La réunion débute à 14 heures 05.
Présidence de M. Didier Paris, Vice-président.
La Commission poursuit l'examen des articles du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace (n° 911) (M. Richard Ferrand, rapporteur général, Mme Yaël Braun-Pivet et M. Marc Fesneau, rapporteurs).
Nous reprenons l'examen du projet de loi à l'article 15, sachant qu'il nous reste 228 amendements à examiner. Je rappelle les règles dont nous avons convenu : chaque amendement peut être défendu pendant deux minutes puis, après la réponse du ou des rapporteurs, chaque groupe peut répondre pendant une minute.
Article 15 (art. 72 de la Constitution) : Droit à la différenciation des collectivités territoriales
La Commission examine l'amendement CL1000 de M. Sébastien Jumel.
L'article 15 permet d'attribuer à certaines collectivités territoriales des compétences en nombre limité dont ne disposent pas l'ensemble des collectivités de la même catégorie. Lorsque la loi ou le règlement le prévoit, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent ainsi déroger pour un objet limité aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences. Cette dérogation pérenne peut être décidée, le cas échéant, après l'expérimentation déjà prévue à l'article 72 de la Constitution. Une loi organique détermine les conditions dans lesquelles s'exercent ces droits.
Si la différenciation territoriale n'est pas une nouveauté, la généralisation de ce droit amplifiera les dissonances territoriales. C'est un droit qui continue à masquer les inégalités et les injustices sociales ou fiscales derrière le paravent de la « différence » sans pour autant les réduire ou, au contraire, les assumer. C'est pourquoi nous proposons la suppression de l'article.
Sans rejouer tout le débat multiséculaire entre Jacobins et Girondins, je me bornerai à dire que, loin de présenter le risque d'une inégalité, l'adaptation des règles aux exigences objectives des territoires me semble correspondre à une égalité intelligente. C'est précisément pour prévenir toute dérive que de multiples conditions – que d'aucuns jugent excessives – sont prévues : elles permettent d'éviter que l'autonomie ne se mue en égoïsme ou en franchise d'Ancien Régime, si j'ose dire. Rappelons ces dispositions : loi organique, préservation des libertés publiques, contrôle par la loi ou le règlement suivant la procédure, objet limité et circonscrit aux compétences de la collectivité concernée. L'article 15 n'inaugure pas l'ère du démembrement de la nation, tant s'en faut. Avis défavorable.
Replongeons-nous dans les livres d'histoire : la conception de la République des Girondins et celle des Jacobins ne diffèrent pas tant que cela – c'est une ancienne élève d'Albert Soboul qui vous le dit.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CL1131 de M. Michel Castellani et CL816 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Les articles 15, 16 et 17 nous intéressent particulièrement et nous mènerons à cette occasion un véritable combat parlementaire, dans un esprit démocratique. Ne vous étonnez donc pas si nous proposons de nombreux amendements qui, tous, iront dans le même sens : donner aux collectivités locales en général et à la Corse en particulier des pouvoirs spécifiques d'adaptation permanente des lois en allant le plus loin possible. Il ne s'agit pas d'émanciper pour le seul plaisir d'émanciper, mais de privilégier l'efficacité au plus près des réalités du terrain, qu'elles soient sociales, culturelles ou foncières, car elles méritent d'être traitées.
L'amendement CL1131, qui est donc le premier d'une longue série, vise à permettre aux collectivités territoriales, à leur demande, d'être habilitées par décret en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État à exercer des compétences transférées par l'État et à déroger aux dispositions applicables sur leur territoire.
L'amendement CL816 vise à limiter les expérimentations prévues aux alinéas 2 à 5 du présent article, car elles ouvriraient la voie à l'adoption de véritables lois locales. Permettre à chaque collectivité de prendre des décisions pérennes dans de nombreux domaines reviendrait à renforcer la compétition entre les territoires. Il ne suffit désormais plus au libéralisme de nourrir la concurrence entre pays et entre grandes régions : il lui faut encore organiser la concurrence au sein même des territoires en privilégiant le moins-disant social et environnemental pour satisfaire ses appétits. Si nous lançons la République sur la voie d'une concurrence et de localismes toujours croissants, nous dénaturerons complètement le principe d'égalité devant la loi, qui est pourtant l'un de ses principes fondamentaux.
Il ne s'agit pas de brandir l'étendard girondin face au jacobinisme : les livres d'histoire nous apprennent en effet que le jacobinisme ne signifie pas que Paris impose sa loi au reste de la France, mais que l'égalité de tous et toutes devant la loi est garantie.
L'amendement de M. Castellani importerait dans le droit commun les dispositions que le projet de loi prévoit d'appliquer à l'outre-mer, c'est-à-dire une possibilité de dérogation autorisée par décret. Nous y sommes défavorables : chacun comprend que la situation outre-mer se caractérise par des déterminants qui la singularisent de celle de la métropole. Le principe est simple : les dérogations à la loi sont autorisées par la loi, non par décret.
En outre, cet amendement serait quelque peu contradictoire avec l'objectif de l'article 16 d'identifier particulièrement la question corse, car il reviendrait à la banaliser – au sens premier du terme.
Quant à votre amendement, monsieur Lachaud, il consiste simplement à réaffirmer le droit en vigueur concernant l'expérimentation. La procédure d'expérimentation ne menace rien ni personne. À preuve : elle n'a été utilisée que quatre fois en quinze ans et plus personne n'en veut.
Au contraire, nous faisons le choix de la différenciation territoriale. C'est un choix assumé, affirmé par le Président de la République et soutenu par la majorité et par la plupart des élus locaux, contrairement à ce que vous semblez prétendre. Avis défavorable également.
Il n'est aucunement question de favoriser la concurrence entre les territoires, monsieur Lachaud. Bien au contraire : nous prônons l'adaptation aux réalités des territoires. Loin de toute politique libérale ou antisociale, nous demandons la dévolution fiscale non pas pour privilégier les catégories les plus aisées mais pour mordre sur les réalités en favorisant la justice, la croissance, donc l'emploi.
D'autre part, monsieur le rapporteur, la Corse est singulière.
Elle n'est certes pas un territoire d'outre-mer au sens juridique mais, en termes géographiques, elle est outre-mer, qu'on le veuille ou non ! Elle possède ses particularités, sa culture, ses réalités sociales et économiques. À ce titre, elle mérite donc un traitement particulier !
La République n'est pas faite de localismes, monsieur Lachaud. Elle est diverse et composée de Corses, de Bretons, de Picards ou encore d'Alsaciens. Vous ne cessez de vous dire proches du peuple : les « localismes » dont vous parlez sont en fait des singularités et des richesses culturelles qui s'additionnent, avec des différences que la République appréhendera enfin mieux afin que chaque territoire puisse, sur tel ou tel sujet, porter sa propre appréciation des politiques publiques. Voilà ce que signifie aussi être proche du peuple !
Il va de soi, monsieur Castellani, que la Corse possède une spécificité insulaire. Cet article, cependant, vise l'ensemble du territoire métropolitain.
D'autre part, monsieur Balanant, je ne vois pas en quoi les particularismes auxquels vous faites référence ne pourraient pas être pris en compte dans une même loi. Quels sont les domaines dans lesquels ces territoires pourraient déployer une vision qui leur est propre ? La loi Littoral, par exemple, doit-elle être appliquée de manière différenciée selon les territoires ? Et le droit du travail ? La législation écologique ?
La spécificité corse existe, monsieur Castellani, et c'est précisément l'objet de l'article 16, qui, pour la première fois, inscrira cette différenciation dans la Constitution. Sur ce sujet, il me semble que nous pouvons nous rejoindre.
D'autre part, monsieur Lachaud, il n'est pas question d'organiser la concurrence entre les territoires mais de donner à chacun d'entre eux la capacité de s'organiser. La loi Littoral est précisément une dérogation à la loi collective et aux règles urbanistiques pour tenir compte des spécificités des zones littorales. Elle n'existerait pas si nous appliquions votre principe égalitaire.
Au contraire, il s'agit bel et bien d'une différenciation. La loi Littoral en est un exemple emblématique.
Par définition, elle ne s'applique pas sur l'ensemble du territoire national ; c'est donc bien une différenciation ! De même, les zones peu denses, les zones de montagne, les territoires urbains sont spécifiques et exigent une différenciation de l'ensemble des territoires, comme cela s'est fait avec la loi Littoral.
En effet, monsieur le rapporteur : la France est diverse. Elle est faite de montagnes, de littoraux, de lacs, de plaines, de zones denses et moins denses. La loi Littoral est un bon contre-exemple : elle tient compte d'une particularité – la protection du littoral par exemple – et s'applique partout en France.
La Commission rejette successivement les amendements.
Elle passe à l'amendement CL345 de M. Paul Molac.
Cet amendement vise à ce que les représentants des communautés de communes et des communautés d'agglomération soient élus au suffrage universel. Étant donné leur taille, les budgets qu'elles gèrent et les investissements massifs qu'elles consentent, il est étonnant que ces collectivités qui n'en sont pas réellement de plein droit n'aient pas des représentants élus au suffrage universel direct. De ce fait, les candidats à la présidence d'une communauté de communes font généralement campagne pour leur commune et non pour l'intercommunalité, au point que l'on ignore ce qu'ils entendent en faire. Le système du fléchage fait que l'on vote du même coup pour les élus des communes et les représentants des communautés de communes alors que l'identité de leur président n'est pas connue, pas davantage que son programme pour l'intercommunalité.
Ce combat n'est pas nouveau : je l'ai déjà mené lors de l'examen de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite MAPTAM, et de celui de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe. À l'époque, un amendement visant à ce que les représentants des communautés de communes soient élus au suffrage universel direct avait disparu lors de la commission mixte paritaire. Je reviens donc à la charge.
Votre amendement soulève deux sujets. Le premier est d'ordre constitutionnel : vous proposez de donner aux intercommunalités le rang de collectivités territoriales de plein exercice, au même titre que les communes, les départements et les régions. Le débat est ancien, en effet, mais il nous semble qu'il n'est pas temps de sauter ce pas. Les communautés de communes procèdent du bloc communal, donc de la volonté des communes. Votre proposition présente en outre le risque de rompre le lien entre les intercommunalités et les communes.
Le deuxième sujet est d'ordre électoral et ne relève donc pas de la Constitution – raison pour laquelle il a déjà été abordé à l'occasion des lois MAPTAM et NOTRe. À chaque fois, le choix a été fait de ne pas procéder à l'élection des représentants intercommunaux au suffrage universel direct parce que les communes ne partagent pas ce souhait, et parce que cette mesure met inopportunément en question le rôle de la commune.
Pour ne pas ériger les communautés de communes en collectivités territoriales, j'émets donc un avis défavorable.
Les membres du groupe Les Républicains tiennent à ce que les communautés de communes et les communautés d'agglomérations restent ce qu'elles sont, à savoir non pas des collectivités territoriales mais des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Parce que nous sommes profondément attachés aux communes, qui sont l'échelon fondamental de l'organisation territoriale, nous sommes totalement hostiles à l'idée que des élections directes permettent de choisir les présidents des EPCI. Nous voterons donc contre l'amendement de notre collègue Molac, au demeurant excellent et sympathique.
Ce débat est d'une grande hypocrisie. Toutes les lois votées depuis quelques années, jusqu'à la récente portant évolution du logement et aménagement numérique (ELAN), ont consisté à transférer des compétences communales aux intercommunalités. Le dernier transfert a porté sur le permis de construire. N'est-ce pas un véritable déni de démocratie de transférer des compétences communales aux EPCI sans soumettre ceux qui les exerceront à une quelconque sanction démocratique ? Allons jusqu'au bout du raisonnement et assumons la suppression progressive de la commune au bénéfice de l'intercommunalité en faisant en sorte que ceux qui seront appelés à signer les permis de construire, à élaborer des plans locaux d'urbanisme et autres programmes locaux de l'habitat et à exercer des compétences majeures en termes d'aménagement du territoire soient au moins sanctionnés par le peuple. En l'état, nous créons des intercommunalités qui, sans être des collectivités, assument sans sanction populaire des compétences bien plus importantes que celles des communes. Si cela ne s'appelle pas de l'hypocrisie…
La Commission rejette l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement CL1231 de M. Jean-Félix Acquaviva.
Cet amendement vise à ériger la subsidiarité en principe constitutionnel afin de clarifier certains points dans les lois à venir. Plusieurs raisons à cela, comme vient de l'illustrer le débat sur la différenciation : tout d'abord, le principe d'égalité donne lieu dans les faits à de nombreuses interprétations différentes, qui l'orientent davantage vers l'égalitarisme que vers l'adoption de moyens différenciés selon les situations. La constitutionnalisation du principe de subsidiarité clarifierait la répartition des compétences entre l'État et les collectivités et concourrait à une meilleure application du principe d'égalité.
Ensuite, le droit à la différenciation proposé à l'article 15 pose plusieurs problèmes. L'échec du droit à l'expérimentation est patent et reconnu par le monde politique et par les constitutionnalistes. Il coexiste pourtant dans un même alinéa avec un droit à la différenciation qui peut éventuellement s'y substituer à terme – selon une formule assez lourde – dans un nombre limité de cas, qui plus est, dans le cadre d'une procédure au cas par cas.
Il nous semble nécessaire de clarifier les compétences entre l'État et les collectivités territoriales. Trente-cinq années de décentralisation ont laissé les réformes au milieu du gué : des compétences et des charges ont été transférées sans les moyens correspondants. L'inscription du principe de subsidiarité dans le marbre constitutionnel permettrait de tenir un discours plus clair en matière de décentralisation.
Cet amendement vise en quelque sorte à rejeter l'État à la marge en lui laissant les compétences que les collectivités n'exerceraient pas, ce qui n'équivaut pas tout à fait au principe selon lequel les compétences doivent s'exercer au niveau le plus adapté. Le principe de subsidiarité est déjà parfaitement inscrit dans la Constitution en l'état ; pour ce qui est de la différenciation de la Corse, nous y reviendrons à l'article 16. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL768 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Cet amendement vise à supprimer les alinéas 2 et 3 de l'article 15 qui remettent en question les principes d'unité et d'indivisibilité de la République car ils permettront des différenciations territoriales préjudiciables à nos concitoyens les plus vulnérables. En effet, ils se traduiront par une mise en concurrence des territoires et par la différenciation de la protection sociale et écologique privilégiant le moins-disant au nom de l'attractivité économique.
L'exemple que vous avez pris de la loi Littoral apporte la preuve parfaite que la loi nationale sait tenir compte des différences, voire des divergences locales. Qu'il s'agisse du littoral, de la montagne, des zones plus ou moins denses, la loi peut réglementer les différences tout en apportant des réponses identiques sur tous les territoires. Globalement, il faut apporter les mêmes réponses à tous les territoires de montagne, par exemple, qu'ils se trouvent dans les Alpes ou dans les Pyrénées.
Vous proposez de supprimer les alinéas 2 et 3 de l'article au motif déjà indiqué qu'ils rompront l'égalité entre les citoyens et organiseront la compétition entre les territoires. Je vous invite à relire les alinéas en question : ils visent à autoriser le transfert d'une compétence d'une collectivité à une autre, sans généralisation aucune. Prenons un exemple concret : à la fin des années 1990, la région Alsace a décidé de gérer elle-même les fonds structurels européens en recourant à la voie de l'expérimentation, raison pour laquelle il a fallu à terme généraliser le transfert de la gestion des fonds structurels européens. Si l'expérience avait été tentée au titre de la différenciation, certaines régions pourraient accepter de gérer les fonds européens qui, dans les autres cas, demeureraient sous la responsabilité de l'État. En quoi cela nuirait-il à l'égalité des citoyens devant la loi ? La différenciation des compétences consiste à examiner les meilleurs modes de gestion selon les territoires et les collectivités.
Deuxième exemple : certaines régions ou départements souhaitent récupérer une partie de la voirie nationale, d'autres non. En quoi les territoires seraient-ils par là mis en concurrence les uns avec les autres ? J'émets donc un avis défavorable tout en revenant sur la loi Littoral, qui est une dérogation pour certaines zones – même si elles sont géographiquement homogènes – à la loi générale en matière d'urbanisme. C'est donc bien une différenciation territoriale par rapport à la norme générale – il suffit de consulter le code de l'urbanisme et le droit applicable aux zones littorales pour s'en convaincre. La différenciation ne doit pas nécessairement se faire qu'en fonction des communes ; elle peut aussi concerner des ensembles homogènes de territoires. Nul besoin de différencier les quelque 35 500 communes de France. Sur des sujets spécifiques, il peut être opportun de différencier par blocs lorsque les problèmes se rejoignent. Quoi qu'il en soit, il s'agit bien d'une différenciation puisque la règle générale n'est pas appliquée dans des zones répondant à des caractéristiques identiques – littorales ou autres.
Lors de l'examen de la loi ELAN, nous avons débattu d'une modification de la loi Littoral concernant les dents creuses – un problème qui diffère selon qu'il s'agit de la Bretagne, de la Corse ou encore de la Côte d'Azur. Le principe de différenciation aurait pu permettre de tenir compte de la particularité de la Bretagne à cet égard sans imposer la modification de la loi à la Côte d'Azur, par exemple. C'est ainsi que nous serions au plus près de la réalité des territoires.
Autre sujet : l'enseignement. Il existe en Bretagne des réseaux bilingues performants qui sont au plus près de la population et répondent à des attentes culturelles et sociétales.
Je concluais, monsieur le président ! J'espère, dans ces conditions, que vous serez équanime en imposant une minute de temps de parole à tous les orateurs !
J'ajoute que la loi Littoral n'a pas différencié entre l'habitat groupé et l'habitat dispersé. Or, l'urbanisation des dents creuses permet d'économiser du foncier agricole.
De plus, depuis qu'elle gère le transport express régional (TER), la région Bretagne est parvenue en dix ans à doubler le nombre de passagers ; la SNCF n'aurait pas obtenu un tel résultat !
En ce qui concerne les langues et les cultures, je n'ai pas le sentiment d'une égalité d'accès. Ce n'est pas grâce à l'école que j'ai appris le breton mais seul ! Et que l'on ne me dise pas que le breton n'est pas la langue des Bretons ! Il y va du respect des minorités. Sachez que le Pays de Galles et l'Écosse utilisent leur autonomie pour conduire une politique moins libérale que celle de Londres !
La loi ELAN est un excellent contre-exemple : la modification de la loi Littoral n'a concerné presque exclusivement que la Bretagne. Les autres amendements déposés pour défendre les spécificités de tel ou tel territoire par rapport à la loi Littoral ont été refusés. Autrement dit, la majorité a modifié la loi au bénéfice de particularismes locaux lorsqu'ils l'intéressent, et a refusé les modifications pour d'autres territoires.
Puisque ce débat suscite une passion croissante, je rappelle un fait simple : partout, les représentants locaux sont élus et méritent autant de respect que nous en exigeons à notre endroit. Par conséquent, lorsque des élus dépositaires de l'intérêt général auront à faire valoir un besoin, une opportunité, une nécessité voire un désir de différenciation pour qu'il soit mieux répondu aux attentes des citoyens, ils le feront en toute responsabilité. Si leur choix s'avérait mauvais, défaillant ou inadapté à l'intérêt général, ils seraient soumis comme à chaque échéance électorale au choix des électeurs, qui les mettraient à la porte. Oublier que des politiques régionales ou départementales sont conduites par des élus tout aussi respectables que nous me semble au mieux inconvenant, voire quelque peu méprisant. Les propositions qui sont faites seront examinées dans le cadre d'un dialogue entre le Parlement, les administrations et les élus locaux qui prendront certaines initiatives. Nous ne sommes pas ici dans un organisme central qui octroie je ne sais quelles libertés à d'obscures provinces ! Les assemblées locales sont élues et formulent des propositions qui pourront désormais être validées – ou non – dans le respect de la loi et bientôt de la Constitution. Ayons cette différence à l'esprit dans ce débat !
En effet, les élus décideront, mais ce sont aussi des élus – à l'Assemblée nationale – qui, au nom de la compétitivité internationale de la France, ont décidé de s'attaquer au droit du travail national !
Imaginons que la compétence du droit du travail soit transférée aux régions – pourquoi ne serait-ce pas le cas, puisqu'il est différent selon que l'on se trouve en Bretagne, en Corse ou à Paris ? La même logique prévaudrait alors : les acquis sociaux seraient rognés pour attirer des entreprises et des emplois. Gardons-nous d'ouvrir cette boîte de Pandore.
Je suis élue locale depuis 1977, monsieur le rapporteur général ; c'est dire si je respecte les élus locaux. Cependant, lorsque certaines communes décident d'interdire l'inscription d'enfants à la restauration scolaire, il est heureux que les lois de la République rappellent les élus locaux à leurs devoirs ! La République assure le respect des droits des citoyens partout sur le territoire ; c'est une nécessité.
Je comprends votre préoccupation, madame Buffet, mais je rappelle que l'article 15, comme chaque tête de chapitre, précise que la différenciation peut avoir lieu « dans les conditions prévues par la loi organique et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti ». C'est bien de cela qu'il s'agit.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL763 de M. Vincent Rolland.
Cet amendement aurait pour conséquence d'élever au niveau organique la quasi-totalité des dispositions relatives aux compétences des différentes collectivités. Ce ne serait guère pertinent, sauf à vouloir alourdir la charge du législateur lors des réformes territoriales successives. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL1180 de M. Jean-Luc Warsmann.
Avis défavorable car cet amendement procède d'une confusion. Il vise à reprendre l'expression employée par le constituant pour définir la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) afin de circonscrire le périmètre des libertés protégées des adaptations par les collectivités. C'est une erreur car, par nature, le Conseil constitutionnel fait respecter la Constitution. Il se fonde donc sur les droit et libertés reconnus dans le bloc de constitutionnalité, à l'exclusion des autres sources.
Dans cet article 15, en revanche, les sources sont plus larges : il s'agit à la fois des libertés protégées par la loi et des droits fondamentaux énumérés par la Convention européenne des droits de l'homme. Sous couvert de correction juridique, l'amendement permettrait en fait aux collectivités de mettre en cause de nombreux droits dont disposent les citoyens sans qu'ils figurent dans la Constitution – comme le droit à l'avortement par exemple.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CL366 et CL346 de M. Paul Molac ainsi que l'amendement CL764 de M. Vincent Rolland.
Je retire l'amendement CL366, redondant, pour défendre l'amendement CL346, qui vise à rendre le droit à la différenciation et à la dérogation législative ou réglementaire plus effectif. Actuellement, toute adaptation impose de repasser par la loi. Nos collègues corses pourront en témoigner : leur collectivité a déposé cinquante-deux demandes d'habilitation ; deux d'entre elles seulement ont reçu une réponse – négative – et les autres sont restées sans réponse. Autrement dit, la procédure ne fonctionne pas.
C'est pourquoi je propose que dans un certain nombre de domaines à définir avec le Gouvernement dans le cadre de la loi, les collectivités puissent bénéficier d'une adaptation générale – et les Corses ne sont pas les seuls à exprimer ce besoin d'adaptation. La suppression de la période d'expérimentation va dans le bon sens ; j'entends simplement aller plus loin.
Je vois que M. Molac veut en effet aller plus loin, mais nous avons hiérarchisé les situations respectives des collectivités ordinaires, de la Corse et de l'outre-mer. Vous entendez importer les dispositions prévues pour la Corse dans le droit commun des collectivités territoriales. Ce n'est pas la logique que nous prônons ; avis défavorable.
L'article 15 du projet de loi constitutionnelle vise à permettre à une collectivité de disposer de compétences différant de celles qu'exercent les collectivités relevant de sa catégorie, qu'elles soient transférées par l'État ou par des collectivités territoriales d'une autre catégorie, après qu'une loi organique en aura défini les conditions et à l'exception des deux domaines que sont l'exercice d'une liberté publique et d'un droit constitutionnellement garanti.
Or, il faut s'interroger sur le sens de cette proposition de révision qui vise à mieux prendre en compte les « particularités locales » moyennant l'exercice d'un droit différencié, sans toutefois consolider la libre administration des collectivités locales définie par la loi.
Malgré les doutes relatifs à la portée de cet article, qui ne seront levés que par la loi organique et sa pratique, la loi constitutionnelle doit placer les collectivités territoriales au coeur de l'initiative de la différenciation. Afin de promouvoir un véritable droit ascendant à la différenciation, cet amendement vise à réécrire l'alinéa 3 de l'article 15 pour faire des collectivités le moteur de leur propre destin car en l'état, le texte – plutôt frileux – semble donner la seule initiative à la loi.
Nous partageons cette logique. À l'évidence, la différenciation territoriale ne doit pas être organisée contre l'avis des collectivités concernées – c'est le principe même sur lequel repose la notion de différenciation territoriale que nous défendons. La procédure ne commencera qu'à l'initiative des collectivités et même, plus précisément, à l'initiative de leurs organes délibérants. C'est ce qui ressort clairement de l'avis du Conseil d'État, ce qui figure dans notre projet de rapport et ce qui apparaîtra de nos débats. Le législateur organique ne nourrira aucun doute sur ce qu'il convient de faire pour répondre à votre exigence, monsieur Rolland. Je vous propose donc de retirer l'amendement ; à défaut, avis défavorable.
L'amendement CL366 est retiré.
La Commission rejette successivement les amendements CL346 et CL764.
Elle est saisie de l'amendement CL1355 de M. Vincent Bru.
En 2003, le droit à l'expérimentation pour une durée et un objet précis a été introduit dans la Constitution. Au terme de l'expérimentation, la mesure était soit généralisée, soit supprimée. Le droit à la différenciation vise à aller plus loin, comme l'a souhaité le Président de la République avec l'avis favorable du Conseil d'État.
Ce droit à la différenciation permettra tout d'abord à des collectivités d'exercer des compétences – en nombre limité – dont ne disposent pas les autres collectivités de même catégorie, et d'obtenir des dérogations aux lois et règlements en vigueur. Or, le texte présente une différence entre les deux alinéas qui me semble anormale : l'alinéa 5 fait référence aux collectivités territoriales et à leurs groupements tandis que l'alinéa 3 ne mentionne pas les établissements publics de coopération intercommunale. Pourtant, de nombreuses compétences sont actuellement exercées par des EPCI – des groupements de communes ayant une taille et des responsabilités parfois très importantes.
Il me semble nécessaire de raisonner en termes de bloc communal. C'est pourquoi je propose que l'alinéa 3, comme l'alinéa 5, précise que le droit à la différenciation concerne les collectivités territoriales ou leurs groupements.
Nous nous sommes posé la question du non-parallélisme des formes entre l'alinéa relatif à la différenciation des compétences et celui qui concerne la différenciation de l'adaptation des lois et règlements, et nous avons interrogé le Gouvernement ainsi que la direction générale des collectivités locales. À ce stade, nous n'avons pas de réponse claire : les uns considèrent que les groupements, qui procèdent de la volonté des communes, sont ainsi tacitement inclus, mais les autres – comme vous, monsieur Bru – estiment que cela irait mieux en le disant. Le parallélisme me semble nécessaire : soit les groupements sont mentionnés dans les deux alinéas, soit ils ne le sont nulle part.
Puisque nous avons identifié cette question avec le Gouvernement et que nous y reviendrons en séance publique, je vous propose de retirer l'amendement. Il est parfaitement légitime de s'interroger sur le transfert de compétences pour les EPCI dès lors qu'ils sont autorisés plus loin dans l'article à adapter les lois et règlements. Attendons d'avoir une vision claire de la place des groupements dans cet article sur la différenciation.
Pourquoi ne pas adopter cet amendement puisque le rapporteur semble estimer que cette différence n'est pas normale ? Le fait de mentionner les groupements dans un alinéa mais pas dans un autre pourrait être interprété comme une restriction – ce qui ne semble pas correspondre à la volonté du constituant. Mieux vaut donc adopter d'emblée l'amendement !
Nous écoutons les explications de M. le rapporteur avec beaucoup d'intérêt, mais nous nous interrogeons tout de même sur le lien qui doit être établi entre l'élection au suffrage universel et la possibilité offerte à un EPCI de déroger à une loi ou à un règlement. Les mesures inscrites dans la Constitution doivent être étudiées avec beaucoup d'attention – je ne doute pas que le rapporteur l'a fait – à la lumière de l'élection au suffrage universel des catégories de collectivités considérées.
C'est bien pourquoi j'estime qu'il faut examiner cette question sérieusement. Pour répondre à M. Bru, les groupements n'étaient pas mentionnés jusqu'à présent dans la Constitution et les choses ont pu se faire tout de même.
J'ai tâché, dans mon argumentation, de faire valoir le non-parallélisme des alinéas…
… ce qui ne signifie pas qu'il faut apporter la précision dans les deux cas car on peut très bien ne rien préciser du tout si l'on considère que cela irait de soi. C'est pourquoi j'appelle à la prudence et je demande le retrait de l'amendement.
Je vous signale que les groupements figurent déjà dans la Constitution. L'amendement propose bien d'ajouter, à l'alinéa 2, au mot « territoriales », les mots « ou leurs groupements ». J'imagine qu'il y a de bonnes raisons pour que le texte ne le précise pas.
Je me range à l'avis du rapporteur et, avant que nous revenions sur le sujet en séance, je retire mon amendement.
L'amendement est retiré.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL761 et CL781 de M. Vincent Rolland.
L'article 15 a pour objet d'introduire dans la Constitution le droit à la différenciation et de favoriser l'expérimentation normative pour les collectivités territoriales. Or, le risque serait grand de donner la possibilité au pouvoir central de se défausser de certaines de ses missions sur une partie du territoire sans accord préalable. Par conséquent, il apparaît indispensable que le processus évoqué dans l'alinéa 3 ne puisse se faire à l'insu des collectivités concernées. C'est l'objet de l'amendement CL761.
Quant à l'amendement CL781, de précision, il vise à expliciter la manière dont les collectivités territoriales solliciteront ce mécanisme.
Nous partageons votre volonté, j'y insiste, même si j'émets un avis défavorable à ces deux amendements. L'amendement CL781 entend introduire, à l'alinéa 3, après le mot : « territoriales », les mots « qui, après délibération, en font la demande auprès du Gouvernement » ; or, il peut également s'agir de transferts entre collectivités. Dès lors, votre proposition est imparfaite si vous voulez vraiment que s'exerce la différenciation territoriale entre les collectivités.
La Commission rejette successivement ces amendements.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques CL347 de M. Paul Molac et CL1130 de M. Michel Castellani, puis l'amendement CL1175 de M. Jean-René Cazeneuve.
L'amendement CL347 prévoit la possibilité d'un transfert différencié des compétences de l'État vers les collectivités locales demandeuses. À l'alinéa 3, après le mot : « compétences », nous souhaitons insérer les mots : « transférées par l'État ou ». Il s'agit de montrer, en dehors des compétences propres au département et à la région – par exemple en Corse, qui ne forme qu'une seule collectivité et qui a donc à la fois les compétences de la région et du département –, que certaines compétences peuvent être transférées directement par l'État, comme cela a été le cas en Bretagne pour l'eau.
Je ne reprendrai pas les arguments exposés par notre collègue Molac. Sur le fond, il s'agit d'adapter le mieux possible la loi aux réalités du terrain. J'entends déjà la réponse qui me sera faite : ce serait la cacophonie.
Une loi organique fixerait les conditions de l'application de la mesure proposée, application qui pourrait se traduire par une contractualisation entre l'État et les collectivités, le contrôle de légalité étant assuré par les services préfectoraux voire par le Conseil d'État. Le reproche de semer le désordre parmi les diverses collectivités de l'État ne tient dès lors pas.
L'article 15 prévoit un droit à la différenciation territoriale. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation approuve bien sûr cette volonté et a d'ailleurs mené une mission sur le sujet. Aussi, dans le prolongement de ses travaux, nous proposons d'apporter, par le biais de l'amendement CL1175, une précision sur l'origine des compétences concernées par la différenciation. Il pourra s'agir de compétences aussi bien transférées par l'État que par des collectivités d'une autre catégorie. L'amendement prévoit également l'accord des collectivités concernées. Cela nous paraît indispensable en application du principe de libre administration des collectivités territoriales.
Vous avez vous-même apporté une réponse à votre propre amendement, monsieur Poulliat, puisque le principe de libre administration et de non-tutelle d'une collectivité sur une autre reste dans la Constitution. Il ne saurait donc être question, entre collectivités, d'oeuvrer différemment. Il me semble par ailleurs que votre proposition, même si, je l'ai déjà dit, j'en partage la philosophie, relève de la loi organique. Demande de retrait ou avis défavorable.
Ensuite, les deux amendements identiques de MM. Castellani et Molac me semblent satisfaits par la rédaction actuelle. La différenciation, caractérisée par l'exercice de compétences différentes par des collectivités d'un même niveau, pourra résulter soit d'un transfert venu des collectivités de taille supérieure parmi lesquelles l'État, soit d'un transfert de collectivités de taille inférieure si elles s'y accordent. Or, la rédaction que vous proposez présente le risque d'une interprétation selon laquelle la différenciation ne pourrait résulter que du transfert de compétences de l'État à l'exception de tout autre. Je comprends bien la volonté de nos collègues corses mais nous en discuterons à l'occasion de l'examen de l'article 16. Avis défavorable.
Il s'agit à mon avis de propositions de rang constitutionnel. S'il n'est pas clairement précisé dans la Constitution que l'État peut transférer des compétences aux collectivités territoriales ou que ce transfert peut avoir lieu entre collectivités si elles s'accordent, on considère qu'il n'est pas possible, dans l'exercice du droit à la différenciation, de peaufiner le statut et les compétences. Or, c'est un noeud gordien. En effet, à ne considérer que le fameux débat sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les collectivités – parmi lesquelles la Corse – sont soumises à un effet ciseaux : il y a eu un transfert de compétences pendant trente-cinq ans sans transfert des dotations – elles ont même diminué. Or, s'il n'y a pas d'avancées sur les transferts fiscaux avec une contractualisation entre l'État et les collectivités, ces dernières risquent d'aller à l'abîme – l'histoire le montre. Vous voulez donc verrouiller le système a priori.
Il me semble, monsieur Acquaviva, que le texte – dans ses articles 15 et 16 notamment – envisage les dispositions constitutionnelles nécessaires à la réalisation de la différenciation territoriale. Je pensais que sur ce point au moins nous étions d'accord.
Il est évident que la question du transfert de compétences est posée entre l'État et les collectivités et entre les collectivités entre elles – sinon de quelle différenciation parlerions-nous ? C'est la logique même des choses, sinon il était inutile de prévoir un article 15. Nous reviendrons ensuite sur la loi organique. Mais le principe est posé et le Conseil d'État, le Gouvernement le soulignent bien. Il n'est pas utile d'alourdir la Constitution dès lors que la volonté du constituant est aussi claire.
La Commission rejette successivement les amendements.
Elle en vient aux amendements identiques CL348 de M. Paul Molac, CL1125 de M. Michel Castellani, et CL1308 de M. Jean-Félix Acquaviva.
J'ai posé à la garde des Sceaux la question de savoir s'il y aurait des délégations de la part de l'État. La réponse fut curieuse : les collectivités auront le droit d'exercer des compétences transférées par d'autres collectivités mais il n'y aura pas forcément de transfert de la part de l'État. Il faudra donc que nous y revenions en séance publique afin que tout soit bien clair.
L'amendement CL348 vise à supprimer, à l'alinéa 3, les mots : « en nombre limité ». En effet que signifient-ils ? Par exemple, la loi dispose que les secteurs de taille et de capacité d'accueil limitées (STECAL) sont exceptionnels. Or, leur nombre dépend de la situation du territoire, comme, en Bretagne, un territoire d'habitat dispersé où les STECAL deviennent de plus en plus nombreux. Un bourg comprenant une quarantaine de villages avec de nombreuses dents creuses nécessiterait une quarantaine de STECAL pour les combler. Vous comprendrez donc que les mots « en nombre limité » ne me paraissent pas très clairs.
On se demande en effet à quoi correspond cette expression. On peut par ailleurs observer que les compétences éventuellement dévolues aux collectivités territoriales sont soumises à des conditions : habilitation par le pouvoir législatif, expérimentation… Il semble redondant et donc inutile de limiter le nombre de ces compétences, le pouvoir législatif pouvant décider de ce qui est dévolu aux collectivités territoriales ou non.
Il semble que l'article 15 comporte de nombreux verrous. On ne sait pas trop ce que signifient, nos collègues viennent de le souligner, le « nombre limité », sinon, évidemment, que les compétences en question seront très encadrées. Je rappelle que le droit à l'expérimentation est un échec patent – prévisible dès lors qu'on a voulu généraliser des spécificités structurelles. En matière d'échec des demandes d'adaptation, je pense également au statut de la Corse du 22 janvier 2002. La notion de « nombre limité » sans précision nous paraît la manifestation d'une crainte inutile puisque le dispositif, vous venez de le préciser, monsieur le rapporteur, peut être défini par la loi.
Comme indiqué précédemment, la différenciation du droit commun suppose des adaptations par rapport à ce qui demeurerait un droit commun globalement intelligible – y compris par les citoyens, d'ailleurs. Il ne s'agit pas d'imaginer que des départements pourraient vider la région qu'ils composent de ses compétences – ou l'inverse dans une autre région –, mais bien d'adapter, en fonction de spécificités territoriales, les compétences exercées.
Le projet de loi propose judicieusement que les transferts de compétences soient en nombre limité, ce qui permet de garantir un bon fonctionnement du dispositif – la capacité à différencier – sans que soit totalement remise en cause l'architecture territoriale qui procède tout de même d'un certain nombre d'années et de lois territoriales. Ceci n'empêche pas, dans certains cas – donc en « nombre limité » –, d'adapter les compétences. Avis défavorable.
J'entends vous alerter, chers collègues, sur la réécriture de l'alinéa 4 qui traite de l'expérimentation. À l'origine, ce droit visait une dérogation pour un objet et une durée limitée. Or là, sous couvert d'un assouplissement censé permettre un droit à l'expérimentation dans une seule collectivité, on retouche légèrement le texte en apparence mais avec une grave modification de fond. L'objet visé et la durée limitée deviennent « nombre limité ». Vous changez complètement l'objet même du droit à l'expérimentation !
Je vous invite à examiner ce point de près afin que nous réécrivions cette disposition d'ici à l'examen en séance.
Si une collectivité fait une demande d'expérimentation trois fois, quatre fois, cinq fois, va-t-on lui répondre qu'au-delà de trois fois, comme c'est « en nombre limité », ce n'est plus possible ? Nous sommes tout de même en train de réviser la Constitution ! Or cette imprécision peut, à terme, poser un problème juridique.
La Commission rejette ces amendements.
Puis elle examine les amendements identiques CL1128 de M. Michel Castellani et CL1313 de M. Jean-Félix Acquaviva.
À l'alinéa 3, après le mot : « limité », je propose d'insérer les mots : « dont des compétences en matière fiscale et réglementaire ». L'article 15 ne caractérise pas les compétences que nous venons d'évoquer et dont disposerait l'ensemble des collectivités.
Aussi l'amendement a-t-il pour objet de préciser ces compétences, accordant la possibilité aux collectivités territoriales de prendre des mesures en matière fiscale ou réglementaire pour les adapter au contexte social. Je précise, à la suite de ce qui a été dit il y a quelques minutes, qu'il s'agirait d'adapter les mesures au contexte social pour l'améliorer et non pour le dégrader ; le but est bien, pour notre administration corse, de renforcer l'homogénéité sociale. Il ne s'agit pas d'appauvrir les pauvres et d'enrichir les riches, mais bien de stimuler la croissance économique.
Si nous évoquons ici la fiscalité, c'est que nous y sommes souvent confrontés dans le cas corse, mais d'autres territoires sont également concernés qui eux aussi doivent faire face à une application tronquée du principe d'égalité, notamment pour éviter les transferts fiscaux. Inscrire dans le marbre constitutionnel qu'il est possible, pour résoudre des situations différentes, de disposer de compétences fiscales, c'est avoir la garantie d'une bonne base de discussion législative sur le principe d'égalité.
Avis défavorable.
La fiscalité locale française est complexe et il ne paraît pas nécessaire de la compliquer davantage. Pour ce qui est de la question corse, nous allons plus loin dans la différenciation et c'est à l'occasion de l'examen de l'article 16 que nous pourrons en discuter. En outre, l'expression « compétence réglementaire » n'a pas grand sens dans la mesure où toutes les collectivités peuvent d'ores et déjà prendre des arrêtés et disposent donc déjà d'un pouvoir réglementaire.
La Commission rejette ces amendements.
Elle en vient à l'amendement CL759 de M. Vincent Rolland.
Le présent amendement vise à sécuriser la possibilité nouvelle donnée aux collectivités territoriales par la Constitution. En effet, afin d'apporter de la stabilité juridique aux citoyens des collectivités concernées, il serait nécessaire d'encadrer cette disposition, en précisant à quelles conditions la latitude donnée aux collectivités territoriales peut leur être retirée par la suite. Nous souhaitons apporter une précision en conditionnant la modification de la possibilité de dérogation à un motif d'intérêt général.
Par ailleurs, il convient de préciser que le présent amendement n'empêche pas qu'il soit mis fin à une expérimentation si cette dernière n'était pas concluante
Il y a quelque chose d'un peu paradoxal dans votre amendement puisque vous dites à la fois que la différenciation territoriale est nécessaire et, dans le même temps, que les collectivités ou l'État pourraient agir contrairement à l'intérêt général. Or, nous espérons bien que les collectivités et l'État agissent pour l'intérêt général. L'article 15 du présent texte prévoit par ailleurs une limite à ces exercices de différenciation en ce qu'ils doivent respecter les conditions d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garantis. Enfin, évidemment et c'est la logique même des choses, la différenciation doit servir l'intérêt général. Avis défavorable.
L'intérêt général est ici entendu comme celui des collectivités territoriales et de leurs territoires.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL1176 de M. Jean-René Cazeneuve et CL352 de M. Paul Molac.
L'amendement CL1176 est la traduction de la première partie de la proposition n° 5 de la mission de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur l'expérimentation et la différenciation territoriale. S'il existe des lois pour la montagne » ou des lois pour le littoral, il semble possible d'améliorer la prise en compte des spécificités de l'ensemble des territoires. C'est pourquoi le présent amendement vise à introduire dans la Constitution une obligation pour le législateur et pour le pouvoir réglementaire, à chaque fois qu'ils édictent une norme s'imposant aux collectivités ou à leurs groupements et surtout si elle a un impact significatif, de prendre en compte, s'il y a lieu, les spécificités objectives des territoires concernés.
Si la loi est faite dans l'intérêt général, dès qu'on en vient à son application dans les territoires, c'est nettement plus compliqué avec des inégalités de fait et qui sont très loin de l'équité. Il s'agit donc d'examiner la manière dont les textes pourraient s'appliquer directement sur le terrain ; ce serait sans doute moins rigoureux d'un point de vue juridique mais plus facilement adaptable aux territoires. Un juriste m'a déclaré un jour qu'il trouvait bizarre que le règlement qu'il avait rédigé ne puisse s'appliquer puisqu'il était conforme à la loi ! J'ignore s'il était naïf ou de mauvaise foi mais on sait bien que quand on veut qu'une mesure ne passe pas, on trouve toujours un modus operandi… Aussi la prise en compte des difficultés spécifiques des territoires permettrait-elle à la loi de gagner en efficacité réelle.
Ces amendements sont très ambitieux.
Imaginons une loi qui concerne les communes. Il faudrait, à peine d'inconstitutionnalité, qu'elle adapte toutes ses prescriptions à ce que vous nommez les « spécificités objectives des territoires ». Mais où trouver la liste de ces spécificités ?
Je suppose que la faible densité démographique en est une, que la forte densité en est une autre, ou encore une répartition démographique irrégulière. Sans compter la montagne, la ville, la campagne, la mer, les fleuves, l'insularité qui sont autant de spécificités également. J'y ajouterai les activités polluantes, la présence de zones protégées, l'existence d'espèces animales en danger – et j'interromps la liste ici.
Vous voyez que la liste des spécificités objectives est sans fin et qu'aucune loi sur les collectivités ne pourrait être constitutionnelle. Aussi, plutôt qu'un mécanisme juridique de différenciation, que la Constitution permet d'ailleurs déjà, je vous invite à privilégier une procédure politique : que les députés et sénateurs des territoires concernés fassent connaître à leurs collègues ces éléments objectifs qui pourraient justifier une adaptation spécifique par la loi. Demande de retrait ou avis défavorable pour ces deux amendements.
La question que posent ces amendements est la manière d'élaborer la loi. Je vais prendre un exemple montrant que leur adoption pourrait créer des difficultés mais qu'ils répondent à un vrai problème.
La loi de finances prévoit la contractualisation pour les collectivités locales dont le taux de croissance des dépenses de fonctionnement ne doit pas dépasser 1,2 % par an, inflation comprise. Parmi les critères d'attribution d'un malus aux collectivités figure la construction de logements. J'avais déposé un amendement faisant valoir que certaines communes ne peuvent pas construire de logements : celles devant respecter un plan d'exposition au bruit (PEB), celles soumise à la loi sur le littoral, celles relevant de la loi sur la montagne. Le territoire de ces communes est contraint, si je puis dire. On m'a répondu que ce n'est pas grave. Eh bien, une commune que je connais bien a été pénalisée par le préfet parce qu'elle n'a pas construit assez de logements alors même que la loi le lui interdit !
Le rapporteur semble se demander comment faire pour prendre les spécificités en compte : par le dialogue, tout simplement, par la confiance, par le pacte de confiance entre l'État et les territoires et qui doit relever du domaine de la loi. Or, l'administration centrale et parfois le Parlement ne s'y livraient pas. Ainsi, s'il y a eu une seconde loi montagne, en décembre 2016, c'est parce que celle de 1985 qui devait consacrer la diversité des territoires de montagne n'a pas été bien appliquée et cela pour des raisons culturelles et politiques. C'est bien pourquoi, pour remédier à ce déficit de confiance, d'aucuns ressentent le besoin de contraindre par la loi l'État et les collectivités à dialoguer.
La Commission rejette successivement ces amendements.
Elle examine ensuite l'amendement CL760 de M. Vincent Rolland.
Il est proposé que les compétences puissent être transférées d'une collectivité à une autre par simple accord entre elles, sans passer par la loi. C'est difficilement envisageable : l'État est le garant de l'intérêt général, il lui appartient de vérifier que l'accord en question ne porte préjudice à personne, notamment aux collectivités tierces et aux personnes qui résident sur le territoire concerné. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL815 de Mme Danièle Obono.
Étant donné qu'on renforce les compétences des élus locaux, il semble cohérent d'accroître dans le même temps leur responsabilité, d'où la présente proposition d'instaurer un droit de révocation à l'issue de la première moitié du mandat – pour éviter des révocations permanentes, donc des élections à répétition. Ainsi, à la demande d'un dixième des électeurs d'une collectivité, pourrait se tenir un référendum révocatoire afin que les citoyens contrôlent l'action de leurs élus sans attendre la fin de leur mandat.
Ce n'est pas la première fois que nous abordons le sujet. Reconnaissons que vous avez la révocation assez facile, seul moyen selon vous de responsabiliser les élus.
C'est le seul moyen de régulation que vous nous proposez. Le Président de la République, le Premier ministre, les ministres et maintenant les élus locaux ! Il ne manque plus que les partis politiques mais je ne vois pas qu'une telle idée figure dans vos statuts…
Franchement, proposer que 10 % des citoyens puissent révoquer un maire…
Soit, créer les conditions de la révocation… Reste que je ne sais pas si vous connaissez la réalité territoriale, mais dans une commune de cinquante habitants, il suffirait de cinq habitants ! C'est donc là ce que vous proposez ? Ce seul exemple suffit à justifier un avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement CL767 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Le présent amendement vise à supprimer les alinéas 4 et 5, donc la possibilité pour les collectivités territoriales ou leurs groupements de déroger aux lois ou aux règlements qui régissent l'exercice de leurs compétences.
Si nous adoptons cette réforme constitutionnelle, les élus ne seront plus jugés et ne feront plus campagne uniquement sur leur façon de gérer les compétences qu'ils possèdent mais sur leur capacité à en obtenir de nouvelles. Nous courons ainsi le risque d'une inflation, donc du démembrement de la République.
Imaginons qu'un élu obtienne une nouvelle compétence et qu'il soit battu aux élections parce qu'il n'arrive pas à l'exercer correctement – et aussi peut-être parce qu'elle n'est pas adaptée au périmètre de sa collectivité –, eh bien, son successeur hérite de cette compétence et, dès lors, soit il devra exercer une compétence qu'il ne peut pas exercer, soit il revient en arrière et nous assisterons alors à un va-et-vient permanent et hasardeux de transferts de compétences entre l'État et les collectivités. Les dispositions prévues sont donc plus de nature à créer le désordre qu'autre chose.
J'ai déjà répondu sur la philosophie générale de la différenciation. Donc, pour le même motif que précédemment, j'émets un avis défavorable.
Il est toujours instructif de lire les exposés sommaires des amendements déposés par les députés du groupe La France Insoumise. Je ne sais pas qui a rédigé celui de l'amendement que vous venez de défendre, monsieur Lachaud, mais il comporte des mots choquants. Selon vous, les élus seraient des « petits seigneurs locaux ». Nombre d'entre nous ont été conseillers municipaux, adjoints au maire, maires, présidents d'EPCI… Plus qu'un travail, c'est un engagement de tous les jours qui réclame beaucoup d'abnégation. Le rapporteur général l'a rappelé : les mandats locaux sont renouvelés tous les six ans ; or, pour conduire un projet municipal, six ans, c'est court. Aussi les élus font-ils ce qu'ils peuvent avec ce qu'ils ont et toujours avec détermination. Je suis donc choqué, je le répète, par cette qualification.
Je suis ravi, monsieur Balanant, que vous lisiez les exposés sommaires de nos amendements. J'aurais souhaité que vous lisiez attentivement et jusqu'au bout. Vous auriez ainsi pu noter que les expressions « seigneurs locaux », « baronnies »… se réfèrent à l'Ancien Régime et à la situation qui découlerait de l'application de la réforme et qu'elles ne décrivent en rien la situation actuelle. Nous revendiquons d'ailleurs, et j'espère vous aussi, un véritable statut protecteur pour les élus locaux mais aussi nationaux.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CL1177 de M. Jean-René Cazeneuve, CE1126 de M. Michel Castellani, CL349 de M. Paul Molac, CL1481 de M. Jean-Luc Warsmann, puis les deux amendements identiques CL350 de M. Paul Molac et CL1314 de M. Jean-Félix Acquaviva, enfin les amendements CL1127 de M. Michel Castellani et CL351 de M. Paul Molac.
À l'alinéa 5, je souhaite supprimer les mots : « lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu ».
Le projet de loi conditionne les compétences accordées aux collectivités territoriales à une autorisation, limitant le pouvoir accordé. Les compétences seraient sujettes à d'autres conditions : un objet limité comme nous en avons discuté, une expérimentation que nous avons aussi évoquée. Cette autorisation systématique est une limite objective. On comprend que sont remis en question le degré de compétence des collectivités et le potentiel d'initiative de ces dernières. En clair, l'amendement CL1126 a pour objet de faire sauter ce verrou afin, à l'inverse, d'élever le niveau de compétence des collectivités.
L'amendement CL349 propose que soit trouvé un mécanisme plus pertinent en ce qui concerne l'habilitation. On a vu que celui mis en oeuvre en Corse n'a pas fonctionné. C'est pourquoi nous souhaitons, à l'alinéa 5, retenir le principe d'une habilitation par décret en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État. Il s'agit de faire en sorte que la procédure soit plus fluide afin qu'on parvienne vraiment à un droit d'adaptation puisque, jusqu'à présent, tout est resté bloqué.
Le texte prévoit que « les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger, pour un objet limité, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences […] » Nous ne voudrions pas que cet « objet limité » soit un objet politique non identifié. Comme tout à l'heure, cette expression n'est pas très claire. Il n'est pas nécessaire de la faire figurer dans la Constitution si un décret en Conseil d'État ou une loi détermine cet objet. C'est le sens de l'amendement CL350.
Comme vient de le souligner M. Paul Molac, l'expression « objet limité » est très floue et peut être la manifestation d'une crainte. En effet, pourquoi le préciser dans la Constitution alors que c'est la loi qui va définir la portée des dérogations elles-mêmes examinées au cas par cas ? Je trouve décidément qu'il y a beaucoup de virgules, de conditions, bref de verrous dans cet article. Si on veut libérer l'action des territoires, c'est inutile, à moins qu'à l'inverse on ne veuille cadenasser d'avance la loi qui suivra. Or, comme nous avons l'expérience, en la matière, de l'échec des usines à gaz, l'amendement CL1314, identique au précédent, supprime les mots « objet limité » de l'alinéa 5. En effet, le seul objet qui vaille est l'intérêt des populations librement entendues dans le cadre des discussions entre l'État et les collectivités territoriales.
L'amendement CL1127 vise, à l'alinéa 5, à substituer aux mots « un objet limité » les mots : « une matière définie ». J'entends par là préciser la rédaction d'un texte qui, on l'a dit, reste floue. Cette matière sera définie par la loi organique.
L'amendement CL351 vise à ce que la dérogation aux lois et règlements soit rendue possible pour les collectivités locales au-delà du seul exercice de leurs compétences. Je rappelle que les collectivités font une demande pour être habilitées.
Certains de ces amendements visent à étendre à l'article 15 les dispositifs relatifs aux départements et régions d'outre-mer prévus à l'article 17. Or, la différenciation doit être une première étape et l'extension de son périmètre à ce qui est prévu pour l'outre-mer ne me paraît pas fondée.
Ensuite, concernant l'expression « objet limité », M. Acquaviva propose, lui, un objet illimité ou du moins limité au seul intérêt des populations ou des collectivités locales… C'est là notre différence : nous estimons que la Constitution doit préciser qu'il s'agit d'une habilitation bornée.
C'est pourquoi je suis défavorable à tous les amendements en discussion commune.
Les propos de M. Molac sur l'habilitation sont tout à fait exacts. Le vrai problème, c'est que quand des collectivités qui en ont le droit demandent une habilitation, le Gouvernement ne répond pas. La Constitution ne peut pas imposer une habilitation alors que les gouvernements successifs ne l'ont pas allouée à ce point. Il y a là une sorte de mépris insupportable vis-à-vis des collectivités locales. Nous devons trouver le moyen, d'ici à l'examen du texte en séance, de faire en sorte que le Gouvernement ait l'obligation de répondre à la demande d'habilitation et qu'un silence de sa part vaille dès lors accord tacite. On ne peut pas continuer ainsi, j'y insiste.
Je n'ai pas dit que l'objet devait être illimité mais précisé par la loi, donc par le Parlement au terme d'une discussion. Au rang constitutionnel, c'est, je le répète, appliquer un verrou de trop.
L'amendement CL1481 est retiré.
La Commission rejette successivement les amendements.
Elle en vient aux amendements identiques CL1129 de M. Michel Castellani et CL1316 de M. Jean-Félix Acquaviva.
À la fin de l'alinéa 5, je souhaite supprimer la référence à une expérimentation. C'est un des verrous précédemment évoqués, qui traduit à tout le moins une grande méfiance pour toute évolution de la loi. Un nombre suffisant de conditions sont déjà posées afin de contrôler l'initiative locale. Du fait de l'habilitation, il n'y a pas lieu de procéder à une expérimentation.
La dérogation est susceptible d'être associée à l'expérimentation. On a donc l'impression d'une juxtaposition illogique puisqu'on greffe une nouveauté censée remplacer un ancien mécanisme ayant largement prouvé son inefficacité… précisément sur cet ancien mécanisme. De surcroît, l'avis du Conseil d'État a suggéré une réforme du régime d'expérimentation qui pourrait donner lieu à une dérogation pérenne et non plus seulement à une généralisation ou à un abandon. Il faudra nous expliquer la différence, pas simplement conceptuelle, entre une expérimentation qui deviendrait permanente et le droit à la différenciation. Tous ces éléments, du point de vue de la logique, du droit et de la pratique commandent la suppression de la référence à l'expérimentation.
J'ai l'impression que nous ne comprenons pas l'article 15 de la même manière. L'expérimentation et la différenciation sont les deux faces d'une même pièce : la première a vocation à rester temporaire tandis que la seconde serait pérenne.
L'expérimentation imaginée en 2003 était vouée à l'échec précisément parce qu'elle ne pouvait être que temporaire et donner lieu, à terme, soit à un abandon, soit à une généralisation. Nous entendons ici combler ce manque en proposant l'issue de la pérennisation.
Dans cette optique, l'expérimentation reprend tout son sens. On n'est jamais certain, quand on défend une idée politique, de la voir prospérer en la confrontant au réel. De même, une bonne initiative peut être bonne pour tout le monde, d'où une généralisation.
Le texte dispose : « Dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger, pour un objet limité, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences, éventuellement après une expérimentation autorisée dans les mêmes conditions. » Tout est dans le mot « éventuellement » : l'expérimentation n'est pas obligatoire ; seulement, nous en laissons la possibilité aux collectivités qui le souhaitent si elles estiment nécessaire de tester le besoin de transfert de telle ou telle compétence ou l'adaptation de la loi ou du règlement sans passer directement à sa pérennisation.
Nous n'avons donc pas du tout la même lecture que vous de cet alinéa. Avis défavorable.
Si je comprends bien, il suffit qu'une collectivité soit habilitée à exercer une compétence pour que, placée dans les mêmes conditions, une autre puisse expérimenter elle aussi la même solution.
Vous défendez toujours, avec une constance remarquable, les mêmes positions. Concédez que je fasse de même. Les sujets dont nous débattons sont propres… à la Corse, puisqu'ils relèvent de l'article 16 du projet de loi. On ne saurait donc invoquer un parallélisme des formes entre cette collectivité à statut spécial et les autres collectivités.
L'expérimentation a échoué par le passé parce que c'était une usine à gaz. Nous craignons un échec de la différenciation pour les mêmes raisons.
Je ne vois pas de risque d'une usine à gaz, puisque le texte ouvre seulement la possibilité de cette différenciation. Les collectivités peuvent opter d'emblée pour un dispositif pérenne. Vous n'avez aucune crainte à avoir.
La Commission rejette les amendements.
Elle examine les amendements CL1455 et CL1456 de M. Paul-André Colombani.
Il s'agit d'amendements d'appel. Nos électeurs nous ont en effet donné le mandat de faire évoluer le statut de la Corse vers l'autonomie ; pour ce faire, nous avons besoin d'outils.
L'amendement CL1455 vise à permettre à la Corse dans une loi organique spécifique et déterminant les conditions de son statut particulier, de modifier, après consultation des populations intéressées, le nombre – y compris par fusion – et le nom des communes sur le territoire insulaire. En effet, à la suite de la loi NOTRe, le préfet a peiné à dessiner la carte de nouvelles communes.
L'amendement CL1456 vise à instituer un contrôle de légalité conjoint du préfet et de la collectivité de Corse sur les actes des communes corses. Une disposition similaire existe chez nos voisins italiens, dans le statut spécial du Val-d'Aoste, à l'article 43. J'observe d'ailleurs que, dans la Constitution italienne, l'autonomie régionale est la règle et non une exception.
Je trouve bien hardis vos amendements d'appel… Il s'agit tout de même de laisser une collectivité s'arroger des prérogatives d'État au détriment des communes ! Pour votre premier amendement, je rappelle que la loi du 16 mars 2015 relative à l'amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes, dite « loi Pélissard », permet aux communes qui le souhaitent d'engager une fusion sur une base volontaire. Pour le second, le principe de non-tutelle d'une collectivité sur une autre s'oppose à son adoption.
Je suis donc, à plusieurs titres, très défavorable à vos deux amendements.
Ce débat sur la spécificité annonce ceux que nous pourrons avoir lorsque nous examinerons l'article 16, relatif à la collectivité de Corse. Laissez-moi vous dire que, lorsqu'on foule aux pieds le principe de libre administration des collectivités territoriales et qu'on revendique pour l'une d'entre elles l'exercice du contrôle de légalité, on ne défend plus l'autonomie mais la création d'un État indépendant.
En effet, grâce à la « loi Pélissard », les communes peuvent devenir des collectivités nouvelles sur une base volontaire tandis qu'il revient à l'État de rester le gardien des grands principes.
Je maintiens que la création d'un État indépendant n'est pas l'objectif que nous poursuivons, mais la pleine réalisation de l'autonomie de la Corse. Je me contente de vous renvoyer de nouveau au statut du Val-d'Aoste, que je peux vous distribuer, pour la meilleure information de la Commission. En Europe, 400 millions de citoyens vivent dans des régions autonomes ; n'agitons donc pas le chiffon rouge !
S'agissant des intercommunalités, l'ensemble des communes corses se sont déclarées favorables à ce que les compétences en ce domaine soient confiées à la collectivité de Corse. Aujourd'hui, les critères très restrictifs, notamment ceux relatifs à la très faible densité démographique, empêchent d'opérer les rapprochements nécessaires. Devant cette demande unanime des communes corses, ne parlons donc pas d'atteinte à la démocratie.
La question de la tutelle d'une collectivité sur une autre peut être embarrassante. Mais la présentation de notre collègue Jean-Félix Acquaviva montre quelle est la défiance des territoires envers le pouvoir central, qui leur impose des critères de regroupement très restrictifs. C'est pourquoi j'avais refusé, lorsque nous avions examiné la loi NOTRe, la notion de chef de file, qui me paraissait contraire au principe de non-tutelle d'une collectivité sur une autre.
La loi MAPTAM, la loi NOTRe, le découpage des régions… voilà autant de sujets débattus du temps où vous, monsieur Habib, aviez la majorité ! Certes, le pouvoir central a parfois procédé à des découpages à la hussarde, mais tous ses péchés ne se concentrent pas sur la seule année écoulée. Ce n'est pas nous qui avons voté ces lois imposant un seuil de 15 000 habitants et de faibles possibilités d'y déroger. Ce n'est pas nous non plus qui avons effectué un découpage des régions dénué de sens au plan culturel, historique et géographique.
Vous êtes bien désagréables avec notre rapporteur général, qui appartenait à cette majorité…
La défiance des territoires n'est pas née aujourd'hui. Mais la différenciation leur ouvre des perspectives. Il reste à en mesurer la faisabilité dans la loi organique. En tout cas, la loi NOTRe a créé des espaces où les communes ne se retrouvent pas. Nous voulons au contraire réentendre la voix des territoires.
À chaque fois que nous prononçons le mot « autonomie », nous entendons pousser de hauts cris. Elle est pourtant, notre collègue Jean-Félix Acquaviva le rappelait, tout simplement la norme dans l'Union européenne. Habituons-nous donc à ce mot, qui n'est pas un gros mot. Nous voulons seulement administrer au plus près du citoyen.
Que le rapporteur se rassure, les difficultés que nous rencontrons ne me semblent pas, à moi non plus, dater d'aujourd'hui, mais elles sont plutôt consubstantielles à la formation de la France. Lors du débat sur la réforme des régions, j'ai non seulement voté contre le texte, mais, dans une explication de vote, j'ai aussi engagé mes collègues à faire de même, car je ressens dans ma propre région les problèmes dont il est fait état.
Ni la Belgique, ni l'Allemagne, ni le Royaume-Uni n'offre le type d'autonomie que vous revendiquez. Certes, il s'en faut de beaucoup que l'État ait toujours été exemplaire, comme l'ont prouvé le découpage des régions ou les regroupements obligatoires en intercommunalité à compter du 1er janvier 2017.
Il est bon d'assouplir le cadre général pour qu'il s'adapte aux singularités et aux spécificités des territoires, mais les amendements que vous défendez sont beaucoup plus que des amendements d'appel. Vous le voyez bien, ils nous font tous monter au créneau. Je vous appelle donc à faire preuve de plus de modération.
Je suis d'accord avec l'analyse du rapporteur. Mais ne confondons pas l'État et le pouvoir législatif. Tant au stade de son élaboration que de sa mise en oeuvre, la loi MAPTAM aurait pu, à mon sens, intégrer une participation accrue des communes.
Élue dans un territoire d'outre-mer autonome, je voudrais vous rassurer : il s'agit juste de placer au bon niveau le curseur entre autorité centrale et autonomie régionale. Les Corses veulent seulement obtenir les compétences les plus adaptées pour eux, pour être le plus efficaces possible.
L'exercice conjoint du contrôle de légalité, qui reconnaît le rôle du représentant de l'État, montre que celui-ci n'est pas écarté. La Polynésie connaît elle aussi un double contrôle de légalité de ce type. L'exercice se révèle très productif.
La Commission rejette les amendements.
Elle adopte l'article 15 sans modification.
Après l'article 15
La Commission examine l'amendement CL995 de M. André Chassaigne.
Cet amendement vise à étendre le droit de vote et d'éligibilité à tous les étrangers offrant les conditions de résidence requises et ainsi à mettre fin à l'inégalité entre ressortissants communautaires et ceux qui ne le sont pas.
Actuellement, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales pour les ressortissants de l'Union européenne est prévu par l'article 88-3 de la Constitution. Aussi existe-t-il une discrimination à l'égard des citoyens non ressortissants de l'Union européenne, souvent installés dans notre pays depuis de longues années. Il est contraire au principe d'égalité que tous les étrangers n'aient pas les mêmes droits alors même que les élections locales les concernent au même titre et de la même manière.
Nous proposons de créer dans la Constitution un article relatif au droit de vote et d'éligibilité des ressortissants extra-communautaires aux élections municipales.
Ce sujet est souvent débattu et s'attire toujours un avis défavorable. Accepter une telle proposition aurait pourtant du sens, vu les attentes qui s'expriment au sujet de la nation et de la mise en commun de nos efforts. Nous parlons ici de gens qui, depuis parfois des dizaines d'années, enrichissent notre pays par leur travail. Cet amendement propose seulement qu'ils puissent participer à la vie de nos communes. Je souhaite que nous en débattions pour de bon. N'écartons pas simplement cette proposition, au moment même où c'est le moment d'en parler.
Contrairement à ce que vous dites, monsieur le rapporteur, nous n'avons pas mené ce débat. Nous avions évoqué le droit de vote des étrangers à l'ensemble de nos élections. Mais il ne s'agit ici que de leur participation aux scrutins locaux. Les ressortissants des États membres de l'Union européenne y prennent déjà part. Or, d'autres pays ont des liens beaucoup plus anciens avec la République française.
Notre débat d'aujourd'hui tourne moins autour de la question de la citoyenneté et de la nationalité qu'autour de la question de l'égalité entre ressortissants étrangers. Oui ou non, voulons-nous faire une différence entre les Polonais et les Allemands, d'un côté, les Marocains et les Algériens, de l'autre ?
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CL353 de M. Paul Molac, CL1018 de M. Bastien Lachaud, CL812 de Mme Clémentine Autain, CL811 de M. Éric Coquerel, CL813 de Mme Danièle Obono et CL810 de M. Bastien Lachaud.
Nous voulons qu'un référendum local soit obligatoire en cas de changement de délimitation des collectivités territoriales. C'est pourquoi nous proposons d'insérer à l'article 72-1 les deux phrases suivantes : « Cette consultation est obligatoire pour la modification des limites des régions, des collectivités territoriales à statut particulier et des collectivités d'outre-mer régies par les articles 73 et 74. La consultation s'effectue auprès des électeurs directement concernés par le changement de territoire. »
L'Alsace n'a-t-elle pas disparu des radars sans crier gare ? Je m'étais élevé contre la suppression de cette région à qui sa culture germanique donne des contours si affirmés. Pourquoi la rayer d'un trait de plume ?
De même, en 1941, le département de Loire-Atlantique a été enlevé à la Bretagne. Les Bretons ne l'ont toujours pas accepté. Ce n'est pas une question de vouloir l'indépendance régionale ; mais, aujourd'hui, il n'est pas même pas possible au président d'un conseil départemental de se prononcer sur le rattachement de sa collectivité à sa région ou à une autre, comme l'a indiqué un préfet à l'un d'entre eux.
Je veux que nous reconnaissions, au contraire, l'identité de certaines régions.
Nos amendements visent à accroître l'initiative citoyenne. Ils leur ouvrent soit la possibilité de forcer une collectivité à délibérer, soit de demander un référendum citoyen sur une délibération de cette collectivité. Ils vont donc dans le sens d'un plus grand engagement citoyen et d'une initiative populaire renforcée.
Ces démarches n'ont bien sûr de valeur que si elles sont contraignantes. Favorisons l'initiative populaire en nous assurant qu'aucun regroupement ni aucun transfert de compétences ne puisse avoir lieu sans que les citoyens aient leur mot à dire. Prenons l'exemple de la collecte des déchets. La question de savoir si elle doit être gérée par un établissement public industriel et commercial ou en régie municipale doit pouvoir être tranchée par le citoyen, grâce à un référendum.
Monsieur Molac, vous prônez un référendum local obligatoire en cas de changement de délimitation des collectivités territoriales. Mais, d'abord, je ne crois pas que l'Alsace, en tant que telle, ait disparu ; je regrette que nos collègues élus dans cette région ne soient pas là cet après-midi pour vous porter eux-mêmes la contradiction.
L'effet de cet amendement serait d'empêcher toute modification des périmètres régionaux tant que les populations concernées n'auraient pas donné leur accord. Par exemple, s'il était un jour question de faire changer de région le département de Loire-Atlantique, il faudrait que les populations des deux régions directement concernées donnent leur accord, sans quoi ce ne serait pas possible, nous en sommes bien d'accord ?
L'amendement aurait tendance à rigidifier la carte régionale en bloquant son évolution, du moins en empêchant le législateur de formuler une orientation globale puisque toutes les modifications donneraient lieu à une multitude de référendums. Avis défavorable.
Monsieur Lachaud, vous défendez quant à vous avec constance un pouvoir de révocation par les électeurs, un recours accru au référendum. Si nous vous suivions, un simple arrêté de circulation dans une commune pourrait faire l'objet d'un référendum, au motif qu'il dérange 10 % de ses habitants, quand bien même il serait conforme à l'intérêt général. Vous vous rendez compte que l'activité de toutes les collectivités se trouverait vite paralysée. Soit vous voulez que les électeurs révoquent leurs élus, soit vous voulez qu'ils puissent se prononcer par référendum sur les décisions que prennent ces derniers. Nous sommes quant à nous partisans d'une démocratie représentative.
Je suis surpris que nous ayons engagé une discussion commune sur des amendements si différents les uns des autres. Celui qu'a défendu notre collègue Paul Molac me semble être le résultat d'une rédaction empirique et le fruit de l'expérience. Quel que soit le gouvernement, nous observons en effet que, si un verrou démocratique n'est pas mis, l'organisation territoriale finit toujours par procéder des décisions d'une technocratie parisienne.
Je regrette de n'avoir pas reçu de réponse au sujet de mon amendement CL810, qui tend à soumettre à référendum local la création de structures intercommunales. Je ne comprends d'ailleurs pas non plus pourquoi il est en discussion commune avec les autres.
L'attitude du rapporteur et de la majorité me paraît procéder d'un mépris – et d'une peur – des électeurs : comme l'écrivait Pierre Mendès-France dans Pour une République moderne, on semble seulement attendre d'eux qu'ils se taisent pendant cinq ans. Pour ma part, je crois que nos concitoyens sont des gens tout à fait responsables, qui méritent de participer plus activement aux prises de décision.
Depuis deux siècles, les constitutionnalistes réfléchissent à la question de la souveraineté nationale et de la souveraineté populaire. C'est l'équilibre entre ces deux notions qui rend possible la vie collective. C'est pourquoi, si je suis partisan d'une démocratie représentative, je veux aussi qu'elle soit encadrée et organisée. Car nous savons d'expérience où peut mener, dans une commune, le choc des multiples intérêts.
Je soutiens l'amendement de notre collègue Paul Molac. J'ai été moi aussi marquée par le redécoupage des régions intervenu en 2014 : en une nuit, toute la carte a été bouleversée. C'est pourquoi il me semble utile que, dans un cas pareil, une consultation populaire soit organisée. Pour les collectivités d'outremer régies par l'article 74, c'est d'ailleurs déjà le cas.
En revanche, le recours au référendum local ne doit, à mon sens, être qu'une option, et non être organisé systématiquement.
La Commission rejette les amendements.
Elle examine en discussion commune, les amendements CL468 de Mme Cécile Untermaier, CL1013 de M. Sébastien Jumel, les amendements identiques CL466 de Mme Cécile Untermaier et CL608 de M. Jean-Christophe Lagarde, les amendements identiques CL467 de Mme Cécile Untermaier et CL609 de M. Jean-Christophe Lagarde, ainsi que l'amendement CL1008 de M. Sébastien Jumel.
Par cet amendement particulièrement important puisqu'il conditionnera le recours des collectivités aux possibilités d'adaptation ouvertes par l'article 15, nous proposons de garantir un droit à compensation intégral et évolutif du coût des compétences transférées. Au vu des expériences passées et actuelles, notamment dans le domaine des dépenses sociales des départements qui progressent constamment alors que la dotation financière de l'État diminue, nous nous prononçons en faveur d'une règle de compensation intégrale et évolutive.
Notre amendement reprend la proposition n° 1 de la mission sur l'autonomie financière des collectivités territoriales, dont nos collègues Jerretie et de Courson étaient rapporteurs, proposition reprise par notre groupe et approuvée par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Il est d'abord proposé de remplacer le simple mot « taux » par les mots « taux ou tarif », car ce dernier terme est parfois plus approprié. L'amendement a ensuite pour objet de garantir une définition réaliste des ressources propres, en excluant la fiscalité transférée de ces ressources.
L'amendement CL1008 a pour but de compléter l'autonomie financière des collectivités par le droit à une certaine autonomie fiscale, néanmoins limitée aux communes.
Ces amendements abordent à la fois la question de l'autonomie fiscale et financière et celle de la compensation des transferts de compétence de l'État vers les collectivités territoriales.
Il est toujours curieux de voir la différence entre les positions prises quand on appartient à l'opposition et à la majorité… Sous le gouvernement de M. Manuel Valls, une part de la TVA n'avait-elle pas été transférée aux régions ? Quand on est aux responsabilités, il est plus difficile d'aborder de manière volontariste la question de l'autonomie fiscale et financière.
Le sujet principal est, à mon sens, davantage celui de l'autonomie financière. Elle repose à la fois sur des recettes et sur le non-transfert des dépenses, d'une part, et sur la compensation ou non-compensation des transferts de compétence, d'autre part.
Certes, monsieur Molac, vous me direz que comparaison n'est pas raison. Mais, dans les autres pays, le thème de l'autonomie fiscale est beaucoup moins débattu que celui de l'autonomie financière. Sous le gouvernement Raffarin, une réforme avait jeté les bases, en 2003, d'une autonomie financière et fiscale des collectivités. Le principe retenu était celui d'un transfert de ressources équivalentes.
Il me semble, en effet, que les transferts opérés doivent suivre le modèle des transferts de compétences communales aux établissements intercommunaux, au risque que la commune qui a déjà bien développé une compétence se trouve moins bien traitée que les autres. Prenons l'exemple du transfert des lycées aux régions, il y a trente ans. L'État aurait-il mis autant de moyens dans leur rénovation ? Ce sont les collectivités auxquelles les compétences sont transférées qui doivent décider des sommes qu'elles y consacrent. Vous le voyez, la question du transfert de compétences met en jeu un équilibre complexe.
J'apporte ainsi une réponse globale défavorable à cette série d'amendements. Chaque révision constitutionnelle ramène les mêmes sujets dans le débat. À mon sens, des efforts restent en effet à consentir en matière d'autonomie financière.
Sans être démagogue, reconnaissons qu'un effort considérable a été demandé aux collectivités concernant la dotation globale de fonctionnement. De mémoire, on leur a pris de façon unilatérale près de 12 milliards d'euros : le saut est extrêmement raide ! Disons que tout cela a été un peu trop automatique. Comme vous le disiez, monsieur Habib, on aurait aimé que s'exerce un droit à la différenciation qui n'a pas été mis en place au-delà, en dehors des questions de péréquation.
Trois questions se posent finalement : celle de l'autonomie au sens financier du terme, celle des transferts et de la relation entre l'État et les collectivités – quels moyens l'État consacrait à un secteur et quels moyens les collectivités veulent-elles y consacrer ? –, et celle des transferts de normes et de charges qui d'invisibles deviennent extrêmement visibles si l'on n'y prend pas garde. En la matière, le dialogue avec l'État est nécessaire. Je vois que nos amis corses m'écoutent avec attention…
Le débat devra se tenir s'agissant du transfert de compétences entre collectivités. L'exercice a toujours été compliqué pour tous les gouvernants. Nous devons l'aborder en responsabilité les uns et les autres. Il ne s'agit pas d'opposer les collectivités et l'État.
Je suis, en conséquence, défavorable à l'ensemble des amendements en discussion commune
De façon élégante et courtoise, mais également ferme et sûre, le rapporteur nous envoie aux pelotes sur ces amendements. Évidemment chacun pourra balayer devant sa porte : tous les Gouvernements ont été tentés, à un moment ou à un autre, de jouer sur les transferts financiers – et le Gouvernement en place ne fait pas exception comme le montre la loi de finances pour 2018. D'où l'intérêt de préciser les choses dans la Constitution ! L'autonomie et la libre administration des collectivités locales sont bien illusoires si l'on ne les accompagne pas de moyens financiers. Cette demande de la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale reprend celles des associations de maires et de tous les élus locaux qui ont, qui sont ou qui seront à la tête d'une commune.
Une obligation gravée dans le marbre constitutionnel empêcherait que le législateur oublie le principe d'une véritable autonomie financière et fiscale. Il faut que les collectivités aient les moyens de leur politique.
Monsieur le rapporteur, il faut différencier trois sujets : l'autonomie fiscale, la libre administration et l'autonomie des collectivités locales, et ce que j'appelle parfois le « racket de l'État », ce sujet n'ayant rien à voir avec les deux autres. Quand le Parlement décide d'une exonération d'impôts locaux qu'il ne compense pas pour les collectivités locales, quand il leur fait perdre des recettes depuis Paris sans leur demander leur avis, comment appeler ça ?
Je prends l'exemple des classes de cours préparatoire (CP) à douze élèves. Nous sommes tous favorables ; c'est formidable. Seulement, lorsque nous allons passer à douze élèves par classe au cours élémentaire de première année (CE1), les collectivités locales devront financer sur leurs propres deniers des préfabriqués et des travaux dans les écoles… C'est une décision du Gouvernement – une bonne décision ! – mais ce sont les communes qui paient ! Jusqu'à quand ce système peut-il fonctionner ? C'est cela qu'il faut empêcher…
Quand l'État prend une décision, il doit l'assumer. Il ne faut pas faire payer à d'autres ce qui est décidé à Paris.
Je soutiens ces amendements qui ne sont pas là par hasard. Lors des transferts de compétences et de charges, la règle a plutôt consisté à ne pas les accompagner d'une juste compensation ni d'une autonomie fiscale. En Corse, nous pourrions parler des transferts des ports et des aéroports : il a par exemple fallu que la collectivité se substitue sans dotation à l'État qui n'avait pas consenti l'investissement minimal pour les pistes d'aéroport. Les cas de ce type sont légions.
L'autonomie financière et fiscale sera le véritable sujet. La République est décentralisée, c'est inscrit dans la Constitution. Le degré de décentralisation appelle un changement de modèle global de finances publiques de la République. Il est nécessaire d'introduire une obligation.
Je rappelle par exemple que la TVA est une dotation indexée et non un transfert véritable que nous appelons de nos voeux car, depuis quinze ans, les recettes de TVA en Corse ont crû de 71 %.
On ne peut pas parler de libre administration des collectivités territoriales si les transferts de compétences ne s'accompagnent pas de moyens. Sans ces transferts, les communes seront dans l'obligation de choisir à quoi elles consacreront les moyens qui leur restent. Cela portera atteinte à la liberté des élus de gérer les collectivités.
L'amendement CL1013, que notre groupe soutient et qui a été présenté par Mme Huguette Bello, permet d'inscrire dans la Constitution qu'il ne peut y avoir de transferts sans compensation, ce qui donnera aux élus locaux une autonomie réelle de gestion.
Je remarque que dans l'un des pays les plus décentralisés d'Europe, l'Allemagne, les Länder n'ont pas d'autonomie fiscale. Les deux sujets ne sont pas liés.
Il y a aussi la question de l'équilibre général des territoires. En cas d'autonomie fiscale pleine et entière, je préférerais habiter en Seine-Saint-Denis qu'en Lozère. Le rôle de l'État et le projet national consistent aussi à assurer un équilibre entre les territoires.
La Commission rejette successivement les amendements.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CL483 et CL482 de Mme Cécile Untermaier, ainsi que l'amendement CL968 de M. Sébastien Jumel.
Au dernier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution qui dispose que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales », l'amendement CL483 vise à remplacer les mots « favoriser l'égalité » par « compenser l'inégalité ».
Il ne s'agit pas d'introduire un débat sémantique, mais de signifier l'ardente obligation faite à l'État d'agir. Comment caractériser la situation en matière d'inégalités ? Je vois mon ami Vincent Bru, député, comme moi, des Pyrénées-Atlantiques. Nous avons été tous deux maires durant vingt ans. Dans ma commune, il y avait 66 % de logement sociaux, et le plus grand nombre d'allocataires sociaux ; dans la sienne, atteindre 5 % de logements sociaux eût été miraculeux… Les politiques conduites par le département étaient pourtant strictement les mêmes pour les deux collectivités. Je me suis demandé où était la justice. Mme Cécile Untermaier nous propose de prendre acte de ces réalités et d'introduire dans la Constitution une obligation pour l'État d'agir pour compenser ces injustices.
L'amendement CL482 vise à remplacer le mot « favoriser » par le mot « garantir » au dernier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution. Nous devons avancer dans cette voie ; nous devons nous montrer déterminés. Cela va bien au-delà de la sémantique.
Proposant de remplacer « favoriser » par « assurer », l'amendement CL968 reprend une proposition de l'Association des maires ruraux de France visant à renforcer la notion de péréquation.
Je ne suis pas certain que l'amendement CL483 ne porte pas essentiellement sur une question de vocabulaire. J'ai l'impression qu'entre la rédaction de la Constitution et la vôtre, le changement ne serait pas totalement signifiant, en tout cas je ne crois pas qu'il amènerait le Conseil constitutionnel à modifier sa doctrine. En conséquence, je n'ai pas jugé utile de le retenir et j'y suis défavorable.
Les deux autres amendements soulèvent la question de la péréquation. Je considère que nous n'avons pas à modifier la Constitution sur ce point car elle contient déjà des éléments suffisants. La question de l'égalité des territoires me semble plus vaste que celle de la garantie ou de l'assurance apportée par la péréquation. Cette dernière est bien un outil, particulièrement utilisé par les gouvernements que vous avez soutenus, madame Untermaier. Lors de la dernière législature, on est parti d'un montant de péréquation d'environ 100 millions pour arriver à plus d'1 milliard. Nous reconnaissons que ce dispositif a son utilité, qu'il est efficace – même s'il y a des biais – et qu'il va dans le bon sens.
Mais la péréquation n'est pas la solution à tout. Pourquoi y a-t-il des zones où l'on trouve des médecins et des zones où il n'y en a pas ? Tant que nous ne saurons pas résoudre ce problème, nous n'aurons pas de solution. L'absence d'égalité territoriale ne se résout pas par la seule péréquation. Cette dernière est utile, je l'ai dit, mais ce qu'il faut, en l'espèce, c'est faire en sorte que les médecins soient présents partout sur le territoire.
Il me semble que le dispositif actuel de péréquation fonctionne plutôt bien – même s'il peut éventuellement être développé. Il n'y a pas lieu d'y toucher. La question de l'égalité entre les territoires est plus complexe et diverse que ce que vos amendements laissent entendre : elle ne saurait se résoudre par l'ajout d'un mot à l'article 72-2.
Je suis donc défavorable aux amendements CL482 et CL968.
Monsieur le rapporteur, nous sommes en train de réviser la Constitution. Il se trouve qu'elle évoque la péréquation Nous ne prétendons pas que la péréquation constitue l'unique solution aux problèmes d'inégalités entre les territoires ; nous traitons seulement d'un sujet qui est bel et bien inscrit à l'article 72-2.
Nous disons que cet article consacré à la péréquation n'est pas opérationnel. Même si les choses vont dans le bon sens, dans les faits, cette disposition n'a pas permis de régler le problème d'inégalité que le constituant souhaitait régler. Lorsqu'un article de la Constitution n'est pas efficace, il faut le changer. Si on met dans la Constitution quelque chose qui ne sert à rien, on se fait plaisir, ça n'a aucun effet. Si l'on écrit que l'on « garantit » l'égalité entre collectivités territoriales, ce n'est pas comme écrire qu'on la « favorise » – c'est d'ailleurs bien pour cela que le constituant a choisi le verbe « favoriser ».
Monsieur le président, nous examinons plusieurs amendements en discussion commune : si vous appliquiez la règle que vous avez énoncée, vous devriez laisser la parole à chaque groupe non pas seulement une minute mais une minute pour chaque amendement…
Parce que vous avez de la mémoire, vous vous souvenez de ce phénomène, dramatique ou amusant, c'est selon : invariablement, lorsque l'on parle de péréquation, chacun évoque avant tout la pauvreté de sa propre commune, l'éloignement des centres sur son territoire, ses charges de centralité… Lorsque Mme Marylise Lebranchu essayait de défendre les textes qui relevaient de son ministère, les majorités se constituaient selon les amendements. Tous les élus des communes de montagne pouvaient voter ensemble : plus personne n'était alors ni rose ni blanc ni rouge…
On ne peut pas garantir l'égalité alors que l'analyse des inégalités fait l'objet de débats entre les associations d'élus de toute sorte, et que l'objectivation du diagnostic n'est jamais atteinte. Mieux vaut dire que l'on va compenser les inégalités car nous savons que nous pouvons y parvenir, plutôt que d'affirmer que l'on garantira l'égalité alors que l'on sait parfaitement que l'on n'y arrivera pas – ce serait une simple pétition de principe.
Monsieur Pupponi, vous pouvez répondre à M. le rapporteur général si vous le souhaitez. La règle est très claire. Elle s'applique à tous.
Le défenseur d'un amendement dispose de deux minutes pour le présenter et, après l'intervention du rapporteur, chaque groupe peut s'exprimer pendant une minute.
Ça, c'est vous qui le dites ! J'édicte la règle et elle s'applique de la même façon aux discussions communes, que vous le vouliez ou non.
Monsieur le président, nous avons défendu deux amendements, le rapporteur général a donné un avis sur chacun : nous avons le droit de répondre pendant une minute pour chacun des amendements. C'est la règle. On fait comme cela à l'Assemblée nationale depuis des décennies.
J'essaie d'appliquer les règles avec pondération. Je vous prie maintenant de revenir à votre réponse au rapporteur général.
Si on a la volonté de lutter contre les inégalités territoriales dans ce pays, il ne semble pas extraordinaire d'écrire dans la Constitution que la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à garantir l'égalité entre les collectivités territoriales. J'ai bien dit : « destinés à garantir ». Vous avouerez que nous sommes encore loin du compte. Ce n'est qu'un objectif assigné pour essayer d'aller plus loin et de donner de l'efficience à un alinéa de la Constitution qui ne produit pas ses effets aujourd'hui. Cela peut avoir un intérêt opérationnel, c'est l'objectif, mais aussi politique et symbolique.
Monsieur président, jusqu'à maintenant, nous disposions de deux minutes pour soutenir un amendement même en cas de discussion commune.
Il n'y a aucun doute sur ce point. Les réponses au rapporteur doivent en revanche tenir en une minute. Je crois que vous avez appliqué cette règle lorsque vous occupiez ce fauteuil.
Je ne remets évidemment pas en cause la présidence de séance.
On semble nous dire qu'une Constitution ne devrait comporter que des éléments précis et opérationnels. C'est faire fi de l'intérêt d'une Constitution. Dans la nôtre sont heureusement inscrits des droits fondamentaux qui ne sont pas tous encore totalement appliqués comme ils devraient l'être. Il n'empêche que leur inscription dans la Constitution permet d'affirmer l'objectif que l'État se fixe.
De la même manière, il me semble nécessaire d'affirmer la nécessité de compenser les inégalités territoriales. Cela ne peut pas être évacué d'un revers de la main et mérite que l'on en discute de façon approfondie – comme des transferts de charges et de l'autonomie financière… Tout cela relève du même sujet. Sous d'autres gouvernements, certains ont été échaudés avec l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ; aujourd'hui, c'est avec la taxe d'habitation.
La Commission rejette successivement les amendements.
Elle en vient, en discussion commune, aux amendements CL1132 et CL1133 de M. Michel Castellani, aux amendements identiques CL1137 de M. Michel Castellani et CL1233 de M. Jean-Félix Acquaviva, aux amendements identiques CL1138 de M. Michel Castellani et CL1358 de M. Jean-Félix Acquaviva, et à l'amendement CL1449 de M. Paul-André Colombani.
L'amendement CL1132 vise, d'une part, à définir la France non comme un peuple, selon une conception monolithique, mais comme des peuples unis démocratiquement autour d'un idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité, entre autres principes. Il vise, d'autre part, à reconnaître la Corse ès qualités, au même titre que les territoires d'outre-mer, avec sa géographie, son histoire, sa culture, sa langue. Ces éléments ne sont pas spécifiques à la Corse, toutes les régions ont leur géographie, leur histoire, leur culture et souvent leur langue, mais nous avons également un sentiment d'appartenance très fort.
Liberté d'association et choix démocratiques constituent pour nous le meilleur ciment et le moins discutable. Certains d'entre vous, comme M. Gosselin, nous ont mis en garde au prétexte que nous introduisions l'indépendance de façon rampante. L'indépendance ne se fait pas de façon rampante, souterraine ou insidieuse. Un jour ou l'autre, il faut que le sujet sorte en pleine lumière. Pour notre part, nous avons été élus sur un programme clairement exposé dans nos professions de foi. Notre cahier des charges, validé par les électeurs et le processus démocratique, ne comprend pas l'indépendance de la Corse. Ce n'est pas le sujet du jour. Nous défendons l'autonomie de notre île et notre possibilité d'agir dans des domaines fondamentaux en Corse.
L'amendement CL1133 vise à mentionner les populations de Corse à côté de celles d'outre-mer au premier alinéa de l'article 72-3 de la Constitution. Je n'insiste pas sur la conscience historique séculaire et le sentiment d'appartenance qui caractérise les habitants de Corse, venus d'ailleurs se fondre dans une communauté. Nous souhaitons que cette réalité soit prise en compte dans la Constitution afin qu'une loi organique nous donne les moyens d'être nous-mêmes et de travailler dans le cadre de la République française.
Peut-être pouvez-vous également présenter votre amendement CL1137 qui est identique à l'amendement CL1233 de M. Jean-Félix Acquaviva ?
C'est la première fois que la Corse s'invite au débat du texte fondamental dans l'histoire avec la République. Il y a eu en la matière de nombreux rendez-vous manqués, y compris s'agissant de la reconnaissance du « peuple corse, composante du peuple français » tel que le Parlement l'avait voulue en 1991, dans l'article 1er du projet de loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, dit « statut Joxe », avant que le Conseil constitutionnel ne le censure.
Mon amendement vise à introduire la population de Corse à l'article 72-3 de la Constitution. Je rappelle que la République a déjà reconnu les populations d'outre-mer dans un idéal commun de liberté, d'égalité, et de fraternité, et que l'unicité du peuple français n'est pas proclamée par la Constitution de 1958, comme l'a confirmé le Conseil constitutionnel. La République est indivisible, mais elle n'est plus « une » depuis 1946.
Nous sommes au coeur du débat politique avec une question symboliquement importante qui doit permettre de restaurer la confiance entre la République et la Corse, dont l'histoire tumultueuse est faite de conflits, de discriminations et de fautes de part et d'autre. Pour nous, qui sommes mandatés pour représenter un peuple Corse, communauté de destin et de culture, il est essentiel que cette réalité puisse se traduire clairement dans la Constitution. La reconnaissance d'une composante du peuple français permettrait de garantir les interprétations dans le temps, y compris s'agissant de notre rapport aux projets de loi généraux qui pourraient prendre en compte la spécificité corse, au-delà de nos propres mandats, pour les générations à venir.
C'est la même démarche qui a animé les outre-mer et leur populations – je crois que ce terme a été introduit après la décision du 9 mai 1991 du Conseil constitutionnel relative au projet de loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse.
Cette inscription est donc importante culturellement et symboliquement. Elle doit s'appuyer sur une volonté politique. Rien n'interdit d'adopter ces dispositions sur le plan juridique, et la notion d'indivisibilité de la République ne s'y oppose pas davantage.
L'amendement CL1449 vise également à faire mention de la population de Corse aux côtés des populations d'outre-mer reconnues par la République dans l'article 72-3 de la Constitution. Sur le plan culturel, historique et linguistique, les faits sont indéniables. Cet amendement permettrait d'accéder à l'article 74 de la Constitution. Il s'agit d'une sorte de verrou constitutionnel. Nous sommes tous d'accord pour considérer que la Corse est une région pauvre et sous-développée. C'est probablement le résultat de deux cents ans de jacobinisme. Recentraliser serait un véritable retour en arrière catastrophique.
Nous avons eu un statut particulier en 1982. Il a été revu en 2002 mais il n'a jamais fonctionné. Aujourd'hui encore, avec la fausse décentralisation, certains services de l'État doublonnent avec ceux de la collectivité. Le seul remède pour guérir ce mal qui vient de loin, comme disait Michel Rocard, serait un système, comme celui de l'article 74, avec un transfert de compétences et une répartition claire entre l'État et la collectivité, ce qui implique une véritable spécialité législative et la possibilité de faire des lois du pays.
Les demi-mesures ne servent plus à rien aujourd'hui. Les Corses ont largement exposé leurs sentiments lors des différents scrutins. J'ai interrogé le ministre de l'intérieur, au mois d'octobre dernier, sur la façon dont il voyait la volonté corse d'évoluer vers un statut d'autonomie. Il m'avait répondu à l'époque qu'une autonomie dans la République pouvait se concevoir. Les chemins sont donc tracés. Aujourd'hui, ils passent par l'article 74…
Sans me prononcer sur le fond de ce que viennent de dire nos collègues élus dans des circonscriptions corses, et je les ai écoutés avec attention, je rappelle que le projet de loi constitutionnelle porte sur un périmètre qui comprend des questions relatives à la différenciation et la capacité des territoires à porter un certain nombre d'initiatives.
J'ai également souligné au début de nos travaux une dimension un peu inhibitrice de nos débats : si nous voulons que ce que nous adoptons puisse devenir réalité, il faut que cela ait un minimum de chance de recueillir un avis conforme de nos collègues sénateurs. Nous pouvons évidemment adopter tout ce que nous estimons positif, mais il faut nous souvenir qu'en vertu de l'article 89 de notre Constitution, sans vote conforme des deux chambres, nous aurons eu le plaisir de voter ensemble des dispositions qui nous conviennent mais qui ne verront jamais le jour. Et cela ne nous mènera pas loin de politicailler en rejetant la faute sur le Sénat…
À l'Assemblée nationale, nous savons que la majorité est déterminée à développer le plus possible la capacité des territoires à prendre des initiatives, à s'adapter, à se différencier… Les réponses de M. Marc Fesneau ont été claires et nous avons déjà avancé sur le sujet.
S'agissant de la Corse, il est une défiance qui vient de loin et qui persiste – vous l'avez vous-mêmes évoquée –, qui fait que beaucoup voient dans le désir d'autonomie une volonté de sécession. Ceux-là considèrent qu'au fond l'autonomie ne serait qu'un prélude, un apéritif institutionnel. Quand bien même nous adopterions ces amendements, ce ne serait pas en responsabilité puisque nous savons qu'ils ne prospéreront pas dans l'autre chambre.
Parce que nous avons déjà longuement débattu de l'article 3 de la Constitution et de l'unicité du peuple français, je ne reviendrai pas sur les arguments échangés il y a quelques jours. Sur le fond des choses, permettez-moi cependant de faire remarquer que si, d'une manière générale, un changement de statut ou de situation juridique réglait les problèmes, nous l'aurions déjà remarqué. Les modifications institutionnelles relatives à la Corse ont été multiples : je n'ai pas le sentiment que cela ait jamais suffi à régler les problèmes de l'île. Le nouveau statut défendu par M. Jean-Michel Baylet sous la précédente législature avait été salué comme une avancée significative. Il n'est mis en oeuvre que depuis le 1er janvier, et il faudrait déjà s'en saisir pour montrer que les règles de droit et les statuts peuvent permettre de régler des difficultés…
Vous avez évoqué les doublons avec les services de l'État. On peut considérer que des services doivent être mutualisés : pour certains, des guichets uniques peuvent s'organiser entre les collectivités et l'État. Il n'est pas nécessaire de conserver des tuyaux d'orgue parallèles qui compliquent la vie à tout le monde et constituent des freins au développement et au portage de projet.
J'ai la conviction que les évolutions les plus récentes, celles que nous nous proposons de favoriser, qui auront de bonnes chances de prospérer dès l'instant que nous ne franchirons pas certaines bornes, constitueront un net progrès. Ce progrès concerne notre vie démocratique, mais aussi la capacité des élus de Corse à se saisir des opportunités pour lutter contre ce que vous avez appelé, de manière surprenante, une forme de sous-développement.
Cette expression m'a beaucoup surpris car, personnellement, je ne regarde pas la Corse comme un territoire sous-développé, même si tous les atouts de l'île ne sont peut-être pas suffisamment mis en valeur faute de capacité à le faire – c'est sans doute ce que vous voulez dire.
J'ai la conviction que les avancées législatives et bientôt constitutionnelles – si nous arrivons à nos fins – seront de nature à permettre de porter vos projets pour celles et ceux qui vivent en Corse. Il nous faut donc tout faire pour réussir ensemble ces avancées afin que la Corse elle-même en tire le meilleur bénéfice. Nous aurons déjà fait un grand pas ensemble, même si je sais que vous en attendiez plusieurs autres.
Je suis défavorable à ces amendements.
Monsieur le rapporteur général, je suis d'autant plus choquée de vous entendre dire que nous devons anticiper les décisions du Sénat que nous ne sommes pas en deuxième lecture. Je veux bien que cet argument soit discuté en deuxième lecture, mais en première lecture, l'Assemblée nationale doit souverainement adopter ce que les députés veulent retenir et ce qu'ils considèrent comme la solution la plus judicieuse. Depuis quand le Sénat décide-t-il de ce que nous devons voter ?
C'est pourtant un peu le sentiment que vous avez donné. Sur le fond des amendements, je suis d'accord avec vous : on sent bien qu'ils visent à permettre à la Corse de s'exprimer grâce à un statut particulier. Je m'étonne un peu que votre avis soit strictement défavorable parce qu'il me semble que l'article 72-3 de la Constitution permet de bien distinguer les cas spécifiques de la Corse et des outre-mer.
Je ne comprends pas bien ce débat : les amendements que nous examinons ne traitent pas du statut de la Corse. L'article 72-3 de la Constitution dispose déjà que « la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité ». La Constitution elle-même commence donc à détailler la composition du peuple français. Ces amendements proposent seulement d'ajouter la population corse aux populations d'outre-mer – on aurait pu ajouter les populations bretonnes…
Cela ne fait que détailler ce qui constitue le peuple français. Ce n'est pas un crime de lèse-majesté. Il faut s'en tenir aux amendements : on ne peut pas donner un avis défavorable en disant que le Sénat sera opposé au statut de la Corse, qui est un autre sujet. Moi, je suis favorable à l'ajout des populations corses dans celles qui constituent le peuple français : nous sommes loin de la question du statut.
Je souscris à l'idée que nous sommes l'Assemblée nationale et pas le Sénat. Nous faisons ce que nous voulons, le Sénat fera ce qu'il voudra et nous verrons la suite en deuxième lecture.
Sur le fond, si l'indivisibilité de la République n'induit pas une unité absolue et monolithique du territoire, elle implique une indivisibilité du peuple français, parce que c'est la souveraineté nationale qui est indivisible. Je suis pour ma part très attaché à cette justification théorique. Si nous commençons à dresser une liste des peuples, il faudra savoir lesquels inclure, lesquels exclure, et déterminer sur quels critères faire ces choix. Cela poserait de nombreux problèmes et conduirait à une forme de communautarisme.
Vous savez parfaitement que les populations d'outre-mer ont été inscrites dans la Constitution dans un cadre particulier découlant de la doctrine Capitant relative à la libre détermination des peuples à disposer d'eux-mêmes. Elle renvoie à 1946 et au processus de décolonisation, ce qui ne me semble pas tout à fait comparable au cas de la Corse.
Je voudrais que l'on se souvienne, disait Michel Rocard, le 12 avril 1989, devant la représentation nationale, que « lorsque Louis XV acheta les droits de suzeraineté sur la Corse à la République de Gênes, il fallut une guerre (...). La France y perdit plus d'hommes que pendant la guerre d'Algérie. » Il y a eu des dizaines de milliers de morts, des pendus. Messieurs Colombani, Castellani et moi-même n'allons pas nous excuser d'être issus de familles depuis mille ans en Corse. Corses d'origine, Corses d'adoption, Corses de culture, nous avons été administrativement Pisans puis Génois, et nous sommes aujourd'hui Français avec le prix payé par nos grands-pères durant la Première Guerre mondiale. En 1914-1918, les Corses ont été mobilisés plus qu'ailleurs, jusqu'aux pères de six enfants : lorsqu'on a voulu faire de la discrimination à l'envers de manière particulière, on l'a fait en Corse – j'ai été le maire de la commune qui compte certainement, proportionnellement, le plus grand nombre de morts durant la Grande Guerre, de toute la France.
Monsieur le rapporteur général, il y a bien des verrous constitutionnels et juridiques qui empêchent le développement de la Corse, par exemple en matière de fiscalité du patrimoine et d'autres sujets.
Lorsque nous parvenons à des avancées, comme pour le transport maritime, nous réglons des problèmes que l'État n'avait pas réglés – depuis trois ans nous avons résolu la question de la SNCF…
À nouveau, nous ne traitons pas du statut, qui fait l'objet de l'article 16 du projet de loi constitutionnelle. Il n'est pas davantage question de diviser le peuple : l'amendement CL1132 place bien les populations de Corse et d'outre-mer « au sein des peuples de France » – pour ma part, je conteste un peu la notion de peuples de France au pluriel, car je considère qu'il n'y a qu'un seul peuple de France.
L'Assemblée nationale est souveraine : nous dire que le Sénat envisage de voter autre chose ne doit pas influencer nos propres choix. Je dis cela alors que je ne voterai certainement pas comme nos collègues élus en Corse sur l'article 16.
Je ne voudrais pas faire accroire que le rapporteur général nous a demandé de mettre à mal nos opinions au seul prétexte que nos votes seraient enserrés par des injonctions du Sénat. En revanche, si nous n'avons pas d'ores et déjà à l'esprit qu'il nous faut collectivement trouver les termes qui nous permettront d'obtenir un accord au terme de l'examen du projet de loi constitutionnelle, nous n'avancerons pas bien loin.
Plusieurs d'entre vous ont parlé de la Grande Guerre, quatre des frères de ma grand-mère ne sont pas revenus des tranchées de 1914, tout comme un certain nombre de jeunes hommes partis de Corse. La notion de peuple m'intéresse au plus haut point : de mère corse et de père normand – j'ai remarqué que la Normandie n'était jamais citée comme la terre d'un éventuel peuple ; je vous en remercie –, il m'arrive assez souvent….
J'avance en tout cas sur deux jambes, mais je ne me tiens debout que grâce à la République française.
Je demande la parole depuis cinq minutes car je ne me suis pas exprimé sur l'amendement CL1137 qui porte mon nom. Vous laissez tout le monde parler, sauf moi ! Vous organisez les débats comme vous voulez, mais j'estime que vous ne faites pas cela de façon juste. Si c'est ce que vous voulez, je ne défendrai pas mon propre amendement, mais je ne trouve pas cela logique du tout !
Nous sommes en discussion commune. J'applique la règle habituelle. Je donne la possibilité de prendre une deuxième fois la parole compte tenu du fait que ce sont vos amendements. L'article 16 va être examiné dans un instant : vous aurez tout le temps d'aborder les sujets qui vous préoccupent.
Nous avons parlé d'un nouveau statut, pas de nouvelles compétences : il ne s'agit que de la fusion des anciennes collectivités. Ayons bien cela à l'esprit pour qu'il n'y ait pas de confusion dans le débat qui va arriver. J'habite à douze kilomètres de la Sardaigne, un territoire autonome, développé, dans une République indivisible : aucune volonté de sécession ne s'y est fait jour depuis plus de cinquante ans.
J'ai dû mal m'exprimer et c'est pourquoi j'ai été mal compris. Il est évident que chacun est libre de son vote et qu'il faut attendre la deuxième lecture. J'ai simplement voulu rappeler – juste pour mémoire – qu'aux termes de l'article 89, tout projet de révision constitutionnelle doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. Je l'ai dit plusieurs fois, mais que voulez-vous, c'est l'envie de réussir ce texte qui me rend trop insistant !
Le groupe Nouvelle Gauche a déjà pris la parole. Les règles s'appliquent à tous, et je continue à les faire respecter.
C'est l'un des avantages d'être non-inscrit, chers amis socialistes ! Pour ma part, je suis né dans le Cantal et, contrairement à mes amis corses, je ne demande pas à ce que l'on reconnaisse les populations d'Auvergne dans la Constitution. Il est légitime que les Corses souhaitent cette inscription – même si je parlerais plus volontiers du peuple de France que des peuples de France –, mais je comprends aussi qu'il faille prendre en considération le Sénat, ce projet de loi constitutionnelle devant être adopté aux trois cinquièmes.
Pourquoi refusez-vous le droit à M. Michel Castellani de s'exprimer alors que vous donnez la parole à un orateur non-inscrit ? Il est l'auteur de quatre amendements !
Que signifie ce « ils » ? M. Michel Castellani est député à part entière ! Nous en reparlerons en Conférence des présidents !
M. Castellani n'a pas besoin d'un avocat ; il a eu tout loisir de présenter ses amendements. Je vous demande de retrouver votre calme, monsieur Pupponi.
La Commission rejette successivement les amendements CL1132, CL1133, les amendements identiques CL1137 et CL1233, les amendements identiques CL1138 et CL1158 et l'amendement CL1449.
La séance est suspendue de dix-sept heures à dix-sept heures dix.
La Commission examine l'amendement CL484 de Mme Cécile Untermaier.
Je regrette l'incident qui vient de se produire. Ce sont des sujets importants et il faut respecter un minimum de bienséance lorsque l'on modifie la Constitution.
Longtemps, j'ai espéré que l'on puisse tenir compte de la situation de la Corse et des outre-mer de manière spécifique et que cette réforme serait l'occasion de donner un sens à ce qu'on appelle les identités particulières, aux cultures locales, à la différenciation. M. Macron, d'ailleurs, a utilisé à bon escient le terme différenciation, mais sans lui donner de contenu éthique, moral et politique. Je le regrette profondément. J'aurais voté, s'il m'était permis de le faire, l'amendement de M. Castellani visant à reconnaître la population corse au sein des peuples de France, car il me semble très important.
Il est tout de même assez grave de soumettre la liberté de l'Assemblée nationale à la position du Sénat. De façon fort opportune, on fait un amalgame entre la demande, qui est formulée, de reconnaître une population et la demande, qui n'est pas formulée, de reconnaître un peuple. L'Assemblée nationale s'élèverait à faire la distinction.
L'amendement CL484 vise à mettre l'expression « d'outre-mer » au pluriel. En effet, les situations géographiques, les cultures, les langues sont extrêmement différentes : la Nouvelle-Calédonie n'est pas la Martinique, la Martinique n'est pas la Guadeloupe, la Guadeloupe est très différente de la Guyane, un territoire dont la surface est équivalente à celle du Portugal et les ressources naturelles d'une richesse incroyable.
Votre volonté est satisfaite puisque le statut différent dont est dotée chacune des collectivités est bien la preuve que cette diversité est reconnue. Il me semble par ailleurs qu'évoquer les populations d'outre-mer, au pluriel, c'est faire référence à leur diversité et qu'il n'est nul besoin d'en ajouter. Avis défavorable.
S'il y a une expression que j'ai en horreur, c'est « outre-mer » : qu'est-ce que l'outre-mer ? Est-ce un pays ? Je suis martiniquais, pas « outremérien » ! Lors du débat en séance publique, nous demanderons à supprimer ces termes.
Restons-en au niveau technique puisque vous ne voulez pas vous élever en acceptant un débat politique majeur. Vous ne reconnaissez pas les particularités. La difficulté n'est pas de respecter l'égalité, mais de parvenir à traiter de manière identique des situations différentes. Nous sommes riches de nos différences, nous ne sommes pas des handicapés, des personnes qui pèsent lourdement dans la République. Oui, la Corse et les outre-mer ont besoin d'émancipation et de liberté. Je vous demande d'y réfléchir et nous tenterons encore de vous en persuader en séance publique. Sinon, ce sera l'échec de la réforme !
Pourquoi le prendre ainsi ? Avez-vous détecté un quelconque mépris dans mes propos, un manque de reconnaissance ? Ce n'est ni ma philosophie ni ma volonté.
Parfois, de petits changements de mots sont lourds de sens. Ajouter un « s » peut sembler un détail, mais cela peut avoir beaucoup de sens. Parler des populations ne suffit pas. Le fait de faire figurer ce pluriel dans la Constitution comporte une symbolique forte. C'est, depuis quelques années, un mouvement à l'oeuvre dans tous les textes qui concernent les outre-mer ; le ministère lui-même n'a-t-il pas changé d'appellation ? Je ne porte pas de jugement, et je sais que vous êtes conscients de ces différences, mais réfléchissez à cette modification d'ici à la séance : elle a, à nos yeux, une haute valeur symbolique.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL817 de M. Jean-Hugues Ratenon.
Le rapport remis en mai 2016 au Premier ministre de l'époque par M. Victorin Lurel, sous le titre Égalité réelle outre-mer, montrait que les dépenses d'investissement de l'État dans un département d'outre-mer s'élèvent à 120 euros par habitant, contre 169 euros par habitant dans l'Hexagone – ce qui fait un écart de 29 %. Lors de l'examen du dernier budget, une majorité des élus ultramarins était prête à rejeter la mission « outre-mer » ; celle-ci a été sauvée de justesse par le fait majoritaire et les élus des autres territoires. Cela doit vous interpeller sur la détresse que nous exprimons. Nous proposons d'inscrire dans la Constitution un principe d'égalité de moyens pour les territoires. La moyenne des dépenses publiques par habitant outre-mer doit être au moins égale à la moyenne nationale : nous savons tous que les territoires d'outre-mer ont besoin d'un plan de rattrapage important, qui nécessite des dépenses plus élevées qu'ailleurs.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement CL818 de M. Jean-Hugues Ratenon.
Hormis La Réunion, qui sera l'objet de l'un de nos amendements à l'article 17, les outre-mer peuvent largement adapter la loi et les règlements. Si ce droit d'adaptation est nécessaire et pertinent, nous tenons à constitutionnaliser le principe de faveur : aucune des adaptations ne doit constituer une régression sur le plan social et écologique par rapport à la loi. Sous prétexte de concurrence dans un contexte mondialisé, avec des pays aux règles moins protectrices, certains voudraient tordre le droit ou déroger aux règles qui protègent notre modèle social ou notre biodiversité. Nous nous opposons à cette politique du moins-disant.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l'amendement.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CL1135 de M. Michel Castellani et CL1365 de M. Jean-Félix Acquaviva, et les amendements identiques CL1136 de M. Michel Castellani et CL1366 de M. Jean-Félix Acquaviva.
Aux termes de l'article 72-4 de la Constitution, le Président de la République peut décider d'organiser une consultation des électeurs d'une collectivité d'outre-mer relativement à son organisation sur les questions relatives à son organisation, à ses compétences ou à son régime législatif. Nous souhaitons étendre cette possibilité à l'ensemble des populations de la métropole.
Nous ne sommes pas en train de défendre une indépendance rampante, animés par une volonté insidieuse de déconstruire la France : ce que nous voulons, c'est une autre structure d'État en France. Il faut faire l'effort de comprendre que l'on n'est pas obligé, dans un État moderne, d'avoir une structure monolithique et centralisée. Sans remettre en cause l'existence de l'État ni sa vitalité économique, sociale et culturelle, nous pouvons concevoir une autre structure. C'est là notre programme. Nous avons reçu mandat de nos électeurs pour défendre cette approche et nous nous y tenons. Que chacun fasse l'effort de comprendre qu'il y a une rationalité dans ce que nous défendons : ce ne sont pas des lubies !
D'un point de vue démocratique, il nous semble sain d'étendre ce dispositif aux électeurs des autres territoires, y compris la Corse. Même si cela ne passe pas lors de cette réforme, c'est un processus irréversible.
L'amendement suivant, CL1366, prévoit d'étendre le dispositif seulement aux électeurs de la collectivité de Corse.
L'amendement CL1136 est un amendement de repli. Nous sentons une forte suspicion, du moins une grande réserve à l'égard de nos propositions. Nous ne voulons pas nous substituer aux élus que vous êtes, et si vous ne souhaitez pas que ce dispositif soit étendu à vos territoires, permettez au moins aux Corses de s'exprimer sur l'organisation de leur collectivité.
Monsieur Castellani, nous avons tout à fait saisi la cohérence de vos propositions, tout comme vous avez compris la manière dont nous entendons conduire la différentiation. Cet amendement a pour effet de rapprocher encore une fois le statut de droit commun de celui des territoires ultramarins, ce qui ne nous semble pas pertinent. Par ailleurs, les électeurs inscrits sur les listes de Corse ont déjà été consultés sur l'évolution statutaire de leur territoire, selon les dispositions actuelles de la Constitution qui ne l'empêche aucunement. Il en est allé de même, d'ailleurs, pour l'Alsace. Avis défavorable.
La Commission rejette successivement les amendements identiques CL1135 et CL1365 et les amendements identiques CL1136 et CL1366.
Article 16 (art. 72-5 [nouveau] de la Constitution) : Statut de la collectivité à statut particulier de Corse
La Commission est saisie de deux amendements de suppression, CL222 de M. Philippe Gosselin et CL915 de M. Sébastien Jumel.
La modification de la Constitution prévue à l'article 16 ne nous paraît pas à ce stade opportune.
J'entends les arguments, fort bien introduits, sur la notion de peuple corse et sur la diversité. Nous nous heurtons à des approches différentes, qui tiennent pour certaines au statut. Pour ma part, je n'ai jamais eu d'objection à ce que l'on prenne en compte la singularité des territoires. Certes, la République est une et indivisible, et cela remonte bien avant la Constitution de 1946 puisque, sous la Constitution de 1791, le royaume était déjà un et indivisible. Mais la singularité existe de fait, qu'elle soit insulaire ou non, et cela se traduit dans les statuts. Je veux bien entendre aussi les arguments selon lesquels un certain nombre d'éléments découlent du principe de reconnaissance des peuples.
Mais nous considérons que le statut de la Corse, en place depuis le 1er janvier 2018, n'a pas suffisamment prospéré. Pour reprendre une expression présidentielle des années 1980, il est nécessaire de laisser du temps au temps pour évaluer les effets de ce statut avant, le cas échéant, de le modifier. Certes, les révisions constitutionnelles prennent du temps : celle-ci intervient dix ans après celle de 2008. Mais il nous paraît important, pour des raisons pratiques, politiques, économiques, sociales ou fiscales, de tirer toutes les conséquences du statut avant d'aller plus avant, d'où notre amendement de suppression.
Je n'ai aucun doute sur la place de la Corse dans la République, aucun a priori sur les propos et les objectifs de nos collègues. Je veux mettre en exergue le rapport de la Corse à la nation et à la France : à plusieurs reprises, les Corses ont choisi d'être cofondateurs de la nation française, aussi bien au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qu'au moment de la grande Révolution, en apportant leur culture, leur spécificité, leurs exigences, dans un objectif d'émancipation et de liberté pour tous les enfants de la nation. C'est pour cette raison que la Corse n'est ni une collectivité ni un territoire associé, mais une région métropolitaine reconnue dans sa spécificité insulaire. Son statut peut être amélioré mais il ne relève pas, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, des articles 73 et 74 de la Constitution. C'est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de l'article 16.
Ces amendements sont une utile introduction à la philosophie qui nous a inspirés dans la rédaction de l'article 16.
Je rappelle que la Corse est une collectivité à statut particulier depuis 1982, dans le pur respect de la Constitution. Cela ne signifie pas que cet article 16 soit inutile, bien au contraire, puisqu'il empêchera un législateur futur de revenir au droit commun, mais que le principe de la différenciation territoriale est admis depuis longtemps pour ce territoire particulier, confronté à des enjeux liés à l'insularité que seuls nos collègues ultramarins sont à même d'apprécier et de comprendre.
La possibilité pour la Corse d'adapter sur habilitation la législation ou la réglementation est directement inspirée de ce qui se pratique aujourd'hui dans les départements d'outre-mer, régis par l'article 73, sans que l'on ait jamais eu le sentiment de défaire la République. Il est faux de dire que ce dispositif y a échoué : je vous renvoie aux travaux publiés par la Commission, qui montrent que la Guadeloupe et la Martinique en ont fait utilement usage à compter de 2009.
Enfin, l'alinéa 2 de l'article 16 me semble rédigé pour apaiser les craintes, d'où qu'elles viennent. Les spécificités liées à l'insularité ainsi qu'aux caractéristiques géographiques, économiques ou sociales de la Corse permettront désormais des adaptations de la loi et du règlement.
Pour les défenseurs de la souveraineté nationale, cela veut dire que la décision restera une prérogative du Parlement, tous les élus de la nation délibérant ensemble pour déterminer la meilleure voie à suivre.
Pour les promoteurs de l'autonomie corse, cela signifie que le principe d'égalité ne sera plus opposable par le Conseil constitutionnel aussi strictement qu'aujourd'hui. Je le dis et le répète : les règles foncières et fiscales, puisque c'est là que résident les attentes les plus fortes, pourront être dérogatoires au droit commun, dès lors que la situation fera apparaître des spécificités liées à l'insularité, à la géographie, à l'économie ou à la situation sociale.
Pour toutes ces raisons, et pour la philosophie du droit à la différentiation et à la spécificité corse, j'émets un avis défavorable à ces amendements de suppression.
Pour la première fois, et c'est heureux, la Corse est reconnue dans la Constitution ; pour la première fois, son statut de collectivité à statut particulier est inscrit dans le marbre. Il est des chemins de progrès, c'est indéniable. Une fois cette révision constitutionnelle adoptée, il faudra retravailler sur la question d'habilitation pour ne pas replonger dans les méandres du passé et permettre aux responsables de la collectivité territoriale d'user pleinement des prérogatives qui seront les leurs. Le groupe La République en Marche votera contre les amendements de suppression de l'article 16.
Je suis évidemment contre ces amendements de suppressions, mais je voudrais vous faire part de mon incompréhension à l'égard des propos de M. Gosselin et de mon regret concernant la prise de parole de Mme Buffet.
Mme Buffet a sans doute eu des discussions avec les communistes corses, qui ne veulent rien changer ni bouger. Pour eux, tout va très bien même si un habitant de Corse sur cinq vives sous le seuil de la précarité… Du coup, ils ont été systématiquement battus et systématiquement privés d'un groupe à l'Assemblée de Corse depuis 1982. Je déplore que le Parti communiste français ait pris attache avec eux : depuis le début de la législature, nous partageons pourtant beaucoup de points de vue et de votes avec le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Je suis très étonné de l'amendement défendu par le groupe Les Républicains. Le statut de la Corse, réglé par la loi précédente et les ordonnances, est une chose ; la question de l'inscription dans la Constitution pour permettre enfin le vote de textes spécifiques pour la Corse en est une autre. Je précise que le dernier texte spécifique que l'on ait voté, en tentant de détourner la jurisprudence constitutionnelle, était la proposition de loi de M. Camille de Rocca Serra, au nom du groupe Les Républicains, soutenue par la majorité de l'époque, il y a de cela un an et demi !
Tout le monde sait qu'il faut déroger aux règles compte tenu de la spécificité de la Corse. Mais tant que la Corse ne figurera pas dans la Constitution, le Conseil constitutionnel censurera. Il faut que la Corse figure dans la Constitution pour permettre une évolution législative qui tienne compte des spécificités de l'île ; c'est juridiquement imparable. Nous pourrons débattre ensuite du degré d'autonomie, mais si ces amendements venaient à être adoptés, c'en serait fini des spécificités législatives dont la Corse a besoin.
La Commission rejette ces amendements.
Puis elle examine l'amendement CL1479 de M. Jean Félix Acquaviva.
Cet amendement vise à insérer après l'article 74-1 de la Constitution un article 74-2. Cet article, qui reprend les travaux de Mme Wanda Mastor, missionnée par l'Assemblée de Corse, y a fait l'objet d'un vote très largement majoritaire : non seulement la majorité territoriale l'a adopté, mais aucun groupe n'a voulu voter contre.
Pour assurer une véritable clarification, il faut placer ces dispositions dans l'environnement de l'article 74, notamment pour régler les questions d'ordre foncier et fiscal. À cet égard, je rappelle qu'il y a, en Corse, quatre fois plus de biens indivis que dans n'importe quelle autre région. Cela signifie qu'il y a rupture d'égalité dans l'accès au logement, au foncier ou au bâti. Le remède ne peut passer que par des moyens différents. Or, les avis du Conseil constitutionnel, à droit constant – et quand bien même l'article 16 serait adopté en l'état – ne permettraient pas de résoudre cette question.
Si l'on ajoute à la question des biens indivis la part des résidences secondaires – 39 % – et une spéculation foncière et immobilière galopante, qui augmente la valeur d'imposition des futurs titres de propriété, on obtient une accumulation de contraintes mortifères créatrices d'inégalité sociale, de rupture culturelle et des tensions politiques telles qu'on les connaît depuis cinquante ans – on connaît l'attachement des Corses à leur terre. Sans inscription claire d'un statut clair, qui ne peut être que celui de la spécialité législative, jamais on ne résoudra les questions qui se posent depuis si longtemps dans l'île – et le foncier n'est qu'un exemple parmi d'autres.
C'est la raison pour laquelle l'Assemblée de Corse a voté en faveur de cette disposition, conformément au vote des Corses qui ont été 56,5 % à se prononcer pour un statut d'autonomie au sein de la République. Ce statut, c'est celui de la Polynésie française, de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy. Aujourd'hui, l'autonomie à la française est reconnue !
Nous partageons vos préoccupations, et je vous rappelle les termes de l'alinéa 3 de l'article 16 : « Les lois et règlements peuvent comporter des règles adaptées aux spécificités liées à son insularité ainsi qu'à ses caractéristiques géographiques, économiques ou sociales. »
La création d'un statut organique de la Corse, qui lui attribuerait des compétences régaliennes et la possibilité de voter la loi, nous placerait de fait dans une situation fédérale. Vous demandez une autonomie plus large que celle dont jouit la Polynésie française !
C'est pourtant la réalité : votre amendement placerait pratiquement la Corse dans la situation de la Nouvelle-Calédonie qui est, pardonnez-moi, incomparable. Avis défavorable.
L'inscription de la Corse dans la Constitution est une initiative qui va dans le bon sens et qu'il convient de saluer. Mais où faut-il la placer ? À l'article 72, à l'article 73, à l'article 74 ? Quel degré d'autonomie laisser à la Corse ? Le Gouvernement décide d'en rester à un minimum : la Corse ne pourra déroger que sous certaines conditions très précises, et avec l'accord du Parlement. Nos collègues ultramarins, qui bénéficient d'un texte plus favorable,…
Cela dépend des cas. Je veux le dire pour le compte rendu : il y a des territoires sur lesquels cela fonctionne bien.
Le Gouvernement a fait le choix de limiter l'autonomie de la Corse au strict minimum. Monsieur le rapporteur, ne pensez-vous pas que l'alinéa 4 – « sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti » – empêchera de déroger, malgré l'habilitation au droit fiscal ? Je rappelle que la prorogation des arrêtés Miot a été censurée par le Conseil constitutionnel au motif de l'égalité devant la loi fiscale.
Non, monsieur le rapporteur, cette proposition ne met pas la Corse au même rang que la Nouvelle-Calédonie. Je rappelle qu'il a fallu créer un titre à part pour la Nouvelle-Calédonie. Nous demandons à être placés dans l'environnement de l'article 74, qui concerne le statut de la Polynésie française, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, lequel permet d'adapter les lois et règlements existants et d'édicter des règles lorsque la spécificité le permet. Ce statut d'autonomie est reconnu depuis 2003.
Par ailleurs, comme l'a dit François Pupponi, la rédaction de l'article 16 ne permet pas de régler la question de la fiscalité du patrimoine. Nous allons nous trouver bloqués, notamment sur la demande de transfert de fiscalité. Nous ne demandons pas des exonérations, mais une politique fiscale du patrimoine adaptée. La rédaction de l'article 16 ne donne aucune garantie à cet égard ; seul l'environnement de l'article 74, la spécialité législative, permettrait de résoudre cette question.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle est saisie, en discussion commune, des amendements CL1145 de M. Michel Castellani, CL894 de M. Jean Félix Acquaviva, CL1146 de M. Michel Castellani, CL1171 de M. Jean-Félix Acquaviva et CL1399 de M. Jean-Félix Acquaviva.
Nous entrons dans le coeur de la discussion sur le statut que nous souhaitons pour notre île. Par l'amendement CL1145, nous proposons que le début du premier alinéa de l'article 72-5, prévu à l'article 16, soit ainsi rédigé : « La Corse est une collectivité territoriale à statut particulier dotée de l'autonomie. »
Une fois ce principe posé, nous déroulons les compétences qui, à nos yeux, relèvent dans ce que nous entendons par cette autonomie en proposant qu'une loi organique fixe les compétences exercées par la collectivité de Corse, mais aussi les matières, relevant de la loi et du règlement, relatives à la protection du patrimoine foncier, au statut fiscal, à la préservation des particularités linguistiques et culturelles de l'île, au développement économique et social, à l'emploi, à la santé et à l'éducation. Ce faisant, nous reprenons ici le vote d'une grande majorité de la collectivité de Corse et, surtout, le vote des Corses sur notre programme.
Sans doute trouverez-vous que nous mettons exagérément la Corse au centre de cette réforme constitutionnelle. Vous devez comprendre que nous venons, pour ne parler que de l'époque contemporaine, de cinquante ans de combats, de polémiques, de souffrances, d'attentats, de vies sacrifiées, de perte de liberté. Aujourd'hui, la Corse a besoin d'être dotée de compétences. Si son statut était si favorable, cela se verrait sur le terrain : on ne connaîtrait pas ces conditions sociales médiocres, voire désastreuses. Et surtout, on ne verrait pas les Corses s'exprimer aussi majoritairement en faveur de ce programme que nous défendons ici. Vous qui êtes démocrates, vous devez comprendre cette logique profondément démocratique.
L'article que mon amendement propose d'insérer après l'article 72-4 a été adopté par l'Assemblée de Corse. Dans le cadre de la discussion avec le Gouvernement, nous avons montré que nous étions capables de trouver des solutions de compromis, en proposant d'insérer ces dispositions dans l'environnement de l'article 72.
Il s'agit de prévoir un statut d'autonomie pour l'île, avec la volonté de clarifier les choses. Nous ne sommes pas dans un nouveau statut depuis le 1er janvier 2018, date de la fusion des deux départements ; le statut qui régit la Corse aujourd'hui, d'un point de vue législatif et réglementaire, est celui du 22 janvier 2002. Certes, il lui donne la possibilité de demander l'adaptation des lois et règlements. Mais je rappelle que, sur 50 demandes, il y a eu 48 non-réponses et 2 refus ! Nous ne proposons rien d'autre que d'inscrire dans la Constitution les termes de la loi au 22 janvier 2002, qui rejoignent en tout point l'article 73 applicable à certains territoires d'outre-mer.
Nous ne voulons pas d'une habilitation au cas par cas, qui serait pesante. Nous voulons agir évidemment sur les préoccupations quotidiennes – j'ai évoqué la question prégnante du foncier et de l'indivis, mais j'aurais pu tout aussi bien parler de la fiscalité touristique, de l'urbanisme ou de l'environnement. Ce besoin de clarification passe par un pacte de confiance. Il nous semble que cette proposition permet de placer le curseur au bon niveau, alors que trop de rendez-vous ont été manqués.
Je n'ai pas grand-chose à ajouter. La Corse sera-t-elle, ou pas, dotée de moyens pour mordre sur ces réalités économiques, sociales et culturelles ? C'est le débat du jour, et nous comptons sur cette réforme constitutionnelle pour avancer, enfin.
L'amendement CL1171 se borne à modifier la rédaction proposée par le Gouvernement à l'article 16. Nous ne sommes pas des partisans du tout ou rien ; nous voulons placer correctement le curseur, pour agir sur la vie quotidienne. Nous craignons que l'article 16 ne nous oblige à faire de l'habilitation au cas par cas, quand bien même la loi organique prévoirait des garanties. Or c'est exactement ce que produit l'article actuel. Aucune des collectivités visées à l'article 73 n'a été habilitée à légiférer sur un ensemble de domaines.
Aller vers une loi d'habilitation donnant les prérogatives d'adaptation sur un ensemble de domaines et non au cas par cas serait un pas décisif et très important. Cela ferait gagner beaucoup de temps aux acteurs économiques de Corse. Mais cela suppose une garantie. C'est le sens de la rédaction que nous proposons. Il s'agit d'un appel, qui peut être modifié d'ici la séance publique. Sans prévoir l'autonomie, ces dispositions constituent un saut qualitatif suffisant, qui nous permet d'être en conformité avec le mandat démocratique que nous ont donné les Corses. Cela permettra une confiance suffisante pour que la collectivité adapte les lois et règlements de manière efficace sur le terrain, en évitant de reproduire les échecs que nous avons malheureusement connus.
La question de l'applicabilité de l'article 16 et de son efficience par rapport aux objectifs qui sont les nôtres a fait l'objet de débats dans cette commission et à l'extérieur. Vous avez dit à plusieurs reprises, et à juste titre, que cela fait cinquante ans que vous réclamez des avancées, en particulier la reconnaissance. Actons quand même que l'article 16 comporte la reconnaissance de la Corse en son insularité, avec toutes les conséquences que cela emporte sur la vie économique et sociale. Il s'agit de la satisfaction d'une demande ancienne et d'une réelle avancée.
Vous avez dit qu'il s'agissait d'un amendement d'appel. Je comprends que vous exigiez que ce que nous allons écrire dans la Constitution soit traduit, soit dans la loi organique, soit, avec des garanties, dans le droit constitutionnel. Je vous propose que d'ici à la séance, nous sollicitions la garde des Sceaux pour savoir comment elle aborde la question de la mise en oeuvre de ce droit à la différenciation. Mais en l'état actuel des choses, je maintiens mon avis défavorable.
Cette revendication est légitime et elle est exprimée également par les outre-mer. Vous en êtes conscient, monsieur le rapporteur : en témoigne l'ouverture que vous venez de faire, très importante.
Pensez-vous qu'il soit cohérent d'habiliter les collectivités morceau par morceau, pour mener une politique générale ? Vous leur interdisez toute vision globale de leur avenir, toute approche transversale des différentes thématiques. On ne veut pas d'un volet fiscal, un volet technique, un volet foncier, un volet formation ; ce que les Corses demandent, c'est une habilitation globale pour adapter les textes. Nous le demandons aussi pour édicter la loi. Cela enrichirait la diversité législative française.
Nous sommes au coeur du débat. Vous avez raison, monsieur le rapporteur : inscrire la Corse dans la Constitution est juridiquement, constitutionnellement et symboliquement très fort.
Mais la seule inscription de la Corse dans la Constitution aura peu d'effet sur la situation locale. Cela ne donnera pas le pouvoir aux élus locaux de mettre en oeuvre les politiques indispensables, compte tenu des spécificités du territoire. Imaginez que, pour voter un texte fiscal, ils devront d'abord demander l'autorisation, éventuellement attendre une loi d'habilitation. Cela prendra entre deux et trois ans !
Pour résoudre un problème de manière efficace, il faut pouvoir prendre des décisions rapidement. Ce temps long, M. Serge Letchimy l'a dit, est impossible. Si le Gouvernement pense qu'il va pouvoir inscrire la Corse dans la Constitution, tout en tentant d'arracher quand même un accord constitutionnel avec le Sénat, nous manquerons le train de l'histoire alors que la Corse a besoin de cette ouverture fondamentale.
L'accord était unanime : 100 % des élus de la nouvelle Assemblée de Corse ont défendu la nécessité d'un article spécifique. Sur cet amendement, la majorité territoriale a reçu le soutien du groupe En Marche en Corse. Cette motion, telle qu'écrite aujourd'hui, le groupe En Marche en Corse l'a votée : c'est dire son importance. Elle n'est peut-être pas parfaite, mais libre à vous, monsieur le rapporteur, de nous proposer des modifications. Nous sommes descendus d'un cran, nous avons entendu que vous ne vouliez pas d'un placement à l'article 74, mais il vous faut écouter la volonté du peuple !
La première partie du texte qui nous est proposé vise à accorder à la Corse un statut particulier. Là-dessus, nous sommes entièrement d'accord, et je pense que cela constitue une réelle avancée. Mais la façon dont on différencie ce statut particulier me paraît particulièrement dérangeante : en définitive, on ne propose rien de plus qu'à l'article précédent. On se contente de préciser qu'en Corse, les règles peuvent être « adaptées aux spécificités liées à son insularité ». On ne dit pas autre chose à l'article 15.
Voilà pourquoi je pense, monsieur le rapporteur, qu'il serait bon que vous puissiez faire évoluer la situation d'ici la séance publique. Il me semblerait logique d'aller plus loin que l'article 15 et de faire en sorte que le statut particulier reconnu à la Corse se traduise dans un cadre de base.
Madame Sage, nous n'avons pas la même lecture de l'article 16. L'article 16 n'est pas l'article 15 : d'abord, il identifie les handicaps de la Corse liés à son insularité, ce que ne fait pas l'article 15 ; ensuite, et ce n'est pas la moindre des différences par rapport à l'article 15, il dispose que « les lois et règlements peuvent comporter des règles adaptées aux spécificités liées à son insularité, ainsi qu'à ses caractéristiques géographiques, économiques et sociales ».
Au-delà de la mention de la Corse dans la Constitution, dont M. Pupponi a marqué le caractère symbolique, l'article 16 donne la capacité réelle à tenir compte de la Corse dans les lois et règlements.
Enfin, monsieur Letchimy, ce que je disais tout à l'heure est simple : nous avons besoin que le Gouvernement nous éclaire sur la façon dont il envisage la mise en oeuvre de l'article 16 – c'est-à-dire la loi organique. D'ici à la séance, la semaine prochaine, nous aimerions savoir comment il entend rendre effectif ce que nous inscrivons dans cet article, dans des conditions qui permettent de limiter les risques de morcellement – dont on connaît les effets.
Reconnaissez toutefois que nous débattons ici d'un texte constitutionnel, et que s'il est voté, nous débattrons aussi d'une loi organique. Mieux vaudrait en avoir une idée. Je ne doute pas nous aurons des éléments d'éclairage sur la loi organique puisque nous l'avons demandé.
Comme je l'ai évoqué tout à l'heure, si on ne verrouille pas le processus pour qu'il soit lisible, intelligible et permette un minimum de prospective, cette réforme constitutionnelle n'aura que peu d'effets malgré son caractère éminemment symbolique et important pour la majorité territoriale issue du suffrage universel qui, nos collègues nous l'ont rappelé plusieurs fois à juste raison, a remporté les deux derniers scrutins. Il nous revient maintenant de veiller à ce que la loi organique à venir soit lisible et intelligible pour que la collectivité territoriale en place depuis le 1er janvier puisse, en coopération avec le Gouvernement, travailler sur le court, le moyen et le long termes dans le cadre de l'habilitation.
Monsieur le rapporteur, tel qu'est écrit l'article 16, tout est verrouillé. Vous pourrez faire toutes les lois organiques que vous voudrez : l'habilitation se fera au coup par coup. En écartant toute mise en cause de droits constitutionnellement garantis, vous limitez les capacités de la collectivité de Corse à demander des habilitations sur certains sujets, et à les obtenir. Sincèrement, si l'on ne modifie pas l'article 16, on aura inscrit la Corse dans la Constitution, mais cela n'aura aucun effet juridique et ne permettra pas de régler les problèmes. Il faut le savoir, il faut l'assumer et ne pas laisser croire le contraire aux Corses. Cette inscription est une bonne chose, mais ce n'est que le début d'un très long processus qu'il faudra un jour achever.
J'entends bien que nous sommes dans la révision constitutionnelle, mais justement, celle-ci a besoin de lois d'application ; la loi d'application de la Constitution, c'est la loi organique. Or je déduis des propos de notre rapporteur qu'en réalité, à quelques jours d'un débat en séance publique, on ne sait toujours pas ce que veut le Gouvernement.
Je rejoins nos collègues corses qui veulent savoir où on va et où on ne va pas. S'il s'agit de leur lâcher un peu de laisse, de la raccourcir là, d'avoir un peu moins de bride pour calmer le cheval, on ne va pas aller très loin. Je comprends bien leur attitude et leur incompréhension. Il faut donc absolument que le Gouvernement sorte du bois et nous dise où il veut nous emmener.
Vous l'avez compris, je ne suis pas un fana de la reconnaissance institutionnelle ni du peuple corse, mais je suis ouvert et je veux que les territoires puissent se gérer en bonne intelligence. Encore faut-il qu'on nous donne les éléments pour en juger. Je vous repose donc la question, monsieur le rapporteur : pourriez-vous nous éclairer davantage ?
Je voudrais d'abord remercier tous les collègues qui viennent de s'exprimer, MM. Letchimy et Pupponi ainsi que Mme Sage. À travers leurs interventions, vous voyez bien, mes chers collègues, que la question n'est pas de savoir si on va faire exploser la France, mais bien celle des différentes conceptions de l'architecture de l'État en France : une conception monolithique, que l'on connaît ; une conception décentralisée que nous souhaitons faire avancer.
Prenons garde, mes chers collègues, à ne pas confondre deux concepts : d'une part, l'égalité des citoyens face à la loi, qui est un principe de base de la démocratie, auquel personne n'entend toucher ici – en tout cas pas nous ; d'autre part, la reconnaissance constitutionnelle de la diversité des territoires, que nous souhaitons et nous sommes mandatés pour cela, voir inscrite dans la Constitution.
Il vient de se passer quelque chose, monsieur le rapporteur : d'abord, c'est du moins ce que j'ai entendu, vous avez dit que vous étiez prêt à travailler avant la séance publique ; ensuite, la droite, par le biais de M. Gosselin, a fait une ouverture inattendue. J'ai rarement entendu cela, mais c'est bien.
Quelles sont les modalités ? Je pense qu'on ne sait pas toujours de quoi on parle. Le texte ne fait pas mention de l'initiative locale. Et qui habilitera la collectivité de Corse à procéder à ces adaptations, le Parlement ou l'exécutif ? Rien n'est précisé.
Ce que demandent les Corses, ce qu'ont obtenu les Martiniquais et les Guadeloupéens, c'est de pouvoir adapter directement, à leur initiative, sans passer par une demande d'habilitation. C'est une démarche essentielle, qui devrait passer par une discussion entre les Corses – et demain avec nous – sur la question de l'évolution automatique de la possibilité d'adapter. Je proposerai bientôt en séance un amendement allant en ce sens.
Il ne vous aura pas échappé que ceux qui veulent continuer les discussions peuvent le faire avec le Gouvernement, y compris aujourd'hui.
C'est normal. Et ce n'est pas la première fois qu'il mène de telles discussions, que ce soit avec des collectivités ou des territoires.
Monsieur Letchimy, je ne crois pas qu'il y ait de doute sur la rédaction de l'article 16 : « Les lois et règlements peuvent comporter des règles adaptées aux spécificités liées à son insularité ainsi qu'à ses caractéristiques géographiques, économiques ou sociales. » C'est donc bien le Parlement qui vote. « Sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti, ces adaptations peuvent être décidées par la collectivité de Corse dans les matières où s'exercent ses compétences…
… et si elle y a été habilitée, selon le cas, par la loi ou le règlement. Ces adaptations sont décidées dans les conditions prévues par la loi organique. » Conditions dont je ne préjuge pas, pas plus que vous d'ailleurs. Vous dites que ces adaptations seront autorisées compétence par compétence. Rien de cela n'est indiqué dans le texte constitutionnel.
Tel que le texte est rédigé, rien n'empêche que cela se fasse de façon groupée et rien n'empêche que cela se fasse de façon séquentielle. Je ne comprends pas la prévention que vous avez sur le sujet.
On n'intervient pas pour dire qu'on est pour ou contre, mais pour avoir des précisions qui s'imposent sur ce texte. Tout à l'heure, j'ai demandé comment on allait interpréter le « droit constitutionnellement garanti », qui restreint énormément le champ des habilitations. Il faudra que vous nous répondiez à ce propos.
Nous sommes bien d'accord sur le fait que la Corse ne pourra déroger aux règles qu'après habilitation par les lois et règlements, donc par le Parlement ou par le Gouvernement. Mais nous nous interrogeons sur les conditions de l'habilitation, d'où l'intérêt d'en savoir plus sur la loi organique. Il faut faire en sorte que l'habilitation intervienne rapidement, et éviter que le Parlement ne mette quatre, cinq ou dix ans à l'accorder.
Les conditions de l'habilitation figureront dans la loi organique. Mais comme le demandait notre collègue Gosselin à juste titre, avant de voter l'article 16, ne pourrait-on pas avoir quelques précisions sur la façon cette question sera traitée dans la loi organique ?
Vous nous renvoyez à la loi organique. Soit, mais nous aimerions en savoir un peu plus avant de voter…
Monsieur Pupponi, l'article 73 de la Constitution, tel qu'il s'applique aux départements et régions d'outre-mer dispose : « Les habilitations prévues aux deuxième et troisième alinéas sont décidées, à la demande de la collectivité concernée, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. Elles ne peuvent intervenir lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti. » Tout cela est comparable. Considérez-vous que cela ait pu constituer un facteur bloquant outre-mer ?
Oui, cela a-t-il été un facteur bloquant ? J'ai entendu tout à l'heure que le dispositif avait bien fonctionné dans un certain nombre de territoires.
Ce n'est pas la question ! M. Pupponi a posé une question sur le droit constitutionnellement garanti ; nous en avons l'exemple avec les dispositions actuellement applicables aux régions et départements d'outre-mer.
Vous avez fait le plus ; vous pouvez faire le moins. Nous voilà maintenant au coeur du réacteur. La Corse ne veut pas, parce qu'elle a subi du cas par cas avec la loi du 15 juillet 2002, perdre cinq ans, sept ans, dix ans à cause du morcellement qu'on lui a imposé. C'est clair, net et précis.
Tel qu'il est rédigé, l'article 16 ne permet pas d'avoir une habilitation permanente, en une seule fois, sur un ensemble de domaines : cela n'est pas prévu dans les lois organiques applicables aux territoires d'outre-mer. Il faut donc le garantir dans la Constitution. Or, l'article 16 du projet de loi constitutionnelle ne fait que reprendre les termes de l'actuel article 73 de la Constitution, dont on connaît le résultat en termes d'échecs, de temps d'habilitation et de morcellement. C'est le premier problème majeur, qui peut être résolu avec un peu de volonté politique.
Le deuxième problème est qu'il est restreint aux compétences de la collectivité alors qu'il faudrait l'élargir pour assurer le développement économique de la Corse – et je vous renvoie à la rédaction actuelle du code général des collectivités territoriales concernant la Corse sur les adaptations de la loi. N'oublions pas qu'il y a des compétences mixtes entre les collectivités et les collectivités infraterritoriales. C'est très important.
La Commission rejette successivement les amendements CL1145, CL894, CL1146, CL1171, CL1261 et CL1399.
Puis elle examine les amendements identiques CL828 de M. Jean-Félix Acquaviva et CL1139 de M. Michel Castellani.
L'amendement CL828 aurait dû intervenir avant, puisqu'il fait référence à ce qu'avait été la rédaction de l'article 1er de la loi du 13 mai 1991 portant statut de la Corse, qui traitait de la reconnaissance de la communauté historique culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français. Problème dont nous avons déjà débattu, même si nous continuerons à en débattre.
Je tiens à souligner l'importance symbolique et surtout politique qu'aurait l'adoption de mon amendement CL1139, et préciser que ce ne serait finalement que la prise en compte d'une réalité historique, culturelle et psychologique.
Nous avons effectivement déjà eu ce débat et sans doute l'aurons-nous encore. Donc, pour les mêmes motifs que ceux que nous avons exposés avant l'article 1er, j'ai un avis défavorable.
L'article 16 prévoit que des adaptations peuvent être décidées par la collectivité de Corse dans les matières où s'exercent ses compétences et si elle y a été habilitée, pour autant qu'elles ne remettent pas en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti.
Mais reprenons la décision du Conseil constitutionnel sur les fameux arrêtés Miot : « une nouvelle prorogation de ce régime dérogatoire méconnaît le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques… Par suite, l'article 14 concerné doit être déclaré contraire à la Constitution. » Autrement dit, avec cette rédaction de l'article 16, on ne pourra toujours pas voter des textes dérogatoires qui prolongent les arrêtés Miot. Ainsi, sur des sujets aussi fondamentaux que la fiscalité, on risque de nous opposer l'article 16 comme on l'a opposé aux outre-mer en arguant des droits constitutionnels garantis.
Je peux vous répondre que le deuxième alinéa de l'article 16 dispose que « les lois et règlements peuvent comporter des règles adaptées aux spécificités liées à son insularité… »
Vous ne lisez que le troisième. Mais les deux alinéas vont ensemble. Le deuxième alinéa n'est pas une sous-partie du troisième : c'est lui qui pose le principe d'une possibilité d'adaptation des lois et des règlements.
Sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti.
Nous aurons le débat en séance publique ! Je peux essayer de vous convaincre, mais si je n'y arrive pas…
À l'intention de M. François Pupponi et de M. le rapporteur, je voudrais donner lecture de l'avis de l'Assemblée générale du Conseil d'État sur la question précisément posée par François Pupponi, lequel a techniquement raison : les dispositions prises en application de l'habilitation « ne pourront porter atteinte au principe d'égalité entre les personnes auxquelles elles s'appliquent, ni mettre en cause les conditions essentielles de l'exercice des libertés publiques ou d'un droit constitutionnellement garanti ». Expressis verbis, le Conseil d'État considère que la question des arrêtés Miot n'est pas traitée par la rédaction actuelle de l'article 16.
Ensuite, on peut avoir un débat d'opportunité ; mais je ne m'exprime pas en opportunité, seulement sur le plan de la régularité juridique. Je pense donc que le rapporteur de la commission des Lois devrait reconnaître que la question est complètement tranchée par la rédaction actuelle. Il faut savoir lire ce qui a été écrit à notre attention…
Jusqu'à preuve du contraire, j'organise les débats comme il me semble préférable de le faire, quand bien même cela ne vous conviendrait pas.
La Commission rejette les amendements.
Elle examine les amendements identiques CL1141 de M. Michel Castellani et CL1282 de M. Jean-Félix Acquaviva.
L'amendement CL1141 vise à compléter le projet de loi dans sa reconnaissance du statut géographique particulier de la Corse. La Corse, en plus d'être une île, est une montagne ; la dénomination proposée permet de mieux apprécier le relief contraignant de ce territoire.
Par ailleurs, la loi du 28 décembre 2016, en son article 5, reconnaît « la spécificité de la Corse, territoire montagneux et insulaire présentant le caractère d'île-montagne ». Étant donné que le présent projet de loi vise à reconnaître les particularités de la Corse, il est essentiel de prendre en compte ce statut d'île-montagne qui traduit les contraintes auxquelles ce territoire est assujetti.
On rejoint ainsi l'article 174 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui concerne notamment les régions insulaires, montagneuses et souffrant de handicap démographique, la Corse cumulant les trois handicaps.
Mon amendement CL1282 a le même objet. Il me semblerait logique de faire figurer dans la Constitution le cumul des contraintes subies par la Corse, telles qu'elles sont prises en compte par l'article 174 du traité de l'Union européenne.
Cette intervention me permet de revenir sur la question des compétences liées à l'article 16. Je répète que la rédaction de l'article 16, qui permet l'adaptation, ou la demande d'adaptation des lois et règlements sur les compétences de la collectivité, est en deçà de la rédaction actuelle du statut de la loi de janvier 2002 qui permet de demander des adaptations réglementaires et législatives sur des domaines liés au développement économique, social et culturel de la Corse.
C'est très important, du fait des compétences mixtes, partagées entre la collectivité territoriale et des collectivités de niveau inférieur : ainsi l'aménagement du territoire, l'urbanisme et la lutte contre la spéculation foncière et immobilière.
La collectivité établit un plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC) qui a valeur de directives territoriales d'aménagement (DTA), avec lesquelles les plans locaux d'urbanisme (PLU) doivent être compatibles. Mais des adaptations de la loi sont nécessaires. S'il ne nous est pas possible de présenter des demandes d'adaptation sur l'ensemble de la problématique de l'urbanisme, et non au cas par cas, et aller au-delà de la compétence juridique stricto sensu de la collectivité, nous ne nous en sortirons jamais. Et le même problème se pose dans d'autres domaines. C'est un véritable piège. Il en est de même de la prise en compte des principes fondamentaux en matière de fiscalité du patrimoine.
Cela mérite de relayer l'appel de M. Serge Letchimy : on ne peut s'en remettre pour tout à la loi organique. Nous sommes bien sur des problématiques de rang constitutionnel. Étant donné ce qui se passe en Corse, avec laquelle il est nécessaire de renouer un pacte de confiance, il serait très important de prendre un peu de temps pour faire, d'ici à la séance publique, ce petit effort qui serait un grand pas dans l'histoire de la Corse.
Je donne à ces deux amendements un avis défavorable pour les raisons déjà évoquées tout à l'heure.
Je tiens également à compléter la lecture que nous a faite M. Larrivé par celle du point 70 de l'avis du Conseil d'État : « En premier lieu, la loi ou le règlement, selon le cas, peut comporter des règles adaptées aux spécificités liées à l'insularité et aux caractéristiques géographiques, économiques ou sociales de la Corse. Le Conseil d'État considère que cette disposition, d'une portée comparable à celle prévue au premier alinéa de l'article 73, offre au législateur et au pouvoir réglementaire des possibilités de différenciation plus étendues que celles permises dans le cadre constitutionnel en vigueur, y compris en matière fiscale, dans le respect des critères qui suivent. »
Et dans le respect du principe d'égalité… Je ne veux pas faire de polémique, nous sommes d'accord sur la lecture de l'avis du Conseil d'État : vous nous avez lu le point 70 ; je vous ai lu le point le point 71.
Je tiens à saluer la qualité de ces débats, et à saluer notre rapporteur qui se retrouve tout seul à défendre un sujet bien difficile.
Mais j'observe aussi qu'on nous demande de juger un film dont nous n'avons pas vu la fin. Sans aucune vision de la loi organique sur la Corse, on est au point mort. C'est pour cela que nous vous demandons de constitutionnaliser un certain nombre de paramètres. Tant que nous ne connaîtrons pas certains éléments de cette loi organique, tant que le Gouvernement n'aura pas arbitré, il nous sera difficile d'aller plus loin.
Je suis personnellement très triste : vous obligez les Corses à faire de la mécanique juridique pour ne pas répondre à leurs aspirations. Et demain, en séance publique, vous nous obligerez à agir de la même façon. Or ce n'est pas en faisant de la mécanique juridique que l'on peut développer un pays et assumer l'identité d'un pays. Je considère pour ma part que c'est très mauvais.
L'article 72 privilégie les expérimentations alors que le principe même de l'expérimentation, y compris dans le cadre d'une habilitation, est d'aboutir à terme à un élargissement. Quel est aujourd'hui l'enjeu du débat, entre l'autonomie de l'article 74 et de l'article « 73 plus » ? C'est d'obtenir un pouvoir fiscal et surtout patrimonial afin d'être en mesure de mettre globalement en pratique une certaine vision du développement. C'est de cela qu'il faudrait débattre entre les deux moments que vous nous avez indiqués, monsieur le rapporteur. Nous serons avec vous pour améliorer le texte corse et, en même temps, le texte martiniquais.
La Commission rejette les amendements.
Elle examine ensuite en discussion commune les amendements identiques CL1142 de M. Michel Castellani et CL1283 de M. Jean-Félix Acquaviva, puis les amendements CL848 de M. Jean-Félix Acquaviva et CL1140 de M. Michel Castellani.
L'alinéa 3 prend en compte les réalités géographiques, économiques et sociales de la Corse. Nous souhaitons y ajouter une dimension linguistique. L'amendement CL1142 complète le projet de loi et son objectif d'inscrire la Corse et ses caractéristiques dans la Constitution.
La langue corse est un ciment. Nous ne la concevons pas comme un moyen de ségrégation, bien au contraire ; n'oublions pas qu'en tout temps et en permanence, chaque année, chaque jour, des hommes et des femmes sont venus se fondre dans cette communauté de destin qu'est le peuple corse, dont ils ont adopté la langue. Savez-vous, chers collègues, que la langue corse a bercé et berce toujours toute notre vie, qu'elle est une partie du patrimoine de l'humanité à laquelle nous tenons par-dessus tout ? Je sais très bien qu'une part de l'opinion en France considère ces langues minoritaires comme une survivance du passé, voire comme du passéisme. Pour ma part, je peux vous dire qu'avec une langue minoritaire, on peut exprimer les sentiments les plus nobles et bâtir les poésies les plus belles – je pourrais vous en réciter beaucoup.
Évidemment, les spécificités de la Corse ne sont pas seulement physiques, géographiques, économiques et sociales : elles sont aussi culturelles et linguistiques. Le mettre au rang constitutionnel permettrait de trouver des solutions juridiques adaptées à la demande des Corses et de refaire de cette langue une langue vivante, capable de s'insérer dans la sphère publique. Si elle n'a pas d'utilité sociale, économique et publique, si elle n'est pas utilisée dans les actes de l'administration, elle risque de s'éteindre. Une fois cette reconnaissance constitutionnelle acquise, on peut très bien trouver des formules législatives qui ne contraignent pas les gens qui ne veulent pas parler le corse, mais qui garantissent des droits aux locuteurs, ceux qui veulent le parler, qui le parlent, qui le pensent, qui le rêvent depuis qu'ils sont nés. C'est une façon de respecter le droit des individus.
En Finlande, l'autonomie culturelle est un principe constitutionnellement reconnu. Par exemple, les suédophones disséminés dans la Finlande – plus de 800 000 y sont recensés – ont droit à ce que l'État leur réponde en suédois, ont droit à une école primaire et à un lycée bilingue, bref, ont droit au respect du droit du locuteur.
Nous n'en demandons pas tant ; nous disons seulement que le respect, la tolérance des langues et des cultures existent en Europe, dans des pays démocratiques. À défaut d'obtenir la co-officialité – qui, selon nous, n'est pas une contrainte pour les gens qui ne veulent pas parler la langue – nous souhaitons pouvoir donner un avenir à notre langue dans un cadre législatif ; il nous reste à le trouver ensemble, dans le cadre d'un pacte de confiance qui est encore à développer. Mais on ne saurait d'entrée de jeu limiter cette question : il faut l'ouvrir. Et l'ouvrir, c'est l'inscrire. Tel est le sens de l'amendement CL1283.
L'amendement CL 848 est un amendement de repli, mais procède du même esprit.
Mes amendements CL1283 et CL1140 traitent de la même question, et apportent la même réponse. Nous sommes dans la même ligne de pensée.
Nous avons déjà eu ce débat avant l'article 1er, à l'occasion d'amendements qui étaient exactement de même nature. Je ne vais pas redévelopper l'argumentation présentée il y a quelques jours et je donnerai un avis défavorable à l'ensemble de ces amendements.
Effectivement, il y a quelques jours, vous nous disiez qu'un article spécifique à la Corse allait être discuté, et que ce serait l'occasion d'en débattre…
Je voudrais appuyer la demande formulée par nos collègues. Ne pas prendre en compte ces spécificités revient, d'une certaine manière, à nier ce qu'est le peuple français aujourd'hui. Leurs amendements sont l'occasion de reconnaître pleinement notre diversité. De fait, il existe des territoires français où la langue vernaculaire, d'origine, de naissance, n'est pas forcément le français. C'est une réalité qu'il faut reconnaître. Cette langue peut être pratiquée pour se réapproprier un patrimoine, pour le maintenir et le préserver. En l'occurrence, la Corse, et d'autres territoires comme la Polynésie française, sont des territoires bilingues, voire multilingues.
Monsieur le rapporteur, je suis un peu étonné de votre réponse. Il ne s'agit pas de déterminer s'il faut tendre à une co-officialité des deux langues ; il s'agit de justifier l'inscription d'une région française, la Corse, dans la Constitution.
Le texte du Gouvernement met en avant les caractéristiques géographiques, économiques et sociales de la Corse. Les élus corses considèrent que d'autres raisons permettent de justifier son inscription dans la Constitution, en l'occurrence le fait qu'elle ait une histoire et une langue particulière. Franchement ce n'est pas mettre en cause l'intégrité nationale, ni le fait que le français est la langue le République.
On a besoin d'ouvrir le jeu. Je vais prendre un exemple précis dont on ne parle jamais, pas même dans cette loi constitutionnelle : la Corse est une zone frontalière. Elle est plus proche de la Toscane, de la Sardaigne et du Latium qu'elle ne l'est de Nice ou de Marseille. Dans un tel cadre, la langue est un outil indispensable, politique, diplomatique, économique et social, pour développer et émanciper la Corse en Méditerranée, surtout si la République veut avoir une vision méditerranéenne qui jusqu'à ce jour peine à s'affirmer.
Quand j'étais à l'Office des transports de Corse et que j'allais voir mon homologue sarde, je m'exprimais en corse – de manière tout à fait illégale, j'entends bien – et il me répondait en italien. Nous nous comprenions très bien. Des partenariats et des coopérations se sont développés parce que l'affinité culturelle est là : c'est une réalité. On ne peut pas nier que la terre tourne, disait Galilée ; il en est de même pour la langue et la culture corses. Il serait de bon ton que la République le reconnaisse dès la Constitution, pour ouvrir le jeu.
La Commission rejette successivement les amendements CL1142 et CL1283, l'amendement CL848 et l'amendement CL1140.
Elle est alors saisie de l'amendement CL1182 de M. Jean-Luc Warsmann.
L'amendement est retiré.
La commission examine en discussion commune les amendements CL1446 de M. Paul-André Colombani, CL888 de M. Jean-Félix Acquaviva, CL1143 de M. Michel Castellani et CL1440 de M. Paul-André Colombani.
Je refais l'historique : nous avons demandé l'article 74, on nous a dit non ; nous avons demandé il y a quelques minutes l'article de l'Assemblée de Corse, on nous a dit non ; et là, nous sommes au coeur de l'article 72, dans lequel nous avons identifié des verrous. Or il faut absolument faire sauter ces verrous pour rendre opérationnel cet article. Sinon, ce sera une véritable usine à gaz. Tel est l'objet de l'amendement CL1446.
La Corse pourrait, non seulement adapter la loi et les règlements, mais aussi fixer les règles, tant au niveau législatif que réglementaire, dans le domaine où elle a été habilitée par l'État. Cette habilitation ne se ferait pas par la loi, procédure législative longue, liée entre autres à la navette parlementaire, mais par un décret en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État, et sous réserve de ratification par le Parlement des mesures adoptées. Une procédure de ratification expresse des actes pris sur habilitation, juridiquement peu sûre et lourde, encombre inutilement l'agenda du Parlement, qui conserve la possibilité, de toute manière, de refuser de ratifier certaines mesures. Ainsi, les actes adoptés par la collectivité de Corse seraient caducs dans le cas d'une non-inscription du projet de ratification du Gouvernement à l'ordre du jour.
Mon amendement CL888, dans la droite ligne de nos discussions sur l'article 16, vise à clarifier les choses et à mettre au niveau de la nouvelle rédaction de l'article 73 la compétence, dévolue à la Corse, de demander des adaptations réglementaires et législatives. Certes, une telle avancée n'est pas suffisante. Mais on sait déjà que l'article 72-5 sera totalement inefficient.
Je veux lancer un appel à un saut politique qualitatif d'ici à la séance publique. Je viens d'apprendre que la réunion organisée par le Premier ministre ne s'est pas très bien passée. Nous sommes toujours très en deçà, non seulement du statut de l'autonomie, ce que nous savions, mais également d'une volonté de faire bouger les lignes de cet article, qui n'est pas clair, d'autant plus que la loi organique nous est toujours inconnue.
Lorsque l'on dit « non » vingt fois, trente fois, quarante fois à 56,5 % des gens qui savent pourquoi ils ont voté, à 60-63 % pour les trois députés que vous avez devant vous, pour en finir avec les blocages à propos du foncier, avec la spéculation immobilière et les divisions, pour faire en sorte que la Corse se développe, lorsque l'on essaie de trouver des solutions, de faire des pas et que l'on ne nous donne aucune réponse, cela commence à devenir de l'irrespect ! Je le dis tranquillement, après ce que je viens d'apprendre.
Je vous appelle vraiment à la raison. Nous savons pourquoi nous sommes là ; nous ne sommes pas des partisans du tout ou rien, mais nous voudrions que l'on évite tout dogmatisme sur cet article. Toute avancée suppose de la confiance – qui a fait défaut, notamment depuis juin 2017 – et aucune réforme institutionnelle ne vaut sans cette confiance.
Ce sont des hommes qui ont fait les accords de Nouméa parce qu'ils ont fait le chemin qu'il fallait et les pas nécessaires. Cette fois-ci, nous avons identifié les pas qu'il convient de faire – sur l'habilitation et les compétences. Maintenant, s'il n'y a pas d'avancée là-dessus, sachant qu'en l'état, on va vers une usine à gaz, c'est que vraiment on le veut.
Le projet de loi indique que les adaptations peuvent être décidées dans les domaines de compétences de l'Assemblée de Corse si elle y a été habilitée par les lois et règlements. Pour des raisons d'efficacité, nous suggérons, par l'amendement CL1143, que celle-ci puisse être habilitée par décret en Conseil des ministres, pas seulement dans les matières où s'exercent ses compétences, mais dans les matières définies par la loi organique. Nous espérons que, cette fois-ci, cette nouvelle proposition sera adoptée par la Commission.
L'amendement CL1440 vise également à compléter l'article 72-5. Il nous faut une loi organique complète, pas une loi organique qui se limite à préciser les conditions d'habilitation. La Corse a besoin d'une loi organique qui porte sur le statut de la collectivité de Corse, son fonctionnement, ses institutions, ses compétences. Nous pourrions ainsi sanctuariser les dispositions du code général des collectivités territoriales qui portent sur la collectivité de Corse ; il ne serait plus possible de les modifier à l'occasion d'un projet de loi ordinaire sur les collectivités, par le biais des amendements passés à une heure du matin qui viendraient détruire le statut de la Corse. Cela s'est déjà produit dans le passé ; nous n'en voulons plus.
Avis défavorable pour les raisons évoquées tout à l'heure. Mais j'entends bien, et nous entendons bien, les questions que vous posez. D'ailleurs, monsieur Acquaviva, vous le savez : vous avez dit vous-même que les autorités de la Corse étaient en discussion avec le Gouvernement. Cela étant, vous avez des informations dont nous ne disposons pas.
Je ne vais pas redévelopper mes arguments. On a bien vu quels étaient les points d'achoppement, ce qui pouvait inquiéter les uns et des autres. À vrai dire, les difficultés ne résident pas tant dans l'article 16 que dans l'application de l'article 16.
J'ai bien compris que c'était important. Mais nous l'avons entendu. Vous ne pouvez pas dire qu'on a éludé la question.
Parfois, en signe de bonne foi, dans le cadre d'une discussion sur une loi ordinaire, le Gouvernement met tout sur la table, en l'occurrence les décrets d'application. Or le décret d'application de la Constitution, c'est la loi organique. Ce serait difficile pour le rapporteur, qui n'est pas ministre ; mais nous pourrions demander au ministre de nous rejoindre pour nous éclairer, le temps d'une suspension.
Il serait intéressant de mettre sur la table la loi organique et ses éléments. Personnellement, vous le savez, j'ai un avis mitigé sur la question. Mais sur le fond, il faut bien avoir des éléments en main pour pouvoir discuter, prendre, ne pas prendre, avancer dans la discussion. Pour le moment, on s'étripe gentiment et symboliquement autour de termes dont, en réalité, on ne mesure pas bien les conséquences. Sans jeu de mots, va-t-on desserrer ou pas le corset ? On ne sait pas. De ce fait, notre discussion fait un peu brouillon. Cela ne me convient pas. Intellectuellement, ce n'est pas satisfaisant. Cela fait des mois que l'on doit avoir ce débat sur la Corse ; le Gouvernement s'était engagé, il serait bon qu'aujourd'hui, on ait des éléments.
Il faut que l'on précise les règles. Les Corses ont déposé des amendements sur l'article 74, on leur a dit non. Très bien. Maintenant, ils déposent des amendements à l'occasion de l'article 16, pour améliorer le texte de l'article 72-5 tel qu'il nous est proposé, y compris pour en gommer les incohérences juridiques. Il y a donc des propositions juridiques pour que le texte soit mieux écrit. Ensuite, il y a des amendements quasiment rédactionnels, par exemple ceux qui rajoutent des raisons pour lesquelles la Corse doit figurer dans la Constitution. Cela ne pose pas de problème politique. Si vous avez décidé qu'aucun amendement ne sera admis sur l'article 16, même ceux qui sont bons, même ceux qui vont dans le bon sens, le débat est clos, on n'en parlera plus, et on en tirera les conséquences. Mais si l'on ne peut même pas améliorer la rédaction d'un texte constitutionnel pour qu'il soit mieux rédigé sans remettre en cause la volonté politique du Gouvernement, il faut nous le dire aussi.
La Commission rejette successivement les amendements Cl1146, CL888, CL1143 et CL1440.
Puis elle examine l'amendement CL1183 de M. Jean-Félix Acquaviva.
Cet amendement est une énième tentative, qui consiste à insérer dans l'article 16 les mots : « sans que le principe d'égalité devant la loi ne fasse obstacle à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général ». Ce que l'on a entendu sur les avis du Conseil d'État, sur les décisions du Conseil constitutionnel, sur les différences d'interprétation qui peuvent exister, et sur l'échec de certaines demandes en matière de fiscalité du patrimoine, nous a incités à proposer cet amendement.
Selon moi, cette préoccupation est satisfaite par le troisième alinéa de l'article 16 qui vise précisément à desserrer la contrainte imposée par le principe d'égalité au regard des spécificités insulaire, géographique, économique et sociale de la Corse. Je demanderai donc le retrait de cet amendement. Sinon, avis défavorable.
Pour ma part, je relie ce troisième alinéa au suivant, puisque l'on peut déroger au principe d'égalité… sauf si cela met en cause un principe constitutionnel. Et je répète que le principe d'égalité devant l'impôt est un principe constitutionnel.
Tout à l'heure, M. Colombani a bien démontré que le Conseil d'État faisait la même interprétation que nous. Donc, tel qu'est rédigé l'article 16, un certain nombre de principes constitutionnels empêcheront les Corses de pouvoir demander des habilitations sur des sujets indispensables. Peut-être est-ce la volonté du Gouvernement ? Encore faut-il le dire et l'assumer !
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL1144 de M. Michel Castellani.
Nous suggérons de supprimer la fin de la première phrase de l'alinéa 4 : « dans les matières où s'exercent ses compétences et si elle y a été habilitée, selon les cas, par la loi ou le règlement ».
Nous voyons qu'il y a deux points de confrontation fondamentale : l'autorisation préalable d'habilitation et la limitation des matières où s'exercent les compétences. Nous souhaitons, et la majorité des Corses avec nous, que la Corse dispose des moyens permanents d'adaptation des lois sur son territoire. C'est l'objet de cet amendement.
Avis défavorable. Je voudrais simplement relever une incohérence. M. Pupponi souhaite supprimer l'expression : « sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice ». Il se trouve que nos amis corses proposent de la maintenir et d'arrêter la phrase d'une manière qui revient à doter la Corse d'un parlement de plein exercice. Cela veut donc bien dire que la première partie de la phrase ne pose pas tant de problèmes que cela.
Vous nous dites depuis tout à l'heure que cette phrase pose problème, en fait ce n'est pas la phrase, c'est la façon dont certains veulent l'appliquer, puisque nos collègues de Corse veulent faire de la Corse un parlement de plein exercice.
Monsieur le rapporteur, c'est vous qui obligez les Corses à réduire leur curseur en leur refusant tout. L'article 73 de la Constitution pour les outre-mer offre plus de possibilités et n'emploie pas le terme « constitutionnellement garanti ». Vous avez resserré le verrou à l'égard des Corses : même si vous donnez l'impression que l'article 72 offre plus de possibilités d'émancipation, c'est un leurre. L'article 73 de la Constitution ne contient pas cette expression : « constitutionnellement garanti ».
Permettez que je vous relise le texte de l'article 73 : « Les habilitations prévues aux deuxième et troisième alinéas sont décidées, à la demande de la collectivité concernée, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. Elles ne peuvent intervenir lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti. »
Ce n'est pas la même rédaction : la preuve en est que, sur le plan fiscal ou sur le transport, nous avons pu avoir des habilitations.
Vous leur refusez même la reconnaissance de leur langue, de spécifier leur culture ou garantir leur identité.
Monsieur Letchimy, je ne dis pas qu'il n'y a pas de problème, mais n'en inventons pas là où il n'y en a pas. Vous nous dites que les mots « constitutionnellement garanti » ne figurent pas à l'article 73, relisez-le, ils y sont.
L'article 73, dans ses alinéas 1, 2 et 3, prévoit trois possibilités : la possibilité d'adapter la loi au Parlement, celle que les collectivités adaptent elles-mêmes la loi, ou celle qu'elles édictent elles-mêmes la loi, ce que vous n'autorisez pas à la Corse.
Monsieur le rapporteur, l'article 73 alinéa 2 prévoit que dans les outre-mer, les collectivités concernées peuvent déroger aux lois et règlements, et des adaptations peuvent être décidées par ces collectivités dans les matières où s'exercent leurs compétences et si elles y ont été habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement.
L'alinéa précédent prévoit que « les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. »
La Constitution n'est donc à l'évidence pas écrite de la même façon pour les outre-mer, qui ont un pouvoir plus large.
Dans le cas de la Corse, les possibilités d'adapter la loi ou le règlement sont juridiquement restreintes au maximum. Voulez-vous réduire complètement cette possibilité, ou l'ouvrir plus largement pour les Corses ? La même question se pose depuis tout à l'heure, à laquelle nous n'avons toujours pas de réponse.
La Commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l'amendement CL876 de M. Jean-Félix Acquaviva.
L'amendement CL1477 de M. Jean-Luc Warsmann est retiré.
La Commission en vient à l'amendement CL1201 de M. Jean-Félix Acquaviva.
Cet amendement vise à compléter l'article relatif à l'inscription de la Corse dans la Constitution en permettant un transfert de compétences.
Le problème des compétences dans les matières fiscale, foncière et linguistique est un noeud gordien qui n'est pas résolu par la rédaction actuelle de l'article 72-5, puisqu'il est incohérent de prévoir une adaptation des lois et règlements dans le domaine des compétences juridiques de la collectivité. Et si c'est volontaire, c'est très restrictif.
C'est en deçà de ce que prévoit le code général des collectivités territoriales pour l'adaptation des lois et règlements dans le cadre du statut du 22 janvier 2002 qui permettait d'adapter la loi et le règlement dans le cadre de compétences économiques liées au développement économique, social et culturel de la Corse. Je rappelle que l'article 1er de l'actuel statut de la Corse dispose que la collectivité de Corse gère les affaires de la Corse.
Compléter le texte constitutionnel en prévoyant la nécessité de peaufiner le statut de la Corse s'agissant du transfert de compétences permet de clarifier les choses et de disposer d'une mécanique statutaire et des prérogatives qui servent l'intérêt général des Corses.
Cet article prévoit une décentralisation de compétences au bénéfice de la collectivité de Corse. C'est différent de l'objet du projet de loi, qui vise à la différenciation des territoires.
De surcroît, si les matières fiscale et foncière peuvent se discuter et pourront éventuellement être transférées grâce au mécanisme voté à l'article 15, ce n'est pas le cas des affaires linguistiques. Avis défavorable.
L'amendement est rejeté.
La Commission en vient à l'amendement CL1197 de M. Pierre Morel-À-L'Huissier.
C'est un sujet récurrent, que je développe souvent : la création d'un principe juridique d'adaptabilité des règlements aux spécificités des territoires ruraux. Il est important que notre texte constitutionnel puisse le formaliser.
Le Conseil constitutionnel admet déjà que des situations différentes donnent lieu à l'édiction de prescriptions législatives différentes. C'est le cas d'un certain nombre de dispositifs fiscaux, y compris pour les territoires ruraux. Je pense par exemple aux zones de revitalisation rurale. Le principe d'égalité ne s'y oppose aucunement. Il n'est pas un principe d'uniformité, sans quoi il n'existerait aucune mesure d'aménagement du territoire et aucune loi poursuivant cet objectif explicite.
Par ailleurs, le dispositif de l'article 15, dont nous avons débattu en milieu d'après-midi, va permettre de mieux tenir compte des spécificités des territoires ruraux. Avis défavorable.
L'amendement est retiré.
La Commission est saisie de deux amendements en discussion commune, CL151 et CL152 de M. Patrick Hetzel.
Ces deux amendements portent sur le droit local d'Alsace-Moselle. Nous avons un problème particulier, lié à une décision du Conseil constitutionnel dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, la décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011, Somodia. Elle bloque le droit local dans sa forme actuelle et ne permet pas au législateur de procéder à des évolutions de ce droit local. Nous avons constaté à plusieurs reprises que cette situation aboutissait à des difficultés, notamment lorsque nous avons débattu de l'accord national interprofessionnel (ANI). Le droit local, qui donnait un certain nombre d'avantages, notamment aux salariés, était exclu de l'ANI. La décision Somodia rend donc toute évolution difficile.
Mon amendement CL151 prévoit d'ajouter que : « Les intérêts propres des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin sont pris en compte par le maintien et le développement du droit particulier à ces départements. » L'amendement CL152 est rédigé de manière à généraliser le principe. Pour résoudre la question du droit local, l'amendement le plus adapté est le CL151, qui traite uniquement de ce sujet.
Il y a pour nous un sujet lié à la sécurisation et au bon équilibre de ce droit local. Je précise, parce que nous avons eu des débats à d'autres moments sur cette question, que toute évolution du droit local ne peut se faire qu'après un débat à l'Assemblée nationale. Un tel amendement prévoit simplement une sécurisation juridique, au niveau constitutionnel, afin de permettre les évolutions nécessaires, faute de quoi la décision Somodia entraînera une extinction progressive de ce droit local, ce que nous ne souhaitons évidemment pas.
Reconnaissons que ce n'était pas un sujet que nous avions envisagé lors des travaux préparatoires, mais c'est tout l'intérêt de nos débats. L'un de vos collègues alsaciens-mosellans nous a signalé l'existence d'un problème, et pour tout vous dire, nous prenons un peu mieux la mesure de votre difficulté sur cette question du droit local.
À ce stade, mon avis est défavorable car je ne suis pas sûr que la solution que vous proposez soit raisonnable et acceptable. Votre amendement CL151 revient à constitutionnaliser les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, ce qui aboutit à rendre impossible la fusion de ces départements. C'est peut-être d'ailleurs, à voir votre sourire, l'objet principal de cet amendement, et j'ai cru lire que la fusion de l'Alsace restait en débat. Je ne suis pas sûr qu'il appartienne à la Constitution de figer les contours départementaux. D'ailleurs, le droit n'est pas celui du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, mais celui d'Alsace-Moselle.
Mais nous identifions les problèmes posés dans la capacité d'adaptation ou de pérennisation de ce dispositif, qui est un héritage historique. J'émets un avis défavorable à ce stade et je vous propose de le retirer, sans pour autant être en mesure de vous donner de garanties sur ce que nous pouvons faire. Nous devrons cependant essayer de résoudre les questions justes que vous posez.
Vous aurez noté qu'un certain nombre de collègues de La République en Marche ont déposé un amendement rédigé un peu différemment, mais qui soulevait le même problème. Le sujet est donc très largement transpartisan. Vous avez raison, l'amendement CL151 est perfectible. Nous souhaitons avant tout prendre date et indiquer qu'il y a un vrai problème. La discussion de ce texte constitutionnel serait l'occasion de traiter de cette question ; nous sommes du reste ouverts à un débat avec le Gouvernement lors de la séance publique. Peut-être un amendement gouvernemental permettrait-il de formuler une réponse satisfaisante ?
En raison des arguments invoqués et du risque de figer les contours des départements, je retire ces deux amendements. Mais vous avez pris note de ce sujet, et il faudra bien trouver un moyen de le traiter. Nous souhaitons une solution équilibrée qui éviterait une extinction de ce droit local, qui joue un rôle très important dans nos territoires d'Alsace-Moselle.
Les amendements sont retirés.
La Commission en vient à l'amendement CL1202 de M. Pierre Morel-À-L'Huissier.
Je vous invite à consacrer quelques petites secondes à un département qui m'est cher, celui de la Lozère. Nous avons parlé de la Corse et des outre-mer, et je suis très solidaire avec tout ce qui a été dit.
Le département de la Lozère est le seul à compter moins de 100 000 habitants. Il s'étend sur 5 100 kilomètres carrés. La densité y est de quinze habitants au kilomètre carré, et dans certains secteurs, de deux habitants au kilomètre carré. Si au cours de ce débat sur la Constitution, je n'abordais pas les spécificités lozériennes, je ne ferai pas le travail de l'unique député de ce département. Le second département le moins peuplé est la Creuse, avec 123 000 habitants… La Lozère est un département très atypique. Je sais que mon amendement peut sembler étrange, mais aujourd'hui, cette spécificité justifie un statut particulier.
On nous impose des ratios nationaux sur les routes, sur les dotations, sur les services publics. Mais la base fiscale est tellement faible que nous avons de grandes difficultés à gérer ce département, dont 98 % des communes comptent moins de 300 habitants. Mon amendement tend à préserver ce territoire, qui a le droit de vivre dans la République et avec la République.
J'apprécie cet amendement d'appel à la différence de la Lozère. Reconnaissons que vous savez la faire entendre, en commission et dans l'hémicycle… Cela étant, vous posez une question tout à fait valide sur un territoire vraiment particulier du fait de sa faible densité. Il me semble que le droit à la différenciation consacré par l'article 15 est prévu pour résoudre des problèmes tels que ceux que vous évoquez.
Vous avez raison de souligner le cumul de facteurs qui font que ce département est dans une situation particulière, mais c'est aussi le cas d'autres départements, pour d'autres motifs. Je ne voudrais pas que nous en venions à créer une collectivité à statut particulier pour chaque département particulier, de crainte d'aboutir à une Constitution un peu longue. L'article 15 permettra de prendre en compte les spécificités que vous décrivez si bien.
Ma remarque n'est pas ironique, mais nous voyons bien au travers de nos débats sur la Corse, la Lozère ou l'Alsace-Moselle – je note au passage la souplesse et l'envie de dialogue du rapporteur – ainsi que les débats portant sur l'autonomie fiscale ou financière, que la République doit se remettre en question de manière très profonde. Si le débat constitutionnel a bien un mérite, c'est d'aller au fond de ce débat en espérant qu'il y ait une suite.
L'amendement est retiré.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l'amendement CL1359 de Mme Huguette Bello.
Elle en vient à l'amendement CL1147 de M. Michel Castellani.
Il s'agit du dernier amendement sur l'article 16… S'il venait à être refusé, vous aurez adopté un article 16 a minima ; ce serait dommage.
Nous revenons sur un débat que nous avons déjà eu à de nombreuses reprises et par divers canaux. Nous suggérons d'ajouter un article 72-6 dans lequel la République reconnaît les communautés historiques et culturelles vivantes que constituent les divers peuples de France ; elle reconnaîtrait en somme sa diversité dans l'union. C'est une proposition qui ouvre une porte, non pas au démantèlement de la France, mais à la possibilité accordée aux territoires d'accéder à des compétences plus larges.
Craignant que cet amendement ne soulève l'indignation horrifiée d'un certain nombre d'entre nous, je précise que cette possibilité est fortement encadrée, tant dans son initiative que son expression démocratique, par la délibération et la consultation éventuelle des électeurs.
Je ne souhaite pas éluder le débat mais nous avons largement discuté de la question de la langue et des communautés historiques et culturelles. Pour les mêmes motifs que précédemment, avis défavorable.
Un mot avant de conclure les débats sur cet article 16. En 1978, Giscard arrivait en Corse et disait qu'il n'était pas possible de discuter avec les autonomistes car ils n'étaient pas élus. Après, les autonomistes ont été élus. Maintenant, nous sommes élus et majoritaires.
Une volonté s'est exprimée, et dans cet article 16, avec quelques mots, quelques pas, vous pourriez faire quelque chose de bien pour la Corse. Il ne faut pas manquer cette occasion, pour la jeunesse corse.
Nous sommes en train de rater une occasion magnifique. François Mitterrand avait fait évoluer les conceptions de rapport au territoire avec la décentralisation. Jacques Chirac a mis en place des politiques de statuts différenciés, notamment pour l'outre-mer. Puis le jeune président Emmanuel Macron est arrivé. Lorsque j'ai vu qu'il avait emprunté au débat philosophique et culturel la question de la différenciation, j'ai trouvé cela très intéressant et j'ai pensé que ce serait une bonne occasion.
Mais vous partez du principe que ce n'est qu'un problème de mécanique juridique ; vous vous trompez totalement. Les peuples ne sont pas identitairement nus : ce sont des populations – si vous ne voulez pas parler de peuple – qui ont une histoire, une manière de concevoir, une culture, une langue. C'est de cela qu'il fallait partir, pas d'une mécanique. Qui plus est, vous ignorez la charte européenne de l'autonomie locale et la charte européenne des langues régionales. Nous ne nous situons pas dans le contexte contemporain d'évolution des sociétés. C'est une occasion ratée, et je le dirai au Premier ministre que je rencontre bientôt. C'est une occasion ratée pour tout le monde, y compris pour vous au sein du groupe La République en Marche.
Je ne vois pas comment vous pouvez dire que c'est une occasion ratée. Après les phases de décentralisation, qui ont été de bonnes choses, mais dont nous avions atteint les limites, le Président de la République reconnaît pour la première fois le droit à différenciation.
Ne préjugez pas avant d'avoir vu les éléments du texte et les réponses que nous fera la ministre. C'est une avancée par rapport à la situation dans laquelle nous sommes, c'est la reconnaissance du fait que les territoires sont différents, l'idée que l'on pourra s'adapter à la diversité des territoires grâce à la différenciation.
Vous nous faisiez beaucoup le reproche d'attacher trop d'importance à ce qu'allait faire le Sénat. Pour la loi organique, nous pourrons travailler de manière différente car la majorité requise pour l'adoption n'est pas la même. Nous sommes nombreux à être des élus territoriaux convaincus de la diversité de nos territoires, de leur identité, et de l'idée qu'il faut les défendre. C'est ce qu'il faudra défendre dans la loi organique.
Je vous sens sceptiques, c'est le moins que l'on puisse dire. Nous, nous ne sommes ni sceptiques ni d'un optimisme béat. Nous connaissons les limites de l'exercice. Mais cet article 16 pose les termes permettant de mieux tenir compte de la diversité des territoires.
L'avancée, pour moi, figure à l'article 15. Elle consiste à dire que le droit à l'expérimentation, s'il est concluant, pourra n'être appliqué que dans un seul territoire, sans que les mesures ne soient nécessairement étendues aux autres.
À l'article 16, certes, on donne à la Corse un statut particulier, ce qui constitue en soi une avancée. Mais c'est la suite qui me dérange : au dernier alinéa, nous en restons à l'ouverture prévue à l'article 15. En ce sens, nous pouvons peut-être aller un peu plus loin pour la Corse.
Je rejoins notre collègue Serge Letchimy : quelque part, nous loupons le coche.
Nous avons bien compris que le problème n'était pas d'inscrire les spécificités, notamment la Corse, dans la Constitution. Le problème est le caractère opérationnel des mesures, et de mesurer la vraie volonté politique de faire confiance à un territoire, notamment en lui accordant une habilitation permanente, en délimitant les compétences qui lui sont attribuées, et en lui permettant de modifier la fiscalité du patrimoine.
Nous nous sommes tout dit sur ces questions, nous nous en sommes même trop dit depuis juin 2017, puisque si nous en sommes là, à combattre dans ce débat parlementaire, c'est que la confiance n'a pas été instaurée. Malheureusement, nous ne voyons pas les petits pas qui restent à faire pour déplacer ce curseur opérationnel. Les Corses sont des gens très politisés : ils savent ce qu'est l'autonomie, ils savent que ce n'est pas l'indépendance, ils savent pourquoi nous nous battons pour la fiscalité du patrimoine, et ils connaissent la situation sur le terrain. Il n'y a rien de pire qu'un espoir déçu pour quelques petits pas.
Monsieur le rapporteur, je ne doute pas de votre volonté d'adapter les règles aux différences territoriales de notre pays, l'article 15 ne me pose aucune difficulté, c'est un engagement du Président de la République, vous allez au bout de votre logique, et cela va plutôt dans le bon sens.
La spécificité qui fait l'objet de l'article 16, et dont nous parlerons en séance par rapport à l'article 73, fait partie d'autres éléments, qui tiennent compte d'une histoire différente, de la manière dont la France a agrégé des territoires contre la volonté des populations locales. C'est cela qui manque dans ce texte, même si l'inscription de la Corse dans la Constitution est un grand pas, que je salue. Mais il ne faudrait pas que ce grand pas reste sans suite, car nous manquerions quelque chose d'unique. En matière de décentralisation, sur ces territoires spécifiques que sont les îles françaises, il y avait autre chose à faire. Nous ratons quelque part un rendez-vous avec l'histoire.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'article 16, sans modification.
La séance, suspendue à 19 heures 15, est reprise à 19 heures 20.
Article 17 (art. 73 de la Constitution) : Droit à la différenciation des départements et régions d'outre-mer
La Commission en vient à l'amendement CL1478 de Mme Manuéla Kéclard-Mondésir.
Avis défavorable. Nous venons d'accroître l'autonomie des collectivités métropolitaines et de la Corse aux articles 15 et 16, il y aurait quelque chose d'original à faire le mouvement exactement inverse pour les départements et régions d'outre-mer.
La Commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l'amendement CL1037 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe.
La Commission examine deux amendements en discussion commune CL1185 de M. Jean-Luc Warsmann et CL1149 de M. Michel Castellani, ainsi que l'amendement CL1150 de M. Michel Castellani.
L'article 17 alinéa 3 prévoit : « Les collectivités peuvent, à leur demande, être habilitées par décret en conseil des ministres après avis du Conseil d'État, à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement. » Nous suggérons que cette habilitation puisse aussi intervenir après un vote du Parlement après avis du Conseil d'État. L'objectif est de donner au Parlement la possibilité d'agir dans ce domaine important.
L'amendement CL1150 procède de la même logique en prévoyant de rendre possible un vote par les citoyens eux-mêmes sur l'avenir institutionnel de leur collectivité. Nous suggérons cette initiative démocratique, dans un cadre législatif précis, et sous le contrôle du Gouvernement, du Conseil d'État, et pourquoi pas du Conseil constitutionnel.
L'amendement CL1185 est retiré.
La Commission rejette successivement les amendements CL1049 et CL1050.
Elle examine ensuite cinq amendements en discussion commune : l'amendement CL1321 de M. Thierry Robert, et les quatre amendements identiques CL314 de M. Jean-Hugues Ratenon, CL1046 de M. Hubert Julien-Laferrière, CL1163 de Mme Huguette Bello et CL1192 de Mme Éricka Bareigts.
L'amendement CL1321 modifie l'article 17 de ce projet de loi en proposant de supprimer l'alinéa 5 de l'article 73 de la Constitution. Cet alinéa fait de La Réunion la seule exception de tous les territoires d'outre-mer. Ce traitement différencié trouve ses racines en 2003 dans la crainte qu'un tel pouvoir ne constitue un premier pas vers l'indépendance. Cette crainte n'est plus justifiée.
Ainsi, la suppression de l'alinéa 5 permettra une avancée décisive du droit de la décentralisation. Cette suppression est une question de principe fondamental : celui de l'égalité de traitement. Le maintien de cet alinéa revient à considérer La Réunion comme un incapable majeur.
Pourquoi ce qui est autorisé aux élus des autres territoires ne le serait pas aux élus de La Réunion ? Est-ce à dire qu'on n'y trouve que des sous-élus ou des élus incapables ? En disposant d'une compétence d'habilitation pleine, les élus réunionnais pourront conduire une politique en phase avec nos spécificités locales. Je pense nécessaire de lever le verrou que constitue cet alinéa 5 de l'article 73, pour libérer les énergies afin de développer la production locale et prendre les mesures adaptées pour l'emploi, l'agriculture, la santé et j'en passe.
Le Président Macron, pendant la campagne, s'est engagé à donner davantage de pouvoirs aux collectivités, il s'est de nouveau prononcé sur ce sujet lors de son discours en Guyane et lors de la présentation du Livre Bleu. Comme il l'a souvent dit, il n'y a pas de transformation dans l'immobilisme, pas de nouveaux résultats en appliquant les mêmes recettes. Mes chers collègues, quels que soient les bancs sur lesquels vous siégez, cette discrimination contre La Réunion doit prendre fin.
Chers collègues, des divergences profondes existent entre nous. Mais au-delà de nos différences, des points de convergence peuvent également exister. J'appelle particulièrement votre attention sur mon amendement CL314.
Depuis 2003, l'alinéa 5 de l'article 73 de la Constitution soumet La Réunion à un traitement inégalitaire, voire discriminatoire, dénoncé par une grande majorité des associations, syndicats, organisations politiques et élus sur place. La Réunion, avec ce blocage, avance en mode dégradé. On en voit les conséquences : gaspillage d'argent public, chômage de masse durable, pauvreté sévère, mauvais vieillissement et dépendance plus précoce de la population, sans oublier des entreprises en grande difficulté.
La délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale a confié à M. Hubert Julien-Laferrière, du groupe de La République en Marche, et à moi-même, une mission d'étude qui nous a amenés à mener un certain nombre d'auditions, ici et à La Réunion. Le résultat est sans appel : il faut en finir avec le verrou posé par l'article 73 de la Constitution.
Aussi, compte tenu de cette situation, cinq députés de cinq groupes sur sept portent d'une même voix le même amendement : Mme Huguette Bello du groupe GDR, Mme Éricka Bareigts du groupe NG, M. David Lorion du groupe LR, M. Hubert Julien-Laferrière du groupe LaREM, et moi-même, du groupe FI.
Jeudi dernier, la délégation aux outre-mer a approuvé à l'unanimité la proposition d'amendement qui vous est soumise aujourd'hui. Le président de la délégation aux outre-mer, M. Olivier Serva du groupe LaREM, mentionnait même un fait historique. Mes autres collègues vous donneront d'autres arguments, tout aussi pertinents, pour vous convaincre.
Mon amendement CL1046 est identique. Comme l'ont déjà dit mes collègues, depuis 2003, la Constitution interdit à La Réunion un pouvoir d'adaptation qu'elle accorde aux autres collectivités d'outre-mer relevant de l'article 73. Comme le disait Jean-Hugues Ratenon, nous avons mené un travail qui a abouti à un rapport, et je veux dire ici que toutes les auditions que nous avons menées sur le territoire font apparaître un consensus, non seulement politique, mais aussi des forces vives qui font vivre La Réunion, qui font son développement économique et social, qui travaillent à la réduction des inégalités. Tous pensent que La Réunion doit revenir dans le droit commun des collectivités d'outre-mer relevant de l'article 73.
Le Président de la République, la semaine dernière, a dit qu'il était favorable à une évolution de la Constitution concernant La Réunion à condition qu'il y ait un consensus politique. Je crois que ce consensus politique existe, en prenant en compte la particularité de La Réunion, qui, à la différence des autres, n'a pas de congrès des élus départementaux et régionaux. C'est pourquoi l'amendement que je présente précise que les demandes d'habilitation prévues au deuxième alinéa doivent être prises à la majorité des conseillers présents ou représentés des deux assemblées lorsqu'elles visent un champ de compétences partagées. Il faudra en quelque sorte un vote conforme de la région et du département pour procéder aux adaptations nécessaires pour que La Réunion puisse se développer et réduire les écarts à la moyenne avec la métropole.
Il est établi depuis longtemps que le développement d'une société suppose a minima une combinaison équilibrée de ses multiples dimensions. L'objectif de notre amendement CL1163 est de doter la région et le département de La Réunion de celles qui relèvent du droit, et plus précisément de la Constitution.
Pour ce faire, trois leviers sont actionnés. Le premier consiste à permettre à La Réunion de fixer des normes dans le domaine de la loi, pour prendre en compte les nouveaux enjeux du développement liés aux transitions écologiques et numériques, à la croissance bleue et verte, aux perspectives renouvelées de la coopération régionale, mais aussi aux évolutions de l'Union européenne, qui veut désormais renforcer le droit à l'adaptation des politiques et de la législation européenne aux régions ultrapériphériques.
Le deuxième levier vise à éviter les blocages entre les collectivités lorsque les demandes d'habilitation concernent un champ de compétences qu'elles partagent. C'est en ce sens que nous prévoyons qu'elles doivent être prises par la majorité des conseillers des deux collectivités.
Le troisième levier, enfin, consiste à affirmer de manière solennelle que l'architecture institutionnelle actuelle demeure, que la région et le département continuent à coexister, que rien ne peut se faire sans consultation des électeurs de La Réunion et sans référendum.
J'ajoute que les dispositions prévues à l'article 15 du projet de loi ne créeront pas ces conditions, pour la simple raison qu'elles existent déjà à La Réunion depuis 2003, depuis quinze ans ; de toute évidence, elles ne suffisent plus pour prendre en compte nos spécificités et nos réalités.
Je ne reviendrai pas, en défendant mon amendement CL1192, sur ce que mes collègues ont brillamment exposé, je vais revenir sur quelques éléments historiques. Nous nous retrouvons en 2018 dans une situation complètement anachronique, complètement infondée, où le seul département d'outre-mer de La Réunion se retrouve dans l'incapacité de mettre en place des lois d'habilitation comme le permet la Constitution aux autres départements français.
Pourquoi nous retrouvons-nous dans une telle situation ? Parce qu'elle s'est construite sur la peur et la confusion juridique. La peur, tout d'abord, en faisant croire à toute une population que disposer d'une émancipation et maturité pour construire des lois et des règles adaptées à sa géographie, à sa situation économique, à son environnement, ouvrirait la voie à l'indépendance ou à l'autonomie. Ce n'est pas vrai, et nous le savons maintenant au regard de ce qui s'est passé dans les autres départements d'outre-mer. Il n'y a pas à avoir peur.
Un mensonge juridique, ensuite, parce qu'il y a deux choses très distinctes : la possibilité de faire des lois d'habilitation, et la question de l'évolution institutionnelle. Or les deux choses ne sont pas liées.
Nous demandons à pouvoir faire ces lois d'habilitation spécifiques pour lancer un nouveau développement de nos territoires. Cela va dans le sens de ce que le Président de la République a dit, et qu'il a confirmé lors des assises des outre-mer, puis en nous recevant dernièrement. Il nous a dit vouloir la prise en compte des spécificités locales parce que les défis ne sont pas les mêmes. Et cela passe par l'article 73. Le Président de la République a dit que c'était de la bonne politique. C'est cette bonne politique que nous voulons aujourd'hui.
Je vais prendre un peu de temps pour expliquer notre position sur cet ensemble d'amendements, avant que nous n'examinions le texte en séance publique la semaine prochaine.
Nous héritons d'une règle constitutionnelle établie en 2003 qui fait de La Réunion une exception. À la demande de parlementaires réunionnais, et notamment du sénateur Virapoullé, le constituant avait fait à La Réunion un sort particulier, en l'excluant des possibilités d'habilitation prévues pour tous les autres départements et régions d'outre-mer. Le Gouvernement d'alors, comme la commission des Lois de l'Assemblée nationale, avait regretté que l'on ferme constitutionnellement cette prérogative alors qu'il suffisait aux autorités qui n'en voulaient pas de ne pas l'exercer. Mais le choix a été fait à la majorité dans tous les hémicycles ; il en résulte la situation que vous avez pu décrire, avec les écueils et les difficultés qu'elle produit.
Aujourd'hui, la situation est la suivante : certains, dont une majorité de députés, me semble-t-il, veulent lever l'exception réunionnaise. D'autres, dont les organes des collectivités locales, n'en veulent absolument pas et adoptent des résolutions en ce sens. Notre rôle, en tant que rapporteurs, est de faire en sorte qu'au sein de l'Assemblée nationale, nous puissions trouver une solution.
La solution que nous proposons, en entendant bien vos attentes et en reconnaissant la légitimité de votre demande, est de nous laisser le temps, d'ici à la séance, pour converger. Le texte que vous nous proposez en commun constitue une bonne base pour ce faire. Ainsi, nous pourrions trouver un texte qui satisfasse vos demandes, en effectuant les allers-retours nécessaires avec le Gouvernement, avec lequel je sais que vous avez déjà travaillé. Nous voulons trouver une voie de rupture avec la situation que vous connaissez depuis 2003 pour apporter une solution aux problèmes que vous évoquez.
Nous vous proposons donc de retirer ces amendements, au bénéfice de l'engagement que nous prenons, avec le rapporteur général. Nous avons les bases qui nous permettront de cheminer jusqu'à la séance pour que ces amendements soient utiles, non à l'Assemblée nationale, mais bien aux Réunionnais.
Monsieur le rapporteur, vous avez bien compris qu'aujourd'hui, il existe un consensus entre l'ensemble des parlementaires pour dire qu'on ne peut pas en rester au statu quo. Il faut que les choses évoluent.
Vous proposez de réécrire un amendement. J'y suis totalement favorable et je suis prêt à retirer le mien. Mais je le dis publiquement, j'y attache une condition : cette réécriture doit se faire dans les murs de l'Assemblée nationale, et non pas hors les murs. Nous sommes des députés sérieux et responsables, et nous voulons voir l'île de La Réunion se développer avec des outils nouveaux. Il serait totalement inconcevable, inimaginable, impensable que cela soit influencé par l'extérieur.
Je tiens à marquer ma totale solidarité avec mes collègues, avec, serai-je tenté de dire, nos frères et soeurs de La Réunion qui, justement, pointent une incohérence historique, une faute morale même : la République a cédé à la peur. Mme Bareigts l'a mis en évidence ; c'est également ce que nous vivons concernant la Corse.
Il n'y a aucune raison objective – géographique, économique, sociale… – pour que La Réunion soit exclue de l'application des alinéas 3 et 4 de l'article 73 de la Constitution. Il est ici question de pure volonté politique, ce qui n'a plus rien à voir avec le droit mais avec la prise en compte des situations. Nous sommes, concernant La Réunion, à la croisée des chemins, face à un choix historique. Et, d'un point de vue général, je me demande quelle serait la force de cette République si elle restait enkystée dans ses principes par trop impériaux.
Merci à notre collègue corse pour son intervention. J'entends bien ce que vous nous proposez, monsieur le rapporteur, mais je rappelle qu'avant de présenter ces amendements, nous avons beaucoup travaillé, cherché sinon le consensus, du moins une majorité. Lors des questions au Gouvernement, la ministre de la justice et la ministre des outre-mer nous avaient demandé de trouver une majorité. Nous l'avons fait, comme le montrent ces amendements.
Ensuite, j'appuie les propos de M. Thierry Robert : ce travail doit être fait par les parlementaires. J'entends que l'avis des collectivités doit être entendu, mais il ne lie pas les députés que nous sommes. Je fais donc droit à votre demande et j'accepte de retirer mon amendement, pour peu, monsieur le rapporteur, que nous puissions ensemble, ici, travailler à une amélioration du texte.
À elles seules, les institutions ne déterminent pas le développement d'un territoire mais une approche imparfaite du socle peut l'entraver. C'est pourquoi je retire mon amendement au profit d'une solution consensuelle, pour peu, comme l'ont souhaité nos collègues, que cela soit fait dans les murs et non hors les murs.
Je soutiens ces amendements et me réjouis de cette belle unanimité transpartisane, qui va de la majorité à l'opposition. C'est fondamental. Nous nous associons totalement à la demande formulée dans la mesure où le régime actuel est en pleine inégalité par rapport aux autres territoires et en totale incohérence avec le dispositif que nous venons d'adopter à l'article 15.
Une question à l'adresse des rapporteurs : La Réunion pourra-t-elle bénéficier de ce dispositif ?
Comme nos collègues, je prends acte de la proposition du rapporteur. Il est néanmoins important d'insister sur le fait que La Réunion ne peut en rester au statu quo. Je retire moi aussi mon amendement en attendant une réécriture partagée dans l'intérêt des Réunionnais.
Tout comme mes collègues, je retire mon amendement. Je tiens toutefois à préciser que lorsque, avec M. Jean-Hugues Ratenon, nous avons fait notre travail sur l'île, certains voulaient réveiller des fantasmes – Mme Érika Bareigts évoquait la peur –, comme celui de l'opposition entre départementalistes et autonomistes, alors qu'il ne s'agit évidemment pas de cela. Encore une fois, il était important pour nous de rencontrer, au-delà des politiques, les forces vives de l'île : ceux qui font son développement économique, ceux qui réduisent les inégalités, ceux qui travaillent à la protection de l'environnement. Tous évidemment sont favorables à la suppression de l'alinéa 5 de l'article 73 de la Constitution ; personne ne nous a parlé d'autonomie ou n'a revendiqué pour La Réunion l'application de l'article 74, ni même évoqué l'idée d'une collectivité unique. Il s'agit seulement de garantir à La Réunion les moyens de son développement économique, social et environnemental.
Je tiens à vous remercier pour votre effort collectif en retirant vos amendements, moyennant notre engagement de trouver une voie dans la perspective de l'examen du texte en séance. Je salue également l'effort que vous avez fait pour converger avant même que nous n'entamions le débat : cela nous permet de disposer d'une base pour envisager d'ores et déjà ce que sera le nouveau dispositif. Cette affaire est suffisamment importante pour que la recherche du consensus soit, à nos yeux, nécessaire. Or, tous, vous avez montré votre capacité à défendre la même position alors que vous venez d'horizons quelque peu différents… Je ne doute pas, et je m'exprime aussi, ici, au nom de mes collègues Yaël Braun-Pivet et de Richard Ferrand, que nous trouverons un chemin. C'est en tout cas notre exigence compte tenu de ce que vous venez de faire et de dire.
Je réponds à Mme Sage : oui, l'article 15 s'applique à toutes les collectivités.
Je salue votre continuité, monsieur Acquaviva, mais tous les combats ne sont pas bons à mener : qui avait demandé, à l'époque, la différenciation, cette fois au mauvais sens du terme, à savoir l'application d'une règle différente à La Réunion ? Ce sont des Réunionnais eux-mêmes. (Exclamations.)
Monsieur Acquaviva, la différenciation territoriale, ce n'est pas seulement une question d'unanimité. Vous-même, vous représentez une partie des Corses…
Vous représentez tous les Corses de votre collectivité, mais l'opinion que vous exprimez n'est pas partagée par tous. Aussi, ce n'est pas la peine de faire des généralités en soutenant que ce serait, une fois de plus, l'État qui n'aurait pas écouté les Réunionnais. Je crois me souvenir qu'il y avait tout de même eu des discussions à l'époque et qui étaient plus mitigées que ce que vous laissez entendre.
Je ne vais de toute façon pas alimenter la gazette à l'heure qu'il est et je tiens à vous remercier de nouveau du travail que vous avez fait et à vous assurer que nous allons essayer de trouver un terrain d'entente d'ici à la semaine prochaine.
Les amendements ont tous été retirés ; je vous en prie, monsieur Letchimy, ne poursuivons pas le débat, vous n'avez pas la parole.
J'ai bien compris, mais vous avez donné la parole aux représentants de tous les groupes sauf à celui du groupe Nouvelle Gauche.
Je demande donc que ce soit bien inscrit au compte rendu. J'ai levé le doigt pendant un bon moment et vous m'avez complètement ignoré.
Je n'ai pas vu que vous demandiez la parole, pardonnez-moi, ce peut être une erreur de ma part. Reste que vous appartenez bien au même groupe que Mme Bareigts…
Je salue ce qui s'est passé aujourd'hui. C'est un peu la méthode que nous pouvons appliquer ensemble pour améliorer un texte et en particulier celui-ci qui vise à réformer la Constitution et qui donc a pour moi une importance fondamentale.
Il s'agit ici de permettre aux Réunionnais de se libérer, de disposer d'une énergie politique plus puissante pour organiser la production réglementaire d'initiative locale. C'est dans ce cadre-là qu'il faut continuer, à la fois pour la Corse mais aussi, demain, pour la Martinique, la Guadeloupe, afin de leur donner la capacité d'impulser un développement local dans le cadre de règles qui tiennent compte des problématiques propres à ces territoires.
Les amendements sont retirés.
La Commission examine les amendements identiques CL1154 de M. Michel Castellani et CL1424 de M. Jean-Félix Acquaviva.
Je suggère par l'amendement CL1154 de supprimer l'alinéa 7 de l'article 17, qui dispose que le Gouvernement dépose un projet de loi de ratification des actes des collectivités. L'habilitation proposée à cet article 17 est déjà soumise à un certain nombre de conditions, notamment un décret en Conseil des ministres. Il ne nous semble pas nécessaire d'imposer en plus un projet de loi de ratification.
Imposer le dépôt de ce projet de loi de ratification alourdirait effectivement le dispositif, d'où l'amendement de suppression de l'alinéa CL1424. J'en profite pour souligner, monsieur le rapporteur, que nous avons une attitude tout à fait constructive, et heureux de voir qu'il peut y avoir un consensus en vue de permettre à La Réunion de bénéficier des possibilités offertes par l'article 73 de la Constitution.
Pour ma part, je n'ai fait acte que de solidarité. Nous exprimions des craintes. Nous sommes sur le bon chemin, mais cela dépend de vous d'ici à la séance publique.
Les actes pris dans le domaine de la loi par les départements et régions d'outre-mer découleraient, selon l'article 17, d'une habilitation par décret. Si nous supprimons la ratification par le Parlement, cela veut dire que le Président de la République pourra donner à des collectivités territoriales la possibilité de modifier la loi sans même en informer le Parlement. Cela nous paraît inenvisageable, car cela confinerait à un abaissement des pouvoirs du Parlement. Je suis donc défavorable à ces amendements.
La Commission rejette les amendements.
La Commission examine les amendements CL1151, CL1152 et CL1153 de M. Michel Castellani, qui peuvent faire l'objet d'une présentation commune.
L'article 17 dispose que ces actes des collectivités « deviennent caducs en l'absence de ratification par le Parlement dans le délai de vingt-quatre mois suivant l'habilitation ». Je propose, par l'amendement CL1151, de supprimer cette phrase. Frapper de caducité les actes non ratifiés revient à imposer un contrôle a posteriori et permet de les annuler alors qu'ils ont été adoptés dans le respect de procédures démocratiques. C'est un fusible dont nous pouvons nous passer : le processus de décision en comporte suffisamment.
L'amendement CL1152 est un amendement de repli. Il transpose le principe du droit administratif selon lequel le silence gardé par l'administration pendant plus de deux mois vaut accord. L'amendement CL1153 vise à tenir compte des délais de la procédure parlementaire, en proposant que les actes en question deviennent effectifs au bout de douze mois après l'habilitation.
La Commission rejette successivement les amendements CL1151, CL1152 et CL1153.
Puis elle adopte l'article 17 sans modification.
Après l'article 17
La Commission examine l'amendement CL1167 de M. Jean-Félix Acquaviva.
C'est un amendement de cohérence avec la proposition d'un article 74-2 consacré au statut de la Corse. Il s'agirait de viser à l'article 74-1, après la référence aux collectivités de l'article 74, la collectivité de Corse. Cette proposition s'inscrit dans le prolongement des travaux de la professeure Wanda Mastor et des votes de l'Assemblée de Corse et des Corses eux-mêmes, aux élections du mois de décembre dernier.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l'amendement.
Puis elle se saisit de l'amendement CL485 de Mme Cécile Untermaier.
Le mot « métropole » a des connotations colonialistes. Dans le système colonial, dans l'organisation économique et sociale d'une colonisation qui avait partie liée à l'esclavage, il renvoie à un centre impérial qui domine des périphéries qu'il s'agit d'exploiter pour en tirer le meilleur profit, y compris au mépris de la dignité humaine. Nous avons eu l'occasion à plusieurs reprises de débattre de la question, mais il ne faut plus employer ce terme. Bien sûr, le mot renvoie aussi, aujourd'hui, aux agglomérations. Mais, en l'occurrence, il s'agit bien de la relation des pays et des peuples d'outre-mer avec la « France hexagonale », expression que nous préférons, que nous jugeons plus cohérente, plus respectueuse, et que nous voulons substituer à « métropole ». C'est une manière de respecter les peuples, de ne pas les diminuer dans leur être collectif par un terme qui les écrase – car l'histoire du mot de métropole, c'est l'histoire de leur écrasement.
Cet amendement est très important pour moi. Nous pouvons tous y souscrire, pour relever la conscience nationale et affirmer le respect et la diversité.
Je comprends tout à fait, cher collègue, que vous soyez particulièrement attaché à cet amendement et que vous vouliez remplacer ce terme. N'ayant pas réfléchi de manière approfondie à la question, je n'inventerai pas une théorie devant vous. Quoiqu'il ait également aujourd'hui une autre acception, il conserve, j'en conviens, les connotations que vous avez rappelées.
Je ne sais si le moment est opportun pour le changer… mais pourquoi pas, me direz-vous. Cela étant, l'expression « France hexagonale » n'est pas très heureuse à mon goût. Certes, ce n'est que mon jugement et nous ne sommes pas réunis pour faire de l'esthétique. Nous allons y réfléchir, et je ne promets rien, même si je comprends le point de départ de votre démarche. Il s'agit de voir si nous pouvons trouver mieux que le mot que vous voulez remplacer.
Je n'ai pas d'idée arrêtée sur la question, mais j'entends bien ce que dit notre collègue Serge Letchimy et peut-être est-ce effectivement le moment d'ouvrir le débat. Je ne suis pas sûr que l'expression « France hexagonale » soit la meilleure, mais, puisqu'on parle de l'Europe continentale, pourquoi ne pas parler de la France « continentale » ? Je ne veux certes pas heurter – je le dis en souriant – nos collègues corses. Peut-être faut-il y travailler d'ici à la séance. Nous aurions l'occasion de marquer cette diversité et d'enlever certaines références. Quoi qu'il en soit de la formule proposée, l'esprit dont procède l'amendement défendu par M. Letchimy nous convient plutôt.
Nous avons eu le même débat lorsqu'à l'automne 2016 nous avons examiné la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer. Nous tenions vivement à modifier ce terme partout où il était possible. Effectivement, parler de métropole et d'outre-mer renvoie à un autre temps. De même, le fait que nous parlions désormais de plusieurs outre-mer plutôt que d'un outre-mer n'a pas qu'une importance symbolique.
Quant à la Corse, où se situe-t-elle donc lorsque l'on parle de France hexagonale ? J'ai rappelé que la France n'était pas que territoriale : elle est mondiale, elle est maritime, et l'Hexagone est terrestre et maritime. Nous avons d'ailleurs précisé cela à l'article 1er de cette loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer. Nous n'oublions pas les Corses.
J'ai bien entendu ce que vous disiez, monsieur le rapporteur. Je peux retirer l'amendement CL485 et nous verrons en séance, peut-être après en avoir reparlé entre nous, quelle est la meilleure rédaction possible.
L'amendement est retiré.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL1422 de M. Paul-André Colombani, CL1320 de M. Jean-Félix Acquaviva et les amendements identiques CL355 de M. Paul Molac et CL1158 de M. Michel Castellani.
L'amendement CL1422 vise à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et changera un peu la nature du concept, c'est-à-dire que nous parlerons plutôt de communauté vivante et de minorités linguistiques.
Nous manquerions à nos devoirs si nous n'inscrivions pas enfin, à cet article 75-1 de la Constitution, la mise en oeuvre des principes de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. La question est pendante en France depuis 1992, date à laquelle notre pays l'a signée, sans jamais la ratifier ensuite. Au-delà des considérations tactiques ou de la nécessité d'un accord politique avec le Sénat, nous ne pouvons pas ne pas débattre de la question, pour faire en sorte d'aboutir enfin, quelle que soit la voie retenue, à la ratification de la Charte.
Effectivement, cet article 75-1 qui dispose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » aurait normalement dû être complété par une loi. Deux textes législatifs portant sur les langues régionales ont été examinés au cours de la précédente législature, l'un a été a rejeté et, bien sûr, l'autre n'est pas parvenu au terme de la navette parlementaire.
Il s'agit aujourd'hui de donner corps à cet article 75-1, en y inscrivant ce qui est quasiment une règle européenne. Aujourd'hui, tout pays qui veut adhérer à l'Union européenne est obligé de ratifier cette charte. La France, pays fondateur, n'y est pas tenue mais si elle voulait aujourd'hui adhérer à l'Union européenne, elle serait obligée de le faire.
Cette charte me semble un bon début : elle permettrait de donner une assise juridique et offrirait un ensemble de mesures permettant de développer ces langues régionales, dont je rappelle qu'elles sont considérées en grand danger d'extinction. Nous avons donc besoin d'un certain nombre de mesures concrètes pour avancer dans les domaines de l'enseignement, de la signalétique et des médias. Ce n'est possible que si une loi nous permet de régler un certain nombre de problèmes dans le développement des filières bilingues ou d'un certain nombre d'activités culturelles.
Je ne répéterai pas les propos de mes collègues, ni ce que j'ai déjà dit de la langue corse. J'étends simplement le champ de mon propos à l'ensemble des langues minoritaires de France. Je veux avoir une pensée pour tous les locuteurs de ces langues si souvent méprisées et pour tous ceux qui s'engagent, tous ceux qui militent et tous ceux qui font vivre ces langues.
Je suis défavorable à l'ensemble de ces amendements. Nous avons d'ailleurs déjà débattu de la question avant l'article 1er. Je ne reviens pas sur l'argumentation que M. Richard Ferrand a déjà développée : nous voulons une révision constitutionnelle, mais nous savons aussi quelles positions les uns et les autres ont prises, en particulier au Sénat. Je ne prétends pas que cela doive déterminer les termes de notre réflexion… mais quand même.
Il me semble que, comme cela a été dit à plusieurs reprises au cours de nos débats, c'est une évolution dont nous ne voulons pas car, en pratique, elle reviendrait à conférer des droits différents à certains Français et non à d'autres, notamment dans l'accès à l'emploi et les relations avec les administrations.
Vous évoquez cependant très justement la nécessité d'aider ces langues à vivre et même à se développer. Selon nous, cela relève plutôt de l'action de l'État et de celle des collectivités locales, donc plutôt de la loi et du règlement.
Même si, au Pays basque, nous sommes parfois allés au-delà de ce que prévoit la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires je ne peux que soutenir les amendements présentés. Il me semble important que la France puisse la ratifier, même si elle est largement dépassée aujourd'hui. C'est aussi une promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron, et nous aurions intérêt à tenir les promesses de la campagne.
Bien sûr, on entend toujours l'argument du Sénat mais nous sommes ici en commission des Lois de l'Assemblée nationale, qui délibère souverainement. En l'occurrence, il s'agit d'un débat solennel, lié à la révision de la Constitution. Il y en a eu une il y a dix ans ; il y en aura peut-être une autre dans dix ou quinze ans. Cela vous donne une idée du temps qui peut être passé à ne pas mettre en place les outils nécessaires à la sauvegarde de ces langues… Et puis, si nous nous disons un pays attaché à l'Europe, il faudra bien que nous nous montrions à la hauteur des enjeux, sans doute par un amendement la Constitution, puisque ni la voie législative ni la voie réglementaire ne permettent, en l'état, de donner à ces langues un statut qui les sauve de l'extinction et leur offre une utilité sociale, notamment en zones frontalières – il est indispensable d'enraciner la jeunesse d'aujourd'hui.
Je ne vois pas très bien quelle rupture d'égalité nous pouvons craindre, monsieur le rapporteur Fesneau, dans un territoire où l'on parle et enseigne une langue, mais je veux vous rassurer : les trente-neuf articles de la Charte, que la France a déjà signée, ne remettent en cause ni l'unicité de la République, ni quoi que ce soit en matière d'administration ou de justice – d'ailleurs, certains étaient purement déclaratifs. Ne faisons pas de cette Charte, à la suite du Conseil constitutionnel, autre chose que ce qu'elle est. Elle donne des droits aux langues ; elle n'en donne pas à des minorités. C'était précisément conçu pour que le Conseil constitutionnel ne s'y oppose pas ; elle ne donnait pas de droits aux minorités, mais il n'a pas voulu l'accepter.
Je ne sais si la Charte est la solution mais il faut que l'on avance sur cette question. Au-delà des langues, il s'agit de sauver des cultures, des identités et la richesse de la France. Trop souvent, notre République a eu peur de ses diversités. Il est vrai qu'elle s'est construite sur le français, qui fait le fondement de notre pays. L'édit de Villers-Cotterêts est l'un des socles de notre pays, mais il nous faut avancer. Jamais un tilde sur un n n'a menacé la République !
La Commission rejette successivement les amendements CL1422 et CL1320.
Puis elle rejette les amendements identiques CL355 et CL1158.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques CL1040 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe et CL1318 de Mme Maina Sage, l'amendement CL356 de M. Paul Molac et les amendements identiques CL1159 de M. Michel Castellani et CL1356 de M. Jean-Félix Acquaviva.
L'amendement CL1040 procède du même esprit. Il vise à inciter la France à ratifier la Charte et à entrer dans un processus de reconnaissance des langues régionales – il s'agit de les reconnaître, pas d'en faire d'autres langues officielles –, d'encourager le développement d'organisations sociales qui tiennent compte des bassins maritimes transfrontaliers, notamment lorsque les pays concernés parlent la même langue, comme Sainte-Lucie, la République dominicaine ou Haïti, de créer des communautés de cohésion à une périphérie très éloignée de la France, de construire les résiliences nécessaires à la production ou à l'organisation sociale. La reconnaissance des langues régionales est vraiment très importante pour nous, et, bien sûr, une loi organique peut en déterminer le statut. C'est ce que nous proposons par cet amendement CL1040.
Par cet amendement CL1318, nous proposons, dans le prolongement de tout ce que nous venons de dire sur les langues régionales, d'assurer l'effectivité de l'article 75-1 de la Constitution en précisant qu'une loi organique détermine le statut de ces langues.
Au-delà de leur reconnaissance comme éléments du patrimoine de la France, faisons en sorte qu'elles soient un patrimoine vivant. Leur extinction menace vraiment. Nous avons rencontré de nombreuses associations qui oeuvrent à l'enseignement de ces langues. Il y a un problème de formation des maîtres, de moyens donc.
C'est là une négation de ce que nous sommes. Reconnaître ces langues régionales, c'est permettre à chaque citoyen de s'épanouir dans sa région avec des avantages évidents : être mieux qualifié, mieux formé et, répondre aussi à des exigences et des besoins locaux.
L'amendement CL356 s'inscrit un peu dans la même veine. Je propose pour ma part de compléter l'article 75-1 de la Constitution par la phrase suivante : « Le statut public des langues régionales est défini par la loi. » Peut-être est-ce un peu enfoncer une porte ouverte, mas cela obligera peut-être le Gouvernement à se saisir de ce problème et à légiférer, ce qu'il n'a pas fait jusqu'à maintenant – et le Parlement voyant la plupart du temps son pouvoir législatif réduit à la portion congrue, il a bien du mal à légiférer lui-même. Alors qu'une cinquantaine de propositions de loi relatives aux langues régionales ont été déposées sur le bureau de l'Assemblée nationale, seules deux ont été discutées et seulement lors de la dernière législature. Il y a bien un blocage, mais qui est plus le fait de l'administration et des ministères que des députés et de nos concitoyens, qui trouvent cette querelle un peu d'un autre âge. Par exemple, la plupart des parents d'élèves sont favorables à l'enseignement bilingue. Ils sont favorables à ce qu'on enseigne le breton en Bretagne, l'occitan en Occitanie, le basque au Pays basque, le corse en Corse. Pour qu'un enseignement bilingue puisse être proposé à peu près à un tiers d'une classe d'âge, soit environ la proportion nécessaire pour que la langue reste vivante, il faut, en l'état, attendre l'année 2118. Nous ne pouvons attendre un siècle, d'autant que nous pouvons aller beaucoup plus vite. Contrairement à ce que l'on prétend, faire de l'enseignement bilingue, ce n'est pas une minute de plus d'enseignement, c'est un enseignement différent et cela ne coûte pas très cher.
L'amendement CL1159 participe du même esprit. Il s'agit d'inscrire dans la Constitution que le statut des langues régionales est défini par la loi. Alors que les langues régionales, finalement, ont été reléguées au rang d'éléments du patrimoine, nous voulons leur donner un autre statut et les reconnaître en tant que véritables langues.
Effectivement, si la Constitution ne prévoit pas la possibilité de définir un statut pour ces langues, elles mourront, c'est inévitable. Il faut un accompagnement de l'État pour sauver ce patrimoine de l'humanité, ce patrimoine vivant, grâce auquel des locuteurs échangent et qui a une véritable utilité sociale. Sinon, voyez : la communauté d'agglomération du Pays basque vient de délibérer pour que basque et béarnais soient langues officielles du territoire. De même, le sarde a été reconnu en Sardaigne, pas plus tard que la semaine dernière. Il vaut mieux que la République s'honore de reconnaître définitivement, même si c'est compliqué, ce qui relève d'un droit et ressort de l'identité des individus.
Je veux simplement faire un point d'histoire. J'ai voté à l'Assemblée nationale en faveur de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, avec d'autres – M. Molac, M. Letchimy étaient là. Par un de ces hasards de l'histoire – qui n'en est pas un, je le dis par antiphrase – la majorité précédente s'est ingéniée à proposer cette ratification non pas lorsqu'elle était majoritaire au Sénat mais dès l'instant où elle ne l'était plus. Voilà très concrètement quelle hypocrisie nous ne voulons pas faire nôtre.
Je n'entrerai pas dans une discussion politique sur la question de savoir pourquoi cette charte n'est pas ratifiée – pour moi, elle restera longtemps en suspens –, mais, dans mon esprit, une chose est sûre : avec les langues minoritaires, nous touchons à quelque chose qui est de l'ordre de l'ADN. Sauver la biodiversité, c'est sauver le patrimoine de notre humanité ; de même, sauver nos langues régionales, sauver nos langues minoritaires, c'est sauver le patrimoine de la langue française aussi. Les deux sont liés, et notre République s'est autant construite sur le breton ou le basque que sur le français. Tout cela est lié, tout cela est notre patrimoine culturel, notre patrimoine linguistique.
Je veux préciser à M. le rapporteur qu'une décision du Conseil constitutionnel est venue préciser que l'article inséré en 2008 n'instaurait pas un droit, et, à ce titre, ne pouvait donner lieu à une question prioritaire de constitutionnalité. Cependant, ce n'est plus de cela que nous débattons. Nous voulons faire en sorte que l'article 75-1 de la Constitution puisse effectivement être appliqué dans le cadre d'une loi organique. Aujourd'hui, on fait fi de besoins réels de développement et de promotion des langues régionales.
Je ne fais nul procès à quiconque sur l'inscription de cette question dans notre loi fondamentale, mais nous touchons ici, précisément, aux fondamentaux. Nous nous trouvons simplement face à un système qui nous donne le choix entre nous résigner, nous locuteurs de langues régionales, et résister. Il est assez difficile de considérer qu'il n'y a pas d'autre alternative, mais, en ce qui nous concerne, nous ferons en sorte que la langue corse vive sur le territoire de la Corse, y compris dans la sphère publique, par tous les moyens possibles, parce que c'est légitime.
La Commission rejette les amendements identiques CL1040 et CL1318.
Elle rejette ensuite l'amendement CL356.
Puis elle rejette les amendements identiques CL1159 et CL1356.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL1155, CL1156 et CL1157, tous trois de M. Michel Castellani, CL1006, CL1021 et CL1030, tous trois de M. Vincent Bru, CL1160 de M. Michel Castellani et CL1281 de M. Jean Lassalle.
L'amendement CL1155 a pour objet de compléter l'article 75-1 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée : « Une loi organique détermine les règles de leur enseignement et de leurs usages, notamment leur diffusion dans les médias ainsi que leur utilisation dans la toponymie, la signalétique et l'affichage public. » Il s'agit, comme beaucoup d'orateurs l'ont déjà dit, de sauver les langues régionales ou minoritaires.
L'amendement CL1156 va dans le même sens, sans référence à une loi organique : « L'État garantit par la loi leur enseignement et leur usage et notamment leur diffusion dans les médias. Il garantit également la protection des langues et cultures régionales dans la toponymie, la signalétique et l'affichage public. »
Et l'amendement CL1157 procède de la même logique.
La révision constitutionnelle de 2008, en reconnaissant les langues régionales comme appartenant au patrimoine de la France, avait suscité beaucoup d'espoir. Malheureusement, depuis, le nombre de locuteurs de ces langues diminue très sensiblement, parce que beaucoup, qui étaient âgés, sont morts. Je pense donc que l'État doit maintenant garantir l'apprentissage et l'usage de ces langues. Tel est l'objet de l'amendement CL1006.
Par l'amendement CL1021, je propose de garantir par une loi organique la transmission de ces langues, notamment leur enseignement dans toutes les filières possibles, et leur usage dans la vie publique et dans la vie sociale.
Par l'amendement CL1030, il s'agirait de rappeler que l'État doit garantir l'apprentissage et l'usage de ces langues régionales par la loi.
Toujours dans le même sens, avec l'amendement CL1160, je propose de compléter l'article 75-1 de la Constitution par la phrase suivante : « À ce titre, l'État contribue à leur développement. » Évidemment, il s'agit de préserver un patrimoine culturel régional. Je signale au passage la signature en 2016 d'une convention entre l'État et la collectivité de Corse pour le développement du corse. C'était implicitement une reconnaissance.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette successivement les amendements CL1155, CL1156, CL1157, CL1006, CL1021, CL1030, CL1160 et CL1281.
La Commission se saisit de l'amendement CL994 de M. Sébastien Jumel.
Une moralisation, que souhaitent nos concitoyens et que nous préconisons, paraît nécessaire au sein de la haute fonction publique. La propension de certains de ses membres à rechercher des pantouflages rémunérateurs et à multiplier les allers-retours entre services de l'État et grandes entreprises est de plus en plus dénoncée. Il y a là une grave source de conflits d'intérêts et de grands risques d'affaiblissement du sens de l'État. L'application de la loi, comme son élaboration, ne doit souffrir d'aucune suspicion et ne doit être inspirée que par l'intérêt général.
La lutte contre la prise illégale d'intérêt, qui est ici visée, a déjà fait l'objet de nombreux textes, qui la répriment, et, en tout cas, ce n'est pas un sujet de nature constitutionnelle. Je suis donc défavorable à cet amendement.
La Commission rejette l'amendement.
La Commission se saisit de l'amendement CL1364 de M. Jean-Félix Acquaviva.
Cet amendement vise à permettre aux collectivités territoriales de favoriser la signature d'accords de coopération avec des États voisins avec lesquels elle partage un héritage culturel commun – la Corse avec l'Italie, l'Alsace avec l'Allemagne. Il s'agit simplement de faire entrer la République dans le cadre d'une intégration européenne encore plus poussée et de permettre à des territoires qui ont vocation à se développer de manière transfrontalière de tirer un bénéfice optimal, sur les plans économiques, sociaux et culturels, de leur situation.
Au risque de donner une réponse peu satisfaisante mais nullement provocatrice, je rappelle que le titre XIV de la Constitution est consacré à la francophonie. Y inscrire les coopérations de collectivités territoriales avec d'autres pays n'aurait guère de sens, d'autant qu'il est loisible à toute collectivité d'entretenir des rapports amicaux, de coopération, de développement, sans qu'il soit nécessaire de l'inscrire dans la Constitution. Je suis donc défavorable à cet amendement.
La Commission rejette l'amendement.
La Commission examine l'amendement CL115 de M. M'Jid El Guerrab.
Cet amendement me tient particulièrement à coeur. Il s'agit de garantir la continuité du service public de l'éducation nationale à l'étranger. Cela concerne les écoles, collèges et lycées, dont l'importance est considérable pour les Français établis hors du pays. Il y a une envie de France à travers le monde et il convient d'y répondre. Le réseau d'enseignement français à l'étranger rassemble près de 500 établissements scolaires dans 137 pays. En son sein sont scolarisés 350 élèves, dont les trois cinquièmes sont étrangers. Il importe de pérenniser ce réseau dynamique et de l'alimenter afin de faire rayonner notre pays et notre culture. Le Président de la République a lui-même rappelé que l'enseignement du français à l'étranger serait une priorité de notre action diplomatique. En ce sens, le nombre d'élèves dans ces établissements sera doublé, ce qui permettra de développer cet outil d'influence.
Par cet amendement, il s'agit d'inscrire l'enseignement du français à l'étranger dans notre Constitution mais surtout de défendre nos lycées et notre service public de l'éducation nationale à l'étranger, car nos compatriotes qui font rayonner notre pays à l'étranger ont aux aussi le droit à l'excellence française. Ils le demandent.
Les Alliances françaises et les lycées français à l'étranger ne sont pas un sujet constitutionnel. Ils relèvent de la loi et du règlement.
La préoccupation que vous exprimez pourrait donner l'idée qu'au nom de la protection de la francophonie, il faudrait établir un droit quasiment universel pour tout citoyen français, partout dans le monde, de recevoir un enseignement en langue française. Ce pourrait être un débat de nature constitutionnelle mais je crains que les termes ne soient un peu trop engageants financièrement. Nous pouvons y travailler et voir comment faire progresser l'idée d'ici à la séance publique, mais à ce stade l'avis est défavorable.
Je suis heureux d'entendre que la notion de service public de l'éducation nationale à l'étranger peut être introduite dans la Constitution. C'était un amendement d'appel ; vous l'avez entendu, je le retire donc, et vivement la séance publique.
L'amendement CL115 est retiré.
S'agissant de l'amendement CL1364 qui précède, la possibilité donnée aux présidents de collectivités de signer des accords internationaux est très limitée. J'ai présenté à l'Assemblée nationale une loi, qui a été votée à l'unanimité, pour permettre dans les outre-mer la signature, dans des conditions spécifiques, d'accords internationaux. C'est le seul texte alors que la notion de diplomatie territoriale est en pleine émergence.
En Corse, en matière de continuité territoriale européenne sur les zones transfrontalières, nous sommes en face d'un vide juridique et la direction générale des collectivités locales intervient avec des ersatz juridiques. Ces cas très pratiques pourraient être débloqués si l'on donnait la possibilité aux collectivités de signer des accords de collaboration.
La Commission est saisie de l'amendement CL1362 de M. Jean-Félix Acquaviva.
L'article 88 de la Constitution était destiné à l'origine aux pays colonisés par la France qui auraient souhaité hypothétiquement conserver des liens avec elle après avoir arraché leur indépendance. Dans la mesure où cet article n'a jamais reçu d'application réelle à ce jour, il n'a plus lieu d'être et mérite d'être supprimé.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette cet amendement.
Ensuite de quoi, suivant l'avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette l'amendement CL1360 de M. Jean-Félix Acquaviva.
Puis la Commission examine, en présentation commune, les amendements CL1430 et CL1434 de M. Paul-André Colombani.
Le second est un amendement de repli. Il s'agit de moderniser un peu l'article 88-1 de la Constitution qui affirme la primauté du droit de l'Union européenne. Une précision apportée est que l'Union européenne ne « rassemble » pas mais « fédère » les États.
Avis défavorable. L'Union européenne n'est pas une fédération d'États et il ne suffirait pas de le mentionner dans la Constitution française pour qu'elle le devienne. En outre, en droit interne, la Constitution est notre norme suprême ; elle n'est pas soumise au droit européen dès lors que la souveraineté continue de résider essentiellement dans la nation, qui peut effectivement l'exercer en commun avec d'autres États membres.
La Commission rejette successivement ces amendements.
Elle examine ensuite l'amendement CL738 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Il s'agit d'un amendement pour garantir la souveraineté du peuple, disposant que « toute révision des traités européens ou toute nouvelle délégation ou transfert de compétence doit nécessairement être approuvée par référendum ». Dans le précédent de 2005, la Constitution européenne a été refusée majoritairement par le peuple français et pourtant, trois ans plus tard, en 2008, le Gouvernement nouvellement élu a fait adopter une révision constitutionnelle par le Congrès, incluant les traités européens, et a donc bafoué la souveraineté populaire en faisant adopter par le Parlement une réforme qui avait été rejetée par le peuple souverain.
Même la révision de la Constitution, notre norme suprême, ne pose pas l'obligation d'un référendum et il serait par conséquent étrange que la modification d'un traité rende ce référendum nécessaire. Avis défavorable.
Je rappelle à ceux qui y voient un déni de démocratie que M. Nicolas Sarkozy avait clairement dit, dans sa campagne de 2007, que, s'il était élu, il ferait ratifier le traité, ce qu'il a fait. Je n'ai pas voté pour M. Sarkozy mais je ne peux accepter l'idée qu'il y aurait eu déni de démocratie dès lors que cela figurait dans son programme électoral.
Monsieur le rapporteur général, ce n'est pas parce que la Constitution de la Ve République manque de démocratie en permettant une révision constitutionnelle sans consultation du peuple qu'il faut l'accepter et s'y résigner. Nous maintenons cet amendement car il est essentiel que le peuple soit consulté quand des transferts de souveraineté ont lieu, et même qu'il puisse se saisir de ces questions, qu'un débat ait lieu dans la société et que le peuple éclairé tranche.
La Commission rejette cet amendement.
Elle examine ensuite l'amendement CL1437 de M. Paul-André Colombani.
Cet amendement tend à la reconnaissance du droit de suffrage direct et de l'éligibilité de tous les citoyens de l'Union européenne établis en France.
L'amendement ne change rien au fond. Sur la forme, il renvoie aux règles européennes, ce qui n'est pas conforme au droit. La Constitution est la norme suprême, elle fixe donc ses prescriptions elle-même, sans renvoi à un autre texte quel qu'il soit. Avis défavorable.
La Commission rejette cet amendement.
La Commission est saisie, en discussion commune, des amendements CL446 de Mme Cécile Untermaier, CL1035 de M. Vincent Bru et CL917 de M. Sébastien Jumel.
Par cet amendement il est demandé que le Gouvernement informe les parlementaires de toute négociation et discussion en cours avec la Commission européenne. C'est une exigence de transparence. Aujourd'hui ont lieu des négociations commerciales, notamment, et de plus en plus de nos concitoyens réclament cette transparence, qui doit se faire vis-à-vis des élus.
Cet amendement a pour objet d'informer le Parlement de l'état de la législation européenne et d'empêcher l'adoption de transpositions de directives européennes sans vote.
Ces amendements sont pleinement satisfaits. Encore faudrait-il que les commissions et les parlementaires se saisissent de ces sujets vigoureusement pour obtenir plus de renseignements de la part de l'exécutif. Comme je sais que nos commissions des Affaires étrangères et des Affaires européennes sont remarquablement bien présidées, je vous invite à stimuler leurs deux présidentes pour qu'elles répondent in concreto à ce qui est déjà fondé en droit. Avis défavorable.
La Commission rejette successivement ces amendements.
L'amendement CL199 de M. M'Jid El Guerrab est retiré.
La Commission est saisie de l'amendement CL447 de Mme Cécile Untermaier.
Le sujet est celui du respect du principe de subsidiarité dans les relations entre l'Europe et l'État. Nous pensons qu'il faut ouvrir une possibilité de recours quand le principe n'est pas respecté.
Le contrôle du respect du principe de subsidiarité par les Parlements nationaux est assuré par une procédure préalable à l'adoption de nouveaux actes par l'Union européenne. Lorsque les Parlements nationaux estiment qu'un acte législatif n'est pas conforme au principe de subsidiarité, ils peuvent adresser un avis motivé à la Commission européenne dans un délai de huit semaines. Chaque Parlement national dispose de deux voix et, dans un système bicaméral comme le nôtre, chaque chambre dispose donc d'une voix. Selon le nombre d'avis motivés reçus, le processus d'adoption de l'acte européen est plus ou moins contraignant. Il revient donc aux commissions des Affaires européennes de se saisir pleinement des prérogatives dont elles disposent pour faire respecter le principe de subsidiarité. Je demande le retrait de l'amendement, à défaut avis défavorable.
L'amendement est retiré.
La Commission examine les amendements identiques CL1161 de M. Michel Castellani et CL1361 de M. Jean-Félix Acquaviva.
Nous suggérons que les régions, départements et collectivités territoriales soient habilitées à nouer des relations avec des États européens limitrophes dans les domaines de la langue et de la culture.
Il s'agit en effet d'approfondir de manière significative la coopération décentralisée dans le domaine linguistique et culturel, notamment dans les aires transfrontalières. C'est un enjeu très important, en Méditerranée, pour la Corse.
Seul l'État détient la compétence de nouer des relations internationales. Il n'y a pas réellement d'exception à ce principe et il est d'ailleurs à noter que, même dans des États fédéraux, il est peu commun que des entités infra-étatiques disposent d'une personnalité juridique internationale. C'est encore moins le cas pour des États unitaires tels que la France. Des liens peuvent toutefois se nouer, même si ce n'est pas dans le cadre statutaire. Avis défavorable.
Quand on connait la difficulté de créer des groupements européens de coopération transfrontalière dans les domaines où il y a urgence, comme les parcs marins, par exemple dans une Méditerranée de plus en plus polluée, je pense que cette question devra rebondir. Il faudra que la capacité juridique à agir soit réelle.
La Commission rejette ces amendements.
L'amendement CL1416 de M. Paul-André Colombani est retiré.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette l'amendement CL1443 de M. Paul-André Colombani.
Elle examine ensuite l'amendement CL737 de M. Bastien Lachaud.
Par cet amendement, nous proposons d'inscrire dans la Constitution le principe du peuple constituant, c'est-à-dire que le peuple a le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution.
Il n'existe pas actuellement de disposition constitutionnelle explicite permettant de changer de République, ni pour le peuple, ni pour le Parlement, ni même pour le Président. Or la Constitution de 1958 appartient, il nous semble, à une autre époque, et une grande partie du peuple français a affirmé sa volonté de changer de système politique, que ce soit pour passer à une VIe République ou en balayant l'ancien monde.
La Constitution est, en France, la norme suprême, dont le contenu révèle la nature du peuple français, qui définit son identité nationale comme étant intrinsèquement républicaine. Or, le système politique actuel apparaît illégitime aux yeux des Français, ce que les taux d'abstention aux élections démontrent régulièrement. Il importe donc d'affirmer le principe selon lequel le peuple français est son seul maître et que, s'il le décide, il peut se définir lui-même à travers l'élaboration d'une nouvelle Constitution.
Je connais une méthode qui permet au peuple de modifier sa Constitution car j'ai lu votre programme quand M. Mélenchon portait vos couleurs. Figurez-vous que vous proposiez qu'en cas d'élection de votre candidat, une assemblée constituante soit immédiatement réunie pour modifier la Constitution. Manque de chance : le peuple n'en a pas voulu. Par conséquent, quand le peuple ne veut pas changer de Constitution, il ne vote pas pour vous. Avis défavorable.
Merci au rapporteur général d'avoir lu avec attention notre programme. Il aura également lu avec attention la Constitution et aura vu que rien ne permet de changer de Constitution. On peut la réformer mais on ne peut en changer. Or la Constitution de 1958 n'est pas éternelle, aucune Constitution française ne l'a été, et il serait donc sage de prévoir l'inévitable, à savoir que les Français voudront un jour ou l'autre, plus ou moins proche, changer de Constitution. Notre programme n'est pas là en question.
Nous avons souvent changé de Constitution après une guerre ou des événements politiques graves. Mais nous pouvons aussi changer la Constitution en profondeur, sans quasiment aucune limite, en utilisant l'article 89. Je vous donne du reste comme exemple le passage de la IVe à la Ve République : le général de Gaulle a utilisé l'article 90 de la Constitution de 1946 pour non pas modifier à la marge cette Constitution mais en réalité proposer une nouvelle Constitution.
La Commission rejette cet amendement.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL649 de M. Jean-Luc Mélenchon et CL916 de M. André Chassaigne.
En cohérence avec notre volonté de soumettre à ratification les transferts de souveraineté, l'idée est que nul changement de Constitution ne soit possible sans validation par référendum du peuple français.
L'article 89 de la Constitution prévoit que les révisions constitutionnelles, après avoir été adoptées par les deux chambres, doivent être approuvées de manière définitive par référendum. L'alinéa 3 prévoit néanmoins que le Président peut décider d'écarter le recours au référendum pour soumettre le projet de révision au Parlement convoqué en Congrès. C'est ce qui va se passer pour le présent texte. Considérant qu'une révision constitutionnelle doit nécessairement être approuvée par le peuple, les auteurs de cet amendement proposent de supprimer le troisième alinéa de l'article 89.
Les modalités de révision de la Constitution en vigueur depuis soixante-dix nous conviennent. Avis défavorable.
La Commission rejette successivement ces amendements.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette l'amendement CL1432 de Mme Manuéla Kéclard-Mondésir.
Elle examine ensuite l'amendement CL637 de M. Bastien Lachaud.
On a beaucoup parlé de parité. Nous proposons un amendement qui vise à récrire la Constitution non pas en écriture inclusive, ce qui alourdirait peut-être le texte, et ce que le Gouvernement a d'ores et déjà refusé, mais en écriture épicène, qui permet d'allier syntaxe et grammaire en évitant toute discrimination de genre.
Nous avons déjà eu ce débat et, au risque de passer pour un affreux réactionnaire, ce sera un avis défavorable.
La Commission rejette cet amendement.
Article 18 : Conditions d'entrée en vigueur
La Commission se saisit de l'amendement CL1523 des rapporteurs.
La Commission adopte cet amendement.
Elle examine ensuite les deux amendements identiques CL476 de Mme Cécile Untermaier et CL766 de M. François Ruffin.
La disposition permettant aux anciens Présidents de la République de siéger au Conseil constitutionnel étant supprimée, cet amendement vise à ce que ceux qui y siègent actuellement ne le puissent plus.
Nous saluons la volonté du Gouvernement et de la majorité de retirer leur statut de membre permanent du Conseil constitutionnel aux anciens Présidents de la République. Nous ne comprenons pas que M. Valéry Giscard d'Estaing échappe à cette remise en ordre des choses : nous souhaitons que lui comme les autres ne puissent être membres du Conseil. Si vous me permettez, ce n'est pas parce que l'on soupçonne en ce moment le Président Macron de « giscardisation » que cela devrait légitimer ce cadeau à M. Giscard d'Estaing.
Il n'est pas interdit d'éviter les mauvaises manières. Voilà un ancien Président de la République âgé de quatre-vingt-douze ans qui a servi son pays et a toujours siégé, depuis quinze ans, au Conseil constitutionnel avec beaucoup de régularité, et dans cette matière comme dans d'autres nous estimons que les nouvelles dispositions doivent s'appliquer pour l'avenir. Nous ne voyons pas à quoi servirait un tel geste d'inélégance. Avis défavorable sur cet amendement qui est de surcroît très ad hominem, car si cela concernait trois ou quatre personnes on pourrait le comprendre, mais MM. Hollande et Sarkozy ont publiquement renoncé à siéger au Conseil constitutionnel.
Je n'ai aucun soupçon sur la personnalité de M. Giscard d'Estaing et je partage le fait qu'il ne faut pas viser une personne. Je retire l'amendement.
L'amendement CL476 est retiré.
La Commission rejette l'amendement CL766.
Elle adopte ensuite l'article 18 modifié.
TITRE
La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CL1050 de M. Michel Castellani et CL1248 de M. Jean-Félix Acquaviva, ainsi que les amendements identiques CL1051 de M. Michel Castellani et CL1284 de M. Jean-Félix Acquaviva, ainsi que l'amendement CL1052 de M. Michel Castellani.
Nous souhaitons que le terme de décentralisation figure dans le titre, ce pourquoi nous proposons de substituer au mot « efficace » le mot « décentralisée ».
La décentralisation a en effet bien besoin d'une nouvelle ère, d'où cet amendement sur le titre.
Avec l'amendement CL1051, il s'agit de substituer au mot « efficace » les mots « plus respectueuse de l'autonomie de ses territoires ».
Cette suggestion, selon laquelle il vaudrait mieux parler de République décentralisée que de République efficace, ne me choque pas particulièrement, d'autant moins que la décentralisation pourrait être considérée comme un synonyme actif de l'efficacité. Nous considérons que la décentralisation est un des attributs d'une démocratie responsable et efficace, comme le montrent les dispositifs contenus dans le projet de loi. À ce stade, l'avis est plutôt défavorable mais, après discussion avec nos collègues, il pourrait devenir favorable d'ici à la séance publique. Cela mérite d'être regardé.
Nous souhaitons, par l'amendement CL1052, voir figurer dans le titre le respect des peuples et des territoires.
C'est le dernier amendement. Je considère que nous avons échoué à faire avancer les choses. Tout d'abord, je tiens à dire que nous comprenons et soutenons les attentes de nos collègues d'outre-mer. En ce qui concerne la Corse, je résume les débats : statut d'autonomie : non, statut d'outre-mer : non, reconnaissance du peuple corse : non, consultation des Corses sur leur avenir institutionnel : non, dévolution fiscale : non, langue corse : non, habilitation permanente : non. En somme, vous ne profitez pas de la réforme constitutionnelle pour avancer réellement. L'inscription a minima de la Corse que vous proposez ne permettra pas de doter l'île de compétences indispensables. C'est une occasion manquée. Tout cela a bien sûr l'apparence de la démocratie mais, au fond, l'approche est douloureusement non démocratique, en ce sens qu'elle refuse aux citoyens corses l'évolution qu'ils ont validée par des votes libres, convergents et répétés. Je vous conjure de reconsidérer votre position et d'en changer au moment où cette réforme sera examinée en séance publique.
Si ce que vous dites est vrai, il serait paradoxal d'ajouter au titre les mots « respectueuse des peuples et des territoires » car, après ce que je viens d'entendre, ce serait un oxymore. J'entends la déception que vous exprimez. Même si avez dit que c'était insuffisant, je répète que la Corse est inscrite dans la Constitution de la République et que, de ce fait, d'autres discussions doivent encore avancer. Nous avons une réelle volonté de décentraliser et de faciliter adaptations et expérimentations. Il y a d'ores et déjà beaucoup de grain à moudre pour qui veut se saisir de l'avenir d'un territoire. Il nous reste à progresser et il vous reste à travailler dans le sens des convictions que vous portez avec constance. Ce qui se termine aujourd'hui n'est jamais que la première phase du commencement. Avis défavorable, par cohérence avec ce que M. Castellani vient d'exprimer avec fermeté.
L'ajout d'une référence à la décentralisation me paraît une bonne idée. Vous avez ressenti dans nos débats une volonté de résilience, une volonté d'exister à partir de cultures et de réalités locales, dans les outre-mer, en Corse mais aussi sur le continent européen – j'ai entendu parler de la Lozère. C'est en libérant les énergies locales que nous pourrons compenser les limites de l'État à organiser le développement interne en relation avec le voisinage. Il faut consolider cela d'ici à la séance.
J'entends la notion de grain à moudre ; ce que nous voulons éviter, ce sont les moulins à vent. Je conclus ces débats en commission, qui se poursuivront d'ici à la séance publique, en disant de nouveau que vous avez fait le plus, l'inscription dans la Constitution, et pouvez donc faire le moins, afin de faire en sorte que les politiques soient opérationnelles. Seuls quelques petits pas sont demandés pour que la confiance existe, notamment par des outils comme l'habilitation permanente et non au cas par cas. C'est ainsi que la Corse se sentira enfin comprise au sein de la République française.
Le mot « décentralisée » serait en effet un signe fort donné aux initiatives territoriales. Il n'est pas si simple, encore, de parler de décentralisation à notre époque. J'ai tenté d'inaugurer une rue de la décentralisation à Autun ; je n'ai jamais pu trouver un préfet pour l'inaugurer. Allier efficacité et décentralisation va dans le bon sens.
Au terme de ces débats, je remercie nos collègues qui y ont participé mais aussi les administrateurs ainsi que l'ensemble des agents de l'Assemblée nationale qui ont prêté main forte dans des délais brefs avec leur talent et dévouement habituels.
La Commission rejette successivement ces amendements.
Puis elle adopte l'ensemble du projet de loi modifié.
Je m'associe aux remerciements du rapporteur général.
Près de 1 400 amendements ont été examinés pendant plus de quarante heures de débat, des débats parfois vifs mais toujours respectueux, dans l'esprit de la commission des Lois et de nos institutions.
Ce texte sera examiné en séance publique à partir du mardi 10 juillet.
La réunion s'achève à 21 heures 10.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Erwan Balanant, Mme Huguette Bello, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Vincent Bru, Mme Émilie Chalas, Mme Coralie Dubost, M. Christophe Euzet, M. Richard Ferrand, M. Marc Fesneau, Mme Isabelle Florennes, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, Mme Marie Guévenoux, M. David Habib, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Guillaume Larrivé, Mme Marie-France Lorho, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, M. Éric Poulliat, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Thomas Rudigoz, Mme Maina Sage, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, Mme Cécile Untermaier, M. Guillaume Vuilletet
Excusés. - M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, Mme Paula Forteza, M. Mansour Kamardine
Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Ericka Bareigts, Mme Marie-George Buffet, M. Michel Castellani, M. Paul-André Colombani, M. M'jid El Guerrab, Mme Claire Guion-Firmin, M. Patrick Hetzel, M. Hubert Julien-Laferriere, M. Bastien Lachaud, M. Serge Letchimy, M. Max Mathiasin, M. Philippe Michel-Kleisbauer, M. François Pupponi, M. Pierre-Alain Raphan, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Thierry Robert, M. Vincent Rolland, M. Jean-Pierre Vigier