changement concret qu'une loi peut entraîner dans le quotidien de nos concitoyens : c'est surtout cela que nous devons contrôler.
Comme l'a dit Sacha Houlié, la mission de suivi que nous avions mise en place avec Richard Ferrand à la suite de la loi pour la croissance et l'activité était une première. Le ministre de l'Économie d'alors avait joué le jeu. D'autres ne l'auraient peut-être pas fait. Le caractère systématique est donc indispensable. Malgré tous nos efforts, il est parfois difficile d'éviter des décrets contra legem. Prévoir un droit du Parlement dans ce domaine est fondamental.
Cela pourrait aussi nous aider dans le bilan d'application des lois. Nous avons contrôlé, pour la loi relative à l'égalité réelle outre-mer, le décret relatif à la continuité funéraire – qui prévoit une aide au rapatriement des défunts depuis l'hexagone. Lorsque vous regardez dans le détail, vous vous apercevez que les plafonds de ressources qui ont été fixés rendent le décret inopérant. Par décret, on est venu bloquer un dispositif qui était très attendu. Je soutiens cet amendement.
Je soutiens aussi cet amendement, qui vise à retirer des pouvoirs à la technostructure et à renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement. Au 31 mars 2018, le taux d'application des 24 lois promulguées au cours de l'année parlementaire 2016- 2017 était de 71 %. Cela signifie que 29 % des lois promulguées n'ont pas fait l'objet de décrets d'application.
L'amendement CL935, que je défendrai tout à l'heure, vise à imposer un délai de six mois pour la publication des décrets d'application, ce qui répond aux objectifs que la majorité a fait siens – efficacité, rapidité et réactivité – et permet de rendre utile le temps que nous passons ici.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CL935 de M. André Chassaigne et CL477 de Mme Cécile Untermaier.
Pourquoi ? N'est-ce pas une bonne chose d'obliger le Gouvernement à prendre les décrets d'application dans un délai raisonnable, afin de rendre les lois que nous votons efficientes – seules 30 % d'entre elles sont d'application directe ?
Ce n'est pas de niveau constitutionnel et je ne pense pas qu'il faille imposer la publication des décrets d'application dans un délai de six mois. Les statistiques montrent que la grande majorité des décrets sont pris dans ce délai. S'agissant des lois pour lesquelles la commission des Lois a été saisie au fond, les taux, excellents, dépassent de loin ceux que vous avez indiqués.
Mais il arrive que la rédaction des décrets soit plus compliquée et demande davantage de temps. Je ne pense pas qu'il soit possible d'inscrire une telle contrainte de délai. Avis défavorable.
Les statistiques dont je dispose montrent que la moyenne est plutôt de dix mois, et que pour certaines lois, les décrets sont publiés au bout de plusieurs années, voire pas du tout. J'avais compris que nous étions dans l'ère de la réactivité, de l'efficacité, de la modernité…
L'amendement CL477 fixe un délai, non pas de six mois, mais d'un an. Veiller à ce que les décrets d'application soient publiés dans les délais représente en effet un travail considérable. Une telle disposition ne peut être que du niveau de la Constitution, car le législateur ne peut, par la loi, imposer à l'exécutif un délai.
Ces dispositions sont bien du niveau de la Constitution, tout comme les suivantes qui visent, dans le même esprit, à encadrer l'action du Gouvernement. La pertinence de l'action politique se joue dans la capacité à rendre les lois efficaces sur le terrain : il n'y a rien de pire qu'une loi votée, annoncée, mais pas mise en oeuvre. Si les statistiques dont Mme la rapporteure dispose indiquent des délais de publication inférieurs à ceux que proposent nos collègues, rien ne s'oppose à l'adoption de ces amendements.
Je ne vois pas comment l'on pourrait sanctionner le Gouvernement s'il ne respectait pas cette disposition. Par ailleurs, une nouvelle majorité se verrait contrainte de prendre les décrets d'application d'une loi votée sous une précédente législature. Je ne pense pas qu'il soit utile d'imposer une telle obligation.
Ces amendements visent à poser le principe. Une loi organique viendrait fixer les détails et les sanctions applicables – l'administration n'est pas totalement irresponsable !
La Commission rejette successivement les amendements.
Elle examine l'amendement CL208 de Mme Valérie Petit.
Dans le même esprit, cet amendement prévoit que la loi fixe les modalités de son évaluation et peut comporter une clause de réexamen automatique. Mais je le retire, au profit de l'amendement que Sacha Houlié a évoqué.
L'amendement est retiré.
La Commission examine l'amendement CL1444 de M. Paul-André Colombani.
Il s'agit de préciser que le droit à l'expérimentation décidé par le Parlement porte sur les lois et les règlements nationaux, et non sur les actes à valeur législative et le règlement local. Étant donné que les régions disposeront du pouvoir d'adaptation des règles nationales dans le cadre de statuts d'autonomie, avec la possibilité de légiférer dans les compétences qui leur seront transférées, la notion même d'expérimentation au niveau des actes normatifs adoptés par les collectivités sera désuète.
Compte tenu de l'introduction d'un droit à la différenciation aux articles 15, 16 et 17, vous proposez de distinguer les règlements ou les lois locaux et les règlements ou lois ordinaires, que vous voulez rebaptiser « nationaux ».
Vous introduisez cette distinction dans l'article 37-1 sur l'expérimentation en matière normative. Je n'y suis pas favorable pour deux raisons : ce qualificatif ne changerait rien à la portée du règlement par rapport aux normes réglementaires locales. A contrario, cet amendement pourrait induire une hiérarchisation entre le règlement national et le règlement local, ce qui n'est ni votre intention ni le sens du droit à la différenciation. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL972 de M. Sébastien Jumel.
Avant d'être député, je pensais que les ordonnances, c'était pour se soigner. Depuis, j'ai compris que les ordonnances, c'est pour faire saigner. Du coup, je suis vacciné ! (Sourires.)
Le débat parlementaire, qui a mis en lumière le caractère abusif du recours aux ordonnances, a contraint le Gouvernement à renoncer aux ordonnances pour la SNCF, parce que l'absence de débat parlementaire pouvait être préjudiciable à la défense de l'intérêt public, de l'intérêt général et, au bout du compte, des objectifs poursuivis.
Nous proposons d'abroger le régime des ordonnances, négation ultime des pouvoirs du Parlement.
Homéopathique, car l'avis sera défavorable. Il ne faut pas exagérer le dessaisissement de compétence que cette procédure peut représenter. Depuis la révision de 2008, qui a interdit la ratification implicite, le Parlement peut reprendre la main au moment de la loi de ratification.
L'augmentation du recours aux ordonnances est incontestable, mais c'est une tendance de fond depuis plus de vingt ans. Sous cette législature, le Gouvernement n'y a recouru que 37 fois, ce qui est comparable aux 274 ordonnances publiées sous la précédente majorité. Après ce calcul d'apothicaire, avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL1445 de M. Paul-André Colombani.
Dans le cadre de l'autonomie régionale, les collectivités pourront, selon leur statut, adopter des actes normatifs, réglementaires voire législatifs, le Parlement n'ayant plus le monopole sur la loi depuis l'adoption du statut de la Nouvelle-Calédonie.
Il est proposé de parler des « lois de l'État » pour parler des actes votés au Parlement national. L'enjeu est de sortir d'une conception légicentriste, en favorisant les initiatives locales, par des autonomies renforcées prenant mieux en compte la réalité plurielle des régions.
Vous proposez de qualifier les lois ordinaires de « lois de l'État », au regard du droit à la différenciation créé par les articles 15, 16 et 17. C'est un débat que nous avons déjà eu sur l'article 37 de la Constitution. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine les amendements CL425, CL426, CL427, CL428 et CL429 de Mme Cécile Untermaier.
Certes, nous avons besoin des ordonnances – nous les avons utilisées et nous les utiliserons –, mais pas trop non plus, car elles constituent un dessaisissement du Parlement.
Nous souhaitons en limiter le champ en excluant de leur domaine les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens ; le régime électoral des assemblées parlementaires, des assemblées locales et des instances représentatives des Français établis hors de France ainsi que les conditions d'exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ; les règles concernant les nationalisations d'entreprises et les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé ; les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale ; les principes fondamentaux de la préservation de l'environnement.
Comme l'a très bien dit Jean-Christophe Lagarde, la Constitution sert aussi à se prémunir, demain, d'un régime autoritaire qui pourrait abuser des ordonnances. Nous vous proposons, par précaution, de la modifier en ce sens.
Je comprends bien le sens de vos amendements qui consistent à amputer le champ du recours aux ordonnances. Mais, pour les raisons indiquées en défaveur de l'amendement CL972, cela ne me paraît pas une bonne idée. De surcroît, lorsque l'ordre du jour est encombré, il peut être utile de recourir à ces ordonnances. Pour utiliser une règle avec souplesse, encore faut-il qu'elle ait une sphère d'application assez grande. La restreindre a priori nous ôterait l'agilité législative dont nous pouvons avoir besoin. Avis défavorable.
Il est vrai, monsieur le rapporteur général, que nous aurons bien besoin de cette agilité : je viens d'apprendre que l'examen en commission, en deuxième lecture, du projet de loi asile et immigration aura lieu en même temps que l'examen en séance du projet de loi constitutionnelle.
Nous venons effectivement de prendre connaissance du décret du Président de la République. Celui-ci pose, il faut bien le dire, quelques problèmes.
La Commission rejette successivement les amendements.
Elle en vient aux amendements CL604 et CL605 de M. Philippe Dunoyer.
Il ne s'agit ni d'empêcher ni de circonscrire le recours aux ordonnances, mais d'en encadrer l'utilisation. L'amendement CL604 fixe un délai de trois mois dans lequel les ordonnances doivent être prises à compter de la promulgation de la loi d'habilitation. L'amendement CL605 fixe un délai d'un an pour leur ratification.
Le groupe de travail du Sénat qui s'est penché sur l'ensemble de la révision constitutionnelle a formulé ces propositions. Même si le nombre d'ordonnances n'a pas augmenté, le délai entre la demande d'habilitation et la ratification des ordonnances est en moyenne de dix-huit mois, ce dont nous ne pouvons nous satisfaire.
Le délai de trois mois est très court et difficilement tenable pour élaborer des ordonnances, dans des matières parfois techniques. En outre, un tel amendement peut créer des incohérences, dans la mesure où les ordonnances sont des actes réglementaires délibérés en Conseil des ministres et signés par le Président de la République. Or, l'article 13 de la Constitution, pour le cas général des décrets présidentiels, ne prévoit aucun délai.
Par ailleurs, cette disposition aboutirait à rendre caduques deux fois sur trois les habilitations, obligeant à réintroduire les ordonnances, sous forme d'amendement, dans des textes dont l'objet le permettrait. Les délais s'allongeraient alors démesurément, sans que le Parlement n'ait mieux débattu du fond. Avis défavorable à l'amendement CL604.
Je ne suis pas davantage favorable à votre second amendement, qui propose de fixer à douze mois le délai de ratification. Cela voudrait dire que le Parlement lui-même s'oblige à ratifier plus rapidement les ordonnances. Par ailleurs, c'est une question liée à celle de l'ordre du jour, que nous aborderons à la faveur des amendements relatifs à l'article 48 de la Constitution et, plus particulièrement, à l'ordre du jour prioritaire du Gouvernement. Si nous souhaitons que le Parlement puisse examiner au fond les ordonnances au moment de leur ratification, à défaut d'avoir la possibilité le faire auparavant, peut-être ne faudrait-il pas s'enfermer dans des délais contraignants.
Je suis assez convaincu par votre argumentation en ce qui concerne le premier amendement. Je vais donc le retirer. Je maintiendrai en revanche le second. Je peux comprendre la contrainte que vous avez évoquée, mais on court un risque en laissant subsister des situations créées par les ordonnances avant l'intervention de la loi de ratification. C'est un facteur qui peut ensuite empêcher le Parlement d'agir : il pourrait avoir l'intention de ne pas valider certaines mesures adoptées dans le cadre d'une ordonnance, mais être ennuyé de le faire parce qu'elles ont déjà produit des effets. D'où le délai d'un an que je propose d'instaurer pour la ratification des ordonnances.
L'amendement CL604 est retiré.
La Commission examine l'amendement CL479 de Mme Cécile Untermaier.
Cet amendement concerne les avis du Conseil d'État : ils sont déjà publics, ce qui nous paraît essentiel, mais sans que cela soit garanti par la Constitution.
J'émets un avis défavorable. Le Conseil d'État est constitutionnellement le conseiller de l'exécutif, en particulier pour l'élaboration des décrets : il faudrait envisager un changement profond de nature avant de systématiser la publicité des avis.
En ce qui concerne l'information du Parlement et du grand public, par ailleurs, l'avis du Conseil d'État est sans doute moins éclairant que le rapport au Président de la République qui accompagne systématiquement les ordonnances, et qui est disponible sur Legifrance.
Je ne comprends pas bien vos explications – mais c'est sans doute à cause de l'heure tardive… Les avis du Conseil d'État sont précieux, mais rien n'oblige à l'heure actuelle de les rendre publics. Tout dépend du bon vouloir du Gouvernement. Il me semble important de formaliser la situation qui prévaut.
La Commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur général, la commission rejette l'amendement CL605 de M. Philippe Dunoyer.
Elle examine l'amendement CL417 de Mme Cécile Untermaier.
Nous demandons la transmission au Parlement d'un avant-projet de loi deux mois avant la délibération d'un texte en Conseil des ministres. Néanmoins, puisque vous avez décidé de faire un package sur ces questions, nous allons attendre de voir ce que vous nous proposez.
L'amendement CL417 est retiré.
La Commission est saisie de l'amendement CL1447 de M. Paul-André Colombani.
Comme cet amendement a été déposé par coordination avec d'autres, je ne reviens que très brièvement sur ce que j'ai dit tout à l'heure. Le but est de clarifier les formulations retenues afin de sortir du légicentrisme et de favoriser l'autonomie des territoires.
Par homothétie avec les avis que j'ai précédemment émis, je suis défavorable à cet amendement.
Je soutiens la proposition de notre collègue Colombani, qui concerne un problème fondamental dont nous avons déjà parlé et sur lequel nous aurons probablement à revenir encore, à propos d'autres articles, c'est-à-dire l'équilibre des compétences entre l'État central et les collectivités. Nous considérons que, sans défaire la France, il faut donner davantage de compétences aux territoires.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL644 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Nous proposons de reconnaître au peuple un droit d'initiative en matière législative. Un million d'électeurs inscrits sur les listes électorales pourra déposer une proposition de loi sur le bureau de l'une des deux assemblées. Celle-ci devra examiner cette proposition de loi populaire dans un délai d'un mois suivant son dépôt. Vous savez qu'un tel mécanisme existe dans de nombreux pays, notamment l'Espagne, le Portugal, la Pologne et la Suisse.
Je suis défavorable à un tel partage de l'initiative des lois sous la forme de propositions de loi citoyennes. Le Constituant a créé des référendums d'initiative partagée en 2008, qui reposent sur une initiative parlementaire soutenue par des citoyens, mais force est de constater que cet outil n'a pas été utilisé. Les seuils et les délais fixés par l'article 11 de la Constitution sont pourtant très bas : la proposition de loi doit être soutenue par 10 % du corps électoral, soit 4,5 millions de citoyens, et le Parlement ne peut pas examiner de texte sur le même sujet dans un délai de six mois. Sur le plan technique, votre proposition soulève un certain nombre de questions : ce partage pourrait conduire à un droit d'abrogation par les citoyens de dispositions votées par leurs représentants, donc à une forme de concurrence normative qui ne favoriserait ni la stabilité, ni la clarté, ni la lisibilité du droit.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est ensuite saisie de l'amendement CL613 de Mme Maina Sage.
Cet amendement prévoit que les projets de loi soumis au Conseil d'État ou à la Chambre de la société civile, prévue à l'article 14, sont concurremment transmis au Parlement. J'ai bien vu en Polynésie à quel point c'est important : comme le Conseil économique, social et environnemental (CESE) local doit obligatoirement étudier les textes entrant dans ses domaines de compétence, les projets de loi lui sont transmis mais l'Assemblée de la Polynésie n'est pas informée, ce qui est problématique. Notre amendement permettra d'améliorer l'information dont le Parlement dispose, en amont, sur les textes à venir.
Nous nous sommes beaucoup interrogés sur cette question, et nous vous proposerons un amendement un peu différent qui portera sur le CESE. Le moment où il doit intervenir pose une question, de même que le caractère obligatoire ou non de cette intervention. Je partage vos préoccupations, mais je vous propose d'y revenir plus tard.
Nous nous sommes aussi interrogés sur l'endroit où une telle disposition devrait figurer. Si votre amendement s'insère dans la même partie de la Constitution, cela nous convient. S'il porte, en revanche, sur les dispositions concernant la future Chambre de la société civile, je crois qu'il faudra aussi apporter une précision dans le bloc de la Constitution qui traite du rôle du Parlement – mais nous pourrons peut-être y travailler d'ici à la séance.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL1302 de M. Daniel Labaronne.
Cet amendement vise à permettre la bonne information du Parlement en généralisant la transmission des avis du Conseil d'État aux assemblées en même temps que les projets de loi. Cela permettra une discussion plus constructive et plus éclairée entre le Parlement et le Gouvernement : chacun doit bénéficier du même niveau d'information.
Je ne suis pas favorable à cet amendement. Il est, dans une large mesure, satisfait car les avis du Conseil d'État sont systématiquement publiés depuis plusieurs années, sauf quelques rares exceptions. Par ailleurs, je redis que le Conseil d'État est le conseiller de l'exécutif, auquel ses avis sont seuls destinés. Votre amendement renvoie donc à un débat plus large sur la place du Conseil d'État vis-à-vis du Parlement et de l'exécutif. Enfin, le Gouvernement doit rester libre de suivre ou non l'avis qui lui est donné. En rendant obligatoire sa transmission aux assemblées, sans possibilité d'y déroger, on ancrerait l'idée, d'une certaine manière, que le Gouvernement doit suivre les modifications de forme et de fond que le Conseil d'État propose. Il vaut mieux, pour notre démocratie, que le débat public porte sur le projet de loi déposé par le Gouvernement, plutôt que sur les avis du Conseil d'État. On voit bien à quel point certains débats sont biaisés, y compris dans notre assemblée, parce que l'avis du Conseil d'État déchaîne les passions, alors que le projet de loi du Gouvernement n'en tient aucun compte. Discutons du projet de loi, c'est-à-dire de ce qui est sur le présentoir, plutôt que de ce qui se trouve dans l'arrière-cuisine. Je précise que je n'entends pas être désobligeant à l'égard du Conseil d'État.
La Commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur général, elle rejette l'amendement CL478 de Mme Cécile Untermaier.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CL92 de M. Jean-François Eliaou, CL207 de Mme Valérie Petit et CL568 de M. Jean-François Eliaou.
La généralisation des études d'impact était une mesure nécessaire, mais elle ne produit pas toujours les effets que l'on pouvait en attendre. Il faut systématiser le dispositif, en incluant les propositions de loi, mais aussi veiller à ce que les études d'impact soient effectivement réalisées au préalable et à ce qu'elles répondent à des impératifs de qualité – elles doivent être rigoureuses et exhaustives. Tel est l'objet de l'amendement CL92.
Je regrette de ne pas pouvoir émettre un avis favorable. Il ne suffit pas de prévoir dans la Constitution que les études d'impact doivent être exhaustives et rigoureuses pour avoir la garantie que c'est bien le cas. C'est désirable, mais le voeu risque d'être pieux. Il appartient à la Conférence des présidents de vérifier si les études d'impact sont conformes ou non aux prescriptions de l'article 8 de la loi organique d'avril 2009 et, si elle souhaite le faire, d'en pointer les éventuelles carences. La vraie question est celle qui a été posée par la décision n° 2009-579 DC du 9 avril 2009 du Conseil constitutionnel : si l'on souhaite rendre les études d'impact obligatoires, il faut le prévoir expressément dans la Constitution.
Je voudrais revenir sur l'idée selon laquelle l'étude d'impact doit être préalable. La décision de 2009 du Conseil constitutionnel a censuré la loi organique sur ce point. Or, on n'attend pas seulement que les études d'impact aient une réelle qualité, une plus-value, mais aussi qu'elles soient préalables.
J'entends bien les remarques du rapporteur général. Néanmoins, et même si comparaison n'est pas raison, je voudrais vous faire part de ce qui est prévu en Nouvelle-Calédonie : la procédure en vigueur exige la production d'une fiche d'impact, et l'examen d'un texte par le Conseil d'État est repoussé si elle n'existe pas. Cela ne signifie pas que la fiche d'impact est toujours très pertinente et complète – cela ne se décrète pas – mais il me paraît utile que nous débattions de cette question.
Les amendements CL92, CL207 et CL568 sont successivement retirés.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL542 de M. Jean-François Eliaou, CL599 de M. Philippe Dunoyer et CL600 du même auteur.
L'amendement CL599 vise à compléter la disposition qui donne au Président de notre assemblée la possibilité de soumettre pour avis au Conseil d'État une proposition de loi, si son auteur ne s'y oppose pas : la Conférence des présidents en aura aussi la possibilité, ce qui permettra d'élargir la prise de décision à tous les groupes politiques. L'amendement CL600 est un peu différent, puisqu'il donnera cette possibilité aux présidents de groupe. Je souligne que l'auteur de la proposition de loi pourra toujours s'opposer à la saisine du Conseil d'État.
J'aimerais tellement finir par vous plaire, mais je vais encore vous décevoir en émettant un avis défavorable (Sourires.). S'agissant de l'amendement CL599, il n'existe pas de cas où la Conférence des présidents ait été d'un avis différent du Président de l'Assemblée nationale en ce qui concerne la saisine du Conseil d'État. Si votre amendement était adopté, la Conférence des présidents devrait se prononcer à la majorité des voix, ce qui n'octroierait pas, en réalité, de droit nouveau aux oppositions – j'ai eu l'occasion de vérifier qu'il en est ainsi.
L'amendement CL600 permettrait à un président de groupe de soumettre une proposition de loi au Conseil d'État, comme le Président de notre assemblée peut déjà le faire. Je ne suis pas davantage favorable à cette proposition, car il existe un risque d'instrumentalisation d'une telle procédure à des fins un peu politiciennes – cela pourrait servir à entraver l'initiative d'un autre groupe. J'ajoute que l'auteur de la proposition de loi ne pourra plus, en réalité, refuser que le Conseil d'État soit saisi.
Je ne reviendrai pas sur le fait que la Conférence des présidents va majoritairement dans le même sens que le Président de notre assemblée, du moins traditionnellement. Il n'est pas exclu, pour autant, qu'elle prenne des décisions à l'unanimité, et l'amendement CL599 permettrait d'associer plus largement les groupes politiques.
S'agissant du second amendement, je ne suis pas certain d'avoir bien compris toute l'argumentation développée par le rapporteur général. Sauf erreur de ma part – mais c'est possible à cette heure tardive –, le dernier alinéa de l'article 39 de la Constitution permet, de toute façon, à l'auteur du texte de s'opposer à une saisine du Conseil d'État qui serait souhaitée par un président de groupe dans la simple intention de mettre en défaut une proposition de loi. Nous parions sur l'intelligence de chacun des présidents de groupe, qu'ils appartiennent à la majorité ou à l'opposition, pour l'utilisation à bon escient de cette nouvelle faculté.
L'amendement CL542 est retiré.
La Commission rejette successivement les amendements CL599 et CL600.
Elle est saisie de l'amendement CL648 de M. Jean-Hugues Ratenon.
Comme le demande notre programme « L'avenir en commun », cet amendement vise à créer un droit de pétition numérique. Cela correspond, en outre, à une proposition faite par le Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès le 3 juillet 2017.
Il n'y a rien de nouveau sous le soleil : le droit de s'adresser aux pouvoirs publics pour formuler une plainte ou une suggestion est déjà prévu par l'ordonnance de 1958 et les règlements des assemblées. En pratique, néanmoins, le droit de pétition a presque totalement disparu. Il ne me paraît donc pas utile de le constitutionnaliser : avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient aux amendements identiques CL628 de M. Éric Coquerel et CL1094 de M. Michel Castellani.
L'amendement CL628 vise à abroger l'article 40 de la Constitution, qui limite grandement l'initiative parlementaire en nous interdisant de proposer des amendements qui auraient pour conséquence d'aggraver une charge publique.
Par l'amendement CL1094, je vous propose aussi d'abroger l'article 40, dont l'inefficacité n'est plus à démontrer – au risque d'être un peu provocateur, on peut dire qu'elle est suffisamment mise en lumière par la situation extrêmement pénible dans laquelle se trouvent nos finances publiques : les dérapages parlementaires, supposés, n'y sont pour rien. L'article 40 apporte une restriction au droit d'initiative parlementaire qui traduit une méfiance indiscutable à notre égard. Nous pensons que les membres du Parlement peuvent être responsables, y compris en matière de finances publiques.
De nombreux amendements ont été déposés, par tous les groupes, pour supprimer l'article 40. C'est une question qui s'est déjà posée, notamment en 2008 et en 2011, et à laquelle la réponse a toujours été négative. Je suis défavorable à ces amendements pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, arrêtons de penser que l'article 40 constituerait une anomalie, voire une innovation propre à la Vème République. Des règles similaires étaient déjà prévues par le règlement de la Chambre des députés dès 1920, avant d'être reprises par l'article 17 de la Constitution de 1946, puis sous la forme des règles dites des maxima dans la plupart des lois budgétaires sous la IVème République. Par ailleurs, ce n'est pas une forme d'arbitraire : l'appréciation de la recevabilité financière repose sur une jurisprudence ancienne des présidents successifs de la commission des finances, qui est toujours bien documentée et favorable à l'initiative parlementaire dès lors que la lettre de la Constitution le permet. Enfin, le contrôle de la recevabilité financière est utile : il limite la tentation de grever la dépense budgétaire dans n'importe quel texte de loi et permet un contrôle très opportun des cavaliers budgétaires et sociaux dans les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. Cet article, dont on mesure bien l'efficacité, même si elle est finalement relative, nous préserve contre certaines dépenses publiques excessives.
La Commission rejette ces amendements.
Elle est saisie de l'amendement CL586 de M. Charles de Courson.
Nous proposons que les règles imposées aux membres du Parlement par l'article 40 de la Constitution s'appliquent aussi aux amendements du Gouvernement.
On pourrait être tenté de vous suivre, sur le principe. En effet, l'article 40 n'a pas suffi à prévenir la dégradation des finances publiques sous les différentes majorités qui nous ont précédés. Votre amendement pose néanmoins plusieurs difficultés. Le contrôle relevant des seules instances parlementaires, que se passerait-il en cas de divergence d'interprétation s'il n'y a pas devant le Conseil constitutionnel de voie de recours comparable à ce que prévoit l'article 41 de la Constitution ? En outre, l'intention du Gouvernement peut couvrir l'irrecevabilité de certains amendements parlementaires, donc permettre de les déclarer recevables. Avec l'élargissement de l'article 40 que vous proposez, le juge de la recevabilité financière serait finalement conduit à faire preuve d'une plus grande sévérité à l'égard des parlementaires, de sorte que votre amendement pourrait avoir un effet paradoxal et presque contradictoire avec l'objectif que vous visez. C'est donc en toute complicité avec vous que j'émets un avis défavorable (Sourires.).
Je crois que je fatigue, car je commence à être convaincu par ce que dit le rapporteur général : il faut vraiment que la séance s'achève. (Sourires.) Néanmoins, comme je ne suis pas le premier signataire de l'amendement, je ne le retire pas.
La Commission rejette l'amendement.
Elle passe à l'amendement CL459 de Mme Cécile Untermaier.
Cet amendement vise à atténuer la portée de l'article 40, qui fait l'objet d'interrogations depuis des années. Nous vous proposons d'unifier sa rédaction afin de permettre aux parlementaires de déposer des propositions de loi ou des amendements qui augmentent les charges publiques à condition que ce soit correctement gagé. Par ailleurs, cet assouplissement ne s'appliquera que dans la limite d'un montant défini par une loi organique.
Vous proposez d'assouplir l'irrecevabilité au titre de l'article 40 de la Constitution. Une fois encore, je regrette de ne pas pouvoir émettre un avis favorable. L'introduction d'un renvoi à une loi organique suspendrait tout contrôle de la recevabilité financière entre l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle et celle de la loi organique, ce qui créerait une sorte de vide redoutable à tous égards. Autre flou, quels seraient les outils d'expertise que vous souhaitez créer ? L'amendement n'en dit rien. Vous savez pourtant ce qu'il en est quand il y a un flou…
La Commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur général, elle rejette successivement les amendements CL569, CL570 et CL571 de M. Charles de Courson.
Elle est ensuite saisie de l'amendement CL1093 de M. Michel Castellani.
C'est une proposition de repli par rapport à l'amendement CL1094 qui a été rejeté tout à l'heure. On pourra déroger au principe énoncé au premier alinéa de l'article 40 s'il est prévu une compensation réelle, immédiate et bénéficiant aux mêmes collectivités ou organismes que ceux qui percevaient la ressource diminuée ou supportaient la charge aggravée. La création d'une nouvelle charge publique obéira aux mêmes conditions et devra être justifiée par un motif d'intérêt général. En assouplissant ainsi les règles de la recevabilité financière, nous renforcerons les pouvoirs du Parlement. Cette proposition, qui nous donnera un peu plus de marge de manoeuvre, est directement inspirée des recommandations formulées par le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, qui était présidé par M. Balladur.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL582 de M. Charles de Courson.
Cet amendement vise à compléter l'article 40 de la Constitution de manière à éviter les risques de surtransposition des actes juridiques de l'Union européenne. Cela permettra d'éviter des dérives que nous constatons dans de trop nombreux cas – je ne parle pas de cette législature en particulier.
Cet amendement me paraît un peu ésotérique. L'article 40 peut conduire à déclarer irrecevables des dispositions aboutissant à une perte de recettes ou à une dépense. Or vous voulez soudain en faire un outil de régulation contre d'éventuelles surtranspositions. Je ne vois pas de lien entre l'article 40 et ce que vous proposez. J'émets donc un avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Nous en sommes à l'article 3. Je vais lever la séance, après un bref point sur l'état d'avancement de nos travaux : nous avons examiné 567 amendements en 23 heures de débat, et il nous en reste 777 à examiner.
La réunion s'achève à une heure dix.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Erwan Balanant, Mme Huguette Bello, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Vincent Bru, Mme Émilie Chalas, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Philippe Dunoyer, M. Christophe Euzet, Mme Élise Fajgeles, M. Richard Ferrand, M. Marc Fesneau, Mme Isabelle Florennes, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Jumel, Mme Catherine Kamowski, M. Guillaume Larrivé, M. Paul Molac, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Éric Poulliat, Mme Maina Sage, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky, M. Cédric Villani, Mme Hélène Zannier
Excusés. - M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Paula Forteza, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, M. Raphaël Schellenberger, M. Manuel Valls, M. Guillaume Vuilletet
Assistaient également à la réunion. - M. Michel Castellani, M. Paul-André Colombani, M. Fabien Di Filippo, M. Brahim Hammouche, M. Yannick Haury, M. Daniel Labaronne, M. Jean-Christophe Lagarde, M. David Lorion, M. Dominique Potier, M. Jean-Hugues Ratenon, M. François Ruffin, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, Mme Sabine Thillaye, M. Olivier Véran, M. Sylvain Waserman