La réunion débute à 21 heures 05.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission examine les articles du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée (n° 2731) (Mme Naïma Moutchou, rapporteure).
Après avoir procédé cet après-midi à l'audition de M. le garde des Sceaux et à la discussion générale sur le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, nous abordons l'examen des articles.
Article 1er (art. 696-108 à 696-137 nouveaux du code de procédure pénale) : Adaptation du code de procédure pénale à la création du Parquet européen
La Commission examine l'amendement CL60 de M. Ugo Bernalicis.
Il s'agit d'un amendement de suppression de l'article 1er. Notre opposition à la création d'un Parquet européen n'est pas récente : M. Jean-Luc Mélenchon y était déjà opposé lorsqu'il était député européen. Je vois mal en quoi la création d'un Parquet européen offre une plus-value. Les enquêtes seront menées par des procureurs européens délégués dans le cadre national, avec des moyens nationaux, et porteront sur des sujets entrant dans le champ de compétence des juridictions existantes. En somme, le processus généralisé de spécialisation des juridictions se poursuit alors même que nous n'avons pas toujours les moyens correspondants, d'une part, et, d'autre part, que des difficultés peuvent en résulter, notamment des conflits et des superpositions de compétences. Le texte prévoit que le Parquet européen pourra se saisir d'affaires traitées par des juridictions nationales, de droit, sans le moindre débat.
Par ailleurs, les procureurs européens délégués seront en position de détachement, ce qui n'offre pas nécessairement la meilleure garantie d'indépendance – sinon du point de vue de l'exécutif, du moins de celui des justiciables, comme le montre l'exemple de Monaco, dont les magistrats sont en position de détachement et où des problèmes se posent régulièrement. Enfin, le Parquet européen ne tire pas sa souveraineté du peuple ou d'une institution démocratique, mais d'une délégation à plusieurs niveaux, ce qui interroge du point de vue de la légitimité de son action.
Monsieur Bernalicis, cet amendement de suppression m'étonne. À l'occasion de l'examen du budget de la justice dans l'hémicycle, Mme Obono réclamait en effet, au nom de votre groupe, des moyens et des outils supplémentaires contre la délinquance économique et financière. À présent que nous les avons, vous vous y opposez ! Vous ne voulez pas du déploiement d'un Parquet européen dont l'objet sera d'améliorer la répression de la fraude en la matière, comme vous le souhaitez. Dont acte. Vous vous y opposez en agitant l'argument souverainiste.
Cet argument me semble contestable pour trois raisons.
Premièrement, la compétence européenne en la matière est naturelle. Il s'agit d'une délinquance internationalisée dont les délits impliquent plusieurs États membres. Les traiter à l'échelon national n'est pas satisfaisant. Comme vous pouvez le lire dans l'étude d'impact, la proportion de recommandations de poursuites émises par l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) aboutissant à des mises en examen est comprise entre 35 % et 45 %, ce qui est bien trop peu. Il est nécessaire d'agir à l'échelon européen dans le cadre d'une coopération renforcée.
Deuxièmement, nous ne créons aucune magistrature européenne, ce qui devrait vous rassurer. L'échelon décentralisé, chargé des enquêtes, est franco-français. Les procureurs européens délégués, choisis parmi les procureurs français, seront indépendants. Ils seront détachés auprès du Parquet européen, qui les rémunérera, et ne recevront aucune instruction du ministère de la justice ou du procureur général.
Troisièmement, aucun régime européen de l'enquête ne s'imposera à nous. Les procureurs européens délégués appliqueront le code pénal et le code de procédure pénale. Ils seront soumis aux règles de droit interne.
Ces observations justifient la création d'un Parquet européen dans la mesure où le droit national ne suffit pas. Il constituera un outil supplémentaire visant à améliorer l'efficacité de la lutte contre la fraude et de la répression, dans le respect de nos principes constitutionnels. Avis défavorable.
L'amendement supprime des dispositions du code de procédure pénale précisant les modalités de fonctionnement du Parquet européen. Si j'indique que le Gouvernement y est favorable, personne ne me croira. Afin de ne pas entamer ma crédibilité, c'est donc un avis défavorable.
En effet, nous demandons des moyens supplémentaires pour la lutte contre la délinquance économique et financière, et ce depuis plusieurs années – trois projets de loi de finances pour être précis. Cette lutte est menée par une juridiction française, qui fait plutôt du bon travail. Certes, on pourrait l'améliorer, et d'autres que moi la critiquent : c'est le Parquet national financier (PNF). Or, l'étude d'impact ne fait mention d'aucune affaire qui n'entre pas dans le champ de compétences d'une juridiction existante.
Quant aux moyens supplémentaires, c'est un leurre : il s'agit de détachements, donc d'un prélèvement sur le budget de la justice, sur les cinquante magistrats supplémentaires pour lesquels le projet de loi de finances pour 2021 ouvre des crédits, soit moitié moins que le précédent. Le nombre de magistrats supplémentaires est en recul d'une année sur l'autre ! En outre, ces postes supplémentaires devraient être attribués aux corps spécialisés dans les enquêtes, notamment aux assistants spécialisés. Quelle garantie avons-nous que les procureurs européens délégués disposeront d'autant d'assistants spécialisés que le PNF ? Quelle garantie avons-nous qu'on leur confiera autant d'affaires qu'au PNF, et qu'elles bénéficieront d'un suivi comparable à celui assuré par l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) et la brigade financière de la police judiciaire parisienne ? En réalité, les moyens seront les mêmes. Seul le nom va changer. Non, le Parquet européen n'est pas une avancée. Au demeurant, dès lors que la délinquance franchit les frontières, la coopération entre États s'impose. Il n'existe ni magistrature européenne, ni cadre d'enquête européen. Il faudra donc recourir à des commissions rogatoires internationales.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement CL132 du Gouvernement.
Le procureur européen délégué souhaitant constituer une équipe commune d'enquête avec des autorités étrangères devra informer le ministère de la justice, dont l'accord n'est cependant pas nécessaire. Il s'agit de compléter le projet de loi par une précision destinée à assurer l'indépendance du procureur européen délégué, conformément aux dispositions du règlement mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen.
L'indépendance des procureurs européens délégués est l'une des conditions de la transposition du Parquet européen. Elle doit être assurée à tous les stades de l'enquête. Il est cohérent de les dispenser de l'autorisation du ministère de la justice pour constituer une équipe d'enquête commune avec d'autres États.
Je me pose une question pratique, qui d'ailleurs se pose à l'échelon de nos parquets et de nos services d'enquête. En cas de conflit de priorisation des dossiers, qui tranchera ? Comment saura-t-on si on donne la priorité à l'enquête demandée par le procureur européen délégué plutôt qu'à nos affaires nationales ? À l'heure actuelle, ces questions sont tranchées, bon an mal an, au sein de nos juridictions. Qu'en sera-t-il demain ? Doit-on s'attendre à une prédominance des services du procureur européen délégué ?
Le volume de dossiers concerné n'est pas tel qu'il nécessite un chamboulement de l'organisation judiciaire.
L'étude d'impact prévoit entre soixante et cent dossiers, confiés à cinq procureurs européens délégués. Si ce volume devait augmenter significativement, les moyens devront suivre.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle examine l'amendement CL22 de M. Pacôme Rupin.
L'amendement fixe un délai maximal dans lequel le Parquet européen doit statuer sur l'exercice de sa compétence. Toutefois, il semble difficile d'inscrire dans le règlement européen des contraintes supplémentaires, d'une part, et, d'autre part, il me semble qu'un délai de cinq jours est d'ores et déjà prévu. Peut-être M. le ministre pourrait-il fournir des précisions sur ce point. Si tel est le cas, M. Pacôme Rupin m'a indiqué ne voir aucun inconvénient au retrait de l'amendement.
L'amendement procède d'une bonne intention mais il est satisfait. L'article 27 du règlement européen prévoit un délai bien inférieur à la durée d'un an proposée par notre collègue. Il dispose : « Dès réception de toutes les informations pertinentes conformément à l'article 24, paragraphe 2, le Parquet européen décide, dans les meilleurs délais, et au plus tard cinq jours après réception des informations communiquées par les autorités nationales, d'exercer ou de ne pas exercer son droit d'évocation, et informe les autorités nationales de cette décision ». Demande de retrait.
L'amendement est retiré.
La Commission est saisie de l'amendement CL61 de Mme Danièle Obono.
L'amendement supprime les alinéas 16 et 17 afin de prévenir les risques d'empiétement du Parquet européen sur les compétences du parquet français. L'automaticité du dessaisissement d'un parquet n'existe pas dans notre droit. Une telle mesure fait systématiquement l'objet d'une discussion et d'un arbitrage. Tel ne sera plus le cas. Un parquet peut avoir une compétence exclusive – il en est ainsi du PNF. Mais en cas d'empiétement de compétences, notre droit prévoit un mécanisme de régulation. Les alinéas 16 et 17 prévoient un dessaisissement automatique au profit du Parquet européen, ce à quoi nous sommes défavorables.
Il faut certes articuler les compétences des procureurs européens délégués avec celles des autres juridictions. Les dispositions du règlement européen en la matière sont tout à fait raisonnables. Si vous et nous n'avons pas la même vision politique de la façon dont il faut organiser l'espace judiciaire européen, monsieur Bernalicis, l'articulation des compétences respectives des juridictions n'a jamais soulevé aucune difficulté. Lors des auditions, nous avons interrogé à ce sujet le procureur européen français, M. Frédéric Baab. Il considère que les angles morts ont tous été comblés. Tel est aussi mon avis.
En effet, madame la rapporteure, nous ne partageons pas exactement la même conception de l'espace judiciaire européen ! Je ne comprends pas pourquoi un dossier suivi par le PNF, compte tenu des moyens dont celui-ci dispose et de son architecture générale, sera mieux traité par un procureur européen délégué décidant de s'en charger. Surtout, le procureur européen délégué s'inscrit dans un cadre procédural particulier qui lui permet de disposer des moyens du parquet et des moyens de l'instruction, ce qui soulève des problèmes. L'automaticité du dessaisissement a le mérite d'être claire, et sans doute de nombreux procureurs aimeraient-ils que notre droit national le soit tout autant en matière de partage des compétences : les affaires sont automatiquement transmises à l'échelon supérieur. Nous sommes en désaccord avec ce choix. Je ne vois pas en quoi il est logique, ni en quoi il améliore le traitement des affaires concernées.
La Commission rejette l'amendement.
Elle adopte ensuite l'amendement rédactionnel CL96 de la rapporteure.
Puis elle examine l'amendement CL62 de M. Ugo Bernalicis.
Cet amendement porte sur les cadres procéduraux, dont j'estime qu'ils s'enchevêtrent sous la responsabilité du procureur européen, qui pourra passer à sa guise du cadre de l'enquête préliminaire à celui de l'instruction. Cela soulève plusieurs problèmes, s'agissant notamment de l'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) en cas de placement sous contrôle judiciaire. Nous en débattrons en détail le moment venu.
Pour l'heure, notons que ce mode de fonctionnement, une fois inscrit dans la loi et appliqué, ouvrira la voie à la suppression du juge d'instruction. L'étape suivante – ce ne serait pas la première fois que la majorité procéderait de la sorte – consisterait à dire que tout cela fonctionne parfaitement et permet de traiter les affaires européennes plus rapidement et plus efficacement – j'en doute, mais admettons. On dira alors qu'il serait souhaitable de décalquer ce modèle pour l'appliquer aux juridictions françaises, ce qui permettra de faire l'économie des juges d'instruction et de rationaliser le travail en le partageant mieux. Je prépare l'argumentaire, cela vous fera gagner du temps, chers collègues de la majorité !
Je suis opposé à cette vision des choses. Le juge d'instruction emporte des garanties, notamment en matière d'inamovibilité et de conditions de nomination, que le présent texte n'offre pas. S'il s'agissait de procéder à une grande réforme du parquet de ce pays, nous aurions pu en débattre autrement. Il aurait été plus difficile d'argumenter contre, et j'y aurais peut-être même été favorable, qui sait ? Tel n'est pas le cas. Je m'oppose à la confusion des cadres procéduraux.
Monsieur Bernalicis, j'émets un avis défavorable à votre amendement pour deux raisons. D'abord, vous affirmez que les procureurs européens délégués pourront mener des enquêtes préliminaires et des instructions selon leur bon vouloir. C'est faux. Le règlement européen le précise noir sur blanc. En outre, le Sénat a précisé la définition du moment où le procureur délégué « changera de casquette ». L'alinéa 21 est désormais ainsi rédigé : « Toutefois, lorsqu'il est nécessaire soit de mettre en examen une personne ou de la placer sous le statut de témoin assisté, soit de recourir à des actes d'investigation qui ne peuvent être ordonnés qu'au cours d'une instruction, en raison de leur durée ou de leur nature, le procureur européen délégué conduit les investigations conformément aux dispositions applicables à l'instruction, sous réserve des dispositions de la section III du présent chapitre. » Ce point est tout à fait clair.
Ensuite, vous estimez que les pouvoirs du procureur européen délégué sont si étendus qu'ils menacent l'existence même du juge d'instruction. Si nous devions un jour réformer la procédure pénale française et le statut du juge d'instruction, ce à quoi je suis personnellement favorable, rien ne nous obligera à nous inspirer de ce modèle qui a pour seule vocation de répondre aux prescriptions du règlement européen. Celui-ci prévoit que le procureur européen délégué exerce l'action publique jusqu'à ce que l'affaire soit définitivement jugée. L'intervention du juge d'instruction français aurait pour conséquence de le dessaisir de l'enquête, à rebours des dispositions dudit règlement. Ainsi s'explique ce statut hybride et astucieux du procureur européen délégué.
Le complotisme est insupportable ! En somme, nous passerions par ce texte pour supprimer le juge d'instruction. Mais nous ne manquons pas d'arguments pour débattre de son statut, permettez-moi de vous le dire, monsieur Bernalicis ! Rien de tel n'est à l'ordre du jour. Ces confusions ne nous font pas de bien !
Vous proposez de supprimer les alinéas précisant le cadre procédural des investigations du Parquet européen. Vous imaginez bien que le Gouvernement est défavorable. De grâce, ne mélangeons pas tout ! Le complotisme a ses limites. Certes, cela fait florès sur les réseaux sociaux, mais ce n'est pas sérieux ! Voilà quarante ans que l'on débat du statut du juge d'instruction ; des auteurs magnifiques se sont penchés sur la question et quelques expériences professionnelles permettent d'en débattre. Le Parquet européen ne nous donne pas l'occasion de soulever le sujet, dont je répète qu'il n'est pas à l'ordre du jour.
Souffrez que nous avancions des arguments contraires aux vôtres, ce que vous confondez avec le complotisme ! Si quiconque s'oppose à vous est un adepte du complot, cela fait beaucoup de monde, d'autant qu'entre vos nouvelles convictions et les anciennes, la cohérence n'est pas toujours limpide !
J'en viens au fond.
Ce qui me pose problème, c'est le choix du cadre procédural laissé au bon vouloir du procureur européen délégué. Tant qu'il s'inscrit dans le cadre de l'enquête préliminaire, ses moyens d'enquête sont limités et il ne peut pas procéder à des mises en examen. Il décidera donc de basculer d'un cadre procédural à l'autre dès qu'il sera bloqué et qu'il souhaitera ordonner des mesures coercitives. Le passage d'un cadre à un autre est moins organisé et moins cadré qu'il ne l'est dans notre droit interne.
Quant au juge d'instruction, nombreux sont ceux qui le vilipendent. Nous-mêmes avons beaucoup à redire. Toutefois, dans l'état actuel de notre droit, je préfère le défendre plutôt que le mettre en cause car il offre des garanties, notamment en matière de droits de la défense, qui ne sont pas inintéressantes – cela ne vous aura pas échappé, monsieur le ministre. Tel n'est pas le cas de l'enquête préliminaire. C'est pourquoi plusieurs amendements, dont certains sont issus des rangs de la majorité et même signés de Mme la rapporteure, visent à exclure les fadettes des moyens d'enquête, ce qui tombe bien. Peut-être parviendrons-nous à tomber d'accord et à éviter de verser dans le complotisme !
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte les amendements rédactionnels CL97, CL98 et CL99 de la rapporteure.
Elle examine ensuite l'amendement CL63 de M. Ugo Bernalicis.
L'amendement offre l'occasion d'approfondir la différence entre enquête préliminaire et instruction. Le procureur délégué européen pourra prononcer des mesures privatives ou restrictives de liberté. Pourtant, l'article 66 de la Constitution dispose que l'autorité judiciaire, en France, est gardienne de la liberté individuelle. Cette confusion est regrettable. Surtout, si l'on se penche sur le détail du texte, le procureur européen délégué peut ordonner un placement sous contrôle judiciaire, ce qui constitue un recul pour les droits de la défense. L'intervention d'un magistrat du siège n'est prévue qu'en cas de contestation de la personne concernée ; dans notre droit interne, elle est systématique.
Avis défavorable. L'intervention du JLD laisse toute sa place au contrôle des mesures privatives de liberté. Des voies de recours sont prévues ; elles garantissent le respect des droits et des libertés de chacun. Certes, le procureur délégué peut prononcer des mesures de contrôle judiciaire mais l'intervention d'un JLD dans un délai de 72 heures est garantie.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte les amendements rédactionnels CL100, CL101 et CL102 de la rapporteure.
Elle examine ensuite l'amendement CL64 de Mme Danièle Obono.
Nous avions déposé un amendement ayant le même objet dans le cadre de l'examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Il permet la constitution de partie civile auprès du Parquet européen dans des conditions identiques à celles du droit français. L'amendement précité allait au-delà du droit français ; celui-ci est un amendement de repli, dans lequel nous nous contentons de décalquer les dispositions du droit français.
Le mécanisme prévu par le projet de loi en cas de refus de dessaisissement du juge d'instruction au profit du Parquet européen nous semble insuffisant pour garantir et préserver les droits procéduraux de la partie civile en matière pénale. Nous empruntons cette analyse au syndicat de la magistrature et à l'association Sherpa. En matière de délinquance économique et financière, les associations ont un rôle à jouer, notamment en matière de signalement. Chacun sait que les journalistes sont parfois dans l'équation, comme par exemple dans l'affaire des CumEx Files. Citons également l'exemple de la fraude à la TVA de type carrousel, qui excède le cadre de nos frontières tout en demeurant strictement européen. Il importe que nous nous donnions tous les moyens de signaler à la future autorité les infractions qu'elle pourrait poursuivre, dans l'intérêt général.
Monsieur Bernalicis, votre amendement soulève une difficulté. Pour modifier le cadre de la constitution de partie civile, vous proposez de revoir les règles régissant les débats devant le tribunal correctionnel. Son adoption aurait donc pour conséquence de réduire les droits des parties civiles. Par ailleurs, les articles 87 et 89 du code de procédure pénale permettent aux parties civiles de se constituer à tout moment au cours de l'instruction. Leurs dispositions s'appliqueront aux procédures engagées par le procureur européen délégué. La partie civile disposera donc de l'intégralité des droits prévus à l'article 89-1 du même code.
Évidemment, je me passerai de l'avis de M. le ministre, qui est méprisant, et je m'en tiendrai à celui de Mme la rapporteure, qui joue le jeu du débat, elle, ce dont je la remercie. Il s'agit d'un problème de cadre procédural. Si nous proposons de revoir les règles régissant les débats devant le tribunal correctionnel, c'est parce qu'il existe un problème d'articulation entre les juridictions pour se constituer partie civile. Si le procureur européen délégué ne s'inscrit pas dans le cadre de l'instruction au motif qu'il n'en voit pas la nécessité, il ne sera pas possible de se constituer partie civile. Tel est le problème de fond. Si nous prévoyons deux cadres procéduraux sans que l'on puisse s'y retrouver convenablement, certaines associations ne pourront plus se constituer partie civile, du moins pas dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui.
Je conçois que l'amendement ne soit pas parfaitement rédigé et que nous n'ayons pas prévu toutes les situations pouvant résulter de son adoption. Quoi qu'il en soit, la possibilité, pour les associations, de se constituer partie civile, notamment celles agréées par le ministère, est un sujet important à nos yeux, compte tenu de leur rôle dans le signalement des infractions relevant de la compétence du futur procureur européen délégué.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte les amendements rédactionnels CL103, CL104 et CL112 de la rapporteure.
Elle adopte ensuite l'article 1er modifié.
Après l'article 1er
La Commission examine l'amendement CL77 de M. Didier Paris.
Cet amendement porte sur la coopération renforcée. Les enquêtes menées au profit de l'Union européenne sont fréquemment transfrontalières dès lors que les faits sont susceptibles de se produire dans un pays donné et dans un pays limitrophe. L'amendement permet la poursuite de l'enquête dans ce second pays sans porter préjudice aux droits acquis dans le premier. Par exemple, si des autorisations d'actes privatifs de liberté doivent être obtenues en Belgique, le procureur européen délégué français doit obtenir au préalable l'autorisation du juge français.
Cet amendement tend à harmoniser la procédure prévue pour la décision d'enquête européenne (DEE) avec celle applicable aux procureurs européens délégués, en application du règlement européen. Une telle harmonisation est tout à fait justifiée.
La Commission adopte l'amendement. L'article 1er bis est ainsi rédigé.
Article 2 (art. 211‑19, 212‑6‑1, 213‑13 et 312‑8 [nouveaux] du code de l'organisation judiciaire) : Compétence du tribunal judiciaire de Paris pour connaître des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne
La Commission adopte l'amendement rédactionnel CL105 de la rapporteure.
Puis elle adopte l'article 2 modifié.
Article 3 (art. 344‑1, 344‑2, 344‑3 et 344‑4 nouveaux du code des douanes) : Compétence du Parquet européen pour connaître des infractions douanières portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne
La Commission adopte l'article 3 sans modification.
Après l'article 3
La Commission examine l'amendement CL128 du Gouvernement.
Les cotisations et contributions sociales des procureurs européens délégués nommés pour la France seront prises en charge par l'État. L'amendement tire les conséquences d'une récente décision du collège du Parquet européen en ce sens. La prise en charge par l'État préservera les droits à la sécurité sociale, comme l'exige le règlement européen.
Je remercie M. le ministre de s'être saisi rapidement de cette question, soulevée dans le cadre des auditions. À défaut, nous nous serions trouvés dans une situation de blocage dans le recrutement des futurs procureurs européens délégué. Avis favorable.
La Commission adopte l'amendement. L'article 3 bis est ainsi rédigé.
Article 4 (art. 43‑1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Droit de priorité des parquets spécialisés
La Commission adopte l'amendement rédactionnel CL107 de la rapporteure.
Puis elle adopte l'article 4 modifié.
Après l'article 4
La Commission examine l'amendement CL126 du Gouvernement.
L'amendement permet aux parquets des juridictions spécialisées d'engager des poursuites, notamment par l'ouverture d'une information judiciaire, sans attendre une plainte ou une dénonciation officielle, ce qui pourrait paralyser les investigations. Il répond à une demande des chefs de cours parisiens et facilite la poursuite des infractions commises à l'étranger, notamment dans les affaires d'accidents collectifs, de terrorisme et d'atteintes à l'environnement. Une telle condition procédurale, d'ores et déjà écartée dans certains cas, notamment les affaires d'infractions sexuelles, ne semble pas justifiée compte tenu de la gravité des infractions considérées.
Le Gouvernement présente un amendement technique dont l'utilité est évidente. Le code pénal soumet la poursuite d'infractions commises à l'étranger par ou contre un Français à une plainte préalable ou à une dénonciation officielle du pays où se sont produits les faits. Cette règle de principe fait d'ores et déjà l'objet de plusieurs exceptions dictées par l'évidence, s'agissant par exemple des accidents d'avion. Le Gouvernement propose de faire de même dans les matières couvertes par des juridictions spécialisées, ce qui me semble justifié. Avis favorable.
La Commission adopte l'amendement. L'article 4 bis est ainsi rédigé.
Puis elle examine l'amendement CL125 du Gouvernement.
L'amendement permet à la victime tenue de se déplacer à l'étranger pour un procès mené par une juridiction étrangère d'obtenir du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) une aide financière au titre des frais de voyage, de l'indemnité de comparution et de l'indemnité journalière de séjour, comme si le procès s'était tenu en France.
Il s'agit d'un amendement important pour le droit des victimes dans les affaires graves. Je remercie le Gouvernement d'avoir pris cette initiative, hors de portée des parlementaires pour des raisons de recevabilité. Avis favorable.
La Commission adopte l'amendement. L'article 4 ter est ainsi rédigé.
Puis elle examine l'amendement CL124 du Gouvernement.
L'amendement autorise qu'un procès relevant d'une juridiction pénale spécialisée puisse, si le nombre des parties civiles est très important, et sur décision du premier président de la cour d'appel, faire l'objet d'une captation sonore permettant sa diffusion en différé aux parties civiles qui en ont fait la demande.
La possibilité de retransmettre aux parties civiles les débats dans le cadre de procès de grande ampleur est une préoccupation que nous partageons. Assurer l'organisation matérielle d'une audience où sont représentées plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de parties civiles, constitue une configuration exceptionnelle ne permettant pas d'employer les salles habituelles. Avis favorable.
Nous n'avons pas pu travailler sur cet amendement du Gouvernement, mais nous en comprenons parfaitement le sens comme vient de le dire la rapporteure. Cependant, il peut y avoir une différence entre la façon dont les audiences se déroulent et la façon dont leur retransmission est perçue. À titre personnel, monsieur le garde des Sceaux, je me demande si votre amendement donne entière satisfaction aux associations de victimes, car la diffusion uniquement sonore et en différé d'un procès peut ne pas répondre aux attentes des parties civiles susceptibles de subir une grosse pression psychologique.
Dans un autre contexte, je me souviens de procès filmés pour l'histoire, où un magistrat – généralement du parquet – était expressément désigné pour exercer une médiation, c'est-à-dire pour faire le tri entre les extraits qui pouvaient être retenus et ceux qui ne pouvaient pas l'être. Or, aux termes de votre amendement, c'est au président de la juridiction qu'il reviendra d'autoriser a posteriori la rediffusion sonore des audiences.
Monsieur le garde des Sceaux, pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur ces notions délicates, même si votre amendement ne laisse en rien préjuger de la manière dont les procès pourraient être filmés à l'avenir ?
Cet amendement va plutôt dans le bon sens. Je sais que le garde des Sceaux a proposé que les audiences puissent être filmées afin d'assurer une forme de publicité des débats. Cette démarche requiert certaines conditions particulières, car les procès ne doivent pas toujours être trop visibles ou médiatiques, mais le souhait de garantir une publicité des débats au-delà de la seule présence physique à l'audience me semble de bon aloi, en particulier en cette période difficile. Je voterai donc cet amendement du Gouvernement, comme les deux précédents d'ailleurs, n'en déplaise au garde des Sceaux qui méprise mes interventions.
Cet amendement n'a pas grand-chose à voir avec la possibilité de filmer les audiences. Nous travaillons évidemment sur cette question avec toutes les précautions qui s'imposent, compte tenu des risques de parasitage. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur ce sujet ; le moment venu, nous débattrons sans doute ici de cette question.
L'amendement du Gouvernement vise à répondre à un souhait des chefs de cour. Cette démarche a déjà été mise en œuvre lors du procès de l'affaire Merah, où la santé d'un militaire partie civile ne lui permettait pas d'assister à l'audience. Cela reste aujourd'hui une faculté car il est toujours possible d'assister en personne au procès. Il arrive qu'une partie civile bénéficie d'un accès audio au procès si elle ne souhaite pas prendre part à l'ensemble des débats, pour des raisons personnelles que l'on peut comprendre ou si elle ne peut se déplacer. Cependant, la loi ne prévoit pas aujourd'hui d'alternative à la présence physique ; c'est pourquoi nous souhaitons que soit désormais mentionnée la possibilité de suivre l'audience par webradio.
La Commission adopte l'amendement. L'article 4 quater est ainsi rédigé.
Article 5 (art. 627‑1, 627‑2, 628‑1, 702, 706‑19, 706‑20 [abrogé], 706‑21, 706‑22 et 706‑25‑2‑1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Extension des compétences du parquet national antiterroriste
La Commission est saisie de l'amendement CL21 de M. Jean-Félix Acquaviva.
L'article 5, notamment ses alinéas 6 à 8, consacre l'élargissement du champ de compétences du parquet national antiterroriste (PNAT), auquel sont désormais intégrés, de manière assez large, les crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la nation. Chacun sait que ces derniers ne relèvent pas nécessairement du terrorisme. Or, du fait de la saisine du PNAT, on pourrait y apporter des réponses pénales d'exception. Il s'agit là d'un glissement vers quelque chose que nous refusons.
Vous soulevez une vraie difficulté : les crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la nation concernent principalement l'espionnage et la trahison, et ils ne se limitent pas à ces domaines. Avis favorable.
Le Gouvernement est également favorable à cet amendement. Les affaires d'espionnage de cybercriminalité, par exemple, n'ont pas forcément de lien avec le terrorisme. Le Gouvernement est convaincu de la nécessité d'une compétence concurrente nationale en matière d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. L'attribution d'une compétence spéciale au procureur antiterroriste paraissait initialement pertinente ; néanmoins, je suis sensible aux arguments développés. Le PNAT a d'ailleurs lui-même changé d'analyse.
Pour être franc, les députés du groupe La République en marche ont également considéré que cette extension soulevait une difficulté, notamment à la lecture des propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Un rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) évoque d'ailleurs un possible rapprochement entre les intérêts fondamentaux de la nation et certaines notions environnementales. Au vu de cette incertitude, mon groupe est plutôt favorable à cet amendement, auquel nous nous associons volontiers.
La Commission adopte l'amendement.
Elle examine l'amendement CL79 de M. Didier Paris.
En France, il est fréquent qu'une juridiction saisie requalifie ou disqualifie les faits dont elle est saisie. Il nous a semblé normal qu'une juridiction saisie de faits initialement qualifiés d'actes de terrorisme demeure compétente en cas de disqualification des faits. Nous éviterons ainsi des allers-retours entre juridictions, qui sont absolument déplorables, notamment pour les victimes.
La Commission adopte l'amendement.
Elle examine l'amendement CL19 de M. Didier Paris.
Cet amendement de cohérence vise à éviter toute contestation, devant le juge répressif, de la transmission de renseignements particuliers par le procureur de la République antiterroriste.
Sur le fond, je suis favorable à votre initiative, qui vient effectivement combler une lacune de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Sur la forme, en revanche, je me demande si la rédaction que vous proposez permet bien de parvenir à l'objectif poursuivi. Je vous invite à retirer votre amendement et à revoir sa rédaction en vue de la séance publique.
Le Gouvernement partage évidemment l'objectif poursuivi par cet amendement, qui procède à une mesure de coordination afin de tirer toutes les conséquences de la création du parquet national antiterroriste. Toutefois, la question de l'échange d'informations entre le parquet antiterroriste et les services spécialisés de renseignement, abordée à l'article 706‑25‑2 du code de procédure pénale, nécessite d'autres aménagements, auxquels nous réfléchissons actuellement. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
Je comprends la difficulté que peut poser mon amendement, notamment dans le domaine du renseignement. Je le retire.
L'amendement est retiré.
La Commission examine les amendements identiques CL123 de la rapporteure, CL134 du Gouvernement et CL78 de M. Didier Paris.
Des juridictions spécialisées ont été créées pour prendre en charge des affaires d'une technicité et d'une complexité particulières ; c'est la raison pour laquelle on trouve, par exemple dans les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) ou auprès du parquet national financier (PNF), des assistants spécialisés. Ce ne sont pas des magistrats, mais des experts de la matière traitée, qui décryptent des situations très pointues pour le compte des magistrats qu'ils accompagnent, permettant un meilleur traitement des dossiers. Il serait tout à fait légitime que le PNAT dispose lui aussi d'assistants spécialisés, qui seraient des experts ; or, il ne peut pas en recruter aujourd'hui, parce que la loi ne le lui permet pas. Tel est l'objet des amendements déposés par M. Paris et moi-même. Je remercie M. le garde des Sceaux d'avoir déposé un amendement identique, qui a permis à notre initiative de survivre au contrôle de l'article 40 de la Constitution.
Le Gouvernement a effectivement déposé un amendement identique : je ne peux donc qu'y être favorable, par cohérence !
La Commission adopte ces amendements.
Elle adopte ensuite l'article 5 modifié.
Après l'article 5
La Commission est saisie de l'amendement CL80 de M. Didier Paris.
Cet amendement octroie au PNAT la compétence en matière de centralisation des demandes d'entraide venant du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda.
La Commission adopte l'amendement. L'article 5 bis est ainsi rédigé.
Article 6 (art. 706‑76, 706‑95‑13 et 706‑95‑15 [abrogé] du code de procédure pénale) : Coordinations rédactionnelles et légistiques
La Commission examine l'amendement CL50 de M. Matthieu Orphelin.
L'alinéa 4 prévoit qu'en cas d'urgence ou d'atteinte grave aux personnes ou aux biens, le juge d'instruction peut prendre des mesures appropriées sans avis préalable du parquet. Je ne suis pas complètement défavorable à l'amendement de M. Orphelin, qui vise à élargir ce dispositif aux atteintes à l'environnement.
Je comprends bien la préoccupation de nos collègues s'agissant des atteintes à l'environnement. Cependant, je rappelle que les atteintes aux biens – un terme qui disparaît dans la rédaction proposée par l'amendement – peuvent aussi concerner des enjeux environnementaux, en particulier dans la section du code pénal consacrée aux destructions, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes. Le terme de biens est juridique ; on ne peut pas le supprimer sans conséquence. Avis défavorable.
Si je comprends bien, cet amendement vous conviendrait mieux s'il portait sur les atteintes aux personnes, aux biens et à l'environnement. Je précise que M. Orphelin a repris une proposition de France Nature Environnement.
La Commission rejette l'amendement.
Elle adopte l'article 6 sans modification.
Article 7 (art. 705 du code de procédure pénale) : Attribution d'une compétence concurrente au parquet national financier et aux juridictions parisiennes en matière de pratiques anticoncurrentielles
La Commission adopte l'article 7 sans modification.
Après l'article 7
La Commission est saisie de l'amendement CL66 de M. Ugo Bernalicis.
Cet amendement supprime la procédure de convention judiciaire d'intérêt public (CJIP), à laquelle nous sommes opposés non seulement en matière environnementale – un amendement spécifique y sera consacré –, mais également en matière fiscale, où ce dispositif a été introduit par la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.
Nous y sommes opposés pour plusieurs raisons, mais d'abord par principe car une convention judiciaire, même rendue publique, n'équivaut pas à une reconnaissance de culpabilité. Certes, elle permet d'atteindre les objectifs fixés, c'est-à-dire, pour faire simple, de remplir rapidement les caisses de l'État. Dans votre esprit, une procédure pénale est longue, laborieuse, et ne donne aucune assurance quant au jugement finalement rendu – les magistrats du siège sont indépendants – et au recouvrement effectif de la somme, qui peut aussi faire l'objet d'un contentieux. Néanmoins, le procès pénal permet d'assurer le respect des principes républicains, démocratiques – la justice est rendue au nom du peuple français –, que la CJIP ne garantit pas. Certaines entreprises ont bien intégré l'intérêt de cette procédure, qui existe aux États-Unis et dans un certain nombre de pays anglo-saxons : elle permet d'anticiper leurs contentieux et de les budgétiser, d'autant que son fonctionnement est encadré par des lignes directrices rendues publiques. J'imagine que, demain, en matière environnementale, ce sera exactement la même chose.
Je suis opposé à cette logique, non que je ne veuille pas remplir les caisses de l'État, mais parce que je tiens à ce que s'applique la procédure pénale classique plutôt que cette procédure dégradée, transactionnelle.
J'ai un point de vue radicalement opposé à celui de M. Bernalicis quant à l'utilité et à l'efficacité de la CJIP financière. Je rappelle tout d'abord que cette procédure a été instaurée par la majorité précédente, dans le cadre de la loi dite Sapin 2. Ce n'est pas qu'une question d'argent même si la CJIP rapporte – le montant des amendes est calculé en fonction du chiffre d'affaires. Surtout, elle permet d'imposer des programmes de mise en conformité suivis par l'Agence française anticorruption (AFA), et donc de faire de la pédagogie et de la surveillance sur ces questions financières. Tout cela fait de la CJIP un outil dont l'efficacité est globalement reconnue.
Il y a l'idéologie et il y a l'efficacité. Or, tout démontre que la CJIP est efficace, en termes de montant des amendes et de mise en conformité des entreprises. Nous n'avons aucune raison de nous priver de cet outil qui fonctionne bien. J'entends que l'on puisse s'y opposer, mais pour des raisons qui, à l'évidence, ne peuvent tenir à son efficacité. J'ajoute que beaucoup d'entreprises craignent la médiatisation qui suit la publication, systématique, sur le site internet de l'Agence française anticorruption, et qui est évidemment une incitation à se mettre au pas. Je suis donc totalement défavorable à cet amendement.
L'outil est efficace au regard des critères d'efficacité que vous fixez ! Mais s'il s'agit d'éviter la réitération de l'infraction et de faire en sorte que soit prononcée une sanction pénale, alors la CJIP est totalement inefficace. Cela dépend de ce que l'on veut !
Pour notre part, nous croyons qu'une procédure pénale emporte une certaine légitimité permettant d'entraîner le soutien de la population et la confiance de nos concitoyens dans la justice. Avec les programmes de mise en conformité, la CJIP consiste surtout en une petite tape sur l'épaule des personnes morales ; l'entreprise communique en concédant une faute et en promettant qu'elle ne recommencera plus jamais ! Or, des entreprises ayant déjà conclu une CJIP continuent d'être rattrapées « par la patrouille »… Cette situation perdurera malheureusement, dans la mesure où la fraude offre un avantage compétitif. C'est un peu un pousse-au-crime, mais c'est le capitalisme financiarisé qui veut cela. Je sais que ce n'est pas votre domaine, monsieur le garde des Sceaux, mais ce n'est pas la peine de dodeliner du chef…
Madame la présidente, lorsque le ministre a été irrespectueux avec moi, à quel moment avez-vous protesté ? Allez-y, je vous écoute ! De toute façon, les Français regarderont la vidéo : ils verront par eux-mêmes…
S'il vous plaît, monsieur Bernalicis ! Je vous demande de respecter ma présidence ainsi que les interventions du ministre. Depuis trois ans et demi que vous êtes membre de la commission des Lois, vous n'avez pas eu à vous plaindre, à quelque moment que ce soit, d'un manque d'impartialité de ma part.
Si ! Lors de l'affaire Benalla, par exemple ! Mais ce n'est pas le moment de ressortir les vieux dossiers…
C'est absolument ridicule, monsieur Bernalicis, et vous le savez très bien. Vous n'avez plus la parole. Mme la rapporteure et M. le garde des Sceaux vont vous répondre.
Votre argument ne tient pas, monsieur Bernalicis. Le droit pénal, ce n'est pas seulement la répression ou la sanction, c'est aussi les alternatives aux poursuites et la transaction. Le mécanisme de la CJIP est encadré. Il ne se déroule pas uniquement entre les parties : le juge intervient pour homologuer la convention, qui doit respecter des critères très précis. Une CJIP doit prévoir le paiement d'une amende, qui peut être importante, ainsi que la réparation du préjudice subi par la victime ; elle peut également comporter un programme de mise en conformité. Il s'agit d'un outil puissant, aussi au service du droit pénal.
À ce jour, la CJIP a permis le recouvrement de 3,032 milliards d'euros et le versement au fisc de 662 millions d'euros de dommages et intérêts. Cela étant, monsieur le député, je suis ravi que vous rendiez hommage à la justice traditionnelle !
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine les amendements identiques CL119 de la rapporteure et CL81 de M. Didier Paris.
Comme vous l'avez compris, je suis favorable à la CJIP, que je propose de renforcer sur quatre points. Mon amendement vise à étendre le mécanisme au blanchiment de corruption et au blanchiment de trafic d'influence ; à prévoir, en cohérence avec ce qui se fera dans le domaine environnemental, la publicité obligatoire sur le site internet des ministères de la justice et du budget, car celui de l'Agence française anticorruption n'est pas assez visible ; à supprimer la condition de reconnaissance des faits dans les conventions conclues à l'issue d'une instruction judiciaire, puisque ce traitement différencié par rapport aux conventions conclues au cours de l'enquête ne se justifie pas ; à mettre les frais de justice à la charge de la personne morale concernée.
Je m'oppose à ces amendements. Si la CJIP ne peut s'appliquer actuellement aux faits de blanchiment de corruption et de trafic d'influence, c'est parce que ces accusations sont suffisamment graves pour que soit organisé un procès, avec toutes les garanties qu'il comporte, notamment le principe de publicité. J'expliquais tout à l'heure que nous assistions, depuis plusieurs années, à une transformation progressive de notre système juridique avec des effets cliquets. La mise en place d'un Parquet européen va nécessairement irriguer le droit français, et c'est logique – je ne vous parle pas d'un complot. Nous franchissons des seuils et nous finirons par abandonner le principe de la reconnaissance de culpabilité. Une CJIP n'est pas une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) : le seul principe qui s'applique est la publicité.
Quant aux programmes de mise en conformité suivis par l'Agence française anticorruption, on pourrait très bien imaginer que cette dernière en soit saisie dans le cadre d'un procès pénal classique : ce n'est donc pas un argument que de présenter cette possibilité comme un avantage extraordinaire de la CJIP.
La Commission adopte ces amendements.
Elle est saisie de l'amendement CL117 de la rapporteure.
Les CJIP ne s'adressent aujourd'hui qu'aux personnes morales. Aussi mon amendement vise-t-il à préciser que, dans la perspective d'une convention passée avec une personne morale, le procureur de la République engage également, avec les personnes physiques concernées par l'affaire, une composition pénale – il s'agit d'une procédure alternative aux poursuites qui se rapproche de la CJIP. Il me semble important de gagner en cohérence sur ce point et de ne pas créer d'inégalité de traitement entre les personnes morales et physiques. On peut difficilement comprendre qu'une même procédure se termine par une transaction d'un côté et par des poursuites classiques de l'autre. Je vous propose, par cohérence, de lier le sort des entreprises à celui des personnes, et d'adapter pour cela à la marge la procédure de composition pénale.
Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. Nous estimons que le procureur doit pouvoir proposer le mode de poursuite le plus adapté aux faits commis en fonction de leur gravité, de leur date et du degré d'implication des personnes concernées. Il ne nous semble pas possible de prévoir a priori un mode de poursuites unique pour des faits qui seront nécessairement variés. Le fait que le procureur de la République ait proposé une CJIP à la personne morale ne préjuge en rien des faits commis par ses représentants légaux, actuels ou anciens. Le parquet peut vouloir engager d'autres poursuites devant un tribunal ; la composition pénale peut être inadaptée.
La tentation pourrait être grande de continuer le mouvement engagé en étendant la CJIP aux personnes physiques. Dans cette optique, la composition pénale apparaît à peu près cohérente, tant dans la temporalité que dans les moyens mis en œuvre et dans la liberté laissée au procureur de gérer lui-même la procédure. Il me paraît extravagant de prévoir que le procureur propose une composition pénale : à partir du moment où il propose une CJIP à une entreprise, il est en fait contraint d'engager une démarche de composition pénale avec les personnes physiques. Cela pose un problème : autant nous pouvons entendre qu'une entreprise n'est qu'une personne morale et qu'elle continuera de fonctionner avec d'autres dirigeants, autant il est inacceptable qu'un dirigeant ayant commis une faute lourde, de corruption ou de blanchiment aggravé par exemple, ne fasse pas l'objet d'un projet pénal, avec toutes les garanties que cela comporte. Pour une faute aussi grave, un justiciable lambda ne pourrait pas bénéficier d'une composition pénale !
Dès lors que vous instaurez la CJIP, vous irriguez l'ensemble du droit pénal français de cette idéologie particulière et vous déclinez cette procédure dans les autres domaines. Je ne vous en fais pas grief puisque vous suivez une certaine logique. Pour ma part, je soutiens la logique inverse : je préférerais supprimer la CJIP pour synchroniser le procès pénal de la personne physique avec celui de la personne morale.
J'ai bien entendu les arguments de poids formulés par M. le garde des Sceaux. Je retire donc mon amendement, même s'il demeure une inégalité de traitement qui devra être corrigée.
L'amendement est retiré.
La Commission en vient à l'amendement CL59 de M. Jean-Félix Acquaviva.
Nous demandons au Gouvernement de remettre au Parlement, dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi, un rapport évaluant l'efficacité de l'arsenal législatif français en vigueur afin de lutter contre la criminalité organisée ou les associations de type mafieux dans le pays. Depuis une dizaine d'années, du fait de la récurrence des assassinats, des règlements de comptes et des actes à caractère mafieux, un certain nombre d'individus et, surtout, d'associations et de collectifs structurés plaident pour la création en France d'un délit d'association mafieuse similaire à ce qui existe en Italie. Pour justifier leur demande, ils mettent en avant le faible taux d'élucidation de ces homicides ou de ces actes.
Deux écoles s'affrontent en la matière. Certains estiment que l'arsenal juridique français comporte les outils nécessaires pour poursuivre ces bandes criminelles qui correspondent peu ou prou aux associazione di tipo mafioso évoquées à l'article 416 bis du code pénal italien. Les concepts d'association de malfaiteurs et de bande organisée seraient suffisants pour poursuivre les actes préparatoires. D'autres considèrent que le dispositif juridique français est trop éparpillé et pas assez efficace, notamment pour atteindre les donneurs d'ordres et frapper efficacement ces organisations. Il y aurait une déficience d'ordre culturel : les Français considéreraient que le phénomène mafieux n'existe qu'en Italie. En témoigne le manque de statistiques sur les rackets subis par les entreprises et commerçants en France, bien que l'on sache cette pratique suffisamment répandue pour être inquiétante. Il ne s'agit pas, bien sûr, d'en appeler à une répression générale à travers une législation d'exception. Cependant, compte tenu de la gravité de ces faits et de leurs répercussions sur la société, il serait utile que le Gouvernement rédige un tel rapport qui permettrait de cheminer sur ce sujet.
La criminalité organisée est évidemment un sujet de préoccupation majeur, mais ce thème est régulièrement abordé au sein de la commission des Lois, dans les ministères et dans d'autres instances. Un rapport supplémentaire ne me paraît donc pas opportun.
Permettez-moi de donner quelques exemples de travaux menés récemment. Nous avons voté la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. Les députés Ugo Bernalicis et Jacques Maire ont rendu en mars 2019 un rapport d'information sur l'évaluation de la lutte contre la délinquance financière. Enfin, M. François Molins a remis en juillet 2019 le rapport de son groupe de travail sur les JIRS, qui porte notamment sur la criminalité organisée.
Avis défavorable également. De façon générale, le Gouvernement n'est pas favorable à la multiplication des rapports ; le Parlement dispose déjà de moyens d'information et de contrôle de l'activité gouvernementale.
Je remercie la rapporteure d'avoir cité le rapport d'information que Jacques Maire et moi-même avons rédigé. Un rapport d'application pourrait d'ailleurs suivre au début de l'année 2021. Nous ne nous interrogions pas tant sur la procédure judiciaire que sur les moyens dont disposent les différents services des ministères de la justice, de l'intérieur et, évidemment, de l'économie et des finances. Nous avions notamment proposé de créer un outil de pilotage de la lutte contre la fraude fiscale en ajoutant les statistiques des ministères de la justice et de l'intérieur dans le document de politique transversale consacré à ce sujet, à côté des chiffres du ministère des finances. Or, bien qu'un amendement en ce sens ait été adopté l'année dernière, le Gouvernement n'a pas fourni cette année les éléments statistiques demandés. J'ai envoyé des courriers qui sont restés sans réponse, mais je ne désespère pas d'obtenir ces chiffres l'année prochaine – il faut garder un certain optimisme !
La Commission rejette l'amendement.
Article 8 (art. 41‑1‑3, 180‑8, 706‑2‑3 [nouveaux] et 706‑107 du code de procédure pénale) : Procédure de lutte contre les atteintes à l'environnement
La Commission examine les amendements identiques CL15 de Mme Marie-George Buffet, CL37 de Mme Cécile Untermaier et CL65 de Mme Danièle Obono.
L'amendement CL37, évoqué dans la discussion liminaire, supprime en matière environnementale la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP). Il s'agit avant tout d'un amendement d'appel car nous redoutons qu'un tel cadre n'apporte pas les garanties souhaitées concernant les atteintes à la biodiversité et à l'environnement.
La CJIP, qui est finalement une amende négociée, n'emporte pas de reconnaissance de culpabilité. Le point n'est pas négligeable car s'il y a culpabilité et condamnation pénale, une autre sanction réside dans l'exclusion des appels d'offres sur des marchés internationaux. Que l'acteur qui se fait attraper reçoive une petite tape sur l'épaule, paie, et que rien ne change me semble insatisfaisant. Je préfère que tout cela se discute lors d'un procès public, avec les parties visibles, et que la formation de jugement indépendante se prononce à l'issue des débats.
Mon opposition à la CJIP vaut plus encore sur les atteintes environnementales. Autant en matière économique, je veux bien comprendre qu'il faille vite récupérer l'argent, autant, en matière environnementale, le préjudice est déjà là. Une somme d'argent ne le réparera pas nécessairement même si elle peut y concourir. Mieux vaut une intervention rapide de la part des services de l'État pour faire cesser une infraction – par exemple, déverser du ciment dans la Seine –, qu'une somme d'argent, pour pouvoir éventuellement continuer de la commettre.
Le problème de la CJIP est qu'elle prévoit une amende en proportion du chiffre d'affaires. Certes, la somme peut être élevée. Mais nous avons vu, par exemple dans le cas d'UBS, que l'amende prononcée en jugement a été bien supérieure à la transaction qui avait été envisagée – 3,8 milliards d'euros contre 2 milliards. Il n'est donc pas vrai de dire que la CJIP permet de récupérer les plus grosses sommes. Il est en revanche exact d'affirmer que la procédure est rapide. C'est bien le seul argument que je puisse entendre. Néanmoins, si l'on veut accélérer la réponse pénale et le procès pénal, il faudrait embaucher davantage de magistrats : cela permettrait aussi d'être plus rapide.
Mon avis sur ces amendements sera naturellement défavorable compte tenu des positions que j'ai exprimées. Je m'étonne que le groupe Socialistes et apparentés se montre hostile à la procédure qu'il a lui-même initiée et qui fonctionne plutôt bien.
La CJIP reste un mécanisme de justice, y compris en matière environnementale. D'abord, l'amende infligée peut représenter 30 % du chiffre d'affaires. C'est bien au-delà de ce que prévoit la répression des délits de l'environnement. Ensuite, la transaction traitera la question du dommage écologique et sa réparation bien plus vite que n'importe quelle procédure judiciaire. Alors que la CJIP se conclut en trois mois, les procès peuvent durer des années, aggraver les préjudices voire les rendre irréparables. De la même manière, le préjudice de la victime, s'il est identifié, sera réparé. Enfin, atout majeur, la CJIP comprend l'obligation de suivre un programme de mise en conformité, sous le contrôle des services du ministère de la transition écologique chargés de la police de l'environnement. Cela signifie aller voir dans les entreprises ce qui s'y passe et faire de la pédagogie sur la question environnementale.
C'est une avancée majeure. Je préfère une transaction qui sanctionne les mauvais comportements tout en réparant les dommages occasionnés, à des procès pouvant durer des années, face à des groupes qui peuvent aussi se blanchir au bénéfice de la moindre nullité de procédure. En bref, dans ces cas, mieux vaut un bon accord qu'un mauvais procès.
Je n'ai rien à ajouter aux propos complets de Mme la rapporteure. Le dispositif est soutenu par de nombreuses associations de protection de l'environnement. Il faut redire son efficacité : l'amende peut aller jusqu'à 30 % du chiffre d'affaires. De telles sommes ne peuvent être atteintes dans un procès au pénal. En outre, une remise en état est obligatoire, qui ne peut se faire que rapidement. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement pense que la CJIP est un outil adapté à la matière environnementale.
J'avais pris la précaution de dire que l'amendement présenté était un amendement d'appel.
Vous avez raison, madame la rapporteure, de signaler que nous avions été les auteurs de la convention judiciaire d'intérêt public. Une transaction conclue est évidemment préférable à un procès qui met des années à aboutir. Je suis d'accord avec vous pour dire que le dispositif va dans le bon sens : il faudra que la justice environnementale accompagne l'écologie. C'est pourquoi nous retirons l'amendement.
L'amendement CL37 est retiré.
La Commission rejette les amendements CL15 et CL65.
Puis elle examine les amendements identiques CL34 de Mme Cécile Untermaier et CL38 de M. Jean-Félix Acquaviva.
L'amendement, suggéré par le Conseil national des barreaux, ajoute au dispositif de convention judiciaire d'intérêt public la personne physique mise en cause au même titre que la personne morale. N'ayant pas eu le temps d'expertiser la proposition – le rythme de la commission des Lois ne le permet pas –, je la livre telle quelle pour que nous puissions en discuter.
Comme nous l'avions indiqué, nous sommes favorables à l'extension du mécanisme transactionnel de la convention judiciaire d'intérêt public pour lutter contre les atteintes à l'environnement. Néanmoins, nous suivons la position de différents praticiens, notamment le Conseil national des barreaux, qui vise à étendre cette convention aux personnes physiques intrinsèquement liées aux personnes morales mises en cause.
Vous l'aurez compris, je suis plutôt favorable au principe et à l'esprit de ces amendements : j'avais d'ailleurs déposé un amendement similaire passant par la procédure de composition pénale. Je ne crois toutefois pas que la CJIP puisse être étendue à une personne physique car cette dernière, outre qu'elle ne dégage pas nécessairement un chiffre d'affaires, ne saurait se voir contrôlée par l'Agence française anticorruption. On ne peut pas non plus imaginer de dispositifs d'alertes internes, comme le prévoit la loi pour les entreprises visées. Les critères fixés ne peuvent pas s'appliquer à une personne physique. Avis défavorable.
Avis défavorable pour la même raison. La CJIP a vocation à s'appliquer pour – ou plutôt contre – une personne morale. Je vois difficilement comment elle pourrait s'appliquer à une personne physique. Pour les différentes raisons évoquées – le chiffre d'affaires, la nécessité de remettre en conformité –, l'outil ne me paraît pas adapté.
La Commission rejette ces amendements.
Elle examine ensuite l'amendement CL41 de Mme Cécile Untermaier.
Il s'agit d'un amendement de repli. En l'état actuel, la victime d'un préjudice écologique ne peut ni provoquer la CJIP, ni s'opposer à sa proposition. Elle ne participe pas non plus à la négociation de son contenu. Elle ne peut que transmettre au procureur de la République tout élément permettant d'établir la réalité et l'étendue de son préjudice. Nous avons imaginé préciser que, à leur demande, le procureur de la République entend les victimes du préjudice écologique subi et les associations de protection de l'environnement agréées avant la conclusion de la convention judiciaire d'intérêt public.
C'est un amendement de bon sens, qui paraît satisfait par l'alinéa 8 de l'article 8. Celui-ci dispose que, lorsque la victime est identifiée, et sauf si la personne morale mise en cause justifie de la réparation de son préjudice, la convention prévoit également le montant et les modalités de la réparation des dommages causés par l'infraction dans un délai qui ne peut être supérieur à un an. Il est certain que l'identification du dommage et la détermination du préjudice ne peuvent s'effectuer sans des expertises et des auditions des personnes concernées. Je n'imagine pas que le procureur de la République puisse procéder autrement.
La CJIP n'intervient qu'à l'issue d'une enquête préliminaire ou d'une instruction au cours desquelles les victimes sont forcément entendues. Pour ces raisons, j'émets un avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l'amendement CL16 de M. Stéphane Peu.
Puis la Commission examine l'amendement CL87 de Mme Cécile Untermaier.
La CJIP évite le risque d'atteinte à la réputation de la personne morale en cause, la convention étant négociée à l'écart des médias et de la société civile. Afin de renforcer le caractère dissuasif des sanctions pécuniaires, il importe, dans un souci de transparence, de garantir une publicité dans la presse locale. L'amendement s'inspire d'une disposition adoptée lors de l'examen de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), laquelle renforçait le dispositif de la loi du 9 décembre 2016, dite Sapin 2, qui a instauré la publication systématique des sanctions infligées par l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation.
L'amendement prévoyait notamment la publication de la décision de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) dans un organe de presse habilité à recevoir des annonces judiciaires et légales, accompagnée de sanctions en cas d'inexécution de l'obligation.
L'amendement paraît satisfait par les dispositions en vigueur à l'article 41-1-2 du code de procédure pénale, auquel le projet de loi renvoie pour les modalités d'application de la CJIP environnementale. Ces dispositions prévoient que l'ordonnance de validation, le montant de l'amende d'intérêt public et la convention sont publiés. En matière financière, vous pourrez les retrouver par une simple consultation d'un moteur de recherche.
Vous venez en outre de voter un amendement qui accroît l'obligation de publicité, en prévoyant une publication sur des sites internet ministériels, ce qui devrait pleinement vous rassurer.
Le texte prévoit une publication sur le site des ministères de la justice et de l'environnement, ainsi que de la commune sur le territoire de laquelle l'infraction a été commise. Il s'agit donc d'une publicité substantielle que nous estimons suffisante.
L'information sur un site n'équivaut pas à celle parue dans un organe de presse. Récemment, une diffamation à l'égard d'un élu a fait l'objet d'un encadré dans la presse. Le partage d'un comportement négatif est très porteur. Il faudrait corriger le caractère secret de la convention, pour permettre à chacun d'être informé de ce dispositif.
J'entends ce que vous dites. C'est juste. Cependant, le caractère relativement confidentiel fait aussi partie des éléments d'attractivité de la CJIP.
La Commission rejette l'amendement.
Elle adopte l'amendement de précision CL109 de la rapporteure.
Elle est ensuite saisie des amendements identiques CL3 de la commission du Développement durable et CL25 de Mme Cécile Untermaier.
L'amendement CL3 étend les compétences des pôles régionaux spécialisés en matière d'atteintes à l'environnement à des infractions ayant un fort impact environnemental mais qui sont inscrites dans d'autres codes que le code de l'environnement – en particulier le code forestier et le code minier.
Je vous remercie pour ces amendements de bon sens. Toutes les infractions environnementales ne figurent pas dans le code de l'environnement. C'est par exemple le cas en matière d'activité minière, où le législateur a prévu un code dédié, alors que les manquements ont bel et bien une influence forte sur les milieux. Il est bon que les mêmes juges soient en charge des dossiers suivant les mêmes logiques.
La Commission adopte ces amendements.
Puis elle examine l'amendement CL10 de la commission du Développement durable.
Cet autre amendement rend possible l'exercice des fonctions d'assistant de justice spécialisé, dans les pôles régionaux spécialisés instaurés par l'article 8 du projet de loi, à des fonctionnaires de catégorie A et B relevant du ministère de l'environnement.
Avis favorable également. L'amendement est de bon sens.
La Commission adopte l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement CL4 de la commission du Développement durable.
L'amendement vise à supprimer la compétence du tribunal judiciaire de Paris concernant les affaires de pollution des eaux maritimes présentant une grande complexité, afin qu'elles relèvent de la compétence des juridictions spécialisées du littoral.
La Commission adopte l'amendement.
Elle adopte l'article 8 modifié.
Après l'article 8
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL53 de M. Matthieu Orphelin, CL44 de M. Dominique Potier et CL127 du Gouvernement.
L'amendement prévoit de désigner un tribunal judiciaire dans le ressort de chaque cour d'appel, suivant la même répartition territoriale que celle des pôles spécialisés en matière d'atteintes à l'environnement. En complément de l'amendement du Gouvernement, le tribunal judiciaire spécialement désigné serait également compétent pour connaître des actions relatives au devoir de vigilance des entreprises prévues aux articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code du commerce.
Les affaires en cours sur le devoir de vigilance – Total Ouganda ou Total climat Affaire du siècle – s'engluent dans des débats sur la compétence, les entreprises soutenant que seuls les tribunaux de commerce devraient être compétents. Or, l'expérience des juges consulaires ne permet pas forcément de saisir tous les enjeux, le plus souvent liés à des atteintes à l'environnement et de nature extraterritoriale. La mission d'inspection G6 pour l'environnement, qui qualifiait les obligations de vigilance de nature civile, recommandait de confier la compétence des actions de vigilance aux juridictions spécialisées. C'est ce que vise mon amendement. À l'heure où la Commission européenne travaille à élaborer un devoir de vigilance européen, en prenant exemple sur la loi de notre collègue Dominique Potier, et où de nombreux partenaires étrangers s'appuient sur les dispositions françaises pour porter des plaidoyers en faveur des biens communs, il apparaît indispensable d'élargir la compétence de ces juridictions civiles spécialisées aux actions ayant trait au devoir de vigilance.
L'amendement du Gouvernement vise à parfaire le dispositif de lutte contre les atteintes à l'environnement en spécialisant, au sein de chaque cour d'appel, une véritable juridiction sur les sujets relatifs à l'environnement.
Le texte voté par le Sénat a créé des pôles spécialisés en matière pénale. L'amendement en complète le dispositif en matière civile. Il permettra de spécialiser les magistrats dans ce contentieux, souvent technique, d'en renforcer la cohérence et la visibilité, et d'accélérer le traitement des procédures. C'est d'ailleurs une recommandation de la Convention citoyenne pour le climat et du rapport conjoint de l'inspection générale de la justice et du conseil général de l'environnement et du développement. Ces tribunaux spécialisés, en matière tant civile que pénale, pourront se positionner comme acteurs forts de la protection environnementale, au niveau de chaque cour d'appel, en assurant une véritable animation de la politique pénale dans le ressort et en garantissant un suivi resserré des contentieux.
Je crois pouvoir dire sans risque que la Commission partagera l'objectif d'un meilleur traitement judiciaire du contentieux environnemental. C'est un point sur lequel nous serons d'ailleurs d'accord avec la Convention citoyenne pour le climat.
Les amendements prévoient globalement une spécialisation civile sur les enjeux environnementaux. Nous nous donnons les moyens d'une justice environnementale, avec des enquêteurs et des magistrats spécialisés, pour répondre à la technicité du droit de l'environnement. Je suis très favorable à la création d'une telle juridiction, avec une préférence pour l'amendement du Gouvernement. Quant au devoir de vigilance qu'a évoqué M. Orphelin, il déborde la compétence environnementale puisqu'il traite à la fois du droit de l'environnement et des atteintes aux droits de l'homme.
Les trois amendements comprennent en effet une partie commune. Si je retirais l'amendement CL53, comment pourrions-nous avancer sur le devoir de vigilance ? Les deux affaires que j'ai citées ont du mal à avancer. Les entreprises réfutent la compétence des tribunaux. Ce n'est pas un sujet simple car nous rencontrons les difficultés que pose l'application de la loi. Comment comptez-vous avancer sur le devoir de vigilance, monsieur le ministre ?
Nous attendons une décision de la cour d'appel de Versailles sur ces questions. Le tribunal de Nanterre s'était prononcé en première instance. Pour le reste, la question est complexe. Nous estimons que l'amendement que nous présentons est équilibré, ou moins déséquilibré.
L'amendement CL53 vise véritablement à avancer sur le devoir de vigilance. Peut-être pourrions-nous réfléchir d'ici à la séance publique à une façon de l'inscrire dans le dispositif ?
Les amendements CL53 et CL44 sont retirés.
La Commission adopte l'amendement CL127. L'article 8 bis A est ainsi rédigé.
Elle examine ensuite l'amendement CL83 de M. Didier Paris.
L'amendement est simple : les fonctionnaires de l'environnement pouvant disposer de pouvoirs de police judiciaire, il paraît naturel, pour la bonne marche des enquêtes et leur suivi, de leur permettre d'assister aux actes menés par les officiers de police judiciaire (OPJ), qu'il s'agisse de perquisitions ou d'interrogatoires. Les fonctionnaires d'administration ne réalisent évidemment pas les actes d'enquête, comme les OPJ, mais y assistent.
L'amendement, qui n'est pas si simple même s'il est très intéressant, vient améliorer un point précis de la procédure pénale. Il vise les situations dans lesquelles les compétences techniques des inspecteurs de l'environnement sont appelées à appuyer les prérogatives de la police judiciaire dans le cadre d'une co-saisine par un magistrat. Avis favorable.
Je suis aussi favorable à cet amendement. Nous en déposerons peut-être également, pour étendre son champ à d'autres fonctionnaires, en séance publique. Nous l'avions vu lors de la présentation du rapport sur la délinquance économique et financière, le modèle de l'inspecteur fiscal judiciaire (IFJ) – décalque de l'OPJ mais pour des membres de l'inspection des finances publiques –, qui apportait un concours à l'enquête, était apprécié à la fois des inspecteurs fiscaux judiciaires et des policiers. Les premiers aimaient diversifier leur métier : ils sortaient du champ administratif pour entrer dans le champ judiciaire. Les seconds, au terme du cursus interne classique de la police nationale, y voyaient la possibilité d'acquérir des compétences techniques dont ils ne disposaient pas par ailleurs.
Je le dis à mes collègues de la majorité : je souhaiterais pouvoir avancer sur ce point pour les inspecteurs du travail, les inspecteurs de l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), tous ces fonctionnaires chargés d'une police administrative mais qui manquent parfois à l'enquête pour les magistrats, dans des domaines plus spécifiques et pointus.
La Commission adopte l'amendement. L'article 8 bis B est ainsi rédigé.
Elle est saisie de l'amendement CL133 du Gouvernement.
L'amendement a pour objet la création d'officiers de police judiciaire de l'environnement. Il permet à certains inspecteurs de l'environnement de mettre en œuvre l'ensemble des prérogatives dont disposent les officiers de police judiciaire dans le cadre d'enquêtes environnementales, telle la possibilité de procéder à des perquisitions ou des gardes à vue. Cela crédibilise le travail de ces agents ; cela permet à la justice environnementale d'avancer.
L'amendement est le pendant de celui dont nous venons de discuter, puisqu'il confère des prérogatives de police judiciaire, telles que la possibilité de procéder à des perquisitions ou à des gardes à vue, aux inspecteurs de l'environnement dans le cadre d'enquêtes environnementales. C'est une étape supplémentaire vers une justice environnementale à part entière. Nous ouvrons la voie à la constitution d'un service dédié pour la répression des infractions environnementales, comme l'a d'ailleurs souhaité la Convention citoyenne pour le climat. J'ai auditionné l'office français de la biodiversité : l'avancée est particulièrement attendue.
La Commission adopte l'amendement. L'article 8 bis C est ainsi rédigé.
Elle est saisie de l'amendement CL5 de la commission du Développement durable.
Le présent amendement rend possible l'exercice des fonctions d'assistant de justice spécialisé dans les pôles de santé publique par des fonctionnaires de catégorie A et B relevant du ministère de l'environnement, en complément des ministères de la recherche, de la santé et de l'agriculture pour lesquels cette possibilité est déjà inscrite à l'article 706-2 du code de procédure pénale.
Personne ne peut s'opposer à l'élargissement du vivier d'assistants de justice spécialisés rattachés aux pôles de santé publique. Avis très favorable.
La Commission adopte l'amendement. L'article 8 bis D est ainsi rédigé.
Elle examine ensuite l'amendement CL82 de M. Didier Paris.
L'amendement fait suite aux longues discussions sur les techniques spéciales d'enquête dans le cadre du débat sur la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Il vise à prendre en compte une décision du Conseil constitutionnel, et il rouvre la possibilité aux enquêteurs de recourir à la technique des interceptions de correspondances électroniques pour les infractions au code de la santé publique.
L'amendement est très important dans le contexte actuel : les délits au code de la santé publique, punis de plus de cinq ans de prison, qui nécessitent des enquêtes techniques approfondies et des surveillances adaptées peuvent concerner par exemple la mise en vente de spécialités pharmaceutiques sans autorisation de mise sur le marché.
La Commission adopte l'amendement. L'article 8 bis E est ainsi rédigé.
Article 8 bis (art. L. 173‑1 du code de l'environnement) : Non-respect d'une obligation de remise en état
La Commission adopte les amendements rédactionnels CL110 et CL111 rectifié de la rapporteure.
Elle adopte l'article 8 bis modifié.
Après l'article 8 bis
La Commission examine l'amendement CL8 de la commission du Développement durable.
Le présent amendement porte d'un à deux ans le délai d'ajournement, lorsque le tribunal ordonne des mesures de remise en état ou de réparation des dommages causés à l'environnement, afin de tenir compte du délai de mise en œuvre de ces mesures.
Le délai d'ajournement de la décision est particulièrement important en matière environnementale : davantage que dans les autres domaines contentieux, la réalité des dommages causés par l'infraction met du temps à se révéler. Il est donc cohérent de laisser un peu plus de temps à la juridiction pour édicter des mesures de remise en état ou de réparation des dommages adaptées à la situation.
La Commission adopte l'amendement. L'article 8 ter A est ainsi rédigé.
Elle examine ensuite l'amendement CL32 de M. Cécile Untermaier.
L'amendement simplifie le régime de contrôle judiciaire environnemental prenant la forme de mesures conservatoires applicables le temps de l'enquête. Cette disposition existe déjà mais elle est très rarement mise en œuvre. Il s'agit de moderniser le régime existant, de l'étendre à toute la matière environnementale, pour permettre à l'autorité judiciaire d'éviter que des dommages environnementaux se poursuivent après les premières constatations.
L'amendement est ambitieux. J'en perçois bien l'enjeu. Vous souhaitez autant que possible mettre en œuvre le principe de prévention des atteintes en créant un référé conservatoire pour l'ensemble des infractions prévues au code de l'environnement. Cette procédure existe déjà, de manière ciblée, pour la protection de l'eau et des milieux aquatiques ainsi que pour celle du patrimoine naturel. Néanmoins la rédaction très large de l'amendement me pose question car je ne suis pas en mesure d'en analyser l'impact. Pour ces raisons, j'y suis défavorable.
Le Gouvernement est défavorable à l'amendement car ce référé spécial lui paraît inutile et susceptible de générer une complexité inopportune. Nous avons déjà ce qu'il faut dans l'arsenal : outre le référé administratif, un référé existe en matière civile et pénale. On ne voit pas bien ce que pourrait apporter l'amendement.
Je ne suis pas totalement convaincu par votre réponse, monsieur le ministre. Mais si la rapporteure le veut bien, nous pourrions peut-être en discuter, puisqu'elle ne semblait pas entièrement fermée à notre proposition…
L'amendement est retiré.
Article 8 ter (art. L. 218 84 du code de l'environnement) : Immobilisation d'un navire après rejet des eaux de ballast
La Commission examine l'amendement CL94 de Mme Liliana Tanguy.
C'est comme députée du littoral breton, soucieuse de la protection de nos côtes et du milieu marin, que je défends cet amendement tendant à clarifier le fait que les administrateurs des affaires maritimes et l'ensemble des personnes mentionnées à l'article L. 218-26 du code de l'environnement – c'est-à-dire des fonctionnaires de toutes catégories – peuvent constater le délit de gestion irrégulière des eaux de ballast.
Avis favorable. Le Sénat a souhaité préciser la législation applicable aux eaux de ballast des navires, mais il a oublié de mentionner que cette infraction spécifique était appelée à être constatée par des agents spécifiques.
Les précisions qu'apporte l'amendement me paraissent opportunes.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'article 8 ter modifié.
Après l'article 8 ter
La Commission est saisie des amendements identiques CL33 de Mme Cécile Untermaier et CL51 de M. Matthieu Orphelin.
Notre amendement, proposé par la fédération France Nature Environnement, tend à ce que les transactions pénales soient inscrites au bulletin n° 1 du casier judiciaire.
Merci à Mme Untermaier d'avoir présenté l'amendement, à M. Bernalicis d'en avoir précédemment présenté un autre en mon nom et à France Nature Environnement de tout son travail sur le projet de loi !
Malgré tous ces remerciements, avis défavorable pour deux raisons. D'abord, l'exposé sommaire vise la matière environnementale, mais, tel qu'il est rédigé, l'amendement pourrait s'appliquer à toutes les transactions pénales, ce qui n'est pas conforme au but poursuivi. Ensuite, le principe même de la mesure alternative aux poursuites est, comme son nom l'indique, de ne pas équivaloir à des poursuites, c'est-à-dire de ne pas laisser de trace sur le casier judiciaire, en contrepartie de la reconnaissance des faits et du règlement d'une amende.
Ces amendements sont audacieux : sur un casier judiciaire ne devrait figurer qu'une condamnation ; or, une transaction n'est pas une condamnation. Avis résolument défavorable.
Ne modifions pas à la faveur du présent texte les règles élémentaires de la procédure pénale si nous ne voulons pas créer de grandes confusions ! Parmi ces règles, il y a le fait que la transaction ne figure pas au casier judiciaire puisqu'il s'agit d'un accord entre le procureur et la personne poursuivie, ce qui la distingue sensiblement de la composition pénale, validée par un juge du siège et qui, elle, est inscrite au casier.
La Commission rejette ces amendements.
Elle aborde ensuite l'amendement CL95 de Mme Liliana Tanguy.
L'amendement étend la compétence des juridictions du littoral spécialisées (JULIS) à l'ensemble des infractions de pollutions maritimes prévues par le code de l'environnement, notamment la pollution due aux rejets des navires. Il assure une cohérence entre les compétences territoriales des JULIS et celles des juridictions françaises en matière d'atteinte aux biens culturels maritimes.
Les JULIS ont démontré leur compétence et le droit de la mer, très technique, appelle l'intervention de magistrats spécialisés. Avis favorable à cet amendement qui parlera notamment à nos collègues de Guyane.
La Commission adopte l'amendement. L'article 8 quater est ainsi rédigé.
Article 9 (art. 18, 74‑2, 77‑1, 77‑1‑1, 362, 393, 398‑1, 506, 510, 512, 706‑25‑12, 706‑53‑10, 706‑112‑1, 711, 712‑6 et 775 du code de procédure pénale ; art. 132‑63, 132‑64 et 132‑65 du code pénal ; art. L. 211‑9‑3 du code de l'organisation judiciaire ; art. L. 222‑65 du code de justice militaire) : Diverses dispositions modifiant le code de procédure pénale
La Commission examine l'amendement CL35 de Mme Cécile Untermaier.
L'obligation faite aux officiers de police judiciaire (OPJ) d'en référer au procureur de la République pour leurs réquisitions représente une garantie qu'il convient de maintenir dans notre droit. L'objectif de décharger le parquet de certaines tâches n'est pas toujours en adéquation avec nos fondements constitutionnels.
Comme vous, je me méfie des mesures générales par souci de proportionnalité. Mais la question se pose de l'applicabilité de votre amendement : peut-on raisonnablement demander à un procureur d'autoriser formellement tous les actes d'enquête de tous les officiers de police judiciaire ? Cette tâche me paraît insurmontable ; elle obligerait nos magistrats à se consacrer entièrement à une supervision qui n'apporte rien aux justiciables ni aux droits de la défense. Je crois plus opportun de préserver le mécanisme issu de l'examen du texte au Sénat, prévoyant l'avis immédiat du procureur et la limitation à six mois de la durée de validité des instructions. Avis défavorable.
Même avis. Le caractère injustifié de l'amendement se manifeste dans son exposé sommaire, qui prétend interdire aux enquêteurs de procéder à des comparaisons d'empreintes génétiques sans autorisation préalable du procureur alors que l'amendement supprime les dispositions permettant l'examen médical des victimes ou des auteurs à la suite d'autorisations générales mais temporaires du procureur, dispositions dont l'utilité et le bien-fondé sont évidents.
L'ensemble des services de police sont fondés à demander que l'utilisation des fichiers de police, modes de preuve indispensables, soit facilitée, ce que ne permettraient pas de tels échanges systématiques avec le parquet qui a d'autres choses à faire.
Sous couvert de pragmatisme, de simplification de la procédure et de volonté de gagner du temps – ce que permet certainement la disposition en question –, on va rendre automatique la prise d'empreintes génétiques. Ce n'est pas un acte neutre. Si encore on laissait aux OPJ le soin de s'en charger en facilitant le retrait des intéressés des fichiers où ils sont inscrits ! Ce n'est pas le cas, si bien qu'une simple suspicion peut entraîner l'inscription durable dans un fichier. Imaginons que vous alliez à une manifestation, que vous y filmiez un policier, que celui-ci pense qu'il s'agit d'une infraction, vous interpelle et relève vos empreintes, mais que le tribunal vous relaxe : vous restez tout de même dans le fichier ! On peut assumer ce choix et ficher tout le monde mais si on ne le fait pas, il faut un contrôle effectif de l'autorité judiciaire.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle aborde les amendements identiques CL42 de M. Jean-Félix Acquaviva et CL43 de Mme Cécile Untermaier.
Nous restons peu convaincus du bien-fondé d'une autorisation générale et systématique du parquet, surtout lorsqu'il s'agit de traiter des empreintes génétiques ou digitales. L'argument de l'efficacité et de la simplification n'est recevable que jusqu'à un certain point. On aurait pu faire œuvre de discernement quant aux missions et tâches concernées, qui exposent à des dérives. Le fait d'en référer au procureur de la République représente une garantie des droits de la personne qu'il convient de maintenir.
Avis défavorable. On revient de loin à ce sujet : à l'origine, les autorisations étaient permanentes et c'est à la suite d'un revirement de jurisprudence que le Gouvernement propose désormais d'en limiter la durée et le périmètre.
Même avis. L'article 706-54 du code de procédure pénale, relatif au fichier national automatisé des empreintes génétiques, permet déjà aux OPJ de rapprocher d'office l'empreinte génétique d'un suspect et les données du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG).
La Commission rejette ces amendements.
Puis elle examine l'amendement CL84 de M. Didier Paris.
Dans le cadre du mandat de dépôt à effet différé institué par la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice, le fait que la personne soit directement convoquée pour être incarcérée est incompatible avec le fait qu'elle doive voir auparavant le juge d'application des peines. Cette situation concerne les cas dans lesquels la juridiction a ordonné l'exécution provisoire, de sorte que la décision doit être mise en œuvre quand bien même l'intéressé aurait fait appel.
La Commission adopte l'amendement.
Elle en vient ensuite à l'amendement CL86 de M. Didier Paris.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle est saisie de l'amendement CL85 de M. Didier Paris.
Il a pu arriver, par erreur, que des affaires soient renvoyées devant les cours criminelles départementales, que nous avons créées à titre expérimental, plutôt que devant les cours d'assises, ou l'inverse. Il importe que le président de la chambre d'instruction puisse, sans formalité, réaffecter un dossier au bon endroit.
La Commission adopte l'amendement.
Elle adopte l'article 9 modifié.
Après l'article 9
La Commission est saisie de l'amendement CL115 de la rapporteure.
Je tiens particulièrement à cet amendement, qui reprend partiellement les recommandations de la « mission Perben » sur l'avenir de la profession d'avocat, à laquelle j'ai eu le plaisir de participer. À l'origine, ma démarche était plus ambitieuse, mais j'ai dû me conformer aux exigences constitutionnelles de recevabilité des amendements.
Il s'agit de concilier des principes fondamentaux : d'un côté, les nécessités de l'enquête et la protection de l'ordre public ; de l'autre, la séparation des pouvoirs et les droits de la défense. Je ne propose ni une nouveauté ni un privilège : le code de procédure pénale reconnaît déjà la nécessité de procédures renforcées quand des libertés fondamentales sont en jeu. Dans le cadre d'une enquête ou d'une instruction, les investigations peuvent conduire à demander aux opérateurs téléphoniques les fadettes, ou factures détaillées, qui montrent avec qui s'est entretenu l'utilisateur d'une ligne. S'ils peuvent être utiles, ces éléments peuvent aussi faire voler en éclats une confidentialité constitutionnellement protégée en révélant un contact entre deux personnes.
L'article 100-7 du code de procédure pénale instaure une procédure renforcée lors du placement sur écoute d'un avocat, d'un juge ou d'un parlementaire. Je propose qu'elle soit également de mise lorsqu'il s'agit de communiquer leurs fadettes : la transmission de ces dernières serait soumise à l'autorisation du juge des libertés et de la détention, qui se prononcerait sur la base du dossier d'enquête. Bien sûr, les avocats, les parlementaires et les magistrats peuvent mal se conduire, et dans ce cas les investigations sont tout à fait légitimes. Mais leur surveillance ne doit pas devenir un moyen commode d'accéder au secret de leur activité. La démocratie le commande.
Je ne surprendrai personne en disant que les fadettes devraient à mes yeux faire partie intégrante du secret professionnel de l'avocat, lequel a complètement volé en éclats. Mais je travaille évidemment sur cette question et une mission que j'ai souhaité constituer est en train d'y réfléchir. Nous y reviendrons prochainement dans le cadre d'un projet de loi qui prendra en considération ce que j'ai pu en dire, les travaux parlementaires, qui sont de qualité, les conclusions de ladite mission et, naturellement, un peu de ce que je pense. Je vous promets que le cas des fadettes sera examiné dans ce cadre ; il n'échappera ni à ma sagacité ni à ma mémoire.
Je remercie M. le ministre de sa réponse, qui ouvre des perspectives, notamment quant au périmètre du secret professionnel, lequel ne concerne pas seulement les factures téléphoniques. Je prends date et je retire mon amendement.
L'amendement est retiré.
Article 10 (art. 335, 362 et 706‑71 du code de procédure pénale ; art. 54 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; art. 2 de la loi n° 81‑908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort) : Modifications du code de procédure pénale rendues nécessaires par des décisions du Conseil constitutionnel
La Commission aborde l'amendement CL71 de M. Ugo Bernalicis.
Nous proposons de rédiger l'article 10 de manière à supprimer de l'article 706-71 du code de procédure pénale les dispositions permettant d'avoir recours à la visioconférence pour le placement ou le renouvellement d'une mesure privative de liberté, même avec l'accord de l'intéressé. Cela peut paraître radical, mais il y a une vertu à la confrontation physique entre l'intéressé et son juge. Nous avons également déposé un amendement concernant les aspects techniques. Mais même à supposer que ces derniers soient impeccables, je resterais défavorable à la méthode. Dans une société démocratique, dans un État de droit, on peut faire l'effort d'une confrontation réelle s'agissant d'une décision aussi importante qu'une mesure privative de liberté. La dématérialisation renforce un sentiment de distance qui n'est pas bon en matière pénale.
Je l'ai déjà dit : à titre personnel, je ne suis pas favorable à la visio-audience, ayant toujours considéré que la justice devait se rendre les yeux dans les yeux. Mais nous sommes pragmatiques et nous devons être capables de nous adapter aux événements, notamment sanitaires, qui montrent l'utilité de tels dispositifs. Comment, actuellement, s'en priver sans paralyser la justice ? Avis défavorable.
Personne ne peut être favorable à la visioconférence : rien ne vaut le contact humain, particulièrement en matière de justice. Ce dispositif n'est pas utilisé a priori dans le but de rogner des droits, mais par pragmatisme. Pour des raisons matérielles, on peut difficilement faire autrement. Le Conseil constitutionnel, qui s'est évidemment penché sur la question, n'a émis qu'une réserve : une personne détenue depuis plus de six mois en matière criminelle sans avoir comparu physiquement ne doit pas se voir imposer une visioconférence.
J'ai dû prendre des ordonnances à ce sujet non par gaieté de cœur, mais pour que le cours de la justice ne s'interrompe pas. La visioconférence n'est pas l'idéal, elle est même parfois insupportable, mais c'est un outil dont nous avons besoin.
Nous vivons une crise sanitaire majeure, mais les arguments avancés en faveur de la visioconférence étaient les mêmes avant son déclenchement. Lorsque nous examinions le projet de loi de programmation pour la justice, on nous vantait déjà les mérites du dispositif. Il s'agit en réalité de pallier le manque d'effectifs dans les pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ) qui résulte du fait que l'on ne veut pas mettre les moyens nécessaires pour assurer une présence physique et une décision humaine.
Car cela demande bel et bien des moyens et, assurément, en période de crise sanitaire, une organisation particulière. N'oublions pas, cependant, que, au début de l'épidémie – je ne vous en fais pas grief, monsieur le ministre, puisque vous avez été nommé entre ses deux vagues –, on a pu dire aux surveillants de ne pas porter de masque parce que cela ne servait à rien, avant de leur demander d'en mettre mais sans en donner aux personnes détenues… Que l'on ne vienne pas nous expliquer maintenant que la situation sanitaire empêche les extractions judiciaires et que, sans visioconférence, le cours de la justice va s'interrompre – rien que ça ! La réalité, c'est que nous ne nous donnons pas les moyens d'atteindre l'objectif. Inscrire dans la loi l'impossibilité de la visioconférence nous obligerait à le faire. Personne ne peut accepter que l'on ne garantisse pas l'effectivité des droits des personnes détenues ou mises en cause quand il s'agit de privation de liberté.
La lecture du deuxième alinéa de l'article, qui n'est pas facile à cause des renvois en cascade qu'il contient, peut mettre en évidence soit ses manques, soit ses aspects positifs. Je serais plus sensible à ces derniers, dans la mesure où le texte limite le recours à la visioconférence dans le cadre d'une procédure criminelle et si la personne n'a pas été vue par un juge depuis six mois.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL131 du Gouvernement.
Il s'agit d'étendre la dispense de serment devant la cour d'assises – jusqu'à présent applicable au mari ou à l'épouse de l'accusé – à la personne liée à l'accusé par un pacte civil de solidarité ou vivant avec lui en concubinage. En effet, l'idée que l'on ne dit pas nécessairement la vérité quand on parle de sa femme ou de son mari vaut également pour le pacsé ou la pacsée, le concubin ou la concubine.
Je n'ai évidemment aucune objection à opposer à l'amendement ; je noterai seulement, avec un brin d'humour, qu'il s'agit sans doute du « cheval de trois » du Gouvernement, si vous me permettez le jeu de mots… Plus sérieusement, sur quel fondement établira-t-on la réalité du concubinage, qui, à la différence du mariage ou du pacs, n'est pas indiqué dans un acte d'état civil ? S'agira-t-il de concubinage notoire ?
Sur le premier point, je me suis interrogée sur la recevabilité des amendements relatifs à une question prioritaire de constitutionnalité. J'ai considéré que ceux liés à la procédure pénale étaient recevables dans le cadre de ce texte comportant de nombreuses dispositions pénales.
Ce sont le dossier pénal et le contexte qui démontreront le lien : par exemple, le fait que madame soit chez monsieur lors d'une perquisition, la présence chez l'un de la brosse à dents ou des vêtements de l'autre… Tout ce qui, aux yeux d'un OPJ attentif, peut constituer un concubinage. Nul besoin de recourir au juge civil pour témoigner de ce concubinage qui vous turlupine.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle en vient à l'amendement CL129 du Gouvernement.
Ce très bel amendement qui parle de myriamètres, une notion qui n'est plus utilisée que dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, tend à aligner les dispositions de cette dernière sur celles du droit commun en matière de citation en cas de faits commis outre-mer ou à l'étranger.
L'amendement tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel qui a fait disparaître de la loi de 1881 la notion de myriamètre, signifiant dix kilomètres. Les spécialistes du français en seront déçus et pour moi‑même, qui ai pratiqué le droit de la presse, c'est un déchirement. Mais ce sera plus simple pour l'ensemble de nos concitoyens. Avis favorable.
La Commission adopte l'amendement.
Elle est alors saisie de l'amendement CL130 du Gouvernement.
L'amendement fait suite à la décision QPC du 28 février 2020. Il vise à permettre la saisine de la chambre criminelle de la Cour de cassation par les ayants droit d'une personne condamnée à mort dont la peine a été exécutée aux fins de rétablir l'honneur de cette personne.
Il s'agit d'une affaire que j'ai plaidée, mais je ne m'estime en aucune manière en situation de conflit d'intérêts puisque s'impose la décision du Conseil constitutionnel qui va être suivie de celle du Parlement. L'amendement complète la loi du 9 octobre 1981. La réhabilitation n'a pas été prévue pour un condamné à mort, puisqu'elle implique que l'intéressé ait donné tous les gages de sa rédemption. Or, entre son interpellation, en 1954, et son exécution, en 1957, l'homme dont il est question, Jacques Fesch, a écrit des livres philosophiques considérés comme très importants, au point qu'il est en passe d'être béatifié.
Voilà quelle est la situation ; que l'Assemblée nationale tranche !
Cette disposition aura-t-elle vocation à s'appliquer aux fusillés pour l'exemple – même s'il existe un débat historique, politique et militaire sur les sanctions prises par les tribunaux militaires en 1915 et 1917 ?
Il faut que la personne ait fourni des gages d'amendement avant son exécution. C'est d'ailleurs ce qui rend le dossier Fesch exceptionnel : rares sont les hommes qui, du fond de leur cellule, ont écrit une œuvre majeure.
La Commission adopte l'amendement.
Elle adopte l'article 10 modifié.
Après l'article 10
La Commission examine les amendements identiques CL116 de la rapporteure et CL18 de M. Didier Paris.
Cet amendement relatif à l'encadrement de la durée de l'enquête préliminaire est issu des travaux de la commission d'enquête sur l'indépendance de la justice. Je laisse M. Didier Paris le présenter.
Monsieur le garde des Sceaux, vous vous êtes exprimé à plusieurs reprises, devant nous et dans la presse, sur la durée de l'enquête préliminaire, que vous jugez excessive. Nous partageons pleinement ce constat. Cet amendement découle des travaux menés dans le cadre de la commission d'enquête sur l'indépendance de la justice, présidée par M. Ugo Bernalicis et dont j'ai été le rapporteur. Il prévoit que l'enquête ne peut se poursuivre au-delà d'un an pour les contraventions et délits punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure à trois ans, et de trois ans pour les crimes et délits punis d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à trois ans. Passé ce délai, le procureur doit être autorisé à la poursuivre par le juge des libertés et de la détention. Celui-ci statue au cours d'une audience publique en présence de la personne mise en cause et de la victime, qui peuvent alors accéder au dossier, à l'instar de ce que prévoit l'article 77-2 du code de procédure pénale.
Nous avons conscience que les discussions peuvent se poursuivre sur un sujet aussi important, mais nous aimerions prendre date.
Je vous ai compris ! Vos amendements sont un peu prématurés comme je l'ai indiqué, mais je ne doute pas que vous serez entendus. Il est grand temps de faire en sorte que les enquêtes préliminaires ne durent plus une éternité et d'envisager le moment où elles deviennent contradictoires. Cette question est essentielle. Trop souvent, les enquêtes préliminaires se prolongent excessivement, sans que le suspect puisse avoir accès au dossier. C'est intolérable ! Ça l'est même d'autant plus lorsqu'il y a violation du secret de l'enquête et que l'on ternit – par un feuilletonnage bien calculé – l'honneur d'un homme qui ne peut se défendre.
Le Parlement ne peut être qu'associé à l'élaboration d'un tel texte. C'est ensemble que nous parviendrons à régler cette question ; je n'envisage pas les choses autrement.
Nous sommes dans le même état d'esprit. Je comprends que des groupes de travail se penchent sur cette question et qu'une concertation est nécessaire. Je retire l'amendement, en prenant date.
Je retire mon amendement en vous priant de ne pas oublier la masse des travaux produits par les parlementaires. Ils doivent être des éléments déterminants dans la construction législative.
Les amendements sont retirés.
La Commission est saisie, en discussion commune, des amendements CL20 de M. Didier Paris et CL118 de la rapporteure.
Le groupe d'études Prisons et conditions carcérales, que je préside, avait rédigé un amendement semblable mais il s'est rallié à la rédaction, plus aboutie, de M. Didier Paris.
Dans sa décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel a enjoint au législateur de réécrire l'alinéa 2 de l'article 144-1 du code de procédure pénale avant le 1er mars prochain. Il s'agit de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu'il y soit mis fin.
Mon amendement est plus bavard car il traite aussi de la détention des condamnés et non de la seule détention provisoire, considérant que les exigences relatives au respect de la dignité humaine valent dans un cas comme dans l'autre. Le dispositif que je propose s'inspire de celui des remises en liberté. Le détenu peut saisir le juge des libertés et de la détention, qui ordonne toutes mesures propres à restaurer des conditions de détention dignes s'il l'estime nécessaire. Si le juge ne se prononce pas dans les cinq jours, le détenu peut saisir de sa demande le président de la chambre de l'instruction, qui se prononce dans les vingt jours. Si celui-ci ne rend pas sa décision dans ce délai, le détenu est remis en liberté.
Il s'agit d'un amendement d'appel, monsieur le ministre, car j'ai compris que vous aviez soumis une nouvelle rédaction au Conseil d'État. Pouvez-vous donner votre position en vue de la séance publique ?
En effet, mes services ont rédigé un projet d'amendement qui sera déposé en séance. Son périmètre est plus étendu car il concerne à la fois les personnes placées en détention provisoire et les détenus, ainsi que l'exige la Cour européenne des droits de l'homme. Compte tenu de l'importance de la question, le Conseil d'État a été saisi ; nous vous ferons connaître, c'est la moindre des choses, son avis sitôt qu'il sera rendu. Je vous demande de bien vouloir retirer ces amendements.
Je retire cet amendement en faveur d'une rédaction plus complète, répondant aux exigences du Conseil d'État.
Monsieur le ministre, nous prenons note de votre engagement à nous transmettre l'amendement proposé par le Gouvernement ainsi que l'avis du Conseil d'État. Il est important que la Commission puisse en discuter avant l'examen en séance publique.
Nous allons dans le même sens, monsieur le ministre : mon amendement portait aussi bien sur la détention provisoire que sur la détention. Dans l'attente de connaître l'avis du Conseil d'État, je retire mon amendement.
Les amendements sont retirés.
La Commission en vient à l'examen de l'amendement CL120 de la rapporteure.
Lors de leur audition, les parquets spécialisés ont fait état d'une perception négative de l'expression « assistant spécialisé », laquelle ne mettrait pas suffisamment en valeur l'expertise et la technicité du poste. Je propose d'y substituer l'expression qu'ils privilégieraient, « consultant spécialisé ».
Pour substituer « consultant » à « assistant » à chaque occurrence, il faudrait un long et fastidieux toilettage du code de procédure pénale. Je ne vois pas en quoi, d'ailleurs, le terme de « consultant » serait plus valorisant.
La confusion est fréquente entre « assistant spécialisé », « assistant de justice » et « juriste assistant ». Je vais donc me lancer à la recherche des occurrences en vue de la séance (sourires). Je retire l'amendement.
L'amendement est retiré.
Article 11 (art. 1633‑1 [nouveau] du code des transports, art. 230‑19 du code de procédure pénale, art. 20‑4 de l'ordonnance n° 45‑174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante et art. 121‑8 [nouveau] du code de la justice pénale des mineurs) : Peine d'interdiction de paraître dans les transports en commun
La Commission examine l'amendement de suppression CL113 de la rapporteure.
L'article 11 crée une peine d'interdiction de paraître dans les transports. J'ai été surprise de constater que cette disposition ne trouvait grâce aux yeux d'aucune des personnes auditionnées, qu'il s'agisse des procureurs ou des juges du siège.
On nous a signalé que cette peine existait déjà, sous le nom d'interdiction de séjour, comme peine complémentaire et comme peine alternative. Dans les deux cas, elle peut viser des catégories de lieux, pour peu que leur définition soit sans ambiguïté, ce qui ne semble pas un effort inaccessible. Elle peut donc être prononcée pour le réseau de transport urbain d'une ville ou d'un département.
En outre, tous ont affirmé qu'une telle disposition serait inapplicable. Certes, les interdictions de séjour figurent au fichier des personnes recherchées, mais personne n'imagine multiplier les contrôles d'identité dans le métro.
Enfin, l'expérience nous alerte : au cours des débats sur la loi n° 2019‑290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations, la commision des Lois a dû transférer dans le code pénal la peine d'interdiction de manifester, créée dans le code de la sécurité intérieure, au motif que ce positionnement ne permettait pas aux magistrats d'en avoir une bonne connaissance. Comprenez que nous soyons réticents à l'idée de créer une peine dans le code des transports, lequel n'est que rarement l'outil privilégié des pénalistes…
Je suis défavorable à la suppression de cet article, mais tout à fait disposé à ce que nous travaillions ensemble à une nouvelle rédaction. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de problème, mais je pense que nous pouvons les dissiper.
Il est vrai qu'à notre grande surprise, tous les professionnels auditionnés ont spontanément insisté sur l'inefficacité et l'inutilité d'une telle disposition.
Du coup, j'aimerais savoir pourquoi elle a été inscrite dans le projet de loi puisqu'il ne peut s'agir d'un simple affichage. Est-ce parce que les grands opérateurs de transports veulent, grâce aux caméras de vidéosurveillance, utiliser des algorithmes de reconnaissance faciale pour mieux repérer les personnes en infraction – avec un fichier spécifique, ce serait plus simple. Mais peut-être ai-je l'esprit mal tourné et un penchant au complotisme ? Ce n'est pas non plus à exclure !
Monsieur le garde des Sceaux, je ne suis fermée à aucune initiative et je demande à voir la rédaction qui pourrait faire évoluer le texte. Je retire l'amendement, sans m'engager pour la séance publique à ne pas soutenir à nouveau une position de suppression.
L'amendement est retiré.
La Commission examine l'amendement CL58 de Mme Alexandra Louis.
Je partage les objections sur l'opportunité de l'article 11. Cet amendement vise à supprimer les alinéas relatifs à l'application de la peine complémentaire aux mineurs de plus 16 ans. Il est étrange de modifier l'ordonnance du 2 février 1945, que nous devrions prochainement abroger, et peu judicieux de prévoir une nouvelle peine complémentaire, alors que nous devrons travailler à rendre plus cohérentes les peines et les mesures éducatives dans le cadre de la réforme de la justice des mineurs.
J'ai dit à l'instant mon sentiment sur l'article 11. Au bénéfice des engagements pris par M. le ministre, ce sera une demande de retrait.
Eu égard à l'échange précédent, en effet, je retire cet amendement. Mais je pense qu'il faudra avoir pour objectif de rendre les mesures et les sanctions applicables aux mineurs plus cohérentes.
L'amendement est retiré.
La Commission adopte l'article 11 sans modification.
Article 12 (art. 17‑1 [nouveau] de l'ordonnance n° 2016‑728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice, art. 6‑3 [nouveau] de l'ordonnance n° 45‑2590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat, art. L. 444‑2 et L. 444‑7 du code de commerce et art. 52 de la loi n° 2015‑990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques) : Contributions au fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice
La Commission examine l'amendement CL36 de Mme Cécile Untermaier.
Conformément à l'engagement pris par la précédente garde des Sceaux, l'article 12 prévoyait de réformer le fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice (FIADJ), créé par la « loi Macron ». Les négociations ont abouti à une nouvelle rédaction, qui prévoit d'autoriser les ordres professionnels des commissaires de justice et des notaires à percevoir auprès de leurs membres des contributions à caractère volontaire obligatoire (CVO), destinées à financer des aides à l'installation ou au maintien des professionnels.
Or, ces aides ne sont pas encadrées et laissées à la discrétion d'un ou plusieurs professionnels, des concurrents de l'officier public ministériel concerné. Cela place le conseil supérieur du notariat et la chambre nationale des commissaires de justice dans une situation de conflit d'intérêt, avec le risque de fausser l'égalité des chances entre professionnels et de mener une politique discriminatoire.
Lorsque l'on fait la loi, il faut tout envisager : je propose donc que ce dispositif soit encadré par un décret pris en Conseil d'État après avis public de l'Autorité de la concurrence.
En cohérence avec mon propre amendement, qui propose de supprimer l'avis de l'Autorité de la concurrence sur le taux et l'assiette de la CVO, il ne me semble pas pertinent de faire intervenir une nouvelle fois cette autorité.
J'ai mené des auditions dans le cadre de la mission d'information commune sur l'évaluation de la loi Macron et dans celui de la mission flash sur la mise en place d'un collège de déontologie des officiers publics ministériels. J'ai bien compris que ceux-ci redoutaient l'intervention de l'Autorité de la concurrence. Mais là n'est pas l'objet de cet amendement. Celui-ci prévoit qu'un décret pris en conseil d'État, sur proposition du ministre de la justice et en concertation avec les professions, encadre les modalités d'application du mécanisme de redistribution. Pour en avoir discuté avec certains, en particulier les représentants de la chambre nationale des commissaires de justice, je sais que les officiers publics ministériels ne sont pas opposés à cette idée.
Ce n'est pas rien de laisser une profession s'organiser pour décider comment elle aidera tel office, et pas tel autre. Il est important qu'un décret définisse les modalités et garantisse que le dispositif ne sera pas anticoncurrentiel. Nous pouvons négocier avec les professions : si elles tiennent à ce que l'Autorité de la concurrence n'intervienne pas, nous pourrons supprimer en séance la mention de l'avis préalable.
Je ne partage pas du tout les propos de Mme Untermaier, qui met en cause l'impartialité des instances représentatives en évoquant, dans l'exposé des motifs de son amendement, « le risque que le conseil supérieur du notariat ou la chambre nationale des commissaires de justice fausse l'égalité des chances entre les professionnels au profit de quelques-uns d'entre eux des professions ».
Elle sous-entend ainsi que ces instances représentatives – qui sont quand même des établissements d'utilité publique – favoriseraient certains membres au détriment d'autres. C'est jeter l'opprobre sur ces professions et leur capacité à aider, en toute neutralité, les études en difficulté. Cette année, le conseil supérieur du notariat a consacré 20 millions d'euros au déploiement de la visio-conférence dans les plus petites études, notamment rurales : les actes authentiques ont pu être signés à distance durant le premier confinement et le décret que vient de prendre le garde des Sceaux sur la procuration notariée à distance pourra être appliqué. Pourquoi placer ce dispositif sous la main du Gouvernement ? Qui, mieux que les professions, peut déterminer les besoins des petites structures en souffrance économique ?
Vous vous considérez comme le représentant de la profession et il n'était pas du tout dans mon intention de vous blesser, monsieur Huyghe. Ne refaisons pas le match de 2015 ! S'il a été décidé d'instaurer une CVO, il me semble légitime, non pas de surveiller ce que font les professions, mais d'encadrer leurs décisions : pourquoi aider tel office plutôt que tel autre, et comment ?
Je ne jette pas le soupçon sur la profession – j'entretiens d'excellentes relations avec le conseil supérieur du notariat comme avec la chambre nationale des commissaires de justice. Je comprends que l'intervention de l'Autorité de la concurrence vous ennuie. Je proposerai en séance qu'un décret, sans avis préalable de l'autorité, encadre les modalités. Il arrivera un jour qu'un office vous pose problème et vous reproche d'avoir aidé un concurrent. Je cherche juste à aider, en apportant clarté et transparence.
J'ai toujours une difficulté avec ces contributions volontaires – mais obligatoires –, comme il en existe dans l'agriculture… Je comprends votre démarche, madame Untermaier, mais je pense qu'elle est pour le moins maladroite. Des professionnels m'ont alerté car ils se sentent mis en cause. J'entends qu'il n'est pas dans votre intention de montrer du doigt ou de stigmatiser, mais dans l'exposé des motifs, vous pointez le conseil supérieur du notariat et la chambre nationale des commissaires de justice en expliquant qu'ils ne jouent pas le jeu. Si l'on interprète vos propos, ils iraient jusqu'à vicier la libre concurrence. Je comprends l'émoi que cela peut susciter et je vous suggère de rectifier cette formulation.
Cet amendement confie au Gouvernement le soin de réglementer, à la place des professions du droit, le dispositif des CVO. Cela fragilise ce mécanisme vis-à-vis du droit européen car la Commission européenne pourrait le requalifier en aide d'État. C'est aussi délicat en droit national car si la contribution, entièrement régulée par l'État, devait être requalifée en impôt, cela conduirait à une censure du Conseil constitutionnel. Avis défavorable.
Madame Untermaier, je suis, comme vous, député. Je ne suis membre ni du conseil supérieur du notariat ni de la chambre nationale des commissaires de justice. Mais il se trouve que je connais bien ces professions : on ne peut suspecter leurs instances nationales de favoritisme.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est saisie des amendements identiques CL11 de M. Fabien Matras et CL12 de Mme Cécile Untermaier.
Cet amendement, issu des conclusions de la mission que j'ai conduite avec Mme Cécile Untermaier sur la déontologie des officiers publics et ministériels, propose de créer un collège de déontologie au sein de la chambre nationale des commissaires de justice et au sein du conseil supérieur du notariat. Ces collèges seront indépendants et leur composition intègrera des membres de la profession, leur médiateur, des personnalités extérieures représentant les autres professions juridiques et des personnalités qualifiées, dont l'une présidera. La mission de ces collèges sera d'élaborer des règles déontologiques et de les diffuser auprès des usagers et des professionnels.
C'est en effet la conclusion à laquelle nous sommes parvenus après des travaux sérieux, documentés et des auditions de professionnels – auxquelles M. Huygue a participé. Dans la mesure où l'article 12 autorise les ordres des professionnels du droit à percevoir des CVO, il nous a paru légitime de mettre en place un conseil de déontologie au sein de chaque instance représentative, selon des modalités que nous avons travaillées avec les professionnels.
Il s'agit de permettre aux professionnels de sortir de l'entre-soi – la loi de 2015 a fait émerger des notaires « Macron », des huissiers « Macron », qui sont un peu différents et ne se projettent pas de la même façon dans leur avenir professionnel. La composition du collège de déontologie comprendrait, selon le principe de l'échevinage, des universitaires, des magistrats de la Cour de cassation et de la Cour des comptes.
Il ne s'agit pas, avec cette proposition qui n'a rien d'extraordinaire, de jeter le soupçon. J'estime simplement que la déontologie est préférable à la discipline.
Je remercie nos deux collègues pour cette proposition, issue d'un travail parlementaire que la commission des Lois a salué. Je crois savoir qu'il y a des choses en gestation du côté de la Chancellerie néanmoins.
En effet, j'ai souhaité, à la suite d'un rapport de l'inspection générale de la justice, engager une concertation avec les professions du droit sur cette question précise. Bien naturellement, nous prendrons en considération les travaux de la mission. Dans l'intervalle, je vous demande de retirer vos amendements.
Je prends note de ces travaux, monsieur le ministre. Parallèlement, nous continuons, avec Mme Cécile Untermaier, à travailler avec les professions – nous avons encore mené une audition hier. Plutôt que de nous résoudre à une longue attente, nous nous efforcerons de trouver d'ici à la séance publique un compromis qui convienne à tous. Je retire mon amendement.
Nous avons déjà transmis le rapport de l'inspection générale de la justice aux professions et nous sommes prêts à échanger sur cette question.
Les amendements sont retirés.
La Commission est saisie de l'amendement CL122 de la rapporteure.
Il me semble préférable de simplifier le dispositif prévu à l'article 12 et de s'appuyer sur les professions qui se sont déjà organisées : je propose de supprimer l'avis de l'Autorité de la concurrence sur le taux et l'assiette.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'amendement rédactionnel CL106 de la rapporteure.
Enfin, elle examine les amendements identiques CL13 de Mme Cécile Untermaier et CL14 de M. Fabien Matras.
Pour répondre à une demande des usagers, formulée à plusieurs reprises dans le cadre de nos travaux, nous proposons que, pour les prestations soumises à un tarif réglementé, la demande reçue par un notaire donne lieu à l'émission d'un récépissé mentionnant un coût et un délai de traitement indicatifs.
Nous recevons dans nos permanences beaucoup d'usagers qui éprouvent des difficultés à obtenir les actes notariés, notamment de succession. Mais nous savons que les délais trop longs ne sont pas toujours du fait des professionnels. Nous sommes donc convenus avec le Conseil supérieur du notariat, qui semblait favorable à ce dispositif, de le compléter par la possibilité, pour le notaire, d'émettre un procès-verbal d'empêchement lorsque le délai indiqué sur le récépissé est dépassé.
C'est une solution équilibrée que nous proposons : en contrepartie de son obligation d'instrumenter et de l'émission d'un récépissé, le notaire pourra, en cas de blocage de la procédure, transmettre le procès-verbal d'empêchement au juge, lequel prendra les mesures nécessaires pour trouver une solution – désigner un mandataire pour l'une des parties, par exemple. Nous avons souhaité ajouter de la transparence, comme l'ont demandé les usagers.
Ce point est intéressant. Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas certaine que ce texte soit le bon véhicule législatif pour avancer sur le sujet. Je demande à M. le ministre de bien vouloir développer sa réponse.
Ces amendements sont louables mais, pour donner aux dispositions proposées une portée réelle et utile, il faut que cela se fasse en concertation avec la profession. Ce ne sont pas les députés qui me diront le contraire. En outre, dans de nombreuses situations, il n'est pas possible de définir à l'avance les honoraires et les émoluments des professionnels. S'agissant des successions, par exemple, le notaire ne peut pas prévoir à l'avance le temps qu'il lui faudra pour retrouver les héritiers ; les recherches sont parfois longues. Cet état de fait ne peut correspondre aux dispositions proposées, en dépit du bon sens dont elles procèdent. Si l'ambition est louable, leur application pratique sera difficile. C'est pourquoi le Gouvernement suggère le retrait.
Madame Untermaier, vous avez fait état de concertations, mais j'ai reçu des courriers de professionnels se montrant peu enthousiastes au sujet des mesures que vous proposez. Un dialogue approfondi à ce sujet s'impose, afin d'élaborer un dispositif plus abouti.
Puisque M. le ministre a fait part de son expérience d'avocat, je ferai part, moi aussi, de mon expérience professionnelle. Je considère que les dispositions proposées sont une usine à gaz. En apparence, elles sont très simples : il s'agit de remettre un récépissé. Mais cela impose la gestion d'une paperasse administrative dont les conséquences sur les professionnels seront catastrophiques. En effet, le récépissé qu'on leur demande de remettre fixera un délai qu'ils ne seront pas du tout certains de pouvoir tenir. Ils devront gérer un répertoire des récépissés et vérifier que toutes les démarches sont bel et bien accomplies dans les délais prévus par les récépissés, sous peine d'être entraînés dans la judiciarisation de leur activité. En outre, en cas d'événements imprévus, leur client invoquera son récépissé comme preuve d'un manquement.
Par ailleurs, ces professionnels sont d'ores et déjà soumis à des délais, imposés par une collectivité locale, par exemple, ou par un établissement financier, dans le cadre d'une succession, voire d'une vente. Dans chaque dossier, de nombreuses personnes interviennent. Certains professionnels et administrations ne répondent pas dans les temps impartis, voire pas du tout. Autrement dit, on attribue la responsabilité du non-respect des délais à un unique professionnel, qui est le réceptacle des documents permettant de faire aboutir le dossier. Il en résultera une intensification de la judiciarisation des démarches.
Enfin, les auteurs des amendements créent le procès-verbal d'empêchement. Il existe d'ores et déjà le procès-verbal de difficultés. En cas de problème dans un dossier, l'officier ministériel en dresse un et le remet à la partie la plus diligente, ce qui lui permet de se rendre devant la juridiction pour faire en sorte que le juge détermine une solution.
Nous ne faisons pas du tout reposer la responsabilité des difficultés sur la profession. Nous proposons une solution équilibrée : d'un côté, le professionnel remet à son client un récépissé permettant de démontrer l'ouverture d'une procédure ; de l'autre, le notaire est en mesure de dresser un procès-verbal d'empêchement explicitant les difficultés auxquelles il est confronté, causées par une collectivité territoriale par exemple. Cela lui permet de s'exonérer de la « faute ».
Cette idée a pris naissance au sein du Conseil supérieur du notariat. Je tiens à la disposition de nos collègues les rapports de la mission sur la mise en place d'un collège de déontologie des officiers publics ministériels, ainsi que les comptes rendus de nos travaux rédigés par les services de l'Assemblée nationale. Ils démontrent clairement que cette idée émane de la profession. Nous les avons consultés sur ces amendements, auxquels ils se sont montrés favorables. Je conçois que l'on soit favorable à une idée dans le cadre d'une mission d'information et défavorable lorsqu'il s'agit de voter un texte, mais il faut que chacun fasse preuve de cohérence. On ne peut pas dire que nous n'avons pas procédé à des concertations.
La Commission rejette ces amendements.
Puis elle adopte l'article 12 modifié.
Article 13 (art. 65 quinquies, 67 bis-1 A, 67 sexies, 323‑5, 387, 411, 415‑1, 416 bis A et 426 du code des douanes ; art. 314‑1, 314‑1‑1 et 432‑15 du code pénal) : Ratification de l'ordonnance de lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne au moyen du droit pénal
La Commission examine l'amendement CL121 de la rapporteure.
L'amendement complète l'ordonnance transposant la directive relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union au moyen du droit pénal, dite directive PIF, par l'insertion de dispositions d'adaptation et de coordination dans le code des douanes et dans le code pénal.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'article 13 modifié.
Article 14 (art. 804 du code de procédure pénale ; art. 531-1, 551-1 et 561-1 du code de l'organisation judiciaire ; art. L. 950‑1 du code de commerce ; art. 6 de l'ordonnance n° 2014‑471 du 7 mai 2014 portant extension et adaptation à la Nouvelle-Calédonie de dispositions du livre IV du code de commerce relevant de la compétence de l'État en matière de pouvoirs d'enquête, de voies de recours, de sanctions et d'infractions ; art. 1er bis [nouveau] de l'ordonnance n° 2017‑157 du 9 février 2017 étendant et adaptant à la Polynésie française certaines dispositions du livre IV du code de commerce relatives aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence ; art. L. 1863‑2, L. 1872‑2 et L. 1883‑3 [nouveaux] du code des transports) : Application outre-mer
La Commission adopte l'article 14 sans modification.
Article 15 : Entrée en vigueur des dispositions relatives au Parquet européen
La Commission adopte l'article 15 sans modification.
La Commission adopte l'ensemble du projet de loi modifié.
La réunion se termine à 00 heures 15.
Membres présents ou excusés
En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.